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Paroles d'Actu
7 novembre 2017

Olivier Da Lage : « Mohammed ben Salman a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre... »

Le week end dernier, juste après la création d’une commission anticorruption dont Mohammed bel Salman, prince héritier d’Arabie saoudite, a pris la tête, une vague sans précédent d’arrestations de princes, ministres, anciens ministres et autres potentats saoudiens a créé une onde de choc à la tête du royaume. Qui est cet ambitieux, fils d’un roi qui ne jure plus que par lui ? Quelles conséquences sur l’alliance américaine, et la volonté affichée de modernisation d’un pays qui compte parmi les plus conservateurs ? Décryptage, avec Olivier Da Lage, journaliste à RFI qui maîtrise parfaitement les enjeux de la région. Un contributeur fidèle, qu’il en soit, ici, remercié. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 06/11/17 ; R. : 07/11/17.

Olivier Da Lage: « Mohammed ben Salman

a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre... »

Mohammed ben Salman

Le prince Mohammed ben Salman. Illustration : http://dailyarabnews.net

 

Paroles d’Actu : Opération "Nettoyage" ? Règlements de comptes ? Putsch de palais ? Amorce d’une révolution plus en profondeur ? Que penser des derniers développements en cours en Arabie saoudite ?

pourquoi cette purge ?

Olivier Da Lage : Cette purge, sans précédent dans le royaume, vise à faire le vide autour de Mohammed ben Salman afin d’écarter toute opposition sur le chemin qui doit le mener au trône.

 

PdA : Quel état des forces en présence au royaume des Saoud ? En quoi les équilibres sont-ils modifiés après les événements ?

le jour d’après

« Le moment de vérité interviendra sans doute

à l’heure de la succession... »

O.D.L. : En apparence, tous les rivaux potentiels, tous ceux qui formulaient des critiques, tous ceux qui pouvaient représenter une menace pour le pouvoir apparemment sans limite du jeune prince héritier ont été écartés sans ménagement. Parfois simplement limogés, parfois placés en résidence surveillée, voire en prison. Ce qui est frappant, c’est qu’il a réussi, avec l’appui du roi Salman, son père, à éloigner du pouvoir toutes les autres branches de la famille. Mais cela en fait autant d’ennemis qui, pour l’heure, sont réduits au silence, mais il est sans doute prématuré de considérer qu’ils ont renoncé à se manifester le moment venu, c’est-à-dire lors de la succession.

 

PdA : Que sait-on de Mohammed ben Salman, fils du roi Salman et héritier du trône ? De ce en quoi il croit, de ce qu’il pense, et de ce qu’il veut ? Est-il sur l’essentiel en phase avec son père ?

le Prince

O.D.L. : Jusqu’en janvier 2015, lorsque le prince Salman a succédé au roi Abdallah, on savait fort peu de choses de lui. On sait qu’il est né en 1985 et qu’il est donc âgé de 31 ou 32 ans, qu’il est le fils aîné de la troisième épouse du roi Salman, et qu’il est toujours resté aux côtés de ce dernier. Il n’a pas étudié à l’étranger, contrairement à ses demi-frères (dont un astronaute qui a volé sur la navette spatiale américaine dans les années 80) ; on sait aussi qu’il a rempli le rôle de chef de cabinet auprès de Salman lorsque celui-ci était gouverneur de Ryad, puis prince héritier. Cette fonction lui a permis de s’imprégner des codes de la politique saoudienne depuis son plus jeune âge et de contrôler l’accès à son père, quitte à faire attendre de puissants princes ou des ministres.

