Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles d'Actu
3 mars 2024

Luc Mary : « Si Elon Musk décroche Mars, le 21è siècle sera le sien... »

Pour ce premier article de la nouvelle mouture Canalblog, subie beaucoup plus que voulue disons les choses, je vous propose de rencontrer, au travers d’une biographie, un des hommes les plus fascinants (pour le meilleur comme pour le pire) de notre temps. Un homme dont le rêve, depuis qu’il est gamin, est une folie à peu près aussi inatteignable que de "décrocher les étoiles", mais un rêve qu’il a sans doute rendu moins catégoriquement inatteignable : voyager sur Mars, pas simplement pour la gloire et la beauté du geste, mais pour la coloniser, pour en faire une planète B. Cet homme, si vous vivez bien sur cette planète, la nôtre, sans doute l’aurez-vous reconnu, il s’agit d’Elon Musk, l’homme le plus riche du monde et le très médiatique patron de Space X (espace), de Tesla (voitures électriques) et de X, ex Twitter.

 

Luc Mary, historien prolifique et passionné d’espace depuis sa tendre jeunesse, vient de lui consacrer un ouvrage paru chez L’Archipel, Elon Musk - De Tesla à X, les défis de l'homme qui invente notre futur. Un portrait complet, qui n’occulte aucun aspect de la carrière de Musk, aucune polémique. Une évocation passionnée et passionnante de cette conquête de l’espace que Musk entend bien marquer de son empreinte. Son pass pour l’Histoire ? À lire en tout cas... Merci à Luc Mary pour l’interview qu’il a bien voulu m’accorder. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (mi-fin février 2024)

 

Luc Mary : « Si Elon Musk décroche

 

Mars, le 21è siècle sera le sien... »

 

Elon Musk - De Tesla à X, les défis de l'homme

qui invente notre futur (L’Archipel, février 2024).

 

Luc Mary bonjour. Quand je regarde votre biblio, je me dis, quelle diversité... D’où vous vient ce goût pour l’Histoire, et à quel moment avez-vous décidé d’en faire votre métier ?
 
Bonjour Nicolas Roche. Pour répondre à votre question, je dirais que l’Histoire est toute ma vie car elle représente la vie. À mon humble avis, l’Histoire est fascinante à plus d’un titre, car elle embrasse tous les domaines de la connaissance, aussi bien dans celui des sciences et des technologies que dans ceux de la sociologie, de la politique, de la guerre et de la religion. Je regarde ainsi l’Histoire comme une grande aventure humaine sans fin, un feuilleton interminable où la raison le dispute souvent à l’irrationnel, et l’imaginaire au possible. Depuis 40 ans, j’ai ainsi rédigé une quarantaine de livres, explorant tour à tour les guerres puniques, la tragédie de Mary Stuart, la révolution russe, le mythe de la fin du Monde, les secrets du Vatican ou encore les crises atomiques pendant la Guerre Froide. J’estime par ailleurs que l’avenir ne peut se décrypter que si on connaît parfaitement les sentiers de l’Histoire. Aujourd’hui, je m’attaque à Elon Musk (le premier personnage vivant de mes biographies !), parce qu’il s’agit d’un personnage hors normes qui a déjà marqué son époque, ne serait-ce qu’en relançant la course à l’espace, en sommeil depuis l’abandon de la navette spatiale. 

 

Dans votre ouvrage sur Elon Musk, les parties "Espace" et "Mars" de la carrière du patron de SpaceX se taille la part du lion, je dois dire d’ailleurs, pour ceux auxquels ça parlera, que cette lecture m’a donné envie de rejouer au vénérable jeu Alpha Centauri de Sid Meier... On sent forcément le passionné d’espace derrière ce récit précis tel que vous le faites. Ma question est : quel passionné d’espace et d’étoiles avez-vous été, plus jeune, et à cet égard vous reconnaissez-vous un peu dans la passion - fertile ! - du jeune Musk ?
 
