La cabine oubliée...
Au début du mois de décembre, j’ai eu envie de préparer, dans la perspective des fêtes de Noël, un article un peu atypique, basé sur une idée fantaisiste que j’ai proposée depuis plusieurs années à quelques intervenants du blog. Un article à plusieurs voix... encore fallait-il les convaincre. J’ai contacté pas mal de monde, des gens de tous horizons, beaucoup de mes interviewés, des personnes qui ne l’avaient jamais encore été... Souvent, très souvent même, une réponse en deux temps : « L’idée est bonne/originale... mais je n’ai absolument pas le temps de le faire ». On a dû me répondre ça à peu près une quinzaine de fois. Le contexte était défavorable, le moral déjà atteint... bref, j’ai failli laisser tomber le bel article (et peut-être un peu plus que le bel article). Mais tous ces gens intéressés malgré tout... allez, on essaierait quand même, ça en vaut la peine...
Ma proposition : « Un appareil permettant de voyager dans le temps et l’espace (la carrosserie : une vieille cabine de police, une antique DeLorean, que sais-je, ou tiens, une cabine téléphonique que tout le monde avait oubliée) vient d’être mis au point par un savant un peu barré, mais bon apparemment c’est fiable. Vous pouvez donc vous rendre n’importe où, à l’époque ou à la date de votre choix. Quelques règles néanmoins, elles sont importantes : un seul voyage par personne, il faut donc bien choisir ses paramètres. L’expérience d’immersion dure 24 heures, si vous loupez le vol retour (ou si vous choisissez de ne pas partir) vous y êtes pour le reste de votre vie. Où et quand décidez-vous de partir ? Pour un jour ou pour toujours ? Que chercherez-vous à faire dans ce nouvel univers (univers sur lequel vous aurez gardé toutes vos connaissances de 2016) : des activités particulières ? des interactions avec tel ou tel personnage historique ? une tentative pourquoi pas de modifier le cours de l’Histoire ? À vous ! ». Vidéo, audio ou texte.
Je remercie celles et ceux qui ont participé à l’exercice (huit personnes à la date de mise en ligne de cet article, le 8 février), et celles et ceux qui m’ont témoigné leur bienveillance lors des réponses qui m’ont été faites. L’article est riche, il est une invitation au voyage, à la fantaisie... c’est ouvert, à chacun de voir...
Moi ? Je ne participe jamais directement aux articles du blog. Ce que j’ai toujours fait : je m’efface devant l’invité, parce que je n’aime pas me mettre en avant, et parce que c’est lui qui a des choses intéressantes à dire... Une exception parce que ce concept que j’ai lancé m’intrigue. Où et surtout quand... changer quelque chose ? On va évacuer l’idée de changer des choses qui touchent au domaine perso, trop douloureux à considérer, on n’est pas du tout dans l’esprit...
Allez, considérons l’évidente : tuer Hitler. On éviterait la 2è GM et ses dizaines de millions de morts, on éviterait après la défaite allemande l’installation durable de la puissance soviétique dans toute l’Europe de l’est, la guerre froide et l’insolante domination américaine. Le tuer gamin ? Ce serait commettre l’odieux qu’il n’aura alors jamais l’occasion d’être. Pourquoi tuer un gosse qui n’a rien fait ? Non... les sources, rien que les sources. Supplier ceux qui mènent le bal des traités de paix d’après-1918 de ne pas trop enfoncer l’Allemagne, d’y aller molo sur la fracturation de l’Europe de l’est ? En 33 Versailles était loin, c’est la Grande Dépression qui à la fin a permis Hitler. Essayer d’éviter le krach de 29, les mesures d’austérité, les retraits de capitaux étrangers ? Ouch... trop compliqué, et illusoire, la finance et l’économie ça va ça vient, si ça n’avait pas pété là, ça aurait été deux ou trois ans plus tard. La deuxième Guerre et l’Allemagne nazie, oui c’est Hitler, lui seul, génie du mal. Donc oui, il est le facteur déclenchant. Alors ? Tenter d’expliquer à Paul von Hindenburg, au tout début de janvier 1933, à lui et aux pontes d’une république de Weimar pas encore appelée inexorablement à disparaître, que s’il nomme Hitler à la chancellerie, c’est lui qui les jouera et non l’inverse, et qu’il ouvre la boite de Pandorre, l’apocalypse pour l’Allemagne, pour l’Europe, pour leur monde ? Ou bien, c’est sans doute là que va ma préférence : aller voir les gens bien placés à l’académie des Beaux-Arts de Vienne. « Oui, ses aquarelles sont jolies, oui elles ne sont pas originales, je suis d’accord... mais croyez-moi, si vous le prenez, ce gars-là, vous ferez votre B.A. pour mille ans, un heureux... et ça changera le monde ». On ne refait pas l’Histoire. On peut essayer de le rêver. Mille mercis à toutes et à tous. D’autres contributions suivront peut-être, bientôt... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
La cabine oubliée...
