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Paroles d'Actu
27 octobre 2017

Xavier Broutin : « Cassandra aura marqué les esprits et rendu les gens meilleurs »

Difficile, quand on ne l’a pas vécue dans sa chair, d’imaginer vraiment ce que doit être la douleur d’avoir perdu un enfant. Cassandra, la fille d’Élodie et Xavier Broutin, jeune couple habitant le Rhône, s’est éteinte en août 2016 des suites d’une leucémie, elle n’avait que vingt-et-un mois. Du vivant de la petite, ils avaient cherché à sensibiliser l’opinion sur la question cruciale du don de sang et du "don de soi", et leur combat, celui de Cassandra, a ému et mobilisé de nombreuses personnes. Passé l’abattement, le décès de leur fille n’a fait que les renforcer dans leur détermination : le déchirement de l’avoir perdue serait suivi, forcément, par une continuation de ce combat. En son nom à elle, pour les autres enfants qui eux aussi, luttent. Pour que quelque chose de positif puisse sortir de sa mort, tellement injuste...

J’ai eu moi-même un premier contact "direct" avec lAssociation Cassandra lors d’un événement (une randonnée) co-organisé au profit de ses combats par l’entrepôt Easydis de Grigny (69), le dimanche 1er octobre 2017. Une jolie journée solidaire pour une cause noble. J’ai souhaité consacrer un article à l’association pour un modeste mais sincère coup de projecteur sur ce qu’elle porte. Je remercie Xavier Broutin, pour ses réponses, utiles et émouvantes, pour les photos qu’il a partagées. Je n’oublie pas qu’il y a cinq ans, Stéphanie Fugain mavait offert un de mes articles les plus touchants. Et je n’oublie pas non plus, à titre personnel, à quel point cette guerre contre les leucémies et contre les cancers mérite d’être épaulée, de toutes nos forces. L’occasion, ici, de saluer les bénévoles, et tous les acteurs qui de près ou de loin oeuvrent en ce sens. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Xavier Broutin: « Cassandra aura marqué

les esprits et rendu les gens meilleurs »

Q. : 25/09/17 ; R. : 25/10/17.

 

Cassandra famille

 

Paroles d’Actu : Xavier Broutin bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Ce qui nous réunit aujourd’hui, évidemment, c’est la cause que vous portez, la lutte contre les leucémies et cancers pédiatriques, pour votre petite fille Cassandra, malheureusement décédée il y a un an, et pour tous les autres... Est-ce que vous pourriez, avant d’entrer dans le vif du sujet, nous parler un peu de vous, de ce qu’était votre vie "avant" ?

la vie avant

Xavier Broutin : Avant la naissance de Cassandra, Élodie et moi venions d’entrer dans la vie active. Élodie, après des études d’infirmière, venait de débuter sa carrière. Quant à moi, après une école d’ingénieur et une école de commerce, je venais de créer mon entreprise de communication. Nous vivions ensemble depuis quelques années. C’est donc tout naturellement que Cassandra a vu le jour en novembre 2014.

 

Cassandra sourire Cassandra fleurs

 

PdA : Cassandra, votre fille, avait effectivement vu le jour le 18 novembre 2014. Diagnostiquée dès ses deux mois, elle s’est battue, courageusement même si elle ne le savait pas, et bien entourée, contre une leucémie qui allait finalement l’emporter le 17 août 2016... Avec le recul, comment regardez-vous cette période de votre vie, qu’on imagine jalonnée de moments d’abattement et de grande peine mais aussi de petits espoirs, et riche en contact humain ? Est-ce que vous diriez que votre existence a pris un sens nouveau depuis que la vie vous a infligé cette épreuve ? Que vous avez, vous et votre épouse, appris de vous-même ?

face à l’épreuve

X.B. : À l’annonce du diagnostic de cancer de Cassandra, tout s’est écroulé autour de nous. Mais ce temps d’abattement et de désespoir n’a pas duré très longtemps, car pour Cassandra nous aurions fait l’impossible. Cassandra s’est battue d’une manière remarquable conte la leucémie, elle a fait preuve d’une grande force alors qu’elle n’était qu’un bébé. Le combat était inégal, mais Cassandra s’est toujours montrée combative.

Bien sûr, notre conception de la vie a été bouleversée par cette épreuve. Dès le début de la maladie de Cassandra, nous avons voulu donner du sens à quelque chose qui n’en n’avait pas. C’est pour cela que nous avons rapidement eu l’idée de créer l’Association Cassandra, pour que d’un malheur naisse l’espoir, pour tous les enfants.

« Je crois que Cassandra nous a rendu meilleurs »

Je crois que Cassandra nous a rendu meilleurs. Beaucoup de personnes ont été touchées par son combat, y compris des professionnels de santé. Nous le constatons tous les jours à travers les témoignages que nous recevons.

 

Cassandra hôpital

 

PdA : Ce combat, vous l’avez mené intelligemment et avez su fédérer et mobiliser autour de Cassandra et de la cause reprise par l’Association Cassandra ACCL. Beaucoup de gens se sont sentis touchés, concernés, localement et sur tout le territoire, grâce notamment aux relais puissants de la presse et surtout des réseaux sociaux. Pas mal d’actions sont entreprises, je pense par exemple, pour ce qui nous concerne, à cette marche du 1er octobre à Grigny (Rhône), organisée avec le soutien d’un acteur local de la logistique alimentaire (Easydis). Est-ce que vous avez été surpris, de manière générale, par cet élan de sympathie et de solidarité, par la force d’entraînement d’internet ? Qu’auriez-vous envie de leur dire, à tous ces gens qui désormais portent la bannière de votre fille ?

autour d’une cause commune

X.B. : Le combat de Cassandra, que nous relayons sur Facebook, a rapidement pris de l’ampleur. Des dizaines de milliers de personnes, puis plusieurs centaines de milliers, suivaient chaque soir les nouvelles (bonnes ou mauvaises) de Cassandra. C’est ainsi que l’Association Cassandra est née.

Les soutiens virtuels sont devenus réels. À ce jour, l’Association Cassandra compte des milliers d’adhérents dans toute la France et dans le monde. Plus de 500 bénévoles nous ont rejoints et forment aujourd’hui 80 antennes départementales.

À l’instar des salariés d’Easydis Grigny, beaucoup de personnes décident de soutenir l’association pour faire avancer les causes qu’elle défend. Tous ces soutiens nous vont droit au cœur, car cela montre que malgré sa courte vie, Cassandra aura marqué les esprits et rendu les gens meilleurs.

 

Cassandra rando

 

PdA : Il y a cinq ans, lors d’une de mes premières interviews, j’avais eu la chance d’interroger Stéphanie Fugain, présidente de l’Association Laurette Fugain, créée en mémoire de sa fille décédée à l’âge de 22 ans d’une leucémie et œuvrant pour la sensibilisation au "don de soi". Est-ce que vous la connaissez et agissez en rapport avec elle ? En quoi la sensibilisation à et la lutte contre les leucémies et cancers pédiatriques diffèrent-elles de ce qui vaut pour les "plus grands" ?

l’association Laurette Fugain ?

X.B. : Stéphanie Fugain et l’association Laurette Fugain font un travail remarquable depuis de nombreuses années pour faire avancer la recherche contre la leucémie. Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger ensemble, nos combats sont en effet très proches.

« Il y a un manque flagrant de recherche

pour les maladies rares infantiles »

L’Association Cassandra se focalise essentiellement sur les leucémies et cancers pédiatriques, car il y a un manque flagrant de recherche médicale pour les maladies rares infantiles. Les chercheurs affirment même que les avancées faites pour les enfants sont bénéfiques aux adultes, alors que le contraire n’est pas évident. Il est donc crucial d’augmenter significativement les moyens alloués à la recherche contre les cancers pédiatriques.

 

Stéphanie et Laurette Fugain

 

PdA : Voulez-vous nous parler des actions menées par l’association Cassandra ACCL ? Que faites-vous au quotidien ?

l’asso en actions

X.B. : L’Association Cassandra a trois missions : financer la recherche contre les cancers pédiatriques, aider les familles d’enfants atteints de cancers, et promouvoir les dons de vie (dons de sang, de plaquettes, de plasma, de moelle osseuse, etc.). Concrètement, cela se traduit au quotidien par des actions de sensibilisation du public, notamment sur les collectes de sang, et par des récoltes de fonds.

En parallèle, l’Association Cassandra est très active au niveau politique pour que le Parlement et le Gouvernement prennent les mesures nécessaires pour garantir le financement de la recherche contre les cancers de l’enfant.

