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Paroles d'Actu
23 mars 2016

« Garder l'espoir face au terrorisme... », par Guillaume Lasconjarias

Attentats de Bruxelles

L’aéroport de Bruxelles, le 22 mars 2016. Crédit : capture d’écran/Twitter.

 

Elles paraissent de moins en moins irréelles, ces images de quartiers de capitales européennes transformés en un éclair - plutôt, en un souffle - en zones de guerre. Le plus terrible, c’est peut-être que nous commençons à nous y habituer, à intégrer désormais dans un coin de nos têtes les scénarios-catastrophes comme des hypothèses plausibles. Comme un réveil, un réveil brutal. Paris, janvier 2015. Paris, novembre 2015. Bruxelles, donc, mars 2016. Dix ans après Madrid (2004) et Londres (2005), trois tragiques illustrations en quinze mois à peine d’un terrorisme de masse en plein cœur d’une Europe occidentale qui, longtemps, s’est un peu crue préservée des turpitudes du monde. Faut-il apprendre à vivre avec ces menaces ? Comment agir pour les désamorcer et, surtout, traiter les racines du mal ?

Le 22 mars, quelques heures après les attentats bruxellois, et cinq mois après notre interview d’octobre (qui mériterait certainement d’être lue ou relue), j’ai souhaité inviter M. Guillaume Lasconjarias, chercheur au sein du Collège de défense de l’OTAN, à nous livrer à titre personnel l’état de ses réflexions quant à ces questions qu’aujourd’hui tout le monde se pose. Je le remercie de s’être prêté à l’exercice. Un document à découvrir... et à méditer. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Garder l’espoir face au terrorisme...

par Guillaume Lasconjarias, le 23 mars 2016

 

Hier, mardi 22 mars 2016, au cours d'une matinée tragique, la Belgique a été frappée par une série d’attaques coordonnées et meurtrières. Au-delà du pays, c'est l’Europe qui a été touchée par ces actes monstrueux dans une de ses capitales – et pas n’importe laquelle, Bruxelles, centre des institutions de l’Union Européenne et capitale de l’Europe, mais aussi quartier-général de l’Alliance atlantique. D’abord prudentes, les autorités belges ont confirmé la piste terroriste, et l’État islamique a bientôt revendiqué ces frappes. Encore une fois, les drapeaux ont été mis en berne sur les bâtiments, et le drapeau belge a été projeté en signe de solidarité sur les façades des monuments les plus symboliques de Paris, Berlin ou Rome. Sur Twitter et sur Facebook, le hashtag « #JeSuisBruxelles » s’est répandu, signe d’une émotion perceptible. Devant l'horreur, comment ne pas céder à la colère et à la peur ? Alors que l’enquête débute, la première réaction est d'abord de protéger une population sous le choc. Comme à Paris après le Bataclan, forces policières et unités militaires quadrillent le terrain et patrouillent tandis que les responsables politiques prêchent pour un renforcement de la coopération européenne. Mais dans le même temps, comment ne pas s'interroger sur les faillites du renseignement, comment ne pas céder à la tentation d'identifier les coupables mais aussi de chercher des responsables, bref se donner l'impression faussement réconfortante d'agir ?

Dans ces conditions, comment prétendre à vouloir prendre du recul ? Et pourtant, comment ne pas s’interroger sur ce qui devient une nouvelle normalité, une menace qui n’est plus seulement planante mais une réalité tangible ? Sommes-nous donc condamnés à vivre dans l’ère du terrorisme de masse ? Les Européens sont-ils prêts à faire face à ce que le Premier ministre italien Renzi appelle « une menace globale mais où les tueurs [« killers »] sont aussi des locaux » c’est-à-dire qu’ils appartiennent à nos sociétés [Note 1] ? Et bien entendu, sommes-nous prêts à y faire face, à nous en défendre et à prendre des mesures qu’on prétendra efficaces, quitte à troquer nos libertés contre plus de sécurité ? Le débat n’est pas neuf, mais il mérite peut-être d’être abordé sous un angle légèrement différent.

Souvent, la première préoccupation du chercheur ou de l’universitaire, surtout confronté à une notion aussi complexe que le « terrorisme », est de circonscrire l’objet et de donner une définition. Mais voilà : il n’existe pas de définition du terrorisme. Ou plutôt, il en existe plusieurs : les États, les organisations internationales possèdent chacun une idée de ce qu’est le terrorisme, en insistant sur les dimensions techniques – les faits et la typologie des actes – et sur les aspects légaux – l’illégalité de l’emploi d’une force indiscriminée et souvent aveugle. Dans un ouvrage qui vient à point nommé, l’historienne Jenny Raflik s’y essaye et rappelle que derrière l’étymologie (la terreur et la peur), il y a l’émotion et que derrière l’émotion, il y a une subjectivité : « le terroriste des uns pourrait aussi bien être le résistant des autres » [Note 2]La condamnation de l’acte et de celui qui le commet n’est donc pas universelle, il existe des appréciations selon les camps et la panoplie des moyens dont ils disposent pour accomplir leurs objectifs politiques ou idéologiques. Le terrorisme pénètre dans le champ de la morale, de la cause juste : par un renversement observé, les terroristes deviennent des martyrs, et les victimes sont en fait des coupables. L’acte, de quelque nature qu’il soit - fusillade, bombe, assassinat… - devient l’expression du faible contre le fort, un moyen de fragiliser des sociétés et des gouvernements en frappant n’importe qui, n’importe où et n’importe quand. Certainement, la première réaction face à cette brutalité est la sidération. Puis la peur, puis l’incompréhension, puis la colère, dans un kaléidoscope d’émotions – encore – qui se succèdent.

