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Paroles d'Actu
5 novembre 2020

Trump et le monde, un bilan par Nicole Vilboux

À l’heure où j’écris ces lignes, les résultats complets de l’élection présidentielle aux États-Unis ne sont toujours pas connus, et il est à prévoir qu’il ne seront pas définitifs avant un moment, si les procédures judiciaires prennent le pas sur le processus électoral. En l’état, on s’achemine vers une victoire relativement serrée au niveau du collège électoral de l’ex-vice président démocrate Joe Biden face au président républicain sortant Donald Trump.

Quel que soit le nom de celui qui, le 20 janvier, prêtera serment devant le Capitole, intéressons-nous un instant au bilan du président sortant dans le domaine qui, sans doute, nous concerne le plus : la politique étrangère. Il y a un peu plus de quatre ans, alors que la campagne Clinton-Trump battait son plein, Nicole Vilboux, analyste spécialisée dans la politique de sécurité des États-Unis et chercheur associé à la Fondation pour la Recherche stratégique (FRS), avait accepté mon invitation de dresser pour Paroles d’Actu les enjeux du scrutin sur les plans diplomatique et stratégique. Cette année encore, quelques jours avant l’élection, je l’ai sollicitée pour quelques questions et ses réponses, fort instructives, me sont parvenues le 4 novembre. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

TRUMP ET LE MONDE : UN BILAN

Un entretien avec Nicole Vilboux.

 

Kim Trump

Rencontre entre Kim Jong Un et Donald Trump, le 12 juin 2018. AFP

 

La politique étrangère menée par l’administration Trump a-t-elle été globalement fidèle aux orientations annoncées par le candidat Donald Trump en 2016 ?

En politique extérieure comme sur les questions intérieures, le candidat Trump s’est fait élire en 2016 sur un programme de rupture avec les orientations prises par ses prédécesseurs. D’abord, Barack Obama, perçu par les Républicains comme un président faible et indécis, ayant renoncé au leadership des États-Unis et amoindri leurs capacités de défense. L’objectif annoncé était donc de «  rendre sa grandeur à l’Amérique  », essentiellement en soutenant la restauration de la suprématie militaire et en affichant une plus grande fermeté à l’égard des ennemis (l’Iran), des rivaux (la Chine) mais aussi des alliés récalcitrants. Dans le même temps, Donald Trump entendait mettre un terme aux engagements militaires hérités de la présidence Bush et de ses projets idéologiques de transformation du Moyen-Orient.

Malgré la brutalité et les improvisations caractérisant le style présidentiel, l’administration Trump a effectivement mené une révision de la politique extérieure cohérente avec son approche réaliste des relations internationales. Elle rompt avec le «  mythe de l’ordre international libéral  » fondé sur l’extension inéluctable de la démocratie et les bienfaits de la mondialisation économique. Pour le président Trump (et les auteurs de la stratégie de sécurité nationale de 2017), le contexte actuel exige une politique  :

  • Fondée sur la défense des intérêts nationaux plutôt que sur la promotion de valeurs  ;

  • Appuyée sur l’entretien de la supériorité militaire nécessaire pour assurer la sécurité nationale face aux puissances rivales, mais dont l’utilisation doit être limitée à la préservation des intérêts majeurs et non à «  faire la police dans le monde  » (D. Trump à West Point en 2020)  ;

  • Donnant la priorité aux relations entre États au détriment des institutions internationales  ;

  • Et plaçant le principe de «  réciprocité  » au cœur des relations avec les partenaires, signalant que les États-Unis n’entendent plus fournir de garantie de sécurité «  gratuitement  », ni signer d’accord de libre-échange qui ne leur semble pas équitable. 

Cette ligne directrice a été suivie tout au long du mandat et est confirmée lors de la campagne de 2020.

 

Quel bilan tirez-vous de ce mandat s’agissant des succès et des échecs diplomatiques des États-Unis, de la solidité de leurs alliances et de leurs positions commerciales, et de la stabilité du monde ?

L’action diplomatique américaine a été compliquée par les initiatives et prises de position incontrôlées du président, de même que par l’affaiblissement du Département d’État, victime de la méfiance de Donald Trump à l’égard de l’establishment de Washington.

Par ailleurs, ce mandat a surtout été celui de la remise en cause de traités signés par les États-Unis, qu’il s’agisse des accords de Paris sur le climat, de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien (JCPOA) ou du traité d’interdiction des armes nucléaires de portée intermédiaire (FNI de 1987). Si ces décisions ont suscité de vives critiques des partenaires des États-Unis, elles sont considérées comme des succès par les experts conservateurs, qui jugeaient ces traités inefficaces et défavorables aux intérêts américains actuels.

