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9 mai 2025

Olivier Da Lage : « New Delhi ne doit pas sous-estimer ce qu’Islamabad considère comme ses intérêts vitaux »

Faut-il craindre une escalade catastrophique alors que les tensions se font heure après heure plus vives entre l’Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires qui depuis des décennies se disputent le contrôle du Cachemire ? Le monde s’interroge et s’inquiète, dans un contexte par ailleurs incertain, avec un gendarme (ou ex gendarme) américain qui ne sait plus trop sur quel pied il veut danser s’agissant des affaires diplomatiques.

 

Pour mieux comprendre la situation, en comprendre les ressorts et les enjeux, j’ai la joie de recevoir à nouveau, cinq jours après sa publication éclairée sur les chaînes d’info en continuOlivier Da Lage, journaliste fin connaisseur du sous-continent indien (je l’avais notamment interviewé il y a deux ans et demi autour de son ouvrage L’Inde, un géant fragile, paru chez Eyrolles).

 

Merci à lui pour ce décryptage précis qui, à défaut de vraiment rassurer, pointe du doigt l’enjeu essentiel lorsqu’il est question de puissance nucléaire : la ligne rouge, celle qu’on ne peut oser franchir sans sombrer dans un terrifiant inconnu, c’est toucher à ce qu’elle considère être ses intérêts vitaux... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (09/05/2025)

Olivier Da Lage : « New Delhi

 

ne doit pas sous-estimer ce qu’Islamabad

 

considère comme ses intérêts vitaux... »

 

L’Inde, un géant fragile (Eyrolles, septembre 2022).

 

La crise actuelle entre l’Inde et le Pakistan est-elle réellement plus grave que les précédentes ?

 

C’est en tout cas la plus grave depuis la guerre de Kargil, qui avait résulté d’une incursion de l’armée pakistanaise en mai 1999 et qu’on avait surnommée la «  guerre des glaciers  ». Elle avait duré trois mois et était restée territorialement confinée à la région de Kargil, au Ladakh. C’est pourquoi on peut craindre qu’en fait, l’actuel début de conflit soit le plus grave depuis la guerre de 1971, au cours de laquelle l’Inde était venue au secours des séparatistes du Pakistan Oriental, devenu le Bangladesh à l’issue du conflit. En effet, d’ores et déjà, les belligérants ne se sont pas cantonnés au territoire du Cachemire mais ont déjà débordé sur le Pendjab pakistanais et dans plusieurs régions du nord de l’Inde, les aéroports ont été fermées, tout comme les écoles et le black-out a été décrété par précaution dans des localités du Gujarat, du Rajasthan et du Pendjab. Le risque est bien entendu qu’en l’absence d’une désescalade, le conflit ne s’étende davantage.

 

Au-delà des circonstances particulières, la question du Cachemire reste-t-elle le point de discorde fondamental entre les deux pays ?

 

Oui, très clairement. Quelques jours avant l’assassinat de 26 touristes à Pahalgam (Cachemire) le 22 avril, le chef de l’armée pakistanaise, le général Wassim Mounir, s’adressant à la diaspora pakistanaise, affirmait que le Cachemire était «  la veine jugulaire  » du Pakistan et qu’on ne l’abandonnerait jamais. De son côté, l’Inde considère que la partie administrée par le Pakistan, qu’elle appelle «  le Cachemire occupé par le Pakistan  » (PoK), lui revient. Pour les nationalistes hindous, au pouvoir à New Delhi depuis 2014, le PoK fait partie intégrante d’Akhand Bharat (l’Inde indivise), et si le gouvernement n’a pas fait de sa conquête un objectif politique officiel, au sein de la galaxie des organisations nationalistes hindoues (la Sangh Parivar dont la tête est le RSS, organisation de masse fondée il y a tout juste un siècle et qui constitue la matrice idéologique du BJP, le parti du premier ministre Narendra Modi), on l’affirme clairement, sans pour autant fixer une date pour cette reconquête. Par ailleurs, au-delà des raisons idéologiques ou nationalistes justifiant de part et d’autre la revendication d’une appartenance pleine et entière (c’est-à-dire sans ligne de démarcation) du Cachemire à son propre pays, il y a également des considérations économiques et stratégiques  : la richesse hydraulique d’un territoire considérée comme le «  château d’eau  » de la région, et le fait que qui contrôle la vallée et les hauteurs du Cachemire surplombe l’État voisin, ce qui confère un avantage militaire évident.