Source de l’illustration : wallfizz.com...
« Si je devais partir, je partirais à l’époque de Chopin, pour essayer de le rencontrer! (...) Le moyen de transport? La cabine en verre de ma chanson écrite par Françoise Mallet-Joris... ou dans les bras d’un ange! »
par Marie-Paule Belle, le 9 décembre 2016
* * * * *
par Julien Peltier, le 15 décembre 2016
* * * * *
par Guillaume Lasconjarias, le 26 décembre 2016
* * * * *
Hésitation.
Grande hésitation.
C’est devant cette cabine téléphonique défraîchie supposée me ramener dans le temps et dans l’espace que je me tiens, hésitant, depuis maintenant plus d’une demi-heure.
Quelle est la raison qui me pousse à accorder ma confiance à ce vieil homme qui m’a livré cet objet encombrant ce matin ? Il était un peu louche en plus... Quel individu sain d’esprit irait déposer des truc gros comme ça devant la porte des gens de si bon matin ? Avant de partir en courant et en hurlant de toutes ses forces ?
Je n’ai rien demandé moi... En plus je crois qu’il était nu sous sa blouse... Vraiment bizarre...
Mais je dois avouer que tout ceci m’a intrigué.
Les instructions scotchées sur la porte de la cabine n’indiquaient pas grand chose, en gros elles disaient que j’étais l’élu, la réincarnation du christ temporel choisi pour changer le passé afin d’éviter un anéantissement de l’humanité dans le futur. Le reste de la feuille était rempli de formules mathématiques complexes et de pénis mal dessinés, la mission que ce vieillard fou m’avait confiée semblait très importante. Enfin... si cette machine marchait vraiment... et je doutais que la brancher sur une prise 220 volts comme indiqué dans les instructions allait me permettre de voyager dans le temps.
Il était écrit qu’il fallait que je me rende en 1956 dans une ville brésilienne, afin d’éviter qu’une certaine personne ne naisse et n’anéantisse l’humanité 80 ans plus tard.
Bah...
L’humanité attendra !
J’ai le droit de me faire plaisir en voyageant quand je veux ! Après tout c’est le week-end et je m’ennuie, pourquoi sauver l’humanité alors que je pourrais découvrir une autre époque qui m’intéresse ?
Il faut que je trouve une époque où je ne me ferai pas tuer en sortant de la cabine. Où je puisse passer relativement inaperçu et ne pas trop attirer l’attention sur moi.
Et soudain, l’illumination...
Paris,
les années folles,
les artistes, le cinéma,
le Moulin rouge, le jazz, l’insouciance d’une génération voulant oublier les horreurs de la guerre.
En plus ils parlaient le français comme nous à l’époque non ? Enfin je crois.
Puis... ma grand-mère m’a assez répété que « c’était mieux avant, nous au moins à l’époque on savait s’amuser ! » J’aimerais vérifier ça par moi-même, direction le Paris des années 20 !
Je devrais trouver un vieux costume d’époque à ma taille dans les affaires de grand-père. Il me faut aussi mon portable et quelques batteries de secours pour prendre des photos, je ne partirai pas trop longtemps après tout, les instructions disent que la cabine revient dans le présent après 24 heures.
Il me faudrait de l’argent... Je sais ! Les vieux bijoux en or de ma belle-mère, je pourrais sûrement les vendre sur place, et de toute manière ils sont moches sur ma femme. À moins que ce soit ma femme qui les rende moche, qui sait ?
J’entre dans la cabine, avec tout mon attirail. Est-ce que ça va marcher ? Après tout, si une personne comme Nabilla a réussi à devenir célèbre, alors je suis disposé à croire aux voyages temporels.
Que pourrais-je bien faire une fois là-bas ?
Écumer les cabarets et les établissements de music-hall bien sûr.
Les Folies Bergère, le Moulin rouge...
Aller voir une operette à l’Olympia...
Visiter le parc de Paris et sa montagne russe...
Me balader dans les vieilles rues méconnaissables de la ville et reconnaître les lieux où je me rends tous les jours...