Toutefois, la présidence Trump restera marquée par l’ouverture diplomatique audacieuse vis-à-vis de la Corée du Nord, succédant aux menaces de guerre. L’approche adoptée a certes suscité des inquiétudes chez les alliés régionaux et aucun progrès tangible n’a finalement été obtenu, le régime nord-coréen continuant même à développer ses capacités balistiques. Mais cet échec, qui n’a pas été suivi d’une remontée des tensions, peut aussi être considéré comme la reconnaissance «  réaliste  » de la part des États-Unis de l’impossibilité de parvenir à une dénucléarisation négociée. La prochaine administration, quelle qu’elle soit, ne pourra que prendre acte de la nécessité de vivre avec une Corée du Nord nucléaire.

Un autre processus de négociation controversé a été mené à terme par l’administration Trump, en Afghanistan. Poursuivant son objectif de retrait des forces, le président a engagé des discussions directes avec les Taliban, aboutissant à créer les conditions d’une sortie «  honorable  », quels que soient les doutes sur la viabilité à long terme des dispositions de l’accord.

Finalement, le Président Trump a pu terminer son mandat par une victoire diplomatique unanimement saluée aux États-Unis. Faute d’avoir pu proposer un grand plan de paix pour le Proche-Orient, il a présidé à la signature d’un accord important de normalisation des relations entre Israël, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn («  Abraham Accords  »), ce qui conforte en outre la coalition régionale contre l’Iran.

L’approche unilatéraliste de l’administration Trump, renforcée par la prédilection du président pour les relations fondées sur les affinités personnelles plutôt que sur les considérations stratégiques, a créé des difficultés avec certains partenaires, tandis que d’autres ont compris comment faire valoir leurs positions directement auprès de Donald Trump  : ce fut le cas pour le Japon sous la direction de Shinzo Abe, pour la Pologne ou la Turquie. Si l’on ajoute l’insistance du président à «  faire payer  » aux alliés la protection américaine, cela a clairement contribué à remettre en cause la conception traditionnelle d’alliances qui seraient fondées sur des valeurs et des intérêts de sécurité communs. Même si le discours institutionnel continue de souligner l’importance des partenaires, c’est la contribution de ces derniers aux objectifs de Washington qui détermine l’attention qui leur est accordée.

Pour certains observateurs, la dissolution des alliances pourrait aller plus loin en cas de second mandat. Les divergences entre Européens sur l’attitude à adopter seraient amplifiées et pourraient conduire à la paralysie de l’OTAN, si ce n’est à un désengagement formel des États-Unis (qui reste toutefois difficile à envisager du point de vue de la stratégie de défense). En Asie-Pacifique, les difficultés de renégociation des conditions de la présence américaine en Corée du Sud pourraient aussi aboutir à un retrait plus ou moins conséquent.

De tels changements constitueraient des ruptures claires avec le rôle de garant de l’ordre international, que les États-Unis ont souhaité conserver après la fin de la Guerre froide et qui est toujours jugé indispensable par une majorité de la «  communauté stratégique  ». Le renoncement des États-Unis à assumer les responsabilités d’une nation spéciale, pour se focaliser sur leurs intérêts particuliers, est en effet majoritairement perçu comme une erreur stratégique dans un monde où s’affirment d’autres puissances capables de rivaliser avec les États-Unis.

 

Dans quelle mesure estimez-vous que la crise sanitaire mondiale que nous vivons actuellement rebat et va rebattre les cartes de la géopolitique ?

La crise sanitaire a exposé d’une manière générale les vulnérabilités des pays occidentaux et conforté les tendances au repli national, au détriment de la coopération internationale. C’est le cas de manière particulièrement criante aux États-Unis, où la crise économique provoquée par la pandémie va réduire les moyens et les ambitions sur la scène internationale, alors que l’aggravation des fractures sociales affaiblit encore le «  modèle  » sur lequel reposait en partie le leadership américain.

D’un autre côté, la crise a définitivement placé la rivalité avec la Chine au cœur des préoccupations des États-Unis et cette compétition est devenue l’enjeu déterminant pour l’évolution de «  l’ordre international  ». Un certain nombre de pays, notamment en Europe, ont aussi pris conscience des risques de l’interdépendance avec la Chine et peuvent être plus sensibles aux initiatives américaines pour contrer l’influence de Pékin.

 

À quels grands défis diplomatiques le président investi le 20 janvier prochain devra-t-il faire face, et qu’est-ce qui, en la matière, va se jouer le 3 novembre ?

Le premier défi pour une administration démocrate serait de restaurer l’image d’une Amérique fiable et attentive à ses partenaires pour retrouver leur soutien, tout en poursuivant la réduction des engagements extérieurs afin de recentrer les efforts sur la restauration des bases de la puissance, dans les domaines économique, technologique et social. La possibilité de concilier une attitude plus ouverte avec la poursuite de la compétition stratégique avec la Chine serait un second défi de taille.

Pour une seconde administration Trump, la situation serait plus simple, puisqu’elle pourrait poursuivre la réorientation entreprise et que les adversaires comme les partenaires devraient reconnaître que la politique des États-Unis est désormais définitivement régie par la logique «  America First  », ce qui serait sans doute plus facilement acceptable par les premiers que par les derniers.

 

Nicole Vilboux

  

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