Franck Médioni : « Ce qui marque chez Michel Petrucciani, c'est le chant solaire qu'il déploie »
C’est une fin janvier musicale que je vous offre sur Paroles d’Actu. Quelques jours après la mise en ligne de mon interview exceptionnelle avec Françoise Hardy (que je salue encore, si elle nous lit), place au jazz avec Franck Médioni, auteur d’une bio fouillée (pas mal de témoignages inédits) et complète sur un personnage attachant, un musicien hors pair : Michel Petrucciani (Michel Petrucciani, le pianiste pressé paru chez L’Archipel). On fait connaissance avec un homme qui, malgré un handicap physique majeur (il était atteint de la terrible maladie dite des "os de verre"), devint un grand du jazz, un homme qui, sachant qu’il ne vivrait pas vieux, vécut sa vie à 100 à l’heure. Un parcours inspirant, pour tous. Merci à M. Médioni pour le partage, et pour l'interview qu’il m’a accordée (22-23 janvier). Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Franck Médioni : « Ce qui marque
chez Michel Petrucciani, c’est le chant
solaire qu’il déploie... »
Michel Petrucciani, le pianiste pressé (L’Archipel, janvier 2024)
Franck Médioni bonjour. Quels ont été vos premiers émois musicaux, et comment en êtes-vous venu à aimer comme vous le faites le jazz ?
J’ai découvert le jazz dès l’adolescence, surtout grâce à la radio : Monk, Charlie Parker, Miles Davis, en même temps que Police, Pink Floyd et Bob Marley.
Vous souvenez-vous de votre découverte musicale de Michel Petrucciani, et de votre ressenti ?
C’était un concert à Fontainebleau, dans les années 90... J’avais été très impressionné par son engagement dans la musique, son énergie, sa musicalité. Sa virtuosité pianistique, son clavier qui chante !
Vous avez eu la chance de le rencontrer, de l’interviewer, que retenez-vous de ces moments passés en sa compagnie ?
Je retiens une grande intelligence, un engagement total dans la musique je l’ai dit, mais aussi sa générosité, et son sourire.
Qu’est-ce qui caractérise le jazz tel qu’il a été pratiqué par Michel Petrucciani ? En quoi s’est-il distingué ?
Michel Petrucciani prolonge brillamment le double héritage d’Oscar Peterson (la virtuosité digitale) et de Bill Evans (les couleurs harmoniques). Et il a créé son propre style : une main droite puissante qui développe ses longues phrases, une main gauche rythmiquement très sûre. Ce qui est vraiment marquant chez Michel Petrucciani, c’est le chant solaire qu’il déploie.
Peut-on dire qu’au-delà de sa maladie, c’est aussi le cadre familial d’où il était issu, l’encadrement hyper-protecteur de ses parents (parce qu’hyper fragile, forcément), étouffant même vous le racontez bien, qui lui a donné envie de se dépasser, et de s’évader ?
Absolument. Handicapé, bloqué par un environnement familial hyper protecteur, il a eu le courage, la force de s’en extraire, de partir aux États-Unis et de voler de ses propres ailes.
Quelles auront été les grandes rencontres artistiques de sa vie ? Et la question vaut dans l’autre sens : quels parcours a-t-il bouleversés ?
Le batteur Aldo Romano, qui l’a découvert et qui lui a permis d’enregistrer pour le label Owl Records. Le saxophoniste Charles Lloyd, grâce à qui il s’est fait connaître aux États-Unis, où il s’est installé : ce musicien lui a fait découvrir un autre horizon musical, notamment le jazz modal. Le contrebassiste Palle Danielsson et le batteur Eliot Zigmund pour un trio exceptionnel, dans les années 80. L’organiste Eddy Louiss, pour l’enregistrement du disque Conférence de presse. Le violoniste Stéphane Grappelli, pour Flamingo. Le bassiste Anthony Jackson et le batteur Steve Gadd, son dernier trio.
A-t-il connu, en France notamment, un succès à la hauteur à votre avis de celui qu’il méritait ? Plus généralement, est-ce qu’on est, ici, suffisamment réceptifs au jazz ?
Oui, il était très connu en France, bien au-delà de la sphère jazz. Je pense que l’on est relativement peu réceptifs au jazz. Question principalement d’éducation musicale, et de médiatisation.
Sa différence physique, qui a surtout été cause de grandes souffrances, et occasionné des difficultés qu’on imagine mal, peut-on dire qu’elle a, bien malgré lui, aidé au départ à ce que le public s’intéresse à lui, même si rapidement, les mélomanes ont oublié cela pour se laisser emporter par sa musique ?
Oui, au début, son handicap a créé la surprise et un certain voyeurisme. On voulait assister au phénomène de foire... Puis on a fait abstraction de son handicap, et on a vraiment écouté le musicien.
Beaucoup de témoignages dans votre livre, touchant notamment à ses traits de caractère : une fragilité incontestable mais aussi une force de vie hors du commun, et apparemment un grand sens de l’humour. Qu’est-ce que l’homme Michel Petrucciani vous aura inspiré ? Un côté follement "inspirant", justement ?
Oui, c’est un homme très humain, fragile, drôle, très attachant. Et j’avoue avoir pris beaucoup de plaisir à mener l’enquête, à suivre ce bonhomme extraordinaire dans son parcours de vie mené à cent à l’heure.
Trois qualificatifs qui lui iraient bien ?
Intelligent. Drôle. Solaire.
Rapidement il est parti aux États-Unis, voir comment la musique se faisait là-bas. Qu’a-t-il aimé outre-Atlantique, et qu’est-ce qui, a contrario, lui a déplu là-bas par rapport à la France ?
Aux USA, il a aimé la culture, les gens. Et il a beaucoup aimé les musiciens de jazz américains, leur exigence, leur exactitude rythmique.
Est-ce qu’à votre avis, s’agissant du jazz et même, d’autres types de musique, l’Amérique reste toujours aujourd’hui un eldorado avant-gardiste ?
Le jazz est né aux USA et demeure le cœur battant du jazz. Et oui, ce pays demeure à la pointe de l'avant-garde jazzistique.
Que reste-t-il de l’œuvre de Michel Petrucciani ? Est-ce qu’on le joue toujours ? Est-ce qu’on le diffuse encore, dans les radios jazz ?
Il y a une discographie conséquente. Mais aussi 114 compositions. Elles sont jouées par de nombreux musiciens de par le monde.
Le jazz reste-t-il vivace, un style porteur parmi les jeunes artistes ? A-t-il résisté à l’avènement du rock et de la pop ?
Oui, le jazz est toujours aussi vivace, aux USA comme en Europe.
Les artistes d’aujourd’hui qui vous font vibrer, Franck Médioni ?
Difficile d’établir une liste... Bill Frisell, John Scofield, John Zorn, etc.
Les morceaux de jazz, toutes époques confondues, que vous tenez pour les plus beaux de tous et que vous aimeriez qu’on aille découvrir ?
Body and soul, Laura, God bless the child, Naima, Fleurette africaine.
Vos projets, et surtout vos envies pour la suite ?
Un livre sur Ornette Coleman, un autre sur Billie Holiday.
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