 

Cassandra dons de soi

 

PdA : Comment celles et ceux qui ont envie de vous aider et de faire avancer votre cause peuvent-ils le faire ? De quoi avez-vous besoin, financièrement mais peut-être surtout au niveau du "don de soi" ?

pour la bonne cause

« Nous appelons le public à donner son sang

ou à s’inscrire sur le registre des donneurs

de moelle osseuse »

X.B. : Bien entendu, les dons financiers sont indispensables à l’association pour pouvoir financer des projets de recherche. Mais nous appelons également le public à donner son sang ou à s’inscrire sur le registre des donneurs de moelle osseuse. Ces dons de vie ont une valeur inestimable car ils sont indispensables pour sauver des vies d’enfants et d’adultes.

 

PdA : Vous vous êtes lancé Xavier Broutin, un temps, dans l’arène politique afin de mieux porter vos idées sur la scène publique. Qu’avez-vous retenu de cette expérience ? Quel message adresseriez-vous à celles et ceux qui ont un pouvoir direct d’action (crédits, leviers pour sensibilisation...) sur la cause que vous portez, je pense en particulier à nos responsables politiques nationaux (le Président Emmanuel Macron et son Premier ministre, le gouvernement, les députés et les sénateurs...) ?

expérience et leviers politiques

X.B. : Je me suis présenté aux élections législatives dans la deuxième circonscription du Rhône en juin 2017. Mon objectif était de sensibiliser les électeurs aux causes que je défends, mais aussi d’interpeller les autres candidats, notamment ceux des grands partis politiques, sur les problèmes liés au financement de la recherche médicale.

Cette expérience, que je renouvellerai certainement, m’a permis de prendre conscience que le monde politique est un milieu très cynique. Beaucoup tiennent des promesses ou prennent des engagements, mais peu les respectent. Les citoyens doivent être plus exigeants vis-à-vis de leurs élus.

Aujourd’hui, je continue avec l’Association Cassandra à interpeller nos décideurs. Nos dirigeants doivent prendre conscience que la jeunesse est l’avenir du pays. C’est une priorité. Si nous laissons nos enfants mourir de cancers ou d’autres maladies, alors nous ne sommes pas dignes de diriger une nation.

 

PdA : Qu’est-ce qui vous "porte" aujourd’hui, vous et votre épouse ?

X.B. : Élodie et moi sommes portés par le souvenir de Cassandra. Nous nous battons en sa mémoire, et pour tous les enfants qu’il reste à sauver.

 

PdA : Cassandra, en trois mots ?

X.B. : Courage, force, espoir.

 

PdA : Qu’est-ce qui, quand vous regardez derrière, vous rend "fier" ?

X.B. : Je suis fier de Cassandra et de la force qu’elle a déployée contre la maladie. Je suis fier que ce combat ait permis à des personnes d’aller donner leur sang, ou à devenir veilleurs de vie (donneurs de moelle osseuse).

 

PdA : Quels sont, pour ce qui concerne l’association ou vous-même, plus personnellement, vos projets et envies pour la suite ?

X.B. : Nous allons continuer à oeuvrer au sein de l’Association Cassandra pour faire avancer la recherche et aider les familles. Nous avons la chance d’être entourés par des centaines de bénévoles et d’adhérents qui ont pris à bras le corps ce combat. C’est tous ensemble que nous arriverons à faire avancer les causes que nous défendons.

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter ?

X.B. : Élodie et moi espérons que la vie sera un peu plus douce à l’avenir.

 

PdA : Un dernier mot ?

X.B. : « Parce que d’un malheur peut naître l’espoir ».

 

Cassandra parents

 

 

>>> Association Cassandra <<<

pour soutenir l’Association Cassandra

 

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9 octobre 2017

Michel Dancoisne-Martineau : « Sainte-Hélène, une ode à la liberté d'être soi-même »

Lorsqu'on se retrouve avec, en mains, Je suis le gardien du tombeau vide (Flammarion, 2017), l’ouvrage de Michel Dancoisne-Martineau, consul honoraire de France à Sainte-Hélène, on s’imagine un peu que le récit va tourner autour de Napoléon et qu’on va relire l’histoire du vécu de l’empereur déchu sur cette île lointaine et mythique, celle de son ultime exil forcé. Autant le dire tout de suite : on se trompe, et il est à parier que le lecteur sera étonné, parfois surpris de ce qu’il découvrira dans ce livre. De Napoléon il est certes question, largement et en filigrane, mais on voit surtout se dérouler la vie d’un homme qui, à l’heure de ses cinquante ans, a pris le parti de se raconter, sans tabou, et avec une honnêteté qu’on sent à fleur de peau. Ce qu’on découvre aussi, c’est que Sainte-Hélène ne se résume pas à une prison dorée d’il y a deux siècles, mais qu’elle est aussi un lieu de vie, riche d’une communauté multiple et à bien des égards pittoresque. Ce livre, que je vous recommande chaleureusement, nous invite en somme à plonger dans l’intime d’un homme. Et à prendre le large, le grand large, pour un voyage dépaysant, touchant et enrichissant... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 30/09/17 ; R. : 04/10/17.

Michel Dancoisne-Martineau: « Sainte-Hélène,

une ode à la liberté d'être soi-même »

Je suis le gardien du tombeau vide

Je suis le gardien du tombeau vide, Flammarion, 2017.

 

Paroles d’Actu : Michel Dancoisne-Martineau bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Vous êtes consul honoraire de France, directeur des Domaines nationaux de Sainte-Hélène, et donc à ce titre, c’est d’ailleurs « celui » de votre livre, trouvé par un visiteur je le cite, « gardien du tombeau vide », celui bien sûr de Napoléon... Le lecteur qui ne vous connaît pas sera surpris, je pense, à la lecture de votre ouvrage (Je suis le gardien du tombeau vide, Flammarion, 2017), parce qu’il ne s’attendra pas forcément à ce qu’il y trouvera.

Vous racontez votre parcours à Sainte-Hélène mais vous vous racontez vous, surtout, et de manière parfois très intime. Vous dites que ce livre est en partie une réponse à toutes les questions que les curieux se posent à votre endroit, mais est-ce que vous ne l’avez pas ressenti également, quelque part, comme un besoin personnel, peut-être de coucher sur papier un bilan de votre vie à l’occasion de vos cinquante ans, et peut-être d’en "exorciser" certains pans ?

pourquoi ce livre ?

Michel Dancoisne-Martineau : Vous savez qu’écrire n’est pas mon domaine de prédilection. L’objet de ce récit était d’ailleurs de tout dire une fois pour toute afin de me taire ensuite. C’est d’ailleurs la règle de base pour vivre en permanence à Sainte-Hélène : il faut savoir ne rien cacher.

Certains lecteurs critiques de mon histoire appellent ça de l’impudeur, d’autres de l’exhibition. Pour nous qui partageons un même espace dans un isolement géographique extrême (on est à 2000 km des côtes les plus proches de l’Afrique, et à 4000 km de l’Amérique du sud), tout montrer – ou ne rien cacher – est le b.a.-ba de la vie en communauté.

Vous avez prononcé le mot qui, ici, est vain : « intime ». Bien entendu, si vous ne passez qu’une semaine ou deux sur l’île, vous pourrez conserver un coin de votre jardin secret. Sans problème. Par contre, pour pouvoir y vivre toute l’année, il vous sera difficile d’en préserver ne serait-ce qu’une parcelle. Je ne compte plus le nombre d’immigrants britanniques ou d’autres nationalités qui, après avoir fait le choix de résider sur l’île, ont flanché psychologiquement au bout de quelques mois.

« La rédaction de ce récit a eu pour moi

l’effet d’une sorte de psychanalyse »

En ce qui me concerne, comme vous l’avez soupçonné, la rédaction de ce récit a effectivement eu l’effet d’une sorte de psychanalyse qui m’a permis de comprendre que la surface de cette île était devenue mon « hypercadre ». Je ne m’en étais vraiment rendu compte que lorsque j’avais commencé la rédaction des deux derniers chapitres et que je réalisais l’abondance du matériel métaphorique que j’avais déployé pour parler de moi. Je réalisai que Sainte Hélène, lieu clos concrétisant le territoire de l’imaginaire et du moi, s’était fait personnage, cette instance tierce essentielle à toute psychanalyse ou, ce que, dans votre question, vous appelez « exorcisme ».

Je fus rassuré de savoir que les patients de la psychanalyse ne sont jamais ceux qui demeurent dans leur « hypercadre » mais ceux qui doivent poursuivre leur cure au-delà de leurs limites géographiques comme si l’extrême proximité rendait le voyage impossible. Bref tout le contraire de l’insulaire à temps plein que je suis devenu.