Viennent alors les nécessaires ajustements et la question lancinante de l’adaptation ou de la réponse à la menace : y sommes-nous préparés ? Peut-on y être préparé ? Plutôt que d’accuser l’inhérente fragilité des démocraties libérales face à la terreur, il est loisible de réfléchir à des cas particuliers et peut-être, de s’interroger sur la façon dont on peut, sans trahir ses valeurs, résister. L’atout de l’historien peut être de trouver des similitudes et des réponses dans un passé plus ou moins récent ; on songe aux comparaisons possibles avec la façon dont nos mêmes sociétés démocratiques ont, dans les années 1960 et 1970, puis dans la dernière décennie, fait l’expérience du terrorisme – qu’il soit rouge (la bande à Baader ou la RAF en Allemagne, les Brigate Rosse en Italie), noir (par des groupes d’extrême-droite néo-fascistes aussi en Italie) ou jihadiste. On peut s’inspirer de la capacité d’Israël à résister et à conserver les attributs d’une démocratie représentative dans un environnement volatil. Sans doute y a-t-il, dans ces cas, matière à tirer parti pour non seulement comprendre, mais aussi bâtir une véritable stratégie de résilience.

Pourtant, dans l’agitation médiatique, le premier besoin semble l’action, la prise de décision symboliques – on se souvient du débat sur la déchéance de nationalité – accompagnant des mesures sécuritaires – le déploiement des forces armées sur le territoire et en ville en étant l’expression manifeste. Sans contester le bien-fondé de ces choix, il faut sans doute chercher d’autres réponses  sur le long terme. Affirmer que nous sommes en guerre contre le terrorisme n’apaise en rien : au contraire, cela renvoie à des images d’« axe du mal » (Axis of evil), de « guerre mondiale contre le terrorisme » (Global War on Terror) qui n’ont au final eu qu’un succès très limité. À l’inverse, se résigner à l’idée de vivre avec cette épée de Damoclès n’est guère plus défendable. On peut et l’on doit songer à des stratégies qui permettront dans le long terme de lutter autant contre les actes que contre les raisons qui justifient le terrorisme : un éditorial paru ce jour, au lendemain des attaques, invite à aller visiter Molenbeek, ce quartier défavorisé de Bruxelles, pour mieux comprendre le terreau sur lequel pousse le terrorisme qui frappe nos sociétés ouvertes [Note 3].

C’est sans doute logiquement ce que les sciences humaines, la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, le droit, les humanités en général, doivent faire : aider à comprendre, à expliquer – et non à justifier. Elles doivent servir à apporter des réponses qui ne peuvent être seulement techniques. Elles doivent mettre en avant que les fractures sociales, politiques, et religieuses, peuvent être dépassées, et peut-être résolues. Elles doivent rappeler que si ce combat est une lutte pour des valeurs, ces valeurs doivent continuer à être portées haut sans « faire payer à la liberté les frais d’une sécurité menteuse » [Note 4]Au contraire, accepter de combattre pour nos valeurs et vaincre par nos valeurs [Note 5], sans transiger, mais sans céder à la peur de l’enfermement, du repli sur soi et de la défiance généralisée.

 

Note 1 Matteo Renzi, dans la Repubblica du 22 mars 2016, “Minaccia globale, ma i killer sono anche locali

Note 2 Jenny Raflik, Terrorisme et mondialisation. Approches historiques, Paris, Gallimard, 2016, p.  16.

Note 3 Giles Merritt, “FRANKLY SPEAKING - After the Brussels attacks: Meeting fire with fire isn’t the answer”, Friends Of Europe

Note 4 Selon une critique faite par Pressenssé et Pouget des « lois scélérates » dans la France de la fin du XIXe siècle (cité par J. Raflik, op. cit., p.  302)

Note 5 Selon la belle expression employée par le chef d’état-major de l’armée de terre dans un article du Figaro le 21 mars 2016.

 

Guillaume Lasconjarias

 

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22 mars 2016

« Samouraïs : au-delà des mythes », par Julien Peltier

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une pensée attristée, en ce 22 mars, pour le peuple belge, pour les victimes directes et indirectes des attentats lâches et aveugles perpétrés ce jour en plein cœur de la ville de Bruxelles...

Julien Peltier est un passionné, spécialiste du Japon et en particulier de lhistoire militaire de ce pays. Son dernier ouvrage en date, Samouraïs : 10 destins incroyables, paraîtra dès le 7 avril prochain aux éditions Prisma. Il a accepté d’évoquer cette sortie en avant-première pour Paroles d’Actu ; surtout, de nous gratifier d’un texte inédit, écrit spécialement pour le blog, une composition passionnante à propos de la mythologie qui entoure l’univers des samouraïs. Qu’il en soit, ici, remercié : la lecture de ce récit ne pourra qu’inciter ceux que la thématique intéresserait à se procurer son livre. S’agissant de Paroles d’Actu, je vous invite également à lire ou relire linterview de Bruno Birolli publiée en décembre dernier, car les deux articles se complètent bienUne exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

Partie I : l’article

Samouraïs : au-delà des mythes

par Julien Peltier (29 février 2016)

