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Paroles d'Actu
30 septembre 2016

« Quelle politique étrangère pour le prochain président américain ? », par Nicole Vilboux

Dans cinq semaines, le peuple américain élira son - ou sa ! - futur(e) Président(e). Les États-Unis constituant, faut-il le rappeler, la première puissance étatique du globe, et sans conteste la plus puissante que celui-ci ait connu au cours de la longue histoire des Hommes, cette élection aura comme chacune des élections américaines depuis au moins un siècle, des répercussions bien au-delà des frontières du pays. Et il semblerait qu’à l’occasion de ce scrutin-ci, la nation américaine, fatiguée des errements et atermoiements d’une politique étrangère qui, depuis quinze ans au moins, l’a conduite à s’engager massivement et en profondeur sur des terres qu’elle comprend mal (Afghanistan, Irak, etc...) et qui ne rentrent pas nécessairement dans le cadre de ses intérêts vitaux, se trouve à la croisée de chemins. Hillary Clinton, l’ex-secrétaire d’État candidate des démocrates, semble prôner la continuation d’un interventionisme affirmé des États-Unis dans les affaires du monde ; Donald Trump, le candidat issu des primaires républicaines, paraît lui tenir un discours qui le rapproche des courants isolationnistes.

Dans ce contexte, j’ai souhaité proposer à Nicole Vilboux, docteur en sciences politiques (Paris I), analyste spécialisée dans la politique de sécurité des États-Unis et les questions stratégiques, chercheur associé à la Fondation pour la Recherche stratégique (FRS) et chargée d’enseignement à l’Institut catholique de Paris, d’écrire pour Paroles d’Actu un article autour de la thématique suivante : « Entre interventionnisme et isolationnisme : perspectives de la politique étrangère, de défense et de sécurité américaine à l’approche des élections de 2016 ». La proposition datait du 30 juin ; son texte, très riche et éclairant sur les grands mouvements de la politique étrangère américaine, m’est parvenu le 26 septembre. Je l’en remercie vivement et recommande également aux lecteurs de lire, outre cette composition, mon interview de Nicole Bacharan (janvier) et celle de Thomas Snegaroff (août). Tout cela pour appréhender peut-être un peu mieux quelques données et enjeux clés de cette élection présidentielle américaine pas tout à fait comme les autres. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Uncle Sam war

Src. de l’illustration : beforeitsnews.com

 

« Entre interventionnisme et isolationnisme :

perspectives de la politique étrangère, de défense

et de sécurité américaines

à l’approche des élections de 2016 »

par Nicole Vilboux, le 26 septembre 2016

Comme lors de chaque élection présidentielle contemporaine aux États-Unis, les observateurs et experts des affaires internationales s’interrogent sur son impact potentiel sur la politique extérieure et de sécurité d’un pays qui demeure la première puissance mondiale. La question se pose d’autant plus lorsque le « sortant » ne se représente pas, ouvrant davantage de perspectives de changement dans les orientations. Les discours de campagne, prises de positions des candidats, comme le choix de leurs conseillers en matière de sécurité, sont donc scrutés avec attention, même s’il est toujours hasardeux d’en déduire la politique qui sera effectivement menée après l’investiture. Les évènements extérieurs et les contraintes intérieures se chargent fréquemment de modifier, plus ou moins significativement, les engagements de campagne. Cette année, l’analyse est en outre compliquée par la difficulté à cerner précisément le positionnement des principaux candidats dans un débat stratégique où les lignes de partage habituelles sont brouillées. Le seul paramètre réellement invariant par rapport aux élections précédentes est l’importance toujours secondaire des questions internationales dans les préoccupations des Américains. Mais c’est probablement leur intérêt de moins en moins grand pour l’implication dans les affaires du monde qui explique qu’une véritable perspective de réorientation de la politique extérieure soit cette fois envisageable.

Les positions des candidats : interventionnisme libéral contre néo-isolationnsime conservateur.

« Hillary Clinton paraît plus encline à appuyer

sa politique sur la force que Barack Obama »

Hillary Clinton se place dans la ligne traditionnelle du Parti démocrate, privilégiant dans son programme de campagne les problèmes intérieurs, économiques et sociaux. Sur les questions extérieures, elle s’inscrit largement dans la vision « internationaliste libérale », majoritaire au sein du parti depuis les années 1990, qui défend une conception de la sécurité fondée sur la promotion de la « démocratie de marché », passant de préférence par la coopération et l’influence mais sans exclure l’intervention directe lorsqu’il s’agit de défendre les valeurs occidentales. À cet égard, le discours de campagne d’Hillary Clinton marque même un retour à l’interventionnisme libéral après une présidence Obama qui s’en est écartée, de par ses réticences à recourir à la force et à se référer aux idéaux américains dans la justification de ses choix stratégiques. Sur ces deux points, la candidate démocrate se démarque du sortant. Tout en restant fidèle au principe d’une action internationale « intelligente » (le « smart power » qu’elle a promu en tant que Secrétaire d’État), combinant la puissance militaire et la diplomatie, elle n’hésite pas à se montrer plus encline à appuyer sa politique sur la force, ce qui lui vaut d’être située parmi les « faucons ». De même, elle insiste sur sa conviction que l’Amérique demeure une nation exceptionnelle, disposant de capacités uniques et inégalées pour être « une force de paix et de progrès » (src. : Time.com) dans le monde. La réaffirmation de ce credo vise autant à contrer le discours de Donald Trump, qu’à prendre ses distances avec un Président accusé par les conservateurs d’avoir nié l’exceptionnalisme américain.

Le positionnement d’Hillary Clinton tend ainsi à la rapprocher des centristes républicains, quitte à dérouter une partie de son électorat (notamment les partisans de Bernie Sanders, à l’aile gauche du parti) aussi bien que certains experts libéraux qui s’emploient à relativiser les tendances interventionnistes (src. : Brookings.edu) que lui prête la majorité des observateurs. Toutefois, cela correspond à une volonté d’affirmer sa posture présidentielle (voir infra) et ce n’est pas une véritable rupture, ni avec la ligne majoritaire, ni avec les campagnes précédentes (comme celle de John Kerry en 2004).

« Donald Trump renvoie dos à dos les visions

internationalistes libérale et néo-conservatrice »

A l’inverse, la posture adoptée par le candidat républicain constitue une remise en cause notable de la ligne traditionnelle du parti en matière de politique extérieure. Lorsqu’il s’efforce de présenter un discours contruit sur ce sujet (src. : NYTimes.com), il emprunte de nombreux arguments au courant généralement qualifié de « néo-isolationniste », préconisant une réduction des engagements coûteux des États-Unis (en particulier des alliances de défense) pour le maintien de la sécurité internationale, afin de se recentrer sur l’entretien de leur prospérité (éventuellement par le recours au protectionnisme). Il peut adopter un style étonnamment réaliste, pour expliquer que sa politique destinée à placer « l’Amérique en premier » (America First policy) visera à « créer de la stabilité dans le monde ». De même lorsqu’il souligne que la prudence et la retenue sont des vertus naturelles d’une superpuissance, la formule pourrait venir d’un discours du « pragmatique » Barack Obama. Donald Trump affirme en outre rejeter les politiques interventionnistes qui prétendent diffuser par la force des valeurs « dont tout le monde ne veut pas ». Il renvoie ainsi dos à dos les visions internationalistes libérale et néo-conservatrice, qui ont abouti selon lui à semer le chaos de l’Irak à la Libye et à permettre le développement de « l’islamisme radical ».

Même si ses positions sont loin de constituer un argumentaire cohérent, l’investiture de Donald Trump a porté au premier plan les idées d’un courant néo-isolationniste qui avait été marginalisé chez les Républicains après la défaite de Taft face à Eisenhower lors des primaires de 1952. Même à l’issue de la Guerre froide, les partisans du repli n’étaient pas parvenus à modifier leur image de « paléo-conservateurs », incapables de comprendre qu’il n’y a pas d’alternative au leadership américain. Ressucitée par le mouvement du Tea Party, en réaction aux excès de la politique de George W. Bush, cette tendance a su profiter de l’éclatement du consensus interne (src. : NationalInterest.org), qui voit la coexistence plus ou moins pacifique de quatre groupes représentant l’ensemble du spectre des  idées : depuis les « hégémonistes » à tendance messianique (les fameux « néo-conservateurs »), jusqu’aux néo-isolationnistes, en passant par les hégémonistes « classiques » (pour qui la suprématie est nécessaire à la préservation des intérêts) et les internationalistes « réalistes » (qui privilégient une utilisation prudente de la puissance). Alors que ces deux courants étaient dominants durant la Guerre froide, leur influence n’a cessé de décliner depuis, laissant s’affronter les deux tendances les plus opposées au sein du parti, représentées lors des primaires par Marco Rubio d’un côté et Donald Trump de l’autre.

« Les positions de Trump sur la politique étrangère,

son comportement lui ont aliéné

de larges fractions de la "communauté

stratégique" conservatrice »

Bien qu’il l’ait emporté, les divisions internes sur la posture internationale comme sur des questions intérieures, l’empêchent de bénéficier du soutien massif des républicains. Sa conception de la politique extérieure lui a certes aliéné une large fraction de la « communauté stratégique » conservatrice, dont une partie n’a pas hésité à se rallier à Hillary Clinton. Mais c’est plus encore son discours simpliste et son comportement erratique qui le discréditent auprès des experts.

Un débat centré sur les compétences du prochain Commandant en chef.

Pour Max Boot (src. : ForeignPolicy.com), Donald Trump n’est qu’un « démagogue », dont la vulgarité, l’ignorance et « l’admiration pour les dictateurs » représentent un véritable risque, car ce genre d’individus « a tendance à agir une fois en fonction comme il l’a annoncé lors de la campagne ». Or, l’essentiel de ses discours en matière politique de sécurité se compose effectivement de prises de position péremptoires, à forte dimension émotionnelle ou morale, et de propositions de solutions simples et radicales à des problèmes compliqués. Donald Trump annonce ainsi que sous son mandat, la « domination militaire » américaine sera « incontestée », qu’il sera « absolument possible » d’apaiser les tensions avec la Russie et de faire de la Chine « un meilleur ami », sans préciser par quels moyens il y parviendra. De même il affirme avoir « un plan » pour vaincre Daech rapidement, dont il refuse toutefois de préciser le contenu, afin de conserver l’avantage de la surprise sur l’adversaire.

S’il n’est pas le premier candidat à manifester une certaine méconnaissance des dossiers internationaux (on peut songer à Ronald Reagan ou George W. Bush chez les républicains contemporains), il est le seul à compter ouvertement sur son « sens des affaires » et son « très bon cerveau » (src. : Politico.com) pour compenser cette faiblesse. Loin de chercher à rassembler une équipe de conseillers susceptible de donner de la substance à son programme de politique extérieure, il adopte une attitude typiquement populiste : il marque sa préférence pour des personnes apportant « des approches et des idées pratiques » plutôt que les spécialistes ayant « de parfaits CV », qui « paraissent bien » dans le New York Times, mais « ne savent franchement pas ce qu’ils font ». Il affirme donc vouloir renouveler les responsables des questions internationales et de sécurité dans une « administration Trump », allant jusqu’à suggérer des changements (en réalité difficilement envisageables) au sein de la hiérarchie militaire, déconsidérée sous la présidence Obama. Toutefois, les quelques experts civils et militaires qui se présentent actuellement comme ses conseillers sont loin de constituer « du sang neuf », ou d’offrir une perspective politique cohérente.

« En s’attaquant au jugement des "experts",

Trump surfe sur le rejet d’un establishment auquel

on associe Clinton ; ce rejet est fortement

perceptible dans l’opinion »

En mettant en cause le jugement des experts, Donald Trump va dans le sens du rejet de l’establishment, fortement perceptible dans l’électorat républicain comme démocrate, et qui joue en défaveur de la candidate démocrate. Il peut reprocher à Hillary Clinton d’être en partie responsable du « désastre complet » qu’est la politique extérieure de l’administration Obama. Mais bien que de nombreux conservateurs partagent ce point de vue (src. : NationalReview.com), elle a réussi à se faire reconnaître par une partie significative d’entre eux comme plus compétente et raisonnable que le candidat républicain. Une majorité d’Américains considère qu’elle est « la personne la mieux préparée à devenir Président », pour reprendre la formule de Madeleine Albright (l’ex-secrétaire d’État durant le second mandat de Bill Clinton, entre 1997 et 2001, ndlr). Ses discours de campagne mettent l’accent sur l’importance du tempérament et des qualifications des candidats qui sont appelé à exercer les responsabilités de « Commandant en chef ». Ce sujet est important dans la mesure où les États-Unis sont toujours en guerre et le resteront certainement pour la durée du prochain mandat. Les républicains bénéficient généralement d’une plus grande confiance de l’électorat lorsqu’il s’agit d’entretenir la puissance militaire et de l’utiliser.

Mais Hillary Clinton s’emploie à changer les perceptions classiques, d’une part en exposant sa maîtrise des dossiers, qu’il s’agisse de la guerre en Syrie ou de la prise en charge des vétérans. Appuyée sur un réseau d’experts (src. : ForeignPolicy.com) qui couvre pratiquement tous les centres de recherche de tendance libérale, elle manifeste également son intention de dépasser le clivage partisan en réunissant des personnalités conservatrices et démocrates pour réfléchir aux enjeux. Elle a ainsi organisé en septembre une journée d’étude consacrée à la stratégie de lutte contre le terrorisme, à laquelle participait une quinzaine d’experts  : diplomates, militaires comme le général Petraeus ; anciens responsables politiques comme Janet Napolitano. Son site de campagne explique qu’elle entend être prête dès le premier jour de son mandat à traiter un problème de sécurité majeur. Elle souligne d’autre part l’expérience acquise en tant que sénatrice (membre de la commission des Forces armées) et surtout secrétaire d’État (de 2009 à 2013), rappelant qu’elle a été dans la « Situation Room » aux côtés du Président Obama lorsqu’il a eu à prendre des décisions cruciales, telles que l’élimination de terroristes.

