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Paroles d'Actu
17 avril 2024

Fabien Rodhain : « Parmi mes créations, Whisky San est clairement mon chouchou ! »

En cette période où l’actu est morose, pour ne pas dire anxiogène, je veux vous proposer de me suivre pour un récit, pour un voyage. Le voyage nous conduira au Japon et en Écosse. Le récit, c’est celui d’une histoire inspirante, comme le cinéma sait en inventer. Celle-ci est vraie : c’est celle de Masataka Taketsuru, un sympathique Japonais qui, bravant les traditions (qui au Japon de son temps avaient presque force de loi), se battit pour créer un whisky qui soit propre au pays du Soleil Levant (oui, ça relevait quasiment du sacrilège). 

 

Cette histoire-là nous est contée avec beaucoup de talent, de cœur aussi ai-je envie d’écrire, dans une BD, Whisky San (Grand Angle, février 2024), avec aux manettes Fabien Rodhain, Didier (Alcante) Swysen (un habitué prestigieux de Paroles dActu !) et Alicia Grande, qui ont tous trois accepté de répondre à mes questions (toutes datées du 30 mars), ce dont je les remercie. Un chouette album que je ne peux que vous recommander ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Whisky San (Grand Angle, février 2024).

 

Fabien Rodhain : « Parmi

 

mes créations, Whisky San est

 

clairement mon chouchou ! »

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

 

I. Alicia Grande, la dessinatrice

 

Alicia Grande bonjour. Parlez-nous un peu de votre parcours, de votre goût pour le dessin ? À partir de quand avez-vous su que vous feriez de la BD ?

 

Je suis un grand lectrice du manga depuis l’enfance, j’ai toujours essayé de dessiner mes personnages préférés, mais c’était à l’école de Beaux-Arts que j’ai vraiment découvert la BD, grâce à quelques professeurs qui travaillent dans les maisons d’éditions françaises.

 

Vous êtes espagnole et avez je crois grandi à Barcelone, ville ô combien connue pour son art. Est-ce qu’il y a quelque chose de votre art qui à votre avis tient de ces influences espagnoles, et comment se porte l’industrie de la BD, dans votre pays ?

 

Oui, je suis Barcelonaise ! Mes influences espagnoles ont été dessinateurs et dessinatrices que j’admire comme Jordi Lafebre, Teresa Valero, Purita Campos, Guarnido... Je pense qu’ils font extra attention à l’expressivité des personnages : quand je regarde leur BD, j’étudie les gestes du corps, les dynamismes, la transmission des émotions... Des points auxquels je suis sensible moi aussi. L’industrie de la BD en Espagne n’est pas florissante comme en France ou en Belgique, c’est un peu un mystère, par contre il y a de très grands professionnels.

 

Le Japon, à la base, c’est un pays, une culture qui vous intriguent ?

 

Je trouve la culture japonaise fascinante. La lecture de mangas a beaucoup contribué à sa découverte, mais ayant pu, l’an dernier, visiter le pays, j’ai réalisé à quel point c’était un autre univers. J’y ai connu de nombreux chocs culturels très intéressants.

 

Qu’est-ce qui vous a intéressée, touchée dans l’aventure Whisky San ?

 

Le destin de Masa résonnait en moi comme dessinatrice, et je pense que son histoire est similaire à celle de beaucoup de créateurs et créatrices qui doivent faire face à un entourage qui est contre leur décision, ou qui ne veut pas regarder leur métier sérieusement. Persévérer dans un monde artistique implique un travail marathonien, plein de moments d’abnégations, de victoires et d’échecs.

 

Comment s’est passé ce projet, et la collaboration avec Fabien Rodhain et Alcante ? Comment avez-vous travaillé ? En étudiant en amont pas mal de photos d’époque j’imagine ?

 

C’était Fabien qui m’a contacté, grâce à Laurent Galandon, scénariste avec qui j’ai travaillé dans le dyptique Retour de flammes. J’ai travaillé très confortablement, ils avaient de la documentation, mais pendant la réalisation du storyboard, j’ai cherché beaucoup de documentation sur le Japon et l’Écosse, et aussi tout ce que le scénario me demandait : vêtements, gestes spécifiques (comme servir le saké par exemple), etc... j’ai aussi lu des épisodes historiques pour comprendre l’ambiance dans les rues, etc... J’ai pris mon temps, pour la documentation ! Mais c’est une chose que j’adore !

 

Avez-vous joui d’une vraie liberté pour vos dessins, ou bien vos deux coauteurs ont-ils exprimé de manière précise ce qu’ils voulaient ?

 

Vraiment, Fabien et Alcante, m’ont donné pleine liberté pour m’exprimer dans la narration et dans le dessin, j’ai pu parler avec eux des planches tout en respectant toujours le scénario et ce qu’ils voulaient expliquer.

 

Est-ce que vous avez dessiné cette histoire d’une manière particulière, notamment du fait que l’histoire se passe, justement, en partie au Japon, en partie en Écosse ?

 

Fabien et Didier voulaient exprimer les paysages des deux pays, donc j’ai fait attention au dessin, pour des planches qui respireraient plus en profitant des beaux paysages du Japon et de l’Écosse.

 

Dessiner, c’est quelque chose qui vous fait du bien ?

 

Oui, pour moi dessiner est un vrai moyen d’expression, je peux rester des heures devant une planche en oubliant le monde extérieur !

 

Quels sont vos projets, et surtout vos envies pour la suite, Alicia Grande ?

 

Mon prochain projet est avec Fabien aussi, et ça se passe dans la Drôme ! Vraiment mon envie, c’est de continuer à dessiner des BD, et de raconter de belles et humaines histoires, comme le parcours de Masa.

 

(Réponses datées du 2 avril 2024.)

 

Masataka Taketsuru et son épouse Rita.

 

II. Alcante, le scénariste

 

Alcante bonjour. J’ai lu que cette aventure Whisky San était intervenue pour toi pendant, disons, un coup de mou. Ça t’arrive fréquemment, ces besoins de te remettre en question, de prendre un nouvel élan ?

 

Il faut préciser le contexte, qui était très particulier.

