Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles d'Actu
22 mai 2018

Olivier Gracia : « Gardons-nous de juger le passé à la lumière de la morale d'aujourd'hui. »

Olivier Gracia, essayiste passionné d’histoire et de politique, a cosigné l’année dernière avec Dimitri Casali, qui a participé à plusieurs reprises à Paroles d’Actu, L’histoire se répète toujours deux fois (chez Larousse). Quatre mains et deux regards tendant à éclairer les obscures incertitudes du présent et de ses suites à l’aune de faits passés. Une lecture enrichissante, en ce qu’elle invite à considérer avec sérieux une évidence : si l’histoire ne se répète pas nécessairement, mécaniquement, on perdrait en revanche toujours à négliger d’en tirer les leçons pour comprendre et appréhender notre époque. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 16/01/18 ; R. : 14/05/18.

Olivier Gracia: « Gardons-nous de juger

le passé à la lumière de la morale d’aujourd’hui. »

L'histoire se répète toujours deux fois

L’histoire se répète toujours deux fois, Larousse, 2017

 

Olivier Gracia bonjour. (...) Comment en êtes-vous arrivés à publier, avec Dimitri Casali, cet ouvrage à quatre mains, L’histoire se répète toujours deux fois (Larousse, 2017) ? Et, dans le détail, comment vous y êtes-vous pris, pour la répartition des rôles et tâches ?

avec Dimitri Casali

J’ai rencontré Dimitri Casali lors du «  procès fictif  » de Napoléon Bonaparte organisé par la Fédération Francophone de Débat. Alors que je plaidais la défense de Napoléon avec une poignée d’avocats corses, Dimitri était membre du jury «  impérial  » aux côtés d’Emmanuel de Waresquiel. De cette première rencontre éloquente est née une véritable amitié intellectuelle et un premier ouvrage ! Nous sommes vus à plusieurs reprises depuis et avons manifesté ce souhait commun de confronter nos deux cultures afin d’écrire ce livre à mi-chemin entre la politique et l’histoire. Pour l’écrire, nous avons débattu de longues heures tout en échangeant nos différentes conclusions écrites.  

 

Tout l’objet de votre livre est de démontrer que l’histoire, bien loin de n’être que la science de ce qui a été, doit être un outil censé nous éclairer sur ce qui pourrait advenir. À notre charge alors, d’œuvrer à éviter de reproduire le mauvais, et à favoriser ce qui a marché, en tenant compte des réalités du temps présent. Mais cela suppose un regard éclairé, empreint de toutes ces expériences justement, de la part des élites qui gouvernent notre monde, mais aussi de la part des citoyens qui votent. Sincèrement, et sans langue de bois, diriez-vous que les premiers et les seconds l’ont globalement, ce regard éclairé ?

les Français, leurs gouvernants, et l’histoire

Les Français sont de véritables passionnés d’histoire, il suffit d’observer le succès des émissions d’histoire et ou même des livres spécialisés. L’histoire de France, dans sa grande complexité, est néanmoins toujours victime de nombreux débats qui trouvent leur reflet dans l’actualité où nos anciens sont jugés à l’aune des moeurs et valeurs d’aujourd’hui, sans aucune remise en contexte d’époques suffisamment différentes pour en apprécier la diversité et la singularité. L’histoire se répète toujours deux fois met surtout l’accent sur les grands bouleversement de l’histoire contemporaine avec des outils d’analyse qui permettent d’en apprécier la redondance.

 

Question liée : dans votre livre, vous fustigez nos élites, notamment politiques, qui sont aujourd’hui incapables d’« inspirer » les citoyens, du fait d’une pureté d’engagement, d’une érudition admirable, qui les feraient rayonner positivement, mais qu’ils n’ont plus tout à fait. Est-ce que ce point, qui sans doute nous différencie des temps passés, contribue à saper notre respect pour le politique, et par là même l’autorité du politique ? Et quelles sont aujourd’hui, à votre avis, les personnes qu’on respecte et qui « inspirent » ?

les politiques comme source d’inspiration ?