L’espace est en effet une grande passion de jeunesse. J’ai grandi avec les missions Apollo. J’avais ainsi tout juste dix ans quand Armstrong a marché sur la Lune un soir de juillet 1969. C’est aussi à ce moment-là que j’ai ouvert par hasard mon premier livre d’astronomie, notamment un chapitre portant sur les caractéristiques physiques des curieux mondes peuplant notre Système solaire : je lis ainsi que la planète Saturne, pourtant quatre-vingt-dix fois plus massive que notre planète, flotterait à la surface de l’eau, si on trouvait un océan à sa mesure. Absolument fascinant. Ça y est, j’étais mordu. À compter de cet instant, je n’ai cessé de dévorer les livres sur l’espace comme autant de romans d’aventures fantastiques bien ancrées dans le réel. Le grand plongeon dure toujours. Tout comme Elon Musk.

 
Dans quelle mesure peut-on dire que les origines de Musk, son cadre familial et ses expériences d’enfance, ont contribué à façonner l’homme qu’il est devenu, avec sa niaque tout à fait hors du commun ?
 
Indiscutablement, l’enfance de l’homme le plus disruptif de la planète a façonné son esprit et son comportement. Né en juin 1971, entre deux missions Apollo, Elon est ainsi né en Afrique du Sud d’un père ingénieur mécanicien et d’une mère diététicienne et ex-mannequin. Plongé en plein apartheid, l’enfant connaît les temps de la discrimination mais aussi ceux de l’extrême violence qui divisent l’Afrique du Sud et opposent cruellement les communautés, en particulier les Noirs et les Blancs. Sans compter la maladie d’Asperger, l’adolescence d’Elon est sensiblement conditionnée par la peur des autres et sa volonté de fuir à tout prix son univers quotidien en s’adonnant à ses rêveries. À l’école, il fait régulièrement bande à part. À l’heure où les autres garçons s’amusent ou jouent au football, Elon préfère s’égarer dans ses lectures, généralement de la science-fiction avec une mention spéciale pour le Guide du voyageur galactique, de Douglas Adams, un livre déjanté qui manie l’humour spatial à sa façon. Isolé, malingre et très singulier dans son attitude, le jeune Musk est sans cesse persécuté par ses camarades. Preuve en est ce seul drame de 1985 : à l’âge de 14 ans, le jeune Musk est carrément passé à tabac et précipité au bas d’un escalier. S’ensuit une hospitalisation d’une bonne semaine. Les conséquences de cette jeunesse perturbée sont encore perceptibles aujourd’hui. Quarante ans plus tard, l’homme qui veut sauver le genre humain déteste l’être humain en particulier. Un paradoxe de plus pour l’homme de tous les excès...

 

 
Son côté touche-à-tout, mégalo et un peu borderline, tel que raconté dans votre livre, m’a fait penser à tort ou à raison au Howard Hugues de Scorsese et DiCaprio dans Aviator. Est-ce qu’Elon Musk s’inscrit dans la lignée d’autres grands entrepreneurs qui l’ont précédé, et qu’est-ce que son profil a de particulier, d’unique, y compris par rapport à Jeff Bezos, auquel vous avez aussi consacré un livre ?
 
Elon Musk et Jeff Bezos ? Si douze ans et demi séparent les deux hommes, ils nourrissent la même énergie, le même imaginaire et la même raison d’être. Ils partagent aussi le même objectif de transporter l’Humanité dans l’espace. Tous les deux ont aussi parié sur les fusées réutilisables, la privatisation de l’orbite basse, le tourisme spatial et le retour de l’Homme sur la Lune. Mais là s’arrête la comparaison. Car les deux champions du New Space n’envisagent pas l’avenir spatial de l’Humanité sous le même angle. Quand le patron de SpaceX lorgne vers Mars et propose de coloniser la planète rouge à long terme, le fondateur de Blue Origin "se contente" de vouloir placer tous les hommes en orbite dans d’immenses arches spatiales. Dépourvue de villes et d’usines, la Terre serait alors transformée en parc naturel, un lieu préservé que des touristes venus de l’espace se contenteraient de visiter, comme aujourd’hui les Américains déambulent dans le parc de Yellowstone. "Nous nous devons de préserver et de conserver notre planète pour la léguer à nos enfants et à nos petits-enfants." Dans cette perspective, l’industrialisation de l’espace circumterrestre (qui entoure la Terre, ndlr) est la seule alternative au progrès technologique. À la différence d’Elon Musk, Jeff Bezos ne cherche pas de planète B, seulement à préserver la planète A.