Champion des valeurs chevaleresques nippones pour les uns, incarnation d’un militarisme singulièrement meurtrier pour les  autres, le samouraï continue de fasciner et d’interroger. Guerrier emblématique de l’archipel, il se confond avec le citoyen japonais moderne, se cuisine à toutes les sauces, s’affiche en devanture des librairies sous les oripeaux les plus improbables, guidant ici les futurs corporate warriors frais émoulus des écoles de commerce, ouvrant là les portes du développement personnel. À l’instar de son cousin, le preux chevalier de nos chansons de geste, le samouraï charrie dans son sillage un fatras d’idées reçues et d’images d’Épinal tout droit sorties des belles pages du roman national. Il faut dire que les dirigeants politiques du Japon, qui entendent bien se mettre au diapason des grandes puissances à la fin du XIXe siècle, s’emploient à bâtir un récit capable de faire pièce aux modèles européens, et où le fécond imaginaire qui se déploie autour du samouraï occupe une place de choix. La nécessité de remettre la société sur le pied de guerre afin de se tailler un empire colonial s’inscrit dans ce prolongement en invoquant les figures martiales d’un passé plus ou moins fraîchement révolu. Quant aux généraux fascisants qui tiennent le haut du pavé durant les années 1930 et jusqu’à l’issue funeste de la Seconde Guerre mondiale, ils n’auront qu’à s’inscrire dans les pas de leurs prédécesseurs, érigeant le samouraï et son code d’honneur prétendument inflexible en idéal de sacrifice auquel tout jeune homme nippon se doit d’aspirer sans réserve.

Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis que les cendres d’Hiroshima et Nagasaki ont cessé de rougeoyer. Le regard que nous portons n’a pourtant guère évolué. Or, sans prétendre à se livrer à une analyse historique, il n’est qu’à jeter un bref coup d’œil au parcours de quelques-uns des personnages les plus chers au cœur des Japonais pour que les masques tombent.

 

Kusunoki Masashige, champion de l’empereur… et dindon de la farce

Gardant l’entrée de l’esplanade qui conduit au palais impérial à Tôkyô, la statue de Kusunoki Masashige, héros médiéval situé à mi-chemin entre Robin des bois et Du Guesclin, domine de toute sa hauteur les badauds. Champion de l’empereur à l’orée des années 1330, Masashige aide le souverain à rétablir son autorité politique sur les guerriers, qui ont fondé leur propre gouvernement parallèle, aux ordres du shôgun, un siècle et demi plus tôt. Cette restauration fait cependant long feu, et le brave Masashige est tué à la tête des armées impériales au cours d’une bataille qu’il savait perdue d’avance. Vous avez dit « fidélité » ? Le vainqueur du jour, habitué des voltefaces et trahisons, avait servi le shogunat dans un premier temps, se déclarant ensuite opportunément en faveur de la cause impériale, avant de s’en aller finalement ferrailler pour son propre compte. Et ce en l’espace de trois brèves années ! Bien loin de s’attirer l’opprobre, le félon rallierait à lui la majorité des samouraïs, et fonderait l’une des dynasties shogunales les plus pérennes – les Ashikaga – qui donnerait à Kyôto deux de ses plus remarquables monuments : les pavillons d’Or et d’Argent. Le cas n’a d’ailleurs rien d’isolé. L’issue de la guerre de Genpei, qui avait conduit à l’avènement du premier shôgun en 1192, s’était en partie jouée sur la traîtrise d’un général. Dans le même registre, le fondateur du régime Tokugawa remporterait en octobre 1600 la bataille de Sekigahara grâce à l’aide décisive d’un jeune capitaine passé à l’ennemi.

 

Kusunoki Masashige 

Statue équestre de Kusonoki Masashige, Tokyo. Source : Scubasteve51387, DeviantArt.

 

Quant au malheureux Masashige, il sombre dans l’oubli durant plus de cinq siècles. Ce n’est en effet qu’à la fin du XIXe siècle, lorsque l’archipel se trouve de nouveau confronté à un contexte politique comparable, que le héros de la première restauration devient un parangon de la loyauté la plus indéfectible, conforme au mythe du samouraï alors en voie de cristallisation. Les exemples abondent, qui démontrent que la fidélité aveugle tant vantée ne fut guère plus qu’un vœu pieu, au mieux une exhortation faite aux échelons subalternes de la classe militaire, et dont les seigneurs et maîtres s’estimaient, ici comme ailleurs et en d’autres temps, exonérés de tout devoir.

 

Miyamoto Musashi, du bretteur au best-seller

Si Kusunoki Masashige est un personnage particulièrement populaire au Japon, aucun samouraï ne peut se targuer d’avoir atteint le degré de notoriété internationale auquel culmine le légendaire Miyamoto Musashi, idole de générations d’écoliers. Fin connaisseur du pays du Soleil-Levant, Edwin Reischauer écrit d’ailleurs que l’insulaire aime à se considérer comme un « Musashi moderne », guerrier et poète sensible aux plaisirs simples, chevalier errant, combattant invincible en communion permanente avec les éléments naturels. C’est oublier que ce portrait flatteur se fonde avant tout sur une fiction romanesque. En effet, l’écrivain Yoshikawa Eiji publie à la veille de la Seconde Guerre mondiale un feuilleton appelé à connaître un succès retentissant, et intitulé La Pierre et le Sabre. L’auteur y réinterprète le parcours de l’illustre duelliste, parant son héros de toutes les vertus. Il s’autorise cependant quelque licence avec la vérité historique, d’autant que si le principal intéressé a bien laissé une œuvre testamentaire, la plupart des commentateurs en sont toujours réduits à le croire sur parole. Faut-il prêter foi au jugement que Musashi porte sur sa propre personne, alors même qu’il rappelle lui-même avoir cherché à se faire valoir auprès d’un suzerain susceptible de l’embaucher ? Si sa technique était aussi irréprochable et supérieure qu’il le prétendait, pourquoi a-t-il échoué, par deux fois, à devenir le maître d’armes de la maison Tokugawa ? Et que penser de son duel le plus célèbre ? S’il s’est déroulé loyalement, comment expliquer que les contemporains des protagonistes aient rebaptisé le théâtre du combat en hommage au vaincu ? Pour être anecdotiques, ces zones d’ombre incitent à la distance. Or, rien ne permet de conclure que Miyamoto Musashi, qui était animé d’une ambition si dévorante qu’il n’hésita pas à abattre un enfant pour se tirer d’un mauvais pas et asseoir sa victoire, partageait quelque trait de caractère avec le personnage attachant dépeint par Yoshikawa.

