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Paroles d'Actu
30 mai 2020

Renaud Benier-Rollet : « En matière de sciences, la croyance n'a pas sa place. Seul le savoir importe. »

Un mois après l’interview avec Nans Florens, son acolyte de la chaîne de vulgarisation médicale Doc’n’roll (que je vous invite à aller voir !), je vous propose aujourd’hui la retranscription de mon échange avec Renaud Benier-Rollet, infirmier libéral. De par sa profession, dont il est finalement rarement question dans l’actu médicale, il est en première ligne lorsqu’il s’agit de rassurer, voire de prendre en charge ses patients, souvent âgés et donc à risque. De la séquence Covid-19, il retient une note d’optimisme par rapport au sursaut que la situation ne manquera pas de susciter ; surtout, il s’attache, comme Nans Florens, à appeler chacun à remettre toujours en question, via l’esprit critique, les infos reçues, et ses certitudes en général. Merci à lui pour ses réponses et sa bienveillance. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Renaud Benier-Rollet: « En matière de sciences,

la croyance n’a pas sa place. Seul le savoir importe. »

Renaud Benier-Rollet

 

Renaud Benier-Rollet bonjour, et merci d’avoir accepté mon invitation à vous exprimer sur Paroles d’Actu. On parle beaucoup (et toujours pas assez) des infirmier-ère-s en hôpital en ce moment, très peu des libéraux, dont vous êtes. Comment représenter la place qui est la vôtre dans le dispositif général de soins, et pourquoi avoir choisi, d’infirmier hospitalier, la voie du libéral ?

Bonjour et merci de votre invitation.

Les infirmier(e)s libéraux sont un maillon très important de la chaîne de continuité des soins en France. Nous jouons un rôle central dans le maillage sanitaire et social du territoire. Outre les soins infirmiers à proprement parler, nous contribuons très fortement à la coordination des soins et au suivi des patients. Nous faisons quotidiennement le lien entre les médecins traitants, les services hospitaliers, les autres professionnels paramédicaux, et nos patients et leurs familles. 

Bien que nous représentions entre 15% et 20% des infirmiers, il est tout à fait vrai qu’on ne parle que très peu de notre profession, certainement parce qu’elle est mal connue et moins emblématique que celle des soignants hospitaliers. On peut dire que nous sommes invisibles à quiconque n’ayant jamais eu besoin de nos services pour lui ou pour un de ses proches. 

J’ai rejoint cette voie un peu par hasard à vrai dire, après plusieurs années à travailler au service d’accueil des Urgences du CHU de Besançon, et j’en suis très satisfait. Il s’agit d’un métier différent, passionnant à plusieurs égards et j’y ai surtout trouvé la reconnaissance des patients, qui manquait cruellement à l’époque de l’hôpital - je ressentais très peu de reconnaissance de leur part et de celle des familles, comme de la part de la direction de l’hôpital d’ailleurs... À domicile, j’ai pour habitude de dire qu’on m’a plus dit « Merci » lors de ma première journée de remplacement qu’en cinq années aux Urgences...

 

Finalement, par les temps qui courent, vous êtes en première ligne, y compris pour voir, à domicile, les angles morts qui ne rentreront pas dans les stats. Comment vivez-vous, dans votre métier, et notamment auprès de vos patients, cette crise du Covid-19 depuis son commencement ?

Je la vis plutôt bien. Au début de l’année, j’avoue avoir été trop optimiste (mea culpa), comme beaucoup de gens, n’imaginant pas l’ampleur que cette crise sanitaire prendrait. Au fur et à mesure des événements, nous nous sommes organisés pour répondre de manière efficace aux modalités de prise en charge spécifiques qu’imposait la présence du Sars-CoV2 sur le terrain.

Nos patients sont en majorité des personnes âgées, donc plus à risque que la population générale. Notre rôle a surtout été de les informer et de leur expliquer l’importance du confinement et des nouvelles précautions qu’ils devaient prendre.

 

« Ma plus grande crainte a été d’être moi-même vecteur

du virus, et de contaminer mes propres patients. »

 

Au final, tout se passe plutôt bien, les consignes sont plutôt bien acceptées et respectées. La plus grande crainte que j’avais était donc d’être moi-même vecteur du virus et de contaminer mes propres patients, vu que je les côtoie de très près tous les jours.

 

On parle beaucoup à l’heure actuelle de la rémunération des infirmier-ère-s (en hôpital et en libéral, vous connaissez bien les deux casquettes on l’a rappelé), pas à la hauteur par rapport au travail fourni et à l’utilité sociale. Votre sentiment sur la question ?

La question de la rémunération est tout à fait justifiée. Je comprends tout à fait les revendications de mes collègues, principalement hospitaliers.

Personnellement, je suis satisfait de mon salaire mais il est vrai qu’on nous demande d’effectuer de plus en plus de tâches et de travail administratif, sans pour autant les rémunérer. Après, je pense que on ne fait pas le métier de soignant pour le salaire à la fin du mois, c’est avant tout une vocation. Ça peut paraître un peu « bateau » dit comme ça, mais c’est une réalité d’après moi.

 

Quel regard posez-vous, comme professionnel de santé, et aussi comme citoyen éclairé, sur la manière dont le déconfinement est en train de s’opérer ? Est-ce que, du côté des pouvoirs publics (les décisions prises et leur calendrier), et s’agissant descomportements de nos concitoyens, globalement vous vous sentez plutôt optimiste ou pessimiste quant à la suite des événements ?