Aller voir un film muet.
Tenter de croiser le chemin de Picasso, Braque, Matisse, Heminghway et discuter avec eux de la pluie et du beau temps.
Écouter rêveusement les musiques de Maurice Chevalier à la radio.
Apprendre quelques pas de tango.
Dali ! Ernst ! le mouvement surréaliste, comment aurais-je pu l’oublier ? Je pourrais aller les visiter dans leurs ateliers ! Essayer de déterminer si l’idée qu’on se fait d’eux aujourd’hui correspond bien à la réalité.
Je pourrais même changer l’histoire...
Non.
Non ce serait idiot, l’histoire n’est pas faite pour être modifiée.
Un observateur, voila ce que je serai.
Quoique cela pourrait être amusant de jouer les prophètes, mais je ne compte de toute manière pas rester plus d’une journée, autant ne pas provoquer de panique générale.
Que...
Quoi ?
HEIN ?
Parle plus fort je t’entends pas ?
Non je suis pas allé chercher les enfants à l’école chérie, je vais dans les années 20 !
JE DIS JE VAIS DANS LES ANNÉES 20 !
JE PEUX PAS, VA LES CHERCHER TOI !
COMMENT ÇA J’AVAIS PROMIS ?
QUE...
C’EST BON ! J’AI COMPRIS, NE RENTRE PAS CHEZ TA MÈRE !
Bon...
Une autre fois peut-être, si mes gosses ne cassent pas la cabine...
par AlterHis, le 13 janvier 2017
(découvrez son excellente chaîne YouTube au passage...)
* * * * *
Si j’avais les moyens de voyager dans le temps, je pense que la méthode pour y aller importerait peu. Je souhaiterais, moi, aller dans le futur.
Donc, si je pouvais faire un bond dans le temps, je choisirais une date - disons, entre 4 et 500 ans après nous -, qui me permettrait de découvrir les évolutions de notre espèce. Pas tant au niveau matériel, car j’estime que vers 2500 nous serons depuis longtemps capables de nous déplacer assez facilement au sein du système solaire, voire plus loin, et que nous approcherons peut-être de l’immortalité ? Mais plus pour voir notre évolution sur le plan sociétal, philosophique, et « corporel » (ou plutôt anthropomorphique).
Sociétal d’une part, car au vu des évolutions engendrées par internet et les nouvelles technologies sur nos sociétés et nos rapports aux communications, je serais intrigué de voir quel type de régime nous pourrions avoir dans 500 ans (sauf si une guerre nous a tous exterminés d’ici là, mais je reste optimiste...), ainsi que l’état des rapports entre les gens. Bon, je pense qu’en 500 ans nous n’aurons pas fait un bond « immense », mais cela m’intrigue néanmoins. Aurons-nous réussi à dépasser le stade des cycles de « paix, guerre, paix, guerre », vivant dans une société libérée de tout ce qui la détruit ? Ou bien une société sans crime n’est-elle au final pas autre chose qu’une société totalitaire ?
Du point de vue philosophique aussi, car personnellement, je m’informe assez régulièrement sur le mouvement « transhumaniste », et j’adorerais voir notre évolution à moyen et long terme au niveau philosophique et de notre rapport à la religion. Comme dit précédemment, j’ai un doute sur le fait que 500 ans suffisent à changer radicalement notre société par rapport à ce qu’elle est maintenant, et c’est pourquoi si j’avais eu le choix, je demanderais au savant fou de me faire un circuit en 24h, avec des passages à différentes époques (dans 500 ans, dans 10 000 ans, voir un million d’années)... 24h c’est court pour découvrir de nouvelles cultures, mais c’est mieux que rien, et je prendrais cela, volontiers. Ainsi, j’aimerais voir notre réaction à la possible découverte d’une forme de vie extraterrestre, et les folles réactions qu’elle engendrerait sur la civilisation humaine.
Enfin, sur le plan corporel, notre espèce évolue constamment. En 500 ans, il y a peu de risques qu’un troisième œil nous pousse sur le front (clin d’œil « futuramesque »), mais tout du moins je suis sûr que le clonage humain se sera démocratisé, à tort ou à raison ; peut-être un troisième genre humain aura-t-il été créé (voire peut-être une société qui se serait affranchie du genre ? Idée que j’ai pu voir dans un livre, où en réalité il y aurait une société où les individus ne naîtraient ni homme ni femme, mais pourrait choisir leur genre en fonction de leurs goûts, de leurs préférences, etc... Cela étant pour lutter contre tous les problèmes de discriminations, ici en l’occurrence sur le manque d’égalité homme/femme) ? Peut-être que les robots, à travers une intelligence artificielle hyper développée, se seront mis à cohabiter avec nous dans la paix, et l’égalité ?