 

PdA : Votre histoire débute dans un cadre familial compliqué, en Picardie, mais votre aventure avec Sainte-Hélène, vous la devez non à Napoléon mais à... Lord Byron, à des échanges puis à une rencontre avec un homme, un des très grands noms de votre vie : Gilbert Martineau, officier de marine, historien, consul honoraire de l’île... il deviendra votre père adoptif... Parlez-nous de votre rencontre ? De lui, de qui il était ?

Gilbert Martineau

M.D.-M. : Suite à la publication de son Lord Byron, la malédiction du génie et à une correspondance que j’avais eue avec lui, je devais rencontrer Gilbert Martineau au Havre à l’occasion de son voyage annuel en France. J’étais – et je le suis resté – extrêmement timide en public (il suffit d’écouter mes interviews radio ou télévisuelles pour s’en apercevoir). Et donc je me contentai d’écouter cet homme sombre, désabusé de tout, cynique que j’avais perçu dans sa biographie de Lord Byron. 

Pour vous faire comprendre qui il était, je vais vous résumer son histoire telle qu’il me la livra : celui qui n’était encore que le « matelot Gilbert Martineau », le 7 septembre 1939, intégra la base de Brest où il resta jusqu’au 17 mars 1940. Puis passant par Cherbourg, il quitta la France pour Harvich le 25 mars et Dundee le 1er mai pour des missions de traducteur de la Marine nationale. Il regagna sa base à Brest pour embarquer le 18 juin sur le Jules Verne (groupe sous-marin en Angleterre). Début juillet 1940, il fut envoyé en Afrique de l’ouest où il rallia les Forces françaises libres (FFL) de de Gaulle. Quartier-maître à compter du 1er août 1940, il servit à Casablanca, Sidi Abdallah, Oran et Dakar en qualité d’officier de liaison entre les forces américaines, britanniques et les FFL. Il passa toute la durée de la seconde Guerre en Afrique de l’ouest et du nord.

« "Traîner une vie n’importe où pourvu qu’il y ait

l’inconnu, la découverte à chaque instant

des mondes nouveaux" »

Après avoir quitté Nouadhibou le 20 mars 1944, et « ses mois d’inaction » comme il les appelait, il fut détaché dans l’escadrille américaine 6FE basée à, selon l’expression administrative de l’époque, Agadir  et confins. Durant un séjour à Casablanca du 5 au 10 juin 1944, il apprit l’étonnante nouvelle du débarquement des troupes alliées en France. Il confiera alors à ses parents : « Je redoute la vie d’après-guerre terriblement. J’ai peur de manquer d’air : traîner une vie n’importe où pourvu qu’il y ait l’inconnu, la découverte à chaque instant des mondes nouveaux. La vraie vie est vraiment absente ! Et pourtant la chercher est bien tentant ! » Le même jour, dans ses carnets, il compléta son récit en y rajoutant un mot : « Foutaises… ».

 

Gilbert Martineau à Longwood 1959 

Gilbert Martineau à Longwood, 1959.

Gilbert Martineau

 

À partir de 1945, à l’ombre de la société littéraire qui entourait Rosemonde Gérard (la femme d’Edmond Rostand), il prit la direction des guides de voyage Nagel. Il s’enivra du Paris intellectuel d’après-guerre. Il en sortit toutefois totalement désillusionné et, en 1954, il reprit son uniforme d’officier de la marine nationale pour devenir chef des services généraux et des opérations à la base aéronavale d’Aspretto en Corse. Là encore, le cadre militaire le désenchanta et il accepta de se retirer du monde à Sainte Hélène où il débarqua pour la première fois le 5 décembre 1956.

« Il se plaisait à se duper... il le faisait

d’ailleurs avec panache et grandeur »

Jusqu’à sa mort en 1995, il resta un être désabusé, lancé dans une quête permanente à laquelle il ne croyait toutefois pas. Il se plaisait à se duper. Il le faisait d’ailleurs avec panache et grandeur. Il y avait du « Cyrano » en lui. Il était mon héros.

 

PdA : Qu’est-ce que vous « devez » à cet homme ? Dans quelle mesure diriez-vous de Gilbert Martineau qu’il a contribué à vous orienter et à vous « forger » dans la vie ?

« Il ne m’a pas engendré, mais il m’a sauvé... »

M.D.-M. : En détaillant tout ce que je lui dois, je pourrais répondre à votre question en noircissant des pages entières. Mais ce serait réécrire le récit déjà publié. Je vous répondrais succinctement que je dois à Gilbert tout ce qu’un fils crédite habituellement à son père : il m’a éduqué et lancé dans la vie. Seule différence : au lieu de m’avoir engendré, il m’a sauvé. Il m’a offert l’amour paternel dont la vie m’avait privé. Je n’avais jamais renoncé à trouver cet amour-là ; même si, cela, il me fallut le dénicher à l’autre extrémité du monde.

 

Vie à Sainte-Hélène

Michel Dancoisne-Martineau. Scènes de vie à Sainte-Hélène, 1996-2000.

 

PdA : En 1985, vous avez 18 ans et débarquez pour la première fois sur l’île de Sainte-Hélène, dans l’Atlantique sud... En quoi ce que vous y trouvez à ce moment-là diffère-t-il de ce que vous imaginiez de l’endroit et de ses sites historiques ?

Sainte-Hélène, premiers contacts

M.D.-M. : La vérité fut qu’avant de venir à Sainte Hélène, je ne m’étais rien imaginé du tout. Je ne m’attendais donc à rien. Je n’étais encore jamais sorti des frontières de l’Hexagone ; je n’avais pas encore lu le Mémorial de Las Cases ; dans ma scolarité, la période « Napoléon », coincée entre la seconde et la première, avait été « oubliée » ; la légendaire île de Sainte Hélène noircie par deux siècles de propagandes pro ou antinapoléonienne ne m’était connue que par une comptine. Même la Grande-Bretagne, d’où je pris le bateau pour la première fois me parut exotique.

Dans ce contexte, l’île et ses sites historiques ne furent pour moi qu’une découverte d’une même nature que lorsque l’on découvre un film ou un roman. Il se trouva que Sainte Hélène ressemblait alors à une nouvelle de Rudyard Kipling et la dernière résidence de Napoléon à Longwood à un film d’Orson Welles.

 

PdA : Vous le faites comprendre à bien des reprises dans votre ouvrage : sans doute avez-vous été davantage fasciné par la société hélénienne et ses individualités que par le site en lui-même. Sainte-Hélène au milieu des années 80, racontez-vous, c’est une terre de survivance de l’époque impériale britannique, avec ses titres de noblesse désuets et ses espaces de liberté qui bien souvent franchissent allègrement les limites de la permissivité. Vous avez « fait » une partie de votre jeunesse et, disons, de vos écoles des amours et de la vie durant ces années-là, dans ce cadre-ci. Non sans questionner a posteriori, c’est particulièrement évident à la toute fin de votre livre, le caractère moral de quelques pratiques passées sur l’île. En quoi diriez-vous de cette expérience à Sainte-Hélène qu’elle vous a fait « grandir », et que vous a-t-elle appris sur l’humain et les communautés humaines ?

jeunesse et 80s à Sainte-Hélène

M.D.-M. : Sainte-Hélène, dans les années 1980, se trouvait au confluent de son histoire. Elle n’était pas encore sortie de l’emprise coloniale et du diktat de Londres et cependant, par l’entremise d’Ascension (île voisine à laquelle elle est administrativement liée), elle entrait de plain-pied dans le monde moderne avec la culture américaine, ses relais radiophoniques, ses satellites espions et autres missions spatiales.

À cette époque, j’avais à peine vingt ans, et bien entendu retins surtout l’aspect humain de cette période transitoire. La société de Sainte-Hélène était pleine de paradoxes : très religieuse (protestante et anglicane) et cependant sans préjugé ni tabou.

« Un mélange détonnant de vieux militaires britan-

niques, d’autochtones jamais sortis de leur île et

de jeunes vivant à fond dans leur époque »

C’était un mélange détonnant de vieux militaires de l’armée britannique en Birmanie ou en Inde, d’Héléniens qui n’étaient jamais sortis de leur île, et, de jeunes qui, en travaillant à l’île d’Ascension, avaient découvert la musique Country américaine, les mœurs de San Francisco et de Miami, les fiches de paye et les droits humains. À Sainte-Hélène, le sexe et l’alcool étaient les divertissements les plus abordables avec, dans les deux cas, les abus qui, inévitablement, en dérivent.