« L’expérience de Clinton ne semble pas suffire

à lui conférer un avantage décisif

auprès de l’opinion »

Malgré le contraste évident avec l’inexpérience politique, et plus encore internationale, de son adversaire républicain, Hillary Clinton ne réussit pas à s’imposer auprès de l’électorat comme le meilleur « commandant en chef » potentiel. Une enquête (src. : TheHill.com) effectuée en septembre montre qu’elle est jugée légèrement plus compétente que son concurrent par une majorité de la population générale, mais que l’opinion est inverse dans la communauté militaire (incluant les personnels d’active et les vétérans). En fait, ceux-ci préfèrent à 37% le candidat du mouvement libertaire, Gary Johnson, suivi par Donald Trump (30%), puis Hillary Clinton (24%). Les sondages montrent surtout que le débat sur les qualifications en matière de sécurité nationale a conduit les Américains à douter des deux adversaires. Pour des raisons différentes, leur personnalité suscite autant de méfiance chez une grande partie des électeurs et la différence d’expérience politique ne suffit pas à donner l’avantage à Hillary Clinton.

Un contexte favorable à la révision des orientations stratégiques internationalistes.

La place secondaire des enjeux internationaux dans les préoccupations des Américains peut expliquer que le positionnement internationaliste d’Hillary Clinton ne lui serve pas. Même si les attaques terroristes aux États-Unis (San Bernardino en décembre, New-York en septembre) ou en Europe contribuent à placer épisodiquement le terrorisme en tête des enjeux électoraux, l’ordre des priorités redevient vite classique. L’économie reste le problème privilégié pour 35% des Américains (src. : Gallup.com) en août, la sécurité nationale n’étant une préoccupation que pour 7% des personnes sondées par Gallup. Parmi les sujets internationaux, le terrorisme est le plus important, les autres aspects de la politique extérieure étant ignorés.

Ce manque d’intérêt est habituel, mais il est renforcé par l’évolution de la perception du rôle que les Etats-Unis devraient tenir dans le monde, dans la mesure où une majorité d’Américains estime depuis 2013 qu’ils devraient se concentrer sur leurs problèmes (src. : People-Press.org) et laisser les autres pays gérer les leurs. En fait, Stephen Walt relève dans un article de septembre (src. : ForeignPolicy.com), que depuis la fin de la Guerre froide, les Américains ont constamment élu des présidents qui promettaient une politique extérieure modérée, un engagement limité et une restauration des bases intérieures de la puissance. Chaque campagne, de Bill Clinton jusqu’à Barack Obama, s’est faite sur le rejet d’une implication excessive de l’administration précédente dans les affaires du monde. Mais aucun président n’est parvenu à modifier réellement la ligne internationaliste que suit le pays depuis les années 1950.

« Dans un sondage paru au printemps 2016,

70% des personnes interrogées souhaitaient

un recentrage sur les affaires intérieures »

Avec encore 70% des personnes interrogées au printemps 2016 qui souhaitent un recentrage sur les affaires intérieures, il n’est pas étonnant que les deux candidats se fixent comme priorité la restauration des bases de la puissance, même s’ils envisagent des manières différentes d’y parvenir. Pour Hillary Clinton, cela doit néanmoins servir à soutenir le leadership indispensable des États-Unis sur la scène internationale, ce qui revient à poursuivre la ligne internationaliste traditionnelle. Pour son adversaire, la restauration de la puissance, économique et militaire, semble être une fin en soi, dans la mesure où il est difficile de savoir comment il l’utilisera. Les tendances « néo-isolationnistes » de son discours ouvrent la perspective d’un désengagement correspondant aux aspirations d’un nombre croissant d’Américains, comme en témoigne le score honorable du candidat libertarien dans les sondages. Mais la plupart des prises de position de Donald Trump permettent de douter de son aptitude à mener une politique de repli réaliste, de type « jeffersonien ». Il s’agirait plutôt d’une forme de la tradition nationaliste « jacksonienne » (src. : The-American-Interest.com), décrite par Walter Russell Mead, fondée sur le rejet des contraintes et institutions internationales au profit d’une défense sourcilleuse des intérêts souverains, appuyée par l’entretien d’une suprématie militaire « indiscutée ». Cette option ne serait probablement pas celle que souhaite la majorité des électeurs, mais elle constituerait effectivement une rupture d’envergure dans la politique extérieure des États-Unis.

 

Nicole Vilboux

 

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28 septembre 2016

Alain Duverne : « Le physique de Chirac a joué beaucoup pour sa carrière »

La fidélité de l’ami Alain Duverne, géniale maman des Guignols, artiste aux doigts d’or et à la pensée féconde, à Paroles d’Actu m’est précieuse : après notre longue interview de février 2013, il avait encore accepté, deux années plus tard, après la tragédie Charlie, de prendre la plume pour composer autour de la question d’actu,  « Peut-on rire de tout ? ».  On est toujours restés en contact, ce qui me ravit à chaque fois que j’y pense.

Le soir de la triste disparition d’Alain de Greef, l’ancien patron des programmes de Canal+ et papa des Guignols (son interview Paroles d’Actu est à lire ou à relire ici), le 29 juin 2015, j’avais eu à cœur de lui envoyer un petit message de sympathie et lui avais demandé une réaction ; elle ne s’était pas fait attendre et fut accompagnée d’une photo touchante des deux Alain prise un peu plus d’un an auparavant. Je n’avais jusqu’à présent publié ni l’une ni l’autre, cet article m’en donne l’occasion, et avec elle celle d’une évocation de ce grand bonhomme de la télé que fut Alain de Greef. Quelques lignes, efficaces et qui comme toujours avec lui savent aller à l’essentiel. « En économie, les Trente Glorieuses ont été une rare comète de croissance ; Alain, avec ta modeste et souriante faconde, tu as illuminé dans Canal+ une comète de-bien être dans la morosité française. Nous sommes des millions à te remercier. »

Les Alain

Un peu plus de deux mois après, en septembre, à la suite des grands chamboulements décidés à Canal+ par son patron Vincent Bolloré, je lui avais demandé ce qu’était pour lui l’esprit Canal ; sans surprise sa réponse fut franche et pas encombrée de bien-pensance : « J’ai peur de décevoir en décrivant l’esprit Canal. Il a donné un reflet flatteur à la nouvelle classe sociale nommée bobocratie. Du pain et des jeux, ici et maintenant, décontract’, en toutes amitiés avec les gentilles politiques de gauche qui nous protègent,  et nous libérent des soucis d’avenir. »

Ces quelques derniers jours, par-delà les clivages politico-partisans, on est nombreux à avoir une pensée pour l’ex-Président Jacques Chirac, en proie à de très sérieux soucis de santé. Chirac, c’est un peu notre jeunesse (votre serviteur avait 10 ans quand il a pris l’Élysée, 22 quand il l’a quitté), et il dégageait quelque chose de bienveillant, de « sympa ». Il a été et restera peut-être comme « la » vedette historique des Guignols. J’ai tout naturellement que j’ai proposé à Alain Duverne d’écrire quelques mots sur lui et sa marionnette, tout cela étant précédé d’une réflexion sur un de ses grands chevaux de bataille, la tyrannie de la grammaire et de l’orthographe dans le français. Merci cher Alain pour cette nouvelle marque de confiance ; au plaisir de vous donner la parole pour évoquer vos projets à venir - et d’avenir ! Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

*     *     *

 

Sur la langue française

Les Français sont un peu plus schizophrène que les autres peuples, parce qu’à l’âge de leur initiation, on les plonge dans le dogme orthographique en leur faisant croire que c’est de la culture. En fait, l’orthographe est une immense culture pour les linguistes et les historiens qui ont là, les reliques de dix siècles d’histoire de l’écrit des langues européennes, mais pas pour les gamins de huit ans !

« La langue appartient au peuple, mais

l’orthographe déraisonnable appartient à l’État »

Pour les enfants malheureusement, c’est de la pure obéissance à l’État. Ils doivent obéir sans comprendre, sans poser de question et sans se poser de question. La langue appartient au peuple, mais l’orthographe déraisonnable, opaque et filandreuse appartient à l’État. La Révolution française a gardé la même instruction pour les enfants que l’instruction monarchique précédente. L’orthographe, la plus dogmatique des religions, forme des monoglottes orthographeurs franco-français. Mais les jeunes s’en balancent, ils préfèrent avoir une belle syntaxe, plus de vocabulaire, apprendre la musique, etc. Ils pensent que les correcteurs des ordis sont bien suffisants.

Pourquoi perpétuer cette tyrannie de l’orthographe grammaticale et lexicale alors que l’enfant, à quatre ans, a déjà acquis l’essentiel de la grammaire de sa langue maternelle ? Confondre la grammaire que tous les enfants acquièrent brillamment et joyeusement dans leurs premières années, avec l’orthographe grammaticale et lexicale, qui en dégoûte un sur deux plus tard, est en effet une brouille que la névrose orthographique française entretient. Il y a de grands noms et de grands savants qui ont vilipendé l’orthographe. D’autres, avec moins de discernement, disent que c’est la science de l’âne. Ils ont tort, car il faut apprécier d’autant plus les ânes qui, comme les zèbres ou comme les chats, ne se laisseront jamais domestiquer par l’homme. Ce n’est pas le cas de ces chevaux qui obéissent aux leurres de leur dressage.

Dans la francophonie, voulons-nous développer la clarté et le rayonnement de la pensée… grâce aux accords du participe passé ?

 

Sur Chirac, sa marionnette, et les rumeurs

La confusion entre l’affect et la raison des Français est la principale nuisance dans notre démocratie.

Jacques Chirac qui s’est montré comme un sympathique Roi, ainsi une grande partie des gens l’aime mais déteste l’homme de “droite” qu’elle à dû réélire de force !

Je suis marionnettiste justement pour utiliser les marionnettes comme moyen pédagogique pour instruire mieux que des ministres, mieux que des profs… Mais ce fut autre chose :

Nous avons ri avec le Guignol de Chirac, et la rumeur populaire a dit que son Guignol l’a fait réélire !

Nous n’avons pas beaucoup ri avec le Guignol de Nicolas Sarkozy, facho et renégat excité, mais ici, la rumeur populaire n’a pas dit que son Guignol l’avait fait perdre ? Pourtant, Sarkozy aurait fait rire la France en un superbe Louis de Funès. C’est sous Sarkozy que les Guignols de Canal+ ont perdu beaucoup d’audience. Espérons que cette année ils reprennent de la vigueur.

 

Chirac Les Guignols

 

Quand j’ai modelé la marionnette de Chirac, je me suis inspiré aussi de vingt ans de travail des caricaturistes, ce qui explique aussi la réussite de cette marionnette.

« Le physique de Chirac a joué

beaucoup pour sa carrière »

(...) Chirac, comme tout bon acteur politique, est un personnage qui doit se montrer sympa au yeux du peuple. Physiquement, ses paupières en toit de chaume, l’on beaucoup aidé à exprimer la compassion et la mansuétude. A contrario, sa forte mâchoire et son sourire tiré vers l’arrière par le muscle buccinateur, montraient le combattant, voire le tueur pour ses rivaux. Ses lèvres charnues bien dessinées en faisaient un amant attractif. Le mythe de son appétit gargantuesque, avec une tête de veau pour son repas, le rapprochait d’un autre mythe français, celui du Gaulois. Sa grande protubérance nasale, carrossée comme un avant de TGV, le faisait arriver le premier sur les bons coups, y compris pour les coups sexuels. (Vous voyez où je veux en venir, avec son nez !) Ce qui veut dire que son physique a joué beaucoup pour sa carrière, quelle chance pour les Guignols de Canal+, dont il était la star !

 

Jacques et Bernadette

 

Utopique ?

Demandez-moi de vous modeler un président pour 2017 ?

Eh bien, je vous ferais tout autre chose, parce que je souhaite qu’il inspire aux Français d’être en politique plus raisonnables qu’affectifs, et que son “coefficient de binette” peopolisable ne soit pas pris en compte, puisqu’il n’est pas là pour jouer la comédie. On pourrait ne pas le connaître, il s’appellerait Le Huitième.

On s’informerait sur son travail parce qu’on sait écouter et lire. Il pourrait parfois être représenté par des comédiens. Nous serions dans une nouvelle ère, celle de la démocratique intelligente et de la politique de la raison. Fini l’affectif et les affects, laissons cela dans la famille, nous supportons de moins en moins d’être pris pour des gamins.

par Alain Duverne, les 22 et 26 septembre 2016

 

Alain Duverne 2016

 

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26 septembre 2016

Le FCGB : club de sport et de coeur (35 ans)

Lorsque j’ai publié, le 2 août, l’article construit autour de mon interview de Lucas Fernandez, de sa passion de la boxe et du club fondé par son grand-père, je ne pensais pas forcément en publier un autre autour de ce même thème, en tout cas pas tout de suite. Et puis, j’ai continué à échanger un peu autour du club et de la boxe avec les personnes qui avaient répondu à mes questions pour cet article, et avec d’autres, qui ont réagi à celui-ci. Je me suis intéressé encore un peu plus à la boxe, univers qui il y a quelques mois m’était totalement inconnu ; je me suis intéressé surtout à ce club, le Full Contact Gym Boxe de Vienne (Isère), parce que son histoire, parce que l’atmosphère et les bonnes ondes qu’il dégage, m’ont touché.

Le club célébrera ses 35 ans à la fin de la semaine ; cet article se veut un hommage assumé et appuyé à une belle aventure sportive et humaine, débutée en 1981 et qui, par bonheur, perdure encore. J’ai souhaité inviter quatre membres bien identifiés du club, sa présidente Véronique Arnaud, l’entraîneur-manager Olivier Perrotin, l’entraîneur Anthony Gonzalez, ainsi que le jeune boxeur Valentin Armada, à évoquer pour Paroles d’Actu cette histoire à travers, pour chacun, leur aventure personnelle. Je remercie chacun d’entre eux de la bienveillance que tous m’ont témoignée et pour la force de leurs témoignages. Des remerciements tout particuliers à Véronique Arnaud et à Olivier Perrotin, qui ont accepté de partager pour cet article quelques unes de leurs photos d’archives.

FCGB

Photo prise par votre serviteur, le 28 septembre 2016...

