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Paroles d'Actu
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7 novembre 2018

« Commémorer 1918 n'est pas tourner une page, c'est apprendre du passé pour construire l'avenir », par Pierre-Yves Le Borgn'

À quatre jours du centième anniversaire de l’Armistice qui mit fin aux combats de la Première Guerre mondiale, et au lendemain de la publication de l’interview de Sylvain Ferreira sur les derniers feux de l’armée allemande, j’ai l’honneur de vous proposer un texte totalement inédit, dont j’ai proposé l’idée dans son principe à l’ex-député Pierre-Yves Le Borgn, fidèle de ce site. M. Le Borgn’ fut, de 2012 jusqu’à 2017, l’élu de la septième circonscription des Français établis à l’étranger, soit, notamment : l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, et la Hongrie. Certains de ces États constituaient il y a cent ans le cœur du camp ennemi, celui des Empires centraux. D’autres allaient obtenir leur indépendance à la faveur de l’effondrement des puissances vaincues. Une partie importante des drames de l’Europe contemporaine s’est jouée en ces terres, en ces heures ici d’abattement profond, là de soulagement intense, qui dissimulaient mal les nouvelles tragédies à venir. Je remercie chaleureusement Pierre-Yves Le Borgn’, homme d’engagements forts, pour cette contribution touchante et qui, bien que lucide, est porteuse d’un message d’espoir. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Commémorer le centenaire de l’Armistice

de 1918 n’est pas tourner une page, c’est

apprendre du passé pour construire l’avenir. »

Par Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député, le 1er novembre 2018.

Enfants PYLB

Petit tour avec mes deux garçons, Marcos et Pablo, dans le village de mon enfance,

Quimerch (Finistère), le 1er novembre. Je leur ai montré le Monument aux morts de la

Guerre de 1914-18, leur expliquant pourquoi il avait été construit. Ils étaient très intéressés.

 

Le 11 novembre, j’accrocherai un petit bleuet à ma boutonnière, comme tous les ans et avec la même émotion. Cette commémoration de l’armistice de 1918 aura pourtant une force particulière  : elle sera celle du centenaire. Voilà un siècle en effet que les armes se seront tues après quatre années de feu, de drames et de sang. Terrible guerre que ce premier conflit mondial, avec près de 19 millions de morts, d’invalides et de mutilés, dont 8 millions de victimes civiles. Une tragédie qui se lira tout au long du siècle dans la pyramide des âges et que racontent à ce jour encore les monuments érigés dans chaque ville et village, avec la liste des enfants tombés au champ d’honneur, tombés loin, sans parfois qu’une sépulture n’ait pu leur être donnée. Enfant, le voisin de ma grand-mère était un grand mutilé de guerre. Il m’impressionnait. Il me touchait aussi par le peu qu’il disait et surtout par ce qu’il ne disait pas. J’ai voulu parler de lui, rendre hommage à son souvenir et par lui finalement à tant d’autres dans l’un de mes derniers discours de député à l’automne 2016 en Allemagne. Le visage de cet homme humble et digne reste dans ma mémoire comme le symbole d’une rupture ou d’un passage  : tout un monde avait disparu avec la Première Guerre mondiale, un autre arrivait et un siècle nouveau avec lui, mais était-ce pour le meilleur ?

 

« Enfant, le voisin de ma grand-mère était un grand mutilé

de guerre. Il m’impressionnait. Il me touchait aussi par

le peu qu’il disait et surtout par ce qu’il ne disait pas. »


Souvenons-nous de cette phrase du Président du Conseil Georges Clémenceau, le Tigre, au Général Henri Mordacq au soir du 11 novembre 1918  : «  Nous avons gagné la guerre et non sans peine. Maintenant, il va falloir gagner la paix et ce sera peut-être encore plus difficile  ». La suite a tristement et tragiquement donné raison à Georges Clémenceau. Au matin du 11 novembre 1918, quelques heures après la signature de l’armistice dans la forêt de Rethondes, les cloches sonnaient à pleine volée. À quoi pensait-on si ce n’est à la fin des souffrances  ? Au retour des soldats, à l’avenir à construire, aux familles à réunir à nouveau, aux chagrins avec lesquels il faudrait vivre. C’était si compréhensible, si juste également. Tant d’espoirs, tant d’attentes et, somme toute, tant d’illusions aussi, nourries par ces années de souffrance, avec le risque que le silence des armes puisse être confondu avec la paix. Or, la paix était un autre type de combat, dès lors qu’il s’agissait de bannir les nationalismes, de construire le droit international et d’assurer par une organisation mondiale, la Société des Nations, les bases de la paix future. Ce combat-là, consacré par le Traité de Versailles en juin 1919, ne fut pas gagné. Des clauses inappliquées, des prétentions inapplicables, une organisation internationale qui sombre peu à peu. Et la montée au tournant des années 30 du fascisme et du nazisme, à mesure que les démocraties se couchaient.

 

« Tant d’espoirs, tant d’attentes, et tant d’illusions aussi,

nourries par ces années de souffrance, avec le risque

que le silence des armes puisse être confondu avec la paix. »

 

Je me suis souvent interrogé sur les conditions de la paix, les conditions de toute paix. Je l’ai fait comme étudiant, puis comme citoyen et durant cinq années comme parlementaire. Faut-il, par crainte de perdre la paix, accepter le fait accompli, l’agression à l’égard d’un peuple ou d’un pays, la violation caractérisée du droit  ? La paix commande de faire un pas l’un vers l’autre, au-delà de la qualité de vainqueur ou de vaincu, de vouloir dépasser tous les atavismes et donner une chance à l’avenir en l’organisant par le droit. La paix entre la France et l’Allemagne, que des siècles d’affrontements condamnaient à l’hostilité, s’est forgée grâce au courage de quelques hommes d’État, en particulier Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, et par la mobilisation formidable de la société civile. Elle s’est construite par le partage du charbon et de l’acier, puis par l’intégration des États d’Europe dans un processus fédéraliste que je veux croire irréversible. Rien de cela malheureusement n’était encore imaginable aux lendemains du 11 novembre 1918. Il aura fallu deux conflits mondiaux, l’un découlant pour partie de l’autre, pour que l’Europe se prenne en main et pose les bases d’un monde nouveau autour des valeurs de liberté et de solidarité. Mais la paix, c’est aussi la fermeté et l’intransigeance, c’est un combat pour le droit et le respect du droit se défend, fut-ce au prix de tensions comme la situation en Ukraine nous le rappelle.

 

« Faut-il, par crainte de perdre la paix, accepter

le fait accompli, l’agression à l’égard d’un peuple

ou d’un pays, la violation caractérisée du droit ? »

 

Vouloir la paix n’est pas baisser la garde. C’est rester vigilant, demeurer imaginatif, agir pour le droit et par le droit. C’est vivre avec l’idée que la folie, le mépris, les envies et les haines peuvent surgir à nouveau. L’époque que nous traversons n’est pas sans inquiéter. En octobre 1938, juste après les accords de Munich, Winston Churchill, s’adressant au Premier ministre britannique Neville Chamberlain, avait eu cette phrase terriblement prémonitoire  : «  Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur  ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre  ». C’est avec l’histoire au cœur, ses tragédies et ses fulgurances aussi, qu’ému, je penserai le 11 novembre aux victimes de la Première Guerre mondiale. Député, parcourant les Balkans occidentaux, je m’arrêtais dans tous les cimetières français du front d’Orient pour honorer, ceint de l’écharpe tricolore, les nôtres tombés là-bas, pour qu’ils ne soient pas oubliés. Ces moments étaient forts. Commémorer un centenaire n’est pas tourner une page. C’est apprendre du passé. Il n’y a pas de fatalité à ce que des générations soient sacrifiées, des jeunesses fauchées, des vies brisées. Je n’oublie pas que je suis le fils d’une pupille de la Nation. Je sais ce que «  mort pour la France  » veut dire. Je l’ai lu toute ma jeunesse sur une tombe qui me raconte l’histoire des miens. Et c’est pour cela, avec tant d’autres, par millions, chez nous et ailleurs, que j’ai mis depuis toujours mes espoirs et mes rêves dans la construction de l’Europe. L’avenir, c’est le droit. L’avenir, c’est l’Europe.

 

« Il n’y a pas de fatalité à ce que des générations

soient sacrifiées, des jeunesses fauchées, des vies brisées.

Je sais ce que "mort pour la Franceveut dire. Et c’est

pour cela, avec tant d’autres, que j’ai mis depuis toujours

mes espoirs et mes rêves dans la construction de l’Europe. »

 

PYLB 1918

Photo prise en avril 2016 au cimetière français de Bitola (Macédoine),

où sont enterrés plus de 13 000 soldats français du front d’Orient.

 

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6 novembre 2018

Sylvain Ferreira : « N'oublions pas qu'en 1918, nos anciens étaient fiers, aussi, d'avoir vaincu les Allemands... »

Dans cinq jours, le 11 novembre de cette année 2018, sera commémorée, dans le recueillement la fin de la Première Guerre mondiale, la fin d’un choc de blocs ayant provoqué des souffrances, des dégâts inouïs, et abouti sur l’effondrement de systèmes de gouvernement qu’on croyait solides quatre ans plus tôt. Dans cinq jours, cent ans auront passé depuis qu’un armistice a mis fin à cette guerre, si effroyable qu’on s’était promis qu’elle ne pouvait qu’être la « der des der ». Mais à peine vingt ans après, tous les éléments seraient réunis pour un remake, encore plus terrible. Mais tenons-nous-en, pour l’heure, à 14-18. Je vous propose, pour cet article, une rencontre avec Sylvain Ferreira, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages historiques, dont celui qui nous occupe aujourd’hui : L’inévitable défaite allemande - Mars-juillet 1918, paru chez LEMME Edit. Une lecture que je vous conseille, parce que le livre est très bien documenté, et qu’il nous sensibilise à des considérations militaires qui ne sont pas vraiment « grand public », mais fort éclairantes. Interview exclusive, d’un passionné qui n’a pas la langue dans sa poche. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

L'inévitable défaite allemande

L’inévitable défaite allemande - Mars-juillet 1918, publié par LEMME Edit, 2018.

 

Sylvain Ferreira (l’auteur)

Q. : 30/10/18 ; R. : 05/11/18. 

Sylvain Ferreira

 

« N’oublions pas qu’en 1918, nos anciens étaient fiers,

aussi, d’avoir vaincu les Allemands... »

  

Sylvain Ferreira bonjour, et merci de m’accorder cette interview autour de votre ouvrage L’inévitable défaite allemande - Mars-juillet 1918, paru chez LemmeEdit (collection Illustoria) en juin dernier. Voulez-vous nous parler un peu de vous ? D’où vous vient ce goût, et à ce stade on peut dire « passion », des affaires militaires ?

pourquoi les affaires militaires ?

Ma famille paternelle a été décimée par le conflit et j’ai eu la chance de connaître assez longtemps mon arrière-grand-mère, veuve de guerre, pour d’abord m’intéresser à la Grande Guerre, mais uniquement sous un angle familial. Pour l’aspect historique plus général, j’ai d’abord été fasciné par les guerres napoléoniennes et la guerre de Sécession tout au long de mon adolescence. Puis, je me suis « spécialisé » dans la Seconde Guerre mondiale pendant de longues années, avant d’accepter d’étudier la Grande Guerre d’un autre regard à partir de 2009, date à laquelle j’ai commencé à visiter les grands sites des combats sur le front occidental. À travers toutes mes recherches, au-delà du déroulement des combats et des opérations, je me suis toujours intéressé aux questions de stratégies et de commandement. Aujourd’hui, l’essentiel de mes travaux (articles ou livres) s’intéresse en priorité à ces questions sur la période entre 1850 et 1945 qui marque l’émergence de l’art opératif.

 

L’art opératif... vous pouvez préciser ?

Même si personne n’a encore défini précisément ce qu’est l’art opérationnel de la même manière que la stratégie ou la tactique, je dirais qu’il s’agit de l’articulation entre les deux et qu’il est apparu suite à la disparation progressive de la notion de bataille sur un point fixe à partir du milieu du 19e siècle. La première mention du terme « opératif » apparaît sous la plume du penseur allemand Schlichting dans son ouvrage Taktische und strategische Grundsätze der Gegenwart en 1898.

 

Pourquoi cet ouvrage ? Pourquoi avoir choisi de consacrer toute une étude aux derniers feux de l’armée allemande sur le front occidental, et notamment aux prises de décision de ses têtes pensantes, au premier chef desquels Ludendorff ?

focus sur l’armée allemande

Depuis que j’étudie l’histoire militaire, j’ai découvert avec une certaine stupéfaction que l’armée prussienne puis l’armée allemande était perçue comme supérieure aux autres armées européennes, de la guerre de 1870 à la Seconde Guerre mondiale. Or, l’étude des faits permet de comprendre qu’il s’agit d’un mythe fabriqué de toutes pièces, à la fois par les généraux allemands, mais aussi par leurs adversaires et en particulier par une certaine historiographie française - notamment en ce qui concerne la Grande Guerre. En 2014, j’ai commencé à m’intéresser au déroulement des opérations de septembre 1914 communément appelées « bataille de la Marne ». J’ai découvert à travers les travaux du professeur Hermann Plot, un universitaire allemand, que le « miracle » de la Marne, comme les Français l’appellent, n’en était pas un et qu’au contraire, tout dans le plan allemand (Schlieffen-Moltke) portait les germes de la défaite allemande. Par ailleurs, j’ai découvert que l’exercice du commandement par Joffre et son état-major avait été beaucoup plus efficace et moderne que celui de son homologue allemand Moltke le Jeune. Partant de ce constat, j’ai publié un premier ouvrage sur cette question pour démonter ce mythe. Il m’est ensuite apparu comme une évidence d’effectuer la même démarche au sujet de l’échec des offensives dites « Ludendorff » entre mars et juillet 1918. Elles sont en effet marquées du même sceau de faiblesse conceptuelle. Si les Allemands ont pris une certaine avance dans le domaine tactique au cours de la Grande Guerre, ils font preuve de carences importantes en matière de pensée stratégique et ne voient pas émerger l’art opératif.

 

« Très doués dans le domaine tactique, les Allemands

font preuve de carences importantes en matière de

pensée stratégique durant la Grande Guerre. »

 

On a dit de la Prusse qu’elle était « une armée possédant un État ». Pendant la Première Guerre mondiale, dans quelle mesure l’effort de guerre totale allemand est-il conduit par les militaires ? L’organisation au sein du  Reich est-elle, sur ce point, bien différente de ce qu’on peut retrouver en France ou au Royaume-Uni, ou même en Russie ou en Autriche-Hongrie ?

les militaires aux commandes ?

Cette citation, qui remonte au 18e siècle, est encore en partie vraie lorsqu’éclate la Grande Guerre. Les plans de guerre conçus par le Grand État-Major ne sont absolument pas soumis au contrôle et encore moins à l’approbation du pouvoir politique civil de l’empire allemand. Dès 1913, son chef Moltke le Jeune persuade le Kaiser que plus vite la guerre interviendra, mieux ce sera pour les desseins du Grand État-Major. Dès la déclaration de guerre en août 1914, le Kaiser ne fait qu’approuver les décisions prises par une poignée d’officiers. À partir de 1916, lorsque le tandem Hindenburg-Ludendorff prend la tête du Grand État-Major, l’empire sombre dans une véritable dictature militaire – qualifiée de dictature silencieuse - qui régit bien sûr les opérations militaires mais aussi l’économie et la diplomatie sans laisser le pouvoir civil exercé ses prérogatives. Même en Russie, le tsar autocrate n’exerce pas un tel pouvoir, et bien sûr on ne trouve rien de comparable en France ou en Grande-Bretagne.

 

« À partir de 1916, l’empire allemand sombre

dans une véritable dictature militaire. »

 

Qui est Erich Ludendorff, et quelle est sa place dans le dispositif de planification militaire allemand ? À quels faits, et à quelles figures doit-il son ascension ?

qui est Ludendorff ?

Il est le pur produit de la militarisation de la société impériale née de la victoire contre la France en 1871. Bien qu’issu d’un milieu bourgeois, il choisit la carrière des armes et montre un talent certain au cours de ses études, ce qui lui permet de gravir tous les échelons de la hiérarchie pour accéder au Grand État-Major en 1894. Brillant tacticien, il se fait remarquer par son plan audacieux pour s’emparer des forts de Liège dès le mois d’août 1914, avant d’être transféré sur le front russe où il se fait encore remarquer lors de la victoire de Tannenberg par Hindenburg. Dès lors, il forme un duo avec ce dernier qui le propulsera au poste prestigieux de premier quartier-maître du Grand État-Major en 1916. Si ses connaissances tactiques sont impressionnantes, c’est un piètre stratège incapable de concevoir un plan stratégique à la hauteur du poste qu’il occupe. 

 

Comment qualifier la situation militaire et les rapports de forces sur le front occidental, les premiers mois de 1918 ? Existe-t-il, d’un côté ou de l’autre, le sentiment d’un avantage décisif sur l’adversaire, après le retrait des Russes, après l’entrée des Américains dans la guerre ?

début 1918, l’état du front

Tous les belligérants savent que 1918 sera une année décisive en raison de l’armistice imminent entre les Allemands et le gouvernement bolchevik d’une part, et d’autre part en raison de la montée en ligne progressive des divisions américaines qui poursuivent leur arrivée et leur instruction en France. Les Alliés savent qu’au cours des premiers mois de l’année les Allemands vont bénéficier d’une supériorité relative en nombre de divisions sur le front occidental grâce au transfert d’une partie des divisions qui combattaient jusqu’alors en Russie. Ils s’attendent donc à ce que les Allemands lancent une ou plusieurs offensives pour obtenir la décision. Mais cette attente est sereine car, notamment côté français, Pétain a pris soin de mettre en place de puissantes réserves mobiles pour intervenir rapidement sur le ou les points où porteront les coups allemands. Ludendorff de son côté est persuadé que la maîtrise tactique et la supériorité numérique momentanée de l’armée allemande lui permettront de rompre enfin le front et de dissocier l’armée britannique de l’armée française pour négocier une paix favorable au Reich. Certains de ses subordonnés soulignent pourtant, qu’à leurs yeux, l’armée impériale ne dispose de moyens humains et matériels que pour mener UNE seule grande offensive.