À vrai dire, il est difficile, depuis le départ, de prévoir comment va se dérouler cette crise sanitaire. Je pense que toutes les personnes qui disent savoir ce qu’il aurait fallu ou ce qu’il faudrait faire sont beaucoup trop confiantes. Dans les faits, l’évolution est totalement inconnue de tous. Les décisions ne doivent donc pas être faciles à prendre. Beaucoup de facteurs entrent en jeu, et pas seulement sanitaires. Je ne suis pas spécialiste en gestion de pandémie donc je me garderais bien d’émettre un jugement définitif.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, les comportements de nos concitoyens sont de manière générale plutôt responsables, je m’en remets donc à ma nature optimiste : on en sortira un jour, même si je pense que cela va changer durablement notre façon d’interagir les uns avec les autres.

D’après moi, il ne faut pas voir cette crise comme une parenthèse dans nos vies mais plutôt comme une nouvelle phase, avec ses nouvelles règles. On ne reviendra pas à la vie d’avant, en tout cas pas dans les prochains mois voire, les prochaines années.

 

Êtes-vous de ceux qui, à titre perso et à titre collectif, ont vu dans le confinement des vertus ? Croyez-vous qu’il y aura véritablement un monde d’après, plus soucieux des autres (notamment nos aînés) et de la nature, plus responsable et plus vertueux ?

Personnellement, je n’ai pas vraiment eu l’impression de vivre un confinement. J’ai continué à travailler au même rythme et donc à sortir de chez moi, et à avoir des relations sociales avec mes patients au quotidien. Il m’est du coup difficile d’imaginer à quoi peut ressembler un isolement total pendant plusieurs semaines.

Concernant « le monde d’après », j’aimerais bien sûr voir plus d’entraide et de solidarité entre les gens, et plus de conscience écologique chez chacun, mais les habitudes de consommation de notre société ont la dent dure. C’est à chacun d’y réfléchir, mais j’imagine que beaucoup de monde s’est rendu compte qu’on pouvait moins prendre sa voiture, regrouper ses sorties, éviter les centres commerciaux le week-end et moins consommer d’une manière générale.

 

Vous participez, avec Nans Florens que j’ai eu le plaisir d’interroger ici il y a quelques jours, à la nouvelle chaîne YouTube de vulgarisation médicale Doc’n’Roll. La place que tiennent les débats tronqués et la désinformation, sur les réseaux sociaux notamment, vous inquiète-t-elle aujourd’hui ?

C’est en effet un gros sujet d’inquiétude pour moi. La présence de fausses informations et de contenus complotistes ou conspirationnistes sur les réseaux sociaux n’a fait qu’empirer durant cette crise. Je trouve ça catastrophique.

Il est vrai qu’il est désormais très difficile de savoir à qui se fier, et du coup, on assiste à une grosse crise de confiance du public vis-à-vis de l’information en général. C’est tout à fait compréhensible d’ailleurs.

Je me passionne depuis quelques années pour l’esprit critique et la zététique (l’art du doute, ndlr), et cela m’a aidé à prendre conscience de tous les biais auxquels j’étais soumis, notamment le biais de confirmation (un biais cognitif consistant à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues, ndlr), qui est un véritable fléau. Je me suis beaucoup remis en question, j’ai changé d’avis sur de nombreux sujets et j’appréhende désormais très différemment les informations que je reçois.

 

« L’information, ce n’est pas un travail qui doit être fait

au rythme des réseaux sociaux, c’est un travail de fond. »

 

À titre personnel, j’ai arrêté toute source d’information en continu. L’information, ce n’est pas un travail qui doit être fait au rythme des réseaux sociaux, c’est un travail de fond. Ensuite, j’essaie de vérifier toutes les informations que je lis, je m’intéresse aux sources, je recoupe les témoignages, je lis différents médias sur le même sujet. Cela prend énormément de temps, mais c’est pour moi la seule façon de faire qui soit.

Avec Nans, l’idée d’une chaîne YouTube de vulgarisation nous trottait dans la tête depuis longtemps et cette crise du CoViD-19 a été le déclic. Le but est d’apporter des informations précises et sourcées au gens sur des sujets qui peuvent les questionner ou les intéresser.

 

Dans ce contexte, que vous inspire la discussion, passionnée bien au-delà du rationnel, sur l’hydroxychloroquine ?

Cela révèle, d’après moi, que le niveau scientifique général est plutôt bas en France, et qu’à défaut de savoir comment appréhender une information scientifique, beaucoup de personnes vont se fier à leur impression et à leur ressenti pour choisir ce qu’elles vont croire. Mais l’erreur est qu’en matière de sciences, la croyance n’a pas sa place. C’est le savoir qui importe.

Ce débat est donc un immense constat d’échec. On a d’un côté un professeur qui profite du manque de connaissance scientifique du public pour se faire mousser, et de l’autre des scientifiques qui s’offusquent mais qui sont inaudibles, car très peu pédagogues. D’où l’importance de la vulgarisation.

D’ailleurs, et c’est un scoop, une vidéo sur ce sujet sortira bientôt sur Doc’n’roll ! ;)

 

Quelque chose à ajouter ?

Quelques recommandations peut-être, pour les personnes qui s’intéresseraient à ce sujet passionnant qu’est l’esprit critique : la chaîne Hygiène Mentale sur YouTube est parfaite pour commencer à réfléchir sur la manière dont on pense, tout comme la chaîne de Mr. SamEt rejoignez-nous sur Doc’n’roll évidemment... :)

Et merci encore de votre invitation.

  

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