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Paroles d'Actu
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8 mai 2025

« La capitulation du IIIe Reich, une approche apocalyptique » par Arnaud de la Croix

Ce 8 mai 2025 nous célébrons, non pas uniquement l’avènement sur le trône de Saint-Pierre du pape Léon XIV, mais bien le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe (elle allait durer jusqu’à la mi-août sur le front pacifique). Précisons aussi, pour ne pas les oublier, même si nous ne développerons pas davantage ce sujet ici, que ces moments de liesse bien légitime furent ternis par la grave répression qui eut lieu au même moment en Algérie française. Les 80 ans de la fin de cette guerre qui fut épouvantable sont ainsi célébrés comme il se doit aujourd’hui, demain en Russie, et dans les prochaines semaines. Il ne reste plus beaucoup de témoins directs de ce temps, ce qui rend la préservation de cette mémoire d’autant plus cruciale pour les futures générations.

 

Il y a un peu moins d’un an, j’interviewais Arnaud de la Croix, éditeur et écrivain belge, qui venait de scénariser une BD de synthèse remarquable, La Seconde Guerre mondiale en BD (Le Lombard, mai 2024), que j’invite chaleureusement le lecteur à découvrir. C’est tout naturellement que je lui ai proposé aujourd’hui, si l’idée le tentait, d’évoquer à sa manière la fin du conflit. Il a choisi un angle qui lui tient à cœur : une « approche apocalyptique » de la capitulation du Troisième Reich. Un texte érudit qui résonne aussi, en ces temps troublés où le monde de 1945 semble s’effacer, comme un avertissement de l’Histoire... Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

La Seconde Guerre mondiale en BD (Le Lombard, mai 2024).

Désormais disponible également en néerlandais, en espagnol, et bientôt aux États-Unis !

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« La capitulation du IIIe Reich,

une approche apocalyptique »

par Arnaud de la Croix, le 8 mai 2025

 

Je souhaiterais aborder la capitulation de l’Allemagne nazie, qui prend place le 8 mai 1945, sous un angle un peu inusité : celui de la dimension proprement apocalyptique du nazisme.

 

Dès la publication de Mein Kampf, au milieu des années 1920, Hitler utilise un ton qui relève de l’apocalyptique pour parler de l’échec éventuel de son projet, qui relève d’une lutte planétaire entre le Bien, incarné par la race présumée « aryenne », et le Mal incarné par le Juif, qu’il retrouve à l’œuvre tant au cœur du bolchevisme qu’au cœur de la haute finance internationale :

 

« Si le Juif, à l’aide de sa profession de foi marxiste, remporte la victoire sur les peuples de ce monde, son diadème sera la couronne mortuaire de l’humanité. Alors notre planète recommencera à parcourir l’éther comme elle l’a fait il y a des millions d’années : il n’y aura plus d’hommes à sa surface. »

 

Le combat entrepris ne se limite donc nullement à l’Allemagne.

 

Le 21 octobre 1941 à midi, alors que l’invasion de l’URSS commence à marquer le pas et que la décision de la solution finale de la question juive a été prise (la majorité des historiens s’accordent pour situer sa concrétisation à l’automne 1941), le Führer déclare à sa table :

 

« En exterminant cette peste [le Juif], nous rendrons à l’humanité un service dont nos soldats ne peuvent se faire une idée. »

 

Dans le Führerbunker, tandis que les Russes pilonnent Berlin, le 30 avril 1945, alors qu’il va se suicider, Hitler déclare au général de brigade de la Waffen SS Wilhelm Mohnke : « Ce n’était pas seulement pour l’Allemagne ! »

 

Le ton apocalyptique est également celui qu’emprunte le bras droit d’Himmler, Reinhard Heydrich, lorsqu’il rencontre, en octobre 1935 à Berlin, le délégué du Comité International de la Croix-Rouge, le diplomate et historien Carl Burkhardt :

 

« Si l’œuvre millénaire du Führer subissait un échec, si nous nous effondrions, alors tout se débridera, on célébrera des triomphes, des orgies de cruauté auprès desquelles la rigueur d’Adolf Hitler semblera fort modérée. »

 

On peut dès lors se poser la question : l’échec, l’effondrement du « Reich de mille ans », qui advient fin avril, début mai 1945, n’est-il pas inscrit dans le projet nazi dès le début ?

