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Paroles d'Actu
9 septembre 2024

Thierry Lentz : « Sous Napoléon, l'économie britannique était déjà trop en avance... »

Je ne sais combien de pages ont été noircies à propos de l’histoire napoléonienne, mais on serait nombreux je pense à tomber de notre chaise si ce chiffre, hyper évolutif, devait nous être dévoilé. Combien d’ouvrages consacrés, plus précisément, à l’histoire économique et financière de ces quinze années (1799-1815) au cours desquelles l’histoire de la France et celle de l’Europe se confondirent ? Pas tant que ça sans doute, et pourtant, on touche là, avec ces sujets essentiels, aux causes majeures de la guerre et de la paix, de la victoire et de la défaite. Une Nouvelle histoire économique du Consulat et de l’Empire vient de paraître aux éditions Passés Composés.

 

L’ouvrage, collectif, est passionnant : il aborde sous une multitude d’angles, souvent originaux, les questions permettant de dresser un tableau précis et très vivant de la France de cette période, qu’on se place à hauteur d’empire ou à hauteur d’homme. Un examen presque clinique des raisons de la défaite finale de Bonaparte, qui s’est sans doute davantage jouée sur des bateaux de commerce que sur des champs de bataille. À la tête de ce projet, M. Thierry Lentz, directeur général de la Fondation Napoléon et professeur associé à l’ICES-Institut catholique de Vendée. Il a, une fois de plus, accepté de répondre à mes questions (9 septembre), je l’en remercie ! Vous l’aurez compris : si l’époque vous intéresse, ce bouquin est un must. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Nouvelle histoire économique du Consulat et de l'Empire, Passés Composés, 09/2024.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Thierry Lentz : « Sous

 

Napoléon, l'économie britannique

 

était déjà trop en avance... »

 

Thierry Lentz bonjour. La composition de cette remarquable Nouvelle histoire économique du Consulat et de l’Empire (Passés Composés) a-t-elle fait suite à des avancées historiographiques récentes ? Les questions économiques et financières ont-elles été un parent pauvre des études napoléoniennes, et si oui peut-on dire qu’il y a du mieux ?

 

L’historiographie napoléonienne, en plein développement depuis une quarantaine d’année, avait parfois laissé de côté les questions économiques. Elles sont pourtant essentielles, autant qu’elles le sont aujourd’hui. À ce titre, l’ouvrage précurseur de Pierre Branda, Napoléon et l’argent, publié chez Fayard en 2006, a relancé ces questions (M. Branda fut interrogé par Paroles dActu en 2015, ndlr). Plusieurs études et colloques ont permis d’avancer encore, tandis que les monographies régionales nous donnaient de plus en plus d’éléments « de terrain », qui sont fondamentaux dans ces matières. Avancer encore a été l’objectif de cette étude collective, dans le cadre de la Chaire Napoléon de l’ICES-Institut catholique de Vendée, où j’enseigne l’histoire moderne et contemporaine.

 

J’ai sollicité des spécialistes des différentes questions en leur demandant le point le plus complet et le plus chiffré possible sur leur travail, tandis que d’autres acceptaient de plancher sur l’économie de leur région. L’ensemble a, si je puis dire, de la tenue et du fond. Nous espérons qu’il encouragera d’autres à le compléter et le préciser.

 

L’erreur principale de Napoléon Ier, en matière économique et commerciale, peut-être même toutes considérations confondues, n’a-t-elle pas été l’imposition stricte du Blocus continental au profit exclusif de la France et au mépris des intérêts les plus élémentaires de ses colonies, de ses vassaux, de ses alliés (de circonstance) qui de l’Espagne à la Russie en passant par l’Allemagne n’auraient bientôt d’autre choix que de se retourner contre lui ? A-t-il manqué de hauteur de vue ? Était-il persuadé de n’avoir d’autre option ?

