Marie-Paule Belle : « L'attente des retrouvailles avec le public m'a maintenue en vie »
À la mi-novembre 2023, Marie-Paule Belle avait eu la gentillesse de répondre à mes questions durant un long entretien téléphonique qui faisait suite à la parution de son dernier album en date, Un soir entre mille. Un opus tendre et mélancolique, son plus personnel, d’après ses propres mots. Elle se faisait surtout une joie de retrouver le public, après en avoir été éloignée longtemps, à cause du Covid et du cancer qui l’avait frappée. Ce fut chose faite à partir de janvier de cette année (Théâtre de Passy), puis en juin (même salle) suite au grand succès des premières dates.
Après un passage par la Nièvre début octobre, elle se produira dans une salle mythique qu’elle n’a jamais pratiquée, les Folies Bergères, le 2 novembre. Une belle occasion de l’interviewer à nouveau - cette proposition, elle l’a accepté avec enthousiasme. Je la remercie pour ses confidences et pour cet autre moment partagé. Si vous voulez écouter des chansons qui viennent du cœur, en piano-voix, allez l’applaudir sans hésiter : c’est comme retrouver une vieille copine qui, soyez en certains, sera au moins aussi émue que vous de vous revoir. Ou de vous rencontrer ? Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
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Marie-Paule Belle chantera aux Folies Bergères le 2 novembre prochain.
Crédit photo : Céline Dupas-Hutin.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU (11/10/24)
Marie-Paule Belle : « L’attente
des retrouvailles avec le public
m’a maintenue en vie... »
Marie-Paule Belle bonjour. Ça vous a fait quoi de retrouver physiquement le public, sur scène, après une longue attente ?
C’était une joie, je n’attendais que ça... Et je pense que c’était réciproque, un sentiment très fort. J’étais dans un très grand manque du public. Donc le retrouver, pour moi comme pour tous les artistes, c’est une très grande joie.
Comme une bouffée d’oxygène, quelque chose de vraiment revigorant...
Absolument, vous avez raison.
Comment le définiriez-vous ce lien qui vous unit au public ? VOTRE public ?
Comme je l’ai dit quand le manque est suivi de retrouvailles c’est toujours une très grande joie. Je vois cet attachement dans les commentaires que ceux qui me suivent m’envoient, sur les réseaux sociaux, etc. C’est très fort et j’ai la chance, moi qui chante depuis 50 ans, d’avoir un public vraiment fidèle qui souvent m’a vu débuter. C’est très précieux.
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Avez-vous été surprise par l’accueil réservé par le public à telle ou telle chanson, celles notamment de votre récent album ?
Oui, je suis toujours surprise quand c’est un gros succès... Bien sûr, j’espère toujours que ça va marcher, et je suis très heureuse quand ça marche, de voir ce public si fidèle depuis si longtemps... C’est toujours très intense.
Avez-vous, au fil des dates, modifié, adapté votre tour de chant ?
Non il est le même partout. Je l’ai établi une fois pour toutes pour le présenter à Paris, en tournée... En général je ne le modifie pas.
Vous avez prévu de tourner dans toute la France justement ?
Je crois qu’elle est prévue et qu’elle est en train de s’organiser, ce sont les producteurs qui s’en occupent. Normalement ça doit se faire.
Vous serez aux Folies Bergères le 2 novembre. C’est un lieu qui vous est cher ?
Je ne me suis jamais produite aux Folies Bergères. C’est intéressant pour moi, parce que j’aime bien le théâtre à l’italienne, c’est un théâtre classique. L’acoustique est bonne en général dans ces lieux-là, on s’y sent proche du public, et c’est ce que je préfère, quand je suis seule au piano. Cela donne une intimité plus forte encore. Ma première fois dans cette salle, qui a vu défiler les plus grands noms, ce sera une émotion...
Et justement, avez-vous une affection particulière pour certaines salles où vous vous êtes produite ?
Bien sûr, les salles mythiques comme l’Olympia, le Casino de Paris, etc... On est ému par les âmes qui y ont laissé leur présence. On sent la force et l’intensité des souvenirs que les grands artistes ont laissés. Ce sont des salles qui sont habitées...