Faute d’élément de comparaison – je n’ai vécu ma vie d’homme qu’à Sainte Hélène –, je ne saurais donc vous dire si cette île m’a fait «  grandir  » ni décrire ce qu’elle m’aurait appris sur l’humain. Cependant, elle m’a aidé à déterminer et accepter mes limites. Sainte-Hélène m’a appris à prendre le temps ou à le perdre avec ravissement.

 

PdA : Parmi les talents qu’on vous découvre, il y a celui de croquer des portraits, par les mots et par le dessin, d’habitants, parfois de visiteurs de Sainte-Hélène. Voulez-vous, via ces deux médias, nous en présenter un ici ? Focus... sur qui vous voulez.

une âme de Sainte-Hélène

M.D.-M. : Je choisis ici un des derniers portraits que j’ai peint. Il s’agit de Donald Harris.

Donald Harris

Il est le propriétaire de la pension de famille qui porte aujourd’hui son nom. Il s’agit d’une très belle maison géorgienne qui se trouve côté ouest de l’unique avenue de Jamestown. Cette maison appartenait, il y a quelques années, à un certain « colonel Drake » qui, après une longue carrière militaire aux Indes, était venu y finir ses jours. Au début des années 1980, Sainte-Hélène était devenue le dernier vestige de l’ère coloniale britannique et ce faisant y attirait toutes les reliques humaines de l’Empire évanoui.

Les conditions du décès de ce colonel illustrèrent parfaitement cette disparition d’un monde : le Colonel, trop avare pour ne pas s’offrir l’aide d’un employé de maison, mourut fortuné mais seul. Lorsque son corps fut découvert, il était étendu sur son lit revêtu de son plus bel uniforme avec toutes ses médailles dans lequel il s’était endormi et éteint.

Donald Harris devint le propriétaire de sa maison. Ce changement est à l’image de la transformation de la société hélénienne qui se produisit durant les dix premières années de ma vie sur l’île : 1985-1994.

« Je retrouve en Donald Harris tout ce que j’aime

en Sainte-Hélène : sa candeur, sa loyauté,

sa simplicité et sa sincérité... »

Faire le portrait de Donald Harris a été pour moi un véritable bonheur car, en lui, je retrouve tout ce que j’aime en Sainte Hélène : sa candeur, sa loyauté, sa simplicité et sa sincérité.

Malheureusement, vue de l’Europe ou d’ailleurs, ces vertus peuvent être perçues comme un manque de pudeur. Je me suis rendu compte de cela après la publication du récit de mes premières trente années passées à Sainte-Hélène. Des journalistes et des lecteurs ont reproché mon manque total de pudeur qui les a mis mal-à-l’aise.

En disant cela, ils ont mis en avant ce qu’est Sainte-Hélène : une ode à la liberté d’être soi-même dans le respect de l’autre ; l’orgueil de son identité ; l’absence de jugement de l’autre ; la fierté de ses apparences.

Donald Harris est pour moi tout cela à la fois. En se tenant au perron de son hôtel de Jamestown qui porte son nom, torse nu, souriant, un paquet de cigarettes à la main et toujours de bonne humeur, il est la plus parfaite image de la beauté de l’ile qui nargue les préjugés et met à mal tous les codes sociétaux. Les rides ne sont pas honteuses.

« À l’hypocrite pudeur, comme Donald, j’oppose

le bonheur d’être soi-même... »

À l’hypocrite pudeur, comme Donald, j’oppose le bonheur d’être soi-même. En toute liberté dans le respect de l’autre.

 

Donald Harris détail

 

PdA : Il apparaît clairement, à la lecture de votre récit, que vous ne vous faisiez pas forcément la même conception de votre travail à Sainte-Hélène, avec Gilbert Martineau. Lui se voyait comme le gardien d’un temple, fut-il délabré, préférant à l’entretien des domaines une conception plus intellectuelle de sa mission. Quant à vous, vous racontez vous êtes toujours senti, par rapport à lui, illégitime sur l’aspect « connaissances napoléoniennes », mais vous prenez à cœur au quotidien, en n’ayant pas peur de mettre vous-même la main à la pâte, de restaurer, d’entretenir et de valoriser méticuleusement chaque parcelle des domaines. Est-ce que vous ressentez-toujours ce complexe quant à l’aspect plus intellectuel de cette fonction de « gardien du tombeau » ? Pensez-vous avoir trouvé un bon équilibre dans l’exercice de votre charge ?

conceptions d’un job

M.D.-M. : Gilbert était devenu un maitre dans l’art du paraître ; ce qui est une gageure à Sainte Hélène où toute prétention est pourtant intenable. La vie communautaire en milieu clos est insoutenable à tous ceux qui se leurrent.

« Je gère les domaines de Sainte-Hélène

comme un agriculteur son exploitation »

Pour cette raison, je n’essaie pas de postuler au poste d’historien, de spécialiste. Je sais que je suis bien plus manuel qu’intellectuel. L’État français m’a confié la charge d’entretenir des biens mobiliers et immobiliers. Je les gère comme un agriculteur son exploitation. Passer des travaux de couvreur, d’horticulteur-paysagiste, de maçon, de comptable, d’administratif, de forestier, de plombier est le lot commun de tous les chefs d’exploitations agricoles. Les seules véritables touches supplémentaires à mon emploi sont de pouvoir aussi entreprendre des recherches, rédiger des études historiques, transcrire des documents d’archives et en faire des synthèses, constituer un fonds de documentation et savoir entretenir un réseau de relations gouvernementale, institutionnelle et publique.

Pour répondre précisément à votre question, s’il est vrai que ce ne fut pas toujours le cas, je ne fais plus désormais aucun complexe sur ma légitimité intellectuelle ; j’ai incorporé dans la liste de mes compétences celle d’historiographe que je n’évalue pas être supérieure aux autres travaux manuels ou administratifs qui sont les miens.

Je laisse à d’autres la charge d’historien.

 

 

Reportage Dorothée Poivre d'Arvor

 

Reportage de Dorothée Poivre d’Arvor, 1996.

 

PdA : Beaucoup de fantasmes entourent l’histoire de Napoléon à Sainte-Hélène, des histoires qui viennent alimenter une légende parfois fort éloignée de ce que fut la réalité de son quotidien sur l’île. Pour avoir beaucoup étudié la question depuis votre arrivée sur l’île, vous avez la possibilité d’y voir aujourd’hui un peu plus clair. Alors, Napoléon à Sainte-Hélène, fut-il un captif maltraité par ses geôliers anglais, ou bien un dignitaire traité avec des égards dû à son rang passé ?

Napoléon sur l’île, la vérité ?

M.D.-M. : Effectivement, par manque de recherches et aveuglés par leurs désirs de créer de l’intérêt, de nombreux historiens se sont égarés durant ces dernières décennies vers des théories plus ou moins fumeuses.

« Ce fut un dialogue de sourds bavards »

Pour répondre succinctement à votre question, en dépouillant les archives anglaises et françaises, on peut résumer la situation de Napoléon à Sainte-Hélène à un dialogue de sourds bavards. La totale incompatibilité entre les deux parties qui, pareillement, se murent derrière leurs certitudes, leurs interprétations, leurs mauvaises fois et leurs orgueils. Sainte-Hélène a été, durant l’exil, le terrain où s’est jouée une foire aux égos démesurés. D’un côté, des Britanniques qui, à l’image de Lord Bathurst, ont l’arrogance revancharde du vainqueur disposant du pouvoir absolu d’un empire et d’une suprématie sur les océans, et de l’autre, un empereur déchu renfermé dans ses souvenirs et accroché à ses prérogatives impériales comme un naufragé à sa bouée.

 

Tombe de Napoléon

La tombe de Napoléon. Photo prise par Chantal Fradin, 2014.

 

PdA : Admettons, l’espace d’un instant, qu’à la faveur d’une complexe et improbable faille dans le système spatio-temporel, vous puissiez vous entretenir avec lui pour lui poser une question : qu’aimeriez-vous savoir de la bouche de Napoléon ?

une question à Napoléon ?

M.D.-M. : OK, admettons. Ma question serait : « Votre Majesté, si Sainte-Hélène vous avait été confiée comme l’île d’Elbe où vous en étiez le souverain, qu’en auriez-vous fait ? »

 

PdA : Vous citez à plusieurs reprises, dans votre ouvrage, Thierry Lentz et Pierre Branda, deux historiens employés à la Fondation Napoléon qui m’ont fait la joie, chacun, de répondre à plusieurs de mes sollicitations d’interview pour Paroles d’Actu. Quels rapports entretenez-vous aujourd’hui avec la Fondation ? Quel rôle tient-elle dans l’exercice de votre mission à Sainte-Hélène ?