 

Vous expliquez dans votre livre que la défaite allemande est liée, sur le plan militaire, à la médiocrité de Ludendorff s’agissant de la définition d’objectifs stratégiques clairs, alors qu’il excellait sur les questions tactiques. Y a-t-il, chez lui et au sein du staff allemand de planification de la guerre, un déficit réel sur les questions stratégiques et comment cela se manifeste-t-il ?

les Allemands et la pensée stratégique

Effectivement, Ludendorff, excellent tacticien, ne maîtrise absolument pas les fondamentaux de la stratégie comme le souligne l’historien Holger H. Herwig : « La vérité c’est que Ludendorff n’a jamais dépassé le niveau intellectuel d’un colonel de régiment d’infanterie. » Pour Ludendorff, l’emploi massif des troupes d'assaut – Stosstruppen – soutenues massivement par l’artillerie suffira pour emporter la décision. À aucun moment, et ce malgré les remarques de certains chefs d’état-major des armées impliqués dans ses plans, il ne désignera d'objectifs opérationnels et stratégiques clairs (ex : Amiens lors de l'opération « Michaël » ou Hazebrouck pendant l'opération « Georgette »). Si certains généraux allemands ont compris les limites de Ludendorff et qu’ils les soulignent et font des contre-propositions, personne ne songe à remettre son autorité et ses décisions en question. Le rapport de subordination est bien trop fort dans la culture militaire prussienne pour l’envisager. Même le Kronprinz de Bavière Rupprecht, qui est probablement le meilleur officier général du Reich au cours de la guerre, ne se l'autorise pas malgré son rang.

 

« Si certains généraux allemands ont compris les limites

de Ludendorff sur le plan stratégique, personne ne songe

à remettre son autorité et ses décisions en question. »

 

Le 26 mars 1918, un commandement militaire unique est (enfin !) instauré chez les Alliés, en la personne du général Foch. Est-ce qu’on assiste alors à un tournant de la guerre, et quelle postérité cette décision aura-t-elle s’agissant de l’organisation future des guerres, entre alliés ?

Foch et le commandement unique

C’est effectivement un tournant décisif pour les Alliés dont les effets positifs se ressentent autant sur le front franco-belge que sur les fronts dits périphériques, en Italie et sur le front d’Orient. On peut bien sûr penser qu’en 1939, et a fortiori en 1942-43, les Alliés occidentaux s’inspireront de cet exemple lors de la nomination d’Eisenhower à un poste comparable.

 

Un point très intéressant de votre ouvrage : sur le plan tactique, on constate que de nombreux officiers de tous les pays (dont la Russie, supposément arriérée), réfléchissent sur le terrain à la manière optimale d’utiliser leurs ressources, et notamment les outils de choc que sont l’artillerie et les chars. Dans son ouvrage Vers l’armée de métier (1934), le lieutenant-colonel Charles de Gaulle prônait des idées innovantes, et notamment la mise en oeuvre de divisions de blindés mobiles et autonomes. Ses écrits furent lus dans plusieurs pays, et dans leur esprit, on les retrouve appliquées notamment par l’Allemagne hitlérienne lors de ses foudroyantes Blitzkrieg (avec l’appui décisif et novateur d’une aviation forte). Dans quelle mesure peut-on considérer que ces idées-là sont déjà en germe, à la fin de la Première guerre mondiale ? La guerre éclair a-t-elle déjà été théorisée, en 1918 ?

technologies et guerre éclair

Les combats de 1918 s’appuient effectivement sur la prise en compte de nouveaux matériels (avions et chars de combat) pour emporter la décision. Des penseurs comme le général Estienne (le père des chars français) ou le britannique Liddell Hart commencent à conceptualiser l’emploi des chars. Pétain prend des dispositions pour créer une vraie coopération interarmes entre les chars, l’artillerie et l'aviation. Les bases de réflexion qui déboucheront sur le concept de Blitzkrieg sont donc jetées en 1918. Mais aucune d’entre elles ne prendra en compte l’émergence de l’art opératif, dont seule l’armée tsariste avait pourtant ébauché certains principes au cours l’offensive Broussilov en juin 1916. Cela explique qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Blitzkrieg participera de la même mystification quant à la supériorité de la Wehrmacht alors que cette stratégie a montré toutes ses limites lorsqu'elle a trouvé face elle une Armée rouge remise en selle à partir de 1944 et qui elle maîtrisait déjà les concepts théoriques de l'art opératif depuis les années 30. Paradoxalement, ce sont les Soviétiques qui tireront les vrais enseignements théoriques de la Grande Guerre. Leurs échecs de 1941 et 1942 sont essentiellement liés aux purges menées par Staline contre l'Armée rouge en 1937, pas à un problème conceptuel.

 

« Les bases de réflexion qui déboucheront

sur le concept de Blitzkrieg sont jetées en 1918.

Mais aucune d’entre elles ne prendra en compte

l’émergence de l’art opératif. »

 

On le voit bien dans votre livre, la situation logistique est très dégradée du côté des Empires centraux en fin de conflit (la réaction des soldats allemands après leur découverte de dépôts de vivres alliés pleins à craquer est en ce sens significative), signe d’un épuisement marqué et désormais critique de l’Empire allemand (pour ne rien dire de l’Autriche-Hongrie, où c’est sans doute pire). Y a-t-il véritablement, sur cette question de l’épuisement de l’économie et du pays, dissymétrie entre les Puissances centrales et les Alliés ? En est-on arrivé, à la fin de la guerre, à un degré de pourrissement rendant inévitables pour Berlin et pour Vienne les violences révolutionnaires ?

effondrement d’empires

La situation économique et sanitaire des Empires centraux, dans lesquels il ne faut oublier l’empire ottoman, est effectivement catastrophique comparé aux mesures de rationnement mises en œuvre en France et en Grande-Bretagne, notamment lors du pic dans la guerre sous-marine à outrance au printemps 1917. Le blocus mené par la Royal Navy provoque dès octobre 1914 des pénuries de certaines matières premières essentielles à l’industrie de guerre allemande, qui d’ailleurs tient à bout de bras ses deux alliés. Puis, au cours des années suivantes, à mesure que le blocus allié se renforce, la pénurie touche également l’alimentation et l’approvisionnement en médicaments. En 1918, les populations des empires centraux sont à bout physiquement ! La malnutrition a des effets terrifiants sur la mortalité enfantile. Les carences alimentaires sont telles que l'armée impériale n'est pas épargnée, et la condition physique des combattants s’en ressent. Dès lors, il est indéniable que cette situation délétère ne pouvait qu’engendrer des violences populaires qui se transformeront en mouvements révolutionnaires.

 

« La situation économique et sanitaire

des Empires centraux est, à la fin de la guerre,

bien plus dégradée que chez les Alliés. »

 

Après l’armistice, Ludendorff comptera, avec d’autres, parmi ceux qui porteront la théorie du « coup de poignard dans le dos », qui aurait été infligé par les politiques corrompus, internationalistes, et pour tout dire juifs, à l’armée allemande : cette dernière, invaincue sur les champs de bataille, aurait été acculée à endosser une défaite humiliante et imméritée. Hitler reprendra allègrement cette thèse, avec des dégâts incalculables dans les esprits, puis dans les événements à venir. Mais, quand on se reporte à votre livre, on se surprend à constater que, régulièrement, alors qu’à bout de souffle, l’armée allemande entreprend de nouvelles opérations, ambitieuses et qui, parfois, manquent percer le front. On se dit que cette armée allemande avait « du ressort ». Jusqu’à quand en a-t-elle eu, réellement ?

quand l’Allemagne a-t-elle perdu la guerre ?

Selon moi, l’armée allemande a commencé à ne plus croire en sa victoire à partir de juin 1918 après l’offensive démarrée sur le Chemin des Dames le 27 mai. Le moral des combattants est bien trop atteint par l’ampleur des pertes et la désillusion règne. Cela engendre d’ailleurs les premiers mouvements d’insubordination massifs des permissionnaires qui refusent de quitter l’Allemagne pour regagner le front. Les scènes de désobéissance se multiplient alors dans les gares des grandes agglomérations allemandes. Mais sur le plan purement militaire, comme le souligne le général von Hutier le 27 mars 1918, la guerre était perdue avant même la fin de l’opération « Michaël », car les réserves dont disposait alors l’armée impériale ne suffisaient déjà plus pour emporter la décision. La poursuite aveugle des offensives par Ludendorff malgré des succès tactiques sans lendemain constitue à mes yeux un crime contre le peuple allemand, pour avoir gaspillé la jeunesse allemande dans d’inutiles combats.

 

« La poursuite aveugle des offensives par Ludendorff

constitue à mes yeux un crime contre le peuple allemand,

pour avoir gaspillé la jeunesse allemande

dans d’inutiles combats. »

 

Est-ce que, pour vous, la guerre de 1939-45 fut une suite logique de celle de 1914-18 ? Était-elle en germe dans les traités de paix ?

1939-45, suite logique à 1914-18 ?

Je pense comme beaucoup d’historiens qu’on doit aborder la période 1914 – 1945 comme une « nouvelle » guerre de Trente Ans que les traités de paix n’ont pas su empêcher. Mais néanmoins, je récuse une partie de l’accusation qui pèse sur la diplomatie française qui n’aurait pas su ménager l’Allemagne vaincue en oubliant que les exigences françaises s’appuyaient sur un constat des terribles destructions opérées délibérément par les Allemands en 1917 lors de l’opération « Alberich » et surtout entre juillet et novembre 1918, à mesure de leur repli vers leurs frontières. Si on ne mesure pas clairement et précisément l’ampleur de ces destructions, on ne peut pas apprécier correctement la démarche française lors des négociations à Versailles. Selon moi, les diplomaties britannique et américaine sont bien plus « fautives » que la nôtre dans leur double jeu, pour n’avoir pas voulu voir la France asseoir de nouveau sa prépondérance sur le continent.

 

« Si on ne mesure pas clairement et précisément

l’ampleur des destructions par les Allemands,

on ne peut pas apprécier correctement

la démarche française lors des négociations à Versailles. »

 
 
Nos générations ont-elles « oublié » ce que fut le 11 novembre 1918, cet immense soulagement après une boucherie inouïe ? Et si oui, est-ce dommageable ?

la Grande Guerre aujourd’hui ?

Je pense qu’une partie de nos générations a surtout oublié que le 11 novembre, le soulagement était aussi important dans la population française que la fierté d’avoir vaincu les Allemands. Les courriers trouvés dans ma famille soulignent les deux phénomènes, et il est très grave à mes yeux de vouloir gommer depuis plusieurs décennies cette fierté de nos aïeuls d’avoir tout simplement gagné la guerre !

 

Il y a eu débat, récemment, à propos de la bonne manière de commémorer le centenaire de l’armistice. Il semblerait que le président Macron ait préféré opter pour une solution sans parade militaire, pour ne pas froisser les Allemands, avec lesquels nous entendons toujours constituer l’avant-garde de l’Europe communautaire. Que vous inspire ce débat ?

quelles commémorations ?

Le président s’inscrit dans une démarche lamentable de soumission à l’égard de l’Allemagne, qui a depuis longtemps pris la place du pilote dans le couple franco-allemand. Comme je l’ai expliqué plus haut, les Français de 1918 étaient fiers d’avoir vaincu l’empire allemand et ses volontés hégémoniques sur le continent européen. Le 11 novembre rime avec cette victoire et, n’en déplaise à madame Merkel, nous sommes encore un pays souverain qui, à l’exemple de ce que furent les commémorations du 50e anniversaire en 1968, doit célébrer son histoire et sa grandeur sans que ses ennemis d’hier ne se sentent rejetés ou vexés. Il y a 50 ans, le général de Gaulle, ancien combattant de la Grande Guerre, avait parfaitement réussi à commémorer cette victoire dans la plus grande dignité et dans un grand moment de communion nationale.

 

Vos projets, vos envies pour la suite, Sylvain Ferreira ? De nouveaux ouvrages en prévision ?
 
Je viens de sortir un ouvrage sur la guerre de Sécession chez Economica, La campagne de Virginie de Grant (1864) dans lequel je reviens une fois encore sur les origines de l’art opératif. Je démarre par ailleurs la rédaction d’un hors-série du magazine Batailles & Blindés (Caraktère) sur les dix derniers jours du 3e Reich. Je travaille également avec Serge Tignière et l’équipe de l’émission « Champs de Bataille » sur les scénarios des prochains épisodes dans lesquels j’interviendrai, sur la bataille de la Somme et la campagne de France en 1940.

 

Un dernier mot ?

Je dédie tout le travail que j’ai accompli depuis 2013 pour le Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, ainsi que mes trois livres (Dardanelles..., La Marne..., et L’inévitable défaite allemande) à mes aïeuls « Morts pour la France », et en particulier à mon arrière-grand-père Achille Moutenot, toujours porté disparu devant Juvincourt, depuis le 18 avril 1917.

 

Achille Moutenot

Photo : Achille Moutenot, aïeul de S. Ferreira.

33 ans et père de trois enfants, il était membre du 82e RI,

et tomba face à lennemi près de Juvincourt (Aisne), le 18 avril 1917.

 

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28 octobre 2018

« L'Arabie saoudite, de puissance de statu quo à facteur de déstabilisation du Moyen-Orient », par Olivier Da Lage

La disparition du journaliste Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, au début de ce mois, a provoqué dans les chancelleries de vives critiques, et quelques non moins vifs embarras, à mesure que s’établit la responsabilité du pouvoir saoudien dans cette affaire. Cible de tous les regards, le prince héritier déjà tout-puissant Mohammed ben Salmane, dit « MBS », 33 ans. Il y a onze mois, le journaliste de RFI spécialiste de la péninsule arabique Olivier Da Lage avait répondu à mes questions à propos de MBS et de la révolution de palais qu’il venait de mener, à la manière d’un Louis XIV en sa jeunesse. Il a accepté d’écrire pour Paroles d’Actu le présent article, qui pose un constat sévère quant aux politiques actuelles du royaume, et aux complaisances des uns, et des autres. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Jamal Khashoggi

Portrait de Jamal Khashoggi. Photo © Jacquelyn Martin/AP/SIPA.

 

« Comment l’Arabie saoudite, puissance de statu quo,

est devenue un facteur de déstabilisation du Moyen-Orient. »

par Olivier Da Lage, le 27 octobre 2018

Depuis le 2 octobre et la disparition de Jamal Khashoggi au consulat général d’Arabie saoudite à Istanbul, le monde entier découvre, horrifié, quel personnage est vraiment Mohammed ben Salmane, dit MBS, le prince héritier saoudien.

Naguère encore, il était encensé par une grande partie des médias occidentaux comme le dirigeant réformateur qui allait moderniser au pas de charge son pays englué dans des pratiques moyenâgeuses.

Sur le plan économique, Mohammed ben Salmane devait sevrer le royaume de sa dépendance aux hydrocarbures, mettre au travail les Saoudiens en mettant fin à l’omniprésence de l’État dans l’économie et en développant le secteur privé, notamment en attirant les investisseurs étrangers et en privatisant 5 % du capital de Saudi Aramco.

Sur le plan social, ce jeune dirigeant d’à peine 33 ans se montrait en phase avec la jeunesse du pays (les moins de 30 ans représentent 60 % de la population d’Arabie saoudite) en mettant enfin un terme à l’interdiction de conduire des femmes, en ouvrant des salles de cinémas, en autorisant les concerts, etc.

Bref, Mohammed ben Salmane faisant entrer de plain-pied l’Arabie saoudite dans le XXIe siècle. Vu à travers le prisme des articles louangeurs décrivant les Douze travaux de cet Hercule des temps modernes, c’était en quelque sorte un Macron saoudien. Certes, avec des méthodes brutales que permet un régime absolutiste dans lequel toute opposition est légalement assimilée au terrorisme, mais, avec indulgence, les gazetiers séduits louaient son sens de l’efficacité plutôt que d’insister sur l’embastillement des opposants ainsi que des princes et hommes d’affaires susceptibles de lui faire de l’ombre.

Mais du coup, on s’interroge : comment ce jeune homme pressé de moderniser son pays et d’obtenir la reconnaissance internationale pour que les capitaux s’investissent dans le royaume a-t-il pu laisser faire (interprétation charitable) ou ordonner (interprétation plus vraisemblable) la torture et l’assassinat d’un dissident qui ne remettait même pas en cause le régime saoudien ?

La réponse est simple : parce qu’on l’y a encouragé. «  On  » étant d’une part son père, le roi Salman et d’autre part les principaux pays occidentaux, États-Unis en tête, suivis par le Royaume-Uni et la France.

Son père, qui dès son accession au trône en janvier 2015, l’a propulsé ministre de la Défense à l’âge de 29 ans, et a écarté l’un après l’autre tous ses rivaux potentiels jusqu’à en faire son prince héritier en juin 2017, est évidemment le principal responsable. Il n’est pas le seul.

 

MBS Trump et Kushner

M. ben Salmane, D. Trump et J. Kushner. Photo © Jonathan Ernst/Reuters.

 

Donald Trump, qui à l’évidence, a passé un pacte avec lui par l’intermédiaire de son gendre Jared Kushner dès avant l’élection présidentielle de novembre 2016, ainsi que l’ont révélé plusieurs enquêtes approfondies publiées ces derniers mois aux États-Unis, s’appuie sur lui dans sa politique anti-iranienne. Il compte sur l’Arabie pour soutenir les ventes d’armes américaines et pour garantir une production de pétrole suffisante pour que le gallon d’essence soit suffisamment bon marché pour son électorat. En échange, il a clairement dit dès son premier voyage à l’étranger qu’il a réservé à l’Arabie Saoudite en mai 2017 qu’il n’avait aucune intention de donner des leçons sur les droits de l’Homme.