Cet article, c’est aussi, dans l’esprit, un hommage par l’exemple à toutes ces associations, à tous ces bénévoles qui, parfois dans la difficulté, mais toujours avec enthousiasme, œuvrent au mieux-vivre collectif. Je le spécial-dédicace à Carlos Fernandez, le fondateur du club : ces témoignages étaient appelés à être particulièrement concentrés sur sa personne, et aucun des contributeurs n’a eu à se forcer pour le faire tant il est respecté et semble dégager du positif ; spécial-dédicace également pour son petit-fils Lucas, sans qui je n’aurais sans doute jamais entendu parler du FCGB - et donc jamais élaboré ces deux articles qui se complètent l’un-l’autre.

La conception de cet article m’a pris beaucoup de temps. Il est long, pas forcément évident à lire ; l’exercice est exigeant, à voir plutôt comme un mini-livre, mais je crois que chacun de ses éléments, chacun des témoignages qui le composent en valent la peine, vraiment. Cet article est je crois, pour avoir expérimenté la chose en le composant, de ces lectures dont on ne sort pas tout à fait indemme. Du fond du cœur, je m’associe pleinement à tous les bons vœux pour l’avenir du club. Et je remercie encore Véronique de Villèle pour le geste d’amitié qu’elle avait accepté de faire pour le FCGB lors du premier article. Voilà... j’arrête de parler pour ne rien dire. La parole à quelques membres remarquables du FCGB, « club de sport et de cœur ». Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Le FCGB : club de sport

et de cœur

Paroles de passionnés - Article 35ème anniversaire

 

Partie I: le texte d’Olivier Perrotin

recueilli le 19 septembre 2016

Carlos et Olivier 

Photo sélectionnée/commentée par V. Arnaud : « Carlos et Olivier, pour la promotion

du premier livre d’Olivier, Drôle d’endroit pour un ring, en 2014. »

Carlos, on l’aime ou on le déteste, mais il laisse rarement indifférent. Homme de convictions, ami fidèle, c’est un chef de bande, un combattant hors pair. Bien sûr, il n’est pas exempt de défauts et de contradictions, ce n’est qu’un être humain, mais dans ce qui lui sert de passion, c’est une pointure.

Précurseur : Il a amené la gym tonic, le full-contact et la muay-thaï (boxe thaïlandaise, ndlr) dans le Nord-Isère et a organisé les premiers combats de free-fight...

L’enseignement des sports de combat : Il a formé 97 champions de France dans les trois disciplines enseignées, 7 champions d’Europe, 2 champions du monde, une foison de médaillés en championnats internationaux et deux des boxeurs qu’il a encadrés ont participé aux Jeux olympiques (Sydney en 2000 et Rio en 2016). Pas mal pour un petit club de province... Mais, surtout, le quadragénaire, le petit de neuf ans, ou la jeune fille de vingt ans, tous et toutes sont importants à ses yeux. Chacun l’est autant que le champion d’Europe.

L’organisation : 111 événements de boxe (tous styles), mais également des concours de bodybuilding, des kermesses, des soirées, des trophées, des barbecues, des anniversaires, et j’en passe et en oublie... c’est son truc, il adore.

 

Barbecue 

Photo s./c. par O. Perrotin : « Juillet 2015, événement phare de la vie du club,

le barbecue de fin de saison où les adhérents, leurs familles et les amis se retrouvent.

Ici en cuistot, Carlos avec le mari d’Annette. Annette qui, hélas, est décédée cet été... »

 

L’amitié : C’est le ciment de son engagement... Créer, autour d’une passion commune, un groupe composé de personnalités aussi diverses que variés qui ont participé à l’aventure et qui se retrouvent régulièrement.

Les voyages : Un sac et un billet d’avion ou de train et le voilà parti, avec Véro, parcourir le monde en bon globe-trotter qui se respecte.

« Carlos m’a appris que tout est possible...

il suffit de s’en donner les moyens. »

Carlos, qui, derrière une façade insondable cache un cœur d’or et un véritable amour de son prochain, qu’il ne sait - ou ne veut - pas exprimer, m’a appris que tout est possible, il suffit de s’en donner les moyens.

 

*     *     *

 

Quelques photos...

 

Marvin Falck

Photo s./c. par V. Arnaud : « Marvin Falck (droite) lors d’un gala

de boxe à Saint-Romain-en-Gal, novembre 2012. »

 

Paul Omba Biongolo

Photo s./c. par V. Arnaud : « Novembre 2003. Combat du boxeur viennois Paul Omba Biongolo,

qui a quitté le club l’an dernier. Il a participé cette année aux J.O. de Rio

mais a été éliminé au premier tour ; il avait pourtant des chances de médaille. »

Crédit photo : Mohamed Laroui.

 

Muay-thaï

Photo s./c. par O. Perrotin : « 2011, lors de la rencontre France-Thaïlande que Carlos a organisée

à Vienne... Des boxeurs du club évoluent en muay-thaï,

Carlos a voulu les récompenser de leurs bons résultats. »

 

Lucas Fernandez (Vienne) vs Mayoud Bengou (La Cotonne)

Photo s./c. par V. Arnaud : « Novembre 2013. Combat entre Lucas Fernandez

(Vienne, à droite) et Mayoud Bengou (La Cotonne). »

 

Combat féminin

Photo s./c. par V. Arnaud : « Combat féminin lors d’un gala à Saint-Romain-en-Gal. »

 

Marvin Falck et Olivier Perrotin

Photo s./c. par V. Arnaud : « Olivier et Marvin Falck lors du dernier gala de boxe organisé

par le FCGB à Saint-Romain-en-Gal, en novembre 2013. » Crédit photo : Mohamed Laroui.

 

*     *     *

 

Partie II: l’interview de Valentin Armada

réalisée le 24 septembre 2016

Valentin avec Olivier 

« Avec Olivier. Mes premiers combats. »

 

Tu te présentes ? Tu racontes ta « rencontre » avec le FCGB ?

(...) Je m’appelle Valentin Armada, j’ai eu 18 ans le 15 septembre. Inscrit à l’institution Saint-Charles à Vienne lors de mes années de lycéen, je viens d’obtenir mon Bac S. J’habite pour ma part à Ternay, un petit village tranquille à coté de Vienne.

J’ai commencé à entrer dans l’univers du FCGB en 6ème. Avant, je faisais pas mal de sports différents (judos, escalade, plongée, gym, etc...), toujours des sports assez solo - j’y reviendrai - parce qu’étant assez craintif et timide quand j’étais petit, je n’aimais pas l’ambiance des sports collectifs. Je n’ai jamais voulu faire de foot, ça avait d’ailleurs « surpris » certains. J’aimais y jouer avec des potes, au « city » ou en récré, pour le fun mais jamais en tant que « sport ». Je n’ai jamais adhéré à l’atmosphère des terrains de foot, et je la connais bien, de près, puisque mon grand-frère a joué en CFA1.

En 6ème, donc, mon père, qui a toujours fait beaucoup de sport de combat, m’a proposé de le suivre au FCGB, où il s’était inscrit. Il y avait « l’école de boxe » avec des jeunes de mon âge, j’ai dit, pourquoi ne pas essayer ! J’avais pas peur de la « bagarre » puisqu’avec mon frère on se tapait dessus très souvent, et ça ma mère, ça la rendait folle...

J’y suis donc allé, une première fois. J’y ai été très bien accueilli, par des ados de mon âge, qui sont aujourd’hui devenus de très, très bons amis (je peux citer Quentin, Lucas, David, Mickaël, Romain, Angelo, Léon, Gabin... et plein d’autres auxquels je pense, mais je peux pas vous citer tous les amis !).

Voilà en tout cas comment l’aventure FCGB a commencé... sur un coup de tête.

Tes premiers pas ?

Mes premiers pas, ou plutôt, mes premiers coups !

À chaque début d’entraînement, on a trois rounds de 3 minutes de corde à sauter. Je me souviens encore de mes premiers sauts à la corde... un désastre ! Mais la corde, c’est comme le vélo : une fois qu’on l’a, on ne le perd pas. Alors, maintenant, je sais faire ! Dans tous les cas, je n’avais pas le choix : je devais savoir faire. Le chef, Carlos, l’avait ordonné. Pour les passages de ceinture, on devait savoir sauter à la corde 3 minutes sans arrochage, en gros sans s’arrêter. Donc on était obligé de savoir faire. Il faut savoir au passage que la corde est très importante en boxe (pour les appuis, le cardio, etc...).

Je me souviens aussi des premières compétitions. À chaque fois, on arrivait à sept, huit boxeurs, mais surtout potes. Quand un pote à nous passait sur le ring, on était tous autour pour faire un max de bruit et l’encourager ! C’est bien de savoir qu’on est entouré, mais il faut toujours garder la tête sur les épaules, et surtout ne pas s’enflammer. On n’arrêtait pas d’embêter Olivier, qui est assez strict sur la nourriture : alors qu’il nous voyait avec un verre de Coca, on le chambrait en lui répétant ce qu’il nous disait au club : « Un verre de Coca, c’est 20 minutes de vélo ! ».

Les compétitions avec « l’Équipe » - je nous appelais comme ça -, c’était plus une sortie scolaire, ou une colonie ! Je me souviens encore de ce moment où mon pote Mickaël Barbe n’était pas au poids et devait perdre un kilo. Je mangeais mes pâtes devant lui, alors qu’il était en train de suer à la corde pour perdre son kilo ! Ou encore de ces combats où, avec David D., on encourageait des personnes qu’on ne connaissait pas !

Ma première compétition, c’était à Saint-Chamond. Je combattais hors catégorie. Le mec était plus vieux, plus lourd que moi... mais j’ai gagné. Comme m’avait dit Carlos, « qu’il soit blanc/noir/gris/jaune, grand/petit/gros/maigre, on s’en fout ! ». Et c’est vrai que ce ne sont pas les plus gros/grands/musclés qui sont forcément les plus méchants.

Donc, pour en revenir à ce premier combat, j’ai suivi les conseils de Carlos, ceux d’Anthony et de Kamel sur le ring. Quand j’étais petit, je stressais énormément, sur le trajet. On faisait souvent des compétitions à Saint-Étienne, et quand sur l’autoroute, je voyais le panneau « Saint-Étienne », parfois je crois que je pouvais être prêt à tout pour faire demi-tour ! Je voulais pas y aller, j’avais mal au ventre. Mais une fois arrivé autour du ring ou dans la salle, je sais que je transformais ce stress en niaque et en motivation. Ce qui m’a servi y compris dans la vie de tous les jours, pour passer des oraux, des épreuves pour le brevet/Bac, ou actuellement, en médecine.

Voilà un peu, quelques mots de mes premiers pas au FCGB, sur tous les passages cités, on avait entre 10 et 14 ans !

L'équipe

« L’équipe, comme je nous appelais ! L’école de boxe, une bonne bande de potes ! »

Quelques expériences marquantes ?

Mes expériences... il y en a beaucoup, puisque chaque jour on apprend quelque chose, au club. C’est bien plus qu’un club de boxe : on n’apprend pas seulement la boxe, on apprend aussi la vie !

« Perso, j’adorais boxer avec un public contre moi »

L’expérience des compétitions, je l’ai un peu abordée avant. On évolue beaucoup en faisant des compétitions. C’est pas comme au club ! On nous change d’environnement, on boxe contre des personnes qu’on ne connaît pas, avec un public, qui est avec ou qui est contre nous ! Perso, j’adorais boxer avec un public contre moi. J’avais ma façon de boxer bien à moi, qui était de légèrement et gentiment narguer mon adversaire, avec des sourires ou des clins d’oeil. Et quelques petits pas de danse ! D’ailleurs, la boxe est une danse avec du contact.

Je me souviens de ma deuxième finale inter-régions BEA (boxe éducative, ndlr), pour me qualifier au championnat de France BEA (la deuxième fois). Je crois que ça a été le combat le plus chaud. J’étais le dernier combat de la journée, alors tout le public était venu autour du ring. Et comme à mon attente, ils étaient contre moi ! Alors bien sûr, mon sourire était beaucoup plus claquant, pour le partager avec tout ce public « hostile ». Je souriais deux fois plus, et je narguais mon adversaire encore plus ! Bien évidemment, je restais concentré, et je faisais mon job qui était de « marquer le plus de points pour gagner ». Mais j’adorais entendre tous ces gens crier leur haine contre moi, et voir l’adversaire s’énerver, et donc perdre tous ses moyens ! Puis, quand je suis sorti du ring, j’étais avec Anthony, et mon père je crois, c’était chaud ! Tout le monde était là, je passais entre les gens, je sentais leurs regards sur moi. J’adorais ce sentiment de jalousie que je sentais sur moi. Je me souviens d’ailleurs de deux filles qui, dans un langage très... familier que je ne rapporterai pas ici, m’avaient dit : « C’est notre pote qui devait gagner, il est plus fort que toi en vrai ! ». La démonstration s’est faite sur le ring, j’ai gagné, à l’unanimité.

Une autre expérience, hors ring. Le FCGB, c’est une famille, et donc, parfois, on fait des restaurants tous ensemble, et même des sorties nocturnes. Cette année, après les vœux du club à la mairie de Vienne pour la nouvelle année, on est allés en boîte de nuit avec plusieurs personnes du club. Des adhérents de tous âges. Du haut de mes 17 ans j’étais le plus jeune, les autres étaient tous adultes. On avait pris deux-trois bouteilles... parce que même si on est sportifs, on est fêtards ! Et j’ai passé une superbe soirée avec notamment mon prof, Anthony, qui était de repos ce soir-là et a pu venir avec nous. Jérémy, le prof de MMA, qui était le DJ de la boîte de nuit, avait mixé ce soir-là. Moi, comme à mon habitude légèrement alcoolisé, je lui ai raconté tout plein de bêtises comme s’il était mon meilleur pote d’enfance ! Comme quoi, même avec plus de vingt ans d’écart, on peut avoir une forte amitié !