Fabien Rodhain est à l’origine de cet album. On travaillait déjà ensemble sur Les Damnés de l’Or brun, ça se passait très bien et il a donc eu la bonne idée de me proposer de collaborer à nouveau sur ce projet.

Mais le moment où il m’a contacté était doublement particulier car on était alors en avril 2020, c’est-à-dire en plein premier confinement Covid. À l’époque, les librairies étaient fermées, comme tout le reste, et l’épidémie était en plein essor. L’incertitude était totale, il y avait quand même une ambiance de fin du monde, et il était donc difficile de se projeter !

De plus, j’avais déjà pas mal de projets sur le feu, et j’avais un peu envie de ralentir le rythme après avoir travaillé comme un fou sur La Bombe pendant les années précédentes. Pour toutes ces raisons, j’ai d’abord dit non à Fabien quand il est venu avec cette proposition de nouvelle collaboration, avant même de lire le projet en question. Puis j’ai lu le projet, et voilà, l’histoire m’a tellement plu, que je me suis quand même lancé  dans cette nouvelle aventure. 😊

Sinon, de manière générale, oui, de temps en temps, j’éprouve le besoin d’un peu me ressourcer, de lire beaucoup, de regarder de nouveaux films ou de nouvelles séries, de découvrir de nouvelles choses de manière générale pour un peu me récréer une sorte de réservoir dans lequel j’irai chercher de nouvelles idées.

 

Après La BombeWhisky San donc, raconte l’épopée de l’invention du, ou plutôt des deux premiers whiskies japonais. Ce Japon qui décidément te suit, presque te colle à la peau ! C’est un pays, une culture qui t’intriguent depuis longtemps ? Qu’est-ce que tu ressens de particulier quand tu penses à ce pays, pour t’y être rendu plusieurs fois ?

 

Au-delà du Japon, j’aime vraiment bien l’Asie en fait. J’ai eu la chance d’y voyager plusieurs fois (trois fois au Japon, mais aussi en Chine, en Thaïlande, en Inde, en Indonésie et en Birmanie) et à chaque fois j’adore tout : la culture, les paysages, le climat, l’architecture, la nourriture.

Je ne sais pas pourquoi, mais l’Asie m’a toujours attiré, depuis que je suis petit. J’ai sans doute été asiatique dans une vie antérieure. 😊

 

Whisky San, c’est aussi, j’ai envie de dire avant tout une histoire humaine, touchante, inspirante, celle de  Masataka Taketsuru, jeune homme né à Hiroshima (!) qui, pour aller au bout d’un rêve fou (créer un whisky au pays du saké) s’est installé bien loin de chez lui après avoir dû avancer face aux vents contraires portés par le poids des traditions, familiale, culturelle. Du pain bénit pour un auteur ?

 

Oui, il y a tout dans cette histoire ! Le simple fait d’imaginer un Japonais qui voyage en Écosse en 1918, ça a déjà attisé mon imagination ! Mais en plus de ça, il y a une rivalité, plein d’obstacles à surmonter, des paysages magnifiques, une belle histoire d’amour, de l’Histoire avec un grand H, et un happy end, vraiment il y a tout ce qu’il faut ! Pourtant, je ne m’intéresse absolument pas au whisky, et je n’y connais vraiment rien. Mais par contre, je m’y connais en histoires, et celle de Masataka Takesturu est vraiment une très, très bonne histoire. 😊

 

Qu’est-ce qui résonne en toi dans le parcours de Masataka Taketsuru ?

 

Il a eu un rêve, très original, voir insensé pour son pays et son époque. Il s’y est accroché malgré tous les obstacles, à commencer par le poids des traditions et sa propre famille qui s’opposait à son projet. Il a osé sortir de sa zone de confort, c’est le moins qu’on puisse dire  ! Il est allé à la rencontre d’une autre culture, l’a épousée (littéralement  !) et y a apporté sa propre expérience pour en faire quelque chose de magnifique. Il a fait preuve d’une résilience incroyable. Franchement, on ne peut qu’être admiratif de ce parcours !

 

Fabien Rodhain, ton coauteur, tu le connais bien tu l’as rappelé, notamment pour votre travail en commun sur Les Damnés de l’or brun. Comment ça s’est passé, cette collaboration entre deux scénaristes, notamment sur la définition du rôle de l’un et de l’autre ?

 

Fabien est un gars super, il est très enthousiaste, on s’entend vraiment très bien et c’est un plaisir de travailler avec lui. Je trouve que cette collaboration sur Whisky San a vraiment été parfaite. On a vraiment tout écrit à deux, dans le sens où chacun faisait relire ses scènes à l’autre, puis on en discutait parfois longuement, on se faisait des propositions alternatives etc. Globalement, Fabien trace les grandes lignes et puis moi j’aime bien peaufiner en partant de ce qu’il propose. C’est lui aussi qui s’est chargé des parties plus techniques sur la fabrication du whisky car d’une part je n’y connais rien et d’autre part, après La Bombe, je voulais un peu moins m’investir dans la compréhension de mécanismes complexes.

 

Différents visuels préparés pour la couverture.

 

Au dessin, une jeune artiste espagnole, Alicia Grande. Une belle rencontre ? Ça a été quoi, le calendrier, les grandes étapes de la création de l’album ?

 

En fait, je n’ai encore jamais rencontré Alicia pour de vrai  ! Nous n’avons eu des contacts que par e-mail ! Mais oui, Alicia a tout d’une « Grande ». 😊 Elle a vraiment un dessin très agréable, je trouve qu’elle est très forte dans les expressions des personnages, on comprend bien leurs émotions, et ça convenait tout à fait à l’histoire. En plus son dessin a un petit côté manga qui correspond parfaitement pour cette histoire « japonaise »  ! Elle a été vraiment très à l’écoute, n’a jamais rechigné à la tâche quand il fallait refaire un storyboard ou quoi que ce soit, et elle a amené aussi de belles idées, notamment sur les doubles planches qui sont très chouettes !

