Stone : « C'est le public, plus que les médias, qui fait le succès d'une chanson »
Il y a une quinzaine de jours, je publiai sur Paroles d’Actu une interview avec la chanteuse et musicienne Marie-Paule Belle, que je salue ici. J’avais choisi de donner aussi la parole à Matthieu Moulin, directeur artistique de Marianne Mélodie, pour évoquer le parcours de celle qu’on associe immanquablement à sa chanson phare, La Parisienne. Dans la foulée, j’ai demandé à M. Moulin s’il pouvait me mettre en contact avec certains artistes de son label. Il m’a répondu très rapidement qu’une anthologie de Stone et Charden venait de sortir, et que Stone, ou Annie Gautrat pour l’état civil, pourrait être dispo pour une interview (Éric Charden est décédé en 2012). J’ai trouvé l’idée sympa, j’ai réécouté leurs titres, qui donnent de la joie et mettent de bonne humeur depuis les années 70. L’interview avec Stone, que je remercie encore pour le temps qu’elle a bien voulu m’accorder, s’est faite le 11 décembre par téléphone. Une personnalité humble, solaire, qui ne se prend pas la tête, j’ai voulu faire ressentir tout cela par ma retranscription écrite de la conversation, qui colle au plus près au ton de l’échange... Merci également à Matthieu Moulin qui a accepté une fois de plus d’écrire un petit texte inédit, un bel hommage à Stone !
Stone et Charden... Un des titres les plus connus d’eux c’est certainement celui-ci...
Tant d’autres sont à découvrir ou redécouvrir. À cet égard, la compil en question est un bel objet, ceux qui s’en saisiront ne le regretteront sans doute pas. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
la première partie : Matthieu Moulin
« Sans eux, la vie, nos vies ne seraient pas aussi belles »
Stone !
Qui ne connait pas Stone, le plus beau sourire de la chanson française de nos tendres années 60-70 !
En solo ou en duo, Annie - pour les intimes - a donné bien du bonheur à la chanson populaire, et on ne peut que l’en remercier. Ces chansons tendres, on les chante toujours, un demi-siècle plus tard, et ça, c’est fort !
Avec Éric Charden, elle a formé le duo le plus célèbre des années 70, pour l’éternité synonyme de joie de vivre, d’insouciance, de fraicheur, de légèreté et de tant d’autres choses qui rendent la décennie post 68 unique en son genre.
Elle et lui, parce qu’ils étaient naturels, spontanés, attendrissants et surtout authentiques, sont devenus les chouchous des auditeurs et des téléspectateurs dès 1971, aidés en cela par un répertoire très bien ficelé dans lequel le public s’est immédiatement identifié.
À commencer par L’avventura, n°1 du hit-parade et des ventes de disques, Feuillet d’or de la SACEM, Disque d’or pour leur millionième disque vendu en février 1972, et même au-delà de nos frontières où le 45 tours était distribué en allemand, espagnol et italien.
Bien que séparés à la ville, leurs chemins se sont toujours croisés, pour la plus grande joie du public qui ne pouvait les imaginer l’un sans l’autre. Le temps a passé, les modes, les genres, les styles aussi, mais Stone et Charden ont réussi tous leurs retours, qu’ils soient sur scène ou au disque. Têtes d’affiche de la tournée "Âge tendre" pour plusieurs saisons, chevaliers dans l’ordre de la Légion d’Honneur, ils ont donné leur dernier récital sous les mêmes applaudissements que ceux qu’ils recevaient quarante ans plus tôt. Avec la même ferveur, la même affection, la même admiration de la part des milliers de fidèles présents dès le premier rendez-vous.
Cet héritage musical remarquable mérite tous les honneurs.
Sans eux, la vie, nos vies ne seraient pas aussi belles.
Parce qu’il n’existait aucun coffret CD réunissant l’intégralité des titres (faces A / faces B) enregistrés par le duo entre 1971 et 1978, et pareillement parce que la discographie solo d’Eric Charden méritait, elle aussi, d’être réhabilitée et remise à l’honneur, Marianne Mélodie vient de publier une anthologie 4CD de 80 titres. Un évènement dans l’histoire du disque et de la réédition à marquer d’une pierre blanche. Pour que jamais ne s’arrête "L’avventura" Stone et Charden.