Mais si la responsabilité de Trump est avérée dans le sentiment d’impunité que ressent MBS, la France et le Royaume-Uni ne sont pas exempts de reproches. L’une et l’autre vendent des armes au royaume qui, en dépit de ce que l’on affirme dans les cercles officiels, sont pour partie au moins utilisées par les Saoudiens au Yémen. Qui plus est, la France participe, par ses moyens satellitaires, à la sélection des cibles qui sont bombardées au Yémen par l’aviation saoudienne. Et lorsque – rarement – le Quai d’Orsay s’émeut de bavures particulièrement graves lors de bombardements qui ont provoqué de nombreuses victimes civiles yéménites, la compassion française pour les victimes ne va pas jusqu’à mentionner le nom du pays à l’origine des bombardements.

Pareillement, lorsque le 2 janvier 2016, le pouvoir saoudien a procédé à l’exécution d’opposants chiites dont certains n’avaient commis aucun acte de violence, parmi lesquels l’influent cheikh Nimr al Nimr, il a fallu attendre une journée complète pour que le porte-parole du Quai d’Orsay «  déplore profondément  » ces exécutions. Cette «  déploration  », cela mérite d’être précisé, n’a entraîné aucune conséquence et, en termes diplomatiques, n’est en rien l’équivalent d’une «  condamnation  », terme en revanche employé de façon routinière s’agissant de l’Iran ou du Nicaragua comme tout un chacun peut le constater à la lecture des communiqués du ministère des Affaires étrangères sur le site du Quai d’Orsay.

Comment s’étonner que Mohammed ben Salmane ait pu y voir autre chose qu’un alignement de feux verts placés sur sa route par les grandes puissances  ? On a voulu voir en lui ce prince moderniste qu’il affirme être sans écouter l’autre partie de son discours, celle dans laquelle, affirmant qu’il n’est pas le Mahatma Gandhi, il fait l’éloge de l’absolutisme comme garant de l’efficacité (déclarations à la presse américaine lors de sa tournée au printemps 2018).

Longtemps, l’Arabie saoudite a été considérée par les pays occidentaux comme une puissance de statu quo, un facteur de stabilité au Moyen-Orient. Au vu de l’expérience de ces quatre dernières années (guerre du Yémen, kidnapping du premier ministre libanais, blocus du Qatar, assassinat du Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul…), le moment est venu d’admettre que ce n’est plus le cas et d’en tirer les nécessaires conclusions.

 

« Le moment est venu d’admettre que l’Arabie saoudite

n’est plus un acteur de stabilité, et d’en tirer

les nécessaires conclusions... »

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage.

 

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8 octobre 2018

« N'Golo Kanté sera encore présent en 2022. Comment voulez-vous qu'une malédiction nous touche ? » (L. Bacon, J. Choquet)

Il y a un peu moins de trois mois, le 15 juillet en début de soirée (heure française), l’équipe de France de football décrochait, en Russie, sa deuxième étoile de championne du monde en battant, au cours d’un match épique, une constamment impressionnante équipe croate, par 4 buts à 2. Un moment de grande joie collective, réunissant jeunes et moins jeunes autour d’une équipe, efficace et sympathique, et d’un drapeau, trop souvent ressorti précédemment pour des événements tragiques ; une communion comme on n’en connaît plus beaucoup mais dont le foot est capable et qui nous a rappelé 98, tout juste vingt ans auparavant. Dès le 20 juillet était publié, chez Hugo Sport, le bel ouvrage collectif Champions, les Bleus sur le Toit du Monde, confectionné par une bande de passionnés. J’ai pu interroger, tout récemment, deux des auteurs du livre, Lucie Bacon et Julien Choquet, tous deux journalistes pour Football Stories (Konbini). Merci à eux d’avoir accepté mon invitation et répondu à mes questions, et merci à Olivia Debarge (Hugo & Cie), sans qui cet article n’aurait pas été possible. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« N’Golo Kanté sera encore présent en 2022.

Comment voulez-vous qu’une malédiction nous touche ? »

Interview de Lucie Bacon et Julien Choquet.

Q. : 03/09/18 ; R. : 04/10/18

Champions les Bleus

Champions, les Bleus sur le Toit du Monde (Hugo Sport, 20 juillet 2018).

 

Bonjour, et merci d’avoir accepté mon invitation pour évoquer votre ouvrage, Champions, les Bleus sur le Toit du Monde (Hugo Sport, 20 juillet 2018). Parlez-nous de vous, qui l’avez composé ? Ça a été quoi, votre parcours aux uns et aux autres ? Parmi vos points communs, vous êtes tous fans de foot ? 

Lucie Bacon : Nous sommes six amis (enfin je crois) liés par la passion du football et de Didier Deschamps. Je suis journaliste depuis 3 ans chez Konbini, et suis rédactrice en chef de leur site de foot.

Julien Choquet : Je suis également rédacteur chez Football Stories, et je pense aussi être amis avec les cinq lurons qui ont écrit ce livre à mes côtés.

 

Comment avez-vous vécu le 15 juillet 2018, jour de la finale bien sûr, et que retiendrez-vous de cette soirée ?

Lucie : La soirée, je n’en ai pas tellement profité car il fallait boucler les dernières pages du livre. Donc je me souviendrai surtout de l’après-midi et du match, où ça a été une succession de toutes les émotions, puis le partage entre le bonheur d’être champions du monde et le stress de devoir tout boucler sans pouvoir tout de suite fêter ça dignement.

 

Si vous étiez assez "grands" pour avoir des souvenirs de 1998, en quoi cette émotion, et ces moments-là ont-ils été différents, pour vous et au niveau collectif ? Est-ce que l’époque a changé, peut-être moins innocente, plus "cynique" qu’alors ?

Julien : J’avais sept ans en 98 donc ça a forcément été des moments différents, étant donné que je préférais jouer aux Lego à l’époque.

 

C’est quoi l’histoire de ce livre ? On notera qu’il est sorti très, très rapidement après la fin de la Coupe du monde. Comment vous y êtes-vous pris pour le confectionner ? Et est-ce que la décision de le réaliser a été prise au moment où vous avez compris que la France irait loin (voire l’emporterait) ou bien cet ouvrage sur la Coupe du monde 2018 serait-il malgré tout sorti ?

Julien : L’histoire de ce livre est très simple. Nous avons tous été contactés par Hugo Sport peu avant le début du mondial, afin d’écrire un livre sur le parcours de l’Équipe de France. Dès le début la consigne était claire : il ne sortirait que si les Bleus soulevaient le trophée. Étant donné que nous étions tous persuadés qu’Olivier Giroud et sa bande iraient au bout, on a pris nos petites plumes et on a accepté ce challenge. Et si le livre a pu sortir aussi rapidement, c’est parce qu’on écrivait les résumés de chaque rencontre du mondial au jour le jour. Nous nous sommes donc tous retrouvés après la finale pour écrire le résumé de la finale, réaliser les dernières retouches, et envoyer le livre en impression le lendemain matin.

 

Ce livre on l’a dit c’est un vrai travail d’équipe. Comment vous êtes-vous réparti les tâches ? Qui a écrit ? Qui a récupéré, et sélectionné les photos ? Qui a obtenu les (prestigieuses) interventions de Marcel Desailly (préface), et des champions Adil Rami et Benjamin Mendy ?

Lucie : On s’est réparti les tâches grâce à un outil très performant : Facebook. La maison d’édition a obtenu les autres interventions.

 

Franchement, qui parmi vous a cru d’entrée que la France ferait le parcours qu’elle a fait ? C’était quoi, les uns et les autres, vos prono de finale et de vainqueur d’avant Coupe du monde ?

Lucie : Pas moi, j’avais misé sur le Brésil puis sur la Croatie après les premiers matches

Julien : Dès le début du mondial, j’ai mis mon maillot de Giroud et je ne l’ai jamais enlevé. J’avais confiance en ce groupe France dès le début, je n’ai jamais douté (c’est faux j’avais parié 100€ chez Winamax que l’Espagne soulèverait le trophée).

 

Vos matches références de cette Coupe du monde, toutes équipes confondues ? A-t-elle été, sportivement parlant, de bonne et de haute tenue ?

Julien : En tant que Français, je suis obligé de citer le France - Argentine en huitièmes, qui a été déterminant pour la suite du parcours des Bleus, en plus d’être un grand match de foot. Sinon, j’ai beaucoup aimé le Belgique - Japon, ou le Brésil - Belgique.

 

La France l’a emporté d’une bien belle manière, battant une constamment impressionnante Croatie 4 à 2 en finale, après avoir éliminé un à un chacun de ses adversaires. Objectivement, cette équipe de France était-elle la plus douée, la plus méritante des 32 en lice ? Quelle part pour le "facteur chance" dans ce parcours, et quels mérites incontestables pour ce Team France ?

Julien : Peut-être pas la plus spectaculaire, peut-être pas celle qui avait le plus de possession (n’hésitez pas à insérer un drapeau belge à cet emplacement), mais c’est bien elle la plus méritante étant donné que nous sommes CHAMPIONS DU MONDE ! C’est la manière la plus simple de couper court à tous ces débats, qui au fond n’ont pas réellement de sens.

 

Qui à votre avis mériterait le Ballon d’Or cette année ? Quel podium... et qui, à votre avis, sera dans les faits sacré ?

Lucie : Ngolo Kanté (Varane et Modric le méritent).

Julien : Paul Pogba pour un avis subjectif, Modric pour un avis objectif. Et le podium : Modric, Griezmann, CR7 (même si Varane mériterait d’y être).

 

Raphaël Varane et Didier Deschamps

Raphaël Varane, avec Didier Deschamps. Photo : L’Équipe (D.R.)

 

Cette équipe de France a été belle. Elle a fait rêver. Et elle est plutôt jeune. Est-ce qu’elle a, à ce stade, le monde à ses pieds, et l’avenir devant elle ? Comment échapper à la malédiction qui, depuis vingt ans à peu près, frappe chacun des champions en titre, voué à une performance médiocre le coup d’après ? C’est quoi l’idée, garder la tête froide avant tout ? Cette équipe-là a-t-elle appris de ses anciens, a-t-elle la maturité pour pouvoir espérer aller (encore plus) loin ?

Julien : N’Golo Kanté sera encore présent en 2022. Comment voulez-vous qu’une malédiction nous touche ? Un peu de sérieux quand même...

 

Un message pour Didier Deschamps à l’occasion de cette interview ? ;-)

Lucie : Didier Deschamps, merci beaucoup, on est ensemble...

Julien : Merce.

 

Quels arguments pour convaincre ceux de nos lecteurs que cette équipe de France a fait rêver que c’est bien votre livre, l’objet-souvenir qu’il leur faut ?

Julien : Parce que vous ne connaissez pas les surnoms de tous les joueurs de l’Équipe de France, tous donnés dans notre livre par Benjamin Mendy.

 

Vos projets pour la suite ?

Lucie : Écrire un livre pour la victoire à l’Euro.

Julien : Aider Lucie à écrire un livre pour la victoire à l’Euro.

 

Un dernier mot ?

Didier Deschamps, merci beaucoup, on est ensemble !!!

 

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20 septembre 2018

Jean Marcou : « Les moyens médiatiques d'opposition sont désormais marginaux en Turquie »

Jean Marcou est enseignant-chercheur et titulaire de la Chaire Méditerranée-Moyen-Orient à Sciences Po Grenoble. Ce spécialiste de la Turquie a d’ailleurs fondé il y a une dizaine d’années l’Observatoire de la Vie politique turque (OVIPOT), une structure de réflexion et de documentation qu’il s’attache à faire vivre. Deux ans après une première interview, qui tombait peu après un coup d’état raté contre l’appareil Erdoğan, il a accepté une nouvelle fois, cette fois dans un contexte de reconduction triomphale et de renforcement du pouvoir actuel, mais aussi de troubles économiques croissants, de répondre à mes questions. Je l’en remercie et vous invite à suivre ses travaux. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Les moyens médiatiques d’opposition

sont désormais marginaux en Turquie... »

Interview de Jean Marcou

Q. : 25/06/18 ; R. : 16/09/18

Erdogan 2018

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan, le soir de sa victoire. Crédits photo : Anadolu Agency.

 

M. Erdoğan vient d’être réélu à la présidence de la République turque et, référendum de 2017 oblige, il assumera la totalité du pouvoir exécutif durant les prochaines années, tandis que son parti a dans le même temps remporté les élections législatives. Est-ce qu’une transformation en profondeur de la Turquie, de ses institutions et de la manière dont l’État influe sur la société, est aujourd’hui en marche ?

Oui, c’est effectivement un tournant qui consacre les évolutions en cours depuis plusieurs années, notamment : depuis de 2010-2011, avec les premières atteintes graves à la liberté d’expression ; depuis 2013, avec la répression des événements de Gezi et la rupture de l’AKP avec le mouvement Gülen ; depuis 2014, avec la première élection de Recep Tayyip Erdoğan à la présidence au suffrage universel ; et surtout depuis la tentative de coup d’État de juillet 2016. Cette dernière a favorisé une accélération irrésistible du processus de présidentialisation autoritaire amorcée antérieurement, parce qu’elle a permis de légitimer le recours à la législation d’exception et la "nécessité" de transformer du régime. Il ne faut pas oublier que la Turquie était alors en outre dans une situation instable (fin du processus de paix avec les Kurdes, attentats spectaculaires de Daech dans les grandes villes turques, proximité du conflit syrien...).

 

« La Turquie est entrée indiscutablement

dans "une nouvelle ère politique"... »

 

En deux ans, le régime a été complètement restructuré. Sur le plan partisan, tout d’abord avec une épuration interne de l’AKP (en particulier une élimination politique des premières générations de cadres Abdullah Gül, Ahmet Davutoğlu, Bülent Arınç, Melih Gökçek, Kadir Topbaş...) et par une alliance du parti au pouvoir avec le MHP, c’est à dire avec l’extrême-droite nationaliste. Sur le plan constitutionnel, avec une réforme des institutions adoptée, grâce au MHP, par le référendum d’avril 2017 mettant un terme au régime parlementaire qui avait toujours gouverné la Turquie depuis son passage au pluralisme et à la démocratie. Enfin, sur le plan politique et administratif, avec avant et après les élections anticipées du 24 juin 2018, des purges drastiques conduites dans tous les secteurs de l’appareil d’État, une restructuration de l’ensemble de l’exécutif, c’est-à-dire du pouvoir de décision et des moyens logistiques autour de la personne même du président. Comme l’a affirmé Recep Tayyip Erdoğan lui-même, la Turquie est ainsi entrée indiscutablement dans "une nouvelle ère politique".

 

L’opposition à M. Erdoğan a-t-elle gagné en organisation et en cohérence ces dernières années ? Les résultats proclamés de ces élections sont-ils conformes à ce qui était anticipé au niveau des rapports de forces ?

Il y a une opposition forte à Recep Tayyip Erdoğan et aux transformations politiques précédemment décrites. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, l’AKP a dû s’allier avec le MHP de Devlet Bahçeli. Sans cette alliance, Recep Tayyip Erdoğan aurait eu du mal à remporter le référendum de 2017 et même les élections de juin 2018. Mais le problème de cette opposition est qu’elle est trop hétérogène, rassemblant outre les kémalistes du CHP (qui en constitue le noyau central), les Kurdes du HDP et les nationalistes dissidents du "Bon Parti"... Ces formations disparates ont pu créer la surprise en 2015, en privant l’AKP de sa majorité absolue. Elles pouvaient espérer empêcher Recep Tayyip Erdoğan de l’emporter dès le premier tour à la présidentielle anticipée de juin 2018. Mais elles ne constituent pas une alternative crédible à l’AKP triomphant. L’opposition sort ainsi, des dernières élections, plus affaiblie que jamais. Au sein du CHP, le candidat du parti à la dernière élection présidentielle, Muharrem Ince conteste la légitimité du leader actuel, Kemal Kılıçdaroğlu, et demande un congrès extraordinaire. Après son résultat décevant, Meral Akşener, semble vouloir se retirer de la vie politique. Enfin, les Kurdes du HDP ont confirmé, même dans une situation extrêmement défavorable, la réalité de leur audience politique, en restant troisième formation politique au parlement, mais ils sont marginalisés et réprimés, une partie de leurs cadres étant en prison ou l’objet de poursuites judiciaires. De surcroit, ni le CHP, ni le "Bon Parti", n’imaginent actuellement une possible alliance avec eux. Dans ces conditions, on voit mal quel peut être l’avenir de l’opposition en Turquie actuellement.

Il est probable néanmoins qu’un autre type d’opposition risque de se développer sur le terrain, en lien avec des revendications concrètes : respect voire développement des droits des femmes, défense de l’environnement, ou encore, comme il y a quelques jours, manifestations (contre le non-respect des règles de sécurité) des ouvriers construisant le nouvel aéroport d’Istanbul, qui doit ouvrir le 29 octobre prochain. Mais là encore la voie est étroite et le régime veille... Depuis fin août dernier, le sit-in des mères kurdes, qui se tenait chaque semaine sur İstiklâl Caddesi, à Istanbul, sur le modèle du rassemblement des "mères de la place de Mai" en Argentine" est interdit et, le cas échéant, dispersé par la police...

 

Plusieurs incidents se sont produits en France autour des élections en Turquie, du fait notamment de soutiens de M. Erdoğan qui ont exprimé violemment leur désapprobation face entre autres à des articles de presse mettant en cause leur champion. La diaspora turque est-elle plus ou moins pro-Erdoğan que les Turcs qui vivent au pays ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui vous inquiète dans ces débordements ?