Je voudrais aussi mentionner la coloriste, Tanja Wenisch, qui a fait elle aussi de l’excellent boulot, amenant vraiment sa touche personnelle  ! Vraiment, on a formé une très chouette équipe !

 

Au compteur désormais, pas mal d’interviews ensemble pour de la BD, de La Bombe jusqu’à Whisky San en passant par Les Piliers de la Terre... et beaucoup de projets en cours ! À quoi ressemble ta vie quand tu ne penses ni BD ni écriture ?

 

Alors quand je ne travaille pas sur mes scénarios, je donne des cours de math (4H par semaine en première secondaire), je lis (des BD, des romans, des articles, etc…), je regarde des films ou des séries, je fais du sport (surtout du padel pour l’instant), je passe du temps avec ma famille…  

 

As-tu envie d’écrire d’autres histoires qu’on pourrait qualifier de biographiques, comme ce Whisky San ? Des personnages dont tu aurais envie, secrètement ou non d’ailleurs, de brosser le portrait ?

 

Oui, certainement, j’aime beaucoup les récits historiques ou tirés de faits réels. Je suis très fan de la série The Crown (sur la reine Elizabeth), j’ai beaucoup aimé Le cercle des neiges (sur l’accident de l’avion paraguayen dans les Andes) ou encore Insubmersible (sur cette femme de 60 ans qui tente de relier Cuba à la Floride à la nage !), toutes des histoires vraies passionnantes.

 

C’est trop tôt pour en parler, mais oui j’irai certainement vers ce genre d’histoires à l’avenir, et d’ailleurs mon prochain album qui sort début juin est également basé sur une histoire vraie, celle du pongiste (joueur de ping pong/ tennis de table) américain qui en 1971 fut à la base du rapprochement entre la Chine et les USA, mettant fin à plus de 20 ans de crise diplomatique entre ces deux pays. Vous vous souvenez de Forrest Gump qui joue au ping pong en Chine ? Eh bien mon album racontera la véritable histoire derrière ce match (il s’agit de La diplomatie du ping pong, à paraître dans la collection Coup de tête, chez Delcourt, avec Alain Mounier au scénario, on aura certainement l’occasion d’en reparler)...

 

Avec le recul désormais, quel premier bilan tires-tu de la diffusion en langues étrangères de La Bombe, notamment aux États-Unis ? Notamment au Japon pour ceux qui y ont eu accès ? Il y a eu un accélérateur Oppenheimer ?

 

En fait, on a très peu d’info, malheureusement, sur la manière dont notre album La Bombe s’est réellement vendu dans les différents pays (15 versions étrangères pour l’instant). On a quand même eu le prix de la meilleure BD « étrangère » en Corée et au Portugal. De ce que je vois, je pense que l’album s’est bien comporté aussi en Italie, en Allemagne, et en Espagne. Je n’ai pas vraiment de retours sur les ventes aux USA et au Japon.

Sinon, oui, il y a clairement eu un effet Oppenheimer cet été, les ventes sont remontées au moment de la sortie du film.

 

Tes projets, tes rêves pour la suite ? Que peut-on te souhaiter ?

 

D’abord j’aimerais que Whisky San, ainsi que mes prochains albums (La diplomatie du ping pong en juin, GI Gay en septembre et le tome 2 des Piliers de la Terre en octobre) marchent bien. Ce sont franchement des bons albums auxquels je suis attaché. J’aimerais bien aussi que des producteurs se penchent sur les trois premiers, qui pourraient franchement faire de bons films.

 

Alcante 2023

(Réponses datées du 31 mars 2024.)

 

III. Fabien Rodhain, scénariste et initiateur du projet

 

Fabien Rodhain bonjour. Parlez-nous un peu de vous, de votre parcours ?

 

C’est un peu un lieu commun, mais j’ai l’impression d’avoir eu plusieurs vies, de ma naissance à Metz à mon installation dans la Biovallée... De mon apprentissage de l’informatique à 16 ans à celui de l’art du scénario à presque 50, en passant par l’Armée de Terre (comme sous-officier) pendant 5 ans, ou encore la direction d’un service dans une grande coopérative agricole du sud-est de la France !

 

Qu’auriez-vous envie qu’on découvre de vous, les travaux dont vous êtes le plus fier, pour mieux vous connaître ?

 

Ce dont je suis peut-être le plus fier, c’est d’avoir suivi mes rêves d’écriture (romans et pièces de théâtre, puis BD), alors que ma vie professionnelle ne s’était pas du tout lancée sur ces rails !

En termes de scénario, je suis heureux de m’être lancé seul et d’être allé au bout de ma première saga, Les seigneurs de la Terre (6 tomes), même si je lui vois aujourd’hui pas mal de défauts ! J’aime aussi beaucoup Les damnés de l’or brun (en cours), même si mon « chouchou » est clairement Whisky San !

 

Diriez-vous que vous êtes un écrivain engagé, et que quelque part, dans chacun de vos écrits, dans chacune de vos œuvres, ces engagements se retrouvent ?

 

Absolument, même si c’est moins flagrant dans Whisky San car il n’y est pas question de mes combats habituels (écologiques et/ou sociétaux).

 

Whisky San, c’est l’histoire d’un rêve un peu fou, surtout une belle histoire humaine, touchante, inspirante, un petit gars qui avance face aux contraintes et au poids des traditions. Quand vous avez commencé à vous documenter sur cette histoire, le coup de cœur a été immédiat ?

 

Oui, et même avant : au cours de ma toute première dégustation de whisky japonais, j’ai entendu parler de quelques éléments de l’histoire de Masatake, et les images défilaient devant mes yeux ! Je devais en faire une BD, c’était une évidence...

 

C’est quoi votre histoire, ou en tout cas l’imaginaire que vous associez au Japon ?
 

Pas grand chose, à vrai dire ! Pêle-mêle, les films Le dernier samouraï, Soleil levant ou encore Kill Bill - que je vénère ! ;-) -, les BD de Taniguchi...