À l’instant, je pense à une autre anecdote. J’en rigole encore, et je pense que ceux qui l’ont vécue et qui liront ce paragraphe en riront encore ! C’était à la remise des trophées de la ville de Vienne. Quentin Drevon et moi étions invités pour nos titres de champions de France. D’autres prix étaient remis à des gens de notre club, notamment à un ancien du club, qui était félicité pour un titre qu’il avait eu un bout de temps avant et qui n’avait pu être présent ce jour-là. Olivier a donc demandé à Quentin d’aller chercher la coupe pour l’absent. Au micro, vient le nom de cette personne (dont j’ai oublié le nom, je m’en excuse). Quentin, comme à son habitude, très droit et sérieux, était déjà présent sur l’estrade pour aller récupérer le trophée. Malheureusement, la personne au micro ne s’était pas rendu compte que Quentin (17 ans, je précise pour la suite) n’était pas la personne en question, qu’il était juste venu récupérer le trophée à sa place. La présentation qui était faite du boxeur ne collait d’ailleurs pas avec Quentin, puisqu’on parlait alors d’un adulte ancien boxeur, etc... Finalement, tout le monde a applaudi et clamé le nom de Quentin pour son titre... vieux de plus de 40 ans ! Alors, évidemment, avec Romain, Olivier, Anthony, on était explosés de rire, et on applaudissait aussi fort que possible. Et le plus drôle a été la réaction de mon pote Quentin, comme je l’ai dit toujours sérieux dans n’importe quelle situation, et qui a su rester aussi « normal » que possible : il a remercié le public d’un signe de main ! Le geste de trop, ça a dû nous prendre 25 minutes, avant qu’on récupère nos esprits !

Voilà quelques unes des anecdotes que j’ai pu vivre... on peut le voir, le FCGB n’est pas seulement un club de sport où l’on apprend la boxe. On rit, on fait d’autres choses, pas « seulement » de la boxe. À chacune de mes expériences, j’ai appris quelque chose. J’ai appris à garder mon calme dans lors de combats chauds ou dans d’autres situations. J’ai appris à ne pas avoir peur de quelqu’un parce qu’il est musclé, etc... À ne pas me fier aux apparences, et ça, on l’apprend en compétition, ou lors des « assauts » du vendredi.

Un exemple simple : mon ami Marvin Falck. Au premier abord, on peut se dire, « lui il fait de la boxe » ? Pas très grand, des petites lunettes fines qui vont bien avec ses jolis cheveux soyeux (je le taquine sur la description !), 60 kg, etc... pas vraiment l’image du boxeur à la Mike Tyson ! Eh bien, je l’ai vu coucher des mecs que, moi, je ne peux regarder qu’en levant la tête ! Son palmarès : champion d’Europe en full, médaille de bronze en coupe du Monde Wako, champion de France...

Une autre chose que j’ai apprise, notamment grâce, ou à cause des compétitions... c’est que, partout, il y a des gens malhonnêtes ! J’ai vu des combats avec des décisions plus que douteuses. J’ai déjà jugé et arbitré des combats de boxe, donc quand je regarde un combat, c’est différent par rapport à une personne qui ne connaît pas le système de pointage, et plus encore la boxe. On se rend compte que même pour un sport où, à mon niveau, il n’y a pas ces questions d’argent, de sponsors, etc... qu’on pourrait trouver en boxe pro, certains sont prêts à tout, mais pas dans l’esprit du club et encore moins celui du FCGB ! Une victoire ça se mérite, ça ne s’achète pas ! Phrase que je pourrais recycler pour la Ligue 1 (petite pique au passage !).

Tes grands moments ?

Le plus grand, je pense, ça a été mon titre de champion de France BEA en 2013, j’avais 14 ans. Avec Quentin, lui aussi devenu champion de France, et il le méritait, et également Axelle !

Valentin championnat 2013

« 2013. Premier championnat de France. »

Ce moment où tu montes sur la première marche du podium, où tu regardes les autres et où tu te dis, « C’est moi le chef maintenant ! et je le resterai ! ». C’est un peu la récompense ultime. Tu t’entraînes tout une année, tu fais attention à ce que tu manges pour être au poids, tu t’entraînes sérieusement et très souvent, pour arriver à l’objectif que tu t’es donné, et tu y arrives ! C’est juste magique. Et plus magique encore de se dire que toi, petit de 14 ans, tout tranquille, même un peu timide, au collège dans un petit village de campagne, tu arrives à être champion de France ! Pour certains, c’est pas grand chose mais pour moi, quand même ! Ce titre m’a ouvert les yeux sur le fait que la boxe m’a fait devenir compétiteur, y compris dans la vie de tous les jours, avec à chaque fois des objectifs à atteindre. J’ai été heureux de partager cette médaille avec mon pote Quentin, je lui envoie un petit clin d’œil ! Après, le plus dur, comme nous le répète Carlos depuis tout petits, c’est pas d’être champion mais de le rester. Et c’est vrai, parce que l’année d’après, quand tu retournes faire les compétitions, les gens de la boxe - un petit cercle de mecs qui se connaissent tous au moins de vue - savent qui tu es, comment tu t’appelles, et ce que tu as gagné ! Donc, tous ces autres boxeurs s’entraînent pour une chose : te battre. Toi.

Donc, l’année d’après, je me suis entraîné encore plus dur, et j’y suis retourné avec Anthony, mon coach, et Gabin, un autre boxeur, pour cette fois me prouver que je pouvais garder mon titre et que tous ces boxeurs ne s’étaient pas assez entraînés pour me battre. Gabin a eu la médaille de bronze ! Il s’était battu pour cette troisième place, super classement donc. Quant à moi, j’ai réussi à garder mon titre !

Ensuite, à 16 ans, je suis passé en Amateur, et là ça a changé ! Tu t’entraînes avec les adultes, le KO est autorisé. Les entraînements, c’est pas les mêmes : ça tape fort, tu fais des assauts contre des personnes de 25 ans, qui eux ont de la vraie force, une force d’adulte quoi ! Et tu comprends vite que maintenant, ça rigole plus. C’est là que le mental s’est encore plus forgé. Avant, j’avais déjà la niaque et l’envie de me dépasser et de gagner... mais là c’était toujours plus dur... Je me souviens, les mercredis soirs, c’était l’entraînement le plus dur. On faisait des accélérations sur les sacs pendant plusieurs rounds. Des minutes interminables où tu tapes sans réfléchir, toujours plus vite, toujours plus fort, et sans jamais abandonner...

« Le mental, c’est savoir dire "non" à ses désirs »

Tu as toujours, dans ta tête, cette petite voix qui te dit, « Arrête, t’as mal au bras, pourquoi tu fais ça... arrête toi 5 minutes, tu continueras après... », etc... Et là tu te dis, « Ta gueule ! ». Tu arrêtes d’écouter cette voix. Tu boxes, tu boxes encore et toujours. Et le mental, je pense que c’est ça : savoir dire non à ses désirs. Tu veux atteindre ton objectif, eh bien, il faut passer par des moments durs, difficiles, et pas souvent drôles. Mais quand tu as fini, quand tu as dépassé ce moment dur, tu es plus qu’heureux, et soulagé. Et la fois d’après, tu pourras te dire, « Je l’ai réussi la semaine dernière, alors cette fois je vais y arriver, et même mieux ! ».

Un autre moment, c’est le samedi matin, à la course ! Notre cher Olivier adore nous concocter des entraînements de course, comment dire... durs et épuisants ! C’est sûrement pour ça que certains nouveaux n’osent pas venir ou revenir. Petit clin d’œil à Olivier. Mais je rassure tout le monde : les entraînements sont faisables, et ils s’adaptent à chaque niveau. Pour s’améliorer, ils sont primordiaux ! Je courais souvent avec mon ami Romain Plutta, et à ces entraînements, tu te forges vraiment ton mental. Le mental c’est quand même le plus important selon moi. Si on veut travailler il faut du mental : si on n’en a pas, on ne travaille pas, et donc on ne progresse pas !

Pour en revenir aux entraînements du samedi... Tu es seul à courir, sans musique, sans aucun bruit, et tu cours le plus vite possible, sans t’arrêter, pendant un temps calculé, et pendant ce laps de temps, tu dois tout donner. Et c’est vraiment dur, parce qu’à chaque fois j’essaie de courir plus vite que la séance d’avant. Et c’est dans ces moments-là qu’il te fait vraiment faire abstraction de cette voix qui te dit d’arrêter. T’as mal aux jambes, t’as du mal à respirer... mais tu continues à courir ! Je me disais souvent que la seule chose qui pouvait me stopper, c’était mon corps ; mon esprit, mes pensées, je ne les écoutais pas. Si je courais encore, si j’étais capable de respirer, c’est que je pouvais donner plus encore. Tant que mes jambes ou mes poumons ne s’arrêteront pas eux-mêmes, je continuerai !

Tous ces moments passés au sein du FCGB m’ont fait évoluer dans la vie. Je suis actuellement en Médecine, et il faut travailler tout le temps. Certes, parfois, je préférerais parler avec mes amis, sortir le soir, boire un coup en ville en fin de journée... Mais non, je peux pas ! Et certaines personnes ne le comprennent pas ! J’ai une amie qui me dit tout le temps que je bosse trop, que mon cerveau va exploser, et qu’avant je passais trop de temps à la boxe, etc... Mais si je bosse autant, à la boxe ou maintenant, dans mes études, c’est que j’ai mon objectif, et que je veux l’atteindre ! Je ne travaille pas autant pour rien ! Je donne tout pour ne jamais rien regretter. Une fois mon objectif atteint, je pourrais sortir... et profiter ! mais avant, il faut travailler dur !

Eh oui, je fais abstraction de mes désirs pour atteindre mes objectifs, mais toutes ces envies, de voir mes amis, de faire la fête, etc... je les assouvirai en temps voulu, comme je les ai assouvies en temps voulu auparavant.

Je pense qu’il y a des moments pour travailler et des moments pour faire la fête, qu’il ne faut pas mélanger les deux mais faire le maximum dans les deux domaines ! J’éclaircis mon propos : au moment où l’on peut faire la fête, ou voir ses amis, il faut le faire au maximum, profiter au maximum ! Comme ça, quand c’est le moment de bosser, on ne perd pas son temps à penser et à regretter de ne pas avoir fait la fête quand on le pouvait ! Puis, une fois le moment de travail passé, on ne regrette pas de ne pas avoir assez travaillé quand c’était le moment parce qu’on a voulu faire la fête.

En résumé, il faut savoir ce qu’on veut, et s’en donner la peine ! Savoir pourquoi ou bosse, pour qui on bosse !

Valentin avec Anthony et Marvin

Valentin entouré d’Anthony Gonzalez et Marvin Falck.

Des déconvenues ?

Je n’en ai pas vraiment, puisque, comme je l’ai dit, je ne regrette jamais rien.

Je pense à mon tout dernier combat, en demi-finale interzone - championnat de France junior des moins de 64 kg. Un des plus chauds et des plus durs. Un adversaire très bon et, comme je l’ai dit avant, à la boxe tout le monde se connaît. Je savais qui il était, et il savait qui j’étais. Deux champions de France BEA, alors dès les premiers coups, chacun a compris que ce combat, ça n’allait pas rigoler ! On savait tous les deux ce qu’on venait chercher, et on a tous les deux tout donné ! Trois rounds de 3 minutes, on était épuisés. Malheureusement, le camp adverse a remporté le combat, mais je n’ai pas démérité, je m’étais donné à fond. Donc, je ne regrette absolument rien : il était tout simplement plus fort.

Je pourrais aussi revenir sur mes premiers championnats de France en Amateur. J’avais gagné tous mes combats et mes finales régionales pour me qualifier aux interzones du championnat de France. Mais sur ma licence amateur, je n’avais pas mes six combats officiels, seulement quatre, donc je n’ai pas été autorisé à continuer... J’ai été déçu, mais bon, c’est la vie ! Mes entraîneurs avaient fait leur maximum pour essayer de me faire passer, je les en remercie d’ailleurs.

Ce que la boxe représente pour toi ?

Hum... un moment de détente, où tu te poses, où tu effaces tes problèmes ! C’est un peu bête de se dire qu’on se « tape dessus », quoi ! Mais je sais qu’avec mon ami Guillaume, par exemple, on a nos petites habitudes, et tous les vendredis, on fait le premier assaut ensemble.

À chaque fois, on fait n’importe quoi ! On s’amuse, on rigole, on se pousse, etc... Deux enfants, quoi ! Mais c’est aussi un moment de partage. Partage de coups, certes ! mais chacun fait attention à l’autre. À l’entraînement, chacun cherche à toucher l’autre, et non pas à lui faire du mal. C’est un jeu. Exactement comme l’escrime : on s’amuse à celui qui touchera l’autre le premier, le plus vite, sans se faire toucher.

« La boxe, c’est un peu comme une thérapie »

Donc la boxe, au FCGB, c’est vraiment un moment où tu te détends ; parfois, tu vas en « chier » et travailler dur, mais tu t’évades, tu dépenses ton énergie, tu évacues tout le stress, l’énervement que certaines personnes te procurent à longueur de journée. C’est un peu comme une thérapie en fait. Certains vont chez le psy pour parler, moi je vais à la boxe pour évacuer tout ça ! Moi j’ai choisi la boxe, pour d’autres, c’est un sport autre.

Ce que le FCGB représente pour toi ?

C’est plus qu’un simple club de sport ! Dans ce club, on est tous mélangés : garçons, filles, enfants, adultes... et surtout, de tous niveaux sociaux. Il n’y a pas de distinction. Le FCGB, c’est avant tout le respect.

Ce respect, on l’apprend dès le début aux nouveaux, et aux enfants à l’école de boxe. On apprend aux petits à respecter toujours les anciens, à écouter leurs conseils. Cela manque dans notre société occidentale, alors que dans certaines civilisations, africaines ou autres, la parole du plus âgé est au centre : tout le monde lui doit le respect et sa parole est sacrée puisque lui a vécu ce que nous, nous allons vivre ! Alors qu’ici, on met nos anciens dans des maisons pour les maintenir en vie le temps de préparer les papiers avant de ramasser l’héritage. Le premier héritage, c’est plutôt leurs expériences, qu’on devrait prendre le temps d’écouter !