Depuis 2014 (date à laquelle les Turcs vivant à l’étranger ont pu voter), les résultats des élections montrent que la diaspora turque des pays occidentaux vote majoritairement en faveur de Recep Tayyip Erdoğan (plus de 60% en France). Cela tient au fait que les communautés turques qui vivent en Europe occidentale se sentent ostracisées, marginalisées, notamment en raison de leur appartenance religieuse. Dès lors, un président turc qui parle haut aux gouvernements européens, dénonçant notamment leur réticence à accueillir des réfugiés et leur refus de voir la Turquie entrer dans l’Union européenne (UE), a toutes les chances de recevoir un accueil favorable des Turcs vivant en Europe. Et ce d’autant plus qu’à la différence de ses prédécesseurs, ce président n’hésite pas à s’adresser à ses compatriotes expatriés, en leur recommandant de s’impliquer dans la vie politique de leur pays d’accueil. L’approche des dernières élections par la presse occidentale, et surtout la une du magazine Le Point qualifiant Erdoğan de "dictateur", ont été ressentis par nombre de Turcs vivant en France, comme une sorte d’agression à leur égard. Si on ajoute à cela, la propagande d’associations liées à l’AKP et au gouvernement turc, on comprend comment certains ont pu aller jusqu’à s’en prendre directement au magazine lui-même et à ses publicités sur le mobilier urbain.

 

Le Point Erdogan 

Le Point, le canard de la colère.

 

Toutefois, la démographie turque en France, comme dans d’autres pays voisins d’Europe, n’est pas monolithique. Outre les sympathisants de l’AKP, elle est composée aussi d’opposants : Kurdes proches du HDP, voire du PKK, membres du mouvement Gülen, nouveaux opposants politiques en exil... Les développements du conflit syrien ou la tentative de coup d’État de 2016 ont montré que les différends existants en Turquie ou à aux frontières de celle-ci pouvaient s’exporter et diviser les diasporas turques en Europe.


On a souvent pu lire, ici ou là, que la démocratie était en danger en Turquie, et quelques faits d’actualité, comme le traitement réservé à des journalistes d’opposition, ne sont pas pour rassurer en la matière. Quel est votre sentiment : y a-t-il une dérive autoritaire objective en Turquie ?

Comme je le disais précédemment la démocratie et plus spécifiquement la liberté d’expression est en recul depuis le début de cette décennie. Ce sont des atteintes à la liberté de la presse en 2010-2011, à une époque où l’AKP était encore allié au mouvement Gülen, notamment l’arrestation des journalistes Ahmet Şık et Nedim Şener, qui ont constitué la première alerte sérieuse en la matière. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer avec le développement d’une logique d’intimidation permanente des médias. Les poursuites pour insulte au président ont ainsi souvent frappé des journalistes, au cours des dernières années, et amènent ces derniers à s’auto-censurer. Un journaliste, au demeurant député du CHP, Enis Berberoğlu, a été condamné à 25 ans de prison, accusé d’espionnage, pour avoir révélé des livraisons d’armes suspectes des services de renseignement turcs, en Syrie. Mais, surtout, il faut voir que le paysage médiatique turc a profondément changé, au cours des dernières années, voire au cours des derniers mois. Depuis 2013, les médias gülenistes qui étaient très importants ont été démantelés ou "récupérés" par l’AKP, et en mars 2018, le seul groupe médiatique important réputé d’opposition qui restait (le Holding Doğan) a été vendu au groupe Demirören, proche du pouvoir. Les moyens médiatiques d’opposition sont donc désormais marginaux. Difficile dans ces conditions de ne pas parler de tournant autoritaire comme nous l’avons fait récemment dans un numéro du magazine Moyen-Orient ("Turquie, le tournant autoritaire", Moyen-Orient N°37, janvier-mars 2018). C’est d’ailleurs bien ce qui a été relevé par les observateurs internationaux, lors des dernières élections (Conseil de l’Europe, OSCE...). Bien que ces élections aient pu se tenir dans l’ensemble librement, notamment pour ce qui est de la procédure de vote, la situation médiatique pendant la campagne était en revanche particulièrement déséquilibrée en faveur du pouvoir en place.


Est-ce que, s’agissant de la manière dont sont pensées les politiques intérieure et étrangère de la coalition conservatrice de M. Erdogan, l’on peut dire que l’ottomanisme y tient une place déterminante ? Peut-être plus forte qu’à aucun moment de l’histoire turque récente ?

Le néo-ottomanisme de l’AKP a été maintes fois observé en matière de politique extérieure et de politique intérieure, car il constitue le terreau d’une sorte de néonationalisme très significatif de ce qu’est devenu aujourd’hui l’AKP et le régime que Recep Tayyip Erdoğan entend promouvoir. L’exaltation de l’Empire ottoman permet, en effet, au régime actuel de renouer avec le passé musulman des Turcs que le nationalisme kémaliste avait effacé pour des raisons religieuses et "progressistes".

 

« La crise économique est devenue aujourd’hui le premier défi

que doit relever le nouveau régime de Recep Tayyip Erdoğan. »

 

Lorsque l’AKP a pris le pouvoir, les scénarios dominants étaient celui des "musulmans démocrates" (qui allaient sortir la Turquie du cercle-vicieux de la démocratie interrompue par des coups d’État) ou celui de "l’agenda caché islamiste" (qui allait transformer ce pays en république islamique). En fait, force est de constater que c’est un troisième scénario qui se noue sous nos yeux, celui d’un populisme nationaliste, soutenu par le développement de classes moyennes néo-urbaines conservatrices et par l’exaltation du passé ou de l’avenir transcendantal des Turcs. Dans ce cadre-là, le néo-ottomanisme joue un rôle important, mais il n’est pas la seule instrumentalisation de l’Histoire.... Lors de ses meetings, Recep Tayyip Erdoğan a pris pour habitude de faire référence à trois dates clefs: 1453, la prise de Constantinople, un moment majeur de l’histoire ottomane par excellence ; mais aussi antérieurement 1071, la bataille de Manzikert, une victoire du sultan seldjoukide Alparslan sur les Byzantins, qui vit les Turcs prendre pied en Anatolie, leur territoire d’aujourd’hui ; et enfin postérieurement 1923, la proclamation de la République de Turquie par Mustafa Kemal après sa victoire sur les Grecs, à l’issue de la Première Guerre mondiale. C’est dire si le régime actuel récupère et instrumentalise l’ensemble de l’histoire des Turcs pour leur construire une destinée contemporaine et donner du sens à ses politiques et objectifs en cours : grands travaux, ambition de faire entrer l’économie turque dans les dix premières du monde, développement du rayonnement diplomatique international et régional de la Turquie. Mais cet appareillage idéologique risque de perdre de son efficacité, si le régime de l’AKP n’est pas en mesure de surmonter les difficultés économiques que traverse aujourd’hui le pays. Il est certain que l’affaiblissement de la monnaie et l’accélération de l’inflation ont été accentués par la crise en cours avec les États-Unis, mais ces signaux viennent également confirmer plusieurs années de dépréciation monétaire régulière, d’augmentation de l’inflation et d’accroissement spectaculaire du déficit du compte courant de la Turquie. La crise économique est devenue aujourd’hui le premier défi que doit relever le nouveau régime de Recep Tayyip Erdoğan.

 

Jean Marcou

Jean Marcou. Crédits photo : Nathalie Ritzmann.

 

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30 août 2018

« L'Espagne, la mémoire historique du franquisme et le 'Valle de los Caidos' », par Anthony Sfez

Le nouveau gouvernement socialiste espagnol, mené depuis trois mois par Pedro Sánchez, s’est attaqué récemment à une question symbolique extrêmement sensible et potentiellement porteuse de divisions non négligeables au sein de la nation : quel sort réserver, pour règlement définitif, à la dépouille du dictateur Franco, actuellement déposée, comme celles de 33.000 « victimes de la guerre civile », en l’enceinte du « Valle de los Caídos » ? Cette affaire convoque une mémoire éminemment douloureuse, et toujours très présente, dans les esprits d’un peuple où, entre progressistes et conservateurs, les clivages se font sans doute plus marqués qu’en bien d’autres terres d’Europe. J’ai souhaité inviter Anthony Sfez, doctorant en droit public et fin connaisseur de la société et de la vie politique espagnoles (il a participé à deux reprises à Paroles d’Actu sur la question catalane), à nous livrer son analyse et son sentiment sur ce débat. Il a accepté, et je l’en remercie chaleureusement. Sa position est modérée et son texte, fort instructif, s’achève sur une note d’espoir : que le « Valle de los Caídos » puisse devenir un lieu de réconciliation pour tous les Espagnols. Le chef du gouvernement espagnol vient entre temps d’avouer qu’il ne croyait pas en cette perspective optimiste. L’avenir dira comment ces blessures-là seront pansées. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Valle de los Caidos

Le « Valle de los Caídos ». Photo : D.R.

 

« L’Espagne, la mémoire historique

du franquisme et le "Valle de los Caídos" » 

Par Anthony Sfez, le 28 août 2018.

Que va devenir la dépouille de Franco ? Cette question qui est actuellement au cœur des attentions en Espagne en recouvre en réalité une autre : celle de l’avenir du «  Valle de los Caídos  », littéralement la «  Vallée de ceux qui sont tombés  », où se trouve actuellement enterré Franco, mais aussi plus de 33.000 victimes, essentiellement des soldats des deux camps, tombés lors de la guerre civile espagnole (1936-1939). Comment expliquer ce retour de flamme autour de la dépouille du Dictateur plus de quarante ans après sa mort ? Pourquoi vouloir procéder aujourd’hui, comme l’a annoncé le gouvernement socialiste, au déplacement du corps de Franco ? Il y a évidemment une part d’opportunisme de la part d’un gouvernement de gauche qui, sans véritable majorité au Congrès des députés*, a besoin de ce genre de mesure symbolique forte pour exister politiquement.

* Voir notre article sur cette question : http://blog.juspoliticum.com/2018/06/15/espagne-la-motion-de-censure-peu-constructive-qui-a-porte-pedro-sanchez-au-pouvoir-par-anthony-sfez/

 

« Pendant plus de vingt ans, la question des victimes

de la guerre civile et du régime franquiste a, volontairement,

au nom de la réconciliation, été passée sous silence. »

 

Mais il n’y a pas que cela. En réalité, ces questions s’inscrivent dans un débat, bien plus large et profond, celui de la «  mémoire historique  » de la guerre civile et du franquisme. Pendant plus de vingt ans, jusqu’au début des années 2000, la question des victimes de la guerre civile et du régime franquiste a, volontairement, au nom de la réconciliation, été passée sous silence : il ne fallait surtout pas, dans un pays historiquement très divisé et marqué par le souvenir d’une terrible guerre civile, rouvrir des plaies anciennes et courir le risque de rompre «  l’esprit de la transition démocratique  ».

Mais les émotions délogées, une génération ayant succédé à une autre, tout a changé en 2005, d’abord, lorsque le juge Baltasar Garzón, a cherché, sans succès, à entamer une enquête pour crime contre l’humanité à l’encontre de responsables du régime franquiste et, ensuite, en 2007, lorsque le gouvernement socialiste de Zapatero a adopté une loi mémorielle dont l’objectif était «  d’honorer  » la mémoire des victimes de la guerre civile et du franquisme. L’une des ambitions de cette loi, outre l’aide octroyée aux descendants de victimes pour retrouver les restes de leurs proches, était notamment d’intensifier la suppression de l’espace public de toute référence au régime précédent (rues débaptisées, statuts retirées etc…). Or, le «  Valle  » est concerné par les objectifs de cette loi puisqu’il est, incontestablement, un haut lieu de la symbolique franquiste.

À l’origine, le «  Valle  » était, en effet, envisagé par le Dictateur, qui en a ordonné, au début des années 1940, la construction, comme un «  temple grandiose à nos morts  », c’est-à-dire un lieu de «  repos et de méditation  » pour les combattants de la guerre civile tombés lors de notre «  Croisade pour Dieu et pour l’Espagne  ». Le «  Valle  » n’était donc absolument pas envisagé à l’origine comme un lieu de sépulture «  mixte  » et neutre d’un point de vue politique mais, au contraire, uniquement et exclusivement comme un lieu «  sacré  » réservé aux franquistes, tombés au combat, comme l’indique très clairement un décret du régime datant de 1940 ordonnant la sépulture dans ce lieu «  de restes de combattants tombés appartenant à l’Armée Nationale ou ayant été assassiné ou exécuté par les hordes marxistes dans la période comprise entre le 18 juin 1936 et le 1er avril 1939  ». Certes, en 1958 la position du régime s’adoucit puisqu’un nouveau décret est adopté ouvrant la porte du «  Valle  » à toutes les victimes, indépendamment de leur camp. C’est ce qui explique la présence de la dépouille d’environ 10.000 victimes du camp républicain en ce lieu.

Certains historiens voient dans ce second décret la preuve que le «  Valle  » fut finalement envisagé par Franco comme un lieu de réconciliation et non pas comme un temple à la gloire des vainqueurs de la guerre civile. Cette thèse semble toutefois discutable pour trois raisons.

 

« Malgré quelques signaux d’ouverture, le "Valle"

est incontestablement un monument dont l’identité est,

en l’état, profondément raccrochée au régime franquiste. »

 

Premièrement, le «  Valle  » fut, en partie, construit par des prisonniers républicains de la guerre civile. S’il est sans doute excessif, comme le font certain, de comparer ces prisonniers à des déportés ou à des «  esclaves  », on admettra que cet élément ne plaide pas en la faveur de la thèse du «  Valle  » comme lieu de réconciliation franquiste. Ensuite, concernant le décret de 1958 ouvrant  les portes du «  Valle  » aux dépouilles de soldats républicains, précisons qu’il ajoutait tout de même : «  à condition que les combattants furent de nationalité espagnole et de religion catholique  », ce qui n’est pas sans incidence pratique, lorsque l’on sait que beaucoup de combattants issus des brigades internationales républicaines n’étaient pas espagnols. Enfin, force est de constater, qu’en pratique, sur les 33.000 dépouilles de combattants de la guerre civile qui ont été transférées et déposées dans les cryptes du «  Valle  », la majorité de ceux qui ont été identifiées appartenaient au camp franquiste, les combattants républicains ayant, souvent, été laissés à l’abandon par le régime dans des fausses communes disséminées dans le pays. Le «  Valle  » est donc incontestablement un monument dont l’identité, étant donné son origine et sa fonction, est, en l’état, profondément raccrochée au régime franquiste.

C’est donc assez naturellement que, à sa mort, Franco y fut enterré. Et s’est tout aussi naturellement que le «  Valle  » est devenu un point de rencontre annuel des nostalgiques du régime qui, tous les 20 novembre, date de la mort de Franco, s’y réunissent pour y célébrer la mémoire du Dictateur. C’est parce qu’il a acquis cette identité sulfureuse que certains vont jusqu’à proposer que le «  Valle  » soit tout simplement «  rasé  » : n’est-ce pas, après tout, ce qui a été fait en Italie ou en Allemagne avec tous les vestiges des régimes fascistes et nazis ? La proposition semble sans doute excessive  tant dans ses prémices théoriques que dans sa mise en œuvre pratique. D’abord, Franco fut certes un dictateur autoritaire responsable de nombreux crimes dont le plus grave d’entre tous fut d’avoir mené à bien un soulèvement militaire d’une violence terrible contre un régime démocratique. Mais le régime qu’il instaura, et qui s’est maintenu pendant près de quarante ans, en dépit des incontestables et nombreux crimes commis au cours de ces années, ne saurait être, si les concepts ont encore un sens, décemment qualifié de totalitaire*. Ensuite, la solution radicale du «  rasage  » commanderait de procéder à l’exhumation de plus de 33.000 corps ce qui semble plutôt complexe et, pour le moins, très périlleux d’un point de vue symbolique.

* Hannah Arendt exclut d’ailleurs l’Espagne de son étude sur les totalitarismes. Pour un approfondissent de la distinction entre autoritarisme et totalitarisme il faut notamment se référer aux travaux de Juan José Linz.

 

« Le "Valle" ne pourra jamais être un lieu de réconciliation

et d’hommage à toutes les victimes tant qu’y trônera,

sur un piédestal, la sépulture du leader du camp

des vainqueurs de la guerre civile. »

 

L’ambition affichée par les socialistes semble, du moins sur le papier, bien plus raisonnable que celle du démolissement : transformer l’image du «  Valle  » afin d’en faire un lieu, d’une part, d’hommage à la mémoire de «  toutes les victimes de la guerre civile  » et, d’autre part, de « réconciliation  » de tous les Espagnols. Or, pour ce faire, pour que le «  Valle  » devienne véritablement un lieu de réconciliation et qu’il cesse d’être rattaché à un camp, celui des franquistes, le transfert de Franco à un autre lieu apparaît absolument et incontestablement nécessaire. En effet, le «  Valle  » ne pourra jamais être un lieu de réconciliation et d’hommage à toutes les victimes tant qu’y trônera, sur un piédestal, la sépulture du leader du camp des vainqueurs de la guerre civile. De plus, Franco n’est pas une «  victime de la guerre civile  » : il est, comme chacun sait, mort dans son lit de cause naturelle. Toutefois, pour parvenir à cet objectif du «  Valle  » comme «  lieu de réconciliation  », il faut impérativement éviter deux écueils.

D’abord, de donner le sentiment qu’il s’agisse de transférer Franco que dans le but d’empêcher ses nostalgiques de se réunir autour de sa tombe pour lui rendre hommage. Le problème n’est pas tant qu’une poignée d’individus rendent annuellement hommage au Dictateur - ce qui ne pourra de toute façon, où que soit enterré Franco, jamais être empêché - que le lieu où cet hommage se déroulait depuis plus de trente ans : une terre où sont enterrés des soldats des deux camps. En un mot, ce qui est en jeu ici, ce n’est donc pas tant le sort de la dépouille du Dictateur que le sens à donner au «  Valle  » où sont enterrés plus de 30.000 personnes tombées pendant la guerre civile.

Ensuite, il faut également impérativement éviter de donner le sentiment que l’on veut faire du «  Valle  » l’inverse de ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un lieu de mémoire uniquement en l’honneur des républicains. Il était parfaitement indécent que des franquistes célèbrent la mémoire du Dictateur dans un lieu où sont enterrés des victimes républicaines ; il serait également parfaitement indécent de vouloir officiellement faire d’une terre où sont enterrés plus de 20.000 franquistes un lieu de mémoire en l’honneur des combattants et des victimes du camp opposé. En somme, lieu de mémoire et de réconciliation doit vouloir dire lieu de recueillement absolument neutre sur le plan politique.