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Petite anecdote : il y a quelques mois je déambulais dans les allées d’un disquaire, et une dame a demandé à un vendeur s’il avait des CD de Marie-Paule Belle. Moi je savais où était Un soir entre mille, alors je le lui ai tendu, geste auquel elle m’a répondu : "Merci mais j’ai déjà celui-ci. Elle n’est pas vraiment drôle dessus. Je préfère quand elle me fait rire". Ça vous fait plaisir que les gens vous associent essentiellement à des choses souriantes ?
C’est restrictif. J’aime quand mon public sait que j’ai ces deux facettes, la facette nostalgique et la facette humoristique. Mon panel est plus complet. Mais je ne vais pas renier La Parisienne, quand les gens me reconnaissent dans la rue, quand ils m’en parlent, qu’ils me sourient en me voyant... C’est une carte d’identité, et donner le sourire évidemment c’est agréable.
Y a-t-il eu ou y aura-t-il une captation de cette série de concerts, ne serait-ce qu’en audio ?
Pour l’instant je ne sais pas... On en a parlé, mais ce sont les producteurs qui décideront de cela. Je ne sais pas où aura lieu cette captation, si ce sera cette fois-ci ou plus tard. Mais ce serait sympa oui.
J’ai eu cette année la chance d’interviewer Serge Lama, mais aussi, peu avant son décès, Françoise Hardy. C’est quelqu’un que vous aimez ? Vous l’aviez croisée ?
Oh... Je ne l’ai jamais croisée, sauf une fois, il y a très longtemps, quand elle faisait des thèmes astrologiques pour une radio. Elle avait fait mon thème et me l’avait commenté à la radio. Mais pour son activité artistique, nous n’avons jamais été sur le même plateau, c’est incroyable d’ailleurs qu’en tellement d’années ça ne se soit jamais présenté ! J’aimais beaucoup ce qu’elle faisait, et je n’ai jamais eu l’occasion de le lui dire...
J’aimerais aussi vous interroger un instant sur une autre chanteuse, qui fête cette année ses quarante ans de carrière et qui est sans doute la plus grande star de France : Mylène Farmer. On imagine que vos univers musicaux sont assez différents et en même temps peut-être pas tant que ça... Et certains lui trouvent une filiation avec Barbara. Vous suivez, admirez son travail ?
Je ne la suis pas particulièrement mais j’admire l’impact qu’elle a sur son public, qui est très, très fidèle depuis des années. Elle reste toujours semblable à elle-même, avec un joli filet de voix et toujours énormément de présence sur scène. Je ne l’y ai jamais vue, mais il n’y a pas de hasard, et on n’a pas un public comme ça par hasard ! Un grand charisme...
>>> Comme les princes travestis <<<
Et vous avez des thèmes en commun... Je pense à Sans contrefaçon...
Bien sûr, avec Comme les princes travestis...
Est-ce qu’il y a des artistes pour lesquels vous aimeriez pouvoir composer une musique, ou écrire un texte ?
J’aimerais bien, mais on ne me le demande pas, je ne sais pas pourquoi... Les gens pensent peut-être que, quand vous avez un univers, vous ne vous intéressez qu’à vous-même (rires). C’est un peu dommage. Moi j’aime bien, au contraire, aller vers l’extérieur, rencontrer d’autres artistes, d’autres univers, et travailler en fonction de cela. Mais l’occasion ne s’est pas présentée.
J’espère vivement qu’elle se présentera !
Ah, mais moi aussi !
Et à propos, vous m’en aviez parlé l’an dernier : vous diriez que vous avez plus d’aisance à écrire une musique qu’un texte ? Plus de plaisir à faire la première que le deuxième ?
Oui, je prends plus de plaisir à écrire une musique, parce que c’est plus spontané. La musique arrive souvent, presque toujours, sans que je le veuille, sans que je le "commande". Mon univers c’est la musique depuis que je suis enfant, ça fait partie de moi. Les mots c’est plus difficile, mais quand je sens qu’il y a une émotion, un thème qui ne peuvent être traduits par quelqu’un d’autre, à ce moment-là je me mets à écrire mes propres mots. C’est alors mon langage à moi, peut-être moins littéraire, mais écrit avec sincérité par rapport à ce que je ressens.
Et quand vous avez besoin de prendre du temps pour vous, d’aller vers une forme d’introspection, ou tout simplement de création, vous le faites aussi plus naturellement par le piano que par la feuille de papier ?