Je me représente un pays plein de contrastes, entre modernité extrême et respect de la tradition... Et depuis que je suis enfant, je suis frappé par ce qui me semble être une caractéristique de ce peuple japonais : lorsqu’ils s’intéressent à quelque chose, d’abord ils le copient avant de l’améliorer puis d’exceller... Je l’ai observé avec les automobiles : enfant, avec mon frère nous nous moquions des Toyota mais aujourd’hui, qui est le premier constructeur mondial ? Il me semble que c’est aussi ce qui s’est passé avec l’électronique, l’informatique ou encore... le whisky. Je suis assez fasciné par leur sens de la qualité, de l’honneur, de la résilience... Mais également touché par le mal-être que cela contribue à créer auprès d’une part non négligeable de leur population !

 

Racontez-nous un peu la manière dont les contacts ont été pris, et dont le travail s’est fait, avec Alcante, que vous connaissez bien, et avec Alicia Grande, que vous connaissiez moins ?

 

Toutes les étoiles se sont alignées autour de la création de cette BD : une fluidité hors-normes a régné entre nous 5 (Didier et moi bien sûr, mais également Alicia, Tanja Wenisch - la coloriste - mais aussi l’éditeur, qu’il ne faudrait pas oublier !)

J’ai d’abord contacté Didier, qui a initialement refusé car il était totalement débordé. Je l’ai alors un peu « piégé » en lui demandant « seulement » son avis sur ma note d’intention. Et le charme a opéré, d’autant plus qu’il est fan du Japon et que Masataka était natif d’Hiroshima, que connaît Didier !

Nous avons mis plusieurs mois à trouver notre dessinatrice, et avons effectué beaucoup d’essais. Mais lorsque nous avons reçu les planches de test d’Alicia, cela a mis tout le monde d’accord ! Avec Didier, nous nous sommes partagé toutes les phases (scénario puis découpage) puis nous avons fonctionné classiquement avec Alicia (découpage, story-board puis encrage). Ce que je trouve extrêmement agréable avec elle, c’est qu’elle comprend très bien nos intentions en matière de sentiments, de réactions etc., et qu’elle est capable de les traduire à sa manière. Ce fut réellement précieux pour la tonalité dont nous rêvions ! Par ailleurs, elle est d’une grande souplesse.

 

Est-ce que la BD, c’est décidément un art qui, de plus en plus, gagne à être connu, et reconnu ?

 

Cela nous ferait du bien, en tout cas ! ;-) Une bonne chose serait que les jeunes publics (ados et jeunes adultes) s’y intéressent davantage. Car la vague des mangas a un peu tout balayé, en particulier en France, et j’espère que nous allons assister à un rééquilibrage car le niveau de la qualité de la BD dite franco-belge le mérite bien, selon moi. Il y a de la place pour tout le monde bien sûr, mais je suis un peu triste quand j’entends de jeunes adultes dire qu’ils n’ont jamais lu de BD !

 

Est-ce que la BD, c’est un véhicule pertinent pour alerter, faire prendre conscience aux lecteurs ?

 

Je le crois, car la BD réunit l’image et le son (que le lecteur a dans la tête). Et puis bien sûr, c’est un média qui permet en premier lieu la fiction, qui porte en elle-même une force incroyable : celle des personnages ! C’est à eux et à leur histoire que s’accrochent les lecteurs et c’est ainsi qu’on peut leur faire passer quelques « graines de conscience » ou « d’interrogations »... La difficulté étant alors de ne basculer ni vers un didactisme excessif, ni vers le prosélytisme. Un risque omniprésent pour moi, dès lors que je suis dans mes combats écologiques et/ou sociétaux ! Il faut alors que je « calme la bête » en moi, qui voudrait en faire trop...

 

Vos projets et surtout, vos envies pour la suite ?

 

Toujours avec Alicia, nous sommes en train de créer un roman graphique sur l’histoire de la Biovallée (vallée de la Drôme), région dont je suis « néo-natif » (je sais, c’est un oxymore... mais c’est tellement vrai !)
Et je projette, entre autre, d’écrire une histoire mêlée de SF (proche) et de politique - dans le bon sens du terme (« gestion de la cité »). Je suis très inspiré par la pensée de Damasio (lui-même inspiré par le philosophe Yves Citton), qui consiste à « pré-scénariser des combats désirables » (plutôt que de « décrire des avenirs désirables »). Dit autrement, je suis à la recherche d’une forme d’équilibre entre récit utopique et dystopique, plutôt que de les opposer comme on le fait trop souvent à mon goût.

 

Un dernier mot ?
 

Il est trop tard pour être pessimistes ! ;-)

 

(Réponses datées du 15 avril 2024.)

 

Fabien Rodhain et Didier Swysen en pleine... réunion préparatoire. ;-)

 

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10 avril 2024

Jean-Dominique Brierre : « Alain ​​​​​​​Souchon s'est longtemps vu comme étant 'absent au monde' »

Après Françoise Hardy mi-janvier, c’est un autre artiste emblématique, Alain Souchon, qu’on célébrera dans un mois et demi, à l’occasion de ses 80 ans. Demain 11 avril sort justement une bio fort intéressante qui lui a été consacrée par Jean-Dominique BrierreAlain Souchon, « La vie, cest du théâtre et des souvenirs » (L’Archipel). L’auteur, qui a déjà brossé le portrait de Johnny, de Ferrat, de Bob Dylan ou encore de Leonard Cohen, s’appuie ici sur un matériel précieux, unique : de longs entretiens qui lui ont été accordés sur la durée par Souchon himself. L’occasion de rendre hommage à un de nos auteurs et chanteurs les plus attachants, de ceux qui, l’air de rien, nous racontent le monde avec une implacable lucidité. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

>>> Foule sentimentale <<<

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (ITW : 10/04).

Jean-Dominique Brierre : « Alain

 

Souchon s’est longtemps vu comme

 

étant "absent au monde"... »

 

Alain Souchon, « La vie, cest du théâtre et des souvenirs »

(L’Archipel, avril 2024)

 

Jean-Dominique Brierre bonjour. (...) Dans votre livre sur Alain Souchon, vous racontez que c’est lui qui vous a contacté au départ : il avait lu votre bio de Fabrice Luchini, elle lui avait plu, il avait eu envie de vous le dire, et peut-être de faire quelque chose avec vous. Le début d’une relation particulière, qui va un peu au-delà de la « simple » interview ?

