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Paroles d'Actu
8 février 2016

Barthélémy Courmont : « L'arme nucléaire est l'assurance-vie du régime nord-coréen »

Barthélémy Courmont est directeur de recherche à l’IRIS et maître de conférences à l’Université catholique de Lille. Également rédacteur en chef de la revue Monde chinois, nouvelle Asie, il compte parmi les meilleurs experts sur les questions touchant notamment aux affaires stratégiques d’Asie et du Pacifique et au nucléaire militaire. Près de deux ans et demi après notre première interview, qui avait pour thème central le bombardement atomique dHiroshima (août 1945), il a accepté, dans un contexte d’intensification des tensions liées au programme nucléaire nord-coréen, de répondre une nouvelle fois à mes questions - ce dont je le remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« L’arme nucléaire est l’assurance-vie

du régime nord-coréen »

Interview de Barthélémy Courmont

Q. : 03/02 ; R. : 07/02

 

Corée du Nord

Revue militaire à Pyongyang. Photo : David Guttenfelder/AP.

 

Paroles d’Actu : Barthélémy Courmont, bonjour. Pyongyang a prétendu début janvier avoir procédé avec succès à un essai de bombe à hydrogène. Une affirmation qui a été accueillie avec scepticisme par bon nombre d’observateurs. Est-ce qu’à votre avis, pour ce qui concerne en tout cas la maîtrise de la technologie en question, la Corée du Nord est devenue - ou est en passe de devenir - une « puissance thermonucléaire »  ?

 

Barthélémy Courmont : De nombreuses interrogations entourent ce quatrième essai nord-coréen, dont la faible puissance n’indique pas que la Corée du Nord soit en mesure de maitriser la puissance de la bombe à hydrogène. Il y a donc un décalage entre l’annonce officielle de cet essai, et les doutes qui persistent sur le fait qu’il puisse être de la même nature que les trois précédents. Cependant, il ne faut pas non plus écarter la possibilité que la Corée du Nord soit en mesure, ou proche, d’effectuer des essais de bombes à hydrogène, et il faut se souvenir qu’à l’occasion des trois premiers essais, en 2006, 2009 et 2013, la communauté internationale avait déjà émis des doutes sur l’authenticité des essais. Il s’agit là d’un des éléments de la stratégie nucléaire de Pyongyang, qui consiste à semer le doute sur ses réelles capacités, et pratique ainsi une stratégie de dissuasion qui ne repose pas tant sur la réalité d’un arsenal (difficile de savoir si, au-delà des essais, la Corée du Nord est capable de constituer un arsenal nucléaire) que sur un effet d’annonce rendu possible par l’opacité du régime et les difficultés à vérifier. En ce sens, et en dépit des doutes, nous sommes dans l’obligation de croire Pyongyang sur ses capacités nucléaires, ou alors de prendre le risque de sous-estimer ses capacités.

 

PdA : Que sait-on, à l’heure où des voix s’élèvent dans la région pour exhorter Pyongyang à renoncer à un tir d’essai de fusée (qui a finalement eu lieu le 7 février, ndlr), de l’avancée des connaissances et capacités du régime en matière de balistique ?

 

B.C. : Les capacités balistiques de la Corée du Nord, que le tir d’une fusée (sans doute un missile) début février n’a fait que confirmer, sont avérées depuis plusieurs années. De nombreux tests ont été effectués, et à plusieurs reprises des missiles nord-coréens se sont abîmés dans l’océan Pacifique après avoir survolé l’archipel japonais. Cela signifie que les missiles balistiques nord-coréens sont capables de frapper n’importe quelle cible au Japon, et donc en Corée du Sud. Là encore, il y a un décalage entre ce que Pyongyang affirme, et les doutes sur ses capacités. Le régime nord-coréen prétend ainsi être en capacité de frapper des villes de la côte ouest des États-Unis, ce qui semble peu probable. Mais nous ne disposons pas d’information suffisamment fiable permettant d’écarter tout doute.