Donc, je disais, le respect. Mais c’est aussi une deuxième famille. J’ai pu y tisser des liens avec beaucoup de personnes, d’âges différents, parfois beaucoup plus âgées, ou beaucoup plus jeunes que moi ! Le FCGB m’a appris à écouter les conseils des plus anciens et à, à mon tour, en donner aux plus jeunes. C’est pour cela que j’adorerais emmener des plus jeunes en compétition. Je me souviens d’une fois, à Usson. J’avais emmené 5/6 jeunes, dont Yannis Benitez. C’était pour plusieurs d’entre eux leur première compétition. Et je leur avais appris à mettre leur bandage autour des mains. Ils s’étaient tous mis autour de moi et ils m’écoutaient en essayant de reproduire les gestes que j’étais en train de leur montrer. Cette sensation de leur apprendre quelque chose et de les voir t’écouter, suivre à la lettre tes conseils, c’est juste génial !

« On pourrait monter notre propre ville

avec les seuls adhérents du FCGB ! »

Au club, il y a tous les corps de métiers, c’est fou ! Il y a des chefs d’entreprise, des agents immobiliers, des gens du bâtiment, du monde de la nuit, de la restauration, etc... Et chacun aide le club comme il peut. Il y a aussi de l’entraide entre adhérents. Je pourrais remercier à cette occasion Sébastien Gonzalez, qui pendant les grandes vacances a fait du super boulot au club et l’a totalement refait à neuf ! On pourrait monter notre propre ville avec simplement les adhérents du FCGB !

Le FCGB, c’est aussi une partie de mon adolescence, qui heureusement n’est pas complètement finie ! L’expérience que j’ai acquise durant la période Collège-Lycée, je la dois en partie à la boxe, puisque si je devais calculer le nombre d’heures passées entre ses murs, il y aurait de gros chiffres !

C’est quoi l’esprit du club ? Comment tu le ressens et le vis, toi ?

C’est vrai que la boxe occupe une grande place dans mon emploi du temps. Presque tous les soirs en sortant des cours, j’allais à la boxe m’entraîne ! Mais en rentrant, je travaillais également mes cours, attention ! Oui, combiner sport et études, c’est possible, jusqu’à un certain niveau bien évidemment.

La boxe, ce n’est pas, comme beaucoup le pensent, un sport solo. Certes, on est seul sur le ring, mais on ne peut progresser seul ! C’est grâce aux autres que l’on peut évoluer dans la boxe. C’est pour ça qu’il faut être unis et soudés avec ses camarades du club. Sans eux pour te donner des coups et te montrer tes défauts, tu ne peux pas progresser. Et si une personne est néfaste au groupe, il faut l’écarter. Il faut aussi avoir à l’esprit qu’avec les autres tu avances, mais que tu n’avances pas forcément avec les autres.

« Au FCGB on n’apprend pas seulement la boxe,

on apprend surtout la vie ! »

L’esprit du FCGB, je l’ai en moi et maintenant je le partage le plus possible, pas seulement avec la boxe. Avec Jean-Charles, on s’occupe de la page Facebook du club ; on essaie d’adapter le club à la génération 2.0, on peut alors toucher un plus grand nombre de personnes - plus de 600 Like ! Cet esprit, de partage, d’amitié forte d’entraide et de motivation, je le partage avec mes amis, avec les personnes que je côtoie au quotidien. Comme je l’ai dit avant, cet esprit je l’ai en moi, et je pense qu’il ne s’effacera pas ! Cette détermination dans mes actions, cette fierté d’appartenir à un club, la fierté de ce qu’on est devenu grâce au fruit de notre travail, restera. Et ça fonctionne dans la vie de tous les jours. Je me répète, mais au FCGB on n’apprend pas seulement la boxe, mais surtout la vie ! À chaque passage au club, à chaque discussion avec une personne, on apprend des choses, des histoires et anecdotes qui enrichissent notre propre vie.

Je pense que les deux livres d’Olivier, dont Le rose vous va si bien, résument bien l’esprit du club par la multitude de petites histoires et anecdotes qu’ils contiennent.

Les conseils que tu donnerais à quelqu’un qui voudrait faire de la boxe ?

Alors, déjà, un mot pour tous les parents, ou plutôt papas, qui interdisent à leur fille de faire de la boxe ! Messieurs, je vous invite à venir assister à nos entraînements : il y a des chaises faites exprès pour les personnes curieuses et désireuses de voir un entraînement de « boxe », ou plutôt d’art.

J’entends souvent des filles qui me disent, « Je voudrais faire de la boxe, mais mon père ne veut pas, il dit que c’est pour les garçons ! ». La boxe, ce n’est plus l’image de Mike Tyson qui détruit ses adversaires avec deux crochets. Comme je l’ai dit avant, au FCGB, c’est le respect avant tout ! Les anciens sont là pour apprendre aux nouveaux et les faire évoluer, et non pas pour leur faire mal ! Les entraîneurs sont dans tous les cas là pour encadrer les cours et les entraînements sont basés sur des techniques à thèmes ludiques. Il y a de nombreuses filles, nous avons même Camille Monnier, une jeune boxeuse de 16/17 ans qui a réussi à monter elle aussi sur la première marche du podium et à être sacrée championne de France BEA 2016 ! De nombreux stages pour filles sont réalisés tout au long de l’année, avec des filles d’autres clubs de la région (événements à suivre sur la page Facebook). Eh oui les filles, on fait des stages spécialement pour vous ! Et le visage de Camille est intact, alors, mot aux parents : n’ayez pas peur, OSEZ passer la porte du FCGB, pour découvrir cette ambiance si unique !

Il faut quand même préciser que la couleur de notre club est le rose depuis sa création. Une idée de Carlos qui fait son effet, puisque dans plusieurs autres pays on nous appelle les « Panthères roses » après notre passage !

Aux personnes qui voudraient essayer : la boxe, c’est un bon moyen de se détendre, de faire passer son stress. Pour les personnes stressées, comme moi, c’est un bon compromis. Ensuite, pour les jeunes, c’est une ambiance super sympa : à l’école de boxe de 8-14 ans, on se crée de vraies amitiés, on rigole bien, et on apprend également à se défendre, contre les vols de goûter par exemple ! (Humour) Donc, poussez la porte du FCGB, même pour regarder le déroulement d’un entraînement ou visiter la salle. Aucun souci, vous serez très bien accueillis !

Tes projets pour la suite ?

Il y en a beaucoup !

Actuellement, je suis en Médecine ; l’objectif d’avoir mon Bac avec mention a été atteint. Maintenant, mon nouvel objectif est de réussir ma première année de Médecine (PACES) à la faculté de Lyon-Sud. Donc, une petite pause niveau boxe s’impose. Plus tard, pourquoi ne pas essayer le MMA, qui est une nouvelle discipline, pas encore autorisée en France, mais qui rassemble tous les sports de combat en un ?

En tout cas je reviendrai, c’est sûr ! Dans quelques années, ou même en vétéran, mais je reviendrai sur le ring. Pour pouvoir, de nouveau, goûter à cette adrénaline si particulière lorsqu’on monte sur le ring pour gagner un combat !

 

Compétiteurs 2015-16

« Les compétiteurs 2015-2016. »

 

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Partie III: le texte d’Anthony Gonzalez

recueilli le 16 septembre 2016

Anthony

Photo prise le 23 septembre. Anthony, entouré de ses mentors, Carlos et Olivier.

 

Pourquoi j’aime tant le FCGB ? Je peux dire qu’il m’a sauvé la vie... Quand j’ai « rencontré » le club, je devais avoir huit ans. Je ne sais plus quelle avait été ma motivation, le fait est que je me suis retrouvé au sein du club. Un jour où, à l’échauffement, je faisais l’imbécile, Carlos m’a mis une petite tape derrière la tête ; ce geste m’avait fait arrêter net l’aventure à l’époque, il faut dire que j’étais le dernier d’une famille et petit favori de mes parents, je n’étais donc pas habitué à ça... Aujourd’hui, je me dis que ça ne pouvait que me faire du bien.

Ensuite, des années après, j’ai fait du basket, dans le quartier d’Estressin... je me défendais pas trop mal, mais je sentais qu’il me manquait une chose  : de la détente. On se mettait pas mal au défi entre nous, il fallait toucher le panneau ou le cercle du terrain, etc... Alors, j’ai décidé de retourner au FCGB dans l’objectif de muscler mes jambes, pour sauter plus haut.

À partir de là j’ai commencé à toucher à tout : boxe anglaise, boxe américaine, boxe thaïlandaise, musculation... ça me plaisait beaucoup. Et un jour, un homme, le père d’un boxeur de chez nous, m’a mis en tête l’idée de faire de la compétition. Ça m’a travaillé un bon moment. Et je me suis dit, « Pourquoi pas » ?

Alors, j’ai commencé la compétition. J’ai commencé à m’entraîner dur. Mais quelque chose me taraudait, dans ma petite cervelle d’enfant gâté : j’avais le sentiment qu’on ne s’occupait pas de moi, mais qu’on s’occupait surtout des autres – en fait, on prépare les boxeurs qui ont une échéance, on leur accorde une préparation toute particulière. Mais, à cette époque, je ne le comprenais pas, et me suis entêté dans l’idée qu’on ne me portait aucun intérêt, et j’ai donc changé de club.

Que dire... bien sûr, là où je suis allé, on valorisait un homme à sa façon de frapper au sac, signe ultime qu’il était bon. On ne prêtait aucune attention à l’aspect psychologique, et c’est précisément là que résidait mon plus grand ennemi : un manque aigu de confiance en soi.

Il se trouve que je me suis retrouvé en finale du championnat du Lyonnais. La veille du combat, qui est-ce que je suis allé voir  ? Carlos. Drôle de situation, n’est-ce pas ?

Ma finale, je l’ai perdue. Alors que j’aurais sûrement pu l’emporter si, au deuxième round, mon manque de confiance en moi n’avait pas ressurgi.

Quelques mois après, je retournai au FCGB ; c’est alors qu’allait débuter réellement mon histoire d’amour avec ce club. Je ferai ici l’impasse sur mes combats, ce que je veux mettre en avant ce sont les piliers du club, piliers de cet amour : Carlos et Olivier.

En 2003, un drame énorme a frappé ma famille : j’ai perdu mon père, ce père que j’adorais par-dessus tout. Je disais toujours de lui, « Je ne crois pas en Dieu, je crois en mon père ». Le jour des funérailles, Carlos est passé m’apporter son soutien, ce qui m’avait énormément touché. Un an plus tard, je perdais la sœur de mon père... une véritable hécatombe. À cette époque, j’étais alors engagé dans l’armée et étais basé dans le sud, loin de ma famille et de mes amis. C’était très compliqué pour un soutien, dans ces moments-là...

Peu après, j’ai décidé de rentrer sur Vienne, là encore pour des raisons familiales, mais aussi pratiques, comme mon club. Puis, quelque chose d’infiniment douloureux et cruel est survenu : j’ai perdu ma mère dans des circonstances très inattendues. Je venais en peu de temps de perdre mes deux parents. Quel coup dur de la vie... une sensation terrible d’injustice vibrait en moi.

Quelques années après, alors que quelques unes des personnes les plus essentielles à un soutien n’étaient plus, je divorçai d’une femme avec qui j’ai eu quatre enfants. Le divorce fut plus que difficile, je dirais même horrible... Aucun cadeau n’a été fait. J’ai même dû me résoudre, par la force des choses, à ne plus voir mes enfants. C’est au moment où je fabriquais cette armure qu’intervinrent les passages les plus rudes de ma vie. Il me fallait accepter que je n’avais plus rien...

Les suites d’un divorce très dur, plus de contact avec ma famille, plus mes enfants, plus mes parents auprès de qui chercher un réconfort, un soutien... Au travail aussi, à cette époque, les relations étaient plus que difficiles ; on faisait tout pour me licencier injustement et, pour couronner le tout, j’ai dû me faire opérer d’une hernie, ce qui a accentué la chose en plus de me diminuer physiquement.

Je me souviens encore de ces fêtes de fin d’année où je me retrouvais seul, seul avec moi-même. Et avec ces souvenirs si douloureux de ma délicieuse enfance, avec mes parents et ma famille lors de grandes soirées à l’ambiance magique. Ou encore, pensant à mes enfants... puis revenir au moment présent, aux sanglots de ma terrible et fidèle solitude...

Tout cumulé, survint la plus terrible des sensations : le néant. Plus de tristesse, plus de joie, plus d’envie... un grand vide, au point que les larmes ne coulent plus. Je me détachais même du club. Je me souviens encore de cette terrible sensation où, une nuit, j’étais sur la route. Devant moi, un virage. Et là, je me suis dit : « Et si tu continuais tout droit ? Et si tu ne tournais pas... ? ». Le pire, c’était ce vide, pas de peur, pas de sentiment... Je ne sais pas pourquoi, mais à ce moment-là, j’ai tourné.

Les week-ends, à mon travail (je bossais pour une boîte de nuit), j’étais plus qu’agressif, je m’attaquais parfois sauvagement à des personnes qui ne le méritaient pas. J’étais complètement paumé, sans émotion. Je devenais aigri...

Un jour, il doit y avoir deux ans de cela, le club faisait son barbecue de fin d’année. Avant qu’il ne commence, je m’étais entraîné. Et je suis parti, sans dire au revoir. J’étais amer. Arrivé chez moi, je suis complètement vide : je m’éloigne du club, je ne veux plus le fréquenter...

Un coup de téléphone. C’est Carlos.

- T’es parti sans dire au revoir ?

- Oui, je vous ai pas vus. (je voulais surtout partir sans voir personne)

- Y’a le barbecue !

- Non Carlos, je n’ai pas envie... et pas envie de voir du monde.

- Écoute... viens me voir. Il faut que je te voie tout de suite. Après, tu repars si tu veux pas rester.

Comment refuser ? Quand je suis arrivé, il m’a emmené sur le côté du bâtiment. Il m’a parlé très ouvertement, avec des paroles touchantes, sensées... Là, je me suis mis à pleurer, de manière incontrôlable. Je suis tombé dans ses bras, je l’ai serré fort tout en continuant de pleurer... et à le serrer toujours plus fort.