 

Le scénario catastrophe élaboré par le Bulletin of the Atomic Scientists, qui imagine qu’un Pakistan débordé sur le plan conventionnel pourrait recourir à des armes nucléaires tactiques, et donc une escalade apocalyptique, est-il aujourd’hui une hypothèse à prendre au sérieux ?

 

A priori, non car l’Inde est pleinement consciente que la doctrine nucléaire du Pakistan, contrairement à la sienne, ne s’interdit pas l’emploi en premier de l’arme atomique si ses intérêts vitaux sont menacés, comme par exemple, la destruction de l’appareil militaire du pays ou l’occupation ou la destruction de ses principales villes. On peut donc espérer que si, dans un conflit ouvert, elle prenait le dessus, elle saurait s’arrêter à temps. Il est à noter que les deux états-majors continuent de communiquer entre eux malgré l’ouverture du feu. Ce qui est inquiétant, en revanche, c’est que pour le Pakistan, la volonté affirmée par l’Inde de contrôler le débit des eaux de l’Indus, qui coule en aval au Pakistan, représente une menace vitale pour son agriculture qui dépend pour l’irrigation des terres cultivables (blé et riz notamment) de l’Indus et de ses affluents à 80 %, ce qui en fait un sujet vital pour Islamabad.

 

Qui peut aujourd’hui, dans un monde qui change, tempérer les ardeurs des uns et des autres ? L’actuelle administration américaine semble-t-elle vouloir s’engager pleinement comme médiateur ?

 

Les Américains font le service minimum et parlent plusieurs langages. Le secrétaire à la Defense Pete Hegseth a soutenu sans réserve le droit de l’Inde de se défendre comme elle l’entend. Le secrétaire aux Affaires étrangères Marco Rubio a téléphoné aux dirigeants des deux pays en les appelant à la retenue, mais d’une manière générale, Washington n’a pas l’intention de s’impliquer dans ce conflit, contrairement à ce qu’avait été l’attitude de Bill Clinton lors de la guerre de Kargil en 1999, contribuant ainsi à éviter un dérapage nucléaire.

 

L’Inde refuse par principe toute médiation sur le Cachemire, considéré comme un problème intérieur alors qu’au contraire, le Pakistan cherche depuis l’origine à l’internationaliser. De nombreux pays ont appelé l’Inde et le Pakistan à la retenue, mais l’attitude, du moins en Inde, consiste à considérer que les Européens, notamment, prêchent en Asie du Sud ce qu’ils ne font pas eux-mêmes, notamment en Ukraine où leur appui à Kiyv nourrit le conflit, selon une opinion largement partagée en Inde. Il faudra évidemment surveiller le rôle de la Chine qui, tout en étant le «  parrain  » du Pakistan et en lui ayant fourni des armements performants, n’a aucun intérêt à voir une guerre s’enkyster à ses frontières, alors que depuis un an, elle se rapproche de l’Inde avec qui elle a des échanges économiques importants et que surtout, elle ne souhaite pas multiplier les fronts tandis que sa relation avec Washington reste tendue et risque de s’envenimer davantage. Il est donc possible, même si c’est loin d’être une certitude, que Pékin soit amené à jouer un rôle dans une désescalade… lorsqu’elle interviendra.

 

Peut-on imaginer un règlement définitif et équilibré de la question du Cachemire... pour peu qu’il y ait volonté politique et bonne volonté tout court de part et d’autre ?

 

On peut, bien sûr, tout imaginer. Mais il n’y a actuellement aucun élément tangible permettant de penser que cette hypothèse a des chances de se réaliser dans un avenir prévisible.

 

Olivier Da Lage.

 

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