Thierry Stremler : « Françoise Hardy n'avait rien en commun avec Les Inrocks, qui l'adulaient »
Il y a un peu plus d’un an, le 11 juin 2024, disparaissait Françoise Hardy, une de nos artistes les plus respectées. Nombre d’hommages lui ont été rendus, avant, et depuis. Je pourrais citer, pour Paroles d’Actu, outre les deux interviews que j’ai pu faire avec elle (la dernière ayant été publiée dans Marianne) et le texte que je lui ai consacré, les évocations de son fils Thomas Dutronc et de Serge Lama, les hommages du biographe Frédéric Quinonero et de l’éditeur de Françoise Hardy, Stéphane Barsacq. C’est grâce à ce dernier que j’ai pu contacter, pour un nouveau clin d’œil, l’auteur-compositeur-interprète Thierry Stremler, qui a composé huit chansons pour Françoise Hardy réparties sur quatre albums, de Tant de belles choses (2004) au tout dernier, Personne d’autre.
Thierry Stremler, dont je signale qu’il développe à son nom son propre univers (son album Hôtel est disponible depuis 2023) a tout de suite accepté ma proposition d’interview. Celle-ci s’est déroulée par téléphone, le 12 juin. Un regard très éclairé, affectueux et cash, sur Françoise Hardy, par une des personnes qui l’ont vraiment connue. Merci à lui, et à tous ceux, et celle surtout, que je cite plus haut. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
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Hôtel, par Thierry Stremler.
Thierry Stremler : « Françoise Hardy
n’avait rien en commun
avec Les Inrocks, qui l’adulaient... »
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Thierry Stremler (Photo par Rebecca Sampson)
Thierry Stremler bonjour. Françoise Hardy est décédée le 11 juin 2024, qui était aussi le jour de votre anniversaire. Que retenez-vous de cette journée un peu particulière ?
Un souvenir étrange... Ma mère aussi est morte le jour de mon anniversaire, il y a 16 ans. Et, même si je ne dirais pas que Françoise Hardy était comme une mère, professionnellement il y avait quand même un peu ce rapport-là. J’ai à peu près l’âge de son fils Thomas, et elle a été comme une marraine de métier.
D’ailleurs vous l’avez connue via Thomas Dutronc ?
Oui. Au début j’étais un ami de Thomas. Pour tout vous dire, j’ai d’abord rencontré Matthieu Chédid, il y a 35 ans. Je venais de Boulogne, avec mon pote Jérôme Goldet, et on ne connaissait personne dans le monde de la musique professionnelle. On était velléitaires, on voulait être pro. Matthieu, bien que plus jeune que nous, était déjà dans ce monde-là, par ses parents, notamment son père, et par tous les gens qu’il avait rencontrés. Et moi j’ai rencontré Thomas via Matthieu. On habitait à côté : moi dans le XIVe, rue Alésia, tandis que les Dutronc avaient une maison rue Hallé, pas loin du métro Mouton-Duvernet. Un jour on s’est retrouvés dans le métro par hasard, et on a sympathisé. Parfois après, j’allais chez lui. Sa mère je la croisais de temps en temps, pour un anniversaire, quand j’allais voir Thomas... Je pense qu’elle ne savait pas que je faisais de la musique. J’étais pour elle un ami de Thomas, parmi tant d’autres.
J’ai travaillé à un moment avec un ingénieur du son, Alf alias Stéphane Briat, quelque part entre l’été 1999 et 2000. Au même moment il travaillait avec Françoise Hardy. Et il lui a fait écouter quelques morceaux de moi. A-t-elle fait le rapprochement avec la personne qui venait voir Thomas ? Je ne sais pas. Et à l’été 2003 j’ai lu dans un magazine qu’elle cherchait des chansons pour faire un nouvel album. J’ai alors décidé de faire un CD avec des maquettes, et j’ai envoyé le tout en juin 2003, avenue Foch, là où elle habitait, mais sans passer par Thomas. Pendant longtemps je n’ai pas eu de réponse. Je pensais que ça n’allait pas marcher, les gens autour de moi me disaient de laisser tomber. En août 2003 je suis parti en Inde, où j’avais apporté un petit téléphone portable, un Motorola des débuts. J’étais dans un train entre Goa et Hampi lorsque celui-ci a sonné. C’était la messagerie, et c’était un message de Françoise Hardy. Elle me disait qu’elle avait écouté, qu’elle avait aimé, et qu’elle avait retenu deux mélodies. Lorsque je suis arrivé à destination je l’ai appelée de l’hôtel où j’étais... Je vous raconte ça, parce que c’est le plus beau souvenir que j’ai avec elle.