Alexis de Tocqueville analysait très finement la déliquescence de l’Ancien Régime et la fin de l’élitisme aristocrate en écrivant : «  Une aristocratie dans sa vigueur ne mène pas seulement les affaires ; elle dirige encore les opinions, donne le ton aux écrivains et l'autorité aux idées. Au dix-huitième siècle, la noblesse française avait entièrement perdu cette partie de son empire  ». Les mots d’Alexis de Tocqueville sont toujours d’actualité avec ce sentiment que la classe politique se contente de «  gérer les affaires  », sans vision, sans inspiration et sans références fortes au passé. L’homme politique moderne est abreuvé de fiscalité et de sociologie électorale, il n’imagine plus le monde de demain, il le régente comme une entreprise.

 

Le système politique de la Ve République tel que façonné par de Gaulle, qui octroie au Président de la République des pouvoirs et une importance déséquilibrés pour une démocratie (une tendance aggravée par le quinquennat et la concordance des scrutins présidentiel et législatif), ne nous enferme-t-il pas dans une quête permanente, et sans doute illusoire, d’homme providentiel en lieu et place d’une hypothétique prescience de l’intelligence collective (une sorte de « despotisme éclairé panaché de démocratie représentative ») ? Diriez-vous de la République version Ve qu’elle est, tout bien pesé, un point d’arrivée honorable et globalement satisfaisant eu égard aux multiples expériences de gouvernement tentées depuis la Révolution ?

la Vème République, compromis ultime ?

Emmanuel Macron a eu le courage et l’honnêteté de dire que «  la démocratie comporte une forme d’incomplétude  » et qu’il y a «  dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Cet absent est la figure du Roi  » tout en reconnaissant qu’on a essayé de réinvestir ce vide pour y «  placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste.  » En cela la Ve République cherche à réinvestir ce vide depuis la mort du Roi, en plaçant la fonction suprême un arbitre au dessus de la mêlée, d’essence quasi-royale mais avec une élection au suffrage universel afin de conférer un esprit presque providentiel à ce nouveau monarque. Les Français, du fait de leur histoire monarchique, sont exigeants et cherchent une personnalité forte. Par la formule politique d’une République mi-présidentielle, mi-parlementaire, le Général de Gaulle a élaboré un régime de synthèse à mi-chemin entre l’incarnation monarchique et la souveraineté populaire.

 

Autre point (lié ?). Depuis 1981, il y a eu neuf renouvellements de l’Assemblée nationale en France, mais la majorité sortante n’a été reconduite qu’une seule fois (la droite, en 2007). C’est beaucoup plus chaotique que dans, à peu près, toutes les démocraties normales. Est-ce là le signe d’un malaise réel, d’une inconstance, voire pourquoi pas d’une immaturité spécifique des Français vis à vis du politique et de « leurs » politiques ?

alternances et (in)stabilité

L’important nombre de transitions politiques est aussi le fruit d’un malaise idéologique où les électeurs se reconnaissaient simultanément dans les valeurs de gauche et de droite, avec une volonté constante de sanctionner l’échec d’une majorité par le vote d’une nouvelle. Le génie politique d’Emmanuel Macron est d’avoir fait converger toutes les aspirations républicaines, de gauche comme de droite au sein d’un même élan politique qui s’affranchit des ruptures idéologiques, qui selon lui, n’avaient plus lieu d’être, afin de créer un mouvement pragmatique, qui a pour mot d’ordre de mettre la France en marche vers plus de modernité, plus de croissance et plus d’optimisme. Le succès d’Emmanuel Macron est la suite assez logique d’alternances politiques, aussi incohérentes qu’infructueuses qui trouvent enfin un point de convergence. Le quinquennat d’Emmanuel Macron est en quelque sorte le dernier rempart contre une victoire possible des extrêmes.

 

(...) Les bémols de rigueur ayant été posés sur la personnalité et les inclinaisons du Président, est-ce que vous considérez qu’il incarne raisonnablement l’État, qu’il représente correctement la France et les Français ? Qu’il a su trouver, davantage peut-être que ses deux prédécesseurs, l’équilibre entre figure du monarque constitutionnel et premier gouvernant ?

le cas Macron

Contrairement à son prédécesseur François Hollande, Emmanuel Macron a un sens de l’histoire et une idée assez précise de ce doit être un Président ! Il en comprend l’essence monarchique et le prestige. En cela, Emmanuel Macron incarne raisonnablement l’État et représente assez bien les Français, qui perçoivent en lui les qualités d’un véritable chef d’État. Si le Président Macron réussit tout ce qu’il entreprend grâce à un double discours gauche-droite assez redoutable, il est fort à parier qu’il fera un second mandat.