 
Ce qui frappe quand on lit cette histoire, s’agissant de la conquête de l’espace, c’est aussi d’assister au reflux d’une puissance étatique comme la Nasa, et à l’ascension fulgurante de grands empires privés comme celui de Musk (la première sous-traitant nombre de ses missions auprès de SpaceX et d’autres acteurs). Est-ce qu’aujourd’hui, plus peut-être qu’à aucun moment de l’Histoire, on peut établir qu’il y a des méga patrons qui, forts d’une force de frappe économique et financière colossale, sont devenus aussi puissants que les dirigeants de grands États ?

 

À eux deux, Jeff Bezos et Elon Musk sont plus riches que les deux tiers des pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie centrale. Plus puissants que les hommes d’État ? D’une certaine façon. Leurs décisions ne sont prises qu’en fonction de leurs motivations et de leurs fortunes. Qui plus est, à la différence des dirigeants de ce monde, ces milliardaires de l’espace n’ont aucun compte démocratique à rendre.
 

Comme je le précisais dans la réponse précédente, Jeff Bezos et Elon Musk sont vraiment les symboles d’une nouvelle vision du monde pour les décennies et même les siècles à venir. Leurs sociétés SpaceX et Blue Origin sont même devenus le fer de lance d’une nouvelle odyssée de l’espace, le New Space pour être plus précis. D’une certaine façon, leurs sociétés privées se sont maintenant substituées aux États des années 70. La course à la Lune n’est plus un enjeu stratégique mais une bataille d’egos entre milliardaires en mal de gloire. Est-ce vraiment regrettable  ? Pas vraiment, si leur cause ranime l’esprit pionnier, relance l’économie et ravive tous les espoirs en un avenir meilleur. 

 
À un moment de votre récit, vous écrivez : "Renoncer à la conquête de l’espace, c’est fermer à tout jamais les portes de l’avenir". Vous le pensez ? Et si oui, vous inscrivez-vous donc dans la pensée de Musk, pour lequel l’avenir de l’humanité ne sera assuré que si, refusant de mettre tous ses "œufs dans le même panier", elle est installée sur plusieurs planètes ?
 
Renoncer à l’espace, est-ce renoncer au futur ? Selon le patron de SpaceX, la conquête de l’espace et la préservation de notre futur sont en effet étroitement liées. La logique d’Elon Musk est la suivante : la Terre dispose d’un espace et de ressources naturellement limitées dans le temps et dans l’espace. À l’heure où nous parlons, les forêts reculent, les déserts avancent, le réchauffement climatique s’accélère, le niveau des mers monte et l’humanité ne cesse de croître. Si l’espèce humaine veut survivre, elle doit d’abord quitter au plus vite son berceau terrestre, s’affranchir du monde qu’elle a arpenté depuis des millions d’années pour trouver d’autres points de chute, quand bien même ces "nouvelles terres" n’auraient pas le potentiel d’habitabilité de la planète Alpha. Autrement dit, notre future implantation sur la planète rouge n’est pas seulement une lubie de milliardaires en mal de sensations fortes ou d’état surpuissances en mal de nouveaux défis et autres exploits pour mieux exprimer leur suprématie technologique, c’est une question de survie de l’espèce. En termes concrets, l’avenir sera multi-planétaire ou ne sera pas. J’avoue partager cette vision muskienne de l’avenir. Moins qu’un inventeur ou un innovateur, à l’exemple de Nicolas Tesla, de Thomas Edison ou encore de Werner Von Braun, Elon Musk s’inscrit dans la lignée des Vasco de Gama, des Magellan ou des James Cook qui ont toujours voulu reculer les limites du Monde, non seulement pour l’élargissement de nos connaissances mais surtout pour permettre à l’Humanité de connaître un nouveau rebond.  


