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Paroles d'Actu
7 janvier 2020

« États-Unis-Iran... les monarchies du Golfe ont peur. Et à juste titre... », par Olivier Da Lage

Pour ce premier article de l’année 2020 - que je vous souhaite à toutes et tous, amis lecteurs, ainsi que pour vos proches, heureuse et enthousiasmante autant que possible -, j’aurais préféré choisir un sujet moins lourd, moins sombre. Mais l’actualité s’impose à nous, et elle est rarement légère : il y a cinq ans tout juste, alors que la France se remettait à peine des réjouissances du réveillon, le massacre perpétré à Charlie Hebdo venait bouleverser tout un pays et lui envoyer à la figure quelques froides réalités du monde qu’il avait un peu oubliées.

Le meurtre par les forces américaines, le 3 janvier à Bagdad, du général iranien Qassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique, a considérablement ravivé les tensions, coutumières depuis 1979, entre les États-Unis de Trump et l’Iran des mollahs. Les inquiétudes se font sentir depuis quelques jours dans toute cette région du monde, aux équilibres fragiles, et déjà largement déstabilisée par les conflits internes et inter-États. Le journaliste de RFI Olivier Da Lage, spécialiste de la péninsule arabique, a accepté, à ma demande, de nous livrer son décryptage de la situation, avec un focus particulièrement éclairant nous expliquant la crise vue d’Arabie saoudite, et des Émirats arabes unis. Merci à lui ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

« En première ligne dans l’affrontement États-Unis-Iran,

les monarchies du Golfe ont peur. Et à juste titre... »

 

Ali Khamenei

Le guide suprême Ali Khamenei, le 6 janvier 2020. Source : REUTERS via RFI.

 

“Be careful what you wish for, you may just get it”.

Depuis plus d’une dizaine d’années, plusieurs monarques du Golfe pressent les États-Unis d’attaquer l’Iran et de renverser son régime. Feu le roi Abdallah d’Arabie saoudite, recevant en 2008 le général américain David Petraeus, avait imploré les Américains de «  couper la tête du serpent  », autrement dit l’Iran. Le même message, plus direct et employant des expressions moins imagées, était relayé par les souverains de Bahreïn et d’Abou Dhabi, à la grande satisfaction du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou qui se félicitait publiquement de la convergence entre Israël et les monarchies du Golfe.

Mais l’administration Obama ne partage pas cette vision extrême de la façon de traiter avec l’Iran. De toute façon, les États du Golfe, ou en tout cas certains d’entre eux, sont ulcérés par la façon dont Obama réagit aux «  printemps arabes  » qu’ils voient comme une menace existentielle alors que les États-Unis voient une opportunité pour les peuples de la région de se faire entendre. Le comble est atteint lorsqu’ils apprennent en 2015 qu’Américains et Iraniens négocient secrètement depuis un an et demi sous l’égide du sultanat d’Oman qui ne leur a rien dit, bien qu’il soit membre du Conseil de coopération du Golfe, comme les cinq autres monarchies de la Péninsule arabique. Ces négociations aboutiront à l’accord sur le nucléaire iranien signé à Vienne le 14  juillet 2015.

« L’Arabie saoudite et les E.A.U. ont travaillé en sous-main

pour faire élire Donald Trump, attendant après sa victoire

la mise en œuvre d’un programme de déstabilisation de l’Iran. »

Avec Obama, la rupture est totale et l’Arabie saoudite, comme les Émirats arabes unis et Bahreïn, misent sur son successeur à venir. En fait, ils font davantage que miser  : comme on le sait désormais, Abou Dhabi et Riyadh ont travaillé en sous-main pour faire élire Donald Trump. Ce dernier l’ayant emporté, ils attendent la mise en œuvre d’un programme de déstabilisation de l’Iran. De fait, les principaux responsables de l’administration Trump sont connus pour leur hostilité à la République islamique et leurs critiques passées de la passivité supposée d’Obama. Enhardi, le tout nouveau prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salman, annonce même en 2017 qu’il va porter la guerre sur le sol iranien. Les premiers gestes de Trump comblent d’aise ces émirs va-t-en guerre  : retrait de l’accord de Vienne, renforcement des sanctions pour infliger une «  pression maximale  » sur l’Iran, menaces à l’encontre des Européens qui se risqueraient à ne pas respecter les sanctions… américaines, etc.

