Alcante : « Je suis convaincu que G.I. Gay ferait un super film ! »
J’ai la chance, depuis un peu plus de trois ans, depuis mon article sur le prodigieux album La Bombe (Glénat) de compter Didier Swysen (Alcante), scénariste belge de grand talent, parmi mes interviewés les plus fidèles. Quatre mois à peine après notre échange autour La diplomatie du ping-pong (Coup de tête), voici, dévoilée, sa nouvelle création. G.I. Gay. Paru dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis, c’est une histoire magnifique, celle de deux hommes, deux militaires de l’armée U.S., qui face aux vents contraires, et contre presque tout le reste de leur monde, vont vivre une passion irrésistible en pleine Seconde Guerre mondiale.
Un récit épique et intime, porteur de son lot de tragédies mais bourré d’espoir et qui fera passer le lecteur par toutes les couleurs de la palette émotionnelle. À la mise en scène donc, Alcante. Au dessin et à la couleur, Juan Bernardo Muñoz Serrano, un superbe artiste qui a su parfaitement retranscrire toute la sensibilité d’un récit qui, je le redis ici, mériterait bien d’être porté au cinéma un jour - et je veux croire qu’il le sera. Merci à vous, Alcante et Muñoz, pour vos réponses à mes questions ! À tous, je ne peux que vous recommander de courir vous emparer de G.I. Gay ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...
/image%2F0405558%2F20240930%2Fob_569acc_g-i-gay-jaquette.jpg)
(Très belle) couverture alternative, fournie par J.B. Muñoz Serrano.
G.I. Gay (Aire libre, septembre 2024).
Alcante : « Je suis convaincu
que G.I. Gay ferait un super film ! »
EXCLU PAROLES D’ACTU
p. 1 : Juan Bernardo Muñoz Serrano, le dessinateur
Juan Bernardo Muñoz Serrano bonjour. Qu’est-ce qui dans votre parcours, dans votre vie, vous a donné envie de dessiner, et surtout d’en faire votre métier ?
Eh bien, la vérité est que je ne sais pas très bien. Je me souviens que ce qui m’a le plus attiré dans la bande dessinée, c’était la revue Spirou, qui a été publiée en Espagne pendant quelques années, et avec laquelle j’ai commencé à copier des dessins de Spirou et de Zorglub. Je sais que cela ressemble à de la propagande, mais je suis ravi d’avoir fini par publier dans la maison d’édition que j’ai lu quand j’étais enfant.
Comment s’est passée la rencontre, puis la collaboration avec Alcante ? Vous le connaissiez déjà j’imagine ? Tout a été harmonieux dans les échanges de points de vue ?
Je ne le connaissais pas du tout. C’est une connaissance de nous deux, Xavier Besse, qui lui a fait découvrir mon travail, je crois. Et puis un autre ami, Munuera, m’a appelé pour rencontrer Didier à Angoulême : nous avons eu rendez-vous, il m’a présenté son projet et je suis monté sur le bateau. Et en ce qui concerne, travailler avec lui, je crois sincèrement que cela n’aurait pas pu être plus facile ni plus agréable. Les commentaires-suggestions-corrections n’étaient pas nombreux et ils étaient toujours précis.
L’histoire de ce qui allait devenir G.I. Gay vous a plu, touché, on le sent aisément à la sensibilité qui émane de vos dessins. Qu’est-ce qui a été agréable, ou au contraire plus compliqué, à représenter par le dessin ? Les scènes d’amour par exemple, le dosage entre sensualité et sobriété ?
Je ne pense pas être une personne très romantique, même si j’aime les films d’amour, mais je pense que j’ai la capacité de donner de l’expressivité aux visages des personnages, donc ce n’était pas particulièrement difficile pour moi d’obtenir ce ton de "sensibilité" que vous voyez dans notre album. Une des suggestions que vous évoquiez dans la question précédente m’a été faite par Didier justement à propos d’une scène de sexe entre Alan et Merle, et je pense que c’est la scène dont on a fait le plus de versions différentes, mais au final elle a parfaitement fonctionné, avec le travail des deux.