 

Le Blocus continental est en effet l’événement économique majeur du règne napoléonien. Il a eu au départ des effets très positifs mais ils ne pouvaient être prolongés que par un accord de paix avec l’Angleterre. Au lieu de cela, il y eut un renforcement permanent de l’embargo. De 1806 à 1809, la production française a été fouettée par l’ouverture sans concurrence du marché européen. Mais ce qui devait arriver est arrivé : surproduction, gonflement des stocks et, par conséquent, réduction naturelle du marché. Napoléon a cru trouver la solution en s’en prenant aux productions et aux exportations de ses alliés, au nom du principe de « la France avant tout ». Il ne pouvait qu’échouer, avec en plus le mécontentement de ceux qui, jusqu’alors, lui avaient fait confiance. Ajoutons-y une diplomatie très « offensive », voire menaçante y compris envers les pays amis, et le cocktail explosif était constitué. Cette vaste affaire du Blocus confirme bien que les questions économiques étaient essentielles.

 

Peut-on toutefois mettre au crédit de Bonaparte, grand réorganisateur et modernisateur de l’État et à l’origine de la création de la Banque de France, d’avoir eu de bonnes intuitions en matière d’économie et de fiscalité, qui eurent pu porter leurs fruits si l’Empire avait vécu ? Peut-on imputer une part de l’essor français au XIXe siècle aux politiques menées entre 1799 et 1815 ?

 

N’oublions jamais que Napoléon est un homme du XVIIIe siècle. En ce sens, il a mis en œuvre des solutions économiques un peu passées, tirées des théories des physiocrates et des mercantilistes. Si la remise en ordre des institutions et de la monnaie a eu un impact positif et de long terme, le « libéralisme » économique de l’empereur a eu ses limites, alors même qu’il croyait peu au crédit et pas du tout au libre-échange. Il avait lu Adam Smith, avait fréquenté Jean-Baptiste Say, mais ne croyait pas à leurs théories qui réclamaient un moindre engagement de l’État. Donc pour répondre à votre question, c’est surtout par la stabilisation que par l’innovation économique que son règne a eu un impact sur les temps futurs.

 

Si, in fine, la Grande-Bretagne a gagné cette guerre, c’est parce que, maîtresse des mers et en avance dans les domaines industriels, elle était plus puissante économiquement, plus résiliente financièrement parlant ? Plus fine - ou fourbe, c’est selon - s’agissant de politique, de diplomatie, aussi ?

 

Laissons de côté l’accusation de fourberie, que certains jugent être du réalisme. Sur le plan économique, la Grande-Bretagne avait des décennies d’avance sur la France. Si les productions des deux pays se valaient, les modes de production et de financement étaient très différents. La France avait un handicap : l’importance numérique et le faible coût de sa main d’œuvre. En exagérant un peu, elle avait moins besoin d’innovation et de rationalisation que sa concurrente. La mécanisation anglaise fut dès lors précoce et à des niveaux bien plus élevés que chez nous. Ajoutons qu’en matière sociale, le gouvernement britannique avait la main beaucoup plus lourde que son homologue français, contrairement à ce qu’on pourrait croire.

 

L’espoir de Napoléon de provoquer par le Blocus et le marasme des révoltes en Angleterre a failli se réaliser, mais les Anglais ont su réprimer (souvent durement) toutes les velléités de révolte. Enfin, le système financier et de crédit anglais était beaucoup plus moderne : crédit facile, emploi du billet de banque, réseau de banques locales très entreprenantes. Et pour finir vraiment, alors que les mers étaient fermées au commerce français, la Royal Navy le rendit possible quasiment sans entrave. Les handicaps de l’économie française étaient trop importants pour être rattrapés.

 

Admettons Thierry Lentz que vous puissiez, par extraordinaire, rencontrer à quelque moment de votre choix le Premier Consul, ou plus tard l’empereur, fort de vos connaissances de 2024, et lui donner un conseil, un seul, quel serait-il ?

 

Si cela était possible, je lui conseillerais de se séparer de son entourage trop classique et d’appeler auprès de lui Jean-Baptiste Say, de croire au crédit et au billet de banque et, surtout, de parvenir à la paix avec l’Angleterre. Je ne l’en féliciterais pas moins pour avoir stabilisé le droit et les conditions macro-économiques avec ses nouvelles institutions. Puis, je lui ferais lire un ouvrage sur l’œuvre économique de Napoléon III, bien plus au fait des questions et théories économiques modernes. Mais, comme vous vous en doutez, Napoléon ne m’écouterait pas.

 

Thierry Lentz.

 

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