 

On sait Hitler fasciné par la civilisation gréco-romaine, selon lui d’origine aryenne, et il envisage, avec son architecte et confident Albert Speer, à la fois la construction de monuments dignes de la Rome antique – en particulier le projet mégalomane de « Germania », capitale destinée à se substituer à Berlin – et leur destruction. « Que restait-il de l’œuvre des empereurs romains ? Quels étaient les vestiges de leur grandeur, sinon les édifices qu’ils avaient fait construire ? » demande Hitler à Speer. Celui-ci va alors s’ingénier à concevoir les édifices nouveaux du point de vue d’une « théorie de la valeur des ruines », de telle sorte que les monuments élevés par le régime, une fois ruinés, « ressembleraient à peu près aux modèles romains. »

 

(Il est intéressant d’observer que les monuments subsistants du Reich nazi font aujourd’hui l’objet de « tours commentés » à Berlin et ailleurs en Allemagne).

 

La clef de cet appétit pour la destruction se trouve peut-être dans une véritable fascination, chez Hitler, pour le feu. De cette fascination, on retrouve la trace tout au long des douze années que perdure le régime.

 

Le lundi 30 janvier 1933, Hitler est nommé chancelier de l’Allemagne par le Président Hindenburg.

 

Goebbels note dans son journal :

 

« Tout est allé si vite et si loin ! Nous sommes installés à la Wilhelmstrasse [le quartier des ministères à Berlin]. Hitler est chancelier du Reich. C’est comme un conte de fées ! »

 

De son côté, le général Ludendorff, qui avait été le complice d’Hindenburg dans la conduite de la Première Guerre mondiale, puis celui d’Hitler dans les années 1920, écrit au Président Hindenburg :

 

« Je prédis solennellement que cet homme exécrable entraînera notre Reich dans l’abîme et plongera notre nation dans une misère inimaginable. Les générations futures vous maudiront pour ce que vous avez fait. »

 

Ce même soir, des milliers de membres des Sections d’Assaut, l’organisation paramilitaire du parti nazi, défilent à Berlin, le flambeau au poing. Ils saluent Hindenburg et ovationnent Hitler. Au balcon de la chancellerie, le Führer salue. A ses côtés, on aperçoit Hermann Goering, et Rudolf Hess un peu en retrait.

 

Inaugural, ce défilé aux flambeaux n’est que le premier d’une très longue série. Lors des « grand-messes » annuelles que constituent les Journées du Parti (Reichsparteitag) à Nuremberg, des colonnes immenses, porteuses de torches, s’alignent dans la nuit, aux pieds du Führer. Elles forment parfois un gigantesque svastika tournant sur son axe, toujours en flammes.

 

Un mois à peine après l’accession d’Hitler au poste de chancelier, dans la nuit du 27 au 28 février 1933, le palais du Reichstag, siège du parlement, est à son tour en flammes.

 

On débat encore aujourd’hui pour savoir si cet incendie, certainement d’origine criminelle, était le fait du communiste hollandais Marinus van der Lubbe, condamné et exécuté à l’époque, ou si les dirigeants nazis, et en particulier Goering, alors Ministre de l’Intérieur de la Prusse, n‘étaient pas la cause du sinistre.

 

Cet attentat permit en tout cas à Hitler, devant ce que Goering appela à l’époque « le début de la révolte communiste », de suspendre les libertés individuelles. Elles ne seront plus rétablies avant la capitulation de l’Allemagne nazie.