Pour finir, comme une journée passe assez vite quand on s’amuse, je souhaiterais revenir à mon époque... Ou pas, en fait ça dépendra de ce que je trouverais en 2500. J’aimerais bien finir mon petit périple par un superbe coucher de soleil martien...
par Aurélien Buisine, le 5 février 2017
* * * * *
Il est possible de remonter le temps, les livres sont faits pour ça ! Tintin et Le Lotus bleu par exemple. On l’ouvre et on revient au 18 septembre 1931. Il est 18 heures, encore temps d’arrêter la marche de l’histoire, il suffirait de rencontrer le lieutenant colonel Ishiwara Kanji alors qu’il attend qu’on lui annonce qu’une bombe a explosé sous une voie de chemin de fer à la sortie de Moukden, lui expliquer les conséquences dramatiques que ce sabotage va provoquer, que le Japon sera militairement vainqueur dans un premier temps, et que ces succès masqueront que le Japon s’engage dans une dérive suicidaire, d’abord en essayant d’envahir la Chine en 1937, puis en attaquant Pearl Harbor quatre ans plus tard. Tout se finira par la défaite totale du Japon, et les deux bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki. J’espérais le convaincre de prendre son téléphone et de rappeler le commando qui s’apprête à déposer la bombe sous la voie de chemin de fer. Mais on ne refait pas l’Histoire...
par Bruno Birolli, le 6 février 2017
* * * * *
Je n’en revenais pas. Le Doc avait enfin réussi à venir à bout de son invention. Voilà bien au moins dix ans qu’il travaillait à achever la première machine à voyager dans le temps civile. Oui vous avez bien lu. C’était à peine croyable, ce vieux bougre avait finalement réussi. Enfin c’est ce qu’il me dit depuis maintenant 3 jours alors qu’il finalise encore quelques détails “esthétiques”.
Je suis chez lui depuis l’aube de la veille, j’avais annulé mes cours à la faculté d’Histoire de Bologne pour les jours qui allaient suivre puis avais pris la route pour Vérone après un coup de téléphone nocturne dont je n’avais pu tirer aucune information, à part que je devais rejoindre le Doc le plus vite possible. Cela fait maintenant cinq ans que je l’aide à travailler sur son extravagante invention, et je dois avouer que je n’y ai jamais totalement cru, abreuvé que j’étais des films de SF des années 2000, si souvent démentis par la science d’aujourd’hui. Mais voilà, il y est arrivé. En tant que plus proche collaborateur et sceptique de la première heure je me suis naturellement porté volontaire afin de tester cette machine infernale camouflée en … cabine téléphonique.
- Vous auriez pu faire un effort Doc… C’est vu et revu, le coup de la cabine.
- Penses-tu ! Qui irait s’inquiéter de l’utilité de cette vieille pièce usée ? Un doux dingue ? Un fan de Docteur Who ? Peuh ! pesta-t-il.
- Pas faux Doc, pas faux… Bon, elle fonctionne au moins ?
Il me regarda avec un air à la fois perdu et désespéré, comme si je venais de remettre en doute la théorie de l’héliocentrisme : « Bien sûr qu’elle fonctionne pardi ! Où veux-tu donc aller, au lieu de m’ennuyer avec des questions idiotes ? ». C’est le moment crucial. Nous y étions. J’avais furieusement envie de mettre le Doc à l’épreuve, tout en étant quand même curieux, voire même un peu inquiet des conséquences d’un voyage dans le temps. Je m’étais préparé mon coup et avais opté pour la prudence. Je m’étais replongé dans de vieux cours de l’époque où je passais ma thèse d’Histoire. Je n’avais pas mis beaucoup de temps à choisir, mon choix s’est tout de suite porté sur l’Italie. Quelle autre destination que l’Italie quant on est un spécialiste depuis 35 ans du pays de Dante ?