 

Miyamoto Musashi, Vagabond

Miyamoto Musashi tel que représenté dans le manga Vagabond de Takehiko Inoue. Source : Zabimaru-Manga.

 

Là encore, le mythe a supplanté la réalité, nourrissant un imaginaire dont la fonction était alors, précisément, de favoriser l’identification entre les jeunes japonais et ce guerrier idéalisé, devenu outil d’endoctrinement chargé d’assurer la militarisation du pays. Nul besoin de s’attarder sur les dérives qui résultèrent de ce culte martial…

 

Saigô Takamori, le dernier samouraï, Hollywood et le roman national

En 2003, le réalisateur américain Edward Zwick porte à l’écran la fin tragique du « dernier samouraï », aux côtés d’un Tom Cruise qui brandit pour l’occasion le redoutable sabre du guerrier japonais. La fresque hollywoodienne s’efforce de restituer l’atmosphère troublée de la restauration Meiji, qui marquera la chute du système dominé par les samouraïs. Elle s’inspire très librement du personnage de Saigô Takamori, qui périt bien sous les balles de la toute jeune armée impériale en 1877. La comparaison s’arrête là, car le quotidien des paysans du Satsuma, région d’où Takamori était originaire, était à cent lieues de l’osmose, idyllique et bucolique, entre classes sociales décrite dans le film. Le fief comptait en effet au nombre des plus pauvres, au moins en partie du fait de la très forte proportion locale de samouraïs à nourrir, alors même qu’en principe, interdiction formelle avait été faite aux guerriers de cultiver la terre. Durant ses tournées de magistrat itinérant, Takamori se désole d’ailleurs des conditions de vie abjectes dans lesquelles croupissent les couches les plus humbles. Souvent présenté comme un ardent défenseur de la tradition nippone, Takamori n’en est par autant un technophobe répugnant à user de méthodes modernes jugées déloyales. Il fut même du reste l’un des principaux artisans de la formation des troupes qui allaient causer sa perte, et veilla à pourvoir les rebelles sous son commandement des armes à feu dont il avait pu se rendre maître. Si le colosse de Kagoshima imaginait sans doute un destin moins funeste pour ses confrères samouraïs, il regardait l’avenir avec une certaine lucidité. Ironie du sort, le projet d’annexion de la Corée, qui avait semé la zizanie au sein du gouvernement oligarchique de Meiji et conduit à une nouvelle disgrâce du « dernier samouraï », serait finalement mis à exécution quelques décennies après sa mort au champ d’honneur.

 

Saigo Takamori

Saigô Takamori. Source : Kinsei Meishi Shashin vol.1.

 

Entre temps, Saigô Takamori serait passé du statut d’infâme renégat à celui de victime expiatoire du nouveau Japon. Plutôt que de se féliciter d’avoir enfin jeté à bas le joug des samouraïs, le jeune État en manque de repères chercherait au contraire à les réhabiliter afin d’en faire les hérauts guerriers d’une nation désormais conquérante.

 

La voie de son maître

Ce que nous croyons savoir de l’univers mental des samouraïs, et la remarque vaut pour les Japonais, s’appuie pour bonne part sur le fantasme du Bushidô, le fameux « Code du Guerrier ». Or, il s’agit d’une construction relativement récente, en tout cas postérieure aux temps les plus mouvementés, aux périodes durant lesquelles le climat de violence endémique pouvait justifier la domination politique des guerriers. Le terme même n’est forgé qu’au XVIIe siècle, par les adeptes d’un courant de pensée patronné par le shogunat des Tokugawa. Autant qu’un guide moral et spirituel, le Bushidô est ainsi une arme idéologique. Il puise d’ailleurs à deux sources  principales : d’une part un ensemble assez décousu de prescriptions, jusqu’alors essentiellement transmises de manière orale et remontant à l’antique kyûba no michi, « la voie de l’arc et du cheval » ; et d’autre part l’ultra-conservatisme du néoconfucianisme, doctrine d’origine chinoise qui prône le respect scrupuleux d’une hiérarchie sociale perçue comme idéale. Soucieux d’enraciner leur pouvoir et d’éviter tout retour à l’anarchie des « Royaumes combattants », les Tokugawa adoptent et adaptent cette philosophie, en prenant soin de redonner aux guerriers, leurs premiers obligés, la place de choix qu’ils ne détenaient aucunement chez Confucius. Qu’importe, le tour est joué, et garantira la pérennité du régime pour deux siècles de plus.