 

En mai et juin 1931, deux ans avant ces événements, Adolf Hitler avait longuement répondu aux questions du journaliste conservateur Richard Breiting. Cette interview est restée inédite, à la demande expresse d’Hitler, jusqu’à sa découverte et publication en 1968. On y lit les déclarations suivantes d’Hitler au sujet du Reichstag :

 

« C’est un conglomérat de quatre groupes de colonnes parthénoniennes, flanquées d’une basilique romaine et d’une forteresse maure, le tout ressemblant à une gigantesque synagogue. Je vous le dis, le Reichstag est un édifice particulièrement laid, le lieu de rencontre des représentants d’une bourgeoisie pourrie et des masses ouvrières dévoyées. L’édifice lui-même et l’institution qu’il abrite sont une honte pour le peuple allemand. Ils doivent disparaître l’un et l’autre. Je suis d’avis que, plus tôt cette baraque à potins sera brûlée, plus tôt le peuple allemand sera libéré des influences étrangères. »

 

Par « influences étrangères », Hitler entend fondamentalement ce qu’il nomme la juiverie internationale, et il n’est pas indifférent qu’il compare le Reichstag à une « synagogue ». Quand on sait le sort qui attend les Juifs, ces propos, passés relativement inaperçus, éclairent l’incendie du Reichstag d’une lueur nouvelle.

 

Le 10 mai 1933, Joseph Goebbels, nommé en mars Ministre du Reich à l’Éducation du Peuple et à la Propagande, appelle à un gigantesque autodafé, dans tout le pays, des livres « contraires à l’esprit allemand ». Tandis que des milliers de livres sont brûlés par les étudiants, il déclare que, par ce geste, « la nation s’est purifiée intérieurement et extérieurement ». Il s’agit bien du feu purificateur, d’un feu de joie consensuel. Exactement comme à l’époque des grandes chasses aux sorcières des XVIe et XVIIe siècles, lorsque la communauté villageoise s’assemblait pour voir brûler la sorcière.

 

En novembre 1935, pour célébrer les seize « martyrs » du Parti, tombés sous les balles de la police munichoise lors du putsch manqué du 23 novembre 1923, Hitler fait déterrer leurs corps. Il dresse un mausolée fait de seize sarcophages au cœur de la ville. L’ensemble, baptisé La Garde éternelle (Ewige Wache) est continuellement veillé par des SS tandis qu’il y brûle une flamme également « éternelle ».

 

Mais c’est bien entendu au cours du deuxième conflit mondial que l’intérêt du Führer et de son régime pour le feu va connaître son paroxysme.

 

À l’automne 1941, on l’a vu, après le lancement de l’offensive allemande à l’Est, Hitler prend la décision d’exterminer les Juifs d’Europe. Les cadavres des Juifs, dans les six camps d’extermination d’Auschwitz, Treblinka, Sobibor, Chelmno, Belzec et Majdanek, feront l’objet de crémation dans les fours prévus à cet effet.

 

Lors de la débâcle allemande, les 103 000 feuillets dactylographiés transcrivant tous les propos tenus, de 1942 à 1945, au Grand Quartier Général du Führer, sont transportés et incinérés à la hâte dans le jardin de la propriété d’Hitler, le Berghof, à Berchtesgaden. Un sergent de la 101e Division Aéroportée des États-Unis, George Allen, a vent de l’affaire, et sauve in extremis, un centième des documents brûlés.

 

Ces sources uniques montrent un Hitler doué d’une mémoire prodigieuse, parfois très intuitif, mais également en proie à un entêtement de plus en plus prononcé, habité par la conviction fatale qu’il ne peut en aucun cas se tromper.

 

Le soir du 20 décembre 1943, le Führer, prévoyant un prochain débarquement des Alliés à l’Ouest, qu’il annonce pour le printemps 1944, s’enthousiasme tout à coup à l’idée d’opposer des lance-flammes aux envahisseurs de ce qu’il nommait « la forteresse Europe » :

 