Je veux bien vous croire, et le cadre du moment ajoute au surréaliste de la situation !
Oui comme vous dites. On était en plus en hors-saison, avec donc une atmosphère un peu bizarre, sans touristes. On se retrouve un peu seul dans ce monde un peu fait pour les touristes – Hampi est un lieu magnifique. Je l’appelle donc par le téléphone de l’hôtel et lui raconte ce qu’on m’a expliqué dans la journée, à savoir que, comme il ne pleuvait pas en cette période de mousson, les Américains avaient aidé les Indiens à provoquer la pluie de manière artificielle, en balançant en altitude des nitrates ou je ne sais quoi. Je crois qu’elle m’a pris pour un fou d’entrée, et ça c’était drôle.
Quand je suis rentré en France on s’est croisés, puis elle a fait des maquettes après avoir écrit des paroles sur les deux musiques qu’elle avait sélectionnées. Et un jour j’ai reçu les maquettes avec ce qu’elle avait fait avec son quatre-pistes à la maison. Moment magique, évidemment. J’ai eu l’impression qu’elle s’était complètement approprié les mélodies que je lui avais faites. Limite qu’elle les vampirisait. À tel point que j’ai presque eu l’impression que ça n’était pas moi qui les avais composées. Rien de mes mélodies n’avait été changé, mais elle avait tellement mis de sa personnalité dans les paroles que c’était déjà devenu du Françoise Hardy. C’était assez troublant...
Et justement, vous lui avez écrit des musiques, dont deux ont été sélectionnées, mais avez-vous trouvé que ses textes collaient à ce que vous aviez vous en tête en les composant ?
Oui, tout de suite. Je n’ai eu aucun doute. Après, elle a modifié un peu, c’était les premières moutures... J’ai d’ailleurs les maquettes, je les ai envoyées à Thomas il n’y a pas très longtemps. À noter que sur les deux chansons le texte n’est pas identique à celui de la version définitive, mais ça arrive souvent : on écrit d’abord un premier jet puis on retravaille, on retouche. Mais j’étais super content, et c’était très bien écrit. Après, à la fin de notre collaboration, sur le dernier album, Personne d’autre, ça a été un peu plus compliqué. Sur la chanson Trois petits tours. Je n’étais pas fan de son texte à 100%, je le lui ai dit, et elle n’était pas très contente. Ce n’est pas que je n’aimais pas, mais ces évocations animalières, ça me semblait bizarre. Je lui ai dit que ça me rappelait un peu Mireille, c’était une critique mais pas très méchante, parce que je savais combien elles étaient proches (et j’étais fan de Mireille en plus, je l’ai vue deux fois en concert au théâtre de La Potinière, c’était incroyable !) Mais elle l’avait mal pris. Plus tard elle a écrit un livre, Chansons sur toi et nous, dans lequel elle commentait chaque titre qui était de sa plume. Pour Trois petits tours, elle a écrit que je n’aimais pas le texte, et qu’elle ne comprenait pas pourquoi !
>>> Trois petits tours <<<
Sur le texte de L’Amour fou, je trouvais bien l’idée qu’il y ait une partie parlée, un peu comme dans Message personnel qu’elle a fait avec Michel Berger (c’est elle qui a écrit la partie parlée de cette chanson). Mais finalement je n’aime pas complètement le texte parlé de L’Amour fou (alors que j’aime celui des parties chantées)... Bref. On a quand même fait huit chansons ensemble, qui se sont étalées sur quatre albums différents, entre 2004 et 2018. Au final je suis évidemment content : j’adore sa voix et c’était beau de collaborer avec elle. Avec le recul on ne retient que le positif.
Elle avait la réputation de ne pas être facile et d’être très exigeante, d’abord avec elle-même...
Avec elle-même bien sûr. Mais avec les autres aussi. À la fin elle m’a rendu fou sur Un mal qui fait du bien. C’était un morceau que j’avais composé quand j’avais 19 ans. On était en 2017, et j’avais donc composé ça vers 1989. Elle voulait un pont, mais c’était très dur de recomposer quelque chose qui puisse aller avec quelque chose que j’avais fait 30 ans plus tôt. J’ai dû faire 25 ponts différents. Mais elle a eu raison parce qu’au final, le pont je le trouve bien...
>>> Un mal qui fait du bien <<<
Elle avait le sens des textes, mais aussi le sens musical...