Depuis ce jour, tous les soirs qui ont suivi, il me guettait, savait si j’étais bien ou mal, et si ça n’allait pas il m’emmenait dans le confessionnal. Parfois, c’est même moi qui le lui demandais. Ainsi, je pouvais poursuivre mon chemin, et mes cicatrices petit à petit se refermaient. Ce ne fut pas toujours rose, il y avait les rechutes, les pleurs... mais il était là !

Et un jour, je lui ai dit : « Tu sais, chez moi, même si on se le disait jamais, qu’on se le montrait par d’autres moyens, on se disait jamais "Je t’aime", alors Carlos, tu es comme un papa pour moi, et je t’aime. Sans toi, trois chemins s’offraient à moi  : la rue, quatre murs, ou quatre planches. »

Voilà pourquoi j’aime et respecte infiniment cet homme, ainsi que son bras droit Olivier, qui est comme un grand frère pour moi. Voilà pourquoi j’aime ce club, le FCGB, cet endroit où les gens sont simples, gentils, comme dirait Carlos, « normal », quoi. Ces hommes et cet endroit sont uniques. Je les aime et les respecte énormément. Quand vous entrez dans leurs cercles, ils ne vous quittent plus : vous savez que vous avez désormais des amis hors du commun... FCGB, club de sport et de cœur, vraiment.

 

Texte Anthony

 

*     *     *

 

Partie IV: le texte de Véronique Arnaud

Véronique Arnaud

Photo s./c. par O. Perrotin : « Véro, sa compagne et sa complice... 2013. »

Crédit photo : Mohamed Laroui.

 

« Le Full Contact Gym Boxe… une deuxième famille »

recueilli le 15 septembre 2016

Il y a trente ans, après la naissance de ma fille, j’ai recherché un club de gym. Une collègue de travail m’avait parlé du FCGB, club de boxe à l’origine mais où il était possible de pratiquer la gym.

Elle m’en avait parlé comme d’un club simple et familial avec un professeur, « Carlos », très sympa. Je me suis inscrite aux cours de gym et je n’en suis jamais repartie ! Carlos, qui donnait les cours, les donne toujours à l’heure actuelle, trente-cinq ans après ! (alternativement désormais puisqu’Olivier Perrotin prend la relève).

Ce qui m’avait surtout plu à mon arrivée, avant même d’entrer dans cette magnifique salle, c’était le slogan inscrit à l’extérieur sur un grand panneau : « Si vous cherchez un club pour la forme, pas pour la frime, une seule adresse : Full Contact Gym ». C’était tout à fait ça ! Les filles étaient habillées simplement, sans « chichi », short ou survêtement avec tee-shirt (depuis nous avons fait des progrès car nous avons des tee-shirts assortis au nom du club !). Elles m’avaient accueilli comme si j’avais toujours fait partie de ce club. Et c’est comme cela pour chaque nouvelle qui s’inscrit, elle fait tout de suite partie du groupe. C’est la même chose pour la boxe. D’ailleurs, ceux qui n’ont pas cette mentalité, cette simplicité, cet esprit de famille ne restent pas. Ils ne sont pas rejetés pour autant, mais ils s’en vont d’eux-mêmes.

J’avais côtoyé d’autres clubs auparavant, pas dans la région viennoise car je ne suis pas originaire de cette ville, mais je ne m’y suis jamais sentie à l’aise. J’avais l’impression d’assister plus des défilés de mode qu’à des cours de gym.

Au club, il y a eu beaucoup de passage bien sûr. Des anciens qui sont partis, des nouveaux qui arrivent chaque année, mais à la gym comme à la boxe, nous formons un noyau « d’anciennes et d’anciens ». La plupart des filles sont inscrites au club et assistent aux cours de gym depuis plus de vingt ans. C’est également le cas pour la boxe, où les compétiteurs sont devenus bénévoles, entraîneurs ou tout simplement étaient présents pour aider lors des multiples galas que nous avons organisés.

À la gym comme à la boxe, nous sommes des collègues soudés et il y a de super bons moments de convivialité. Tout est occasion pour se retrouver : anniversaires, repas de fin de saison entre filles, repas de fin d’année au restaurant tous ensemble avec la boxe et barbecue qui clôture chaque fin de saison. Chacun vient au barbecue, qui se déroule dans la cours du club, avec sa famille et cela permet d’encore mieux se connaître. Il y a aussi des voyages en Thaïlande durant lesquels nous nous retrouvons autour de bonnes « gamelles » !

 

Restaurant filles

Photo s./c. par V. Arnaud : « Repas avec les filles de la gym au restaurant, à Vienne. »

 

Thaïlande

Photo s./c. par V. Arnaud : « Toute l’équipe à Pattaya, en Thaïlande. 1er janvier 2014. »

 

Les anciens, qui ont pratiqué la boxe, amènent parfois leurs enfants et les enfants parfois les petits-enfants... Pour beaucoup, le club est une seconde famille, un soutien pour ceux qui se sentent seul, qui ont des soucis. Beaucoup reviennent après être partis, parfois durant de nombreuses années !

C’est pourquoi, trente-cinq ans après, ce club existe toujours, mis à part ses fabuleux résultats acquis au long de toutes ces années tant au niveau régional, national, qu’international, et ce grâce au savoir-faire de Carlos puis Olivier, et maintenant de ses nouveaux entraîneurs.

« Carlos a voulu donner à tous

ce qu’il n’a jamais eu : un véritable

entraîneur et une salle de sport agréable. »

Carlos a su transmettre sa passion et toute l’énergie qu’il a mise dans son club à Olivier, qui lui la transmet aux nouveaux entraîneurs. Il s’est toujours remis en question, a toujours voulu apprendre davantage, ne pas rester sur ses acquis et il a communiqué aux boxeurs son savoir-faire et ses compétences, ce qui a permis tous ces résultats et titres. Il a voulu donner à tous ce qu’il n’a jamais eu, un véritable entraîneur et une salle de sport agréable et confortable. Il s’est toujours donné à fond pour son club, ses boxeurs, ses collègues, sa famille. Bien sûr, ses enfants ont pâti de ses absences et de cette passion qui leur prenait leur père. Il en est conscient et triste, mais c’était le prix à payer et il a payé...

Pour en revenir à la boxe, je ne connaissais rien de cette discipline à mon arrivée au club et en tant que sport, je n’étais personnellement pas du tout attirée pour le pratiquer. C’est peu à peu, quand notre relation Carlos et moi a débuté, que j’ai commencé à découvrir ce sport en l’accompagnant, quand cela était possible, les week-ends sur les lieux de compétition. J’ai appris peu à peu à connaître ce sport, ce noble art et à m’apercevoir du courage qu’il faut pour monter sur un ring, seul face à son adversaire ! J’ai découvert la dureté de ce sport, non pas par les coups qui sont donnés car tout est bien réglementé, mais de par les durs entraînements, la rage de vaincre qu’il faut avoir et le mental qui est aussi important que la condition physique. Le plus beau dans les combats, ce sont les deux boxeurs qui s’étreignent après la décision finale, après s’être affrontés durement et avoir tout donné sur le ring ! Je pense que l’on ne retrouve pas cela dans d’autres sports individuels.

« Olivier, un homme discret, simple et efficace. »

Je me suis peu à peu investie au club car j’avais une formation comptable et je me suis occupée de la partie sociale, des factures, des maquettes publicitaires pour la promotion d’événements en collaboration avec Olivier, qui fait un travail énorme car il gère toute la partie administrative et comptable du club, en plus d’être entraîneur et maintenant prof de gym ! C’est un homme discret, simple et efficace ! Il a secondé Carlos depuis presque l’origine du club. Il a aussi écrit deux beaux livres sur le club Drôle d’endroit pour un ring et Le rose vous va si bien. Pourquoi ces deux titres : le premier parce que c’est une ancienne chapelle qui abrite le club et c’est peut-être pour cela qu’une bienveillante lumière veille sur ce club… ; le second, car les survêtements du club sont de couleur rose fuchsia, ce qui a beaucoup fait parler lors des premières sorties en compétition.

Beaucoup se sont moqués au départ des boxeurs du FCGB avec leur survêtement rose, mais ils en sont vite revenus une fois sur le ring ! Maintenant, la couleur rose fuchsia est commune et utilisée dans beaucoup de sports mais, à l’époque où Carlos a choisi ces survêtements, c’était une première ! D’ailleurs, lors d’un déplacement en compétition à Liverpool, un journal anglais affichait en première page une photo des boxeurs Viennois mentionnant « Les panthères roses débarquent à Liverpool » !

Olivier reprend les rennes du club depuis que Carlos prend peu à peu sa « retraite » et que nous nous retirons doucement. Il est secondé par des entraîneurs, fidèles collègues bénévoles qui sont là depuis l’origine du club, comme Bernard, Max et désormais les plus jeunes : Anthony, Marvin, Sébastien… ainsi que d’anciens boxeurs du club qui s’investissent également tels que Jean-Pierre, Christophe (Kiki) et j’en oublie !

Il y aussi Jean-Charles, qui s’entraîne au club depuis plusieurs années, discret mais qui fait un boulot énorme en reportages, vidéos, photos. Il a créé le compte Facebook du club et aide Olivier à faire vivre le site du club. Les jeunes entraîneurs et boxeurs du club (Anthony, Sébastien, Valentin, Lucas...) participent également efficacement à promouvoir le site et le compte Facebook par leurs commentaires, photos, témoignages...

Carlos et moi, nous sommes de moins en moins présents car nous voyageons mais nous gardons un œil bienveillant sur le club et Carlos continue à s’en occuper et il continuera encore je crois pendant de nombreuses années, si le club perdure et si sa santé le permet, car ce club est « son bébé ».

 

*     *     *

 

Album photo, suite et fin...

en attendant la suite.

 

25 ans 

Photo s./c. par O. Perrotin : « 2006, lors des 25 ans du club. Une grande partie

des "potes", des irréductibles, toujours présents quand il faut, pour faire la fête,

un déménagement ou le coup de poing, et cela depuis plus de trente-cinq ans,

et pour certains plus de quarante... » Photo : Romain Picard.

 

Anita et Carlos 

Photo s./c. par V. Arnaud : « Carlos et sa maman Anita, "La maman pour tout le club !".

Une femme exceptionnelle, exemplaire, qui n’est plus là aujourd'hui.

Tout ceux qui l’ont connue en gardent un souvenir inoubliable ! »

 

Carlos Club 

Photo s./c. par O. Perrotin : « Carlos entre les cordes du ring dans cette salle de boxe

devenue mythique, quoi qu'en disent ces détracteurs, et quil adore. »

 

Les Deux Alpes 1978

Photo s./c. par O. Perrotin : « Photo prise en 1978 aux Deux Alpes, lors d’un des premiers stages

de full-contact organisés par Dominique Valera. »

 

Murdolf 2004

Photo s./c. par O. Perrotin : « 2004, déplacement à Murdolf (Allemagne)

avec la mascotte du club, Tyson, caniche caractériel. »

 

Pologne 1990

Photo s./c. par V. Arnaud : « Déplacement en Pologne, en 1990. Carlos et

Fernand Bellatar avec le boxeur Bachir Boumaza. »

 

Carlos Club 2

Photo s./c. par V. Arnaud : « Carlos au club durant un cours. Mai 2014. »

 

1980 Boxing Club

Photo s./c. par O. Perrotin : « 1980. Conscient de ses lacunes en technique de poing,

Carlos vient apprendre les bases au Boxing Club viennois, entraîné par Georges Estatoff. »

 

1986 Vienne

Photo s./c. par O. Perrotin : « 1986. Sa première équipe de "guerriers" vêtus

des fameux survêtements bleus, qui deviendront roses quelques années plus tard (1992)...

et ça fait encore parler ! »

 

Carlos Ring 

Photo s./c. par V. Arnaud : « Dernier gala de boxe organisé par le FCGB en novembre 2013

au Gymnase de Saint-Romain-en-Gal : Carlos présente, sur le ring... »

 

*     *     *

 

Partie V: la parole à Carlos, un vrai grand bonhomme

 

Entretien réalisé le 11 octobre 2016. Merci à vous trois Véronique, Olivier, et Carlos,

super trio, pour cet agréable moment passé ensemble ! Jolie façon de boucler

une « bien belle boucle » débutée il y a un an avec toi, Lucasquand tu m’as parlé

pour la première fois du FCGB. Ces deux articles sont pour toi Loulou,

pour vous Carlos, Olivier, Véronique, Anthony, Valentin, Quentin...

vous tous, membres, acteurs de cette formidable aventure sportive et humaine...

je suis fier et heureux de pouvoir dire aujourd’hui qu’elle m’est désormais

un petit peu plus familière. ;-) N., le 12/10/16

 

Véronique et Carlos

Véronique et Carlos. Photo prise par votre serviteur, le 11 octobre.

 

Message daté du même jour, de Carlos à Véronique de Villèle,

deux « bâtisseurs conscrits » (1981), en réponse au gentil message

qu’elle avait accepté d’enregistrer, le 1er août ;

il fut intégré à l’« article de Lucas ». Cette rencontre doit se faire,

à Vienne ou à Paris, peu importe. Elle se fera... je m’y emploierai ! ;-)

 

 

Le lien du club FCGB : http://www.vienneboxe.fr

FCGB

 

Et vous, quelle est votre histoire avec le FCGB ?

Racontez-la en commentaire !

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13 septembre 2016

« 15 ans après : le 11 septembre a-t-il changé l'Amérique ? », par André Rakoto

André Rakoto, spécialiste des institutions militaires américaines, a été enseignant-chercheur à l’université de Créteil puis de Versailles, avant de rejoindre le ministère de la Défense, au sein duquel il dirige un service en charge des combattants, des victimes civiles de guerre et des victimes d’actes terroristes. Officier supérieur dans la réserve opérationnelle de la Gendarmerie nationale, il a par ailleurs écrit de nombreux articles et contributions consacrés à la Garde nationale des États-Unis.