« C’est la chose la plus terrible qui soit. Cela enlève à l’infanterie de l’assaillant tout son cran pour aller au corps à corps. Ils perdent tout leur cran, quand ils ont soudain le sentiment que, (de tous les) côtés, il y a des lance-flammes et encore des lance-flammes, où qu’on (aille. Alors), ils perdent d’emblée tout courage. C’est la chose la plus (ter)rible qui soit. Et puis, par-dessus le marché, on a encore une (impression) peu agréable quand ça grésille devant vous ; c’est encore plus désagréable que de recevoir (un projectile) sur le crâne, ce qui est déjà une (saloperie). […] c’est sûrement une des armes qui produisent (peut-être l’) impression la plus terrible psychologiquement. Mais l’impression est peut-être encore bien (plus terrible) pour l’assaillant que pour le défenseur d’une position. L’homme qui attaque, on le voit, car il se déplace constamment par bonds, et alors on le balaie […] il faut avoir des lance-flammes partout. Je me suis demandé aussi si on ne pourrait pas les utiliser (aussi) contre les avions volant en rase-mottes ; mais ce n’est (pas réa)lisable. »

 

Le Führer exige alors qu’on lui passe au téléphone Karl Saur, l’adjoint du Ministre de l’Armement, Speer à l’époque. Et, lorsque la liaison est assurée :

 

« Hitler. – Saur, combien de lance-flammes produisez-vous par mois, à présent ? […] Il m’en faut le tri(ple) de ce que vous produisez actuellement, (et cela) dans deux mois. […] C’est le min(imum) de ce que je réclame. Il n’y en a que 1.200 ? Je croyais  (qu’il y en avait) 2.400. Je veux en avoir le triple. […] Nous en avons un besoin tout à fait (urgent) ! Merci ! Heil ! Bonnes fêtes ! »

 

Hitler conclut, devant ses généraux :

 

« Il dit qu’il croit pouvoir accroître ce chiffre. Il peut l’accroître […] les bombardements aériens lui libèrent des ouvriers ; il peut les coller dans les usines. […] Nous ne pourrions (jamais être exposés à une surprise), s’il y (avait) sur le front Ouest 20 000 ou 30 000 lance-flammes. »

 

Mais on sait que la situation va tourner au désavantage des forces allemandes, par suite du débarquement réussi des Alliés à l’Ouest et de la contre-offensive victorieuse des troupes soviétiques à l’Est.

 

Si bien que le Führer finit par retourner contre lui-même le feu purificateur qu’il a déchaîné. Le 30 avril 1945, après avoir mis fin à ses jours d’une balle dans la tempe, son cadavre et celui de sa compagne Eva Braun sont, ainsi qu’il l’avait ordonné, extraits des profondeurs du bunker de la nouvelle chancellerie à Berlin et transportés dans le jardin. Là, devant Bormann et Goebbels, les corps, aspergés par deux fois deux cent litres d’essence, se consument quatre heures durant.

 

Ce qui permet à Hitler, ce messie inversé, d’abandonner un bunker vide, favorisant toutes les supputations.

 

L’origine de l’omniprésence du feu au cours des douze années qu’aura duré le IIIe Reich se trouve peut-être dans la singulière mythologie hitlérienne. En effet, dans un discours prononcé à Munich le 13 août 1920, au tout début de sa carrière politique, Hitler parle de l’Aryen en ces termes :

 

« …L’homme qui pour la première fois produisit artificiellement une étincelle apparut ensuite à l’humanité comme un dieu : Prométhée, le pourvoyeur de feu… »

 

Le signe du Nordique qui descend vers le Sud porter le flambeau de la civilisation, indiquait encore Hitler, est celui du soleil.

 

« C’est la croix gammée des communautés de civilisation aryenne […] les éveilleuses de toutes les grandes civilisations postérieures… »

 

Pour sa part, Hermann Goering, dans un texte peu connu rédigé sous sa dictée début 1934 et destiné au public anglophone, Germany Reborn (« L’Allemagne ressuscitée »), décrivait ainsi la révolution national-socialiste :

 

« De ferme en ferme, de village en village, des montagnes à la mer, du Rhin jusqu’au-delà de la Vistule, les flammes de la révolte s’étendirent […] Finalement les flammes formèrent une mer de feu, d’où s’éleva une Allemagne purgée et purifiée, qui retrouva le rang que Dieu lui avait assigné. »

 

Cet océan de feu prométhéen restera comme un avertissement de l’Histoire.

 

 

 

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