« Joséphine, l'étoile de Napoléon » par Françoise Deville
C’est peu dire, à propos du Napoléon de Ridley Scott, qu’il était attendu, et qu’il fait parler depuis sa sortie. Depuis quelques jours, spécialistes et moins spécialistes s’écharpent (gentiment) sur les défauts et les qualités de ce long-métrage à grand budget. Il est paraît-il spectaculaire (je ne sais pas, je ne l’ai pas encore vu) et, selon certains, les plus tolérants parmi les spécialistes, largement romancé, voire pour d’autres, carrément basé sur une lecture erronée ou biaisée de l’histoire napoléonienne (pour rappel, M. Scott n’est pas américain mais britannique).
Il y a cinq ans, j’avais interviewé Françoise Deville, passionnée de la période qui avait publié aux éditions de La Bisquine une belle évocation de la relation entre Bonaparte et sa Joséphine, point paraît-il central dans le film (il le fut dans la réalité).
Moi la Malmaison (Éd. de la Bisquine, avril 2018)
Il y a quelques jours, j’ai proposé à Françoise Deville, qui a vu le film, d’écrire un texte de réaction inédit pour Paroles d’Actu. L’idée lui a plu, et sa contribution, honnête et équilibrée, m’est parvenue le 27 novembre. Bonne lecture, et si vous mettez la main sur son livre, que vous vous appeliez Ridley, Joaquin, Vanessa ou aucun des trois, jetez-y un oeil, il en vaut la peine ! Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
« Joséphine, l’étoile de Napoléon »
par Françoise Deville, le 27 novembre 2023
« Après tout je ne suis qu’un homme » disait Napoléon à Sainte-Hélène et c’est sous cet angle qu’il faut aborder le film de Ridley Scott « Napoléon ». Beaucoup sont déçus, désappointés devant le Napoléon, interprété par Joaquin Phoenix. En effet, plus que le chef militaire, plus que le génie politique, le spectateur se trouve face à l’homme intime dont Joséphine disait qu’il était sensible et gagnerait à être mieux connu.
Le cinéaste met à l’honneur l’histoire d’amour entre Napoléon et son incomparable Joséphine, son alter-ego, merveilleusement interprétée par Vanessa Kirby, troublante de ressemblance. Cette histoire est le fil conducteur du film, mais elle est aussi le fil conducteur de l’ascension de Napoléon au firmament du pouvoir. C’est un couple politique qui s’installe au palais du Luxembourg en novembre 1799, Napoléon fort de ses victoires italiennes et de l’aura de la campagne d’Egypte et Joséphine forte de ses diverses relations politiques et de son époustouflant carnet d’adresse, elle, issue de la plus ancienne aristocratie et veuve d’Alexandre de Beauharnais, un des hommes de pouvoir de la Révolution, président de la Constituante et général en chef de l’Armée du Rhin. Joséphine offre à son époux l’assise familiale, sociale et politique qui lui manque.
Ainsi, Ridley Scott décrit avec une grande justesse la relation des deux amants. Certes, il arrange certaines vérités historiques, non par ignorance, mais pour créer un cadre harmonieux à l’histoire qu’il veut raconter, au Napoléon qu’il veut nous faire découvrir. Ce film est empli de symboles et bouscule le spectateur qui ne reconnait pas le Napoléon flamboyant de l’épopée. Cependant, n’oublions pas que Napoléon est le premier à forger sa légende à Sainte-Hélène en dictant le Mémorial à Las Cases.
Lors des premières images du film, nous voyons la reine Marie-Antoinette, robe élégante et perruque, certes décoiffée, monter sur l’échafaud sous le regard de Bonaparte. Ce dernier n’a pas assisté à cette scène mais au massacre des Tuileries le 10 août 1792. Il est cependant plus symbolique, lui qui va relever le trône, de le faire assister à la décapitation de la reine, habillée en reine déchue. Nous assistons à la fin de la monarchie sous l’œil de celui qui, d’une certaine manière, la restaurera. Si Marie-Antoinette n’est pas habillée, ni coiffée, comme le jour de son exécution le 16 octobre 1793, c’est pour insister sur le symbole de la chute de la monarchie.
« Vivre par Joséphine, voilà l’histoire de ma vie », ce film retrace pertinemment cette histoire d’amour intense faites de sentiments, de complicité, de sensualité et de sexualité. Ridley Scott fait référence à la « petite forêt noire » des lettres d’amour de Bonaparte à Joséphine lorsque cette dernière relève ses jupes devant Napoléon. La gifle donnée lors du divorce n’est autre que la représentation de la gifle morale infligée à Joséphine par cette séparation, elle qui épaula si bien son Bonaparte. L’attente anxieuse du couperet de cette séparation va l’entrainer dans un abîme de chagrin que seule la mort arrêtera. L’image forte de Napoléon présentant le roi de Rome à Joséphine à Malmaison, alors que l’héritier est présenté à Joséphine par la gouvernante de l’enfant, Madame de Montesquiou, à Bagatelle, révèle le lien qui unit à jamais les deux ex-époux. Ce lien est par ailleurs mis en exergue sur le flou laissé sur la date de la mort de Joséphine, le 29 mai 1814, alors que le film laisserait entendre qu’elle décède peu avant les Cent-Jours, en mars 1815. Napoléon reconquiert la France pour l’amour de sa vie. Ridley Scott met en lumière l’amour de Joséphine pour les animaux, particulièrement les chiens. Nous la voyons porter dans ses bras, son petit chien Askim, un loulou de Poméranie, qu’elle chérissait profondément. Je finirai par un dernier symbole de ce film, Napoléon à Sainte-Hélène parlant du fantôme de Joséphine qui le repousse. Cette anecdote est relatée dans les Mémoires de Montholon. Peu avant de mourir, Napoléon raconte à ce dernier qu’il voit le fantôme de Joséphine dans ses rêves et qu’elle disparait à chaque fois qu’il veut l’approcher en lui disant qu’ils vont se retrouver bientôt. Les deux amants unis par-delà la mort.
Ce film retrace avec finesse la vie d’un Bonaparte humain et intime, ce qui ne manque pas de décevoir les admirateurs du génie politique et militaire qu’est Napoléon. L’absence de certains personnages clés, tel Murat, les libertés prises dans la chronologie peuvent choquer la sensibilité des napoléophiles dévoués à l’image de leur héros. Celui-ci ne disait-il pas à Sainte-Hélène « ma vie est un roman ».
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