« Son père, le roi Salman, lui a fait franchir

toutes les étapes du pouvoir à une vitesse sans

précédent pour ce royaume conservateur »

Il bénéficie du soutien total de son père, qui l’a nommé ministre de la Défense à l’âge de 29 ans. C’est à ce titre qu’il a lancé en mars 2015 la guerre au Yemen, qui a fait plus de 10 000 morts et conduit ce pays, déjà l’un des plus pauvres du monde, dans une situation épouvantable avec un demi-million de malades du choléra, et sept millions de Yéménites au bord de la famine. Son père lui a fait franchir les étapes à une vitesse sans précédent dans ce royaume conservateur : outre le ministère de la Défense, il lui a confié la supervision de l’economie, puis l’a nommé vice-prince héritier, puis, en juin dernier, prince héritier après avoir contraint à la démission le tenant du titre, le prince Mohammed ben Nayef, ministre de l’Intérieur et jusqu’à récemment encore, considéré comme l’homme fort d’Arabie Saoudite. Il ne reste plus à Mohammed ben Salman (M.B.S.) qu’à succéder à son père, soit à sa mort, soit, ce qui est plus vraisemblable, lorsque celui-ci abdiquera en sa faveur.

 

PdA : Comment se porte l’alliance historique qui unit Ryad aux États-Unis ? Et comment cette relation est-elle vécue par la "rue saoudienne" ?

Ryad et Washington

O.D.L. : Sous Obama, soupçonné de lâcher ses alliés arabes au profit de l’Iran, elle avait atteint des abysses. Depuis l’élection de Donald Trump, c’est la lune de miel. C’est à Ryad que Trump a effectué son premier voyage à l’étranger en tant que président en mai dernier. Les Saoudiens lui ont réservé un accueil royal et ont passé commande auprès des États-Unis pour des centaines de milliards de dollars. Autrement dit, ils se sont acheté le soutien sans réserve du président américain qu’ils ont mis à profit aussitôt après pour tenter de régler son compte au Qatar, jusqu’à présent sans succès.

« La perspective d’un conflit ouvert au Moyen-Orient

s’est brusquement rapprochée ce week-end »

Mais Ryad et Washington partagent une même hostilité à l’encontre de l’Iran et les récents événements –qui ont reçu le soutien sans réserve de Trump – se sont accompagnés d’une rhétorique anti-iranienne extrêmement belliqueuse, suite à la démission annoncée à Ryad par le Premier ministre libanais Saad Hariri, sans aucun doute sous la pression saoudienne. La perspective d’un conflit ouvert au Moyen-Orient s’est brusquement rapprochée ce week-end.

Quant à la "rue saoudienne", il faut savoir que toute manifestation est strictement interdite dans le royaume qui, en revanche, compte un nombre record d’utilisateurs de Twitter et Facebook. Mais un tweet critique envers le gouvernement peut envoyer en prison. À ce que l’on sait, l’opinion est partagée entre une certaine admiration pour l’énergie de ce jeune prince moderniste et les craintes que suscite cette fuite en avant conduite à marché forcée.

 

PdA : L’Arabie saoudite s’est-elle réellement, et sincèrement engagée sur la voie de la "modernité" ? Quid, de l’actualité, et de l’avenir de son alliance originelle avec le wahhabisme, la lecture fondamentaliste de l’islam qu’elle a propagée partout dans le monde ?

vers la "modernité", vraiment ?

« La volonté de Mohammed ben Salman de

moderniser l’économie et la société saoudiennes

ne fait pas de doute »

O.D.L. : La volonté de M.B.S. de moderniser l’économie et la société saoudiennes ne fait pas de doute. Mais son ambitieux programme de privatisations et de suppression des subventions, conçu par des cabinets de consultants anglo-saxons sous le nom de Vision 2030, suppose des investissements massifs, notamment de l’étranger. Il n’est pas certain que l’embastillement soudain d’hommes d’affaires, dont l’emblématique Al-Walid ben Talal soit de nature à rassurer les milieux d’affaires.

Quant aux religieux traditionnels, M.B.S. a entrepris de les mettre au pas, notamment par une vague d’arrestations les visant en septembre dernier.

Mais en se mettant à dos les religieux conservateurs, toutes les branches de la famille royale, les milieux d’affaires, tout en adoptant une politique étrangère agressive qui jusqu’à présent, n’a pas été couronnée de succès, Mohammed ben Salman a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre.

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage.

 

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Commentaires
G
Faut espérer qu'il se trompe, et que le prince réussira dans son entreprise !
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