 

Confortés dans leur mission de bergers et protecteurs du peuple, les samouraïs deviendront pour la plupart de zélés fonctionnaires, portant toutefois le sabre en toute occasion. Il en restera toujours quelques-uns pour trancher dans le vif un débat houleux, ou venger dans le sang un ombrageux honneur froissé. Reste qu’au fil des âges, davantage que l’observance consciencieuse d’une éthique admirable, s’il est un dénominateur commun entre les personnages émergeant des chroniques, celui-ci réside dans la volonté farouche de défendre ses intérêts. En cela, « celui qui sert », étymologie du mot samouraï, était fidèle à la loi universelle, et n’aura pas démenti Oscar Wilde lorsque le facétieux Irlandais ironisait de la sorte : « Appuyez-vous sur vos principes, ils finiront bien par céder »…

 

Samouraïs

Samouraïs : 10 destins incroyables, disponible dès le 7 avril aux éditions Prisma.

 

Partie II : les questions

D’où vous vient cet intérêt marqué que vous portez au monde asiatique en général et au Japon en particulier ?

C’est ma passion pour les samouraïs qui m’a conduit à élargir mon champ de vision, d’abord par souci de mieux comprendre le contexte historique, politique mais aussi culturel et géographique dans lequel s’inscrivent les sept siècles de domination de l’archipel par la classe guerrière. On ne peut appréhender les singularités de l’histoire du Japon sans aborder celle de la Chine, elle-même influencée par ses voisins coréens, mongols, vietnamiens, voire centre-asiatiques.

 

Pourquoi avoir choisi d’écrire ce nouvel ouvrage sur l’univers des samouraïs ? Qu’est-ce qui les rend si remarquables, si singuliers à vos yeux ?

Avec une telle longévité, une telle diversité de parcours parmi les personnages, le sujet me semble inépuisable. Et puis, l’extraordinaire rayonnement de la culture populaire nippone invite à interroger ses fondements, parmi lesquels figure en bonne place un « roman national » dont les samouraïs persistent à compter au nombre des principaux protagonistes. Leur influence continue ainsi de s’exercer.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Repartir en voyage dès que mes deux enfants seront en âge de nous le permettre ! Je brûle d’impatience de parcourir les sentiers de haute Asie à leurs côtés. Mais avant cela, j’espère publier prochainement un conte, qui semble avoir enfin trouvé un éditeur. Il ne me reste qu’à croiser les doigts.

 

Julien Peltier

 

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9 mars 2016

Julien Benhamou : « Avec le nu, mon travail est plus abouti, le résultat plus radical »

Il y a neuf mois, le photographe de grand talent Julien Benhamou acceptait de se confier sur son métier, sa passion, dans les colonnes de Paroles d'Actu. Voici aujourd’hui, partant d’une conversation récente, un nouvel exercice auquel il a bien voulu se livrer : une réflexion autour du « nu » auquel il s’est converti après quelques réticences comme « metteur en scène » sur papier glacé. Il partage pour nous cette expérience, avec quelques uns de ses clichés, qui sont tous sublimes... Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

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Autoportrait, juin 2015. Signé Noémie Graciani.

 

En tant que portraitiste, je me suis refusé au nu pendant très longtemps, ayant peur de tomber simplement dans de l’érotisme ou l’esthétisation des corps. Je ne me sentais aucune légitimité à demander à mes modèles de se déshabiller.

Mais c’est tout naturellement, au cours de mes recherches personnelles sur la danse, que le nu s’est imposé ; les images l’exigeaient.

Ma première expérience fut avec Aurélien Dougé pour notre projet Blessed Unrest. Le corps étant le sujet principal, le visage toujours occulté. La pose était en slip noir, et je travaillais ma lumière pour « sculpter » le corps et les muscles...

 

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Blessed Unrest #1 (Aurélien Dougé)

« Les recherches réalisées avec Inkörper Company pour la série Blessed Unrest m’ont incité

à m’interesser au corps sans vêtement. »

 

Ensuite, au cours d’une séance photo avec Valentin Regnault, un ami et model qui participe à la plupart de mes projets. Je le photographiais de dos en pantalon noir et le travail des muscles du dos me faisais penser aux dessins de nus de Léonard de Vinci. Je lui ai proposé de faire un nu intégral, de dos par pudeur, et il a accepté. C’était notre première expérience de nus à tous les deux ! Notre complicité a fait que cela s’est merveilleusement passé.

 

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Valentin Regnault

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Depuis je suis très décomplexé par rapport au nu et je sais que mes modèles sont prêts à poser nus si la photo l’impose. Je pense qu’il y a une confiance mutuelle qui fait que l’on ose.

Aujourd’hui, je considère que mon travail personnel s’en trouve plus abouti, le résultat est plus radical.

L’ambiance lorsqu’on fait du nu n’est pas du tout tendue mais, au contraire, très amusante de par la situation. Tout cela est pris au deuxième degré et il n’y a, du coup, pas de place pour la gène.

Mon dernier projet a été une séance photo avec Inkörper Company ; nous avions une vingtaine de personnes qui posaient nues, pour la plupart des amateurs et donc des « premières fois ». Ils ont répondu à un casting que l’on a posté sur Facebook et étaient tous d’accord pour poser ainsi. Au bout de cinq minutes, tout le monde oubliait qu’il était nu.

Le nu apporte plus d’authenticité aux photos. Que ce soit avec des hommes ou des femmes, il s’agit, réellement, de se mettre « à nu » et de faire confiance. De plus, le corps, la beauté et la sensualité sont des notions très importantes pour moi...