À quels moments le dessin a-t-il été dicté par un souhait déterminé d’Alcante, et à quels moments avez-vous été totalement libre ? Pour les traits des personnages notamment ?
Didier avait en tête deux acteurs pour les personnages d’Alan et Merle : Andrew Garfield et Heath Ledger. Je pense que je l’ai eu avec Merle-Heath, pas tellement avec Alan-Andrew… Et j’oserais dire que c’est la seule fois où Didier m’a demandé quelque chose d’aussi clairement pour marquer le dessin. Tout le reste s’est très bien passé et j’ai le sentiment que Didier a beaucoup fait confiance à mon jugement. Mais tu devrais lui demander !
/image%2F0405558%2F20240930%2Fob_21e61e_extrait-g-i-gay.jpg)
Extrait du travail préparatoire de G.I. Gay, envoyé par J.B. Muñoz Serrano.
Est-ce que vous pensez que la BD peut contribuer à faire changer des mentalités ?
Je le pense, ou du moins de regarder ce qui nous entoure avec des yeux différents, par rapport au thème de notre bande dessinée. Je ne connaissais pas les paramètres utilisés par l’armée américaine pour sélectionner les recrues. Le simple fait de savoir à quel point le système peut être cruel change déjà un peu votre façon de voir.
Cet album tel quel ferait un grand film. Vous y avez pensé en le réalisant ? Vous l’espérez ?
Non, honnêtement, je n’y ai jamais pensé. J’aimerais que cela arrive ! Mais une fois imprimé et lu avec le livre entre les mains, j’ai eu l’impression qu’il était très "cinématographique".
De quoi êtes-vous particulièrement fier parmi les œuvres auxquelles vous avez participé jusqu’à présent ? Qu’aimeriez-vous nous recommander de lire ?
Je suis très fier de ma BD Déviances, petites nouvelles à thème érotico-pornographique, d’autant parce que le scénario était aussi le mien. Et avec le scénario d’un autre, je suis très contente du résultat de Scum, la tragédie Solanas, de Théa Rojzman, qui a eu la malchance d’être publié pendant la pandémie... Et bien sûr, je suis très fier de notre G.I. Gay, mais c’est plus qu’évident !
Votre conseil pour quelqu’un qui aimerait faire de la BD son métier ?
Je suis déjà plus âgé et la seule chose que je regrette, c’est de ne pas avoir commencé plus tôt à me consacrer à ce qui est aujourd’hui mon métier. Le conseil serait donc que si quelqu’un veut se consacrer à travailler dans le BD, n’y réfléchissez pas à deux fois !
Vos projets et surtout vos envies pour la suite, Juan Bernardo ?
J’aimerais retravailler avec Didier, en raison de la bonne expérience que j’ai vécue. Je suis amoureux de lui ! Et mon plus grand espoir et désir serait de publier une bande dessinée basée sur une de mes idées sur laquelle nous avons travaillé avec un scénariste espagnol, Alexis Barroso. C’est la bande dessinée que je ressens le plus en moi, et elle s’intitule Somorrostro, dans les bidonvilles de Barcelone dans les années 60, je croise les doigts pour qu’elle soit publiée en France.
Un dernier mot ?
Hm, eh bien, j’apprécie beaucoup votre interview, j’espère que vous avez vraiment aimé notre BD et je remercie Laurence Van Trich, notre éditrice chez Dupuis, pour sa gentillesse !
/image%2F0405558%2F20240930%2Fob_5b45b2_juan-bernardo-munoz-serrano.jpg)
Q. : 22/09/24 ; R. : 23/09/24
p. 2 : Didier "Alcante" Swysen, le scénariste
Alcante bonjour. Les premiers retours - chaleureux - du public et de la critique sont-ils à la hauteur de votre investissement, émotionnellement et en terme de travail, sur G.I. Gay ?