Matthieu Moulin, directeur artistique du label Marianne Mélodie
le 13 décembre 2023
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Stone : « C’est le public, plus que les médias,
qui fait le succès d’une chanson »
Stone & Charden et Éric Charden : Anthologie des 45 Tours 1971-82
Stone, l’interview
Stone bonjour. Je suis ravi de vous avoir en interview à l’occasion de la sortie récente, chez Marianne Mélodie, de cette compilation CD des meilleurs moments de Stone et Charden, et d’Éric Charden solo (1971-1982). Ça a été quoi l’histoire de cet objet, avez-vous contribué au choix des titres retenus ?
Pas du tout, j’ai laissé Matthieu Moulin s’en charger du début à la fin, sans être intervenue. Il est beaucoup plus fort que moi dans ce domaine-là : moi, je serais incapable de faire ce qu’il a fait, c’est tellement vieux, compliqué... de retrouver tous les titres. Un travail énorme, et je l’admire d’avoir fait ce boulot, il y a quand même 4 CD, et ce ne sont pas des titres récents. Il a fait ça très bien : bravo !
Comment avez-vous rencontré Matthieu Moulin qui a organisé tout cela ?
Oh là là... ça fait longtemps qu’on se connaît. Je ne sais même plus... C’était certainement en rapport avec Marianne Mélodie, forcément. On a dû se croiser, on a sympathisé. On se voit souvent, d’ailleurs on se voit encore ce soir. On est bien copains. De là à vous dire quand on s’est rencontrés...
Chouette travail en tout cas vous avez raison. Quand vous regardez cette compil’, quand vous écoutez ses quatre CD, vous vous dites quoi, vous ressentez quoi ? De la joie ?
Ça me fait plaisir bien sûr. Il y a quelque chose de touchant là-dedans, parce que ça s’adresse vraiment aux fans. La plupart du temps on s’intéresse surtout aux succès des chanteurs. Là, comme Matthieu a fait un tour d’horizon très vaste, on se retrouve avec des titres pas du tout connus, donc il faut vraiment aimer l’artiste pour écouter tout ça (rires).
De la joie donc. Un peu de nostalgie aussi ?
Pas vraiment non... Moi ne je suis pas très nostalgique. Je vais toujours plutôt vers le futur (rires) ! Tout ce qui est passé c’est très bien, super, on est ravis d’avoir fait tout ça, mais voilà c’est passé, on passe à autre chose, on a tourné la page (rires).
Effectivement cette compil’ c’est une anthologie des 45T sortis entre 1971 et 1982. Est-ce que, comme beaucoup de gens, y compris des jeunes, vous préférez écouter votre musique sur platine vinyle plutôt que sur CD ou plateforme numérique ?
Pour tout vous avouer moi je n’écoute plus rien. On a tellement écouté, tellement pratiqué ça que maintenant on est très éloigné de tout ce qui est musique, et récente on n’en parle même pas. En fait, c’est affreux à dire, mais les seuls moments où on écoute de la musique c’est dans la voiture (rires). On a nos petits CD, parce qu’on a encore le lecteur dans la voiture, des choses cultes, ça va des Beatles aux Rolling Stones en passant par Goldman, Voulzy, tous les gens qu’on aime bien, et là on se régale. Mais c’est vrai qu’à la maison on en écoute peu. À part quand il y a les enfants, et là évidemment c’est plus branché sur les trucs d’enfants. Avec six petits-enfants il y a de quoi faire. Dans ce cas on passe les chansons qu’ils aiment bien eux, on fait les chorégraphies quand il y en a (rires). Mais c’est vrai que nous on n’est plus branchés musique, c’est rigolo d’ailleurs, ça a peut-être été un trop-plein. À la maison on a plus tendance à se tourner vers la télé, avec toutes les chaînes qu’il y a, plutôt qu’à écouter de la musique...
Ça se conçoit tout à fait. On ne peut s’empêcher en tout cas de noter, encore et encore, ce que ces chansons, les vôtres, renvoyaient de bonne humeur et de joie de vivre. C’était vraiment votre état d’esprit quand vous les chantiez ? L’époque a été heureuse pour vous ?