 

Est-ce qu’on a besoin, nécessairement, d’un storytelling collectif puissant (le roman/récit national ?), sous peine d’en voir d’autres, plus segmentants et pas toujours bien intentionnés, prendre le pas chez certains esprits paumés (les embrigadés « chair à canon » qui se sentaient n’être "rien" mais à qui  Daech a vendu du rêve, par exemple) ? Si oui, n’est-ce pas (on y revient) un signe d’immaturité, en cette époque censée être éclairée ? Ou bien y a-t-il, de manière plus profonde, et diffuse, une espèce de perte de sens, de « crise de foi » que l’idéal républicain, à supposer qu’il existe toujours, ne parvient plus guère à combler ?

storytelling national

Jean-Michel Blanquer est le premier à dire qu’il faut réapprendre aux Français à aimer la France par l’enseignement d’une histoire équilibrée et non culpabilisante. L’idéal républicain d’aujourd’hui n’est plus aussi fort que celui que nous avons connu sous la IIIe République où l’enseignement rigide et minutieux des hussards noirs avaient su convaincre les citoyens d’une appartenance forte à une communauté nationale !

 

On ne va pas regretter, bien sûr, les heures sombres des mobilisations générales (1914, 1940), quand tout un pays se mobilisait comme un seul homme autour d’une cause, la défense de la patrie et de la nation. Mais on peut constater qu’aujourd’hui, l’individualisme est de plus en plus ancré : il n’est guère plus que les grands événements sportifs (finale de coupe du monde de foot), les grands drames (les attentats de 2015-16) ou les deuils nationaux (Johnny Hallyday) pour donner, un moment, cette impression de communion à l’échelle de la nation. Que recoupe aujourd’hui, dans la réalité des faits, le principe de « fraternité », fondement de notre devise ?

derrière le principe de fraternité ?

De la liberté, l’égalité et la fraternité, la liberté est de loin le principe le plus palpable, le plus réel ! C’est seulement en 1848 que le principe de fraternité est inscrit dans la constitution. Les jacobins préféraient la devise : «  liberté, égalité ou la mort  ». L’idée républicaine de fraternité est née lors de la révolution de 1848 qui avait une vocation redoutablement sociale ! Le principe de fraternité est néanmoins un principe vivant, qui a du sens pour tous les citoyens engagés dans des missions humanitaires, tant sur le sol français qu’à l’international. L’égalité est de loin le principe le plus utopique !

 

En 1789, la société d’Ancien Régime, de classes et de privilèges, laisse place, au moins sur le papier, à l’égalité civile entre tous les Hommes, devenus citoyens ; à une égalité de devoirs, de droits, et d’opportunités. L’égalité civile ne fait plus débat, mais pour le reste, au vu des inégalités inouïes de situations qui existent dans notre monde et au sein même de notre société, êtes-vous de ceux qui considèrent qu’il n’y a jamais eu autant « de boulot » qu’aujourd’hui ? Car, vous l’expliquez bien dans votre livre, l’ascenseur social (avec l’instruction publique)  fonctionnait mieux en d’autres temps…

l’égalité, vraiment ?

Si l’égalité civile est devenue une réalité, permise par les différentes grandes révolutions française, l’égalité sociale est une utopie difficilement conciliable avec l’idée d’un libéralisme économique. La IIIe République, par la force de son instruction élémentaire a permis l’émergence de grands talents issus de milieux modestes, Charles Péguy en est l’illustration la plus notable. Si l’école redouble toujours d’efforts pour permettre à chacun de s’épanouir dans la société, la mobilité sociale est aujourd’hui contrainte par une phénomène de reproduction des élites, tant dans l’administration que dans l’accès aux grandes écoles.

 

La France peut-elle encore tirer son épingle du jeu, faire entendre sa voix de manière déterminante dans un monde qui inquiète ? Vous êtes raisonnablement optimiste, vous qui vous faites on l’aura compris une « certaine idée de la France » ?

les chances de la France

Il faut être optimiste et ne pas sombrer dans une forme de déclinisme, réservée à quelques spécialistes ! La France a tous les atouts pour réussir, surtout dans un monde en constante ébullition. Si la France a perdu une grande partie de son empire économique, l’esprit français demeure et continue d’enchanter des générations entières au-delà de nos frontières naturelles. Il suffit d’observer l’indicible passion internationale pour des personnages comme Napoléon et Marie-Antoinette !