 

Ce n’est pas une simple interview puisque, pendant une année entière, nous nous sommes vus presque chaque semaine, à chaque fois deux heures. Au fil des semaines, une vraie relation s’est forgée. Je dirais une complicité.

 

Cette relation de confiance qui s’est établie, vous êtes-vous pris à espérer qu’elle devienne de l’amitié ? Ça vous est déjà arrivé avec d’autres « sujets d’étude » ?

 

Se pose le problème de la célébrité. La célébrité a tendance à fausser les relations. C’est pourquoi il serait imprudent de parler d’amitié.

 

>>> J’étais pas là <<<

 

Dans quelle mesure diriez-vous que son enfance, un peu instable parce que ballottée entre deux pères, deux familles pour deux cultures différentes, a contribué à forger en lui son sentiment d’être désaxé - ou mieux, « misfit » - par rapport aux autres et à la société ?

 

C’est ce qu’il explique à longueur de pages dans mon livre. Il dit même que s’il n’avait pas eu cette enfance tourmentée il n’aurait peut-être pas été chanteur. Il n’a jamais eu le sentiment d’être « un désaxé », plutôt d’être absent au monde.

 

Alain Souchon s’est cherché assez longtemps, avant même de déceler en lui une fibre artistique empreinte de sa sensibilité, et surtout d’oser la présenter à d’autres. Il aurait fort bien pu n’être jamais artiste, mais travailler de ses mains, dans la nature et avec plaisir ?

 

Oui, avant d’être chanteur, pour gagner sa vie, il a exercé différents métiers manuel : peintre en bâtiment, menuisier. Ce côté matériel lui servira par la suite à trouver des métaphores dans certaines chansons : L’amour à la machine, Caterpillar, Les filles électriques.

 

>>> L’amour à la machine <<<

 

La rencontre avec Laurent Voulzy, autre être timide, constitue le point de départ de ce qui restera probablement comme la plus belle et fertile « bromance » artistique de la chanson française. On présente souvent un peu rapidement Souchon comme l’auteur et Voulzy comme le compositeur, mais vous expliquez bien que c’est plus subtil que ça. Qu’est-ce l’un apporte à l’autre dans le fond ?

 

Quand ils font une chanson ensemble, il y a un échange constant entre Souchon et Voulzy. Par exemple pour des raisons de rythme de la phrase, Laurent peut demander à Alain de changer un mot. Celui-ci s’exécute.

 

Vous illustrez ce point à plusieurs reprises : souvent il a tendance à laisser le bénéfice du doute aux gens, à voir eux ce qu’il y a de bon, et ça lui a parfois été reproché. Misanthrope, on ne peut pas dire qu’il le soit ?

 

C’est Voulzy qui a tendance « à voir le bon chez les gens ». Souchon n’est pas vraiment misanthrope, je dirais plutôt lucide, pour ne pas dire désespéré.

 

>>> Allô, maman, bobo <<<

 

Point également bien documenté dans votre ouvrage, son agacement parfois face à une vision un peu biaisée qu’on peut avoir de lui. Par exemple, qu’on le voie trop uniformément comme un petit être fragile, sur la base d’une vision caricaturale de Allô, maman, bobo, alors que lui n’hésite pas à parler de sa virilité, de son goût pour les activités physiques. Est-ce qu’il a du mal avec l’image qu’il peut, comme toute vedette, renvoyer ?

 

Il a longtemps été agacé par l’image « d’homme fragile ». Il trouvait cela réducteur. Avec le temps il a compris qu’il était difficile de contrôler l’image qu’on renvoie. Ce n’est plus un problème pour lui.

 

Sa vision du monde, telle qu’il l’exprime dans ses chansons, est-elle à votre avis pessimiste, ou carrément désespérée ?

 

Plutôt sans illusions.

 

Françoise son épouse, ça aura été un pilier essentiel pour lui, y compris dans sa quête d’une confiance en soi ?

 

Elle l’a toujours encouragé, conseillé. Elle est sa première « auditrice » quand il fait une nouvelle chanson.

 

J’ai eu le privilège, fin mars, d’interviewer Serge Lama. Parmi les artistes qu’il admire, il a cité spontanément Cabrel et Souchon, qu’il admire, reconnaissant à ce dernier d’avoir su et pu créer un univers bien à lui. Vous diriez cela, que Souchon a créé un univers qui ne ressemble à celui d’aucun autre ?

 

Chaque chanteur a un univers spécifique. Celui de Souchon mêle mélancolie et élégance.

 

Il a été acteur un temps avant de revenir à la chanson. L’exercice lui a moins plu ?

 

Pour lui le cinéma cela a été surtout des rencontres importantes, avec des actrices notamment : Isabelle Adjani, Catherine Deneuve, Jane Birkin. Mais il ne s’est jamais vraiment senti comédien. Il avait l’impression de tricher, c’est pour cela qu’il a arrêté.

 

C’est un poète Souchon ? Qu’est-ce qui au fond caractérise son art, sa place dans la chanson française ?

 

Lui même ne se considère pas comme un poète. C’est plutôt un « écrivain de chansons », un « songwriter », comme disent les anglo-saxons.

 

>>> Dix-huit ans que je t’ai à l’œil <<<

 

Quelles sont à votre avis les chansons dans lesquelles il se dévoile le plus, lui qui est si pudique ?

 

Dix-huit ans que je t’ai à l’œil, qui fait référence son père mort quand il avait quatorze ans. Ou encore J’étais pas là, sur cette absence au monde dont je parlais.

 

Qu’est-ce qui anime cet homme-là à votre avis ?

 

Exister grâce à ses chansons.

 

Alain Souchon aura 80 ans le 27 mai prochain. Ce serait quoi, le cadeau idéal pour lui ?

 

Pouvoir retourner quarante ans en arrière.

 

Trois qualificatifs pour brosser au mieux le portrait d’Alain Souchon, tel que vous pensez l’avoir compris ?

 

Nostalgique, élégant, taquin.