Oui, et une grande musicalité dans la voix. Sa voix n’était pas très puissante, assez fluette, comme un filet de voix, mais avec un charisme vocal très fort. Sur les six derniers morceaux studio qu’on a fait ensemble j’ai eu la chance de réaliser, et de diriger les séances d’enregistrement des voix. Dès qu’elle se mettait derrière le micro et qu’elle chantait, il y avait une grande personnalité, pas tant liée à la puissance vocale qu’à une présence de comédienne.
Et par rapport à ce charisme justement, ça ne vous peinait pas, le fait qu’elle ne veuille à aucun prix refaire de la scène ? Personne n’a essayé de l’en convaincre j’imagine ?
Oh non, elle était radicale là-dessus et ne voulait plus en entendre parler. 2003-2004, notre première collaboration, c’est l’année où on lui a diagnostiqué sa maladie, elle était donc déjà fragile et de par sa minceur, frêle physiquement. Elle a tourné pendant 5 ans, arrêté de faire des concerts en 1968, mais pourtant quand on regarde sur internet, les images d’elle en concert sont vachement bien... Il y a notamment un concert où elle est super, je trouve. Je le lui ai dit, qu’elle était bien, et que je ne comprenais pas pourquoi elle avait arrêté. C’était des histoires d’angoisses, et elle ne voulait pas être séparée de son amoureux, Jean-Marie Périer, puis Jacques Dutronc. Elle disait qu’elle avait beaucoup le trac, mais quand on la voit sur scène il y a un décalage entre ce mal-être dont elle parle et l’impression d’aisance qu’elle renvoie.
>>> La maison où j’ai grandi (Live, 1967) <<<
Mais il faut aussi avoir en tête ce qu’étaient les concerts à l’époque : les conditions étaient très mauvaises. À partir des années 70, les artistes de musique amplifiée pouvaient avoir des retours (une enceinte dirigée vers l’interprète et les musiciens). Dans les années 60 il n’y avait pas ces enceintes de retour. Le son n’était pas bon, les conditions étaient un peu éprouvantes. Tous les gens qui ont tourné dans les années 60 racontent la même chose, que ça n’était pas très agréable. Il faut avoir en tête, en plus, qu’à l’époque les promoteurs programmaient des tournées hyper chargées pour les artistes qui marchaient, parfois presque tous les jours. C’était épuisant : la débauche d’énergie très importante du concert, les transports, la mauvaise hygiène de vie à une époque où il n’y avait pas encore tous ces coachs... C’est en partie pour tout cela qu’elle a arrêté la scène en 68. C’est aussi en partie pour ça que les Beatles ont arrêté, à la même époque, même si dans leur cas les nuisances sonores des concerts étaient encore pires, avec les cris des filles, etc... Aujourd’hui dans les concerts de Billie Eilish il y a des fans qui hurlent, mais elle s’entend parce qu’elle reçoit désormais les retours directement dans les oreilles. Françoise n’a jamais voulu recommencer, une fois qu’elle a arrêté.
Elle était sincère dans sa démarche, l’idée n’était pas de se faire désirer en tout cas... Elle me l’a bien expliqué lors de notre interview, l’an dernier.
Oui, elle avait décidé que ça n’était pas son truc. Moi par exemple j’adore faire des concerts. Je trouve dans un concert où tout se passe bien un plaisir que je ne trouve jamais dans un studio, ou quand j’écris une chanson. J’adore ces deux activités, mais je préfère vraiment la scène. Jacques Higelin était comme ça. Véronique Sanson aussi j’imagine. Françoise, c’était le contraire...
>>> La Question <<<
Françoise Hardy est partie, nous l’avons rappelé, il y a un an. Est-ce qu’il y a parmi son répertoire des chansons que vous aimeriez suggérer à nos lecteurs de vraiment redécouvrir ?
Moi, les chansons que je préfère, ce sont celles des années 1960-70. Dans les années 60 il y a des titres comme Des ronds dans l’eau, comme L’Amitié que j’adore. En 1971 sort La Question, qu’elle a fait avec la brésilienne Tuca, et qui pour moi est son meilleur album. C’est ce qu’elle a fait de mieux, je pense. Les fans connaissent bien, le grand public moins. Dans toutes les années 70 elle a fait des choses superbes, dont certaines chansons avec Serge Gainsbourg : Comment te dire adieu ou L’Anamour... Tout l’album qu’elle a fait avec Berger. Ce qu’elle a fait aussi avec Michel Jonasz et avec Gabriel Yared. La chanson Que tu m’enterres notamment, est magnifique. Pour la petite histoire d’ailleurs, cette chanson existe sur un album de Gabriel Yared. Justement, lors des obsèques de Françoise il y a un an, j’ai rencontré pour la première fois Gabriel Yared, et on a discuté un peu sur un banc de la chapelle du Père-Lachaise. Et il m’a raconté que cette chanson, c’était lui qui l’avait d’abord chantée. Je n’ai pas compris sur le moment, parce que je ne savais pas qu’il avait été chanteur. Allez voir sur les plateformes !