Le 11 septembre 2016, soit, quinze ans tout juste après les attentats qui ont frappé l’Amérique et choqué durablement le monde, il a accepté, sur ma proposition, de rédiger un texte d’après la thématique suivante : « 15 ans après : le 11 septembre a-t-il changé l’Amérique ? ». Je le remercie pour cette contribution, qui m’est parvenue très rapidement (le jour même puis, dans sa version définitive, le 13 septembre) ; elle s’inscrit pleinement dans le contexte des élections américaines bien particulières de cette année. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

11 septembre

Manhattan, le 11 septembre 2001. Photo : Doug Kanter/AFP.

 

« 15 ans après : le 11 septembre

a-t-il changé l’Amérique ? »

par André Rakoto, le 11 septembre 2016

L’Amérique du 10 septembre 2001 se berçait encore d’une certaine illusion. Celle d’un monde imparfait mais relativement sûr, où la mort et la terreur frappaient des contrées lointaines vaguement identifiées sur une carte au journal télévisé. Les attaques du 11 septembre, après avoir semé la destruction et la sidération, ont d’abord porté un coup terrible à la société multiculturelle américaine, avec pour première victime collatérale la communauté musulmane. Elle ne s’en est jamais vraiment remise, comme le montrent aujourd’hui les propos décomplexés de Donald Trump à l’égard des musulmans.

« Avant le 11 septembre, le ministère de l’Intérieur

fédéral gérait les eaux et forêts... »

Ensuite, cette grande nation décentralisée, dont le ministère de l’Intérieur gérait jusqu’alors les eaux et forêts, a entrepris de mettre un terme au manque de coordination entre ses forces de sécurité, en créant en quelques mois un nouveau ministère en charge de la sécurité intérieure, puis trois ans plus tard une direction du renseignement national placée sous l’autorité directe du Président. Il n’en fallait pas moins pour aligner les efforts de près de trois mille services territoriaux et de seize agences fédérales, dont la guerre larvée entre les deux plus connues, la CIA et le FBI, avait permis aux terroristes d’exécuter leur plan. De surcroît, avec l’adoption du Patriot Act, qui a élargi les capacités de l’État en matière de collecte d’information, les Américains ont dû se résoudre à être espionnés au quotidien par ceux qui les protègent.

Malheureusement, comme nous le prouvent les événements récents, quinze ans après l’Amérique demeure vulnérable aux attaques. Indéniablement, cet échec sécuritaire a contribué à la faillite actuelle du système politique traditionnel, tout en conduisant beaucoup d’Américains à considérer le monde extérieur comme une menace persistante. Récemment, la présentation apocalyptique de la crise des migrants en Europe par une certaine presse n’a pas arrangé les choses.

« Le peuple américain est divisé comme rarement

il l’a été depuis la guerre du Vietnam »

Toujours est-il qu’après deux interventions militaires majeures sans victoire consolidée, suivies par deux mandats globalement décevants de Barack Obama, l’Amérique est aujourd’hui divisée comme elle l’a rarement été depuis la guerre du Vietnam. En quinze ans, aucune formation politique américaine n’a été capable de rendre son âme à la nation, raison pour laquelle le populisme s’invite à la table des grands partis comme jamais auparavant. Bernie Sanders a bien failli provoquer chez les Démocrates ce que Trump a infligé aux Républicains en écrasant tous les candidats du parti. Toutefois, si Hillary Clinton a gagné la primaire grâce au soutien sans faille de l’appareil démocrate, elle est aujourd’hui rattrapée par ses “affaires” dans les sondages.

De gauche à droite, la parole est aux ennemis du système. À la suite du Tea Party, le peuple conservateur voudrait un retour à l’Amérique d’antan, une nouvelle ère Reagan - en oubliant au passage le soutien de ce dernier aux Talibans. Bref, c’est le revival de la droite anarchiste des années 80, celle de la série télévisée L’Agence tous risques, qui exaltait les valeurs militaires et une morale simpliste tout en dénonçant la corruption des autorités. C’est la vague qui porte Donald Trump. À gauche aussi, le grand perdant est Alexis de Tocqueville. Un sondage réalisé par des chercheurs de Harvard en début d’année montrait que moins de 30% seulement des jeunes Américains jugeaient crucial de vivre en démocratie...

« Après les néo-conservateurs, demain,

les conspirationnistes au pouvoir ? »

Les néo-conservateurs de l’après 11 septembre, qui croyaient réellement qu’exporter la démocratie par les armes était la meilleure façon de pacifier la planète, ont dorénavant cédé la place à des décideurs comme Steve Bannon (le nouveau directeur de la campagne de Donald Trump, ndlr), dont la vision noire du monde se nourrit des pires théories conspirationnistes. Ces gens-là seront peut-être au pouvoir dans quelques mois. Cela aurait-il été possible sans les attaques du 11 septembre ?

Quinze ans plus tard, il demeure surprenant de constater qu’aucun dirigeant politique n’a été capable d’expliquer rationnellement au peuple américain le pourquoi du 11 septembre 2001, et on peut comprendre que le traumatisme soit durablement présent. Le triste spectacle des élections américaines en est sans doute aujourd’hui le témoignage le plus éloquent.

 

André Rakoto

 

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8 septembre 2016

Jean Marcou : « La Turquie d'aujourd'hui, un mélange subtil de kémalisme et d'ottomanisme »

Jean Marcou, enseignant-chercheur à Sciences Po Grenoble, est un de nos meilleurs spécialistes de la Turquie ; il a d’ailleurs fondé il y a dix ans l’Observatoire de la Vie politique turque (OVIPOT), une structure de réflexion et de documentation fort active. Quelques semaines après le coup d’État raté contre l’appareil institutionnel dirigé par le président Erdoğan, j’ai souhaité lui poser quelques questions sur ce grand pays, que l’Histoire a positionné durablement au carrefour de deux mondes, et qui pourrait bien se trouver à la croisée de chemins... Merci, M. Marcou, pour ces réponses riches et éclairantes. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« La Turquie d’aujourd'hui, un mélange

subtil de kémalisme et d’ottomanisme »

Interview de Jean Marcou

Q. : 01/09/16 ; R. : 07/09/16

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Le président turc Recep Tayyip Erdoğan. Crédits photo : AFP Photo/Adem Alta.

 

Un mois et demi après la tentative ratée de coup d’État qui a semblé, un temps, pouvoir mettre en danger le pouvoir en place en Turquie - un échec en partie lié à des soulèvements populaires suscités par le président Erdoğan -, que peut-on dire de ce qu’est, précisément, l’assise populaire de l’État Erdoğan ? Quels en sont, au dedans, les soutiens indéfectibles ? Les opposants les plus résolus ?

L’assise du gouvernement de l’AKP (le Parti de la justice et du développement, au pouvoir depuis 2002, ndlr) repose sur de nouvelles classes moyennes urbanisées dans un pays qui compte désormais près de trente villes qui ont le statut de métropole (750 000 habitants au moins). Ces populations ont fortement profité du développement économique des dernières années et, par ailleurs récemment urbanisées, elles restent attachées à des valeurs conservatrices. L’AKP et Recep Tayyip Erdoğan ont fondé leurs succès sur cette alchimie de tradition et de modernité. Au cours des dernières années, de surcroît, Erdoğan s’est attaché à renouveler les cadres du parti, qui étaient initialement principalement des cadres politiques issus de la mouvance islamiste traditionnelle et des politiciens ralliés. Il dispose ainsi d’une nouvelle garde provenant des élites politiques et sociales apparues au cours des dernières années.

Quant à l’opposition la plus résolue, elle est incarnée par la vieille élite laïque, le parti kémaliste CHP (le Parti républicain du peuple, ndlr), la gauche turque et kurde, en particulier le HDP (le Parti démocratique des peuples, ndlr) et bien sûr le mouvement Gülen (fortement affaibli depuis la tentative manquée de coup d’État du 15 juillet dernier). Toutefois, dans la période post-coup, les oppositions se sont émoussées. La nécessité de condamner unanimement le putsch a vu une sorte d’unanimisme équivoque prendre corps, le leader du CHP acceptant de rencontrer le président dans son nouveau palais ou participant au grand meeting de Yenikapı organisé pour célébrer l’échec du coup d’État et la sauvegarde de la démocratie. Il est probable néanmoins que cette unité ostentatoire ne durera pas...

 

L’islam en tant que projet politique et de société a-t-il réellement, comme on le lit souvent, gagné en puissance en Turquie, État laïque, depuis que M. Erdoğan a pris le pouvoir dans le pays en 2003 ?

L’islam et plus généralement le religieux est revenu dans l’espace public, au cours des vingt dernières années, et plus particulièrement depuis la prise de pouvoir de l’AKP. La laïcité turque a d’ailleurs toujours consisté en une sorte de concordat permettant à l’État de contrôler étroitement la religion majoritaire, le sunnisme hanéfite, et de promouvoir une sorte d’islam national turc. C’est d’ailleurs cet islam national qui a été conforté par l’AKP, et non un islamisme débridé où la pratique religieuse échappe au pouvoir politique, et peut se retourner contre lui. Mais l’énorme bureaucratie que constitue la direction des affaires religieuses (le fameux Diyanet) a pris, ces dernières années, une dimension spirituelle qu’elle n’avait pas antérieurement. Désormais elle intervient dans les débats de société, dans les modes de vie, dans les comportements quotidiens. Cela s’accompagne d’une présence beaucoup plus forte du religieux dans la vie politique, qui se traduit par une célébration des fêtes religieuses beaucoup plus officielle qu’auparavant, notamment pour le Ramadan ou la fête du sacrifice. Il est significatif de constater que le nom de ces fêtes a changé, depuis quelques années, en Turquie, qu’elles ont repris leurs noms arabes (Eid al-Adha et Eid al-Kebir) et délaissé leurs noms turcs (Şeker Bayramı et Kurban Bayramı), qui ne sont plus utilisés que par des laïques convaincus. Malgré ces évolutions, la pression religieuse quotidienne reste inférieure en Turquie à ce qu’elle peut être dans les pays arabes, en général.

 

Quelles places le souvenir de l’Empire ottoman des heures glorieuses et la figure du leader Mustafa Kemal Atatürk occupent-ils respectivement dans l’imaginaire collectif turc ?

En réalité, un changement majeur est intervenu sur ce plan, au cours des deux dernières décennies. L’histoire nationale, construite pendant la période kémaliste, rejetait l’Empire ottoman, en le regardant comme une époque de décadence, pour valoriser la guerre d’indépendance menée par Mustafa Kemal entre 1919 et 1922 afin de sauvegarder un État national turc et y conduire une « révolution ». Cet adieu à l’Empire a été favorisé en outre, en 1928, par la réforme de l’alphabet, qui a empêché les nouvelles générations turques de lire le turc ottoman, et donc d’accéder à la culture et à l’histoire de cette période. La fin du monde bipolaire a vu un regain d’intérêt pour l’époque ottomane. Mais, après la prise de pouvoir de l’AKP, et tout particulièrement depuis l’élection de Recep Tayyip Erdoğan à la présidence de la République, on a assisté à une véritable réhabilitation de l’Empire ottoman. Un ottomanisme assumé et revendiqué est très présent dans les discours de Recep Tayyip Erdoğan et de certains dirigeants de l’AKP. L’anniversaire de la prise de Constantinople est célébré avec faste, depuis deux ans, à Yenikapı, à Istanbul. En 2012, le film Fetih 1453, racontant cet événement (budget le plus important de l’histoire du cinéma turc) a été un grand succès populaire.

 

Fetih 1453 

Affiche du film populaire Fetih 1453, réalisé par Faruk Aksoy.

 

Un feuilleton célèbre (Muhteşem Yüzyıl), racontant le règne de Soliman le Magnifique, a eu lui aussi une forte audience en Turquie et à l’extérieur du pays (y compris en Grèce d’ailleurs), mais il n’a pas été du goût de Recep Tayyip Erdoğan qui l’a qualifié de « tentative de montrer notre histoire sous un jour négatif aux jeunes générations » et l’a fait interdire sur les lignes de la Turkish Airlines. Ceci prouve à quel point ce sujet est désormais sensible. Pour autant, si l’ottomanisme a le vent en poupe, il n’a pas complètement effacé la personne de Mustafa Kemal qui continue à être une référence incontournable, moins en raison de ses réformes (souvent critiquées et écornées) que parce qu’il reste l’icône nationale fondatrice de la Turquie contemporaine.

 

Mustafa Kemal Pasa dit Ataturk

Le leader nationaliste Mustafa Kemal Pasa, dit Atatürk. Crédits photo : éd. Larousse.

 

Quels objectifs de la Turquie croyez-vous pouvoir extraire des derniers signaux ou mouvements d’Ankara sur les théâtres moyen-orientaux - je pense à la Syrie notamment ?

L’opération militaire « Bouclier de l’Euphrate », conduite en Syrie par l’armée turque, depuis le 24 août dernier, marque un tournant et un grand retour d’Ankara dans la crise syrienne et les tentatives de règlement dont celle-ci est l’objet. Après avoir eu une attitude équivoque à l’égard de l’État islamique, la Turquie, confrontée aux nombreux attentats perpétrés par les djihadistes sur son territoire en 2015-16, et à des tirs transfrontaliers de rockets dans la zone de Kilis depuis janvier 2016, a dû en quelque sorte déclarer la guerre à Daech.

Le premier objectif de cette opération militaire est donc de se prémunir contre la menace que représente le voisinage frontalier des djihadistes. Mais ce n’est pas la seule raison de cette initiative qui vise aussi à empêcher les Kurdes syriens du PYD-YPG de tirer parti du recul de Daech en Syrie pour s’installer en particulier sur la rive occidentale de l’Euphrate, que la Turquie a définie dès 2015 comme une ligne rouge à ne pas franchir. Plus généralement, sur le plan intérieur, cette opération militaire conforte l’image du régime puissant qu’Erdoğan souhaite établir, en montrant les moyens qui peuvent être déployés pour atteindre des objectifs stratégiques sur des théâtres extérieurs.

 

Comment recevez-vous l’apparent rapprochement récent de la Turquie, membre de l’Alliance atlantique, avec la Russie de Vladimir Poutine ? Cela augure-t-il une redistribution plus profonde des cartes, et si oui, l’Occident n’a-t-il pas contribué à ce mouvement, peut-être en négligeant le pays, sa sensibilité à l’Histoire et à son statut ?

