« Le secrétaire général de l'Élysée, concurrent du Premier ministre ? », par C. Armand et R. Bongibault
César Armand et Romain Bongibault, deux jeunes journalistes politiques (à visiter : le site du premier, le blog du second) viennent de publier, chez Fayard, Dans l’ombre des présidents, un ouvrage qui s’intéresse - l’initiative est heureuse car rare - au personnage méconnu mais hautement stratégique qu’est le secrétaire général de la présidence de la République ; s’il était un vice-président dans nos institutions, sans doute serait-il cet homme-là. Il est sur le papier et, souvent dans les faits, le premier des collaborateurs du Président et le patron de l’appareil élyséen. J’ai souhaité inviter MM. Armand et Bongibault à rédiger pour Paroles d’Actu un texte inédit autour de cette problématique qui se pose naturellement : « Le secrétaire général de l’Élysée, concurrent du Premier ministre ? ». Et les ai conviés au jeu de l’interview. Je les remercie d’avoir accepté ces propositions ; également pour nos échanges, fort agréables. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.
Partie I : l’article
« Le secrétaire général de l’Élysée,
concurrent du Premier ministre ? »
Le secrétaire général de la présidence de la République, de par sa situation géographique au Palais, est le premier conseiller politique du chef de l’État. La proximité du monarque présidentiel est si forte qu'il peut s’y brûler les ailes...
« La difficulté principale, c’est que c’est une difficulté de tous les instants. Il faut tout le temps anticiper et imaginer. C’est un défi sarkozyste, si j’ose dire. Nicolas Sarkozy est quelqu’un qui va beaucoup sur le terrain et qui s’exprime beaucoup. », témoigne Claude Guéant. Même si le Premier ministre est censé « déterminer et conduire la politique de la Nation », selon l’article 20 de la Constitution de la Vème République, le secrétaire général de la présidence est aux premières loges quand il s’agit de définir et de guider la ligne politique du chef de l’État et de son gouvernement.
Le chiraquien Philippe Bas confirme l’expérience de son successeur pour l’avoir expérimentée en temps de cohabitation : « Il fallait s’appuyer sur les éléments qui soient au niveau d’un président de la République et non au niveau d’un gouvernement, c’est-à-dire uniquement des éléments fondamentaux. Il faut que le conseiller s’adapte aux circonstances. »
Des circonstances parfois cocasses, quand le chef de l’État fait céder le Premier ministre de cohabitation sur le terrain psychologique : « Jacques Chirac est en train d’essayer d’arrêter de fumer. Et, une des premières fois où il y arrive, François Mitterrand, avec une certaine forme de sadisme, dit : "Apportez un cendrier pour Monsieur le Premier ministre !" - lequel ne peut se retenir de fumer. Là aussi, vous voyez le rapport de forces psychologique. », se souvient Jean-Louis Bianco, champion toutes catégories confondues des secrétaires généraux.
Le giscardien François de Combret ne dit pas autre chose : « C’est d’organiser la vie et le travail du Président. C’est un poste de majordome. C’est un poste de chambellan, j’allais dire de valet de chambre en chef. (Vous avez beau être "secrétaire", vous pouvez être "général") ». Autre acteur de l’époque, Claude Pierre-Brossolette se définit d’ailleurs comme le confesseur de ministres : « Les ministres orphelins, car détestés par Jacques Chirac [Premier ministre], je m’en occupais, j’étais un peu leur nounou. »
Edouard Balladur arrive, lui, sans le savoir, dans la dernière année du mandat présidentiel de Pompidou : « Il m’a souvent été reproché d’avoir exercé un pouvoir excessif. Si je l’ai fait, c’est parce que le Président me l’avait demandé en me disant qu’il me faisait confiance, quitte pour moi à lui parler de l’essentiel et à lui rendre un compte précis des événements. Si j’ai pu le faire, c’est en raison aussi de mes excellentes relations avec le Premier ministre Pierre Messmer, pour qui j’ai toujours eu beaucoup d’estime et de respect, sans jamais connaître avec lui ni désaccord ni rivalité. »
par César Armand et Romain Bongibault, le 18 avril 2016
Partie II : l’interview
« À l’Élysée, quand on considère le "secrétaire général",
les deux mots sont d’égale importance »
Dans l’ombre des présidents (Fayard, mars 2016)
Quelle est l’histoire de ce livre : pourquoi avez-vous eu envie de vous intéresser, au point de leur consacrer une longue enquête, aux secrétaires généraux de l’Élysée ?