Une colonie terrienne autosuffisante sur Mars avant la fin du siècle, vous y croyez ? Si ça devait se réaliser, peut-on croire sérieusement que les grands États du moment accepteraient d’en laisser la gloire (et les fruits) à de méga compagnies privées telles que SpaceX ? 
 
Mars, c’est d’abord une planète étrangère, hostile et froide. Malgré tous ses défauts, elle reste encore le seul coin fréquentable de notre système. Sa gravité de surface est acceptable, sa température supportable et son éloignement abordable. Son atmosphère est cependant irrespirable et ses tempêtes de sable sont réputées des plus violentes. À perte de vue, elle ressemble à un vaste désert glacé et rocailleux couleur de rouille. Si implantation humaine il y a, les colons devront lutter en permanence contre la routine, l’ennui et les dangers de toutes sortes. Sans compter les humeurs du sol martien, les glissements de terrain sont fréquents,  les geysers de dioxyde de carbone imprévisibles, et les radiations cosmiques périlleuses. En bref, un séjour sur Mars, ce ne sont pas des vacances au Club Med sur une plage des Bahamas. Quant à l’autosuffisance des colonies, c’est encore un vœu pieux. Il faudrait d’abord terraformer cette planète hostile, rendre son atmosphère respirable en la réchauffant au moyen de miroirs géants d’une centaine de kilomètres de largeur. Une entreprise qui pourrait prendre des dizaines voire des centaines d’années. Dans le meilleur des cas, une colonie humaine durable et autosuffisante ne peut s’envisager avant deux ou trois siècles.
 

Elon Musk est-il un adversaire résolu, intimement convaincu à votre avis du réchauffement climatique, ou bien se trouve-t-il simplement que ses affaires (Tesla au premier chef bien sûr, Hyperloop dont il a favorisé le développement) vont dans le sens de cette cause ? Et le transhumanisme que porte Musk, personnellement, de par votre sensibilité et votre regard d’historien, ça vous parle, ou bien ça vous effraie ?
 
Disons-le d’emblée, le transhumanisme est plus une nécessité qu’une calamité. Les réticences de nombreux spécialistes sont naturelles et inévitables. Dans l’histoire de l’Humanité, chaque progrès technologique a ainsi été accueilli avec scepticisme. Souvenons-nous des seuls débuts des chemins de fer en France dans les années 1830. Des scientifiques de renom prétendaient alors que la vitesse excessive des locomotives pourrait provoquer des inflammations pulmonaires ou des troubles du cerveau. Le transhumanisme est ainsi un courant de pensée qui se propose d’améliorer la condition humaine en luttant contre la dégénérescence mentale et le vieillissement en faisant appel aux progrès de la science et de la technologie. Dans cette perspective, Elon Musk, toujours à l’affût des nouvelles technologies, a fondé en 2015 la société Neuralink, spécialisé dans les implants cérébraux. Pas plus tard qu’en janvier 2024, Elon Musk a annoncé sur X (ex Twitter) la réussite de l’implantation de la première puce électronique dans le cerveau d’un homme. Reliée aux électrodes, l’implant cérébral grand comme une pièce de monnaie est capable d’interpréter les signaux neuronaux, puis de les transmettre par Bluetooth. Aux dernières nouvelles, les interfaces cerveau-ordinateur sont ici pour traiter des pathologies comme les maladies neurodégénératives. À plus ou moins long terme, grâce à cette technique, les tétraplégiques, les aveugles et les handicapés devraient appartenir au passé à l’horizon 2070. En dépit des critiques, n’hésitons pas à parier sur l’avenir du transhumanisme. 

 
Les craintes qu’il exprime s’agissant d’un développement trop rapide de l’intelligence artificielle, vous les comprenez, vous les partagez ? Est-il à cet égard complètement cohérent avec le reste de ses activités ?
 