Thierry Lentz et la Fondation Napoléon

M.D.-M. : À la mort de Gilbert Martineau en 1995, le directeur de Malmaison, Bernard Chevallier paracheva ma formation en m’introduisant dans le monde très fermé de l’histoire de l’art et de la conservation.

Depuis son passage à Longwood House en 2003, Thierry Lentz devint, tout en demeurant très professionnel et un méticuleux partenaire, un ami. Il entra très vite dans l’olympe de mes démiurges. Thierry fut absolu dans tous les projets que je le vis conduire. Il avait tout ce dont je manquais et que je ne pouvais qu’admirer chez les autres : de l’entregent, une vive intelligence, une immense connaissance de son sujet napoléonien, une rapidité de décision, une facilité d’écriture et une profonde connaissance des relations humaines. Il ne fut pas long à me cerner. Il comprit qu’à l’école, je n’avais été ni brillant ni cancre et que j’avais toujours préféré la place juste un peu plus haut que la moyenne ; position idéale pour guetter sans être remarqué. Il appréhenda très vite que le goût pour l’observation passive m’avait toujours fait préférer la lecture à l’écriture, la poésie à la philosophie, l’historiographie à l’histoire.

Par un savant dosage d’autorité, de flagornerie, de bienveillance, d’autorité, de menace, de faveur, d’estime et de considération, il sut obtenir de moi ce que je me refusais par manque de confiance – ou d’incompétence avérée. La rédaction et la conception du livre d’art qu’était Sainte-Hélène, île de mémoire (Fayard, 2005) ne furent qu’un début à une longue liste de textes qu’il me fallut produire suite à ses persuasions.

« Jamais paternaliste comme le fut Gilbert,

Thierry Lentz me fit entrevoir les bienfaits

d’appartenir à un foyer »

Thierry fut un révélateur et devint le moteur de mes capacités intellectuelles. Il savait que je gérais les domaines nationaux comme un exploitant agricole aurait régi sa ferme avec amour et non pas, comme on s’y attendrait, par une irrationnelle passion napoléonienne. Il reconnut en moi ce talent d’administrateur mais, à l’homme exigeant qu’il était, cela ne suffisait pas. Il connaissait mon goût pour l’historiographie, mes travaux de recherches et de documentation. Il voulut que j’utilisasse mes résultats afin d’imposer auprès des spécialistes une légitimité scientifique. Il mit à ma disposition sa bibliothèque et m’offrit de nombreux ouvrages. Il sut distiller son enthousiasme pour Sainte-Hélène à tous les membres de l’équipe de la Fondation Napoléon qui, comme Pierre Branda m’accueillirent à bras ouvert aussi bien lorsqu’ils opéraient depuis leurs bureaux Boulevard Haussmann que ceux de la rue Geoffroy Saint-Hilaire. Si Thierry ne fut jamais paternaliste comme le fut Gilbert, il me fit entrevoir les bienfaits d’appartenir à un foyer.

 

Jean-Paul Mayeux et Thierry Lentz

Le collectionneur Jean-Paul Mayeux et Thierry Lentz à Longwood, 2013.

 

PdA : L’État français prend-il suffisamment au sérieux et en considération ces domaines, et est-il tout à fait à l’aise avec ce pan de notre histoire ?

l’État et Sainte-Hélène

M.D.-M. : L’État français a toujours eu le souci de l’histoire qui reste attachée aux lieux de mémoires que sont ses propriétés à Sainte-Hélène. Le problème ne s’est jamais situé sur ce point mais sur les aspects bien plus terre-à-terre de gestion des propriétés au quotidien. En d’autres termes, comment gérer « le poste de Sainte-Hélène » qui n’entre dans aucune case administrative et budgétaire ?

Même durant le second Empire (!), les domaines français à Sainte-Hélène avaient été administrativement considérés comme un caillou dans les chaussures de l’administration de la « Maison de L’Empereur » Napoléon III.

Depuis leurs origines, l’élément manquant aux domaines condamnés à l’isolement était une représentation officielle à Paris intéressée de près à ce qui se ferait à Longwood et habilitée à agir en son nom. La Fondation Napoléon, de mécénats ponctuels à un partenariat permanent, s’imposa comme la solide structure institutionnelle que je recherchais depuis la mort de Gilbert Martineau.

Longwood House

Longwood House - Photo aérienne prise par le Groupe Jeanne d’Arc, 2014.

Le 14 octobre 2015, à l’occasion du bicentenaire de l’arrivée de Napoléon à Sainte-Hélène, avec les gouvernements locaux et français, la Fondation accepta de s’engager sur le long terme pour remplir cette fonction édifiée sur des convictions, des principes et des ambitions communs. Longwood House sortit alors de sa bruine et de son obscurité, ce dont l’État français peut légitimement s’enorgueillir.

Cet intérêt médiatique sur Longwood House atteignit son zénith lorsque le musée de l’Armée accueillit durant les mois d’avril à juillet 2016, à l’hôtel des Invalides, une exposition intitulée « Napoléon à Sainte-Hélène , la conquête de la mémoire », dont la genèse fut la restauration des meubles de Longwood House à Paris. Le succès que cette présentation eut auprès du public permit d’affirmer et de motiver ce partenariat tripartite.

Ces activités permirent aussi de me rapprocher du musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-préau et de son nouveau directeur, Amaury Lefébure qui comprit et partagea notre ambition.

« Comme une minuscule touche de fantaisie dans

l’univers protocolaire de la diplomatie française »

Désormais, propriétés de l’État français gérées par le Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, les domaines nationaux apparaissent comme une minuscule touche de fantaisie dans l’univers protocolaire de la diplomatie française.

 

PdA : Qu’avez-vous envie de répondre à ceux, et je pense qu’ils seraient nombreux a priori, qui ont tendance à voir votre job comme un des plus romantiques du monde ?

job romantique ?

M.D.-M. : Il l’est devenu. C’est d’ailleurs là, la réussite dont je suis le plus fier. Je ne souhaitais pas me retrouver dans la situation de mon prédécesseur qui, faute de postulant, devait sans cesse retarder son départ à la retraite… Par manque d’éléments de comparaison, je ne peux, même si je le pense, affirmer que mon emploi est le plus romantique qui se puisse.

 

PdA : Quels conseils pour quelqu’un qui aurait envie d’aller voir de ses yeux l’île des dernières années et du décès de Napoléon, ou tout simplement Sainte-Hélène ?

conseils à un visiteur

M.D.-M. : Mon conseil est de débarquer à Sainte-Hélène en essayant d’oublier tout ce que vous auriez pu lire sur le sujet. Mes textes inclus. Ne préjuger de rien. Oublier les légendes, la propagande sur ce lieu que l’éloignement a transformé en mythe. Faire page blanche de toute littérature sur le sujet.

« Cette île, plus qu’une autre, n’est à apprécier

qu’à la lumière naturelle »

Cette île, plus qu’une autre, n’est à apprécier qu’à la lumière naturelle.

 

Jamesbay

Jamesbay - Photo aérienne prise par le Groupe Jeanne d’Arc, 2014.

 

PdA : Un aéroport vient de voir le jour sur Sainte-Hélène... Quel regard portez-vous sur cette terre, ses évolutions depuis 32 ans que vous la « pratiquez » ? Est-elle plus ou moins mystérieuse et chère à votre cœur que dans les années 80 ?

passé, futur

« J’y ai appris les vertus de la lenteur, de la vie

en communauté et du partage »

M.D.-M. : Pas de nostalgie. Ce n’est pas dans mon caractère. J’ai révéré l’île durant les années 1980 parce que j’ai pu assister en direct à l’extinction des derniers feux de l’empire colonial britannique. Je suis toujours en adoration devant ce rocher où j’ai appris les vertus de la lenteur, de la vie en communauté et du partage. 

Et puis, il ne faut pas se mentir : le tourisme de Sainte Hélène ne sera jamais de masse… avec un avion de soixante-dix sièges, ce ne sera jamais que vingt à trente âmes supplémentaires réparties sur les 122km² sous-peuplés.

 

PdA : Autoportrait express : trois adjectifs pour vous qualifier, Michel Dancoisne-Martineau ?

autoportrait

M.D.-M. : Agreste, passionné et patient.

 

PdA : Avez-vous à l’esprit un cap de vie, une date à partir desquels vous auriez envie de passer la main ? Et, si vous aviez votre mot à dire sur la question, auriez-vous comme votre père avant vous un successeur tout indiqué en tête ?

raccrochage et succession

M.D.-M. : Parmi toutes vos questions, c’est la plus facile : à l’âge légal de la retraite.