César Armand : Personnellement, j’avais rédigé un mémoire sur la communication présidentielle sous la Vème République à Paris-Dauphine et, devenu journaliste politique, j’avais envie de creuser ce sujet. J’en ai parlé à Romain.
Romain Bongibault : En janvier 2014, nous nous sommes retrouvés à une table-ronde informelle sur l’intérêt général avec notamment Frédéric Salat-Baroux. Nous nous sommes dit qu’il fallait écrire sur cet homme de l’ombre dont nous ne connaissions, comme tout le monde, que la version du « type sur le perron » qui, une fois par an, cite les noms des ministres.
La composition de votre ouvrage a-t-elle été difficile ? Les intéressés ont-ils été, globalement, facilement accessible d’une part, ouverts à des confidences d’autre part ?
C.A. et R.B. : Nous avons eu énormément de chance de ce côté-là. Après avoir essuyé trois refus, la maison d’édition Fayard, à travers la personne de Sophie Kucoyanis, a accepté notre projet.
En ce qui concerne les personnes rencontrées, cela a été une partie de bluff et de bonne entente. Il a fallu jongler avec les divers secrétariats et éviter les services de communication pour prendre les rendez-vous.
En matière de confidences, comme toujours, la critique est aisée mais l’art est difficile. Certains ont joué le jeu des confessions et d’autres non. Pour cela, nous vous donnons rendez-vous dans notre ouvrage.
Une anecdote/confidence qui vous a particulièrement surpris ?
C.A. et R.B. : Nous n’avons rencontré que quatre femmes parmi les trente-sept personnes interviewées. Un constat commun en ressort : l’incroyable cruauté du machisme en matière politique ! Ce livre leur rend hommage.
Parlez-nous, l’un, l’autre, de vos parcours ? Où vous voyez (espérez)-vous dans cinq ans ?
C.A. : Journaliste politique depuis trois ans, je couvre l’actualité parlementaire et européenne. Dans cinq ans, j’espère encore être en pleine écriture de livres sur ces sujets.
R.B. : Blogueur politique, j’observe la vie politique de mon pays, mais aussi celle mondiale, depuis sept ans. Pour la boule de cristal, je laisse le soin à Madame Irma de le découvrir. Qui vivra, verra !
Secrétaire général de l’Élysée, c’est un job qui pourrait vous séduire ou, vraiment, c’est « too much » ?
R.B. : Compte tenu de la place que prennent les communicants sur les politiques, tout a l’air d’être mis en place pour que le poste de secrétaire général de l’Elysée, au sens défini par notre ouvrage, disparaisse. Si tel devient le cas en 2017, la question devient caduque.
C.A. : Non merci ! ;) Je préfère rester de l’autre côté de la barrière.
Si vous deviez qualifier cette fonction, sa place comme rouage au cœur des institutions françaises, en quelques mots ?
C.A. et R.B. : Général en chef et secrétaire administratif. À moins que ce ne soit l’inverse. Car comme le souligne très bien François de Combret, il ne faut pas oublier que dans secrétaire général, il y a "secrétaire" et "général" : « Il y en a qui pensent que c’est "général" le mot important, d’autres que c’est "secrétaire". Vous avez beau être secrétaire, vous pouvez être général. »
Pour cette question, je m’adresse à vous en tant que passionnés de politique : qui sortira du lot en 2017 ?
C.A. et R.B. : En politique, tous les scenarii sont à envisager. Le 21 avril 2002 avait placé le Front national pour la première fois au second tour d’une élection présidentielle. Une première hypothèse possible. En mai 2011, une arrestation à l’aéroport de New-York a changé la donne pour la course présidentielle française. Autant d’hypothèses qui peuvent être prises au sérieux pour l’élection de 2017. Reste aussi à savoir quelle attitude adopteront les électeurs du premier parti de France : les abstentionnistes ?
Q. : 21/04/16 ; R. : 25/04/16.
Romain Bongibault, blogueur politique (https://romainbgb.wordpress.com)
et César Armand, journaliste politique (https://culturepolitique.net).
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