Julien Benhamou, le 8 mars 2016

 

Peut-on occulter totalement les aspects d’attirance, de fantasmes quand on prend des corps nus en photo ou quand on pose nu ? Comment, si tu me passes l’expression, « garder la tête froide »... ?

Lors d’une séance photo de nu, l’attirance peut exister pendant les premières secondes... mais elle est très vite oubliée au profit de la création artistique.

 

Serais-tu prêt à poser nu toi-même ?

Mais... qui prendrait la photo alors ? ;-)

 

Tes projets pour la suite ?

Du 24 mars au 2 mai, une expo présentée par la No Mad Galerie autour de Blessed Unrest.

Je m’occupe également, à l’Opéra, de la production Roméo et Juliette, jusqu’à la fin avril.

 

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Mickael Lafon
« Au cours de mes séances de portraits, le nu s’imposait de plus en plus
car les poses qu’on imaginait avec les danseurs devenaient plus lisibles et plus pures. »

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« Photo réalisée pour une exposition de mon travail sur le nu masculin à la librairie Les Mots à la Bouche. »

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Mathilde Froustey
« Mathilde Froustey est principal dancer au San Francisco Ballet. Je la connais et la photographie depuis plusieurs années. » 

 

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Pierre-Antoine Brunet

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Mathilde Froustey et Pierre-Antoine Brunet

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Utku Bal et Elena

« Recherches sur le graphisme... »

 

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Mickael Lafon

 

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Antonin Rioche

  

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Valentin Regnaut et Rafaëlle Cohen

 

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Juliette Gernez

 

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Germain Louvet

 

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Vous pouvez retrouver Julien Benhamou...

6 mars 2016

Frédéric Quinonero : « Jane Birkin a été, pour Gainsbourg, plus que sa muse, son double féminin »

Le 2 mars, jour marquant le vingt-cinquième anniversaire de sa disparition (déjà !), on était peut-être plus nombreux qu’à l’accoutumée à se rappeler Serge Gainsbourg. Les médias en ont pas mal parlé à cette occasion, et c’est heureux tant son œuvre mérite d’être redécouverte et découverte par les nouvelles générations. Le mois dernier, les éditions L’Archipel faisaient paraître la dernière biographie en date du fidèle Frédéric Quinonero, Jane Birkin, « La vie ne vaut d’être vécue sans amour ».  Un récit fluide, vivant, sensible et touchant à l’image de son objet, Jane Birkin, qui fut probablement « la » femme de la vie de Gainsbourg et, très certainement, hier comme aujourd’hui, une des personnalités les plus émouvantes et les plus « vraies » du monde du show-biz. Frédéric Quinonero a accepté de répondre à mes questions et de nous « prêter » pour reproduction, à ma demande, lextrait de son ouvrage qui raconte la rencontre Gainsbourg-Birkin. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

Partie I : l’extrait du livre

Le cadre : le tournage de Slogan, un film de Pierre Grimblat. On est en 1968. Les premiers contacts - difficiles -, « la » rencontre entre Serge Gainsbourg et Jane Birkin ; l’un et l’autre, une sensibilité à fleur de peau et l’âme blessée (chacun sort alors d’une séparation douloureuse, le premier avec Brigitte Bardot, la seconde avec le compositeur britannique John Barry, père de sa fille Kate).

Lors de l’audition, elle est déstabilisée par la présence désagréable de Serge Gainsbourg, fortement déçu de ne pas avoir Marisa Berenson pour partenaire et déterminé à témoigner de sa méchante humeur. Elle ne sait pas prononcer son nom, elle comprend « bourguignon » - il existe un Serge Bourguignon acteur et cinéaste, il a obtenu un Oscar à Hollywood en 1963 pour son film Les Dimanches de Ville-d’Avray et fait tourner Bardot l’année précédente dans À cœur-joie. « Mais comment pouvez-vous accepter de tourner un rôle en France alors que vous ne parlez pas un mot de français ? », lui lance-t-il avec mépris. Elle fond en larmes. Et continue de jouer sa scène, comme si sa vie en dépendait, ce qui convainc Grimblat de l’engager. « Jane pleurait sur son sort. Elle confondait tout : la fiction et la réalité, la vie et le scénario. [...] J’en ai conclu qu’elle était fabuleuse » dira Gainsbourg. Pourtant, alors que le tournage commence à la mi-juin, retardé par les événements, il persiste à ne faire aucun effort de civilité.

[...] L’ambiance sur Slogan est donc au vinaigre. Une semaine passe. Le vendredi soir, inquiet pour le bon déroulement de son film, Grimblat organise un dîner chez Maxim’s où il omet sciemment de se rendre, laissant ses héros seuls, en tête à tête. Tous deux ont ce point commun d’avoir été quittés par la personne aimée, ils sont tristes. « Qu’est-ce que vous n’avez jamais fait ? Tout ce que vous désirez, je vous promets de l’exaucer », lance un Gainsbourg grand seigneur à la fin du dîner. Jane a besoin de se changer les idées, elle est prompte à accepter toutes les invitations à s’amuser. Et la soirée se poursuit dans toutes les boîtes à la mode. Jane découvre un homme séduisant : « Il était adolescent, ambigu, contradictoire, romantique, sensible. » Chez Régine, elle l’entraîne sur la piste de danse pour un slow. Piètre danseur, il lui marche sur les pieds. Sa maladresse l’attendrit. À son tour, Serge se laisse séduire par cette fille drôle et émouvante, sexy et décontractée, qui déambule dans les lieux les plus chic de Paris avec son blue-jean, ses baskets et son cabas en osier rempli de livres et de cahiers noircis de notes. Au petit matin, comme elle refuse qu’il la ramène à son hôtel, il commande au chauffeur de taxi de poursuivre jusqu’au Hilton où il a ses habitudes. Elle fait mine d’ignorer la gaffe du réceptionniste : « La même chambre que d’habitude, monsieur Gainsbourg ? » Et le trouve à nouveau touchant quand il tire les rideaux et tamise la lumière, avant de s’allonger tout habillé sur le lit où il s’endort comme une masse, copieusement imbibé. Elle file au Drugstore voisin et revient avec le single d’un hit qu’elle avait dansé devant lui chez Régine, Yummy Yummy Yummy des Ohio Express, et le lui glisse discrètement entre les orteils, en guise de remerciement.