Quant à la désignation de mon successeur, je pense que si l’intention du Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères était de me remplacer, j’aurais, je pense, réussi à normaliser et rendre ce poste suffisamment attrayant pour trouver assez facilement la personne qui saura entretenir et promouvoir les domaines nationaux à Sainte-Hélène.

 

Princesse Anne

Avec la Princesse Anne, 2002.

 

PdA : En 2021, nous célébrerons le bicentenaire du décès de Napoléon à Sainte-Hélène. Quel sera le programme pour l’occasion ?

bicentenaire

M.D.-M. : Jusqu’aujourd’hui, il nous a été tout simplement impossible d’ébaucher le moindre programme car toute organisation était liée à la question de la mise en route de l’exploitation commerciale de l’aéroport. Nous y verrons un peu plus clair durant les prochains mois.

 

PdA : De quoi êtes-vous fier, quand vous regardez dans le rétro ? Des regrets ?

bilans

M.D.-M. : Ma plus grande fierté ?

Professionnellement : d’avoir su imposer localement et internationalement, respactibiliser administrativement et crédibiliser scientifiquement les domaines nationaux à Sainte-Hélène et contribuer à en faire des lieux de mémoire incontournables.

Personnellement : d’avoir eu les moyens d’offrir la vallée des Briars [au St. Helena National Trust, ndlr] pour en faire une réserve naturelle.

 

Sainte-Hélène l'équipe

L’équipe, 2016.

 

Mon principal regret ?

Professionnellement : de n’avoir pas su (ou pu) établir une structure administrative pérenne avec le Ministère de la Culture afin de pouvoir donner à Longwood House une dimension muséale.

Personnellement : de n’avoir pas su (ou pu) comprendre les raisons de l’indifférence (du rejet ?) de mes parents naturels.

 

PdA : Qu’aimeriez-vous au fond que les gens qui vous auront observé disent de vous, de votre passage ?

regards extérieurs

M.D.-M. : « Il a fait du bon boulot ! »

 

PdA : L’éditeur le note en quatrième de couverture, et c’est aussi le ressenti que moi j’ai eu en vous lisant : vous avez une vraie belle plume. Comment comptez-vous l’exploiter par la suite ?

écrits à venir ?

M.D.-M. : Ce sont là des mots de l’éditeur. Il n’allait tout de même pas dire le contraire alors que c’est lui qui m’avait demandé de faire cet exercice.

Quant à ma plume, j’ai aussi entendu dans une émission littéraire que mon style était « désuet »… qui croire ? Et comme j’ai un manque total de confiance en mes propres qualités littéraire ou artistique… je préfère de loin le jardinage car la nature m’est plus intelligible.

 

Briars

Avec Bernard Chevallier aux Briars, 2005.

 

PdA : Quels sont vos projets, vos envies pour la suite, Michel Dancoisne-Martineau, pour vous à titre personnel, et pour les domaines que vous administrez ? Que peut-on vous souhaiter ?

des projets et des souhaits

M.D.-M. : Côté travail de recherche et d’historiographie, pouvoir finir la série en douze volumes bilingue anglais/français sur l’histoire de « Napoléon et Sainte Hélène, l’écueil de l’Empire ».

Côté gestionnaire des propriétés immobilières de l’État : trouver et pérenniser les moyens afin d’en assurer une plus grande autonomie financière.

Côté personnel : reprendre mes pinceaux que, faute de temps, j’avais dû abandonner depuis près de vingt ans.

 

PdA : Un message pour quelqu’un en particulier, n’importe qui ?

message personnel

M.D.-M. : Un message pour ma mère avec qui, à l’occasion de la rédaction de mon récit, je pensais pouvoir entamer un dialogue mais qui – en raison des trente années d’indifférence passées ? – refuse toujours la main que je lui tends. Je pensais que la mort de mon père aurait permis une discussion que nous n’avons jamais pu avoir de son vivant. Cependant, même si je le regrette, je respecte ce silence.

 

PdA : Un dernier mot ?

« Venez nombreux visiter Sainte-Hélène…

une autre façon d’appréhender le monde »

M.D.-M. : Venez nombreux visiter Sainte-Hélène pour y découvrir nos domaines nationaux, découvrir un nouvel univers… une autre façon d’appréhender le monde.

Et ce faisant, nous aider à promouvoir ces lieux de mémoire que sont devenus les Briars, Longwood House et la Tombe (vide) de Napoléon.

 

Michel Dancoisne-Martineau

Michel Dancoisne-Martineau, par David Bordes, 2011.

 

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1 octobre 2017

Sylvie Dutot : « Un déclic, comme une évidence : France Terres d’Histoire devait continuer... »

France Terres d’Histoire (FTH) est un magazine spécialisé diffusé en format numérique et composé depuis quatre ans par des passionnés d’histoire, au premier chef desquels Christian Dutot, à la rédaction en chef, et son épouse Sylvie. Une belle aventure et histoire humaine, qui a malheureusement failli s’arrêter brutalement après le décès bien trop prématuré de Christian Dutot fin 2016... C’était sans compter la détermination courageuse de Sylvie Dutot et des fidèles de FTH. Après le temps de labattement, et quelques mois de battement, il fut décidé que, tel le phénix, le magazine reviendrait. Qu’il vivrait. Pour que la belle aventure humaine continue. Pour ceux qui restent, pour Christian aussi... et surtout pour les lecteurs fidèles, et tous ceux qui aiment l’Histoire. Sylvie Dutot, nouvelle rédactrice en chef de FTH, a accepté de répondre à mes questions : je l’en remercie et souhaite plein succès à leur initiative, et bon vent à leur publication... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 25/09/17 ; R. : 10/10/17.

Sylvie Dutot: « Il y a eu un déclic, comme une évi-

dence : France Terres d’Histoire devait continuer... »

France Terres d’Histoire

France Terre d'Histoire no 5

 

Paroles d’Actu : Sylvie Dutot bonjour, je suis ravi, véritablement ravi de vous accueillir pour cette interview pour Paroles d’Actu. Nous sommes ici pour parler principalement d’histoire, et en particulier de votre magazine France Terres d’Histoire (FTH), lancé il y a tout juste quatre ans. Mais je ne peux pas ne pas aborder cette ombre qui s’est abattue à la toute fin de l’année dernière sur le magazine et bien davantage, sur votre famille : le décès de Christian Dutot, le bâtisseur et rédacteur en chef de FTH, votre époux et le père de votre fils... J’ai d’abord et avant tout envie de vous demander : comment allez-vous ?

l’après

« Une période de profonde désespérance

dont je suis sortie, plus forte que jamais... »

Sylvie Dutot : Je vais bien. J’ai connu, après la disparition de Christian, une période de profonde désespérance. Et j’en suis sortie, plus forte que jamais, grâce à quelques amis qui m’ont soutenue dans ce moment difficile. Et notre fils, qui est très jeune, se porte bien lui aussi.

 

Christian Dutot

Christian Dutot.

 

PdA : Je souhaiterais si vous le permettez citer à cet instant un de vos messages issus d’une conversation que nous avions eue début janvier, parce que cela m’avait beaucoup touché. « Le magazine est fini. Son rédacteur a disparu. Je suis fière et heureuse d’avoir aidé Christian à réaliser son rêve d’historien. Nous avions un nouveau projet de magazine qui ne verra jamais le jour. C’est ainsi. » Il semblerait, et c’est heureux, que vous ayez finalement choisi de ne pas tourner la page FTH... Parlez-nous de ce projet de nouveau numéro dont vous m’avez entretenu ? Comment avez-vous évolué dans la réflexion, et dans quel état d’esprit vous trouvez-vous aujourd’hui ?

redémarrer

« Beaucoup d’historiens m’ont fait part

de leur regret de voir disparaître ce magazine »

S.D. : Lorsque l’on réalise un magazine à deux comme nous le faisions, et que l’un disparaît, il est logique d’être en proie aux doutes quant à une éventuelle poursuite. Christian Dutot était historien et journaliste. Il écrivait la majeure partie des articles, chroniquait les livres, réalisait les interviews. Nous avions bien réparti les rôles entre nous et il ne me serait pas venu à l’esprit que je puisse un jour le remplacer dans cette fonction de rédacteur en chef. Ces derniers mois, beaucoup d’historiens m’ont fait part de leur regret de voir disparaître ce magazine. Et puis, voici quelques semaines, il y a eu un déclic, et cela s’est imposé comme une évidence. France Terres d’Histoire devait continuer.