Pour l’époque de ma destination, cela avait été tout aussi rapide : la fin de l’ère contemporaine était toute désignée. Au cours de mes recherches préparatoires j’ai appris, suite à la lecture de plusieurs analyses archéologiques à propos de la composition de l’air de notre planète au fil du temps, que ce dernier a beaucoup changé au cours de l’Histoire. Il a été par exemple établi que l’atmosphère du Moyen-Âge, ou celui de l’Antiquité, nous serait totalement irrespirable pour nous hommes du XXIIe siècle. De plus, cela m’arrange du point de vue de la langue : mon italien est résolument moderne et mon latin ne me sert qu’à la lecture de textes retrouvés dans les sols antiques. Aucune chance donc de me faire comprendre, et encore moins de comprendre, d’un habitant de Rome de l’an 0 ou bien d’un Florentin du Rinascimento. Seule solution : partir pour l’Italie du Nord, post-unification, donc après 1866. Je ne prenais ainsi qu’un minimum de risques en vue de ce voyage-test.
Pour ce qui est des consignes de voyage, cela avait l’avantage d’être clair : je ne pourrais rester plus de 24h - 22h maximum sur conseil express du Doc - sous peine de me voir enfermer pour toujours en 1900. Je devrais, bien évidemment, entretenir le moins de contact et de relations possible avec la population de ma destination afin de ne laisser aucune trace de mon passage. L’enjeu étant de ne pas altérer le temps et modifier le futur, c’est-à-dire notre présent. Les conséquences entraîneraient la création d’un cercle infernal quasi irrémédiable. Cependant, le début du XXe siècle présente l’avantage principal suivant : je ne risque pas de croiser un membre proche de ma famille ou même moi-même puisque personne n’était vivant à l’époque - on parle quand même d’un bond dans le passé de deux cents ans. De plus, je ne possède aucune famille en Italie. J’aurais ainsi l’esprit quelque peu dégagé sur place.
Les derniers préparatifs sont prêts. J’ai soigneusement choisi mes habits : je serai un étudiant en Histoire de la faculté de Paris, en voyage. Je fais bien plus jeune que mon âge - l’enfermement scientifique aurait dû avoir l’effet inverse sur ma peau mais je dois faire avec - surtout que les professeurs d’université sont plus rares à l’époque que de nos jours, on risque de me demander des explications si je me présente comme détenteur d’une chaire. Pour ce qui est de l’argent et de mes papiers d’identité, j’ai réussi à m’en faire fabriquer après m’être arrangé avec un collègue travaillant au Louvre, une vieille connaissance de fac, grâce à qui j’ai pu avoir accès aux imprimantes 3D très haute définition de l’établissement. Je n’oublie pas non plus de prendre ma vieille montre à gousset afin de pouvoir surveiller le temps qui file sans éveiller les soupçons : comme quoi un fétiche d’historien peut finalement servir. Ma destination : la Sérénissime Venise, plus de cinquante ans avant son premier touriste bedonnant et inculte, cent cinquante ans avec sa disparition dans les eaux de la lagune.
La phase de préparation de mon voyage prit un peu plus d’un mois, un mois durant lequel l’excitation de la possibilité inédite d’un saut dans le temps me fit bouillonner. Cela a progressivement occupé toutes mes pensées, toutes mes forces. J’allais explorer le temps, franchir les limites de la physique. Ce voyage dépasse tous les autres possibles. Cela allait être le début d’une nouvelle Odyssée. Quand le jour fatidique arriva, j’ai cru ne pas pouvoir contenir mon émotion et mon stress. Il était évident que des ratés pouvaient avoir lieu, ce que Doc ne cacha à aucun moment, au point d’en devenir rébarbatif, tout en restant sûr de lui et serein. J’avais confiance en fin de compte. De toute manière rien ne me retenait en ce monde, la prise de risque ne m’effrayait pas plus que cela, moins que l’arrivée au début du XXe siècle en tout cas.
Je prends enfin place dans la drôle de machine aux allures si communes de films d’espions ou de super héros, sauf que celle-ci était déterminée à m’envoyer faire un voyage des plus extraordinaires. Alors, bien sûr, le Doc n’avait pas inventé la machine à voyager dans le temps. Nous ne sommes pas dans Retour vers le Futur de Robert Zemeckis, non, le gouvernement dispose aujourd’hui de tels engins. Doc s’est contenté de hacker avec brio plusieurs sites de recherche gouvernementaux afin d’obtenir une liste de composants complète. Pour le reste je n’ai pas réussi à en savoir plus. Les questions du pourquoi et du comment ne se posent de toute manière plus. Je pars.