Cette question rejoint quelque peu la précédente. Notre explorateur de l’avenir est en effet insatiable. Non content de ses fusées réutilisables, de ses voitures électriques et de ses trains magnétiques propulsés sous tube, Elon Musk s’intéresse aussi aux multiples possibilités de l’intelligence artificielle. Environ un an avant Neuralink, il fonde ainsi Open AI, une société qui se présente comme un concepteur de texte à partir d’un ordinateur. Une fois n’est pas coutume, le créateur de SpaceX craint qu’à long terme la créature n’échappe à son créateur. "L’intelligence artificielle est un risque fondamental pour l’existence de la civilisation humaine" déclare-t-il dès 2017. Au mois de mai 2020, Open AI met ainsi au point GPT-3, un générateur de textes de 175 milliards de neurones artificiels. Aux dernières nouvelles, ce logiciel serait capable de recomposer les Misérables selon un tout autre scénario en quelques minutes sans la moindre faute d’orthographe ou de syntaxe. Autant dire que les progrès de l’intelligence artificielle font peur, et à juste titre. Si les progrès deviennent exponentiels, tous les métiers liés à l’écrit pourraient disparaître. Tout le monde s’en inquiète mais aucune mesure concrète n’est décidée pour arrêter sinon freiner l’ascension de l’intelligence artificielle, les enjeux financiers l’emportent ici probablement sur le bien-être futur de l’être humain. Elon Musk est le premier à s’en émouvoir sans pour autant agir concrètement contre l’IA. 


Le voyez-vous faire de la politique un jour ? Ou bien estime-t-il qu’avec ses accomplissements technologiques et industriels, qu’avec l’immense levier de com’ que lui procure Twitter devenu X, il a meilleur compte à rester en-dehors de tout cela (sachant que de toute façon, il n’est pas un natural-born American citizen...) ?
 
Autant Elon Musk s’avère surdoué quand il explore l’avenir, autant se montre-t-il néophyte quand il se penche sur le présent, en particulier quand il se présente en acteur de l’échiquier politique, notamment pendant la période du Covid, où il s’insurge contre le confinement, qu’il qualifie de méthode fasciste, ou encore depuis le conflit en Ukraine où il soutient tantôt les Ukrainiens, via son système Starlink, tantôt les Russes, tout en proposant un plan de paix pour la région alors qu’il n’a aucune connaissance de son histoire. Ainsi le Walt Disney de l’espace s’improvise-t-il en Kissinger de la mer Noire. Lors de la campagne présidentielle de 2016, il a même pris fait et cause pour Donald Trump, lequel est venu assister en personne au premier lancement d’une fusée Falcon vers l’ISS en mai 2020. Mais là s’arrêtent les fantasmes politiques de Musk. Il n’a aucune ambition présidentielle et quand bien même il le voudrait, sa naissance en Afrique du Sud ne lui autorise pas à briguer un tel poste. Seuls ses détracteurs prétendent le contraire. Ses interventions en matière politique sont tout au plus des caprices de star, qui sous prétexte de réussite, sont prêts à intervenir sur n’importe quel sujet. En résumé, devenir président des États-Unis ne l’intéresse pas, c’est beaucoup trop terre à terre. Son ambition est seulement de sauver la planète en transportant l’Humanité sur d’autres mondes.

 
Musk, c’est quoi au fond ? Un bienfaiteur de l’humanité (je pense à la décarbonation des activités humaines, au développement de ces puces thérapeutiques qu’il dit porter), ou bien un mégalo surpuissant et dangereux ?

 

Mégalo ou bienfaiteur, telle n’est pas la question. L’un n’empêche pas l’autre. Quoiqu’il en soit, Elon Musk est vraiment un dieu Janus à deux visages. Il y a encore trois ans, quand j’ai publié la première version de mon livre, le techno-entrepreneur le plus célèbre de notre planète était considéré comme un innovateur hors pair, un visionnaire unique qui avait ressuscité le rêve spatial, anticipé l’explosion d’Internet et le succès de la voiture électrique. Aujourd’hui, son image s’est considérablement ternie. Depuis son rachat contesté et contestable de l’ex-Twitter, ses tweets hasardeux en matière de géopolitique et ses frasques multiples, le visionnaire adulé de 2021 apparaît comme un mégalo dangereux et un apprenti sorcier incontrôlable. Pour couronner le tout, on l’accuse de maltraiter ses employés. En 2022, l’usine Tesla de Fremont a même été accusée de discrimination raciale. Monsieur Hyde a ainsi éclipsé le docteur Jekyll. En d’autres termes, si Elon Musk a le sens du futur et des affaires, il n’a pas le sens de l’humain.  