 

PdA : Vous êtes donc, désormais, le rédacteur en chef de France Terres d’Histoire, et pour ce prochain numéro, évidemment si particulier, vous aurez pas mal de rôles à assumer. Savez-vous comment vous allez procéder ? Pas trop de stress, de pression ? Avez-vous à ce stade une idée assez précise des thèmes abordés, et des noms de ceux qui contribueront à vos côtés à l’élaboration du magazine  ?

chevilles ouvrières

« La confiance que nous a témoignée

Stéphane Bern nous galvanise »

S.D. : En effet, et c’est avant tout une question d’organisation, et de confiance. Celle de quelques amis historiens, écrivains et journalistes qui ont accepté de m’accompagner dans ce projet. Nous repartons de rien, sans financement ou presque, sans subventions conditionnées par des investissements impossibles pour l’heure, mais on sent qu’il se passe vraiment quelque chose de puissant autour de ce projet. Les énergies sont mobilisées. Pour ma part, je conserve les tâches qui m’incombaient déjà, à savoir, la mise en page du magazine, l’iconographie, les pages actualités, mais je m’occupe en plus de quelques interviews, et d’une partie des chroniques de livres. Accessoirement, j’assure une présence sur les réseaux sociaux et la gestion du site internet.

 

FTH Actualités

Page Actualités de Frances Terres d’Histoire numéro 4.

 

Du stress ? Curieusement non. Ou celui qui mobilise positivement. Et puis je ne suis pas seule. J’ai, pour m’accompagner, écrire des articles, des personnes de talent : Michel Chamard, historien, ancien rédacteur en chef adjoint au Figaro, ancien directeur du Centre vendéen de recherches historiques, chargé de cours à l’ICES, Laurent Albaret, médiéviste et historien de l’aviation dans l’entre-deux guerres, les historiens Émile Kern, Fabrice Renault, l’écrivain et dramaturge Jean-Louis Bachelet, et les historiens qui font l’actualité de la rentrée que nous aurons en interview. Et puis, pour inaugurer la nouvelle rubrique Patrimoine, un article sur Stéphane Bern, qui vient de se voir confié une mission par l’Élysée, visant à la sauvegarde du patrimoine. Il a accordé à Isabelle de Giverny, journaliste et auteur, une interview pour le site de terresdhistoire.fr, à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine. Stéphane Bern a découvert le site et le magazine, qu’il a trouvé de très bonne qualité. Nous en sommes ravis et flattés et sa confiance nous galvanise.

 

Stéphane Bern

Interview de Stéphane Bern.

 

PdA : Qu’est-ce qui, à votre sens, singularise et fait l’identité de France Terres d’Histoire au sein du domaine porteur - et plutôt densément peuplé - des magazines d’histoire ? Est-ce qu’on peut dire que votre truc à vous, c’est d’abord l’histoire considérée dans le cadre de territoires, et rattachée à un terroir ?

l’identité France Terres d’Histoire

« Le format numérique apporte une réelle

plus-value à l’iconographie »

S.D. : France Terres d’Histoire a réellement une place à part dans le domaine de la presse historique, en premier lieu en raison de son format exclusivement numérique, qui se veut beau à regarder et intéressant à lire. Le format numérique apporte réellement une plus-value à l’iconographie. Les possibilités de zoom permettent de « visiter » les œuvres, ce qu’un magazine papier ne pourra jamais offrir. Chaque article est richement illustré. C’est un magazine d’actualités, qui consacre une grande partie de ses pages à donner la parole aux historiens, mais aussi à tous ceux qui font de l’Histoire leur métier au sens large. Les livres, essais, romans historiques, travaux de recherches qui paraissent, les documentaires, les expositions à Paris et en régions, et des articles, des dossiers sur des thématiques variées.

 

PdA : On entend souvent dire, souvent davantage d’ailleurs comme une généralité assénée, que les Français pris comme un ensemble uniforme serait mus par une "passion" pour l’histoire. Avez-vous ce même sentiment au vu de vos expériences de terrain au quotidien (connaissances des uns et des autres, manifestations culturelles et festives...) ? Les Français se saisissent-ils suffisamment de leur histoire, et de leur patrimoine ? 

les Français, passionnés d’Histoire ?

« Les Français sont fiers de leur histoire...

et il y a de quoi ! »

S.D. : Oui, les Français ont la passion de l’Histoire. De leur histoire. Ils en sont fiers, et il y a de quoi. La France dispose d’un patrimoine exceptionnel, qui témoigne de la richesse de notre civilisation française, de notre culture, de notre histoire. Le succès des émissions de Stéphane Bern ou de Franck Ferrand montrent cet engouement des Français pour leur histoire et toutes ces manifestations historiques, à travers l’hexagone également. Pour construire son avenir, on a besoin de savoir qui on est, et donc de savoir d’où on vient. Cette histoire commune, c’est notre héritage, ce qui fait l’identité française. Il y a chez nos compatriotes ce désir de continuité, qu’incarne l’histoire de France.

 

PdA : Diriez-vous qu’il y a une "ligne" France Terres d’Histoire, au sens "politique" du terme c’est-à-dire, pour faire (très) schématique, une volonté de mettre en avant une lecture plutôt "conservatrice", ou plutôt "progressiste", ou bien au contraire savamment équilibrée des faits historiques ?

une "ligne" FTH ?

« L’histoire dans toute sa complexité, avec le souci

de comprendre, d’analyser sans a priori »

S.D. : La "ligne" de France Terres d’Histoire, s’il en existe une, est celle que nous partageons avec des millions de Français, celle de la passion de l’Histoire, une histoire qu’il ne convient jamais de juger à l’aune des mentalités actuelles, une histoire qui n’est pas instrumentalisée pour servir telle ou telle idéologie. L’histoire dans toute sa complexité, avec ses facettes glorieuses, et celles qui le sont moins, avec le souci de comprendre, d’analyser sans a priori. Une histoire des faits historiques, replacés dans leur contexte.

 

PdA : Est-ce que vous avez appris quelque chose du monde de la presse et des médias au sens large, peut-être du public aussi, depuis le démarrage de l’aventure FTH ? Avez-vous eu à cet égard, et sans parler bien sûr de la dernière année si particulière et de tout ce qui est attaché, des moments mémorables à la fois d’euphorie pure et de vrai découragement ?

grands moments d’édition

« Les nuits de bouclage avec Christian,

de purs moments d’euphorie... »

S.D. : Je garde en mémoire comme de purs moments d’euphorie ces nuits de bouclage, où Christian et moi-même terminions les derniers textes, l’édito, le choix de la couverture et sa composition au petit matin généralement vers 6 heures avant les premières lueurs du jour. Et lorsque tout cela était terminé, la satisfaction. Ces heures-là étaient magiques. Plus rien ne sera pareil bien évidemment mais j’espère connaître encore, avec mes amis, ces moments d’exaltation. La passion est là bien présente en tout cas !

 

FTH Sommaire no 3

Sommaire de France Terres d’Histoire numéro 3.

 

PdA : Quelle stratégie avez-vous à l’esprit aujourd’hui quant à la promotion de votre magazine ? Est-ce que, par exemple, vous comptez vous placer comme partenaire de telle ou telle manifestation historique ou patrimoniale ? Disposez-vous à ce jour de relais médiatiques ?

stratégies de communication ?

S.D. : Nous avons commencé à nouer quelques partenariats. Le dernier en date est celui conclu avec la société d’histoire militaire La Sabretache. Il s’agit d’une association créée au XIXe siècle par deux peintres, Meissonnier et Detaille et dix autres personnalités civiles et militaires. Ils donnèrent son nom à la société d’archéologie militaire et se fixèrent pour première mission de fonder un musée pour honorer les armées. Cela a donné lieu à la création de l’actuel musée de l’Armée aux Invalides.

Nous sommes prêts à répondre présents pour soutenir les organisateurs de manifestations historiques, de colloques, etc. dans la mesure de nos moyens, dès lors qu’il s’agit de promouvoir la diffusion de l’Histoire auprès du plus grand nombre, et de contribuer à faire connaître les travaux de recherches de la communauté des historiens.

 

PdA : À présent quelques questions d’histoire, sérieuses ou plus décalées...

 

Dans l’entretien récent et très intéressant qu’il vous a accordé autour des Journées européennes du Patrimoine, Stéphane Bern a cette phrase :  « Je ne crois pas qu’en 1789 la France soit passée subitement des ténèbres à la lumière. » Quel est votre avis sur la question, et pensez-vous que ce point fasse encore clivage aujourd’hui en France ?