Issu de Jane Birkin, « La vie ne vaut d’être vécue sans amour » (L’Archipel, février 2016). P. 48 à 50 (extraits).

 

Jane Birkin Serge Gainsbourg 1968

Jane Birkin, Serge Gainsbourg, 1968. Photo : Giancarlo Botti - Agence Gamma-Rapho. Src. : Photos de légende. 

 

Partie II : l’interview

Frédéric Quinonero: « Jane Birkin a été, pour Gainsbourg,

plus que sa muse, son double féminin »

 

Jane Birkin

Jane Birkin, « La vie ne vaut d’être vécue sans amour » (L’Archipel, février 2016)

 

Pourquoi avoir choisi d’écrire cette biographie de Jane Birkin ?

Jane Birkin est quelqu’un de très inspirant. J’aime à la fois l’artiste et la femme. C’est un être qui me touche par sa spontanéité, sa poésie, son humour. Je me reconnais dans certains traits de sa personnalité, la nostalgie de l’enfance, la mélancolie, l’amour des autres. Écrire sur elle a été un vrai plaisir.

 

Trois mots pour la définir ?

Nostalgique, généreuse, émouvante.

 

Quel regard portes-tu sur le couple/duo qu’elle a formé avec Serge Gainsbourg ?

C’est un couple mythique, rattaché à une époque de liberté et d’insouciance. Ils se sont connus en 1968, grande année, même si les événements leur sont passés au-dessus du brushing. Jane a été le grand amour de la vie de Serge, et réciproquement. Elle a été sa muse, son double féminin. Et ce n’est pas donné à tout le monde de sublimer à ce point le talent d’un artiste. Il l’a imposée en tant qu’actrice dans son film Je t’aime moi non plus, puis il a écrit pour elle ses textes de chansons les plus intimes et les plus raffinés, exprimant une sensibilité à fleur de peau qu’il ne pouvait exprimer lui-même sans paraître indécent. Les trois albums Baby alone in Babylone, Lost Song et Amour des feintes sont de vrais bijoux. Jane a été l’interprète de Serge dans le vrai sens du terme, elle a été sa voix, elle a porté ses mots (ses maux). Pendant qu’il se plaisait à jouer à Gainsbarre, il lui donnait ses blessures et ses fragilités à chanter. C’était sa plus belle façon de lui déclarer son amour éternel. Et le plus beau cadeau qu’elle lui ait fait en retour, et sa plus belle victoire, est d’avoir fait connaître son œuvre dans le monde entier. Ce fut sa mission après la mort de Serge. Sa façon à elle de lui dire merci.

 

Jane Birkin et Serge Gainsbourg

Source de l'illustration : http://rockimages.centerblog.net.

 

Cinq chansons chantées par Jane Birkin à écouter ?

Ballade de Johnny-Jane (1976),

Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve (1983),

Quoi (1985),

Lost song (1987),

Physique et sans issue (1987).

 

Un message à lui adresser ?

Le message est dans le livre, je pense. Je l’ai écrit avec toute l’affection que je lui porte.

 

Frédéric Quinonero

Photo : Emmanuelle Grimaud

 

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4 mars 2016

Jean-Clément Martin : « Robespierre était un pragmatique, il n'a pas théorisé la Terreur »

Jean-Clément Martin est un des spécialistes les plus éminents de la période ô combien troublée de la Révolution française (entendue ici comme s’achevant à l’avènement de Bonaparte à la tête du pays). Professeur émérite à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne et ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF), M. Martin a notamment composé une Nouvelle Histoire de la Révolution française (Perrin, 2012) qui fait référence et, tout récemment, une biographie de l’« Incorruptible », Robespierre, la fabrication d’un monstre (Perrin, 2016). Il a accepté, sur la base de ce dernier élément bibliographique, de répondre à mes questions, ce dont je le remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Robespierre était un pragmatique,

il n’a pas théorisé la Terreur »

Interview de Jean-Clément Martin

Q. : 01/03 ; R. : 03/03

 

Robespierre 

Robespierre, la fabrication d'un monstre, aux éd. Perrin.

 

Paroles d’Actu : Dans quelle mesure peut-on dire, s’agissant de Maximilien Robespierre, que les idéaux des Lumières, ceux de son temps, ont contribué à le construire en tant qu’homme et en tant que citoyen ?

 

Jean-Clément Martin : Qui pourra assurer que les idees des Lumières ont façonné les personnalités de la Révolution ? Et quelles Lumières d’ailleurs ? La polémique liée au dernier livre de Jonathan Israël (Les Lumières radicales, aux éd. Amsterdam, ndlr) rappelle que les définitions mêmes des Lumières sont imprécises, et on sait bien que des révolutionnaires comme Marat ne peuvent pas être rattachés simplement aux courants des Lumières. Robespierre, comme de très nombreux autres députés de 1789, a reçu une éducation classique qu’il a partagée aussi bien avec de futurs partisans comme avec de futurs  opposants. En outre, il est manifestement lié à un horizon chrétien réformateur par ses parents et leurs relations arrageoises. Vouloir expliquer la Révolution par l’héritage des Lumières est une habitude de pensée qui n’explique rien.

