Georges Sarre : "Abolir la peine de mort ? C'était notre devoir. Simplement notre devoir."
La France, ou du moins une bonne partie de ce que l'on appelle le "peuple de gauche" a commémoré, le mois dernier, le trentième anniversaire de l'élection à la présidence de la République de François Mitterrand. C'était le 10 mai 1981. Il y a cinq ans, à l'occasion cette fois du dixième anniversaire de son décès, j'avais pris l'initiative d'interroger, par mail, un certain nombre de personnalités au sujet de cet homme. Le seul président de gauche de la Cinquième république. M. Georges Sarre, plusieurs fois ministre, député durant de nombreuses années, avait eu la gentillesse de répondre à mon questionnaire. À ce moment là, il est maire du 11e arrondissement de Paris, et Premier secrétaire du Mouvement républicain et citoyen (MRC) de Jean-Pierre Chevènement. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. DOCUMENT
ARCHIVE EXCLUSIVE DE 2006 - PAROLES D'ACTU
GEORGES SARRE
Ancien Ministre sous la présidence de François Mitterrand
Ancien Maire du 11e arrondissement de Paris
« Abolir la peine de mort ?
C'était notre devoir.
Simplement notre devoir. »
Georges Sarre raconte François Mitterrand
(Photo de G. Sarre : http://www.georges-sarre.net.
Photo de F. Mitterrand : http://www.britannica.com.)
Q : 05/01/06
R : 23/05/06
Paroles d'Actu : Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit, tout de suite, à l'évocation de François Mitterrand ?
Georges Sarre : C'est évidemment le 10 mai 1981, ce jour où, comme le dira le Président Mitterrand quelques jours plus tard dans son discours d'entrée à l'Elysée, « la majorité sociale du pays s'est identifiée à sa majorité politique ». C'est-à-dire le jour où le peuple français, plein d'espoir, a décidé de reprendre la parole. C'est ce 10 mai dont je me souviens, la liesse et le sentiment d'un devoir immense à accomplir, lorsque nous avons connu le résultat...
PdA : Quel regard portez-vous sur l'homme, sur sa vie romanesque ? Sa discrétion sur son passé, sa maladie et sa double vie ?
G.S. : Je n'ai que le regard d'un militant et d'un responsable politique sur un camarade, un leader, et un homme d'État. Je n'ai jamais été un courtisan, je n'ai jamais cherché à l'être. La vie privée de François Mitterrand, pour moi, ne concernait que lui, et concerne aujourd'hui sa famille. J'ai partagé avec François Mitterrand des aventures politiques extraordinaires. Je pense à la fondation du PS à Epinay, où, avec les postiers socialistes qui me faisaient confiance et le CERES, que j'animais avec Chevènement, Gomez, Motchane et d'autres, nous avons permis l'élection de Mitterrand comme Premier secrétaire. Je pense aussi à la campagne de 1981, qui fut exceptionnelle d'efficacité et de romantisme. Voilà, ce sont des souvenirs politiques, et je garde un regard politique. J'ai eu aussi des désaccords importants avec François Mitterrand. Je les ai exprimés alors qu'il était encore au pouvoir. J'ai même quitté le Parti socialiste avec Jean-Pierre Chevènement et beaucoup d'autres en 1993. C'est sur ce plan-là, de l'accord, de l'action, des désaccords, toujours politiques, que se sont situées nos relations.
G.S. : Comme je vous le disais, nous avons divergé très vite, après le "tournant de la rigueur" de 1983, et plus encore après la première Guerre du Golfe puis le traité de Maastricht. Je crains qu'il n'ait posé là les jalons de ce qui, après lui, allait devenir l'abandon par la France de sa souveraineté, et donc de sa capacité d'agir pour une société française et pour un monde plus justes. Mais si François Mitterrand a sans doute posé les bases de cette abdication de la volonté politique, il ne s'en est pas rendu coupable lui-même, en tous cas beaucoup moins que ses successeurs. Lui n'a rien privatisé. Lui n'a jamais remis en cause l'unité de la République. Lui a continué, partiellement, à faire entendre la voix de la France dans les relations internationales... Peut-être même n'aurait-il pas en 1983 pris le virage de la "rigueur", qui allait conduire au fil des années à substituer le mythe européïste à l'idéal socialiste, s'il s'était senti plus sûr de lui, plus fort... Mais on ne réécrit pas l'Histoire.
PdA : Les bonnes choses et les "moins bonnes" accomplies durant ses présidences ?
G.S. : Les nationalisations de 1981 furent les meilleures avancées des présidences Mitterrand, car elles auraient pu permettre à la puissance publique et donc au peuple de maîtriser le cours de l'économie, au lieu de subir les choix de l'oligarchie financière, qui se font toujours à son propre profit. On cite souvent aussi l'abolition de la peine de mort, mais je considère que cet acquis était tellement évident, tellement indispensable, tellement consubstantiel à l'humanisme élémentaire, que nous avons fait là non pas une grande avancée, mais simplement notre devoir.
PdA : Quel bilan tirez-vous, globalement, de ses années de pouvoir ?
G.S. : Comme je vous le disais, le bilan de François Mitterrand est paradoxal : il fut à la fois porteur d'un immense espoir, instigateur de grandes avancées comme les nationalisations, et, en même temps, il prit des décisions (tournant libéral, Acte unique, Traité de Maastricht, première Guerre du Golfe) qui devaient enfermer la France, pour les années suivantes, dans un carcan privant ses dirigeants et son peuple de toute indépendance et toute marge de manoeuvre, et remettant les clés de l'avenir du pays dans les mains d'une oligarchie européenne. Lui-même ne se serait-il pas sorti de ce carcan ? Personne ne le sait... mais les dirigeants français qui se sont succédés à l'Elysée ou à Matignon après 1995 ont laissé la France partir à vau-l'eau.
