Dobbs : « Ce projet, c'est une pure histoire d'alchimie(s) »
L’album 13 batailles : Une histoire de France qui vient de paraître chez Passés Composés partait d’une idée ambitieuse, portée par un patron de maison d’édition (Nicolas Gras-Payen), par un éditeur (Stéphane Dubreil) et un scénariste de BD (Dobbs) : comme son titre l’indique, évoquer avec treize dessinateurs d’horizons de styles bien différents, treize batailles emblématiques de l’histoire de France, toujours à hauteur d’homme, histoire de... raconter différemment, une histoire de la guerre. Un livre qui entraînera le lecteur curieux dans des moments bien précis, et souvent méconnus du passé, et qui certainement lui apprendra pas mal de choses, à chaque fois en l’aidant à s’identifier à ceux qui les ont vécues. Une réussite pour un chouette projet collectif. Merci à Stéphane Dubreil et à Dobbs, déjà interviewé dans ces colonnes il y a un an, pour les réponses qu’ils ont bien voulu apporter à mes questions. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
13 batailles : Une histoire de France (Passés Composés, octobre 2023).
EXCLU PAROLES D’ACTU
Dobbs : « Ce projet,
c’est une pure histoire d’alchimie(s) »
I. Stéphane Dubreil, l’éditeur
Stéphane Dubreil bonjour. Vous êtes historien de formation, d’où vous vient votre passion pour l’Histoire ?
D’un professeur de CM2 qui nous a fait faire une rédaction sur les poilus de 14...
Comment en êtes-vous arrivé à devenir éditeur de BD historiques pour Passés Composés ? Vous étiez auparavant amateur de bande dessinée ?
Je suis journaliste critique de bandes dessinées et créateur, avec Thierry Lemaire et Philippe Peter, du site Cases d’histoire qui traite de l’actualité de la BD historique. L’édition est venue avec l’amitié qui me lie à Nicolas Gras-Payen et à l’équipe de Passés Composés, c’est une idée dont nous parlions régulièrement...
On a vu passer plusieurs BD de votre série Biopic chez Passés Composés, chroniquées pour certaines sur Paroles d’Actu. Plus rien depuis quelques mois, est-elle toujours active ?
Oui, mais sous une autre forme, plus dense, plus riche. L’avenir réserve des surprises
Quelle a été l’histoire de cet album, 13 batailles : Une histoire de France, concrétisé avec Dobbs à l’écriture, et 13 dessinateurs ? Comment le projet est-il né, et dans quel esprit ?
C’est une idée que j’ai eu en discutant avec Nicolas Gras-Payen. Les Français aiment qu’on leur raconte leur histoire et l’histoire militaire a le vent en poupe. Le ministère des Armées s’intéresse lui aussi beaucoup à la BD, notre rencontre s’est donc faite naturellement.
Une volonté, d’une certaine manière, de réhabiliter auprès du public l’armée française, notamment en mettant en avant ce qu’elle a fait de glorieux et d’honorable, y compris lors de graves défaites, comme en 1870-1, comme en 40 ?
Non, il ne s’agit pas réhabiliter l’armée, nous n’avons rien à réhabiliter. Notre volonté est de raconter de bonnes histoires avec de bons personnages et d’avoir 13 grands dessinateurs engagés et généreux pour nous accompagner. Dobbs a troussé 13 histoires à partir de la liste que je lui ai fournie, ce n’était pas simple mais il s’en est tiré magistralement. Enfin, ce n’est ni la défaite, ni la victoire qui nous ont conduit mais le fait que ces batailles se soient déroulées dans notre pays. Depuis 1944, la guerre a disparu de notre territoire mais elle a été présente pendant 2000 ans quasiment sans discontinuer. Cet état de guerre permanent est constitutif de notre histoire, d’où le titre 13 batailles : Une histoire de France. Enfin, pour une séance plus intello, si vous lisez attentivement l’album, vous verrez que les 13 récits ne racontent qu’une seule bataille qui est vue de 13 manières différentes.
Quel public visez-vous ? Les passionnés d’histoire ? Peut-être les plus jeunes aussi ?
Les passionnés d’histoire et de BD.
Cet ouvrage a-t-il été compliqué à mettre en œuvre, ne serait-ce qu’au niveau des agendas à accorder ?
Non, les auteurs ont été enthousiastes et je me suis coulé dans leurs agendas. Pas un n’a été en retard.
Pourquoi ces batailles en particulier ? Il y a eu des débats sur ce choix ? Et quel travail préparatoire (documentation, etc...) cela a-t-il nécessité pour vous ?