Oh oui. On n’était pas les seuls. Toute l’époque était un peu axée sur ce trait-là. On a eu tous les avantages, nous, donc on aurait tort de se plaindre. On était dans une période extrêmement tranquille, et on a eu cette chance énorme, toute cette génération du "Baby boom", qui avait tourné la page avec la guerre qu’avaient vécue nos parents. Il y avait plein d’entrain, on était ouverts à beaucoup de choses. On a bénéficié de toutes les innovations qu’il y a eu à cette époque-là. La période était joyeuse et insouciante. Avec le recul, moi je me dis que ça a été une chance folle de naître à ce moment-là.
D’ailleurs beaucoup de gens idéalisent cette époque où vous passiez à la télé, même parmi ceux qui ne l’ont pas vécue. "C’était mieux avant" ça n’a pas l’air de trop correspondre à votre philosophie ?
Pas du tout non. Ça n’était pas spécialement "mieux avant". Dans beaucoup de domaines c’est mieux maintenant, encore heureux, tout un tas de petites choses du quotidien. Prenez par exemple le dentiste (rires). Avant, aller chez le dentiste était une horreur. Maintenant, tranquille, ça s’est bien arrangé... Un détail mais voilà, c’est des choses de tous les jours, auxquelles tout le monde est confronté à un moment donné. C’est le cas par rapport à beaucoup de choses. Tenez, le TGV. Hier on a chanté à La Rochelle, on est revenus en trois heures, c’est génial. Avant on n’avait pas le choix, c’était la voiture, et la voiture à l’époque, sans ceinture, avec tous les morts sur la route... On a perdu beaucoup d’amis dans des accidents de la route. Maintenant, il y en a encore hélas, mais beaucoup moins. Donc voilà, il faut reconnaître que beaucoup de choses se sont améliorées...
C’est bien de tenir aussi ce discours-là...
Oui. Je vois avec le recul que cette époque qu’on a vécue était heureuse mais aussi qu’en 50 ans on a fait beaucoup de progrès. Tant mieux (rires) !
On voit régulièrement les images de ces émissions, celles des Carpentier notamment, où les uns et les autres vous amusiez lors de sketchs, de duos improbables. Il y avait une vraie camaraderie entre artistes, et avez-vous tissé de vraies amitiés avec certains de ceux-là ?
Oh, ça dépend avec lesquels. Mais c’est partout pareil. Dans les entreprises, au bureau, il y a du feeling avec certains, des atomes crochus, et avec d’autres pas du tout, c’est normal, c’est humain... Dans ce genre d’émission, on a pu copiner avec certains, pour la plupart c’est resté des rencontres passagères. Les vrais amis, bien sûr on peut se les faire là, mais souvent ils ne sont pas dans le métier.
Bien sûr. Quel regard portez-vous sur le métier aujourd’hui ? Est-ce que vous n’avez pas l’impression que les chanteurs de maintenant se prennent trop au sérieux, qu’ils contrôlent trop leur image ? C’était moins important à votre époque ou bien ça l’était quand même ?
Je serais bien incapable de parler de ça, c’est un domaine que j’ignore totalement. Comme je vous le disais par rapport aux chansons, maintenant je suis totalement détachée par rapport à toutes ces choses. D’ailleurs je suis toujours sidérée quand je vois des plateaux avec des artistes de music-hall, souvent je découvre des gens dont je n’ai jamais entendu parler. Mais je ne suis pas la seule : autour de moi les gens de mon âge sont dans la même situation (rires). Donc je serais bien en peine de porter un jugement sur ces gens-là, je ne les connais pas, ça ne m’intéresse pas vraiment. Certains me plaisent bien quand même, des gens comme Vianney parmi les plus tout jeunes, mais il y a toute une génération que je ne connais vraiment pas du tout...
Je vais justement vous parler de quelqu’un qui est un peu plus dans votre génération. Vous avez évoqué Claude François en des termes peu chaleureux lors d’interviews, on ne va pas trop revenir dessus. J’ai envie d’évoquer en revanche celui qui est sans doute la dernière très grande star restant de cette époque, Michel Sardou, qui tourne actuellement pour une "nouvelle tournée d’adieux". Que vous inspire son parcours, et avez-vous des souvenirs avec lui ?
Ah, beaucoup ! D’abord parce qu’il est le parrain de mon fils Baptiste (rires).