PdA : Qui serait le "nouveau Mitterrand" aujourd'hui ?
G.S. : Personne. Les hommes ne se ressemblent pas. Les grands hommes encore moins. Et, qui plus est, François Mitterrand avait une personnalité trop riche et trop complexe pour être copié !
PdA : Un sondage a récemment présenté François Mitterrand comme étant le président de la Ve République préféré des Français. Partagez-vous ce choix, et comment l'expliquez-vous ?
G.S. : Le président qui a le plus fait pour la France sous la Ve République est sans aucun doute, pour moi, le général de Gaulle, même si j'étais en désaccord avec lui sur nombre de sujets. Mais François Mitterrand a incarné un espoir politique puissant, à une date somme toute assez récente. Cette popularité est celle de l'homme du 10 mai 1981. Elle est méritée.
PdA : Quelles traces François Mitterrand laissera-t-il dans l'Histoire, d'après vous ?
G.S. : Je pense que la victoire de 1981, dans la foulée du Front Populaire et de la Libération, restera comme un grand moment d'incursion du peuple dans l'écriture de sa propre Histoire. C'est en soi un événement majeur qui marquera l'Histoire pour longtemps. Il y a aussi la création du PS, mais le PS saura-t-il s'inscrire dans la durée ? Il a déjà provoqué une scission, celle des mes amis du MDC, devenu MRC aujourd'hui, du fait de ses reniements. Il n'est pas sûr que la décomposition s'arrête là. J'espère qu'à moyen terme, nous reparviendrons à créer un grand parti unitaire de la gauche sur des bases républicaines et socialistes.
PdA : François Mitterrand manque-t-il à la France d'aujourd'hui ? Vous manque-t-il... ?
G.S. : Il manque à la France un vrai leader politique capable de dessiner un horizon conforme aux aspirations du peuple, et d'entraîner ainsi un vaste mouvement de reconquête démocratique, civique, sociale.
Deux questions complémentaires : le MRC, les perspectives de MM. Sarre et Chevènement pour 2007...
PdA : Quelles sont les grandes idées originales du MRC ?
G.S. : Notre mouvement est né d'une scission du Parti socialiste, avec lequel nous nous sommes trouvés en désaccord sur trois enjeux majeurs.
En 1983, nous avons dénoncé le "tournant de la rigueur", c'est-à-dire le renoncement du PS à mener une politique interventionniste et keynésienne, au profit d'une politique néo-libérale et monétariste. Nous restons partisans d'une réorientation profonde des politiques monétaires, budgétaires, commerciales, industrielles, aux niveaux européen et national.
Pour ce faire, il faudrait remettre en cause un certain nombre de traités européens ; dès 1992, contrairement à la majorité du PS, nous étions contre le Traité de Maastricht. Nous considérons que l'Europe doit prolonger des nations souveraines et se construire en fonction de projets partagés. Nous récusons l'intégration forcée de l'Europe, qui passe sous la toise les différentes nations, pour nous ramener tous au plus petit dénominateur commun : le marché !
Notre troisième désaccord a porté sur la conduite des relations internationales de la France : en 1991, nous avons refusé la première guerre du Golfe, parce qu'elle était la manifestation de l'impérialisme états-unien et qu'elle ouvrait la voie à un choc des civilisations que tout le monde redoute désormais.
En somme, nous sommes socialistes, patriotes, internationalistes, quand une partie de la gauche est devenue libérale, européiste et atlantiste. Voilà le clivage ! Un mot aussi de la laïcité, que nous défendons bec et ongles, comme l'unité de la République... quand d'autres veulent morceler la République en communautés et autres territoires autonomes.
PdA : Quelles sont vos perspectives, celles de Monsieur Chevènement pour 2007 ?
G.S. : Nous souhaitons participer en 2007 à une candidature présidentielle qui donne une suite positive au "non" massif du 29 mai 2005 contre le traité "constitutionnel" européen. Nous souhaitons dans cette perspective une candidature à vocation majoritaire pour gagner l'élection. Laurent Fabius a des arguments. Nous verrons qui est choisi par le PS. Si le candidat du PS devait tourner le dos au vote des Français le 29 mai 2005 et si personne ne devait porter un véritable projet de gauche républicaine en 2007, alors je pense que Jean-Pierre Chevènement serait candidat. Le MRC et moi-même, nous nous y préparons dès aujourd'hui. Nous sommes en ordre de marche et nous serons bientôt en ordre de bataille pour ce grand rendez-vous avec les Françaises et les Français.
>>> Le Traité de Lisbonne, copie presque conforme du texte rejeté en 2005 par les Français, a finalement été ratifié par le Parlement national, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Nous sommes en 2011, et l'hypothèse d'une nouvelle candidature de Jean-Pierre Chevènement n'est pas exclue...
Je remercie de nouveau, très sincèrement, M. Georges Sarre, ainsi que son assistant de l'époque, pour ces réponses, pour la générosité avec laquelle ma requête avait été considérée... Un commentaire ?
Quelques liens...
- Le blog de M. Georges Sarre
- Le site du MRC
- L'interview Paroles d'Actu de Georges Sarre datée du 1er mai 2007
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