 

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8 avril 2024

Frédéric Quinonero : « Il y aura beaucoup de larmes aux adieux de Sylvie Vartan... »

Lors de mon interview du mois dernier avec Jacques Rouveyrollis, « magicien » des lumières pour nombre des plus grands, a rendu hommage à celles et ceux qui ont croisé sa route - route qui d’ailleurs se prolonge pour le plaisir de tous. Parmi eux, une artiste, une femme qu’il appelle invariablement son « porte-bonheur », Sylvie Vartan - il l’accompagnera d’ailleurs pour sa tournée d’adieux qui débutera cet automne.

 

C’est justement d’elle dont il sera question aujourd’hui, puisque le biographe Frédéric Quinonero, fidèle de Paroles d’Actu, vient de consacrer à Sylvie Vartan une bio complète et touchante, empreinte de sa part d’une tendresse, d’une nostalgie qui renvoient à sa propre jeunesse, lorsqu’elle fut, aux côtés de Johnny, de Sheila et de Françoise, une des idoles qui l’ont fait rêver et qui l’ont aidé à grandir. Merci à lui pour cet échange. Les adieux de Sylvie Vartan, Michel Delpech les évoquait il y a longtemps, on y est presque, et c’est pour beaucoup un peu une page qui se tourne... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU. Q. : 17/03 ; R. : 04/04.

Frédéric Quinonero : « Il y aura

 

beaucoup de larmes aux adieux

 

de Sylvie Vartan... »

 

Sylvie Vartan, les chemins de sa vie (Mareuil Éditions, février 2024)

 

Frédéric Quinonero bonjour. Sylvie Vartan fait partie de ces figures qui depuis toujours accompagnent et rythment ta vie. Ça a été quoi ton histoire avec elle ? Quelle place l’enfant que tu étais lui a-t-il accordée aux côtés des Johnny, Sheila, Françoise ?

 

Sylvie Vartan a eu tout de suite une place privilégiée du fait qu’elle était la femme de mon idole. Mais comme elle n’était pas que cela, bien sûr, elle a accompagné toute ma vie… J’ai d’abord connu Johnny, puis j’ai vu Sylvie à la télé, elle chantait Loup et Annabel. C’était son époque pop-rock, avec ses musiciens Micky Jones et Tommy Brown. J’ai adoré son style. Je trouvais que Johnny et elle formaient un couple idéal. Je continue à penser qu’ils sont indissociables… Sheila a marqué mon enfance, mais j’étais assez frustré de ne pas la voir « en vrai », c’est-à-dire sur scène. Elle y est venue, mais trop tard selon moi… J’ai été ébloui devant Sylvie, en 1973, avec Johnny dans les arènes d’Alès. Puis, à l’adolescence, la mélancolie de Françoise m’a happé. Comme elle j’avais une vision absolue de l’amour, avec une propension pour les amours de dépendance ou faux amours, et j’ai beaucoup pleuré en écoutant en boucle ses chansons les plus désespérées (rires).

 

Ce qui frappe, quand on découvre Sylvie Vartan via ton livre, c’est sa personnalité, une force de caractère peu commune. Pour l’expliquer, faut-il avant tout chercher dans ses chemins d’enfance, l’exil de sa famille face au communisme sauce Staline, la conscience aussi d’inégalités de fait ?

 

L’épreuve de l’exil forge la maturité. Très jeune, Sylvie a compris sans le formuler, ni l’analyser comment fonctionne le monde. Elle a vu ses parents se sacrifier pour que leurs enfants ne manquent de rien, son père qui était un artiste obligé de se lever aux aurores pour aller travailler aux Halles… Elle a su très tôt qu’il lui faudrait batailler plus qu’une autre pour réussir et elle se l’était promis pour rendre à ses parents ce qu’ils avaient perdu en quittant leur pays.

 

>>> La Maritza <<<

 

Tu évoques longuement, notamment en début d’ouvrage, ses retours émouvants en Bulgarie, jusqu’à cette petite fille qu’elle a adoptée. Ses racines, sa famille, ont eu pour elle plus que pour d’autres artistes, une importance capitale, j’ai envie d’écrire « décisive », dans sa vie ?

 

Oui, car une partie de sa famille était restée là-bas, notamment son grand -père qu’elle adorait et qu’elle n’a plus jamais revu. Revenir en Bulgarie, retrouver ce pays qui l’a vu naître était un désir brûlant pendant de longues années, qui ne pouvait se réaliser qu’à partir du moment où le régime totalitaire qui avait fait fuir ses parents serait tombé. C’est arrivé en 1989, avec la chute symbolique du mur de Berlin. Plus tard, il lui était naturel d’adopter un enfant bulgare, quelqu’un qui lui ressemble.

 

Son histoire avec Johnny mériterait à elle seule de remplir plusieurs saisons d’une série télé. Ils se sont aimés à la folie, admirés, quittés, remis ensemble, et en tout cas toujours gardé l’un pour l'autre, jusqu’à la mort d’Hallyday, respect et tendresse. Peut-on dire qu’il y avait réellement incompatibilité entre eux s’agissant d’un projet de vie en commun, elle très mature, stable, lui « trop » en quête de tout cela ?

 

Ce fut un amour passionnel, un amour de jeunesse qui a duré bon an mal an deux décennies. Leur couple est devenu mythique, car symbole d’une époque faste et glorieuse. Ensemble ils ont connu les turbulences de cette génération éprise de rythme et de liberté. Mais ils n’ont pas évolué de la même façon : Johnny n’aspirait pas à la vie bourgeoise souhaitée par Sylvie, il est toujours resté ce rebelle déraciné qui ne se sentait vraiment à l’aise et heureux que sur scène, au contact du public. Leur fils David les a unis à jamais. La tendresse entre eux est demeurée intacte jusqu’au bout, malgré l’adversité. Ils l’exprimaient en se retrouvant quelquefois pour des duos.

 

>>> Tes tendres années <<<

 

Johnny, 50 ans, Parc des Princes. Johnny, Sylvie, Tes tendres années. J’ai revu la séquence qui donne quand même des frissons. Ça t’avait fait quoi, à toi ?