 

« Le gouvernement socialiste doit éviter l’écueil que constituerait

la transformation du "Valle" en un monument à la mémoire seule

des victimes républicaines de la guerre civile. »

 

Le gouvernement socialiste évite-t-il ces deux écueils ? Partiellement. Il semble, en effet, difficile d’entamer une réflexion générale sur l’avenir du «  Valle  » avec la méthode adoptée par le gouvernement socialiste : l’action par décret-loi, c’est-à-dire, par définition, dans l’urgence, et uniquement ciblée sur le transfert des restes du Dictateur, ce qui ne semble pas compatible avec une logique de réflexion générale et approfondie. C’est d’ailleurs pour cette raison que Ciudadanos, bien qu’en faveur de l’idée d’une refonte du «  Valle  », a refusé d’apporter son soutien à l’initiative des socialistes. Ensuite, la définition que donne les socialistes de l’expression «  toutes les victimes de la guerre civile  » est parfois ambigüe. En effet, en 2017, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, les socialistes avaient déjà proposé de faire du «  Valle  » un lieu de «  dignification  » de la mémoire «  des victimes de la guerre et du franquisme  », or, par «  victimes de la guerre  » il fallait comprendre, après lecture attentive et systématique de la proposition en question, les «  combattants des libertés du peuple espagnol  » c’est-à-dire, dans l’esprit des rédacteurs, non pas toutes les victimes, mais uniquement celles du camp républicain. Sur ce point, le gouvernement socialiste semble éviter, du moins sur le papier, l’écueil de la proposition de 2017 puisque le dernier décret-loi ordonnant le transfert de Franco est très clair en disposant que le «  Valle  » doit devenir un «  lieu de commémoration, de souvenir et d’hommage égalitaire aux victimes  ».

Si tel est bel et bien le projet du gouvernement et si le transfert s’accompagne réellement d’une réflexion sur le devenir du «  Valle  », celui-ci pourra, enfin véritablement, devenir un lieu de réconciliation pour tous les Espagnols.

  

Anthony Sfez

Anthony Sfez est doctorant en droit public et attaché temporaire

d’enseignement à l’Université Paris 2 Panthéon Assas.

 

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28 août 2018

Alain Pigeard : « La Confédération du Rhin n'a jamais eu d'autre vocation que de servir les plans de Napoléon »

J’ai eu la joie de pouvoir lire, récemment, L’Allemagne de Napoléon : La Confédération du Rhin (1806-1813), un ouvrage d’une grande richesse autour d’un chapitre de l’histoire napoléonienne qui, bien que d’importance majeure, a été relativement peu étudié par les spécialistes, et demeure largement obscur pour le grand public. M. Alain Pigeard, historien spécialiste du Consulat et du Premier Empire, a dédié à cette construction française - à la fois par l’intimidation et par la persuasion - d’une tierce Allemagne (entendre : ni autrichienne ni prussienne) une étude très fouillée (Éditions de la Bisquine, 2013), nous présentant par moult détails chacun des États composant cette Confédération du Rhin. Je le remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions et vous engage, chers lecteurs, à vous intéresser à ce livre et aux travaux, passés et à venir de cet historien qui est aussi un authentique passionné. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 13/08/18 ; R. : 20/08/18.

Alain Pigeard: « La Confédération du Rhin n’a jamais eu

d’autre vocation que de servir les plans de Napoléon. »

L'Allemagne de Napoléon

L’Allemagne de Napoléon : La Confédération du Rhin (1806-1813), Éd. de la Bisquine, 2013.

 

Alain Pigeard bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu, autour de votre ouvrage L’Allemagne de Napoléon : La Confédération du Rhin (1806-1813), publié aux Éditions de La Bisquine en 2013. Voulez-vous nous parler un peu de vous et de votre parcours ? D’où vous vient ce goût prononcé pour l’Histoire en général, et pour l’épopée bonaparto-napoléonienne en particulier ?

Difficile de parler de soi. Je suis passionné d’histoire depuis ma petite enfance. J’ai découvert Napoléon chez des amis de mes parents dans le Jura (j’avais deux ans) en regardant une très grande statue de Napoléon. Depuis cet homme ne m’a plus jamais quitté !

 

Le livre qui nous intéresse aujourd’hui, c’est une présentation riche de l’architecture d’ensemble, et surtout de chacun des États constituant la Confédération du Rhin. Pourquoi avoir voulu consacrer une étude à ce sujet précis ? Diriez-vous qu’il a été, jusqu’à présent, sous-étudié ? Et comment avez-vous convaincu M. Jean Tulard, un des plus éminents spécialistes de cette époque, de vous préfacer cet ouvrage ?

J’ai beaucoup voyagé en Allemagne (y compris pour mon service militaire), et je me suis rendu compte qu’il n’existait rien en langue française sur le sujet ! J’ai donc décidé d’écrire ce livre pour combler cette lacune. Jean Tulard était heureux de le préfacer car il savait qu’il n’y avait rien sur ce sujet et pour lui c’est le meilleur de mes livres...

 

Où sont les sentiments francophiles dans l’espace de la future Confédération du Rhin avant et au moment de la Révolution ? Où est-on progressiste, et où est-on conservateur en ces temps troublés ?

Certaines régions allemandes seront favorables à la Révolution, notamment celles qui sont proches de la France. D’autres, hostiles (le Mecklembourg notamment). La Prusse restant à part.

 

Trouve-t-on dans cet espace des zones clairement définies comme étant d’influence autrichienne ? prussienne ? voire, française ? britannique ? russe ?

La zone d’influence autrichienne est surtout la Bavière, qui a été en partie annexée à l’Autriche à la fin de l’Empire. Le Hanovre a toujours été proche de l’Angleterre. Le Mecklembourg était proche de la Russie pour des questions dynastiques et de mariage. Les États rhénans seront plus proches de la France. La Prusse va quant à elle étendre son influence sur l’Allemagne du nord puis, après 1870, sur toute l’Allemagne.

 

La Confédération du Rhin en tant qu’organisation a-t-elle été généralement imposée par les Français, ou bien a-t-elle été véritablement consentie par certains princes allemands ? Quid des populations : des fractures nettes quant aux sentiments des opinions, ici ou là, sont-elles perceptibles ?

Jusqu’en 1806 (décret de création), les souverains sont libres d’adhérer. Après cette date, ils entreront en partie par obligation dans la Confédération, mais ils la quitteront tous à la fin de 1813, surtout après Leipzig. Pour les populations, le sentiment d’appartenance à une entité linguistique a été un facteur d’union et d’appartenance. Mais on percevait bien que les intérêts de la France n’étaient pas les mêmes que ceux des populations germaniques.

 

Le Royaume de Westphalie, construction nouvelle née d’une recomposition d’espaces allemands, a été conçu par Napoléon comme un îlot progressiste devant projeter, auprès des populations et gouvernants allemands, un modèle de gouvernement libéral. Son frère Jérôme fut placé à la tête de cet État. Comment regarde-t-on, au-dedans comme au-dehors, cette entité nouvelle, et le fait d’avoir placé un Bonaparte à sa direction ? Le Royaume de Westphalie, ça aurait pu fonctionner dans la durée ?

La Westphalie n’a pas de frontières naturelles et il n’y a pas un sentiment d’appartenance comme en Bavière, en Saxe, au Wurtemberg. De plus, Jérôme n’avait pas les qualités pour gouverner... Il était plus porté sur le faste et les femmes.

 

Vous le montrez très bien dans votre ouvrage : beaucoup, beaucoup de personnages sont acteurs de cette histoire de la Confédération du Rhin. Quelques figures à retenir particulièrement ?

Parmi les plus importants, Dalberg, prince primat de la Confédération du Rhin, et le souverain hessois, très attachés à la France. Pour l’anecdote, les princes de Salm refuseront de servir contre la France en 1914 et se battront contre les Russes. Ils savaient ce qu’ils devaient à Napoléon et à la France.

 

Les revers militaires de la Grande Armée, en Russie et ailleurs, et le reflux général français, ont-ils rendu inéluctables la dislocation de la Confédération du Rhin, et le "retournement" de bon nombres d’Allemands ? Ou bien, cette histoire-là a-t-elle, elle aussi, été plus nuancée ?

La campagne de Russie est un des facteurs majeurs d’abandon des Allemands vis-à-vis de Napoléon. À partir de 1813, les alliances se brisent et les abandons à la Confédération se multiplient.

 

Lors d’une interview qu’il m’avait accordée en 2013, Thierry Lentz, historien et directeur de la Fondation Napoléon, avait défendu cette idée à laquelle il avait beaucoup réfléchi : Napoléon n’a jamais conçu sérieusement la Confédération du Rhin autrement que comme une entité vassale, un pourvoyeur de troupes sans s’en soucier véritablement comme partenaire (sur ses préoccupations commerciales notamment). Êtes-vous d’accord avec cela ? Napoléon a-t-il, par manque de vision politique, ou peut-être parce qu’il n’a pas eu le temps de penser une organisation de temps de paix, raté une occasion de construire, en la parrainant, une tierce Allemagne qui ne soit ni autrichienne ni prussienne, ce qui eût pu annuler pour longtemps les dangers venus d’outre-Rhin ?

Il est évident que la Confédération du Rhin était pour Napoléon une sorte de "glacis protecteur " (idem pour la Pologne). Des pays alliés qui fournissaient des troupes aux armées de Napoléon. Les souverains allemands n’étant en place que pour exécuter les ordres de l’Empereur. L’histoire va se répéter. Ce sera d’ailleurs la même chose après 1870, où toute l’Allemagne sera sous le joug prussien !

 

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ARCHIVE: Thierry Lentz sur la Confédération du Rhin, in Paroles d’Actu, 28 décembre 2013...

Napoléon manqua avec les États allemands une alliance stratégique, en raison d’une sorte de préjugé qui voulait que la France soit plus forte contre l’Autriche ou la Prusse si l’Allemagne restait divisée. Mais ce qui était vrai en un temps où aucune force n’était en mesure de fédérer la « tierce Allemagne », l’était moins lorsque la France dominait à ce point l’Europe. Napoléon aurait pu créer puis soutenir une entité politique solide dans la partie sud de l’espace germanique, avec les États les plus ouverts à l’influence française : Bavière, Bade, Wurtemberg, les deux Hesse, voire la Saxe. Il eût fallu pour cela assigner des buts finis au système napoléonien et avoir une vision de l’Europe future. Napoléon n’avait pas clairement cette vision et c’est pourquoi il ne s’éloigna pas des traditions diplomatiques, alors même que les États qui auraient pu constituer le socle d’un accord de grande ampleur ne demandaient qu’à se rapprocher de lui.

Leur premier objectif était de se débarrasser du Saint-Empire, ressenti comme un obstacle à leur indépendance. Mais l’empereur ne sut pas approfondir les rapprochements franco-allemands. Il voulut seulement les mettre au service de ses propres desseins. Le renoncement à la couronne impériale par François d’Autriche (1806) permit pourtant une redistribution des cartes : Vienne était exclue de l’Allemagne, avec la complicité des États moyens. C’est alors que Napoléon tenta d’organiser la coopération au sein de la Confédération du Rhin créée par le traité du 12 juillet 1806. Elle compta une quarantaine d’adhérents autour de la France. L’empereur en était le « protecteur ». Les premiers fruits de l’accord furent récoltés sur le terrain de la guerre franco-prussienne (1806) et de la paix de Tilsit (1807) : après avoir confiné l’Autriche au sud, l’empereur des Français rejeta la Prusse vers le nord.

Un espace politique et géographique s’ouvrait. Il aurait fallu l’occuper et en renforcer les composantes. On put le croire avec cette Confédération, dont le texte fondateur prévoyait des institutions politiques communes : l’archevêque de Mayence, Dalberg, fut désigné prince-primat et président d’un « collège des rois », d’une diète confédérale qui aurait dû s’assembler à Mayence… mais ne fut jamais réunie. La Confédération du Rhin ne fut qu’un outil militaire, permettant certes aux alliés de se protéger les uns les autres mais servant surtout à appuyer les projets napoléoniens : il y eut environ 125 000 Allemands dans la Grande Armée de 1812. L’historien Michel Kerautret a pertinemment comparé ce montage à l’Otan. Les autres domaines de coopération restèrent du ressort des relations bilatérales, ce qui avec l’empereur des Français était synonyme de dialogue entre fort et faible.

Finalement, Napoléon se servit surtout de la Confédération du Rhin pour maintenir la division de l’Allemagne, désormais sous autorité française, et non tenter une « union » politique autour de la France. La dureté des règles du Blocus continental, le favoritisme commercial, les tentatives d’imposer des solutions juridiques et administratives auxquelles toutes les élites allemandes n’étaient pas favorables, le mépris manifesté aux princes confédérés n’étaient sans doute pas de bonne politique pour souder la tierce Allemagne à la France. L’effondrement de l’Allemagne « napoléonienne » en 1813, le retour à l’incertaine bascule entre l’Autriche et la Prusse allaient s’avérer à long terme une calamité pour le continent. En ayant sanctionné aussi durement la Prusse après 1806 et en ayant manqué l’Allemagne, Napoléon en porte une part de responsabilité.

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Quelle postérité pour la Confédération du Rhin ? Pour le Royaume de Westphalie et les principes qu’il était censé porter ? Qu’a-t-on retenu et gardé de Napoléon dans cette Allemagne-là ?

De nombreux États se sont inspirés des réformes napoléoniennes (Westpahlie, Anhalt, Bavière, Bade, Hesse), comme par exemple le Code civil, l’organisation administrative, les Universités, etc.

 

Napoléon au faîte de sa gloire a mis à mort l’antique Saint-Empire romain germanique, que dominait l’Autriche, mais qui était tout de même bâti de manière à assurer certains équilibres en Allemagne. Est-ce que son bilan en Allemagne, ce n’est pas, finalement, une destruction de ces équilibres, au profit de l’Autriche mais surtout d’une Prusse avide de grandir et autrement plus aventureuse que son voisin du sud ? L’Allemagne n’est-elle pas plus dangereuse après Napoléon ?

Le Saint-Empire était une institution totalement sclérosée en 1806 et qui avait près de 1000 ans d’âge ! Son système électoral était devenu obsolète et la bataille d’Austerlitz va le renverser. Napoléon a sous-estimé la Prusse après sa déroute de 1806-1807. Elle va se mobiliser et présenter une armée plus moderne en 1813.

 

Quelles sont à votre sens les pistes de travail qui mériteraient d’être explorées pour mieux comprendre encore l’époque napoléonienne ?

Elles sont très nombreuses : il n’a a pas grand chose sur Haïti, sur certains personnes (on peut penser à une biographie de Brune, de Mortier...), et de nombreux civils. La période est si importante que beaucoup de choses seraient à publier.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

J’ai une seconde édition du Dictionnaire de la Grande Armée à paraître en 2019. La première édition date de 2002 et depuis, les bicentenaires ont apporté un lot de publications important. À paraître également à la même période, une biographie de Pauline Bonaparte. N’oublions pas également la quatrième édition du Guide touristique napoléonien... La "Bible" pour voyager quand on s’intéresse à cette époque.

 

Un dernier mot ?

Ce livre sur l’Allemagne a été présenté dans la presse d’une manière généreuse. C’est actuellement le seul ouvrage sur ce sujet publié en langue française et citant les trente-neuf États qui formèrent la Confédération du Rhin.

Au sujet de l’Allemagne, il est intéressant de noter que dans la Rhénanie, après l’Empire, se créèrent de nombreuses sociétés d’anciens soldats de Napoléon dont les monuments existent encore de nos jours. La notoriété de Napoléon est également très grande dans le monde de la reconstitution, et nombreux sont les Allemands qui enfilent avec fierté l’uniforme (souvent français) de l’époque napoléonienne ! En 2006, il y eut des milliers de personnes acclamant Napoléon à cheval suivi de son état-major (l’Américain Mark Schneider jouait le rôle de l’Empereur). Le cortège passant sous la porte de Brandenbourg, comme en 1806... Étonnant.

 

Alain Pigeard

 

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22 juillet 2018

« Quel bilan tirer de la Coupe du monde en Russie ? », par Carole Gomez

Il y a une dizaine de jours, peu avant la finale de la Coupe du monde de football qui allait voir la France (bravo les Bleus !!!) remporter sa deuxième étoile face à la Croatie (score : 4 à 2), j’ai proposé à Carole Gomez, chercheure à l’IRIS spécialiste des questions liées à l’impact du sport sur les relations internationales, une tribune carte blanche à propos de ce Mondial. Il y a deux ans, en période de Jeux olympiques d’été à Rio, elle avait déjà composé « Les compétitions sportives internationales, lieux d'expression du nationalisme », pour Paroles d’Actu. Je la remercie pour ce nouveau texte, qui nous éclaire sur la manière dont la Russie a voulu concevoir, et a géré cet événement. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

CDM Russie

 

« Quel bilan tirer de la 21ème Coupe du monde masculine

de football, qui vient de s’achever en Russie ? »

par Carole Gomez, le 19 juillet 2018

Si le grand public et les commentateurs sportifs retiendront, à juste titre, la victoire française en finale contre la Croatie apportant une 2ème étoile à l’équipe de France, force est de constater que ce mondial organisé en Russie a été pour le moins riche en enseignements.

Tout d’abord, intéressons-nous à l’hôte de ce méga-événement sportif. Désignée en décembre 2010, à la suite d’une élection qui a fait couler beaucoup d’encre, la Russie accueillait donc entre le 14 juin et le 15 juillet, 32 équipes. S’inscrivant dans la droite lignée de la diplomatie sportive mise en œuvre depuis le début des années 2000 par Vladimir Poutine, le Kremlin voulait faire de cette Coupe du monde le point d’orgue du retour de la Russie sur le devant de la scène sportive et in fine internationale. Les objectifs de l’organisation de ce Mondial sont de plusieurs ordres, relevant à la fois de politique intérieure mais évidemment aussi de politique étrangère.