Le voyage en lui-même ne fut pas long, quelques secondes de lumière blanche tout au plus. En quelques secondes donc me voici plongé dans les prémices du XXe siècle, en plein cœur de la Vénétie désormais italienne, aux abords de la Sérénissime. Face à moi s’étend la lagune, calme. L’idée “d’arriver” sur le continent plutôt que dans Venise-même vient du Doc, qui trouvait cela plus prudent. Une fois tous mes sens opérationnels, je me mis en marche vers Mestre. Je ne garde comme unique séquelle de mon voyage qu’un léger mal de crâne et un sentiment de haut-le-cœur. Je m’attendais à bien pire je dois l’avouer. Avant de partir j’ai bien pris le temps d’étudier des cartes d’époque afin de perdre le moins de temps possible lors de mes déplacements. En deux heures maximum je doit être à la Piazzale de Roma, porte d’entrée de Venise. Après une heure de marche me voici sur l’embarcadère que me permet d’accéder à Venise par l’emprunt de navettes maritime, les célèbres vaporetti. La voie en bitume qui a longtemps relié Venise au continent - la Via della Liberta - ne sortira de mer que durant l’ère fasciste de Mussolini, au début des années 1930. Une fois embarqué je sens mon poul s’accélérer à mesure que mon embarcation fend les flots à destination de cette ville millénaire, ancienne et glorieuse république marchande qui a su, par le temps et le commerce, imposer sa loi aux quatre coins du bassin méditerranéen.
Enfin je pose le pied sur le sol de la Sérénissime. Tout bascule en moi, je n’en crois pas mes yeux. La ville semble avoir toujours eu le même visage, serein, figé et enchanté dans la lumière d’un astre solaire qui semble ne briller que pour elle. Un flot humain et aquatique s’agit autour de moi. C’est un ballet incessant de gondoles et de gens pressés qui s’enroule autour de moi à me faire perdre l’équilibre. Cela sonne, tinte, bruisse autour de moi. Les langues se mêlent à l’air ambiant me faisant oublier quelque peu que je suis un voyageur temporel. Le temps joue contre moi mais j’hésite à flâner sur les quais du Grand Canal. Je dois me mettre en route afin de voir le maximum de choses et de rendre quelques visites. En effet, le Doc m’a donné un peu de travail avant de partir. Je dois récolter des informations sur mon environnement et tenir un journal de bord sur ma condition physique, afin de s’assurer qu’un tel voyage ne soit pas dangereux pour l’organisme.
J’attrappe au vol un vaporetto qui accoste non loin de là en ronflant et en crachant un épais filet de fumée noire. Les bruits qui m’environnent sont sans commune mesure avec le bruit des villes du XXIIe siècle. Ici le bruit est omniprésent, accompagné d’une forte odeur de charbon en combustion, la pollution est partout : sur les murs des maisons, sur les coques des navires, dans l’eau et l’air. Je perçois une sorte de bruit de fond omniprésent, l’activité humaine emplit l’espace sonore. Partout, gondoliers, marchands au détail, en vrac, poissonniers, boulangers, cafetiers, badaux, maréchaux ferrants, drapiers, tout ce petit monde s’agite, pousse des cris, discute et hurle dans l’espoir de se faire entendre ou d’attirer la clientèle.
Sur le Grand Canal, mon rêve de toujours prend forme. La cité des Doges, aujourd’hui engloutie, est en pleine effervescence, là, sous mes yeux. Mes cours d’Histoire me reviennent en mémoire d’un seul coup. De part et d’autre du pont du vaporetto défilent, alignés tels des généraux vétérans bardés de décorations et au garde-à-vous, les héros longtemps insubmersibles de Venise : Ca’ de Mosto, Civran, Contarini da Zalfo, Labia, Michiel del Brusa’, etc. Autant de palais qui ne peuplent plus aujourd’hui que la mémoire de quelques admirateurs italophiles et le fond de la lagune. Cette vision me procura une émotion que je n’imaginais pas jusqu’à aujourd’hui. Mes mains tremblent, mes yeux pleurent... Cette ville, bâtie sur la fortune de quelques grands commerçants, rayonne devant moi comme si j’en étais le seul visiteur. Mon voyage dans le temps me fait me sentir unique dans ce monde éphémère. J’arrive au Rialto, c’est la fin de mon voyage sur le canal. Je m’attarde quelques secondes afin d’admirer le pont en arc de quarante-huit mètres qui enjambe fièrement l’artère vitale de Venise. Datant du XVIe siècle, il est l’un des quatre ponts qui enjambent le Grande Canal et était peuplé de petites boutiques s’accrochant à son dos. Je me lance ensuite dans les dédales de ruelles menant au coeur du quartier San Marco. Ma destination est le quartier du Castello bordant l’Arsenal, plus au nord.