Ah ? Je ne savais pas.
Oui, il fut un temps où on s’est beaucoup fréquentés, au tout début des années 70. Après on s’est un peu perdus de vue, mais on s’est pas mal fréquéntés, d’abord parce qu’on allait en vacances au même endroit, à Megève où il avait un appartement très bien, nous aussi. On se voyait en vacances, on avait plus de temps comme on était en vacances. Quand on a fait le baptême de Baptiste, dont il était le parrain donc, il a baptisé sa fille en même temps. On a même été jusqu’à échanger nos maisons : avec Éric on habitait à l’époque à Rueil-Malmaison, et Michel qui était venu dîner un soir avait flashé sur notre baraque. Nous, on avait envie de déménager, de nous rapprocher de Paris. Il nous a donc proposé d’échanger son appartement de Neuilly avec notre maison. Bref on était très branchés. Moi j’adorais toute sa première période, La Maladie d’amour etc, même après mais on se côtoyait moins. On connaissait bien aussi Jacques Revaux, qui faisait des chansons, et avec qui on était très copains. Michel c’était quelqu’un d’intéressant, de passionné. Avec Éric ils avaient plein de points communs. On a passé quelques années fort sympathiques avec lui. Je n’ai que du bien à en dire, forcément.
Beaucoup plus que de Claude François je l’ai bien compris.
Ah oui, ça n’est pas comparable (rires) !
Très bien. Parmi les chansons de cette compilation, et parmi celles de votre répertoire, lesquelles sont vos petites préférées personnelles, celles qui résonnent particulièrement à vos oreilles et dans votre coeur quand vous les écoutez ?
Oh, là, je serais incapable de choisir. Ce n’est même pas la peine d’y penser (rires). D’abord, pour tout vous avouer, je les ai réécoutées comme ça, brièvement, disons que je ne m’appesantis pas là-dessus : comme on disait tout à l’heure, c’est du passé, une page qui se tourne et tant mieux. Les gens les écoutent et c’est tant mieux mais c’est du réchauffé, il n’y a rien de vraiment passionnant à reprendre tout ça...
Vous êtes humble de dire ça.
Ah non pas du tout, je suis consciente de l’affaire, c’est pas pareil. À l’époque, ça n’a heureusement pas duré trop longtemps, quand on sortait un 45T, il y avait quatre titres sur un disque ! Ensuite on est passé à deux. Il faut reconnaître, pas que pour moi mais pour tous les chanteurs, qu’on en faisait une qui avait un peu de chance d’être un succès, éventuellement une deuxième, les deux autres c’était souvent du grand n’importe quoi (rires). Les faces B on essayait de faire au mieux mais souvent il n’y avait rien de transcendant, et je ne suis pas la seule à le dire : beaucoup de chanteurs qui faisaient leurs quatre titres avouaient que, disons, les autres titres n’étaient pas aussi performants que ceux soi-disant destinés à passer à la radio. Certaines chansons, ça n’était pas du grand art, ça c’est sûr (rires).
Est-ce que malgré tout de ce point de vue là vous avez parfois souffert, vous et surtout Éric Charden, de ce qu’a pu dire de vous une certaine presse qui, disons, avait et a toujours du mal à considérer les chansons légères et populaires comme quelque chose de respectable ?
Ça vraiment, on s’en foutait mais alors cooomplètement, comme de notre première chemise. Par rapport à l’expérience, si on peut parler comme ça, on s’est rendus compte très vite qu’en fait, malgré leur soi-disant poids, ils ne pesaient pas grand chose. Souvent je souriais quand j’entendais dire qu’untel avait réussi parce qu’il avait derrière lui la radio : c’est pas vrai, ça n’existe pas. Nous, dans notre métier, le gros avantage qu’on a, c’est que c’est le public qui décide. On a toujours constaté ça. Alors, tout ce qui pouvait être dit des médias, je m’en contrefichais, et je m’en contrefiche toujours.