Oui, absolument. Je laisse courir mes doigts sur le piano et parfois, de temps en temps, il arrive quelque chose, une mélodie qui me surprend. À ce moment, et ça peut arriver n’importe quand, je l’enregistre vite sur mon iPhone, pour pouvoir ensuite l’enregistrer sur mon piano.
>>> Les petits dieux de la maison <<<
Y a-t-il parmi vos chansons des textes si personnels que vous auriez du mal à envisager que quelqu’un d’autre que vous les chante ?
Peut-être des chansons plus personnelles, comme par exemple celles qui parlent de ma mère. Les petits dieux de la maison, des choses comme ça... Ce texte, Françoise Mallet-Joris l’avait écrit parce que je lui avais beaucoup parlé de ma mère, donc ça décrit bien cette réalité, et je ne le vois pas tellement chanté par quelqu’un d’autre. Mais je crois qu’en général la chanson est plutôt universelle, et comme je chante beaucoup de chansons d’amour, tout le monde peut les chanter.
Cette question je l’avais posée à Françoise Hardy, qui m’avait confié avoir du mal à imaginer que certaines chansons très intimes soient chantées par d’autres, et à Serge Lama qui lui était moins fermé à l’idée, considérant que chacun pouvait s’approprier une chanson tant qu’il le faisait avec du cœur.
Serge Lama a réellement vécu cela avec Je suis malade. On oublie que c’est Dalida qui l’a fait connaître. Il a ensuite continué sur la lancée...
À propos de Serge Lama d’ailleurs, il m’a dit qu’il n’avait pas forcément dans l’idée de refaire un autre album, est-ce que vous avez et allez essayer de le convaincre du contraire ?
(Rire) Je ne fais que ça ! Je n’arrive pas à le convaincre. Moi j’attends, comme tout son public. Mais vous savez, il n’arrête jamais d’écrire. Tout le temps, toute la journée. Pour sa compagne, pour moi-même parfois, des petits poèmes en SMS... C’est extraordinaire, la facilité et l’imagination qu’il a. Serge est tout le temps dans la création.
Espérons ! Et vous auriez envie de refaire des choses ensemble j’imagine ?
Bien sûr. C’est comme mon frère. Mes meilleurs souvenirs c’est avec lui, en tournée, dans ma jeunesse, c’était formidable.
Une belle amitié !
On s’aime beaucoup. Notre relation est vraiment très forte et particulière...
Octobre évoque évidemment Octobre rose et vous avez combattu on le sait un cancer du sein il y a peu. Qu’est-ce que vous auriez envie de leur dire, à vos sœurs de combat qui en ce moment luttent contre ce mal ?
Déjà, il faut se faire dépister, parce que c’est comme ça qu’on s’en rend compte. En tout cas, pour ce qui me concerne, c’est comme ça qu’on a détecté mon cancer du sein. C’est extrêmement important de se faire examiner... Il est aussi extrêmement important de se dire qu’on en guérit, à partir du moment où c’est pris à temps. Faites-vous examiner !
Et qu’elles ne baissent pas les bras surtout... Je crois avoir lu qu’il y avait eu des avancées dernièrement...
Oui il y a des avancées, et encore une fois, on en guérit. Il faut s’accrocher. La volonté et le mental sont très importants. Sur deux personnes atteintes des mêmes symptômes, celle qui va se laisser aller aura sans doute des chances amoindries par rapport à celle qui sera combative...
Et pour ce qui vous concerne, vous diriez que l’appétit de retrouver votre public a été un moteur...
Essentiel ! Je peux vous le dire : il n’y a que cela qui m’a fait tenir. Par rapport à la force, à l’intensité de ce qu’on vit sur scène, le reste est loin derrière. Moi, ça m’a maintenue en vie.
Beaucoup d’artistes présentent la scène comme une thérapie, une vraie thérapie...
Oui, vous savez, même quand, concrètement, physiquement, on a mal quelque part, quand on est sur scène, toutes les douleurs s’en vont. Moi je me souviens d’avoir chanté avec des glaçons sur le ventre pour ne pas avoir mal, et le lendemain on m’opérait en urgence d’une appendicite. On est comme transcendé.
>>> Celles qui aiment elles <<<
Autre question un peu intime. Sur votre précédent album il y avait une très belle chanson, Celles qui aiment elles. Est-ce que vous diriez qu’on a tout de même progressé vers une société de tolérance et d’apaisement à l’égard de l’homosexualité en Occident, ou pas tant que ça ?