 

PdA : Peut-on affirmer avec certitude, aujourd’hui, que tel ou tel État « nucléarisé » ou acteur non-étatique a contribué de manière décisive à l’acquisition par la Corée du Nord de la technologie nucléaire militaire et de ses indispensables à-côtés ?

 

B.C. : Les capacités nucléaires de la Corée du Nord sont essentiellement le résultat de ses propres programmes, ainsi que de l’enrichissement de l’uranium sur le site de Yongbyon. Si la participation d’ingénieurs soviétiques, et peut-être chinois, n’est pas à exclure, il ne faut sous-estimer la capacité de ce pays à avoir accompli un programme indigène, sans une influence décisive d’une puissance étrangère. La technologie soviétique a évidemment été à l’origine des capacités balistiques, qui sont dérivées de missiles scud autrefois vendus ou offerts par Moscou. La Corée du Nord est cependant parvenue à faire évoluer ces missiles scud, et même à mettre au point ses propres missiles, ce qui indique un savoir-faire réel en la matière, au point que Pyongyang est devenu un acteur de la prolifération balistique, comme l’ont indiqué l’identification de plusieurs filières au début des années 2000.

 

PdA : Dispose-t-on d’éléments tangibles qui nous permettraient de constater sans ambiguïté qu’une Corée du Nord authentiquement « nucléarisée » sur le plan militaire représenterait un péril inédit par rapport aux autres puissances atomiques ? Cette question-ci est liée, au fond : le régime que dirige  Kim Jong-un est-il « rationnel » dans sa conduite des affaires internationales, dans sa gestion des risques/gains potentiels ?

 

B.C. : C’est une question essentielle, qui en appelle une autre : le dossier nucléaire nord-coréen doit-il encore être traité comme un enjeu de prolifération, ou plutôt comme un sujet de dissuasion ? Ainsi, à quoi sert l’arme nucléaire pour Pyongyang ? Il s’agit essentiellement d’une arme défensive, utilisée dans un but politique très simple mais essentiel : la survie du régime. Cette stratégie sur le fil est périlleuse, mais elle est rationnelle en ce qu’elle permet à Pyongyang de se maintenir en position de force dans les négociations avec ses voisins et les États-Unis. En ce sens, les capacités nucléaires de la Corée du Nord, réelles ou supposées, sont une garantie et une arme à un coût relativement faible, là où des capacités conventionnelles ne feraient pas le poids face à ses adversaires désignés, que ce soit la Corée du Sud, le Japon ou les États-Unis. Pour comprendre la stratégie de la Corée du Nord, il est indispensable de tenir compte de cet élément, de même qu’il semble désormais plus approprié de traiter de cette question comme d’un problème de dissuasion plus que de prolifération (ce qui ne doit pas bien sûr supposer une acceptation de la Corée du Nord comme puissance nucléaire).

 

PdA : Le Pakistan, détenteur de l’unique « bombe islamique », vous paraît-il devoir s’inscrire, de fait, au cœur des enjeux liés à la recrudescence des tensions confessionnelles au sein du monde islamique ?

 

B.C. : Franchement non. La bombe pakistanaise s’inscrit dans la rivalité avec l’Inde, et rappelons à ce titre que les deux pays ont conduit leurs essais à quelques semaines d’intervalle, au printemps 1998. On sait aujourd’hui que le Pakistan a profité d’une collaboration avec la Corée du Nord pour mettre au point sa bombe, mais aussi que la filière du Docteur Khan, le père de la bombe pakistanaise, pouvait alimenter des liens avec des réseaux islamistes. Cependant, le Pakistan n’a jamais offert ou vendu sa bombe à une autre puissance, qu’elle soit dans le monde musulman ou non, et n’a pas non plus profité de son statut de puissance nucléaire, même non reconnue par le Traité de non-prolifération (TNP), pour se positionner comme chef de file d’un courant transnational confessionnel, que ni les pays arabes ni l’Iran ne cautionneraient de toute façon. Le programme nucléaire pakistanais était, dès ses origines, inscrit dans une logique régionale, et sert une stratégie de dissuasion exclusivement tournée vers l’Inde.

 

Barthélémy Courmont

 

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