La preuve, on a eu un gros exemple avec L’Avventura : quand c’est sorti, ça a été jeté à la poubelle, faut être honnête ! Ça a mis six mois avant de démarrer, parce que les médias avaient trouvé ça épouvantable, ils avaient mis le disque de côté, très loin. Forcément il ne passait pas. Nous on s’est dit que c’était mal barré, qu’on allait être obligés de faire autre chose parce que ça ne fonctionnerait pas. Heureusement, dans le tas des médias, certaines personnes étaient un peu plus malignes et douées que d’autres, je pense notamment à Monique Le Marcis à RTL... Pas que pour nous d’ailleurs, elle a découvert la plupart des chanteurs de l’époque. Elle avait un don, quand elle écoutait une chanson elle savait si ça allait marcher ou pas. C’est grâce à certains, mais à elle surtout, que ça a pu exister, parce qu’elle a exigé de passer cette chanson à la radio. Dès l’instant où il y a eu un peu de passages à la radio... Les médias ne font pas le succès, mais quand ils s’y mettent, ils peuvent faire d’un succès un triomphe. Mais il faut d’abord qu’il y ait l’impact du public. Un après-midi on avait fait une émission, il n’y avait pas foule, mais ça a suffi pour que quelques personnes trouvent la chanson sympa, aillent demander le titre dans différentes maisons de disque, quand le vendeur ne connaissait pas il était obligé de le commander, et petit à petit...
Le bouche-à-oreille...
Oui, et après forcément, dès que le départ avait été donné, c’était plus facile pour les radios de le diffuser.
Tant mieux si ça a décollé ! Vous chantez toujours régulièrement vos chansons avec votre fils Baptiste ?
Bien sûr ! On a fait un gala à La Rochelle samedi soir. On en a tous les week-ends, une dizaine depuis la rentrée. C’est toujours super bien, les gens sont ravis, on est vraiment en famille avec Baptiste. Ce qui me plaît c’est qu’en plus il reprend les chansons de son père. Moi j’ai fait beaucoup de galas, et j’en fais un encore vendredi prochain en solo, dans un programme type "Stars 80" où chaque chanteur fait 15-20 minutes, là on fait plutôt des medleys. Alors que quand il y a Baptiste l’avantage c’est qu’il chante les chansons de son père, Le monde est gris, le monde est bleu, L’été s’ra chaud, Pense à moi, etc... Et on fait les duos ensemble. On peut avoir un spectacle un peu plus complet, c’est agréable.
Très bien. Et justement, si quelqu’un venait vous voir et vous disait : j’ai écrit des chansons pour vous, ça vous ferait envie, d’enregistrer un nouvel album ?
Alors, figurez-vous que c’est quelque chose dont on me parle souvent. Plusieurs personnes s’imaginent, peut-être avec raison, que je pourrais chanter sur ce qu’ils ont écrit ou composé, je l’entends régulièrement. Mais je ne les encourage pas, je leur dis "non" direct : il n’est pas question ne serait-ce qu’une seconde que j’enregistre quoi que ce soit de nouveau. J’estime avoir suffisamment chanté (rires). Il faut quand même, avec mes camarades de ma génération, qu’on considère notre âge. Quand on était jeune, quelqu’un de nos âges aujourd’hui, pour nous c’étaient un vieillard. On n’aurait pas eu l’idée d’écouter quelque chose de ces gens-là... Il y a ceux de la nouvelle génération, que je ne connais pas, mais qui sans doute sont très bien. D’ailleurs je les encourage vivement à continuer parce que chaque génération apporte son lot d’artistes en tous genres. Je laisse volontiers la place à ceux-là, ils ont bien plus de choses à dire que moi. Moi j’estime que ma carrière est finie. Je suis ravie de pouvoir encore chanter ces chansons-là, c’est une chance inestimable. Pour ce qui me concerne on arrête là, voilà... (Rires)
Ça ne se discute pas...
Juste un petit aparté : à l’occasion il y a quand même des rencontres, et on enregistre des choses. J’ai fait il y a quelques années un titre avec Gilles Dreu sur son album, et aussi un autre avec Fabienne Thibeault. Donc quand, de temps en temps, des copains appellent en me demandant si je ne voudrais pas chanter une chanson avec eux, alors oui avec joie si la chanson me plaît. J’aime bien ça.
Et d’ailleurs n’avez-vous pas vous-même le goût de l’écriture ?