>>> Que tu m’enterres (version de Gabriel Yared) <<<
Sur tous les albums, même après les années 70, il y a des chansons que j’aime bien. J’adore V.I.P., qui a été composée par Jean-Noël Chaléat. Partir quand même...
Tant de belles choses aussi ?
Bien sûr, sur l’album où j’ai commencé à travailler avec elle. Sur l’album Le Danger, il y a des choses super. Sur l’album Clair obscur aussi, des choses que j’adore, comme Un homme est mort ou Tous mes souvenirs me tuent, adaptation du standard Tears de Django Reinhardt. Beaucoup, beaucoup de chansons pas connues mais qui mériteraient de l’être...
>>> Tous mes souvenirs me tuent <<<
Oui... Et j’ai eu la chance aussi, l’été dernier, d’interviewer Thomas qui m’a confié, comme il l’a confié à d’autres, son désir de voir le public s’emparer non pas seulement de la Françoise Hardy mélancolique, mais aussi de celle qui aimait rire, et elle riait beaucoup apparemment...
Bien sûr. De toute façon, pour être avec Dutronc, il faut avoir un certain sens de l’humour, et aimer rigoler, puisque lui fait des blagues tout le temps.
Vous l’avez peu côtoyé Dutronc, par contre ?
J’ai passé 10 jours dans leur maison en Corse en 1993. Elle n’était pas là, mais lui est arrivé au bout de trois jours. Ce qui fait que j’ai passé une semaine avec Dutronc ! Mais je n’ai fait que le croiser. La dernière fois c’était pour l’enterrement de Françoise...
Et justement quand vous regardez Thomas maintenant, fils de deux artistes très populaires et qui pourtant a réussi à faire son petit bonhomme de chemin et à imposer son univers particulier, ça doit vous faire plaisir...
J’étais content pour lui bien sûr, quand il a sorti son premier disque et que ça a marché. Quand j’ai connu Thomas il faisait déjà de la musique, mais il ne chantait pas. Je me souviens d’une fois où il avait essayé de chanter en haut de la maison de la rue Hallé, dans le XIVe, mais on sentait qu’il avait peur que sa mère l’écoute. Il a réussi à dépasser cette peur et cette appréhension.
D’ailleurs il m’a confié quelque chose de touchant l’an dernier : sa mère n’a rien entendu de son nouvel album parce que tout n’était encore qu’au stade de maquettes, et il avait peur de son jugement...
Je peux comprendre. Elle avait des jugements qui pouvaient être terribles. Elle pouvait dire aussi des choses complètement surprenantes, auxquelles vous ne vous attendiez absolument pas. Ça tout le monde le dit, même Julien Clerc, même des gens très connus avec beaucoup de confiance en eux : plein de gens ont envoyé des chansons à Françoise Hardy pour avoir son avis ou les lui proposer, pour parfois se prendre une volée de bois vert, du style « Qu’est-ce que c’est que cette chanson ! ».
Ça devait être une expérience !
Oui... Moi j’étais habitué. Si elle trouvait ça bien j’étais content. Si elle était trop critique, je n’écoutais pas trop. Elle aimait ce que je faisais pour elle, voyez. Le reste l’intéressait moins. Mais je vous confirme qu’elle pouvait parfois être "sans filtre". Je lui ai demandé un jour pourquoi elle était comme ça. Elle m’a expliqué que depuis son premier succès, Tous les garçons et les filles, à 17 ans, elle était passé de la fille mal dans sa peau qui faisait des chansons dans sa chambre à la guitare et se croyait nulle à, d’un seul coup, un destin de star nationale vendant des millions de disques. De rien à tout. Ensuite elle est toujours restée connue. Et elle m’a expliqué avoir bien compris que depuis cette époque les gens ne lui parlaient pas normalement. Quand on gravite autour de quelqu’un qui a comme ça un statut très élevé, souvent il y a une attitude de courtisan, où on ne dit pas la vérité, etc. Elle s’en était aperçue et donc se faisait fort, elle, de dire la vérité aux gens. Alors elle ne mettait aucun filtre.