Il y avait des milliers de batailles possibles. Le choix s’est fait en fonction de la chronologie, il fallait bayer 2000 ans d’histoire. Il y a ainsi des batailles incontournables comme Gergovie ou Valmy, des batailles étonnantes comme celle de Chartres, qui n’a connu aucun combat. Certains auteurs avaient des envies d’époque. Pour Blary, les Gaulois. Pour Tristan Josse et Luché, des machines, chars ou avions. Bandini voulait évoquer la guerre de 14. Fawzi, Napoléon, et Bones, la guerre de 1870. Quant à la documentation, grâce à mon métier d’iconographe pour Guerres et Histoire, la documentation ne me pose aucuns soucis.
Parlez-nous de votre relation avec Dobbs, et avec chacun des dessinateurs ? Comment les interactions se sont-elles faites ?
Travailler avec Dobbs est une histoire d’amitié et de respect. Il écoute et est tout le temps dans l’échange avec l’éditeur et les auteurs. Il n’écrit pas pour lui mais pour le lecteur, et pour que le dessin se coule dans le scénario. Je sais que les dessinateurs ont pris beaucoup de plaisir à travailler avec lui. Ça se voit maintenant que le projet est fini, une petite communauté s’est créée et nous échangeons souvent à plusieurs.
Quelles sont les bio, ou bien les époques d’histoire que vous rêveriez de porter un jour sur papier BD ?
Vous verrez !
La BD peut-elle, parmi d’autres médias, démocratiser ou en tout cas, donner une envie d’histoire ?
Bien sûr, et je vous conseille de vous abonner au site Cases d’histoire pour découvrir la richesse de la BD historique, et de venir à nos Café BD Histoire, tous les deux mois.
Celles que vous avez éditées mises à part, quelles sont les BD que vous tenez pour vos préférées et que vous aimeriez nous inciter à découvrir ?
Les séries Alix Senator (Casterman), la série Révolution (Actes Sud), Madeleine Résistante (Dupuis), Les Enfants de la Résistance (Lombard).
Réponses datées du 26 octobre 2023.
II. Dobbs, le scénariste
Dobbs bonjour. C’est notre deuxième entretien, un an après celui fait autour de la BD Leonov, déjà réalisée en collaboration avec Stéphane Dubreil, avec lequel vous avez donc travaillé pour ce nouvel ouvrage, 13 batailles : Une histoire de France. Ça a été quoi l’histoire de ce projet un peu particulier ?
Mon ami et éditeur Stéphane est venu me voir avec cette idée au moment de boucler Leonov. On en a discuté et rapidement ça a tilté dans les cerveaux des uns et des autres (avec Nicolas Gras-Payen). J’avais déjà travaillé sur des projets à multi-artistes (Méchants, le côté obscur), je me suis dit que ça pouvait être un beau challenge narratif et éditorial de se coller à ces treize batailles !
Dans quel état d’esprit avez-vous travaillé, et comment s’est fait le choix des batailles sélectionnées ? Il y a eu débats entre vous et Stéphane Dubreil, notamment sur le fait de choisir des batailles emblématiques, ou forcément des batailles où l’honneur des armées françaises aura été au rendez-vous ? Il y a un message ou pas du tout ?
Il n’y a aucun message particulier, aucune des histoires ne glorifie le combat ou l’attitude héroïque. Les guerres et les batailles choisies sont des lieux, des thèmes, des leitmotivs dans lesquels se retrouvent coincées des personnalités qui tentent de s’en sortir. Ces batailles sont emblématiques, certes, mais ce qui fait convergence c’est que celles-ci se soient passées dans notre pays. Stéphane m’a proposé une série de contextes, on en a discuté longuement et ceux qui ont été sélectionnés se trouvent dans l’album.
Toutes les histoires sont racontées à hauteur d’homme : on ne suit pas des masses abstraites de combattants, mais à chaque fois un, deux ou trois personnage(s) bien identifié(s). C’était important, ne serait-ce que pour que le lecteur les trouve plus vivants, de faire que ces épisodes de l’Histoire soient incarnés ? Qu’est-ce qu’il a supposé comme travail pour vous, ce projet ? Il a fallu se renseigner assez finement sur chacune des batailles, des époques extraordinairement variées (2000 ans entre la première et les dernières), les grands faits, les armements, etc... Comment avez-vous travaillé sur l’écriture, et combien de temps cela vous a-t-il pris ? Vous êtes passionné d’histoire à la base ?