Bonjour ! L’accueil critique est vraiment excellent, nous avons une très bonne presse et les avis sont vraiment très bons, ce qui nous réjouit. Au niveau des ventes, il est encore trop tôt pour le dire car l’album n’a que trois semaines d’existence, mais la mise en place a été très bonne, donc ça a l’air plutôt bien parti 😊. Heureusement car c’est un album qui compte vraiment pour moi, et sur lequel nous avons beaucoup travaillé. Non seulement le dessinateur Bernardo Muñoz et moi-même, mais également toute l’équipe chez Dupuis, à commencer par l’éditrice Laurence Van Tricht, mais également le maquettiste, le marketing, le commercial, l’attachée de presse… ça fait environ six ans qu’on a commencé à travailler sur cet album ! Donc, oui, je suis soulagé qu’il soit très bien accueilli !
Tu as raconté avoir été sensibilisé à la question des homosexuels dans l’armée U.S. dès l’élection d’Obama et sa promesse d’abroger la politique du « Don’t ask, don’t tell », en vigueur depuis les années 90 et qui, si elle représentait un progrès par rapport à la situation précédente, forçait quasiment les personnels LGBT à rester dans le placard pour rester dans l’armée. Pourquoi cette histoire t’a-t-elle particulièrement touché ?
Disons que j’ai trouvé ça assez incroyable qu’il ait fallu attendre 2011 (quasiment hier !) pour que l’armée américaine ne discrimine plus les homosexuels. Quand j’ai appris cela, ça m’a directement intéressé. Et comme d’habitude, quand quelque chose m’intéresse, je creuse et je creuse et je creuse encore 😊. En l’occurrence, j’ai appris que la loi « Don’t ask, don’t tell » avait été introduite par Bill Clinton, ce qui m’avait dans un premier temps étonné car il avait plutôt la réputation d’être un président progressiste en matière de droits civiques. Mais, et c’est là que c’est devenu intéressant, en fait cette loi (qui restait bien discriminante) était déjà un énorme progrès par rapport à ce qui se faisait avant !
Ici, il faut peut-être rappeler brièvement ce que cette fameuse loi dite « Don’t ask, don’t tell » impliquait, car tous tes lecteurs ne sont sans doute pas familiers avec ça. Comme son nom l’indique, cette loi a deux volets : « Don’t ask » et « don’t tell ».
Le premier volet, « Don’t ask », (« Ne demandez pas ») met fin aux chasses aux sorcières de l’armée : c’est-à-dire qu’elle interdit à l’armée de demander ou de chercher à connaître l’identité sexuelle de ses membres – ce qui est positif.
Mais en revanche, le second volet, « Don’t tell » (« N’en parlez pas ») impose à ces membres de garder secrète leur homosexualité, et cela restait donc une discrimination indiscutable. Cette loi gardait en quelque sorte les homosexuels « dans le placard » et sous pression, car s’ils révélaient leur identité sexuelle ou la revendiquaient, ils étaient alors exclus de l’armée ! Bien entendu, pour les personnes concernées, cette espèce de schizophrénie imposée était pour le moins difficile à vivre. Cela posait par ailleurs des problèmes de sécurité car un soldat homosexuel aurait par exemple pu faire l’objet de chantage en le menaçant de révéler son homosexualité.
Pourtant, pour discriminante qu’elle restait, cette loi était néanmoins un progrès par rapport à la situation antérieure ou l’homosexualité était absolument intolérée à l’armée ! L’armée cherchait activement à les identifier pour les exclure, et en interdire l’accès.
Clinton avait en fait promis de mettre fin à ces discriminations, mais les lobbys anti-gays voire même simplement l’opinion publique ne l’ont pas laissé faire. C’est ainsi qu’est née la loi « Don’t ask, don’t tell » qui est une sorte de compromis entre ce que Clinton souhaitait faire, et la situation précédente, qui était donc encore pire.
Quand j’ai appris qu’en temps de guerre, les USA avaient carrément cherché activement à exclure les homosexuels de leurs rangs, et instauré des tests spécifiques à l’entrée pour les empêcher d’y entrer, j’ai tout de suite senti qu’il y avait le potentiel pour une excellente histoire. Je trouvais que ça revenait vraiment à se tirer une balle dans le pied, si je puis dire, d’ainsi se priver de forces vives alors même qu’on est en guerre ! Il faut vraiment avoir une vision déformée pour ce faire. (Et je te livre un petit truc que j’aime bien faire en tant que scénariste : une des toutes premières scènes de G.I. Gay illustre symboliquement le fait que quand on n’a pas une vision claire, on en vient à tirer contre son propre camp).