Il fallait la prendre telle qu’elle était, sans accorder trop d’importance à ce qu’elle disait. Le problème c’est que les gens qui la croisaient, eux, prenaient souvent ça très à cœur. Moi je la prenais à la fois comme une reine que je servais, et en même temps il y avait un certain détachement. Je dois vous avouer aussi que j’avais du mal à comprendre ses goûts. Je dirais même mieux que je ne comprenais rien à ses goûts musicaux ! Ce qui est drôle c’est que finalement, plus je la connaissais, et moins je comprenais les goûts qu’elle avait. Elle était complètement insaisissable. À chaque fois qu’on croyait tomber juste, en ayant un morceau comme ci, un morceau comme ça, on se plantait toujours ou presque. Et on ne savait pas trop ce qu’elle aimait : elle pouvait aimer la variété très populaire, comme Lara Fabian, Céline Dion ou Jean-Jacques Goldman, et en même temps elle aimait les trucs les plus underground du Rock, comme Cigarettes after sex, etc. Elle prenait souvent pour ses albums des gens complètement inconnus, venus du fin fond de l’Allemagne ou de l’Angleterre... Elle pouvait vraiment se passionner pour du très underground comme pour du très grand public. Ce mélange était drôle pour moi. Elle échappait totalement à la notion de « bon goût ». Voyez, Les Inrockuptibles, c’est « le journal du bon goût », on peut dire ça comme ça. Elle était leur idole mais elle n’avait elle-même rien en commun avec ces gens-là ! Les gens des Inrocks non plus ne la comprenaient pas.
C’était ça aussi qui était touchant et rafraîchissant chez elle : ce côté « je suis comme ça, je me fous que ça plaise ou non ».
Elle était vraiment une femme libre, qui disait ce qu’elle voulait. Et puis elle avait pris cette habitude-là, vers ses 18-20 ans, après le succès, d’être toujours très cash, comme ça. Elle était comme elle était, mais je pense que les journalistes aiment bien les gens qui sont comme ça. Les Jean-Louis Murat, etc, des gens qui ne font pas dans la langue de bois. Qui parfois disent du mal des autres – ce que ne faisait pas Françoise Hardy. Mais voilà, par son côté très cash, elle faisait un peu peur...
>>> Françoise Hardy (séquence TV) <<<
Il y a cette séquence drôle, chez Ruquier, où Christine Angot lui avait confié qu’elle adorait Je suis moi, pour s’entendre répondre de la part de Françoise Hardy que ce texte était peut-être le plus mauvais de Michel Berger...
Exactement. Elle pouvait tout à fait dire des choses comme ça, auxquelles on ne s’attendait pas du tout.
Elle était drôle sans le vouloir ?
Je ne sais pas... Peut-être oui ?
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Cet album de 2018, Personne d’autre, elle savait qu’il allait être son dernier ?
Peut-être... À ce moment-là on lui a diagnostiqué un autre problème de santé. Je pense que si elle avait été en bonne santé, elle en aurait refait un dernier.
Et si vous devez choisir une ou deux chansons à nous faire vraiment écouter, parmi celles que vous avez faites ensemble ?
J’en ai fait huit avec elle. J’ai deux préférées : Soir de gala, que j’ai moi-même reprise sur mon dernier disque, Hôtel. Et aussi la chanson Un mal qui fait du bien. Mais malheureusement, pour celle-ci, le mix qui a été choisi pour l’album Personne d’autre n’est pas le meilleur... J’en ai un bien mieux qui peut-être un jour sortira... J’aime tout ce qu’on a fait ensemble.
>>> Soir de gala <<<
Et vous pourriez imaginer faire quelque chose avec Thomas, ou avec Gabriel Yared ?
Bien sûr, ça peut arriver. Mais ça se fait au gré des rencontres. Il faut se trouver pendant un moment dans un même état d’esprit. Les choses arrivent souvent naturellement, telle rencontre en amenant une autre... J’adorerais travailler avec Yared. Mais il faudrait qu’on se recroise.
Thomas, vous le voyez toujours ?
Oui, encore il n’y a pas très longtemps. Pourquoi pas si envie réciproque. On ne sait pas ce que l’avenir vous réserve.
Justement, on a beaucoup parlé de Françoise Hardy, parlons maintenant un peu de vous et de votre avenir. C’est quoi, vos projets ?