Ces questions mériteraient à elle seules un très long paragraphe…
Je suis effectivement passionné d’histoire. Je me situe souvent, en effet, dans l’écriture à hauteur humaine pour une véritable incarnation. Toutes les recherches tactiques, vestimentaires, circonstancielles sont importantes, mais pas autant que celles visant à trouver et caractériser le personnage ainsi que son point de vue car c’est à travers cette matière-là qui sera mené le récit pour le lecteur. Quant au temps de travail, c’est assez difficile à définir : chaque histoire de 12 pages a dû être anticipée en amont pour l’adapter au style et au planning de chaque dessinateur. C’était ça en fait le plus difficile mais aussi le plus jubilatoire.
Le concept c’est donc treize batailles racontées par vous au scénario, et à chaque fois, un dessinateur différent. Parfois des styles visuels extrêmement divers, ce qui ajoute du charme à l’ensemble. Comment les uns et les autres ont-ils été contactés, et comment avez-vous décidé d’affecter untel ou untel à telle ou telle bataille ?
Stéphane avait déjà des idées, on a mis en commun des noms pour avoir l’éventail de style le plus large pour couvrir 2000 ans. Il est toujours assez prioritaire de demander aux artistes leurs goûts, et ce qu’ils aiment ou n’aiment pas dessiner : résultat, une liste de propositions de batailles à croiser avec les envies des uns et des autres. Il fallait des machines pour certains, un certain type d’action ou d’atmosphère pour d’autres, ou alors un artiste s’était clairement porté positionné pour telle ou telle période… C’est une pure histoire d’alchimie(s) en fait. D’autant que travailler avec des dessinateurs aux styles différents provoque et stimule pour ce qui est de l’approche scénaristique : faire de la pure action pour Tristan Josse ou Ludovic Luché, provoquer le rire par le décalage avec Ohazar, donner un élan d’horreur ou de romantisme avec Bones ou Bandini etc... c’est un bonheur d’être à ce point dans la diversité narrative. Ce type de projet permet de retrouver les copains (Chris Regnault, Greg Lofé, Stéphane Dubreil) mais surtout de découvrir des artistes, leurs personnalités, leurs traits, leurs process…
À qui cette BD est-elle destinée au fond, et est-ce qu’à votre avis la BD est un média qui peut contribuer à non pas apprendre mais sensibiliser à l’Histoire, y compris auprès de jeunes lecteurs ? Il peut y avoir quelque chose de pédagogique dans une BD ?
La BD est à mon sens pédagogique sur le fond et la forme, d’autant plus si elle est historique, factuelle, documentée. D’ailleurs un certain nombre d’enseignants en français, histoire, arts plastiques se servent de tels supports afin de sensibiliser leurs élèves à un sujet, des thématiques, des témoignages, une façon de raconter des personnages etc. Un ouvrage d’une telle nature est orienté public de passionnés de BD et d’histoire mais pourrait en effet servir de support de cours ou pour sensibiliser un jeune lectorat.
Je vous sais aussi amateur de cinéma : aimeriez-vous parfois adapter, directement ou non, un de vos albums pour un film ou un animé ? Scénariste d’une production audiovisuelle, c’est quelque chose qui vous plaît aussi ?
Je travaille pour des studios d’animation ou d’effets spéciaux sur de la pub, du court-métrage ou des trailers de jeu vidéo. Mon écriture scénaristique est très visuelle, très découpée, car je suis habitué à travailler avec des story-boarders qui ont besoin de clarté dans le propos pour aller à l’essentiel des plans. Donc dans ma tête, mes BD sont déjà des films quelque part.
Vos projets, vos envies surtout pour la suite ? Quels sujets historiques pourriez-vous vouloir traiter, ou d’autres qui ne le seraient pas du tout ?
J’accompagne la sortie de Koursk et de 13 Batailles en ce moment, mais je suis aussi sur la réalisation du tome 2 d’Aléa Drumman et l’écriture d’une histoire concernant certains bâtiments célèbres de Paris. Pour le reste, je suis en train d’écrire 3-4 projets à présenter aux éditeurs : du thriller fantastique, de l’historique portant sur les années 1960 en France, un conte de dark fantasy et une biographie sur une personnalité américaine des années 1950…
Des sujets qui me passionneraient à écrire ? Le contexte de l’Age d’or hollywoodien, et un portrait de Diane Arbus (une célèbre photographe américaine, ndlr).
Réponses datées du 30 octobre 2023.
Un commentaire ? Une réaction ?
Suivez Paroles d’Actu via Facebook, Twitter et Linkedin... MERCI !