Histoire et idéologies

« Il faut s’en tenir aux faits, et que les historiens

confrontent leurs arguments »

S.D. : La question de l’Histoire en France est un sujet hautement politique. Il y a constamment des tentations de relecture des évènements, d’exploitation à des fins idéologiques ou de basse politique. On l’a vu sur les commémorations ces dernières années et les polémiques que cela a pu soulever. On le voit aussi sur les programmes scolaires et l’occultation de certains personnages historiques, la mise en valeur de certains chapitres au détriment de d’autres, ce qui peut amener à une perception déséquilibrée et sans doute fausse des réalités historiques. Je pense à Dimitri Casali qui, à juste titre, milite pour une histoire plus équilibrée et moins partisane enseignée à nos enfants. Il a même publié un manuel d’Histoire destiné aux collégiens, et qui a recueilli un certain succès. Nous aurons l’occasion d’en discuter avec lui, lors du prochain numéro de France Terres d’Histoire à paraître fin octobre, il publie deux nouveaux ouvrages à la rentrée. Oui, il y a sans cesse cette tentation de manipulation de l’Histoire. Il faut s’en tenir aux faits, et que les historiens confrontent leurs arguments, fondés sur le fruit de leurs recherches. L’histoire, rien que l’histoire. Ce pourrait être notre deuxième slogan !

 

PdA : Quels sont, parmi les personnages qui ont fait l’histoire, ceux que vous placeriez, sur la base de critères qui vous seraient propres, un cran ou deux au-dessus des autres ? En somme, votre "panthéon" perso, de ceux que vous admirez et qui vous inspirent ?

panthéon personnel

« Louis XIV, Napoléon et le général de Gaulle ont,

chacun, incarné l’État à leur façon »

S.D. : Immédiatement je pense à trois personnages qui ont véritablement marqué leur temps et continuent encore aujourd’hui à rayonner : Louis XIV, qui fut un grand roi, Napoléon Bonaparte, et le général de Gaulle. Ils ont incarné l’État chacun à leur façon et continuent à être des références ; encore très récemment où on établissait le parallèle entre le Président Emmanuel Macron et Napoléon. On n’a toujours pas fini d’étudier leur personnalité, l’œuvre de leur vie, et ce en quoi ils continuent encore aujourd’hui à influer sur notre quotidien. De fabuleux destins, de grands hommes.

 

FTH Napoléon

Extrait de FTH numéro 4.

 

PdA : Si on vous donnait la possibilité de vivre vingt-quatre heures à la date (qu’on suppose ici passée), au lieu de votre choix, précisément, quel voyage choisiriez-vous ?

voyage dans le temps

S.D. : Je choisirais évidemment le jour qui me permettrait de changer le destin de Christian, mais, ce n’est pas forcément l’objet de votre question. Dans le même ordre d’idée, je choisirais un jour et un lieu qui me permette dans la mesure du possible d’empêcher une des grandes catastrophes du XXe siècle, contrarier le destin d’Hitler par exemple. Justement, Thierry Lentz vient de publier Le diable sur la montagne – Hitler au Berghof 1922-1944 aux éditions Perrin, un bon moyen de repérer les lieux de villégiature du Führer.

 

PdA : Si, un peu dans la même logique, vous pouviez vous entretenir une heure avec une personnalité historique, qui recueillerait vos suffrages et pour quel type de conversation... ?

entretien historique

S.D. : Je choisirais Jésus Christ, mais une heure ne suffirait pas pour tout ce que je voudrais savoir !

 

PdA : Vous m’avez indiqué être disposée également à relancer l’activité d’édition de livres d’histoire des entreprises, et c’est une très bonne chose. Parlez-nous de cela ? Comment ces démarches sont-elles reçues sur le terrain ?

histoires d’entreprise

S.D. : En effet, je relance également Histoire-Entreprise.fr, l’édition de livres d’histoire d’entreprises. Il s’agit d’ouvrages publiés à la demande des entreprises, fondations, institutions publiques ou privées, le plus souvent à l’occasion d’anniversaires. Source de motivation en interne, élément de valorisation auprès des partenaires, des clients et du grand public, témoignage de la pérennité d'une structure et reflet de ses évolutions, la vie de l'entreprise représente une aventure humaine collective. Il est important pour elle de conserver une trace de ce vécu collectif, qui risque de tomber irrémédiablement dans l’oubli, une fois les témoins disparus. Pour ce faire, nous faisons appel à des rédacteurs, spécialistes dans différents domaines d’activités qui ont tous déjà publié de nombreux ouvrages dans les grandes maisons d’édition. Du dépouillement des archives à l’impression du livre, c’est un travail vraiment passionnant, qui nous fait plonger à chaque projet au cœur même de l’histoire d’une entreprise. 

 

PdA : Je rebondis pour cette question sur la précédente, et je me dévoile un peu en partageant avec vous une idée qui me titille depuis longtemps. On ne compte plus les cas de solitude et de désœuvrement destructeur, notamment chez nos anciens, alors qu’ils sont porteurs d’une mémoire et donc de l’histoire collective. Tristesse de cette époque, on va maintenant payer des gens de la Poste pour qu’ils aillent voir s’ils vont bien. Je trouverais formidable - et dans l’idée cela rejoint votre activité d’édition de l’histoire des entreprises - qu’on les incite, sur la base du volontariat et contre un peu de beurre dans les épinards, à solliciter leur mémoire pour raconter leur histoire, précieuse pour leurs proches (et je sais de quoi je parle), et pour la collectivité. On réhabiliterait en quelque sorte le métier d’écrivain public (je crois qu’une telle initiative avait été prise durant le New Deal, sous Roosevelt), on rendrait de leur dignité et un peu de pouvoir d’achat à nos anciens en s’attachant à faire que leurs histoires ne tombent pas dans l’oubli. On pourrait même confier cela à une Agence de la Mémoire (son acronyme à double-sens serait tout trouvé : AGEM). Que pensez-vous de l’idée et croyez-vous que ça puisse marcher ?

mémoires et Histoire

« L’histoire c’est cela, la somme des vécus,

individuellement et collectivement... »

S.D. : Voilà une belle formule, « Agence de la Mémoire » ! De telles pratiques existent au sein de certaines institutions, je pense par exemple à l’Inra (Institut national de la Recherche agronomique) pour lequel nous avons travaillé, dans le cadre d’Histoire-Entreprise. L’institut a depuis de nombreuses années mis en place une structure chargée de collecter le témoignage des salariés et des retraités, sur le déroulement de leur carrière, leurs relations entre collègues, les rapports avec la hiérarchie. Ces témoignages font l’objet d’enregistrements sonores, puis sont retranscrits par écrit dans des recueils. Ils constituent une véritable mémoire des personnels scientifiques et techniques. Il y a par ailleurs des écrivains publics qui proposent leurs services pour collecter les souvenirs familiaux. Mais être rémunéré par la collectivité pour se raconter me paraît difficile à mettre en œuvre, il y a trop de volontaires prêts à le faire bénévolement.

Mais cela n’est pas sans évoquer pour moi l’objet du dernier ouvrage de Jacques-Olivier Boudon, historien, spécialiste du XIXe siècle qui publie chez Belin Le plancher de Joachim – L’histoire retrouvée d’un village français. Il a analysé et reconstitué l’histoire d’un modeste menuisier des Hautes-Alpes, Joachim Martin, et de la communauté villageoise des Crots, à quelques kilomètres d’Embrun. Ce menuisier a laissé, en 1880-1881 un témoignage inédit, en utilisant un moyen pour le moins inhabituel puisqu’il a écrit au verso du plancher qu’il posait dans un château, le château de Picomtal. Ont ainsi été retrouvés 72 planches portant sur une face des écrits abordant différents thèmes. Il était sûr de laisser un témoignage qui ne serait pas découvert avant de nombreuses années, bien après sa mort. C’est une histoire extraordinaire que Jacques-Olivier Boudon nous conte dans son ouvrage, et bien sûr il en sera question dans France Terres d’Histoire. Nous éprouvons tous le besoin à un moment ou un autre de raconter et de témoigner, de transmettre. L’histoire c’est cela, la somme des vécus individuellement et collectivement.

 

PdA : Quels seraient vos arguments pour inciter les passionnés d’histoire, ou même les simples curieux, à découvrir France Terres d’Histoire ?

arguments découverte

S.D. : La réponse est dans la question, si vous êtes passionnés d’Histoire et curieux, alors forcément vous aurez envie de lire France Terres d’Histoire. Il est incontournable !

 

Sylvie Dutot

Sylvie Dutot.

 

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