Dramatiquement parlant, je trouve que parler d’homosexualité pendant la guerre, c’est vraiment un super sujet. Déjà il y a la guerre, et il y a l’amour, donc de gros enjeux directement. Et puis, il va directement aussi y avoir des notions de secret, donc de la tension. Et une espèce de schizophrénie avec cette institution, l’Armée, qui poursuit certains de ses propres membres ! Et du coup, ces membres qui veulent quand même se battre pour servir un pays qui les rejette et les condamne. D’un point de vue scénaristique, tout ça m’excitait vraiment. Et puis, évidemment, il y a aussi le fait que c’est un sujet qui, bien qu’historique, reste encore d’actualité. Comme je le disais, il a fallu attendre 2011 pour qu’officiellement les USA renoncent à leur politique discriminante à l’armée. Mais ça, c’est « officiel » . Car on est encore loin d’une acceptation totale de l’homosexualité dans nos sociétés aujourd’hui. Même, si bien entendu, dans d’autres sociétés, c’est encore bien pire puisque l’homosexualité est encore aujourd’hui considérée comme illégale dans plus de 60 pays, et carrément passible de la peine de mort dans 12 ! (voir ce lien)
Glaçant... Les injustices ça a été, depuis jeune, le grand moteur de tes indignations ? En tant qu’auteur, un grand moteur de ton inspiration ? Est-ce qu’il y a à cet égard d’autres histoires auxquelles tu penses déjà ? Même si je comprendrais que tu veuilles garder l’effet de surprise...
Je ne dirais pas que c’est un des grands moteurs de mon inspiration, mais oui, bien entendu, les injustices sont toujours révoltantes et ont déjà inspiré d’innombrables récits et continuent de le faire (je viens d’aller voir hier soir Le Comte de Monte Cristo par exemple).
En ce qui me concerne, j’étais particulièrement sensible aux injustices subies par des personnes qui étaient rejetées simplement parce qu’elles étaient différentes. À l’école primaire, une jeune fille rousse et un garçon balafré étaient souvent pris comme têtes de turcs, et ça m’a toujours attristé. Par ailleurs, des films comme Elephant Man, Mask ou même Edward aux mains d’argent m’émeuvent toujours particulièrement.
Mais ceci dit, je n’ai pas particulièrement de sujet sur le feu qui traiterait spécifiquement d’une injustice. Ou peut-être juste un, en fait, mais il est totalement embryonnaire.
Cette romance aussi périlleuse qu’inattendue entre Alan, jeune psy fiancé (et qui s’est engagé en partie pour emporter l’adoubement de son beau-père militaire) et Merle, jeune G.I. à la personnalité attachante et très affirmée, ne peut que toucher. Dans quelle mesure cette histoire est-elle basée sur une histoire réelle ? Sur plusieurs récits documentés ? Sur ton imagination ?
C’est un mélange de tout ça. J’ai lu énormément sur le sujet. Il y a un livre de référence, Coming out under fire – The History of gay men and women in World War Two qui a été écrit par un historien et activiste gay, Allan Bérubé. Ce livre m’a fourni tout le background historique (législation en vigueur durant la guerre, etc) pour mon histoire. Il cite aussi beaucoup de cas réels de gays et de lesbiennes qui ont vécu à cette époque et qui témoignent. Il y a d’autres témoignages et ressources aussi sur glbthistory.org. J’ai lu d’autres livres, comme par exemple Stars without garters – The Memoirs of two gay GIs in WWII de Carpenter & Yeatts, ou encore Gays in Uniform – The Pentagon’s secret reports, et bien sûr pas mal d’articles sur le Net, notamment suite à l’abolition de la loi « Don’t ask, don’t tell ». Le sujet est bien documenté, même dans les musées parfois, (voir ce lien) même s’il reste largement méconnu et/ou occulté. (En écrivant ceci, je me rends compte que je me spécialise un peu sur les grands faits historiques documentés mais occultés, tels « la Bombe » ou « la guerre de l’opium »). Bref, il y a eu beaucoup de travail de documentation.