L’immersion devient alors totale. Elle est toujours aussi difficile à réaliser. Je suis le premier civil du XXIIe siècle à pouvoir me promener tranquillement dans les rues d’une ville qui a disparu plus de deux cents ans avant ma naissance. Je réalise le fantasme de plusieurs générations d’historiens et de curieux. Quand je dis curieux je parle des vrais passionnés rêvant d’enfin arpenter un passé parfois trop fantasmé. Désormais, le temps n’a plus de limite et de nombreuses choses vont pouvoir être faites notamment du point de vue scientifique ou sur les origines de l’humanité. Je pense surtout au monde antique, je pense au développement de l’Afrique et des Amériques durant l’ère pré-colombienne, dont nous avons que de peu de traces. Les possibilités sont infinies. Seulement, le maniement d’un tel outil ne sera pas aisé. Entre les risques d’altération du temps et les utilisations à des fins malhonnêtes voire criminelles, ou même tout simplement révisionnistes, je suis bien incapable de prédire de quoi sera fait notre futur proche. Comment empêcher la dissolution du secret entourant cette vieille cabine ? Ce dilemme monumental attendra mon retour.
C’est alors que j’arrive aux abords de Contarini del Bovolo, alors que je passe non loin de la Fenice - le théâtre de la ville. Bovolo est le nom d’un petit palais du quartier de San Marco présentant deux caractéristiques particulières : d’abord son escalier extérieur en colimaçon en forme d’escargot, puis la vue panoramique de la ville qu’il offre sur les toits de Venise. Plusieurs fois lors des mes recherches préparatoires j’ai pu lire des notes sur ce petit bijou architectural pourtant boudé à l’heure du tourisme de masse du XXIe siècle. Devant les grilles donnant sur le petit jardin du palais, je ne peux retenir mon envie de pénétrer dans l’enceinte du bâtiment. Je devais accéder à cette vue rare sur la ville. Après avoir sonné à la porte d’entrée, je m’engage dans une discussion assurée afin d’obtenir le droit de passage jusqu’au panorama. L’occupant des lieux est un jeune aristocrate à l’accent guindé et dont la voix est teintée d’une légère surprise en me voyant, les yeux emplis d’espoir, sur le pas de sa porte. Il accède toutefois à me requête et propose de m’accompagner au sommet de la tour de son palais. Il me décrit la vue qui s’offre à moi. Je ne peux à nouveau contenir quelques larmes qui me montent aux yeux tant la vue se révèle être spectaculaire. Face à tant de réaction de ma part, mon hôte m’invite à entrer chez lui afin de me remettre. Nous prenons place à l’étage inférieur, dans un salon richement décoré et tourné vers les fenêtre donnant sur la ville. Cet intérieur brillait de luxe et de raffinement. Devant moi s’étalaient les richesses de Venise : du verre de Murano, du marbre de Carrare, de l’orfèvrerie raffinée, des tableaux de maîtres de la Renaissance et du début du XVIIIe, etc... Des pièces d’une valeur inestimable tapissaient comme entassées les murs et les meubles de la pièce où je me trouve actuellement.
- Ce ne sont que des babioles Monsieur, n’y faites pas attention. Je ne suis pas tout a fait installé. Je dois vous confier que je ne m’attendais pas à une telle réaction de votre part ! Me confia mon hôte, une fois assis.
- Veuillez m’en excuser, je viens de très loin et je fondais beaucoup d’espoir sur ma première visite de Venise et je dois dire que je ne suis pas déçu.
- Je dois avouer être tout à fait insensible aux charmes de cette ville… Ce palais était une folie. Il me fallait cependant un pied à terre en centre-ville.
- Je… C’est pourtant une pièce rare si ce n’est unique ici. L’évidence est là, lui rétorque-je. Que dire des splendeurs qu’abrite cette cité des mers ?
- Il s’agit du passé mon bon monsieur… Vous les universitaires, vous êtes d’un conservatisme ! Cette ville m’est insupportable. Son humidité, son peuple bruyant, et je ne vous parle même pas de l’odeur ! Revenez-y en été et vous comprendrez. Un bourbier infâme ! Non vraiment, je ne pense pas qu’il y ait le moindre avenir ici. C’est uniquement afin de rapatrier quelques avoirs que je suis ici, le marché a chuté depuis l’annexion. Une fois cette menue question financière réglée je fuirai cette île maudite et grabataire.