En matière de politique intérieure tout d’abord, Vladimir Poutine souhaitait «  offrir  » cette Coupe du monde aux Russes, ayant pour ambition de les rendre fiers, par l’accueil d’une compétition à la internationale prestigieuse, mais également pour le parcours de la Sbornaya, l’équipe nationale, qui a plus que dépassé les attentes des supporters et du Kremlin, en étant éliminée aux tirs au but aux portes des demies-finales contre la Croatie. Cette édition a également permis de rappeler à la communauté internationale l’intéressante histoire russe et soviétique du football, qui tend à être souvent oubliée, voire minimisée.

Cet évènement représentait aussi un enjeu économique sur le plan intérieur d’un point de vue touristique. En effet, alors que la Russie n’accueillait qu’environ 30 millions de touristes en 2016 – à titre de comparaison, la France en accueillait 89 millions en 2017), Moscou entend utiliser cet évènement planétaire, retransmis dans la quasi-majorité des pays, comme un outil d’attractivité permettant de découvrir le pays autrement et ainsi susciter un intérêt. Si la question des retombées économiques d’un tel évènement sportif est toujours épineuse et variable en fonction de nombreux facteurs, les prochaines années témoigneront de la réussite ou non de ce pari.

Toujours sur le plan de la politique intérieure, il est également intéressant de s’attarder sur la carte de cette Coupe du monde et sur le choix des villes hôtes qui est loin de relever du hasard. Alors que le coût de cette Coupe du monde s’alourdissait au fil des mois, la FIFA en mai 2016 avait, à plusieurs reprises, alerté le pouvoir russe concernant les retards dans la construction ou rénovation de plusieurs enceintes. Devenu un sujet prioritaire pour l’ancien ministre des Sports, Vitaly Mutko, ainsi que pour le président Vladimir Poutine, l’avancement des infrastructures a été particulièrement suivi à la fois pour honorer les promesses faites à la FIFA, mais surtout pour chercher à démontrer la diversité des villes et provinces russes ainsi que l’unité de son territoire. En ce sens, l’organisation de matchs au sein de l’enclave de Kaliningrad, mais également à Sotchi, ou encore à Saransk, au sein de la République de Mordovie sont emblématiques. Par ailleurs, il est également à noter que l’ouverture de la Coupe a eu lieu quelques semaines après l’élection pour un quatrième mandat de Vladimir Poutine et qu’il entend encore accroitre par cet évènement sa popularité. Popularité toutefois mise à mal par l’annonce surprise du recul de l’âge de la retraite (de 55 à 63 ans pour les femmes ; de 60 à 65 ans pour les hommes).

 

« Le sport fait aujourd’hui clairement partie

de l’arsenal de la Russie en tant qu’outil de soft power. »

 

En matière de politique étrangère, avec l’accueil de la Coupe du monde, la Russie souhaitait faire un pas supplémentaire dans la mise en œuvre de sa diplomatie sportive initiée au début des années 2000, après avoir notamment obtenu les Jeux olympiques et paralympiques à Sotchi (2014) ainsi que l’organisation de grands compétitions internationales (escrime, natation, athlétisme, Universiades). Par sa capacité à organiser un méga évènement sportif, par la qualité de sa prestation, par le rappel de son histoire sportive, loin des scandales de dopages, la Russie utilise donc le sport comme un outil de soft power, permettant de la mettre, au moins le temps de la compétition, au cœur de l’attention. Cette présence incontournable sur la scène sportive est indissociable de la scène politique, Vladimir Poutine recevant nombre de chefs d’État et de gouvernement et ouvrant donc la voie à des discussions informelles. S’il est trop tôt pour tirer un bilan diplomatique de ce qui s’est passé dans les couloirs des stades, il sera intéressant de suivre dans les prochains mois les éventuelles avancées sur le plan diplomatique pour la Russie.

En outre, par un jeu de miroir l’associant à un évènement international populaire, festif et positif, Moscou souhaite donc renvoyer une image lissée de son pays, tourné vers l’extérieur, prête à accueillir le monde et permettant ainsi de venir faire oublier les fortes critiques à son égard depuis notamment l’annexion de la Crimée, les scandales de dopage révélés par plusieurs documentaires ou encore l’affaire Skripal. Sur ce dernier point, alors qu’un boycott sportif avait rapidement été évoqué par l’ancien ministre des Affaires étrangères britannique, Boris Johnson, avant de rapidement revenir sur cette proposition, le spectre d’un boycott diplomatique de grande envergure a plané sur la compétition. Hypothèse émise dès la désignation du pays, ce type de sanction s’est soldé par un échec, le Royaume-Uni se trouvant incapable de fédérer largement au-delà de ses frontières, trouvant un écho pour le moins faible, pour ne pas dire existant, au sein de l’Union européenne. Un premier effet du Brexit, ou la conséquence d’une volonté de boycott que l’on sait inefficace et vain ?

D’autre part, et cela trouve une résonnance particulière avec le sport, elle cherche également à montrer sa puissance sur la scène sportive, dans une perpétuelle compétition avec les autres nations, et notamment l’Occident. Le parcours de la Sbornaya, qui n’a pas trébuché avant les tirs au but en quart de finale, permettra d’entretenir cet argumentaire.

Que retenir de cette Coupe du monde ?

Alors que la question sécuritaire était, logiquement, mise en avant, avec notamment le risque terroriste mais également la crainte de voir des violences dans et en dehors des stades, il semblerait, selon les informations disponibles pour l’instant, que Moscou ait réussi à garder le contrôle de la situation. En matière notamment de lutte contre l’hooliganisme, plusieurs médias ont révélé quelques semaines avant le début de la Coupe du monde que le FSB avait été chargé de tenir à l’écart les hooligans susceptibles d’intervenir au cours de la compétition, et qu’il était parvenu à atteindre ce but. Au regard de l’importance de l’évènement, cela n’est cependant guère étonnant, compte tenu de la volonté de Vladimir Poutine de voir ce Mondial réussi, sans être entaché de quelque incident de ce genre. Seule l’irruption sur le terrain de membres des Pussy Riot, le soir de la finale, le 15 juillet, fait, sans doute, office d’ombre au tableau pour Vladimir Poutine.

Par ailleurs, si l’on s’éloigne du terrain sportif pour se concentrer sur l’aspect économique de cette compétition, il est intéressant de noter la forte représentativité d’entreprises chinoises parmi les partenaires et sponsors officiels de la compétition (Wanda, Hisense, Vivo, Mengniu et Yadea), confirmant la montée en puissance et la désormais indiscutable présence de l’Empire du milieu dans le football.

 

« Les Chinois étaient massivement présents en Russie ;

cela semble lié aux efforts déployés par Xi Jinping avec

son programme général de développement du football chinois. »

 

Cette présence va également de pair avec la forte présence de supporters chinois en Russie : Ctrip, opérateur chinois, a annoncé que la vente de billets d’avion vers la Russie pour la période juin-juillet 2018 avait augmenté de 40%, alors même que l’équipe nationale n’était pas qualifiée. Cette popularité du football peut être analysée à la lueur des importants efforts déployés par Xi Jinping depuis mars 2015 avec son programme général de développement et de réforme du football chinois, qui entend octroyer à la Chine au niveau du sport un statut conforme à sa position politique et économique.

Une fois de plus, le sport, et le football dans ce cas, dépasse très largement son seul pré carré et comporte d’importants volets politiques, diplomatiques et économiques. La prochaine Coupe du monde de football qui aura lieu en France (la féminine, ndlr), à partir de juin 2019, et la suivante qui aura lieu au Qatar à l’hiver 2022, seront donc à suivre avec une très attention. Ce qui n’est pas pour nous déplaire...

 

Carole Gomez

 

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19 juillet 2018

Charles Éloi-Vial : « La fascination pour les cours anciennes répond à une méconnaissance du passé... »

Charles Éloi-Vial est un passionné qui, à 31 ans, compte parmi les plus prometteurs de nos historiens, et c’est une joie pour moi que de le recevoir aujourd’hui. Actuellement en poste à la Bibliothèque nationale de France en tant que conservateur au service des manuscrits, il a récemment composé un portrait inédit de Marie-Louise, seconde épouse de Napoléon Ier et impératrice des Français (1810-14), publié aux éditions Perrin. C’est à propos de son ouvrage précédent, Les derniers feux de la monarchie : La cour au siècle des révolutions (également publié par Perrin, en 2016), que j’ai souhaité l’interroger : cette thématique de la sociologie et de l’influence de l’entourage du souverain en l’ère troublée des temps révolutionnaires m’intéresse beaucoup, et la manière dont elle est traitée par l’auteur est passionnante et hautement instructive. Je vous invite, après lecture de cette interview, à vous emparer de ce livre, et à suivre les travaux de M. Charles Éloi-Vial (dont bientôt une bio de Duroc ?), que je remercie à nouveau ici. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 25/04/18 ; R. : 21/06/18.

Charles Éloi-Vial: « La fascination pour les cours anciennes

répond à une méconnaissance du passé... »

Les derniers feux de la monarchie

Les derniers feux de la monarchie, Éditions Perrin, 2016.

 

Charles-Éloi Vial bonjour, merci d’avoir accepté de répondre à mes questions, autour de votre livre Les Derniers Feux de la monarchie, paru en 2016 aux éditions Perrin. Avant d’entrer dans le vif du sujet, parlez-nous un peu de vous et de votre parcours ? D’où vient cet intérêt marqué que vous portez aux questions patrimoniales en général, et à celles touchant aux têtes couronnées en particulier ?

pourquoi ce livre ?

Bonjour et merci de m’avoir proposé cette interview. Pour repartir du début, j’ai fait l’École nationale des chartes puis un doctorat qui portait sur le service du grand veneur sous l’Empire et la Restauration, ce qui m’a amené à m’intéresser au rôle diplomatique et politique de la chasse en plein XIXe siècle alors qu’il s’agit d’une activité plutôt accolée aux souverains de l’Ancien Régime. Ma thèse soutenue, j’ai eu envie de continuer en étudiant le phénomène de cour de façon plus globale, en mettant en avant la continuité par-delà la période révolutionnaire plutôt que la rupture. Mon travail de conservateur à la Bibliothèque nationale de France m’avait permis de repérer des sources inédites ou peu connues, qu’il s’agisse de papiers administratifs, de correspondances ou de textes autobiographiques, sans lesquels il aurait été impossible d’entreprendre un tel travail. Le but aussi était de produire le livre le plus sérieux et le plus scientifique possible, en évitant les poncifs et les clichés sur les robes et les bijoux, mais sans pour autant ennuyer le lecteur.

 

La cour qui entoure Louis XVI à Versailles, à la veille de la Révolution, ressemble-t-elle sociologiquement parlant à celle au milieu de laquelle vécut Louis XIV un siècle plus tôt ? La mobilité entre classes (bourgeoisie/noblesse) était-elle plus ou moins évidente en l’une ou l’autre époque ?

la cour, sociologie et mobilités

Traditionnellement, on a toujours considéré que la cour de Louis XVI était, tout comme celle de Louis XV à la fin du règne d’ailleurs, une cour sur le déclin. Les reproches, par ailleurs justifiés, sur le coût exorbitant de la cour ont été déjà maintes fois étudiés et sont toujours présentés comme une des origines de la Révolution française. On évoque un peu moins le rôle social de la cour, qui avait fonctionné sous Louis XIV comme un instrument d’agrégation des nouvelles élites au pouvoir royal avec l’arrivée dans le système curial de la noblesse de robe, peu à peu fusionnée et alliée à la noblesse d’épée : Norbert Elias en avait notamment parlé dans la conclusion de son maître-livre La Société de cour, en expliquant surtout que cette capacité de l’institution curiale à susciter de nouveaux soutiens à la monarchie par son faste et son prestige était en panne à la fin du XVIIIe siècle. Le système avait échoué à intégrer la bourgeoisie, la frange la plus puissante du Tiers état, dont les moyens financiers égalaient ou dépassaient ceux de la noblesse. Autre élément de faiblesse, la cour avait perdu de son attractivité, tant en raison de la personnalité des souverains qu’à cause du rayonnement intellectuel et social de Paris. Par conséquent, les courtisans, au lieu de vivre à l’année dans la «  cage dorée  » versaillaise, n’y faisaient plus que de rares apparitions, pour remplir les devoirs de leurs charges quelques jours ou quelques semaines par an, ou encore pour profiter de certaines fêtes ou grandes cérémonies. La cour en partie désertée, il devenait de plus en plus difficile de justifier son coût. L’idée de Louis XIV de s’attacher les nobles afin de museler les oppositions perdait aussi une partie de sa valeur. Même s’il n’était plus question de prendre les armes contre le roi comme à l’époque de la Fronde, la résistance pouvait prendre d’autres formes, comme l’avaient montré les protestations des frères du roi et de leurs partisans lors de l’assemblée des notables de 1787. Cette opposition, qui venait de ceux qui auraient théoriquement dû former le cœur même de la cour, rejoignait en outre la lame de fond plus puissante de la résistance au pouvoir central que l’on constate sur tout le royaume, que l’on qualifie de «  réaction nobiliaire  », qui se traduisait par un regain d’intérêt pour des privilèges et les droits féodaux.

 

« À la fin du XVIIIe siècle, le système curial avait échoué

à intégrer la bourgeoisie, dont les moyens financiers

égalaient ou dépassaient alors ceux de la noblesse. »

 

Les courtisans les plus influents sous Louis XVI sont-ils des absolutistes ? Des partisans d’un système féodal plus classique ? Des gens peut-être plus libéraux ? Quels sont ceux qui choisissent de rester auprès de la famille royale là où d’autres, dont les frères du roi, ont choisi l’exil ?

les courtisans de Louis XVI face à la Révolution

Il n’y a pas d’unanimité parmi les courtisans. Il y a, comme toujours, des coteries et des groupes qui tentent d’influencer le roi ou d’obtenir le renvoi ou la nomination de tel ou tel ministre. Certains aspirent au changement et à la réforme, en soutenant la remise en question de la société des privilèges et la remise à plat du système fiscal, tandis que d’autres sont clairement opposés au changement. Pour certains, la vision d’une France centralisée et absolutiste doit être abandonnée au profit d’un retour à un ordre plus féodal, donnant davantage de poids aux provinces, aux parlements ou aux particularismes locaux. Il n’est pas aisé de dégager un discours cohérent, les courtisans se piquant tous plus ou moins de politique à cette époque, s’amusant à élaborer des plans de réforme tous plus fantaisistes les uns que les autres, même si certains d’entre eux, sous des dehors libéraux, cachent en réalité des intentions clairement conservatrices. Sans brûler les étapes, on constate tout de même que quelques lignes commencent à s’esquisser, avec des aspirations davantage «  jacobines  » d’un côté «  girondines  » de l’autre, voire «  monarchiennes  » ou «  ultra  ». Ce sont encore des aspirations floues, d’autant plus que les intérêts personnels viennent très vite brouiller les cartes, chaque acteur obéissant à la fois à ses idéaux, mais aussi à ceux de sa famille. Dès 1789, avec l’abolition des privilèges, le mouvement révolutionnaire étant lancé et difficile à arrêter, le monde de la cour va quelque peu oublier ses dissensions des années précédentes pour s’arc-bouter sur des symboles qui vont peu à peu transcender les idées politiques. De nombreux courtisans vont ainsi continuer à servir Louis XVI malgré le déclin de son autorité et la déliquescence du monde curial entamée avec la réinstallation forcée de la cour à Paris en octobre 1789, que ce soit par attachement personnel ou par exaltation d’un idéal chevaleresque de fidélité au suzerain. Pour la plupart de ces partisans du roi, 1789 est acceptable : on songe à Lafayette, au duc d’Aiguillon, au vicomte de Noailles... De l’autre côté, le monde de l’émigration va canaliser les mécontents, les opposants au nouvel ordre des choses, ceux pour qui 1789 est une abomination : en exaltant la foi catholique ou les valeurs militaires, les émigrés puisent leur courage dans les idéaux chevaleresques, préférant recourir aux discours et aux symboles plutôt que de s’appuyer sur les idées, leurs dissensions politiques affleurant  facilement, que ce soit entre les deux frères de Louis XVI, Provence et Artois, ou entre les anciens ministres exilés comme Calonne ou Breteuil.

 

Dans quelle mesure peut-on dire que des décisions majeures, décisives du roi en cette époque troublée ont été influencées directement par des courtisans, à domicile ou en exil ?

Louis XVI et les grandes décisions

Louis XVI n’est pas seul aux Tuileries, malgré le départ de nombreux courtisans, mais ceux-ci se sentent de plus en plus exclus des décisions, mais le pouvoir royal se réduit comme peau de chagrin devant les réformes de l’Assemblée nationale. En outre, le roi et la reine prennent les principales décisions engageant leur avenir seuls, comme par exemple pour la fameuse épopée de Varennes. Les choses en arrivent au point que les courtisans se sentent quelque peu trahis, le roi les privant d’un de leurs principaux attributs qui est de conseiller le monarque. Au contraire, ce dernier ira davantage chercher des avis auprès de certains députés comme Mirabeau. L’autre grande fonction à laquelle les courtisans se rattachent est celle de protéger le roi et sa famille, et de ce côté, la noblesse répond présent : quelques centaines de gardes du corps viendront se battre aux Tuileries le 10 août 1792 et certains tenteront de suivre le roi jusqu’au Temple, comme le premier valet de chambre Chamilly, la marquise de Tourzel ou la princesse de Lamballe.

 

Que sont devenus les grands courtisans ayant survécu à la Terreur, après la mort de Robespierre ? Y a-t-il des retours d’exil significatifs durant les années où l’on constate, à l’intérieur, un relatif retour au calme ?

après 1793, quels retours d’exil ?