Non moi j’écris des livres. Une autobiographie il y a quelques années. L’an dernier un nouveau livre qui s’appelle Ma vie dans tous les sens, où je parle énormément de sujets très différents du show biz. Et récemment un autre sur les animaux : j’en ai eu beaucoup dans ma vie et je les adore. Une amie a créé un salon du livre animalier, elle m’a proposé d’y participer et j’ai donc écrit ce livre avec plein de photos de toutes les bêtes que j’ai pu côtoyer dans ma vie. Et ça m’a bien fait plaisir. Écrire m’a toujours plu. Je n’écris pas de paroles de chansons, je m’y suis essayée, ça n’était pas top, mais les livres oui.
Éric Charden en trois qualificatifs ?
Alors, qu’est-ce que je pourrais dire... Déjà profondément artiste dans l’âme. Beaucoup plus que moi. Artiste dans l’âme ça évoque la créativité, mais aussi des choses moins sympathiques : Éric étant quand même torturé, toujours dans l’idée de faire mieux, etc... Il était un peu compliqué dans sa vie. Je pourrais dire aussi quelqu’un de joyeux, parce qu’il prenait les choses bien dans la vie. Je dirais enfin original, parce qu’il avait plein d’idées. Même trop, parce que ça allait vite dans le n’importe quoi. C’est arrivé, à trop vouloir changer de style, avec des choses qu’on rajoute. À un moment il était avec une tortue, après il a eu son mannequin, etc. Des espèces de délires parfois que moi je n’approuvais pas du tout mais dont il avait sans doute besoin aussi pour exister, se mettre en avant. C’était son truc. (Rires)
Si vous pouviez, là, là où il est, lui dire quelque chose, lui poser une question que peut-être vous n’auriez jamais osé lui poser, ce serait quoi ?
Ah non... Je pense qu’on a eu le gros avantage de beaucoup échanger, de beaucoup parler, même après s’être séparés. Je pense qu’on a vraiment fait le tour, notamment quand il a su qu’il était très malade. On n’avait rien de caché à se dire, tout a été réglé... Mais par rapport à votre questions je dois vous dire que moi je suis un peu médium, parce que ma mère et ma fille le sont. J’ai pas mal ce contact avec les défunts, dont Éric. Dans mes rêves je l’ai vu plusieurs fois. Donc quand vous dites "là où il est", je sais que de toute façon on se retrouvera, c’est une évidence pour moi. Lui et d’autres, mes parents, etc... Quand on va passer de l’autre côté ça va être un bonheur béat parce que là, enfin, on va retrouver nos "chers", nos amis, nos amours... Donc c’est plutôt sympa !
C’est une conviction que vous avez...
Oui, une conviction qui a été étayée par de nombreuses histoires qu’on a vécues les uns et les autres et qui prouve que la mort n’est pas une fin, loin de là ! (Rires)
Et ça vous permet d’aborder la chose de manière plus sereine...
Ah oui, totalement...
Justement : vous êtes une partisane engagée dans le combat pour le droit de mourir dans la dignité...
Oui bien sûr, avec Jean-Luc Roméro, depuis vingt ans.
Quand on vous voit, votre forme, votre joie de vivre, on se dit que vous avez du temps...
Comme on le dit souvent avec Jean-Luc on n’incite personne à vouloir mourir, bien loin de nous cette idée. Mais je crois profondément qu’il faudrait qu’une loi passe pour le permettre quand on estime que ça suffit, qu’on a assez vécu, que comme dit Jean-Luc la vie n’est "plus une vie mais une survie". C’est le cas pour beaucoup de gens âgés. C’est monstrueux je trouve de ne pas pouvoir dire : maintenant j’arrête tout. Le pire c’est que ça se sait, on est dans le même cas qu’à l’époque où l’avortement était interdit. Tout le monde le sait mais on fait comme si de rien n’était, c’est tout ce que je déteste. Le jour où ça passera tout le monde sera sur le même pied, et ceux qui préféreront partir décideront de leur fin en ayant la possibilité de le faire sans contourner la loi ou partir à l’étranger.
Bien sûr. L’analogie avec l’avortement me paraît très juste.
Oui c’est exactement pareil.
Quand ça arrivera, quand ce sera votre heure, vous aimeriez qu’on dise quoi de vous, au JT et dans la presse ?
Oh, alors pour tout vous avouer je m’en fiche complètement ! (Rires)
Je me doutais un peu de votre réponse !