J’ai sorti un disque il y a un an et demi, Hôtel, et j’ai fait quelques concerts, cette année à Paris et l’an dernier un peu en province et à l’étranger. Là j’ai un disque que je dois finir, mais je n’ai plus de maison de disques, alors c’est un peu compliqué pour moi de l’éditer. D’autant plus que je fais mes disques à l’ancienne, donc ça coûte un peu cher. Je ne suis pas, comme Angèle, à faire mes disques dans ma chambre. Aujourd’hui il y a une génération d’artistes qui ont 25 ans et qui font tout avec leurs logiciels. Il n’y a plus qu’à mixer après, etc. Moi c’est pas trop mon truc. Je fais les miens avec des musiciens, un réalisateur, un ingénieur du son, un mixeur, etc... ça coûte cher ! Et en ce moment ce qui m’intéresse c’est d’écrire des chansons, de collaborer avec des jeunes. J’ai fait il y a quelques jours un concert avec un jeune chanteur franco-portugais qui faisait ma première partie et avec qui j’ai commencé à travailler sur une chanson. J’aime ces rencontres. C’est aussi un moyen de rester connecté. Pour le jazz et le classique, les gens ne font pas trop attention à l’âge. Mais la pop est quand même liée à la jeunesse, par essence. J’essaie donc de m’y connecter.
>>> Hôtel, by Thierry Stremler <<<
J’espère que ça fonctionnera en tout cas.
Je l’espère aussi. Quand j’ai commencé, j’ai connu un métier qui était structuré sans internet. La révolution numérique a tout changé. Il y a des choses qui sont mieux, d’autres qui sont moins bien. Ce n’est pas à mon âge que je vais devenir une « bête » d’Instagram. Il faut voir aussi que beaucoup plus de disques sortent maintenant qu’à l’époque.
Et vous avez tout de suite su que vous, ce serait la musique ?
Oui... Après le Bac j’ai fait deux années d’études un peu infructueuses, et à 20 ans j’ai compris que je ne voulais faire que de la musique.
Vous avez autant de plaisir à écrire des textes qu’à faire des mélodies ?
Je fais les deux, mais je fais plus de musiques que de textes. Pour mes disques à moi, je fais en général les paroles et la musique. J’adore faire les deux, mais écrire des paroles me prend plus de temps. Alors que la musique me vient très rapidement. Je produis donc plus de mélodies. Avec des paroles en yaourt dessus, ou parfois j’imagine directement de vraies paroles.
Et d’ailleurs, si l’on revient aux musiques que vous avez composées pour Françoise Hardy, est-ce que vous préférez qu’on écrive des textes sur vos musiques, ou devoir mettre un texte en musique ?
Je n’ai pas vraiment de préférence... Mettre en musique un texte qui m’aurait été envoyé, je l’ai déjà fait. J’aime bien les deux. La plupart du temps j’ai d’abord fait la musique.
Dans le premier cas le songwriter s’adapte à votre musique, dans le second c’est vous qui vous adaptez au texte...
Exactement. Françoise Hardy avait respecté, à la note près, les mélodies que je lui avais envoyées. C’était l’ancienne génération. Dans la nouvelle génération, souvent on change les notes. Chose qui se faisait pas mal dans le jazz, où partant d’une mélodie on extrapole toujours un peu... Quand Ella Fitzgerald reprend les Beatles elle change un peu la mélodie, ce qui lui semble sans doute naturel puisque elle fait du jazz. Dans la pop on est beaucoup plus respectueux de la mélodie originale. Mais les covers des 20-30 ans font pas mal de changements. Je ne suis pas toujours fan. Quand j’envoie une mélodie j’aime bien qu’on la garde telle quelle. Quand Françoise Hardy voulait changer une note elle me demandait la permission. Elle respectait beaucoup ce qui lui était envoyé, et aussi la métrique. Quand vous avez une mélodie avec un certain solfège, un certain nombre de notes, les mots doivent respecter cette mélodie.
Et comment la qualifieriez-vous finalement, Françoise Hardy ?
C’était une reine. La reine de la chanson française. On s’est chamaillés, mais comme je lui ai dit à la fin, j’étais quand même vachement content d’avoir travaillé avec elle...
>>> L’Amour fou <<<
L’Amour fou, et donc un peu l’amour vache ?
Peut-être (rires). Merci à vous.
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Photo prise par Stéphane Barsacq, qui me l’a gracieusement prêtée. Pour cela
et pour tout, merci encore à lui !