Il n’est pas facile de répondre à cette question car entre la Terreur, les départs et les retours d’émigration, les guerres de Vendée et celles de l’armée des Princes, la vie des courtisans – et de manière plus générale des dizaines de milliers de nobles qui ne fréquentaient pas forcément Versailles mais qui ont choisi de quitter la France de la Révolution -, se subdivise en autant de destins individuels. Il y a des retours, souvent douloureux, les biens des émigrés ayant été confisqués. On pense par exemple au roman de Joseph Fiévée, La Dot de Suzette, sorte de roman social avant l’heure mettant en scène des aristocrates déclassés face aux nouveaux riches du Directoire. Toutefois, beaucoup arriveront à tirer leur épingle du jeu. D’autres choisiront l’exil, en entrant au service de nations étrangères comme le comte Roger de Damas, qui combat pour le roi de Naples. Certains tenteront de se faire oublier et vivront paisiblement à l’étranger, comme Chateaubriand, qui retrouva toute une société d’émigrés en Angleterre en 1793. Les plus rares seront ceux qui suivront les princes en exil jusqu’au bout, par exemple les proches de Louis XVIII qui formèrent autour de lui un fantôme de cour, comme le marquis de Dreux-Brézé. On le sait cependant, les retours en France s’accélèrent avec le Consulat, Bonaparte intervenant lui-même pour faire rayer certains noms des listes d’émigrés, que ce soit pour faire entrer certains talents à son service, ou pour complaire à Joséphine, qui joue volontiers le rôle d’intermédiaire entre l’ancienne aristocratie et le nouvel homme fort.

 

« Les retours en France se sont accélérés avec le Consulat,

Bonaparte lui-même étant intervenu pour faire rayer

certains noms des listes d’immigrés. »

 

Quels sont ceux qui tireront particulièrement bien leur épingle du jeu des changements de régime, passant sans trop de dégât des faveurs royales aux faveurs d’une monarchie restaurée, en passant par un standing honorable (ou mieux !) lors des périodes révolutionnaire et impériale ?

revers et retours de fortune

Le nom qui vient tout de suite à l’esprit est celui de Talleyrand, bien entendu, qui passe brillamment de la cour de Versailles à celle de Napoléon puis enfin à celle des Bourbons restaurés. Les «  girouettes  » de moindre envergure sont nombreuses, les ralliements à l’Empire s’accélérant particulièrement après le mariage de Napoléon et de Marie-Louise. L’armée, de même que le corps préfectoral ou le conseil d’Etat, forment des «  pépinières  » où sont placés les anciens nobles ralliés. Parmi ceux qui donnent très tôt des gages au nouvel empereur et en sont récompensés, on peut penser à quelques grandes familles comme les Montesquiou ou les Ségur. Il ne faut pas oublier non plus que quelques-uns changeront d’avis, comme la duchesse de Chevreuse, ralliée du bout des lèvres à l’Empire mais qui finira par être exilée à 50 lieues de Paris à cause de son antipathie trop prononcée envers Napoléon. Ces ralliements sont pourtant essentiels aux yeux de l’empereur, que ce soit pour donner de l’éclat à sa nouvelle cour impériale, en retrouvant le bon ton et l’esprit de Versailles, mais aussi pour assurer la stabilité de son régime, en favorisant la fusion entre les élites de l’Ancien Régime et celles issues de la Révolution..

 

Talleyrand

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, l’homme

qui a essayé tous les régimes...

 

Du point de vue de la cour, la Restauration est-elle triomphante, arrogante, ou bien plutôt humble et discrète ? Est-ce que de ce point de vue on note une différence nette entre les règnes de Louis XVIII le modéré et de son frère, Charles X l’ultra ?

la Restauration, triomphante ou humble ?

Le triomphalisme n’est pas unanimement partagé par les courtisans qui prennent leur place aux Tuileries en 1814. Certains étaient déjà là sous Napoléon et craignent que leur ralliement ne leur coûte cher. Les nouveaux nobles d’Empire, qui craignent également pour leurs titres et leurs revenus, se font discrets mais finissent par se plaindre de l’attitude froide de certains courtisans d’Ancien Régime. Enfin, certains ont rongé leur frein en émigration ou en province, parfois depuis 1789, et leur premier soin est de se refaire une santé financière en quémandant des pensions ou des charges de cour : la cour de la Restauration coûtera donc plus cher que celle de l’Empire, le roi pensionnant des milliers de ses anciens partisans. De ce point de vue-là, la vie de cour est en effet assez impitoyable et ressemble en 1814 à une foire d’empoigne. Après les Cent-Jours, la cour a en revanche tendance à se replier sur elle-même. Les Bourbons vivent entre eux, avec leurs proches, et les fêtes se font plutôt rares. Il y a cependant eu des concessions puisque la cour ne revient pas à son état d’avant 1789 : l’étiquette d’Ancien Régime n’est pas entièrement rétablie, le roi va par exemple ouvrir la session parlementaire comme le faisait Napoléon ; il ne dîne plus en public qu’une ou deux fois par an ; il évite les voyages de cour qui sont trop onéreux. Louis XVIII a à cœur d’imposer sa politique de pardon et accueille les nobles d’Empire, une réforme de 1820 étant notamment mise en œuvre par le duc de Richelieu pour ouvrir davantage la cour à ces nouveaux courtisans qui ne sont pas d’ancienne noblesse. En revanche, Charles X est un roi plus fastueux, ne serait-ce qu’à cause des festivités de son sacre en juin 1825. Il est aussi moins discret, notamment dans ses pratiques de dévotion, puisqu’il prend part avec la cour à des processions en plein Paris, ce qui contribue à miner sa popularité. Le rejet de la Révolution s’exprime de façon nettement plus forte sous son règne, les «  ultras  » étant arrivés au pouvoir, notamment avec le gouvernement du prince de Polignac. Le «  coup de majesté  » que Charles X essaie d’imposer en 1830 peut à ce titre être vu comme une tentative des courtisans les plus conservateurs d’appliquer leur programme politique, qui au fond est celui de la contre-révolution. La réaction populaire est telle que la cour et ses anciennes traditions sont balayées en même temps que l’ancienne dynastie.

 

« Le "coup de majesté" que Charles X essaie d’imposer en 1830

peut être vu comme une tentative des courtisans les plus

conservateurs d’appliquer leur programme politique, qui au fond

est celui de la contre-révolution. La réaction populaire

sera telle que la cour et les anciennes traditions seront balayées,

en même temps que l’ancienne dynastie. »

 

Après les Journées de Juillet (1830), Louis-Philippe Ier d’Orléans remplaça, sur le trône, ses cousins de la branche aînée des Bourbons. Il fut non pas «  roi de France  » mais «  roi des Français  », et on dit de lui qu’il était un «  roi bourgeois  ». La cour de ce roi fut-elle plus bourgeoise que les précédentes, et si oui cela a-t-il eu un impact sur la politique économique de la France (par exemple, s’agissant de son essor industriel) ?

sous Louis-Philippe, une cour bourgeoise ?

La cour de Louis-Philippe est peut-être la plus originale et la plus novatrice du XIXe siècle, bien loin de l’image poussiéreuse et figée qui colle encore à la peau du régime de Juillet. À son arrivée au pouvoir, sous la pression de la rue, le nouveau roi doit renoncer à l’organisation fastueuse de la cour de Charles X, supprimer l’étiquette et les grandes charges de cour héritées de l’Ancien Régime. Il affirme vouloir régner «  bourgeoisement  », en vivant en bon père de famille, ce qui n’est pas tout à fait pour lui déplaire, puisqu’il tient par exemple, jusqu’en 1831, à habiter le Palais-Royal, sa demeure ancestrale. Cependant, Louis-Philippe est rapidement rattrapé par l’exigence du faste et par le besoin de se créer un entourage de collaborateurs et d’hommes de confiance. Il comprend aussi que le protocole est indispensable pour se faire respecter. Une cour minimale réapparaît donc rapidement autour de lui, avant de prendre rapidement de l’ampleur avec l’installation du roi aux Tuileries. La vie de cour est jusqu’en 1848 rythmée par les grandes réceptions qui permettent de recevoir quasiment chaque semaine aux Tuileries plusieurs milliers de convives : les courtisans ne sont plus quelques dizaines ou centaines de nobles proches du roi et de sa famille, mais bien des bourgeois ralliés au régime ou en voie de se laisser rallier. Les fêtes, les bals, les concerts sont donc moins guindés, moins élégants – même si la mode féminine connaît sous Louis-Philippe un véritable âge d’or –, tandis que les listes d’invités laissent apparaître quantités de notaires, de rentiers, de commerçants, d’industriels, d’hommes politiques locaux, tous incroyablement flattés d’être conviés dans le palais du roi, de profiter d’un beau buffet et de trinquer avec la famille royale. Peu à peu, la cour gagne quand même en solennité, notamment lors des voyages de cour à Compiègne ou à Fontainebleau qui renvoient directement à la grande tradition royale. La cour reste malgré tout bourgeoise, une invitation aux Tuileries devenant même un signe de réussite pour des nouveaux riches en quête de reconnaissance sociale. Son rôle est donc davantage politique qu’économique, même si la société qui se bouscule aux Tuileries, celle des «  hommes en noir  », est bien représentative de la période de la monarchie parlementaire et de la révolution industrielle, en somme, de la France de Guizot.

 

« La cour de Louis-Philippe est essentiellement bourgeoise,

une invitation aux Tuileries devenant alors un signe de réussite

pour des nouveaux riches en quête de reconnaissance sociale. »

 

Les empereurs Napoléon Ier et Napoléon III ont tous deux assis leur règne en partie sur une conception de la citoyenneté directement héritée des acquis de la Révolution : l’égalité civile au sein d’une société sans classes. Mais dans les faits, a-t-on accordé, dans l’entourage de l’un et de l’autre, une place significativement plus importante aux personnalités méritantes, ou bien la rente et l’héritage étaient-ils, là aussi, à peu près aussi représentés que dans les cours d’Ancien Régime ou de Restauration ?

le mérite sous les cours d’empire

La question du mérite est véritablement centrale pour comprendre les enjeux de pouvoir autour des cours du XIXe siècle. Là où la cour de l’Ancien Régime avait échoué à intégrer cette composante et où Louis XVI, avant 1792, avait refusé de laisser les députés brissotins lui constituer un nouvel entourage de courtisans «  bourgeois  », Napoléon affirme au contraire l’importance du mérite. C’est en tout cas ce qu’il répète à ses proches et ce qu’il affirmera à Sainte-Hélène : pour lui, le caporal peut avoir son bâton de maréchal dans sa giberne, et le courtisan n’est pas forcément noble mais peut tout à fait être de basse extraction sociale, pourvu qu’il s’illustre au service de l’État ou qu’il fasse fortune par ses propres moyens. Il affirme constamment l’importance du mérite individuel et tente de le mettre en avant à la cour, mais il n’oublie pas non plus de favoriser les anciennes élites, qui restent puissantes et qui ne s’inscrivent pas du tout dans la même logique. Par conséquent, ce rêve d’une égalité parfaite est un peu mis à mal, d’autant plus que les courtisans de basse extraction ne cherchent qu’à pérenniser leur fortune en favorisant leurs enfants, de manière à créer leur propre lignée. La Restauration cherche elle aussi à ménager la chèvre et le chou en affirmant vouloir admettre des non-nobles méritants dans l’entourage du roi, mais dans les faits, les familles d’Ancien Régime reprennent largement leur place. Ce n’est qu’avec Louis-Philippe que la cour s’ouvre réellement, la notion même de «  courtisan  » étant entièrement redéfinie pour être corrélée avec l’idée de mérite individuel et de réussite économique et sociale. Napoléon III conserve cette idée d’ouverture, même s’il tient à donner du lustre à son régime en appelant auprès de lui des représentants de grandes familles. Finalement, l’histoire de la cour au XIXe siècle évoque une des grandes passions françaises, qui est justement cette lutte constante entre le mérite et l’esprit de caste, comme un prélude à cet «  ascenseur républicain  » à qui l’on reproche si souvent de nos jours d’être en panne…

 

« Ce n’est qu’avec Louis-Philippe que la cour s’ouvre

réellement, la notion même de "courtisan" étant entièrement

redéfinie pour être corrélée avec l’idée de mérite individuel

et de réussite économique et sociale. »

 

Diriez-vous de la cour qu’elle a été, à tel ou tel point de l’histoire de notre pays, authentiquement "scandaleuse" en ce que son entretien, peut-être immérité, aurait pesé d’un poids exorbitant sur les finances nationales ?

la cour au XIXe, un scandale ?

On peut considérer que la cour coûte cher, qu’elle est un lieu propice aux gaspillages et à la débauche. Il est aussi possible de la voir comme un moteur économique faisant vivre des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes, les employés des cuisines, des écuries ou des appartements par exemple, mais aussi les tailleurs et joailliers parisiens chez qui les invités du roi se fournissent. En cela, la cour a une utilité sociale. Elle participe aussi au devoir de représentation et à l’exigence de faste qui incombe à tout pouvoir, quel que soit le type de régime, et occupe une fonction non négligeable dans le rayonnement du pays. Enfin, elle joue au XIXe siècle un rôle artistique important, en encourageant ou en pensionnant les artistes et hommes de lettres, mais aussi en meublant et en restaurant les grands châteaux comme Versailles ou Fontainebleau qui auraient sans cela complètement disparu. On ne peut donc pas qualifier la cour de scandaleuse, même si les pensions accordées par certains souverains – on pense tout particulièrement aux Bourbons – ont parfois pu coûter cher et être imméritées. Si Louis XVI, Louis XVIII et Charles X abusent peut-être de ce système des pensions dont les dépenses augmentent au détriment de celles consacrées au faste, on ne doit pas non plus oublier que la cour est un espace novateur du point de vue social, où Napoléon met en place un système de caisse de retraite dès 1810, où les employés sont soignés gratuitement et ont accès à une bibliothèque, ce qui pour l’époque est exceptionnel. Enfin, sur le plan de la «  morale  », on peut se demander si la cour a été scandaleuse. Celle de Louis XVI a pu l’être par ses liens politiques avec la contre-révolution, celle de Napoléon était au contraire très rigide du point de vue des mœurs. Les Bourbons et les Orléans étaient eux aussi plutôt puritains, malgré la passion curieuse de Louis XVIII pour ses favoris successifs, le ministre Decazes et la comtesse du Cayla, qui eurent cependant à cœur de ne pas abuser de leur position. Les fils de Louis-Philippe ont eu quelques frasques de jeunesse, et la cour de la monarchie de Juillet s’est fait remarquer à la toute fin du règne par quelques fêtes trop fastueuses, qui ont choqué les Parisiens confrontés à une crise économique. Enfin, la cour de Napoléon III a peut-être plusieurs fois provoqué des scandales, l’empereur affichant de nombreuses maîtresses. On a sans doute envie de charger la cour du XIXe siècle de tous les maux, dans le prolongement de celle de Versailles (dont la réputation désastreuse pourrait sans doute aussi être revue à la baisse), mais en réalité, ces régimes n’étaient ni plus ni moins corrompus, scandaleux ou dépensiers qu’à notre époque.

 

« Somme toute, ces régimes n’étaient ni plus ni moins corrompus,

scandaleux ou dépensiers qu’à notre époque. »

 

Si on l’analyse règne après règne, époque après époque, pour la période qui nous concerne (l’après-1789), quand peut-on dire que la cour aura été majoritairement une force de fermeture et d’inertie, voire de réaction ? Quand aura-t-elle été, au contraire, une force d’ouverture à l’extérieur, de réforme de la société ?

une force de réaction ou de mouvement ?

La cour opère à ce niveau un véritable mouvement de balancier. Elle reste sous Louis XVI globalement très conservatrice et fermée à la Révolution ainsi qu’aux changements qu’elle apporte. En revanche, dès l’Empire, elle reflète les évolutions de la société : celle de Napoléon évoque sa volonté de fusion des anciennes et des nouvelles élites, celle de Louis XVIII «  renoue la chaîne des temps  » en actant le retour à la cour des grandes familles de Versailles, oscillant entre une volonté d’ouverture puis un fort conservatisme qui reflète celui du gouvernement de la fin du règne de Charles X. Elle est alors clairement une force de réaction. Sous Louis-Philippe et Napoléon III, en s’ouvrant à la bourgeoisie, elle devint au contraire une force d’ouverture et accompagnant les évolutions de la société, de l’essor de la grande bourgeoisie qui s’allie progressivement à l’aristocratie tout en adoptant ses codes et ses modes de vie. On peut voir les cours de chaque régime comme des reflets de leurs époques.

 

Quand on observe qu’une partie importante du public français goûte volontiers les histoires somme toute assez people qui entourent la vie de leur monarque républicain, ou encore qu’on s’extasie bien vite devant la naissance d’un Royal Baby (fût-il cinquième dans la ligne de succession à la couronne britannique), est-ce à dire que, quelque part, les Français ont une appétence inavouée pour les figures monarchiques ? Après tout, Emmanuel Macron lui-même, avait affirmé lorsqu’il était ministre de l’Économie qu’il manquait «  un roi à la France  »...

une appétence française pour la monarchie ?

La cour de l’Ancien Régime fait davantage rêver que celle de Napoléon III… La fascination pour les cours anciennes répond en réalité à une méconnaissance du passé : on rêve d’une cour idéalisée, réduite à quelques figures archétypales comme Louis XIV et Marie-Antoinette, on fantasme sur les grands appartements de Versailles et de Fontainebleau ou sur les charmes du Petit Trianon, mais sans réellement connaître la complexité de leur histoire. Même si la vie de cour nous a légué ces lieux splendides, elle ne se limite pas à un héritage artistique ou patrimonial. Et de fait, l’intérêt des visiteurs des grands châteaux royaux pour le rôle politique ou diplomatique de la cour, ou pour sa complexité comme lieu de vie et construction sociale semble complètement passer à la trappe. Finalement, la fascination que vous évoquez pour la royauté anglaise – c’est-à-dire une monarchie réduite à son rôle de représentation et d’incarnation du pouvoir par le faste – renvoie peut-être à la perception des cours anciennes, que l’on imagine avant tout comme le théâtre d’un art de vivre fantasmé, et non comme des lieux de vie et surtout des lieux de pouvoir. Cette appétence des Français pour les figures monarchiques provient peut-être davantage de la méconnaissance des réalités du fonctionnement des systèmes monarchiques anciens que du déficit de l’incarnation du pouvoir dans notre République. On en revient toujours à la nécessité de mieux étudier l’histoire. En visitant Versailles, on peut certes apprécier les ors de Louis XIV, mais il est dommage de méconnaître la complexité logistique et humaine de l’institution curiale.