Assommé par tant de critiques acerbes sur la ville de tous les fantasmes, je pris congé de mon hôte afin de reprendre ma route. Il me restait encore de nombreuses choses à faire, mais je venais de perdre beaucoup de mes repères. Cette entrevue avec ce jeune aristocrate était en fait la toute première rencontre concrète entre deux humains de deux époques différentes. Mes pires angoisses étaient en train de se réaliser : et si le passé n’avait rien de plus excitant qu’un présent ordinaire ?
par Robin Norman Lewis, le 6 février 2017
* * * * *
Enfin la possibilité de voyager dans le temps ! Rêve ancien et persistant, effort d’imagination constant, qui semblait ne pouvoir jamais être comblé. Une machine bancale, qui fait sensation mais peu de cobayes potentiels, prétend traverser le temps et l’espace. La tentation est forte et je décide de me lancer. À moi le passé : je veux voir. Le passé ? Le futur est tentant… Voir ce que l’on va louper, ce qui va sortir de notre présent, de quoi nous seront responsables… Tentant mais qu’en est-il de voir ce qu’on a loupé, ce qui a construit notre histoire, ce qui m’a construit moi, ce qu’on a appris, que l’on tient pour vrai, sans jamais le vérifier. Et puis, dans le futur, je ne saurais pas m’habiller pour passer inaperçue…
On m’a fait parvenir les instructions. Je n’ai droit qu’à un voyage, il ne faut pas se tromper. Quelle frustration ! Que voir, que faire ? Mais quelle excitation, aussi, de presque toucher du doigt l’inaccessible. Où aller et quand, donc ? La cour du Roi Soleil, tant décrite, apparemment si splendide, ou bien l’Égypte des Pharaons ? À moins que je ne décide d’aller faire la Révolution, de renverser la monarchie ? De m’exiler, pour voir l’Histoire d’ailleurs : le Palais d’Été en Chine, quand il était uniquement destiné à l’Empereur, sans touristes. Des pèlerins en Amérique qui ne savent pas encore que leur implantation serait un succès. Cette colonie européenne au Groenland, qui n’a pas survécu, pour savoir ce qui leur est arrivé et, peut-être les aider.
Un tas d’autres idées tourbillonnent et je ne peux en saisir qu’une. Comment choisir ? En un jour, je n’aiderai personne. En une vie, seule, sans technologie, non plus. Je préfère passer discrètement. Documenter, regarder. Comprendre au lieu de bouleverser : on m’a toujours dit que ça n’engendrait rien de bon. Si je tue Hitler, je ne nais pas, c’est certain. Regarder donc. Je sais ce que je veux voir. Tant d’épisodes historiques sont si bien décrits qu’on jurerait y être, bien qu’on ne puisse démêler le vrai du faux. Mais s’il ne faut voir qu’une chose, je veux voir ce qu’il est impossible de voir autrement. Ce qui a été passé sous silence de l’Histoire la plupart du temps, ce qui n’a pas fait trace. Je veux voir une vie quotidienne qui ne s’est pas écrite, une grande oubliée, la campagne. Campagne française, si l’on peut dire. N’importe où, peut-être mes montagnes, ou bien les côtes, près de la mer. N’importe quand ou presque : on a toujours l’impression que rien n’a changé en longtemps, que la campagne a été immuable. Difficile de choisir une période tant elles se ressemblent en terme de campagne, dans l’imaginaire commun. Le XVI° siècle, après les guerres d’Italie et avant celles de religion : je veux la paix. Difficile cependant de dire que ce sera représentatif.
Je pars. Direction les champs, la forêt… Presque sans empreintes humaines ? C’est ce que j’imagine. Difficile d’estimer le nombre de population : s’il y avait moins d’humains auparavant, la population de la campagne était probablement bien plus importante. J’arriverai dans la neige. Moins de gens, moins à voir sans doute, mais tellement beau. Là aussi le choix a été dur. Je ne sais pas du tout ce que je vais y voir, à mieux y réfléchir. J’essaierai en tout cas de ne pas finir sur un bûcher… Peut-être, au mieux, rejoindrais-je les fantômes racontés lors des soirs de veillées.
Un jour et je reviendrais. En espérant que d’autres soient tentés par la machine et rapportent de nombreux témoignages.
par Lola LS, le 8 février 2017
@ suivre...
Si vous souhaitez écrire votre propre histoire,
les commentaires sont ouverts ! ;-)
Suivez Paroles d’Actu via Facebook, Twitter et Linkedin... MERCI !