Je ne pense pas... Je trouve que l’homophobie est grandissante, surtout avec le développement des réseaux sociaux, tous ces gens qui se cachent derrière un pseudonyme. Le fait de pouvoir s’exprimer anonymement libère beaucoup de violence, etc. Tout cela existait avant, bien sûr, mais c’est encore plus présent aujourd’hui, et ça m’est insupportable.
Qu’est-ce que vous auriez envie de dire aux gens qui vous aiment bien pour les inciter à venir vous voir sur scène ?
Déjà, à tous ces gens, notamment ceux qui me suivent depuis longtemps, qui aiment mes chansons, je veux dire merci. Le moment du partage est magique. Quand on est dans la création on est concentré sur la meilleure façon de partager une émotion. Pour tout, merci, vraiment.
Merci... et "venez me voir sur scène" ?
Oui ! (Rires) Surtout ceux qui ne me connaissent pas. J’espère ne pas décevoir ceux qui me connaissent. Leur montrer que je suis toujours la même, mais aussi différente, sinon ce serait lassant. Avec aussi des surprises, des ruptures qui font passer d’une émotion à l’autre, c’est ça qui est intéressant. Et à ceux qui ne me connaissent pas je veux dire : faisons connaissance !
C’est une belle réponse. Vous m’aviez dit la dernière fois avoir pas mal de textes en attente. Envisagez-vous dans un futur proche de sortir un nouvel album, ou au moins d’autres chansons ?
Pour l’instant non. Je suis dans la promo pour les Folies Bergères. Quand on est pris par la promo on a moins de temps pour la création. J’ai dû pour l’instant délaisser un peu mon piano...
Diriez-vous que vous avez atteint une forme de contentement, de bonheur aujourd’hui ? Êtes-vous heureuse ?
Oh oui... Mais est-ce que ça existe, le bonheur ? Le bonheur, c’est l’absence de malheur, alors... On a toujours des choses qui ne vont pas dans la vie, tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir. Il faut déjà savoir savourer ce que l’on possède. Ne pas systématiquement avoir des envies d’aller voir ailleurs... Moi je suis heureuse d’avoir ce que j’ai, et je dis merci pour tout ce qu’on me donne.
>>> La Parisienne <<<
Vous avez des envies ?
L’envie que ce soit toujours comme ça, avec de plus en plus de public, de partage, d’émotion vécue ensemble. Après, chacun reprend sa route avec son propre vécu, après avoir partagé le même rêve éphémère, dont on se souvient comme un rêve, ce qui est magique. Ce que je vis est extraordinaire, et je ne connais pas d’autre métier où ça existe. Du partage avec autant d’intensité, c’est formidable.
Et j’ajoute que vous avez mis en ligne depuis quelques mois l’essentiel de vos albums, ce qui peut permettre à des publics nouveaux de vous découvrir ou redécouvrir...
Oui, il y a beaucoup de jeunes qui ne me connaissent pas, ou qui connaissent La Parisienne par leurs parents. Encore une fois je ne la renie pas : elle est ma carte d’identité. Mais il y a d’autres climats, d’autres émotions que j’aimerais faire connaître au public qui ne me connaît pas.
>>> L’Enfant et la mouche <<<
Justement, à une jeune fille de 15 ans qui aimerait ou en tout cas serait curieuse de la chanson française, quelles chansons de vous lui suggéreriez-vous ?
La Parisienne est tellement moderne, je ne peux pas y échapper. Une autre que j’aime beaucoup, c’est Quand nous serons amis. D’autres avec des descriptions d’images qui sont très fortes et que j’ai toujours beaucoup aimées, comme L’Enfant et la mouche.
Très belle chanson sur l’indifférence et les cruautés qui passent pour anodines...
Et tout cela fait le monde tel qu’il est aujourd’hui... Merci à vous.
Si vous pouviez voyager dans le temps, et voir la petite Marie-Paule à 10 ou 15 ans, vous lui diriez quoi ?
(Rires) Continue... Ne t’occupe pas de ce qu’on dit autour.
>>> Amour et allergies <<<
Qu’est-ce que je peux vous souhaiter pour la suite ?
La même chose. En plus grand. En plus gros. Et en plus fort (rires) !
Parfait. Et merci. Avez-vous un dernier mot ?
C’est moi qui vous remercie d’avoir passé du temps avec moi.
L’album Un soir entre mille (2023), toujours disponible.
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