Pour autant, Alan et Merle sont et restent des personnages de fiction. Mais j’ai énormément travaillé leur background, leur personnalité, leur psychologie, etc. et ils auraient pu exister. En gros, ils sont réalistes mais pas réels.
Il y a des scènes glaçantes, comme ce moment où un homme outé comme homosexuel se retrouve violé puis lynché à mort. Il y a eu dans ta doc beaucoup d’horreurs de ce genre, notamment durant la Seconde Guerre mondiale ?
Le problème de pareils cas, c’est qu’ils sont souvent étouffés, minimisés, cachés… Et donc il est difficile de se faire une idée précise du nombre de cas de viols et de meurtres qui se sont produits à l’armée. Dans d’autres cas, si un meurtre est avéré, il n’en va pas automatiquement de même pour le motif homophobe. Je ne pourrais donc pas te répondre vraiment précisément, mais c’est certain que oui, il y a eu des cas où les homosexuels ont été battus, violés, assassinés…
Cela me fait penser que peu avant d’avoir entendu parler du fait que Obama avait abrogé « Don’t ask, don’t tell », j’avais vu le film Harvey Milk dans lequel Sean Penn joue le rôle éponyme du premier homme politique américain ouvertement gay. À la fin du film, une scène m’avait particulièrement marqué, durant laquelle Harvey Milk passait par une phase de désespoir en se rappelant le nombre impressionnant de ses connaissances gays qui étaient décédées soit de mort violente soit par suicide. De même, dans le film Brokeback Mountain, on se souvient de cette scène où un des deux personnages principaux, alors enfant, est forcé par son père à regarder le cadavre d’un homme qui a été tué parce qu’il était gay. Donc oui, la violence envers les gays a été (et est toujours) malheureusement bien réelle, et dans le contexte de l’armée dans les années 40, c’était son doute là que le paroxysme a été atteint en ce qui concerne le monde occidental.
Ton récit se construit comme un film. On découvre au début Alan vieux, qui s’apprête à raconter son histoire alors que « Don’t tell, don’t ask » va être abrogé. Puis à la fin, on le laisse, mélancolique, avec ses souvenirs, mais heureux de ces moments partagés avec Merle. As-tu trouvé rapidement les grandes lignes de ton récit et sa structure narrative ? Qu’on t’emprunte l’histoire pour la porter sur grand écran ça te fait rêver ?
Tu n’es pas le premier à me dire que cette histoire ferait un film (et j’espère, un excellent film 😊). Dès que j’ai fait lire mon synopsis autour de moi, avant même de l’envoyer aux éditeurs, j’ai déjà eu cette remarque. Et notamment de Jean Van Hamme !
Honnêtement, je suis convaincu que cela ferait un super film. On est à la croisée de deux films de genre : le film de guerre, et le film d’amour. Le scénario est une structure en 3 actes classiques, avec des pivots dramatiques, une scène centrale, un climax, etc. Vraiment, ce serait parfait au cinéma, c’est sans doute mon scénario le plus adaptable au cinéma. Compte sur moi pour mettre la pression au responsable des droits audiovisuels chez Dupuis !
Parlant de cinéma, je fais une petite parenthèse pour dire que j’ai demandé à Bernardo de s’inspirer de deux acteurs pour les deux personnages principaux : Andrew Garfield pour Alan, surtout connu pour avoir joué Spiderman - mais je le trouvais trop sympa dans Hacksaw Ridge (Tu ne tueras point) -, et Heath Ledger (qui a joué le Joker dans The Dark Knight et bien sûr dans Brokeback Mountain, mais je pensais plutôt à son rôle dans Chevalier où il avait vraiment énormément de charisme et de charme).
Sinon, pour en revenir à ta question, non, ça n’a pas été simple de trouver la structure narrative. Je voulais trop mettre au début, et j’allais me retrouver avec quelque chose de trop long. Je voulais parler de l’abrogation de « Don’t ask, don’t tell », de la manière dont les gays étaient traités dans l’armée durant la guerre, de leur lutte pour leurs droits, etc, etc... mais ça restait fort documentaire et il m’a fallu plusieurs déclics pour que l’histoire se construise et tienne bien la route. Le premier déclic, ça a été de me dire que je devais me focaliser sur l’histoire d’amour et que tout le background historique devait être juste ça : un background, mais un background utile qui fasse progresser l’histoire, c’est-à-dire en l’occurrence qui procure tous les obstacles auxquels nos héros doivent faire face et qu’ils doivent surmonter pour simplement pouvoir vivre pleinement leur histoire d’amour.
