Dominique Trinquand : « Il ne faut pas imposer notre système, mais le rendre admirable »
J’ai beaucoup appris, depuis quelques jours, depuis la lecture de l’ouvrage D’un monde à l’autre (Robert Laffont, octobre 2024), à propos des enjeux de notre temps (guerres et tensions à telle ou telle frontière), et notamment de ces réseaux officiels (commerce traditionnel, systèmes d’alliances et puissances en devenir) et officieux (mafias et terrorismes) qui régissent notre univers d’humains. Dans ce deuxième livre, le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU et spécialiste reconnu des questions de défense et de diplomatie, expose avec méthode et pédagogie les grandes questions que l’on devra se poser collectivement non dans les décennies mais dans les années, voire les mois à venir. Je le remercie d’avoir une nouvelle fois accepté de répondre à mes questions et ne peux qu’inviter le lecteur curieux de prendre plus à coeur son statut de citoyen à s’emparer de ses écrits. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU (01/03/2025)
Dominique Trinquand : « Il ne faut pas
imposer notre système aux autres,
mais essayer de le rendre admirable. »
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D’un monde à l’autre (Robert Laffont, octobre 2024).
Le 28 février, Donald Trump et son vice-président ont sermonné et même humilié devant les caméras du monde le leader ukrainien Zelensky, apportant sans doute à Vladimir Poutine une victoire symbolique inespérée. Assiste-t-on véritablement à "something completely different", depuis la seconde élection de Trump, peut-être à une brêche devenue profonde au sein de l’ancien camp occidental ? Y’a-t-il derrière la position de Trump à votre avis le désir d’éviter à tout prix un rapprochement trop définitif entre Pékin et Moscou ?
Il y a réellement quelque chose de différent non seulement sur le plan géopolitique mais aussi sur le plan sociétal. L’Amérique de Trump s’éloigne de la démocratie pour devenir un empire privilégiant la force contre le droit. Sa tentative d’éloigner Moscou de Pékin a peu de chance d’aboutir car Trump sera soumis au verdict des élections, alors que Xi et Poutine n’ont pas cette crainte...
Votre ouvrage, remarquable, dresse un état des lieux des points chauds du moment et des grands enjeux et défis à venir. Croyez-vous que la montée bien perceptible des illibéralismes au sein des démocraties est quelque chose d’inéluctable, au moins temporairement, et si oui la redoutez-vous ? Dans quelle mesure peut-on l’attribuer à des manipulations de la part d’États autoritaires ?
Cette montée est une menace grandissante. Il s’agit d’utiliser la désinformation et de la manipulation pour aggraver les inquiétudes de la population en utilisant des idées simples (immigration). Il faut renforcer les capacités de lutte informationnelle.
L’Europe a à l’évidence, vous le rappelez, de par son caractère démocratique, de par son histoire et de par sa non recherche d’hégémonie, un rôle particulier à jouer dans ce monde qui s’ouvre à nous. Les citoyens européens en général, et les citoyens français en particulier, ont-ils conscience des enjeux globaux que vous exposez, et comment pensez-vous qu’il soit possible d’instruire davantage les populations, pas forcément en formation initiale, face à tous ces points que vous soulevez, face à la désinformation et à tout le reste ?
Le citoyens européens ne sont pas toujours conscients de la chance qu’ils ont de vivre dans une aire de paix et de prospérité. Il faut leur rappeler que cela se défend et que parfois cela nécessite des sacrifices. "Se reposer ou être libre, il faut choisir" disait Thucydide.
L’État doit-il d’une manière ou d’une autre, via les médias publics notamment, diffuser davantage de messages de vigilance (désinformation) et d’information sur les nouveaux défis du monde ?
Il faut effectivement utiliser l’information pour contrer la désinformation.
Dans votre conclusion vous faites montre d’optimisme, pour peu justement que les citoyens dotés d’un esprit critique s’emparent des grands défis du jour et du lendemain, et que les digues de la démocratie tiennent. J’ai noté avec intérêt ce que vous écrivez sur les embargos qui ne sont que rarement efficaces, et sur la prépondérance accordée à la libre circulation des biens, des personnes, et surtout des idées. La liberté, c’est votre crédo fondamental ? C’est une grande part de la solution à ces enjeux que vous pointez ?
Notre liberté individuelle (état de droit) et collective sont des trésors qu’il faut défendre pour rallier les forces qui y aspirent. il ne faut pas essayer d’imposer notre système aux autres mais le rendre admirable.
Deux questions plus personnelles...
Dans ce livre comme dans le premier, il y a pour chaque nouveau thème traité un récit d’expérience personnelle, comme pour dire, avec humilité : "voilà d’où je viens pour aborder ce sujet". Parfois il y a là dedans des éléments de vécu tout à fait intimes. Est-ce qu’écrire vos mémoires, raconter votre histoire, comme l’ami Gérard Chaliand récemment, c’est quelque chose qui pourrait vous tenter ?
Oui, j’ai ébauché cela déjà pour mes enfants et petits enfants. Les récits personnels dans mes livres en sont une part pour le public.
Vous excluez de partager votre histoire pour le grand public ? Peut-être aussi par pudeur ?
Peut être. Mon histoire n’intéresse pas le public, seules mes expériences mettant en lumière les événements ont un intérêt.
Cet ouvrage sonne comme une somme d’érudit bien au fait des questions de son siècle, il peut aussi sonner comme le manifeste de quelqu’un qui veut agir, qui à certains égards sait quoi faire. Est-ce que l’idée d’un engagement politique direct à un poste de responsabilité peut vous séduire Dominique Trinquand, non pour votre égo parce que je sens bien que la vanité vous touche peu, mais pour porter vos idées et espérer emporter l’adhésion ? Si oui votre statut de militaire pourrait-il y faire obstacle ?
J’ai essayé cet engagement politique mais échoué devant les "appareils de parti". J’ai choisi maintenant de ne plus tenter cela mais de diffuser ces idées à ma manière (media, livres, conférences). La politique est très décevante car souvent elle sert ceux qui la font au lieu de servir les autres. Il est maintenant un peu tard pour moi pour changer de registre...
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