Je le rappelais en début d’interview, vous êtes historien de formation, et avez publié nombre d’ouvrages sur l’histoire. Vous avez déjà répondu un peu à cela mais, peut-on d’ores et déjà affirmer qu’Elon Musk a obtenu, pas simplement son "ticket pour l’espace", mais aussi son ticket pour l’histoire, pas simplement celle des businessmen accomplis, mais celle avec un grand "H" ?
 

Du ticket pour l’espace au ticket pour l’Histoire, il n’y a vraiment qu’un pas. Les voyages vers d’autres mondes, la migration des Hommes vers d’autres planètes, c’est assurément le noyau dur du monde muskien. L’espace pour Musk, ce n’est pas une simple lubie de savant, c’est une philosophie de l’avenir. Si le patron de SpaceX réussit son pari, à savoir transporter des hommes sur Mars, il entrera vraiment par la porte de la grande histoire. Mars est en effet un défi prométhéen sans précédent, autrement plus difficile que celui des missions Apollo sur le sol sélène. Mille fois plus éloignée que notre Lune, la planète rouge pose à la fois un défi technologique et humain. Au bas mot, si une telle mission spatiale se déroulait, elle ne s’effectuerait pas sur une durée d’une semaine comme l’ancienne aventure lunaire, mais sur trois bonnes années. Un voyage à très haut risque. Que la mission rencontre le moindre problème technique, et il n’y a aucune possibilité de retour sur Terre ni même de secours. Au contraire, si elle réussit, les acteurs et les auteurs de cet exploit inédit seront portés aux nues pour l’éternité. Pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, des humains fouleront en effet le sol d’une autre planète (rappelons que la Lune est un satellite naturel de la Terre). Si Musk parvient à décrocher Mars comme il le professe depuis une dizaine d’années, le XXIème portera son nom comme le XXème est associé à celui d’Einstein.

 
Elon Musk en 2035, ça ressemblera à quoi ? Qu’aura-t-il accompli, si l’on songe à la rapidité avec laquelle il a avancé depuis une vingtaine d’années ?

 

En 2035, si tant est qu’il soit toujours de ce monde, Elon Musk sera toujours un techno-entrepreneur de renom (âgé de 64 ans) mais à n’en pas douter plus responsable, plus rationnel et plus humain qu’aujourd’hui. Après sa crise de mégalomanie du début des années 2020, sans doute aura-t-il abandonné une partie de ses ambitions et de ses fantasmes de puissance, à l’exemple de la gestion de X, d’Hyperloop et peut-être de Neuralink. Loin d’embrasser une carrière politique américaine qui lui est, rappelons-le, impossible en raison de ses origines sud-africaines, il se consacrera pleinement à son voyage martien, qui, je le répète, est sa raison d’être et le rêve pour lequel il se battra jusqu’à la fin de ses jours, quitte à abandonner toutes ses autres activités.
 

Si vous pouviez le rencontrer et, les yeux dans les yeux, lui poser une question, une seule, quelle serait-elle ?

 

Si je rencontrais Elon Musk les yeux dans les yeux, je lui demanderais si la foi qui l’anime est toujours aussi vive que lors de ses débuts et s’il croit toujours en ses rêves. Regrette-t-il aussi la teneur de ses propos au sujet du Covid, du confinement, de la guerre en Ukraine ou encore de certains hommes politiques comme Justin Trudeau, le premier ministre canadien qu’il avait comparé à Hitler ? Des questions plus générales aussi au sujet de son rapport avec ses employés ou ses subalternes, de ses croyances profondes ou encore de son idéal de société. Enfin, si les extraterrestres existent, comment les imagine-t-il et pense-t-il que les OVNI en soient la manifestation ? Enfin j’aimerais savoir comment il aimerait que les historiens parlent de lui et de ses réalisations d’ici un à deux siècles. Tout un programme, voyez-vous ?