Je pense justement que quand on part, on n’en a vraiment plus rien à faire, de ce qui a été notre vie terrestre. On a autre chose à vivre de plus intéressant ensuite. Je crois vraiment qu’on passe à tout autre chose. Alors, on n’a pas idée de ce qui peut se passer bien sûr, même moi, loin de là, mais je pense que ce qui a été accompli avant c’est une fois de plus une page qui se tourne...
C’est rafraîchissant de vous entendre parler comme ça. Assez inspirant je dois dire. Et quand vous regardez derrière, votre parcours artistique et de vie, vous vous dites quoi ?
Je me dis que je suis très contente. Comme a dit je ne sais plus quel auteur, "dans la vie fais ce que tu aimes et tu n’auras plus jamais l’impression de travailler", c’est ce qui s’est passé pour moi. Quand on chante comme moi, quand on part retrouver un public génial, c’est un bonheur. Je me dis que d’avoir accompli ça, d’avoir fait toute ma vie un métier qui m’a vraiment plu, c’est une chance énorme. Les gens qui font des métiers qui ne leur plaisent pas, surtout quand ça se répète pendant des années, c’est une horreur. Moi j’ai eu cette chance-là, et ça n’était pas donné au départ. Je ne savais pas trop comment aborder ma vie d’adulte. Je n’avais pas de qualités particulières. Alors il y a les rencontres, même si pour moi il n’y a pas de hasard, on est programmé pour rencontrer ou ne pas rencontrer certaines personnes. Moi j’ai eu cette chance folle de mettre les bonnes personnes sur ma route, de rencontrer celles qu’il fallait. À tous les niveaux, que ce soit sentimental, dans le métier, etc... Je m’estime très heureuse d’avoir rencontré ces gens-là, d’avoir fait ma vie auprès d’eux. Et toute la suite, les enfants, etc...
C’est une chouette réponse. Justement vous parliez à l’instant de votre "public génial". Quel message pour celles et ceux de nos lecteurs qui vous suivraient depuis vos débuts, depuis le commencement de l’aventure "Stone et Charden" en 1971 ?
D’abord leur dire merci, un grand merci ! Surtout avec le temps qui s’est écoulé, en gros 50 ans de temps... Je n’aurais jamais imaginé à l’époque pouvoir discuter encore de ça maintenant. Quand j’avais 20 ans, j’ai même dit à un journaliste, une bêtise une fois de plus : à 40 ans j’arrêterai de chanter. Pour moi à 40 ans ils étaient des vieillards ! Dans les années 60-70, il y avait ce côté où on rejettait les vieux. On était très entre nous, "c’est nous les meilleurs, les plus beaux, les plus forts", c’était un peu ça le leitmotiv... Même les chanteurs plus anciens qu’on admirait on les regardait de loin - on ne peut pas ne pas admirer Brel, Brassens ou Barbara. On se la pétait un peu à l’époque ! (Rires) Donc à ces gens qui nous suivent encore maintenant oui, je veux leur dire un merci énorme, parce que c’est inattendu, inespéré, merveilleux !
C’est quoi vos envies aujourd’hui ? Qu’est-ce qui vous fait sourire, avancer, rêver ?
Tout ! Vous savez, je suis très bien entourée : j’ai mes animaux, mes six petits-enfants, alors voyez... On s’en occupe beaucoup parce que les parents travaillent, ils sont dans le show biz aussi, ils font des spectacles, donc c’est bien que pépé et mémé soient là pour garder les petits. Il y a tout un travail traditionnel, quand on peut aider on aide un maximum. C’est important, on se dit qu’au moins on sert à quelque chose. Et il y a tous les spectacles, on en a fait pas mal dernièrement. La vie de tous les jours... On a la chance d’être en famille, soudés, on fait tout ensemble : avec les enfants, les petits-enfants, on habite dans le même immeuble, c’est pratique. Tout le monde s’entend bien, on a la maison de famille à la campagne où tout le monde se rejoint. C’est une chance d’avoir pu créer ça.
Très bien... En tout cas vous avez une bonne humeur qui est communicative !
(Rires) Merci, c’est gentil.
Vous avez un dernier mot ?
Non, je crois qu’on a fait un petit peu le tour...
Entretien réalisé le 11 décembre 2023.
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