 

Où se trouvent aujourd’hui, au niveau global, les poudrières potentielles type « Sarajevo 1914 » qui pour vous, peuvent inquiéter ?

poudrières modernes

Elles sont nombreuses et constamment alimentées par les propos provocateurs et dangereux de Donald Trump, qui menace la sécurité internationale à longueur de tweet. L’Iran et la Syrie constituent des points de tensions où les conflits débordent déjà de leur contexte régional !

 

Si vous pouviez voyager à une époque de notre histoire, laquelle choisiriez-vous, et pourquoi ?

voyage ?

Excellente question ! Idéalement, la Révolution française, le Premier Empire ou même la Monarchie de Juillet ! Ce sont des périodes passionnantes de grands changements politiques et institutionnels.

 

Si vous pouviez vous entretenir avec un personnage du passé, quel serait-il ? Que lui demanderiez-vous ; que lui conseilleriez-vous, à la lumière de votre connaissance des faits à venir ?

intrusion dans l’histoire

Henri IV et Napoléon, le premier pour le prévenir de son assassinat imminent et le second pour lui révéler le désastre de la campagne de Russie. Henri IV est à mon sens le meilleur des Français et très certainement le plus grand Roi. Il avait un sens de l’État, une amitié toute particulière pour la paix et un contact chaleureux avec les Français. Il demeure toujours aujourd’hui le bon Roi Henri. Pour Napoléon, j’aime son audace et j’admire sa détermination ! Il est l’exemple le plus illustre de son fameux mot : «  Impossible n’est pas français !  »

 

Pour quels moments de faiblesse de notre histoire avez-vous, instinctivement, de l’indulgence ? Un regard de sévérité ? Et quels sont les épisodes de hardiesse qui vous inspirent la plus grande admiration ?

regards sur l’histoire

C’est toujours difficile d’avoir de l’indulgence pour les fautes ou les erreurs de nos ancêtres, surtout quand elles sont meurtrières et dévastatrices. Le rôle de l’historien n’est pas de juger l’histoire mais de l’interpréter à la lumière des pièces à conviction de l’époque. L’erreur est précisément d’aujourd’hui réinterpréter les comportements ou les décisions des hommes du passé à la lumière de la morale d’aujourd’hui. On a hélas l’impression que les hommes du passé sont jugés par un tribunal redoutablement contemporain qui jugent leurs crimes à la lumière de la législation d’aujourd’hui. C’est un exercice dangereux qui nous condamne à faire table rase du passé. L’exemple le plus frappant est celui de Colbert, qui est aujourd’hui traité de criminel ! Pour les épisodes les plus sombres, j’ai évidemment un regard critique sur la Terreur et les massacres à répétition, où des Français assassinent d’autres Français ! Pour les épisodes de hardiesse, je songe immédiatement au courage des résistants français qui ont pris les armes au mépris de leur vie pour défier et terrasser l’idéologie la plus effroyable de l’histoire de l’humanité.

 

Un mot, pour les gens, et notamment les jeunes, qui n’auraient pas encore pleinement conscience de l’intérêt (et aussi du côté agréable !) que peut avoir la connaissance des faits historique ?

pourquoi l’histoire ?

L’histoire permet d’en apprendre beaucoup sur soi et notamment pour savoir où l’on va. De façon assez paradoxal, connaître son passé, c’est mesurer son avenir ! Dans une période avec une forte perte de repères, l’histoire permet aussi d’apprendre le sens du courage, de la détermination et saisir le goût de la liberté !

 

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite, Olivier Gracia ? Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

projets et envies

J’aimerais me lancer dans d’autres projets littéraires dans l’idée de confronter toujours l’actualité et l’histoire afin d’en démontrer l’utilité ! L’histoire est un science vivante et mouvante.

 

Dimitri Casali et Olivier Gracia

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

Publicité
Publicité
Commentaires
O
L'exemple de Colbert et de la morale par les yeux d'aujourd'hui sont encore d'actualité malheureusement.
Répondre
Paroles d'Actu
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 078 716
Publicité