Un deuxième déclic, certainement, a été mon choix de faire du personnage principal un psychiatre qui travaille pour l’armée et non un simple G.I. Ça me permettait directement de faire passer aux lecteurs toute une série d’information sur la législation en vigueur dans l’armée vis-à-vis des gays simplement durant sa formation. Ensuite, ça le mettait dans une situation très intéressante puisqu’il se retrouve au cœur du système, il doit aider ce système à fonctionner mais finalement il se retrouve lui-même « pourchassé » par ce système. C’était super motivant de trouver ça, car directement ça permettait de faire passer le personnage par plein d’étapes : (!!!! ATTENTION SPOILER !!!!) il applique le règlement sans se poser des questions, il applique le règlement en se posant des questions, il contourne le règlement discrètement, il incite la hiérarchie à se poser des questions sur ce règlement, il s’oppose ouvertement à ce règlement… mais tout ça ne suffit pas, alors il fait un coming out public !
Ensuite, un autre déclic, ça a été de me dire que je pouvais faire l’impasse sur tout ce qui s’était passé entre la guerre et l’abrogation de « Don’t ask, don’t tell » si je me dépatouillais pour que mon personnage principal vive quelque chose de tellement marquant pendant la Seconde Guerre mondiale que le lecteur comprendrait de lui-même que suite à ça il serait devenu un activiste qui se battrait pour les droits des gays jusqu’à la fin de sa vie. En quelque sorte le lecteur ferait une partie du boulot à ma place en imaginant lui-même ce qu’Alan a vécu entre la fin de la guerre et 2011, une espèce de giga ellipse narrative. Ça m’a aussi donné cette idée de double planche avec les photos qui résument quasiment 70 ans de vie ! Je trouve qu’elles fonctionnent vraiment bien, en tous cas moi elles m’émeuvent.
Et parlant d’émotion, le vrai déclic, ça a été de trouver l’idée du climax (!!! ATTENTION SPOILER !!!), quand Alan décide de se dénoncer par amour de manière sacrificielle. Là, j’étais vraiment trop content de moi, je visualisais la scène et j’en avais la chair de poule. Je l’ai fait lire à mon épouse qui a carrément pleuré d’émotion. Là, je savais que j’avais vraiment une belle histoire. Ça a été ça la clé, faire passer tout le background historique à l’arrière-plan pour mettre les émotions à l’avant-plan. Et franchement, j’espère que mon histoire fera couler beaucoup de larmes 😊.
/image%2F0405558%2F20240930%2Fob_18e829_pour-didier.jpg)
Dédicace spéciale offerte par J.B. Muñoz Serrano
à Didier "Alcante" Swysen. Merci à Alcante pour le partage !
Très émouvant tu peux en être sûr... Je ne sais pas ce que tu en penses, mais au-delà d’une certaine ressemblance physique Merle m’a rappelé ton Glenn Cowan dans La Diplomatie du ping pong. Tous deux électrons libres, libres dans leur tête. Ces personnages qui osent casser les codes, tu as une tendresse particulière pour eux ?
C’est vrai qu’ils se ressemblent un peu physiquement, même si Merle est plus costaud que Glenn Cowan, mais ils sont tous les deux ce côté électron libre, effectivement. Mais comme je l’ai dit, au niveau physique, j’ai plutôt pensé à Heath Ledger pour Merle. Et au niveau caractère, je l’ai plutôt construit comme complément à Alan. A eux deux, ils se complètent comme le Yin et le Yang. Alan est intello, timide et introverti, Merle est manuel, sûr de lui et extraverti. Ils se complètent bien.
Est-ce que tu trouves que, s’agissant de l’homophobie, prise au sens le plus large, il y a encore beaucoup à faire, et je ne parle là que de nos sociétés occidentales... Quand on écrit ce genre d’album forcément on a aussi l’envie d’apporter sa pierre à l’édifice fragile de la tolérance ?