Mais au fil du temps, un doute affreux les saisit  : et si Trump, en fin de compte, n’était qu’un faux dur, répugnant au conflit  ? Après tout, il s’est fait élire sur la promesse de rapatrier les troupes américaines, dont plusieurs dizaines de milliers stationnent au Moyen-Orient et alentour. Ils voient la confirmation de leurs soupçons lorsqu’en juin 2019, un drone américain est abattu par l’Iran au-dessus du golfe Persique sans que cela provoque la moindre réaction. Pis  : Donald Trump révèle que les militaires avaient préparé une action de représailles et qu’il y a renoncé en apprenant que le bombardement risquait de provoquer la mort de 250 Iraniens.

Quarante ans après Carter, et trois ans seulement après Obama, les monarques du Golfe se sentent à nouveau abandonnés par l’allié américain.

« Pris de doute quant à la détermination américaine

sur la question iranienne, Riyadh et Abou Dhabi se sont résignés,

à partir de juin, à une révision de leur stratégie face à Téhéran. »

Dans ce contexte, deux événements vont les conduire à réviser en profondeur leur stratégie.

En juin 2019, deux pétroliers croisant en mer d’Oman, à l’orée du fameux détroit d’Ormuz qui commande l’accès au Golfe, font l’objet d’attaques non revendiquées mais attribuées à l’Iran sans que les démentis de ce dernier ne parviennent à convaincre. Les deux pétroliers sont évacués mais ne coulent pas et tout laisse à penser que ces attaques n’en étaient pas véritablement et constituaient plutôt un avertissement. C’est en tout cas ce que croient comprendre les Émirats arabes unis qui, dans la foulée, annoncent le retrait de leur contingent militaire du Yémen, où ils combattent les Houthis, soutenus par l’Iran. Et en juillet, de hauts responsables émiriens se rendent à Téhéran pour y discuter sécurité maritime. C’est le premier contact de ce niveau depuis six ans entre les deux pays.

De même, le 14 septembre, des installations pétrolières saoudiennes situées à Abqaiq dans la province orientale sont attaquées par les airs avec une précision diabolique. Les Houthis revendiquent une attaque par drones, ce qui est immédiatement mis en doute, à la fois en raison de la sophistication de l’attaque et de la distance de la frontière yéménite. Les regards se tournent naturellement vers Téhéran dont les démentis ne convainquent pas plus qu’en juin. Les Iraniens ne cherchent d’ailleurs pas vraiment à dissiper l’impression qu’ils sont derrière une attaque qui, analyse faite, viendrait plutôt du nord que du sud et parvient à endommager, sans détruire complètement, ces installations vitales pour les exportations saoudiennes. La production de pétrole est temporairement réduite de moitié mais peut progressivement reprendre son rythme de croisière dans les mois qui suivent. Quoi qu’il en soit, à Riyadh aussi, le message a été parfaitement reçu.

Puisque les États-Unis ne semblent pas prêts à venir au secours de leurs alliés arabes, ces derniers doivent s’adapter à la situation nouvelle et, pour la première fois depuis 2015, les Saoudiens paraissent sérieux en affirmant qu’ils veulent mettre fin à la guerre au Yémen. De même, la tonalité des discours saoudiens à l’égard de l’Iran s’est considérablement assouplie. Riyadh et Téhéran échangent directement, ainsi que par l’intérmédiaire de pays tiers naguère encore marginalisés par l’Arabie, comme Oman, le Koweït et le Pakistan.

C’est alors que, prenant tout le monde par surprise, Donald Trump ordonne fin décembre le bombardement de cinq sites des Kataëb Hezbollah irakiennes, une milice chiite liée à l’Iran, en représailles après la mort d’un «  sous-traitant  » américain en Irak (autrement dit un mercenaire employé par l’armée américaine) tué lors de l’attaque d’une base militaire américaine près de Kirkouk quelques jours auparavant. Moins d’une semaine plus tard, le 3 janvier, le général iranien Qassem Soleimani était pulvérisé par un missile tiré d’un drone américain alors qu’il venait de quitter l’aéroport de Bagdad. Soleimani, l’architecte de l’expansion politico-militaire de l’Iran au Moyen-Orient, était un très proche du guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei au point que nombre d’observateurs le qualifiaient de numéro deux du régime, avant même le président Rohani.

