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Paroles d'Actu
2 février 2022

Alain Pompidou : « Ce qui comptait pour mon père, c'était le bonheur des Français. »

Alors que la présidentielle de ce printemps approche à grand pas, je vous propose avec cet article, un peu de recul, en fait, une petite plongée 50 ans en arrière. Au tout début des années 1970, l’Élysée avait pour locataire un intellectuel qui aimait les Français, Georges Pompidou. Mais la mémoire des hommes est sélective, et quand on songe aux présidents de la Cinquième République, on oublie toujours un peu Pompidou, coincé entre la grandeur gaullienne et les modernisateurs autoproclamés Giscard et Mitterrand. Le décès prématuré du successeur du Général a marqué les esprits, son bilan sans doute pas assez. Pour évoquer cette époque, et quelques éléments de la nôtre, voici donc une interview réalisée le 28 janvier avec M. Alain Pompidou, scientifique et homme politique, fils unique de Claude et Georges Pompidou. Je le remercie pour ses réponses, et pour sa constante bienveillance à mon égard, et j’en profite pour saluer au passage amicalement César Armand. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Alain Pompidou : « Ce qui comptait

pour mon père, c’était le bonheur des Français. »

Georges et Alain Pompidou

 

Georges et Alain Pompidou. Collection personnelle.

 

Alain Pompidou bonjour. Cette année 2022 sera celle de vos 80 ans : quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ?

Il s’est passé beaucoup de choses. J’ai fait une très belle carrière. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’adoraient, tout le monde était merveilleux avec moi. Je dois vous dire que j’ai passé une enfance extrêmement heureuse. Quand j’étais petit, mon père, qui était un grand érudit - il fut premier prix du Concours général de grec - s’asseyait à côté de moi et il me racontait Ulysse résistant aux chants des sirènes, attaché au mât du bateau.

 

A

Extrait choisi de Georges Pompidou - Lettres, notes et portrait (1928-1974),

Robert Laffont, 2012. Ce texte fait partie du témoignage d’Alain Pompidou.

 

Peut-on parler, sinon de cassure définitive, en tout cas d’une espèce de fêlure entre Georges Pompidou et Charles de Gaulle, durant la période qui va de la fin mai 68 jusqu’à l’affaire Markovic ?

Là, il y a véritablement une rupture. Les gaullistes étaient jaloux de mon père, et je dois vous dire que ça a été une période terrible.

La rupture entre mon père et le Général a eu lieu du fait de l’affaire Markovic, qui fut très blessante pour ma famille, mais ensuite, mon père a continué à servir la Fondation Anne de Gaulle.

 

Deux moments médiatiques du président Pompidou ont marqué particulièrement les esprits en leur temps : sa réaction poétique au suicide de Gabrielle Russier (septembre 1969) et son annonce de la mort du général de Gaulle ("la France est veuve", novembre 1970). Quels souvenirs intimes et familiaux gardez-vous de ces deux évènements ?

Gabrielle Russier était professeure comme lui, dans les quartiers nord de Marseille. Quand il y a eu à l’époque, un scandale à propos d’une situation aujourd’hui acceptée par beaucoup de gens (une histoire d’amour entre celle-ci et un lycéen, ndlr), mon père a été très malheureux de voir qu’on s’en prenait à cette femme alors qu’il n’y avait pas de raison majeure de le faire. Et c’est là que, dans une conférence de presse, et sans aucune préparation, il a cité le poème d’Éluard.

 

 

S’agissant de la mort du Général, mon père s’est senti véritablement orphelin. Il en a été extrêmement malheureux. Il savait que le général de Gaulle comptait sur lui, donc il avait déjà l’idée de se présenter - il l’avait d’ailleurs déclaré à Rome en janvier 1969. Je dois dire que cela a été son dernier choc, non pas personnel mais politique. Il est apparu à la télévision avec un visage tragique en annonçant effectivement que "la France (était) veuve".

 

 

Il me semble que les Français d’aujourd’hui, parmi les plus jeunes en tout cas, ne saisissent plus que des bribes de ce que fut la présidence Pompidou, située entre les vents d’Histoire qu’incarnait de Gaulle, et ceux de la modernité qu’ont pu incarner, chacun à leur manière, Giscard et Mitterrand. Qu’auriez-vous envie de dire à ceux-là, et que faut-il retenir pour rendre justice à ce que fut la présidence de Georges Pompidou ?

Ce qui caractérise la présidence de mon père, c’est d’abord la politique industrielle, avec le TGV, le nucléaire, l’espace (avec la fusée Diamant), mais aussi en matière industrielle, l’intéressement des employés. Sur le plan politique, Jacques Chirac disait : "Le général de Gaulle, c’est la France, Georges Pompidou, c’est les Français". Il marquait ainsi la proximité de mon père avec les Français de son époque.

 

Et en effet, quand on évoque cette politique industrielle aujourd’hui, ça laisse songeur...

Oui, comme je vous l’ai dit, c’est à cette époque qu’est né le TGV, après la fusée Diamant sont apparus les gros satellites et la fusée Ariane en particulier... Toute une politique industrielle qui a été menée remarquablement par son conseiller en la matière, Bernard Ésambert.