L’homophobie est-elle toujours d’actualité dans nos sociétés ? Plutôt que de vous répondre longuement, je vais vous montrer quelques posts reçus par Dupuis quand ils mis la bande-annonce de l’album sur les réseaux sociaux :
/image%2F0405558%2F20240930%2Fob_81a7df_dupuis.jpg)
Donc, oui, il reste encore malheureusement beaucoup de choses à faire, même dans nos sociétés occidentales... :-/ Et même si mon but premier est avant tout de raconter une bonne histoire, une belle histoire d’amour en l’occurrence, tant mieux si mes albums peuvent aider à promouvoir davantage de tolérance !
L’entente a été immédiate, le travail facile avec Juan Bernardo Muñoz Serrano ? Une belle collaboration, à laquelle tu aimerais apporter une suite ?
J’ai découvert les dessins de Bernardo un peu par hasard via les réseaux sociaux, et j’ai tout de suite flashé. Laurence Van Tricht (l’éditrice) a eu exactement la même réaction que moi. On l’a donc contacté et rencontré (à Angoulème). Je lui ai pitché le projet et il a directement été emballé. Tout le reste s’est bien déroulé même si cela a pris pas mal de temps car Bernardo devait d’abord terminer le projet sur lequel il était occupé, puis faire les 122 planches de l’album, couleurs comprises. Comme il est vraiment méticuleux, il a repris pas mal de planches, dessins, couleurs… Mais oui la collaboration était très agréable, Bernardo est très gentil et c’est un vrai gentleman. Et puis, vraiment, ses planches sont très belles. Il a magnifiquement illustré cette histoire, et a vraiment donné vie à Alan et Merle. On croit en eux, on croit en leur amour, on sent qu’il se passe quelque chose entre eux. J’espère pouvoir recollaborer avec Bernardo, mais rien n’est prévu pour l’instant en ce sens car il aimerait d’abord placer un projet solo qui lui tient fort à cœur.
Si tu pouvais te projeter dans votre histoire, et à tout moment, glisser quelque chose à l’oreille d’un des gradés intolérants ? De Roosevelt ? De Merle ? D’Alan ?
À Merle et Alan, j’aurais dit « Courage, les gars, votre combat sera long et douloureux, mais il aboutira un jour ».
Aux gradés intolérants, j’aurais voulu dire « Punaise, lâchez leur les baskets !!! ».
Quant à Roosevelt, peut-être lui aurais-je plutôt suggéré d’enterrer profondément les plans de la bombe atomique et de privilégier une autre solution pour mettre fin à la guerre.
La BD pour toi, c’est un beau média pour raconter des histoires ? C’est aussi, pas systématiquement tu l’as dit mais parfois une envie de transmettre des messages ?
La BD est un fantastique médium que j’aime depuis que je suis tout petit. Lire une BD, c’est s’immerger pendant une demi-heure dans une histoire qui peut nous faire rire, nous émouvoir, nous faire réfléchir, nous passionner, nous faire peur. Tout est possible en BD. Vive la BD ! 😊
Je ne peux qu’approuver ça ! Tes projets et surtout tes envies pour la suite ?
Une vraie envie serait que G.I. Gay et La diplomatie du ping-pong fassent leur chemin chez des producteurs de cinéma, je trouve vraiment que ces albums pourraient devenir de super films !
Pour le reste, j’ai une très belle année 2024 avec pas mal de sorties, qui va tout doucement se terminer. Ce sera un peu plus calme en 2025. Là dans l’immédiat, je suis sur le tome 3 des Piliers de la Terre (le tome 2 sort dans un mois et demi). J’ai beaucoup de pistes pour des nouveaux projets, mais pas encore grand-chose de vraiment concret. Enfin, si, quand même, mais c’est un peu tôt pour en parler. Suspens, suspens... 😊
/image%2F0405558%2F20240930%2Fob_d996a5_alcante-2023.jpg)
Q. : 22/09/24 ; R. : 29/09/24
Un commentaire ? Une réaction ?
Suivez Paroles d’Actu via Facebook, Twitter et Linkedin... MERCI !