« Soleimani, qui supervisait directement plusieurs milices

chiites irakiennes, revenait à Bagdad avec la réponse du Guide

à une proposition saoudienne de désescalade transmise par l’Irak,

qui agissait en tant que médiateur. »

Soleimani, qui supervisait directement plusieurs milices chiites irakiennes, revenait à Bagdad avec la réponse du Guide à une proposition saoudienne de désescalade transmise par l’Irak, qui agissait en tant que médiateur. L’Arabie saoudite a donc doublement été prise de court, à la fois par une réaction américaine violente qu’elle n’attendait plus, et par le fait que celle-ci intervient alors que Riyadh est engagé dans un processus diplomatique de rapprochement avec la République islamique. Mais à Washington, l’heure est désormais à la rhétorique guerrière, dans la bouche du président Trump que de son ministre des Affaires étrangères Mike Pompeo, sans considération pour les alliés des Américains, qu’il s’agisse des Européens, ouvertement méprisés par Pompeo, ou des alliés arabes du Golfe. Quand ces derniers affirment qu’ils n’ont pas été consultés ni même informés préalablement, leurs déclarations semblent crédibles, tant ils apparaissent désemparés.

À Abou Dhabi, le ministre des Affaires étrangères Anouar Gargarsh que l’on a connu plus belliqueux, plaide désormais pour un «  engagement rationnel  » et souligne que «  la sagesse et l’équilibre  » doivent prévaloir. Son homologue saoudien, Adel Jubeir, qui n’était pas le dernier à dénoncer l’Iran dans les termes les moins diplomatiques, insiste désormais sur «  l’importance de la désescalade pour épargner les pays de la région et leurs peuples des risques d’une escalade  ».

Un universitaire des Émirats arabes unis, Abdulkhaleq Abdulla qui a mis son talent et son influence au service du discours anti-iranien de son gouvernement ces dernières années, déclare à présent que le message à Trump des dirigeants du Golfe peut se résumer ainsi  : «  Épargnez-nous s’il vous plaît une autre guerre qui serait destructrice pour la région. Nous serons les premiers à payer le prix d’une confrontation militaire. Il en va donc de notre intérêt vital que les choses restent sous contrôle  ».

Enfin, le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salman, dépêche aux États-Unis son frère cadet Khaled ben Salman, vice-ministre de la Défense, ancien ambassadeur à Washington et homme de confiance de MBS avec un message simple à l’attention de l’administration américaine  : «  faites preuve de retenue  ».

« Les pétromonarchies du Golfe ont cessé de croire qu’une offensive

américaine contre l’Iran pourrait être sans conséquence

pour elles-mêmes ; elles espèrent désormais un apaisement. »

L’attaque de juin 2019 contre les pétroliers et celle du 14 septembre contre les installations pétrolières d’Arabie a tiré certaines monarchies pétrolières de leur rêve éveillé dans lequel les Américains pouvaient frapper l’Iran sans conséquences pour eux-mêmes. Cette inconscience était d’autant plus incompréhensible que les Iraniens, depuis plus de trente ans, ont toujours été très clairs  : en cas d’attaque américaine ou israélienne, ce sont les monarchies situées de l’autre côté du Golfe qui en paieront le prix. Leurs installations pétrolières et pétrochimiques sont des cibles faciles et aisément à la portée des missiles de la République islamique, tout comme, ce qui est d’ailleurs beaucoup plus grave, les usines de dessalement de l’eau de mer qui assurent l’essentiel du ravitaillement en eau potable des pétromonarchies.

Il ne faudra pas longtemps aux souverains du Golfe, qui ont si longtemps plaidé pour une attaque contre l’Iran auprès des dirigeants américains, pour voir si leur influence est suffisante afin de persuader désormais Donald Trump du contraire.

par Olivier Da Lage, le 7 décembre 2020

 

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