« Me manquer », par Frédéric Quinonero (Hommage à Johnny Hallyday, 75è anniversaire)
Combien de personnes, même parmi celles qui ne retiennent pas forcément les dates, même parmi les "pas spécialement fan" du chanteur, se seraient surprises à répondre, parce qu’elles l’avaient dans un coin de la tête, comme ça, que Johnny était né un 15 juin ? Pas mal sans doute, et rien d’anormal à cela : devenu Johnny Hallyday, Jean-Philippe Smet est entré dans les cœurs et dans les familles, et il n’a jamais quitté ni les uns ni les autres. Il était devenu familier. Mais voilà, cette année, pour la première fois, en cette date du 15 juin, il n’y aura plus ni cris de célébration ni pensées de bons vœux. À la place, une absence, pesante. Un silence... Jean-Philippe Smet est mort, lui qui a tant joué avec la vie. Mort. Il aurait eu 75 ans, âge canonique pour un rocker qui a eu sa vie. Si Johnny restera, pour longtemps encore, Jean-Philippe lui, est parti. Avant.
J’ai proposé à l’ami Frédéric Quinonero, talentueux biographe (Johnny Immortel, l’Archipel, décembre 2017) et surtout grand fan de Johnny, de réfléchir à un hommage, totalement libre dans la forme, à son idole. Il a accepté de se prêter à l’exercice, ce qui comme on pourra l’imaginer n’a pas dû être neutre émotionnellement parlant. Je le remercie chaleureusement pour ce texte, bouleversant, déchirant même, et clairement empreint de l’amour qu’il lui porte. J’ai choisi de le publier dès ce jour de réception de l’article, soit trois jours avant ce 15 juin au cours duquel nous aurons, nombreux, des pensées pour Johnny. En musique, forcément. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
Johnny Immortel, de Frédéric Quinonero (l’Archipel, décembre 2017).
« Me manquer »
Par Frédéric Quinonero, le 12 juin 2018.
J’ai rêvé la nuit dernière, Johnny, que t’étais pas parti.
Un instant étrange. Tu me regardes en silence. Des turquoises dans les yeux. Tu as l’apparence d’un ange. Une aile au paradis, l’autre dans la vie.
Dans la nuit, cette question qui serre le cœur: "C’est toi, c’est toi Johnny ?"
Et puis ce matin, ce réveil. Et toi qui n’es plus là. Parti à l’abri du monde. Loin de la rumeur qui court, des lumières et des discours. Cette chose impossible à croire que la mort t’a souri. J’ai oublié de me souvenir de l’oublier, et pourtant...
Pour ton anniversaire, j’ai mis une fleur sur l’étagère, à côté du sable blanc de ton paradis, là-bas. Et je bois à ta santé.
C’est comment l’envers du décor, dis ? Est-ce que les étoiles dans le ciel font des étincelles ? Est-ce qu’il y a du sable, et de l’herbe, et des fleurs ? De l’or dans les rivières ? Et des fleurs jaunes dans le creux des dunes ?
Tu étais là, mon Johnny, c’était toi. Ton sourire à transpercer l’acier. Tes yeux si purs, à te donner le bon dieu sans confession. C’était toi et moi. Les battements de nos cœurs sur la même longueur d’ondes. Tes cheveux si clairs que j’ai cru un instant rêver. Mais je rêvais, de fait. Et j’aurais voulu pouvoir retenir la nuit.
Oublier, t’oublier ? Toi qui me portes et me tiens debout ? Il me faudra plus de temps que m’en donnera ma vie.
Écoute mon cœur qui bat. Mon cœur fermé à double tour. Noyé dans l’ombre de toi. Écoute ma douleur, elle ne s’en va pas.
De vague en larmes je vogue en solitaire. Perdu dans le nombre d’un troupeau de misère. Comme un radeau qui flotte à la dérive. Une caisse qui se traîne à 80 de moyenne. Une tequila entre citron et sel… Évanouie, mon innocence. Johnny, si tu savais…
Non, je n’oublierai jamais. Tu es gravé dans ma vie.
Tu es parti mais tu es partout. Intraçable et muet. Ton absence et ton silence qui n’en finit pas. Comme une maladie, comme un grand froid. Chaque jour, je fais une croix. Quatre murs autour de moi et dessus, des photos de toi. Rien ici, non, rien n’a changé. Et le temps semble arrêté.
Me manquer, me manquer…
Crédits photo : Yan Barry (Midi Libre).
Je serai là si tu veux pour écrire ton histoire, garder ta mémoire. Contre les croquemorts qui rodent. Contre les mots faciles et la haine des imbéciles. Tout ce cirque.
Continuer à vivre pendant que tu te reposes. Avec ton souvenir au plus fort de l’absence. Avec l’illusion d’attendre un signe. Des soirs comme un grand trou noir. Puis dans mes nuits, enfin, l’oubli. L’espoir que tu viennes encore me visiter. À certaines heures, quand le cœur de la ville s’est endormi. Ou dans le souffle d’un vent géant. Le vent qui hurle qui crie, et qui comprend. Un rêve qui ne fasse plus peur. Comme dans un tableau de Hopper… Et que la mort vaincue n’ait plus d’empire dans le pays des vivants.
Je t’en prie, Johnny, reviens !
Reprends ton cœur et ce vieux train, là, et dans le soleil, reviens vers moi. Reviens chanter les peines et les espoirs. Donner des raisons d’espérer. Palais des Sports, palais des foules. 15 heures ouverture des portes. Et les stands et la buvette… Chanter encore ce blues maudit pour qu’il éclaire ma vie.
Mes valises sont toutes prêtes pour les voyages que je me raconte.
Pour aimer vivre encore.
Je n’ai jamais rien demandé, mais parfois j’ai envie de crier à la nuit: "Emmène-moi !" Et je m’accroche à mon rêve. Tôt ou tard, tu me reviendras. Tu verras. Comme l’aigle blessé revient vers les siens. Un monde sans toi ? Non. Remboursez-moi ! Je ne veux pas de ce monde-là ! Dans cette foutue boutique aux souvenirs, je vois s’en aller ma vie. Un souvenir de rocker sur les murs d’une ville triste… Non ! Je donnerai mes larmes au regard que tu avais, la flamme au souffle que tu portais. Je défierais les rois, les fous, les soldats, la mort et les lois… Mais qu’on reparte au bord des routes. Terminer la nuit sur les parkings et les tarmacs. Et reparler d’amour un jour. Pourquoi ne reviendrais-tu pas puisque je t’attends ? Je t’attends, tout le temps. Souviens-toi, la route est ta seule amie. On se reverra, dis ?
Quand la nuit crie au secours qui pourrait l’écouter ?
Je me sens si seul parfois, Johnny. Je voudrais tellement qu’on soit du même côté de la rivière. Être encore cet enfant qui croyait à l’éternité. Entendre ta voix de révolté. C’est une prière que je grave dans la pierre, pour toi, mon vieux frère. Je veux si fort refaire un jour l’histoire. Et fixer le soleil droit devant, comme un pari d’enfant. Trinquer à nos promesses au café de l’avenir. Refaire la route, dis. Rien ne peut séparer ceux qui s’aiment.
Reviens allumer le feu, mon Johnny, viens jouer ton rock’n’roll pour moi.
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