 

« L’appétence des Français pour les figures monarchiques

provient peut-être davantage de la méconnaissance des réalités

du fonctionnement des systèmes monarchiques anciens

que du déficit de l’incarnation du pouvoir dans notre République. »

 

Si vous deviez, parmi tous les courtisans dont vous brossez le portrait dans votre livre, n’en choisir qu’un ? Qui, et pourquoi ?

s’il devait n’en rester qu’un...

Au risque de paraître banal, j’éprouve une grande sympathie pour le grand maréchal du palais de Napoléon, Duroc, un homme brillant, doué d’une immense force de travail. En lisant ses lettres je me suis rendu compte de son dévouement à l’empereur qui lui faisait entièrement confiance – il est un peu le modèle de ces «  hommes  » de Napoléon, qui formaient sa garde rapprochée et qu’il avait lui-même formé pour le servir. Il s’occupe de presque tout à la cour impériale, de la décoration, de l’entretien des palais, de la sécurité, du personnel et des cuisines, sa position de proche de l’empereur faisant de lui un interlocuteur privilégié pour tous les administrateurs de la Maison de l’empereur. Il apprend sur le tas son métier de courtisan, n’étant pas issu d’une famille de la cour de Versailles, et en remontre pourtant aux plus grands seigneurs de l’Ancien Régime comme Talleyrand qui avoue son admiration pour lui. À l’occasion, il fait preuve de talents de diplomate insoupçonnés, qui le font connaître dans toute l’Europe. Pourtant, il cache derrière son dévouement à l’empereur des ambitions militaires frustrées, car il rêvait d’être un grand général. Napoléon, qui a trop besoin de lui, l’empêche de partir au combat, mais il meurt pourtant d’un boulet de canon à la fin de l’Empire, ce qui est une terrible ironie du sort. C’est un personnage fascinant, bien plus complexe que l’on pensait, qui mériterait une biographie.

 

Duroc

Portrait du maréchal Duroc, duc de Frioul, par Antoine-Jean Gros.

 

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?

la suite...

On ne s’arrête pas de travailler sur la cour si facilement. J’ai prolongé ma réflexion sur le Premier Empire et sur le rôle des femmes à la cour avec une biographie de Marie-Louise parue l’an dernier chez Perrin. J’ai voulu aussi revenir à ce que j’avais écrit sur la chute de la monarchie au 10 août 1792 et sur le rôle de la vie de cour dans les événements révolutionnaires. J’en ai tiré un livre sur la captivité de la famille royale au Temple, qui paraîtra le 16 août. Il y a d’autres livres prévus pour la suite, souhaitez-moi donc juste d’avoir le temps de tous les écrire…

 

Charles Éloi-Vial

Charles Éloi-Vial. Illustration : France Info.

 

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3 juillet 2018

Véronique de Villèle : « Il y a en moi, une forme de force, qui me pousse à ne jamais me laisser aller... »

À la mi-juin, moi, le presque Lyonnais qui ne fréquente (pour le moment ?) que très rarement la capitale, j’ai décidé de retourner voir Paris (Paris !), pour quelques jours. Je voulais revoir quelques uns des grands sites qui font la majesté de la Ville Lumière (photos ici si ça vous dit), m’immerger dans des atmosphères pittoresques de quartier qui en font le charme, et surtout rencontrer enfin des gens aux échanges agréables et venus de là-bas mais que je n’avais jusqu’à présent pas encore vus "en vrai". Parmi eux, Frédéric Trocellier, et Véronique de Villèle. J’ai connu Frédéric, un passionné de photo, il y a une quinzaine d’années, sur un forum que j’animais alors, et nous n’avions heureusement jamais perdu le contact depuis. Véronique compte parmi mes fidèles encouragements, pour Paroles d’Actu, et elle a répondu à plusieurs de mes sollicitations d’interview depuis 2002.

Le lundi 18 juin, nous avons avec Frédéric passé la matinée du côté de Montmartre et de son Sacré-Cœur (il a passé son enfance dans le 18e). Puis, autour de 13h, direction la rue du Cherche-Midi pour rejoindre les locaux des Cercles de la Forme, dans lesquels officie Véronique. Nous avons discuté un peu avec Véronique, puis assisté à son cours. Un cours complet, rythmé, et où le dynamisme est le maître-mot. Frédéric a pris des photos, nous avons tous deux observé, regardé Véronique se mouvoir de part et d’autre de la salle au rythme de la musique, et les élèves suivre ses instructions. Nous les remercions, tous, d’avoir joué le jeu et de leur accueil sympathique.

 

Photo VdV Fred et moi

Les arroseurs arrosés : de g. à d. : moi et Frédéric, "captés" par Véronique.

 

Nous sommes convenus, avec Véronique, de réaliser une nouvelle interview suite à cette rencontre. Pas tout de suite non, car après le cours, il fallait déjà qu’elle rejoigne son scooter à toute vitesse pour retrouver les locaux de Sud Radio. Nous ferions cela à distance. Au 1er juillet, c’était chose faite. L’article qui suit est ce que j’en ai tiré ; il comprend également trois surprises : deux pour Véronique (j’ai contacté plusieurs de ses élèves via Facebook pour les inviter à "raconter" leur expérience avec la coach, deux m’ont répondu et ont concrétisé la chose), une pour celles et ceux qui suivent ses cours, un message vidéo qu’elle a accepté d’enregistrer. Merci à Annabel et à Christine, pour votre gentillesse. Merci à toi, Frédéric, de m’avoir suivi dans cette petite aventure. ;-) Merci à vous, Véronique... et à bientôt ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 27/06/18 ; R. : 29/06/18 et 01/07/18.

Véronique de Villèle: « Il y a en moi, une forme de force,

qui me pousse à ne jamais me laisser aller... »

Photo FT VdV 1 

Photo : Frédéric Trocellier.   

 

Partie I: l’interview de Véronique

 

Véronique de Villèle bonsoir, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu. Je suis heureux d’avoir pu enfin vous voir en chair et en os pour de bon, c’était il y a quelques jours aux Cercles de la Forme à Paris...

Oui moi aussi, je suis heureuse d’avoir fait votre connaissance "en vrai". Maintenant vous avez vu l’ambiance dans mes cours aux CDLF ! Il ne vous reste plus qu’a venir prendre un cours avec moi, cher Nicolas !

 

Haha... j’en serais ravi... J’ai eu la chance, donc, d’assister au cours que vous avez donné rue du Cherche-Midi le 18 juin dernier à l’heure du déjeuner, avec mon camarade Frédéric à la photo - je le salue ici, ainsi que toutes vos élèves, et votre élève, qui ont joué le jeu avec la pêche, et le sourire. Vous avez dû filer très vite après, en scooter, pour votre émission de Sud Radio. Ça ressemble à quoi, une journée type de Véronique de Villèle ? C’est toujours autant la course, ou bien est-ce plus calme parfois ? ;-)

Je me lève tres tôt, vers 5h-5h30. Mon petit-déjeuner : café, yaourt, crackers. Ensuite, ordinateur : je prepare les rendez-vous de la journée, la playlist de mes cours, ma chronique sur Sud Radio. Puis je prends ma douche, et je pars donner mon premier cours. Ensuite, déjeuner light avec deux, trois amies des cours, et hop je saute sur mon scooter direction la radio... Puis, des RDV divers, ou bien je rentre à la maison... J’accepte peu de sorties le soir, mais j’ai quelquefois des dîners que je ne peux pas manquer ! Ou bien, je retrouve des amis à un concert, et ça j’adore !

 

Vous m’aviez parlé, lors de notre interview précédente, de votre ouvrage Gym Silver Tonic (Michel Lafon), mettant en avant la pratique d’une activité physique et de bons réflexes "forme" notamment pour les gens qui ont, comme le dit joliment la formule, "de l’argent dans les cheveux". Est-ce que, concrètement, vous avez à l’esprit des exemples de personnes qui, physiquement ou mentalement, n’allaient pas forcément très bien quand elles ont commencé à prendre vos cours, et dont vous avez senti que vraiment, ces exercices-là les faisaient aller mieux ?

Oui c’est une évidence, je fais tout pour que les gens aiment mes cours mais avant tout pour que cela leur soit bénefique, et j’en vois les resultats tous les jours !

 

Je connais votre sens de la fidélité, et de l’amitié Véronique. Les douze derniers mois n’ont pas été tendres avec vous : Mireille Darc est partie en août 2017, Johnny Hallyday en décembre dernier. Deux très proches... Et il y a, toujours, ces pensées que vous avez pour votre maman. Moi j’ai envie de vous demander, en marchant sur des œufs pour ne pas être indiscret et encore moins indélicat, ce qu’est votre recette pour contrer les gros coups de blues : est-ce que le sport par exemple, c’est une façon temporaire de penser à autre chose, ou mieux que ça, un vrai remède à plus long terme contre la déprime ?

Le sport est une aide évidente mais il y aussi une forme de force, que j’ai en moi, et qui pousse à ne jamais se laisser aller... Je pense à Davina qui a cette force inébranlable, et ça m’aide !

 

VdV avec Soleyman

V. de Villèle, avec son filleul Soleyman. Collection privée.

 

Est-ce que vous avez deux ou trois conseils à usage immédiat de mouvements et bons réflexes santé/moral pour des personnes a priori éloignées du milieu du sport ou même de l’exercice ? Typiquement, la personne âgée qui ne bougerait pas beaucoup...

En restant chez soi, on peut tout à fait faire de l’exercice (mon dernier livre Gym Silver Tonic est bourré d’exemples, et de photos d’illustration). Cela peut se faire assis sur son canapé, debout dans sa cuisine, avec une bouteille d’eau, une balle, etc... On peut étirer sa taille, travailler ses abdos, faire aussi des exercices de visualisation pour sa mémoire. Et puis bien sûr, monter des escaliers, bouger, ne pas rester inactif...

  

Vos cours se font en musique, et vous avez une sélection sympa, entraînante et aussi, je crois, que vous adaptez à vos élèves. C’est quoi votre tracklist bonne humeur à vous ? Ces quelques chansons qui vous donnent la pêche ou vous rendent le sourire à chaque fois que vous les entendez ?

Je fait mes playlists avec les derniers tubes, mais aussi et surtout avec les titres collector que tout le monde aime, des anciennes chansons bien rythmées... (playlists à retrouver aussi dans mon dernier livre !)

Par exemple :

Jailhouse Rock, Elvis Presley.

We cut the night, AaRON.

Thriller, Mickael Jackson.

The Best, Tina Turner.

A Man I know, Charles Pasi.

Dancer, Gino Soccio.

 

En quoi est-ce que vous diriez que vos cours ont évolué par rapport aux années Gym Tonic ?

Mes cours ne sont jamais les mêmes, je change... d’abord pour les femmes qui me suivent depuis tant d’années, et aussi pour moi. Je n’ai jamais de lassitude à donner mon cours, c’est à chaque fois un peu différent !

 

Le 7 juillet vous allez donner un cours exceptionnel en province, en l’occurrence à Bonnétable, en faveur des sinistrés inondés de la Sarthe. Qu’est-ce qui vous a convaincue de le faire ?

C’est Séverine, une amie qui habite la région de Bonnétable... sa maison a été inondée, eh bien le jour même avec ses filles, elles sont allées aider les autres, ceux qui étaient encore plus sinistrés qu’elle ! Bel exemple de génerosité.

 

VdV Sarthe

 

Est-ce envisageable de vous voir, à l’avenir, proposer des cours de manière un peu plus "décentralisée", dans telle ou telle ville de France de temps en temps, si bien sûr votre emploi du temps de ministre vous le permet ? ;-)

C’est vrai que quelques grandes villes de province me demandent parfois d’aller les voir... Malheureusement je ne peux pas être partout...

 

Quel message avez-vous envie d’envoyer à vos élèves, et en particulier à celles et ceux qui vous suivent depuis des années et des années, à l’occasion de cette interview ? Qu’est-ce qu’ils représentent pour vous ? Un petit message vidéo peut-être ? Ce serait sympa...

 

 

Quelle est l’image que vous auriez envie qu’ils aient de vous, tous ces élèves, et ces gens que vous croisez au quotidien ? Si vous aviez un avis à donner là-dessus : quel serait le compliment qui vous toucherait le plus ?

Professionnelle… j’aime la perfection ! Et on ne peut l’atteindre que si l’on est PRO !

 

Vous aviez déclaré dans une interview récente : Davina donnant des cours de yoga aux CDLF, pourquoi pas ? Alors, ça en est où, ce joli rêve ? ;-) Et comment va-t-elle, votre complice de toujours et surtout sœur de cœur ?

Davina est ma sœur de cœur. Nous nous parlons, nous nous voyons... elle est dans son monastère du Poitou, Chökhor Ling, où elle dirige des cours et des stages magnifiques…

 

Véronique avec Davina

V. de Villèle, avec Davina. Collection privée.

 

Comment se porte Max, votre filleul, jeune comédien dont la vie n’a, jusqu’à présent, pas tout à fait été un fleuve tranquille ?

Aujourd’hui Max passe son Bac. Il est également à l’affiche de son dernier film, Monsieur je-sais-tout, dont il a le rôle-titre (il y joue le rôle d’un autiste). C’est un acteur fabuleux !

 

Dans l’actu sport du moment, il y a bien sûr, qui l’aurait loupé... ^^ la Coupe du monde de foot, en Russie. Un commentaire sur la compétition jusqu’à présent ? Vous voyez qui en finale ? Quel prono pour le trophée ?

J’adore le foot ! Je ne loupe aucun match. Les Bleus sont forts. Si leur mental est bon, alors ils peuvent gagner cette Coupe du monde, comme en 1998. Ils ont été magnifiques contre l’Argentine... j’espère qu’ils feront encore mieux !

 

Vous êtes très impliquée, on le sait, pour la promotion de la pétanque en tant que sport de haut niveau, et notamment dans la perspective des Jeux olympiques de 2024. En quoi est-ce un sport "complet" ?

C’est convivial, ça ne coûte pas cher, il faut de l’adresse, de la concentration et, ce qui me plaît le plus, de la stratégie.

 

Actu, toujours, dans un autre domaine. On a pas mal parlé, ces jours-ci, de l’entrée au Panthéon de Simone Veil, accompagnée de son époux Antoine. Est-ce que cette femme, en bien des points remarquable il est vrai, fait partie des personnalités que vous admirez et qui vous inspirent le plus ? De qui est-il composé, votre Panthéon perso ?

Simone Veil fut une femme exemplaire, remarquable, que j’ai eu la chance de rencontrer... Je suis très admirative de sa personne. J’ai adoré cette magnifique cérémonie au Panthéon.

De Gaulle, Sœur Emmanuelle, l’Abbé Pierre, et les chercheurs pour les maladies comme le cancer des enfants ou Alzheimer... ils sont mon Panthéon perso. 

 

J’aborde ici une question qui est un serpent de mer de nos interviews depuis la première il y a six ans. Vous prenez beaucoup de plaisir à participer à l’émission de Liane Foly sur Sud Radio. Je suis persuadé, je vous l’ai déjà dit, et je le pense encore plus depuis que je vous ai vue animer ce cours, que vous pourriez diriger, vous, une émission bien-être et reportages/conseils du quotidien (à la Sophie Davant). Alors, quand est-ce qu’on la démarre, cette campagne pour vendre ça à un média ? ;-)

Eh bien OUI, j’ai énormément aimé cette saison à Sud Radio aux cotés de Liane Foly. Cette aventure vient de se terminer. J’étais auparavant sur Europe 1, et précédemment j’avais un rendez-vous sur les ondes de RMC. Maintenant il me tarde de retrouver un micro, j’adore cet exercice, la radio ! à bon entendeur...

 

Petit jeu de l’autoportrait : trois adjectifs pour vous auto-qualifier ?

Professionnelle, travailleuse, généreuse... drôle !

 

J’aime bien cette question, et, passé un temps, je la posais beaucoup, mais à vous, habituée parmi les habitués, jamais, alors : si vous pouviez voyager dans le temps, une seule fois, donc un seul choix, quelle époque auriez-vous envie de visiter ?

Le futur. Voler dans l’espace, et pourquoi pas y donner un cours ? J’adorerais rencontrer Thomas Pasquier.

 

Vous avez 25 projets par jour Véro, ça aussi je le sais. ;-) On ne peut pas tous les citer ici. J’ai envie de vous demander, simplement : c’est quoi vos grandes envies aujourd’hui, vos rêves encore à réaliser ?

Une belle émission de radio que je dirigerais avec une bande joyeuses de spécialistes, dans tous les domaines. Genre Frou-frou de Christine Bravo.

 

Tout le mal que je vous souhaite ! Allez on la lance cette campagne ! Bon, et pour ceux qui n’auraient pas encore compris, quelques arguments décisifs, pour inciter nos lecteurs à venir prendre vos cours, dans la Sarthe, à Paris, ou ailleurs ?  ;-)

Que c’est différent des autres, qu’ils me fassent confiance ! Plus de 30 ans d’enseignement ! Des milliers de cours dans mes baskets !

 

Photo FT VdV 2

Photo : Frédéric Trocellier.

 

Un dernier mot, pour conclure ?

Merci de ce joli moment avec vous Nicolas. À bientôt !

 

V. de Villèle est toujours très impliquée auprès de la Fondation pour la Recherche

sur Alzheimer, pour laquelle elle organise un grand concours de pétanque à Paris le 20 septembre.

Également ambassadrice de L’Envol, elle participera à un événement lors du

Longines Paris Eiffel Jumping le 5 juillet. Et, le 10 juillet, elle sera présente

lors d’un grand concert à Juan-Les-Pins donné pour Enfant Star & Match.

Les deux dernières associations œuvrent pour les enfants malades, la cause est belle ! ;-)

 

Partie II: les messages de deux élèves

 

Annabel de Boysson Weber, le 2 juillet.

 

 

Christine Taieb, le 2 juillet.

 

LIEN ICI pour voir la vidéo de C. Taieb

 

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