 

 
 
Parmi vos ouvrages récents, On a frôlé la guerre atomique, paru en 2018, bien avant la guerre entre la Russie et l’Ukraine. L’an prochain, nous commémorerons les 80 ans des bombardements nucléaires d’Hiroshima ET de Nagasaki... Depuis, des essais à tout va, mais heureusement aucune détonation hostile. Votre intime conviction, sur une question qui, je dois le dire, me fait toujours, invariablement, froid dans le dos : est-il probable que notre siècle s’achève sur ces deux "seuls" précédents de 1945 ?
 
Depuis maintenant près de 80 ans, l’arme atomique est devenue un acteur majeur des relations internationales. En 1945, les États-Unis, alors seuls détenteurs de la bombe A, l’ont utilisée à deux reprises sur le territoire japonais. N’en déplaise aux détracteurs de l’Amérique, la double explosion d’Hiroshima et de Nagasaki a eu pour conséquence d’écourter la guerre contre le Japon impérial. Sans l’arme atomique, sans doute la Seconde Guerre atomique aurait-elle duré quelques années de plus, occasionnant encore plusieurs millions de morts. Quatre ans après cet évènement, en 1949, peu après son échec à Berlin, l’Union soviétique maîtrise à son tour le processus de l’explosion nucléaire. La Guerre froide est ainsi lancée entre deux blocs antagonistes capables de se détruire mutuellement. À au moins sept reprises, notamment pendant la crise de Cuba en octobre 1962, Washington et Moscou ont été au bord du conflit atomique, mais les armes n’ont pas parlé. Et c’est toute l’ironie de l’arme atomique. Ses capacités de destruction sont telles qu’aucune puissance n’ose tirer la première.

 

Pendant plus de quarante ans, "l’équilibre de la terreur" a ainsi interdit tout conflit d’ampleur mondiale. "Paix impossible, guerre improbable" disait Raymond Aron. La bombe atomique est paradoxalement l’arme de la paix par excellence. Sans elle, sans doute la Troisième Guerre mondiale aurait-elle éclaté avant l’implosion de l’URSS en 1991. Aujourd’hui, en 2024, à l’occasion de la guerre en Ukraine, on brandit de nouveau le spectre atomique. Mais là encore, son emploi est impossible. Sans la parité nucléaire entre la Russie et les États-Unis, il est probable que le conflit ukrainien se serait déjà étendu aux pays voisins. Dans le siècle qui vient, les risques d’une "troisième explosion atomique" sont toutefois bien réels. A priori, nous ne sommes pas à l’abri d’une utilisation limitée de la Bombe de la part de puissances régionales tels le Pakistan, l’Iran ou la Corée du Nord. Un dérapage incontrôlé est toujours possible. Mais espérons que je me trompe... 

 
Vos projets et surtout, vos envies pour la suite, Luc Mary ?
 
Après Elon Musk, figurez-vous, je ne quitte pas le «  petit monde des mordus de l’espace  », bien au contraire. Pas plus tard qu’en juin 2024, je vais probablement publier un ouvrage sur notre première star du Cosmos, notre Normand Thomas Pesquet. A la faveur de deux grandes missions spatiales, celui qui bat Omar Sy et Dany Boon dans les sondages de popularité auprès du public français, a séjourné près de 400 jours dans l’espace et effectué pas moins de six sorties dans le grand vide. Sans avoir même accompli d’exploit historique, il a véritablement révolutionné l’image de la conquête spatiale auprès du grand public. D’une certaine façon, Thomas Pesquet représente l’anti-Musk par excellence. Sa simplicité et ses multiples talents n’ont d’égale que la mégalomanie et l’exubérance du patron de SpaceX. S’ils nourrissant les mêmes rêves, ils ne partagent pas le même lit. Quand notre spationaute national rend l’espace attractif, le milliardaire de la Silicon Valley entend y transporter toute l’Humanité. Le premier est astronaute, ingénieur et bardé de diplômes, le second est un autodidacte patenté mais doué d’une volonté, d’une énergie et d’une imagination débordantes. Un point commun les rassemble cependant, leur foi inébranlable en l’avenir de l’Humanité dans l’espace.

 

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

Publicité
Publicité
Commentaires
Paroles d'Actu
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 056 587
Publicité