 

C’était encore plus émouvant dans le stade, au milieu de la foule. Subitement, c’est comme si tout le monde s’était arrêté de respirer. Il y a eu un étrange silence d’église dans ce lieu bondé, et seule la voix de Sylvie, tremblante elle aussi d’émotion, a résonné. Des frissons m’ont parcouru, bien sûr. Des larmes coulaient sur les visages autour de moi. Ça a été le moment le plus émouvant de ce spectacle des 50 ans de Johnny. À la sortie, quelqu’un a dit : « Johnny a chanté avec sa femme ».

 

Tony Scotti, c’est l’anti-Johnny par excellence ? L’adulte qui a su lui apporter peut-être une sécurité à laquelle elle aspirait ? Est-ce qu’à partir du moment où elle a été avec lui, artistiquement parlant son influence bénéfique s’est ressentie ?

 

Tony est moins rock’n’roll (rires). C’est un homme plus responsable, plus rassurant. Sylvie l’a rencontré lorsqu’elle avait 37 ans, à un âge où elle avait envie d’un certain confort. Même si sa vie professionnelle continuait à être trépidante, elle avait enfin trouvé une épaule solide où s’appuyer. Également artiste, ancien acteur et chanteur, Tony a été son conseiller puis le producteur de ses spectacles. Il l’a accompagnée partout à travers le monde. Il la rencontre en 1981, lorsqu’elle prépare son show au Palais des Sports. L’image qu’elle lui renvoie est glamour – elle chante Le Piège dans une gigantesque toile d’araignée –, et c’est cette Sylvie-là, inspirée dans ses shows de la chanteuse et actrice américaine Ann-Margret, qui fait succomber Tony. Grâce à lui, elle se produira à Las Vegas et Atlantic City.

 

J’ai découvert en lisant ce livre à quel point elle était admirée, y compris pour ses shows impressionnants, notamment vers la fin des années 70. Mylène Farmer avant l’heure, vraiment ?

 

Les deux artistes sont très différentes. Sylvie était moins nimbée de mystère, mais côté spectacle elle dominait la scène à cette période, avec des shows grandioses qu’elle promenait à travers le monde et qui en ont inspiré plus d’une, dont Mylène probablement. Sylvie rêvait ses spectacles et s’entourait des bonnes personnes, chorégraphes, danseurs, metteurs en scène et en lumières, pour les réaliser. Elle a toujours choisi ses chansons en fonction de la scène.

 

Comment expliques-tu qu’elle ait connu après cette folie un parcours à mon avis plus confidentiel ? Une envie justement de faire des choses plus intimistes ?

 

Toutes les chanteuses et les chanteurs issus des années 1960 ont eu un passage à vide dans les années 1980, y compris Johnny qui a connu un second souffle grâce à Berger et Goldman. Seule France Gall a eu sa période de gloire dans cette décennie-là. Pour Sylvie, cela coïncidait avec les débuts sur la scène musicale de son fils David, qu’elle a accompagnés avec Tony Scotti. Le vrai tournant a été son retour en Bulgarie, en octobre 1990. On a découvert à travers le concert émouvant à l’auditorium de Sofia et le reportage réalisé pour « Envoyé spécial » une Sylvie nouvelle, vraie, à fleur de peau. Une proximité avec les gens qu’on ne lui connaissait pas. Une intimité qu’elle va ensuite entretenir avec le public français, pour son plus grand bonheur.

 

Je ne savais pas non plus, avant de lire cette bio, combien elle a eu plaisir, tout au long de sa carrière, à reprendre des standards très variés, française, U.S., j’en passe, au cours de ses spectacles. Ses influences musicales, en résumé ?

 

Sylvie Vartan a toujours eu un goût marqué pour la comédie musicale et ne perdait jamais de vue la possibilité pour elle de concevoir un visuel autour des chansons. On se souvient de ses formidables tableaux chorégraphiés et des entrées prestigieuses sur No more tears (Enough is enough), le hit féministe de Donna Summer et Barbra Streisand, Flashdance / Danse ta vie, ou encore It’s raining men des Weather Girls. Plus loin dans le temps, mis en scène par Jojo Smith, le chorégraphe de Saturday Night Fever, le final de l’Olympia 70 sur Let the Sunshine in avait marqué les esprits et opéré un virage dans la carrière scénique de Vartan. À l’époque, elle avait plaisir à puiser aux influences blues et country américaines (Creedence Clearwater Revival) ou soul (Isaac Hayes). Lors des concerts produits par Tony Scotti à Vegas et Atlantic City, elle s’est appropriée des standards français connus outre-Atlantique et des hits américains, dont Bette Davis eyes, plus tard accompagnée d’une chorégraphie sensuelle au Palais des Congrès de Paris… Elle a aussi emprunté des classiques de la chanson française pour les faire connaître au Japon, où elle est une véritable star. Et lors de son retour en Bulgarie, elle a repris des chansons locales et livré une version émouvante de la chanson de Lennon, Imagine, qui s’imposait. Rythme et émotion, toujours.

 

>>> Imagine <<<

 

Comprends-tu, justement, sa grande popularité au Japon ?

 

C’est La plus belle pour aller danser qui fut le détonateur de cet engouement des Japonais pour Sylvie Vartan. Elle l’explique par la partition musicale de la chanson qui aurait évoqué chez eux quelque chose de familier. Les Japonais étaient également fascinés par sa chevelure blonde. Une blondeur surnaturelle. Ils ont aimé aussi la personnalité de l’artiste, son élégance, sa beauté.

 

>>> La plus belle pour aller danser <<<

 

Sa chanson signature à ton avis, La Maritza ou La plus belle pour aller danser ? C’est la même personne qui interprète ces deux titres emblématiques ?