 

Diamant

La fusée Diamant. Photo @CNES.

 

Que savez-vous des projets qui eurent été ceux de Georges Pompidou pour la France s’il avait vécu ?

Je pense tout d’abord à ce projet majeur qu’il avait déjà quand il était à la banque Rotschild : il passait régulièrement devant le plateau Beaubourg, qui était alors un terrain vague avec quelques voitures et quelques prostituées. Et il a dit à ma mère un jour : "C’est là qu’on fera un grand centre culturel", et c’est ainsi qu’allait naître à cet emplacement le futur Centre Georges-Pompidou.

 

Avec le succès que l’on sait. Et sur des points plus politiques : qu’aurait-il fait si la mort ne l’avait prématurément emporté ?

Il naviguait à vue et il se déterminait en fonction des Français. Je crois qu’il avait véritablement une propension à chercher avant tout ce qu’était le bonheur des Français.

 

Quels traits de caractère pensez-vous avoir hérités de Claude et Georges Pompidou ? Quels goûts bien ancrés vous ont-ils laissés en héritage ?

Là, c’est un peu plus difficile. Je crois, pour rebondir sur la réponse précédente, que ce qui comptait pour mon père c’était le bonheur des Français. Il s’adaptait aux besoins des uns et des autres. Moi j’ai essayé de toujours satisfaire autour de moi. Je pense avoir hérité de mes parents un regard sur les autres, un sentiment très prégnant qui me permet souvent de faire le diagnostic de quelqu’un qui passe à côté de moi dès son arrivée.

 

L’art est-il essentiel à vos yeux comme il le fut aux leurs ? Êtes-vous tout à fait sensible aux mêmes types d’expression artistique que vos parents ?

Je suis passionné d’art. J’ai connu la première toile qu’ils avaient achetée, en 1947, et ce tableau de Chapoval, Bière moussante me séduisait énormément. C’est une peinture qui ressemble un peu à ce que faisait Fernand Léger, qui s’inspirait de Picasso.

 

Bière moussante, Chapoval, 1947.

 

Quel regard portez-vous, comme scientifique et comme citoyen, sur la crise sanitaire que nous traversons actuellement ? Je pense aussi à ce vaste mouvement de scepticisme envers la médecine et la science auquel nous assistons, un peu partout dans le monde : ça a toujours existé ?

Cette crise sanitaire est grave. Je crois qu’on va s’en sortir, qu’Omicron va s’estomper tout doucement et qu’on va bientôt faire en sorte qu’il n’y ait plus que le virus actuel. Quant aux antivax, de mon point de vue ce sont des gens qui sont totalement irresponsables.

 

Vous avez notamment présidé l’Office européen des brevets (2004-2007). Il a beaucoup été question, dans les premiers temps de l’apparition de vaccins contre le Covid-19, de la levée des brevets pour une massification de la fabrication des doses et pour une démocratisation de leur distribution. De telles idées sont-elles envisageables, et même souhaitables ?

Non, je pense qu’il faut garder les brevets, c’est très important comme il est essentiel que l’inventeur puisse être récompensé de son geste.

 

Je le rappelais il y a quelques minutes, vous avez eu une formation scientifique et médicale très poussée et avez longtemps exercé dans ces domaines. Comment voyez-vous les perspectives de la médecine, et de la science, et quelles sont les avancées, celles à portée de main ou celles qu’on entrevoit à horizons plus lointain, qui vous enthousiasment ?

Moi, ce qui me fait rêver surtout, c’est essentiellement les percées de la médecine, qui sont absolument remarquables, et je suis optimiste en la matière pour les temps à venir.

 

Nous évoquions tout à l’heure la présidence de Georges Pompidou, nous allons revenir à la politique dans un instant. Comment jugez-vous notre époque par rapport à, justement, la première moitié des années 70 ?

Je dirais qu’à mon avis, notre époque a un peu perdu le sens des valeurs. Il y aurait à faire...

 

Comment voyez-vous les échéances électorales de cette année? Aura-t-on une chance, cette année, d’assister à des débats se jouant réellement sur des projets?

Rien n’est sûr, je l’espère en tout cas.

 

L’architecture générale de la Cinquième République correspond-elle toujours à la France et à la classe politique d’aujourd’hui ?

Je pense en effet que la Cinquième République reste parfaitement adaptée à la France.

 

Vous avez été député européen (1989-1999), mais avez-vous jamais eu la tentation de candidater à des mandats exécutifs ? Ou bien le fait d’avoir été témoin, avec votre père, de la dureté induite a-t-il agi comme une sorte de vaccin contre cette idée ?

Non pas vraiment, j’aurais pu le faire. En tout cas je ne ferai plus de politique, c’est certain.

 

Vos projets et surtout, vos envies pour la suite ?

Oh, surtout d’être heureux avec mon épouse, et les petits enfants.

 

Alain Pompidou

Alain Pompidou. Collection personnelle.

 

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