 

PdA : 1792 : la France déclare la guerre « au roi de Bohême et de Hongrie » - en fait à la Maison d’Autriche. Robespierre compte parmi les rares révolutionnaires avancés à s’opposer à cette aventure extérieure, pourquoi ?

 

J.-C.M. : Lorsque la France déclare la guerre au roi de Bohême et de Hongrie - mais aussi au roi de Prusse - l’élection du nouvel empereur n’est pas encore faite, ce qui explique la formule précise employée à raison par les députés. Robespierre est initialement favorable à la guerre, ce qui est régulièrement oublié. Il se rallie ensuite, au bout de quelques semaines à cette position, dénonçant le risque de la prise de pouvoir par un général victorieux. Il demeure cependant très isolé, étant en butte aux critiques de la majorité des députés et de l’opinion publique. Ce refus, qui le distingue des Girondins jusqu’à la fin de 1792, est abandonné lorsqu’il se rallie de fait à la guerre contre les Anglais tout en affirmant son rejet de la guerre de conquête. Il soutient l’offensive contre la Vendée longtemps avant de prendre ses distances, au début de 1794.

 

PdA : Quelle est, au-dehors et au-dedans, la situation de la France de la Révolution à l’heure où sont instaurées les premières mesures de ce qui, pris tout ensemble, restera dans les mémoires sous l’appellation de « Terreur » ?

 

J.-C.M. : La « Terreur » n’a jamais été un « système » avant que les thermidoriens n’assurent que Robespierre en aurait été l’inspirateur et le chef. Il n’y eut jamais de loi instaurant la Terreur. Il y eut bien des mesures qui mirent en place un état d’exception (tribunal révolutionnaire, loi des suspects, etc.), ceci en réponse aux demandes formulées par les sans-culottes et pour faire face aux menaces sur les frontières et devant les insurrections « fédéralistes » et vendéenne. Ces mesures doivent être lues comme le moyen de contrôler les surenchères politiques et d’empêcher le retour des massacres, comme ceux de septembre. Il y eut là une politique, éventuellement cynique, pour faire la « part du feu » en laissant les individus les plus violents accomplir des gestes atroces servant cependant à l’établissement de la révolution. Il convient de rappeler que la guerre mobilise à peu près 600 000 hommes à ce moment et que cette guerre ne peut se conclure que par la victoire ou la disparition du régime révolutionnaire.

 

PdA : Est-ce que le régime de la Terreur tel qu’il a été pratiqué a participé de manière décisive à, pour faire simple et certainement grossier au vu des crimes commis par ailleurs, faire triompher ou en tout cas préserver la France issue de la Révolution face aux forces de la Réaction ?

 

J.-C.M. : Vous comprendrez que je ne peux pas vous répondre. Il n’y eut jamais de « régime de terreur », pas plus qu’il n’y eut d’unité des révolutionnaires. Les violences les plus grandes de 1793 sont liées aux concurrences entre députés de la Convention et sans-culottes, celle du printemps de 1794 sont elles liées aux rivalités entre membres des comités ! Il est aussi illusoire de penser que la « réaction » ait organisé la lutte contre la Révolution. Une fois ceci posé, il est cependant évident que les exigences de la guerre ont pesé sur le contrôle imposé et surtout sur l’emploi des sans-culottes dans les armées envoyées en Vendée. Les crimes de guerre commis alors ont été permis par cette situation compliquée.

 

PdA : La Terreur pose-t-elle, comme l’affirment certains auteurs, une partie des fondations des régimes totalitaires du XXème siècle ?

 

J.-C.M. : Je laisse ce genre d’imputations à ceux qui pensent la Terreur en adoptant les inventions thermidoriennes sans les confronter à la réalité des faits. Il conviendrait aussi de ne pas voir la révolution française comme la seule révolution violente, comme il est souvent dit.

 

PdA : Quelle image vous êtes-vous forgée de Robespierre finalement ? Quelle perception avez-vous de sa personne, de ses actions et des traces qu’il a laissées derrière lui ?

 

J.-C.M. : Je ne me suis pas forgé d’image de Robespierre et je n’ai pas eu la prétention de donner un portrait psychologique. J’ai voulu replacer Robespierre en son temps, le comparer avec ses pairs et ses rivaux. Il s’agit d’un homme « ordinaire » qui a incarné peu à peu une ligne politique, parfois involontairement, parfois même en étant isolé - notamment lorsqu’il réclame la mort du roi sans jugement. Après l’été 1793 il devient dans la Convention l’un des représentants de la gauche révolutionnaire, meme s’il est conduit à envoyer les sans-culottes à la guillotine. Il suit ainsi une ligne politique pragmatique en fonction des luttes internes entre conventionnels. Après le printemps 1794, il inspire beaucoup d’inquiétude à ses pairs qui le voient comme un dictateur potentiel. Ceci explique que Thermidor se réalise en fixant l’image de Robespierre comme un « tyran » et un « monstre ». Il ne s’agit pas de penser qu’il a été « responsable » de sa trajectoire et de l’image qu’il a laissée.

 

Jean-Clément Martin

Source : éd. Vendémiaire.

 

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