 

C’est la même personne à deux moments importants de sa vie. Lorsque Charles Aznavour écrit le texte de La plus belle pour aller danser, la chanteuse vit ses fiançailles avec Johnny qu’elle épousera l’année suivante. Ils incarnaient tous deux la jeunesse de l’époque et elle était cette jeune fille de la chanson à qui les adolescentes rêvaient de ressembler. La Maritza sort en 1968. L’événement pour Sylvie c’est son premier Olympia en vedette. Jusqu’alors elle avait partagé l’affiche avec quelqu’un. Jean Renard décide alors de lui composer une chanson intemporelle, de celles qui s’inscrivent dans une carrière et dans le patrimoine musical. Pierre Delanoë s’inspire de son histoire, de ses origines. Et Sylvie en fait un hymne qui ne quittera plus son répertoire.

 

>>> Par amour, par pitié <<<

 

Les chansons que tu préfères d’elle, celles qui, aujourd’hui comme hier, t’ont particulièrement touché ?

 

Celles qui me viennent spontanément : La Maritza, dont on vient de parler, Par amour, par pitiéToutes les femmes ont un secret, Je croyais, La drôle de fin, Quand tu es là, Je pardonne, C’est fatal, Loup, Aimer. Cela fait un bon top 10 !

 

Celles dans lesquelles elle se dévoile le plus, bien que les mots ne soient pas d’elle ?

 

Beaucoup de chansons la racontent, finalement. Les volets bleus, La Maritza, Le bleu de la mer Noire évoquent sa Bulgarie natale et l’exil. Elle se raconte beaucoup aussi dans Il y a deux filles en moi, Sensible, Forte et fragile, Je n’aime encore que toi, Toutes les femmes ont un secret… Elle s’adresse à ses enfants et petits-enfants dans Ballade pour un sourire, Le roi David, P’tit bateau, Darina, Les yeux d’Emma. Quant au couple qu’elle formait avec Johnny, ils échangeaient beaucoup en musique : Que je t’aime pour lui, Aime moi pour elle. Et les chansons Non je ne suis plus la même, Pour lui je reviens, L’amour au diapason, Bien sûr et tant d’autres semblent raconter leurs ruptures et réconciliations. Sans parler de leurs duos J’ai un problème et surtout Te tuer d’amour, passionné et torride.

 

>>> Forte et fragile <<<

 

Quelques mots justement sur son entourage artistique, notamment ceux qui ont écrit et composé pour elle ? À cet égard aussi, elle a toujours fait preuve de discernement ?

 

La plupart des auteurs qui ont écrit pour elle la connaissent bien pour avoir partagé des moments de sa vie, de Gilles Thibaut à Jean-Loup Dabadie, en passant par Didier Barbelivien et Michel Mallory. Ce dernier a écrit des centaines de chansons pour elle et pour Johnny. Il a raconté leur histoire. Chacun, comme je l’ai dit, se renvoyait la balle.

 

Un mot sur sa collaboration avec Jacques Rouveyrollis ?

 

Je suis ravi d’apprendre qu’il éclairera son dernier spectacle. C’est un merveilleux metteur en lumières, un magicien. Je l’évoque dans mon livre à plusieurs reprises. Je me souviens en particulier d’une séquence au Palais des Sports 1981 pour la chanson Mon père. Jacques Rouveyrollis avait conçu près de Sylvie une fenêtre filtrant une lumière bleutée. Très symbolique.

 

>>> Mon père <<<

 

Cet automne, elle repartira pour une tournée d’adieux, « Je tire ma révérence », où on imagine d’ailleurs qu’elle reprendra le titre de Jean Sablon, ou peut-être celui de Véronique Sanson ? Je sais que tu compteras parmi ses spectateurs. Qu’attends-tu de ce moment ?

 

Qu’on se dise je t’aime une dernière fois. C’est une longue et belle histoire l’amour entre une chanteuse et son public. On va probablement beaucoup pleurer.

 

Si tu pouvais, les yeux dans les yeux, lui poser une question, une seule, à cette femme que tu aimes depuis toujours, quelle serait-elle ?

 

Est-ce qu’on peut dîner tous les deux ensemble, Sylvie ?

 

Trois adjectifs, trois mots pour la qualifier ?

 

Mélancolique, forte et fragile.

 

Françoise Hardy vient d’avoir 80 ans. Sylvie Vartan les aura cet été. Ça te fait quoi, de voir tes idoles de jeunesse atteindre ce cap-là ?

 

Cela me renvoie à mon propre vieillissement… La vie passe vite. C’est assez douloureux, en fait, de voir ses idoles vieillir. On les voudrait éternellement jeunes.

 

Tu as lu l’autobio de David Hallyday, plusieurs fois cité dans le livre. Qu’est-ce qu’il a reçu de sa mère, qu’est-ce qu’il a reçu de son père s’agissant des traits, de la personnalité ? C’est quelqu’un dont tu aimerais écrire toi-même la bio ?

 

Il a probablement reçu de sa mère et de sa grand-mère, sa chère Néné, des valeurs refuge, un bel équilibre et une force de caractère. De Johnny il a sûrement hérité de quelques failles qui le rendent vulnérable et touchant. Et le sens de la dignité, commun aux deux. Et bien sûr le goût viscéral de la musique.

 

Qui te transporte dans les artistes d’aujourd'hui ?

 

J’essaie autant que possible de me tenir au courant. Mais je n’ai plus le comportement de fan que j’avais à l’adolescence. Ce sont surtout les chansons qui m’interpellent. Je ne suis plus trop inconditionnel d’un artiste, même si je peux me laisser séduire par la personnalité de quelques-uns. Récemment, la voix de Zaho de Sagazan. L’énergie de Suzane. La mélancolie et le romantisme de Pomme. Le côté engagé et populaire de Gauvain Sers. Et quelques artistes plus en marge, comme Benoît Dorémus et Frédéric Bobin. Et plein d’autres. J’essaie d’aller à la découverte de chanteuses et chanteurs que les médias n’invitent pas.

 

>>> Aimer <<<

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

 

Aucun projet précis de livre, pour l’instant. Envie de prendre encore du plaisir à écrire sur la chanson, malgré les difficultés qu’on peut rencontrer. Envie de me faire plaisir. Et de pouvoir vivre à côté…

 

Un dernier mot ?

 

Le mot de passe ? C’est l’amour (dixit Sylvie) !

 

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