Je suis prudent à l’égard de ce rapprochement, qui a été surtout opéré à des fins économiques. Après six mois de brouille, les deux pays ont compris qu’ils se faisaient plus de mal que de bien par les sanctions mutuelles qu’ils s’appliquaient. En finir et renouer une relation normalisée présentent donc des avantages appréciables. Mais cela donne aussi à la Turquie la possibilité d’avoir une marge de manœuvre dans l’Alliance atlantique et de faire le cas échéant de petites misères, voire de petites infidélités, à ses alliés occidentaux. Pour autant, stratégiquement, même si l’on a mis de l’huile dans les rouages, il ne faut pas oublier qu’Ankara et Moscou restent sur des positions divergentes en Syrie, en Europe orientale, dans les Balkans et dans le Caucase. Donc je ne pense pas que la normalisation des relations russo-turques, et les assauts d’amabilité qui les ont entourées, augurent un changement d’axe de la politique étrangère turque. En atteste, une anecdote récente. Évoquant ces retrouvailles avec la Turquie, un sénateur russe a suggéré à Ankara d’ouvrir sa base d’Incirlik (qui accueille actuellement les avions des pays de la coalition internationale anti-Daech et où sont stationnées des armes nucléaires américaines), aux avions russes qui interviennent en Syrie. Le gouvernement turc s’est empressé bien sûr d’exclure une telle hypothèse (au demeurant surréaliste !).

Quant à la question de savoir si les Occidentaux n’ont pas un peu trop négligé leur allié turc, je pense qu’elle se pose plutôt au sein de l’Union européenne (UE) qu’au sein de l’OTAN. Lassée par l’allongement et l’incertitude de son processus d’adhésion, la Turquie évoque désormais ouvertement la possibilité d’un abandon de sa candidature à l’UE. Sans doute a-t-elle des torts dans l’enlisement de cette candidature, mais il est certain que les Européens n’ont pas non plus joué franchement la carte d’une entrée d’Ankara dans l’Europe, et qu’ils le regretteront peut-être un jour.

 

En quoi ce que l’on sait de ce que peuvent être les aspirations profondes du peuple turc peut nous éclairer sur ce qui pourrait survenir après Erdoğan ?

Comme je le disais précédemment, je pense que le succès de l’AKP et la popularité d’Erdoğan, correspondent à une phase de développement de la société turque : celle qui a vu l’urbanisation et l’enrichissement de populations antérieurement délaissées, voire méprisées par les élites laïques. Mais ces populations et les générations qu’elles engendreront vont elles aussi changer. Qui sait si l’AKP et Erdoğan seront toujours capables de répondre à leurs attentes, dans cinq, dix ou quinze ans...

 

Est-ce qu’il y a des traits de ce qui fonde l’identité, l’âme, la psychologie turques que l’on serait bien inspiré, pour mieux comprendre cette nation, d’avoir à l’esprit ?

Il est toujours difficile de répondre à ce genre de questions. Pour ma part, j’ai toujours été impressionné par l’aspiration au progrès que manifestent souvent les Turcs. Cette aspiration très forte à l’époque kémaliste, n’a pas disparu, loin s’en faut, depuis l’arrivée de l’AKP au pouvoir. On revendique haut et fort la restauration de valeurs religieuses, mais on ne renonce pas à la modernisation qui s’incarne actuellement, par exemple dans de grands projets : 3e pont sur le Bosphore, 3e aéroport à Istanbul, autoroute, lignes de TGV...

 

Jean Marcou

Jean Marcou. Crédits photo : Nathalie Ritzmann.

 

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6 septembre 2016

« L'histoire de notre pays peut-elle nous éclairer en ces temps troublés ? », par Dimitri Casali

Dimitri Casali, historien et essayiste réputé, compte parmi les défenseurs les plus véhéments de l’apprentissage d’un récit national dont on puisse à nouveau être fier ; un élément essentiel de la restauration de ce « creuset républicain » qui paraît aujourd’hui appartenir à un passé révolu. Dans un contexte riche de débats autour des orientations données aux programmes scolaires (voir : la tribune accordée à Pierre Branda sur ce blog en mai 2015), son Nouveau Manuel d’Histoire (Éd. de La Martinière, 2016), préfacé par Jean-Pierre Chevènement, est un important succès de librairie. Désintégration française, son nouvel essai, une « déclaration d’amour à l’Histoire de France, seul remède à la désintégration », dixit la présentation de l’éditeur, vient d’être publié il y a quelques jours chez Jean-Claude Lattès.

Début août, peu avant la parution de cet ouvrage, et trois semaines après l’attentat de Nice, j’ai souhaité proposer à M. Casali de composer un texte autour de la thématique suivante : « L’histoire de notre pays peut-elle nous éclairer en ces temps troublés ? ». Je le remercie pour la qualité de son texte, qui m’est parvenu le 6 septembre : il n’est pas forcément rassurant... mais il s’achève sur une note d’optimisme relatif. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Désintégration française

Désintégration française, de Dimitri Casali, aux éd. J.-C. Lattès, 2016.

 

« L’histoire de notre pays peut-elle

nous éclairer en ces temps troublés ? »

par Dimitri Casali, le 6 septembre 2016

Depuis plus d’un an, la France est particulièrement touchée par la violence d’une histoire en pleine accélération. Pourtant l’Histoire permet de comprendre l’actualité de ces temps si violents. Il y a toujours dans l’actualité des liens explicatifs avec l’Histoire qui permettent de mieux expliquer le présent et de mieux comprendre la société. Karl Marx disait : « La violence est la sage-femme de l’Histoire ». On le sait depuis la nuit des temps, l’Histoire ne se fait que sur des cadavres, l’Histoire est un déluge d’atrocités. Toutefois, le paradoxe est que tant de sang répandu durant tant de millénaires se soit révélé fécond, la France est ainsi devenue une grande nation. À nier cela et donc à ressasser sans cesse les anciennes horreurs, à force de dire que nous sommes un pays d’esclavagistes, de colonisateurs et de collaborateurs, on dresse les citoyens les uns contre les autres. Nos hommes politiques devraient tenir compte des leçons de l’Histoire, malheureusement ils n’en font plus aucun cas, soit par ignorance soit par manque de hauteur de vue.

« En renonçant à son passé, la France sape

son présent et met en péril son futur »

Nos dirigeants sont « malades de leur histoire ». Malades de ne pas la connaître, de ne pas la transmettre, d’être sans cesse tentés de la réécrire pour l’instrumentaliser ; malades, surtout, d’y renoncer par lâcheté et refus de se confronter aux minorités. La France souffre de sa position face à l’Histoire, de ce passé qui ne passe pas, malade de l’occulter, ou encore de n’en avoir retenu aucune leçon. En renonçant à son passé, la France sape son présent et met en péril son futur. Peut-on vraiment vivre ensemble en ignorant ce qui a façonné l’identité de notre pays ? En oubliant que la France s’est construite par son panache plus que par ses renoncements ? Quand nous aurons détruit notre héritage, n’aurons-nous pas tout perdu ?

« L’Histoire s’accélère à nouveau ; le défi qui nous est lancé

par l’islamisme politique est redoutable... »

À trop vouloir oublier les leçons du passé, à respecter le politiquement correct, on dresse en fait les Français les uns contre les autres. L’Histoire met en exergue la gravité de leurs lâchetés contemporaines. Toutes ces bonnes intentions nous préparent l’enfer : « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre », disait Winston Churchill. À chaque époque existent des problèmes cruciaux qui forment comme un angle mort du débat public et ce sont précisément ceux qui vont décider de l’avenir. En 1936, après la remilitarisation de Rhénanie par Hitler, dans la plupart des médias français, il était presque impossible d’évoquer la perspective d’une guerre avec l’Allemagne. Tous « les gens de bien » étaient furieusement pacifistes… On trouverait bien un terrain d’entente avec le chancelier allemand, disaient-ils. Mais dans les cafés et les salons, on ne parlait que de ça. Aujourd’hui, l’Histoire est à nouveau en phase d’accélération brutale et le défi qui nous est lancé par l’islamisme politique, entré en phase de conquête du monde, est redoutable. Mais nos élites intellectuelles, aveuglées par ses bons sentiments, préfère nous abreuver de petites nouvelles insignifiantes, d’une part, de ses grandes indignations, de l’autre.

« 2016 ressemble beaucoup à l’avant-1789, peut-être

en pire ; prenons garde à ne pas revivre 1793... »

Nous nous trouvons aujourd’hui en 2016 dans la même situation bloquée que celle où nous étions en 1789 : désamour des élites, accumulation des privilèges, pouvoir politique en panne... En tant qu’historien, je suis frappé par les points communs aux deux périodes, dans le sens où les dysfonctionnements du modèle politique laissent en effet penser que nous sommes au bord du gouffre. Si l’on ne parvient pas, dans l’urgence, à faire évoluer la société comme la prise de conscience des Français, nous risquons de reproduire les mêmes terrifiants schémas de guerre civile et de Terreur qu’en 1793. Nous faisons face aux trois mêmes crises que dans l’avant-1789 : crise économique (dette étouffante, hausse des prix et du chômage...), crise sociale (grogne populaire face aux privilèges...), et crise politique (incapacité du pouvoir à réformer). À cela vient aujourd’hui s’ajouter la plus grave à mes yeux, la crise identitaire, qu’était loin de connaître la France de l’Ancien Régime.

« François Hollande, par son caractère hésitant,

rappelle un peu Louis XVI ; on ne peut être un

"président normal" sous la Ve République... »

Tout comme à la fin du XVIIIe siècle, la France se retrouve sclérosée et l’immobilisme de notre actuel Président ressemble étrangement au caractère hésitant de Louis XVI, qui n’a somme toute jamais réellement souhaité faire le grand saut nécessaire pour rétablir le pays. Nous sommes donc, en 2016 comme en 1788, coincés entre l’envie d’améliorer la situation et la peur d’un changement radical pourtant nécessaire à cette amélioration. Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation et j’ai hélas bien peur que ce ne soit pas l’actuel dirigeant de la Ve République. Les institutions françaises sont solides mais elles nécessitent à leur tête, des personnalités hors norme. On ne peut donc pas être un président « normal » sous la Vème République ; il faut être exceptionnel pour exercer la fonction.

« Du courage, citoyens ! La lâcheté

conduit toujours au désastre... »

J’aimerais pourtant garder une lecture « optimiste » des évènements car il ne faut jamais oublier qu’au cours de son histoire millénaire, la France a connu d’autres crises graves et a pu s’en sortir le plus souvent grâce à une volonté de changement exprimée souvent tard, mais exprimée tout de même. Il est donc encore tant que les Français se ressaisissent et s’arment de courage comme nous le montre l’Histoire, car la lâcheté conduit toujours au désastre…

 

Dimitri_Casali

 

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5 septembre 2016

« Le malheur français, selon Marcel Gauchet », par Nicolas Germain

Nicolas Germain, jeune homme de qualité et de talent, est le président-fondateur du club politique Les Vendredis de la Colline, un espace de réflexion et d’échanges qui se veut « apartisan », « indépendant », et dont je vous recommande vivement la découverte. Il y a un an, Nicolas Germain avait participé à l’article à plusieurs voix relatif aux institutions que j’avais proposé à des jeunes intéressés par la vie politique ; il a cette fois-ci accepté de nous livrer un compte-rendu synthétique et critique de sa lecture de Comprendre le malheur français, composé par le philosophe et historien Marcel Gauchet avec Éric Conan et François Azouvi et paru chez Stock cette année. Son texte est assez remarquable, et moi je suis ravi d’avoir pu publier à nouveau de ses écrits. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Comprendre le mal français

Comprendre le malheur français, de M. Gauchet, avec E. Conan et F. Azouvi. Éd. Stock, 2016.

 

« Le malheur français, selon Marcel Gauchet »

Recension par Nicolas Germain, le 1er septembre 2016

À la question « Qu’est-ce qu’un pays dans le monde d’aujourd’hui ? », Marcel Gauchet répond, en ouverture des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence de cette année 2016, qu’il s’agit d’une entité politique sur laquelle se fonde la mise en relation du monde moyennant un aménagement des espaces collectifs nationaux. Le directeur d’études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales, ndlr) et rédacteur en chef du Débat formalise sa thèse comme suit : la globalisation repose sur une infrastructure politique constituée par les États-nations. La question, autant que la réponse, recouvre le champ problématique se présentant avec le plus d’insistance à l’Europe du XXIe siècle : comment les anciennes constructions politiques que sont les États-nations, dont le Vieux Continent fut le laboratoire et en est aujourd’hui le fossoyeur, doivent-elles se définir compte tenu de la marche d’un monde tout droit orienté vers la libéralisation des échanges et l’individualisation des sociétés ?

Cette tension, entre la mondialisation d’essence néolibérale et une communauté nationale structurée en un cadre étatique, constitue le point nodal retenu pour analyser dans son dernier ouvrage, Comprendre le malheur français (Stock, 2016), le pessimisme si caractéristique de la France. Après le remarquable historique du monde contemporain développé en trois volumes dans L’Avènement de la démocratie (Gallimard, 2007, 2007, 2010), c’est donc désormais cette sinistrose sans cesse présentée par les sondages comme constitutive à l’Hexagone que cet esprit libre s’attache à décrypter. Les quelque trois cents pages de cet exercice philosophique sont rythmées par les questions d’Éric Conan, journaliste à Marianne, et de François Assouvi, directeur honoraire de recherche au CNRS ; aussi l’essai porte-t-il la marque de la maïeutique socratique et, par le biais de ces questionnements, s’attaque-t-il aux croyances dont le siècle présent est tragiquement perclus.

« La rupture entre la base et le sommet

est symptomatique du mal français »

En un propos introductif intitulé « Pourquoi ce livre ? », le philosophe et historien justifie la pertinence de pareil sujet d’étude. Les Français, se demande-t-il, sont-ils devenus fous ? Au regard des innombrables atouts dont peut se prévaloir le pays, l’heure devrait être à la sérénité et à la confiance en l’avenir. Pourtant, grand est le décalage entre une population authentiquement pessimiste et des élites convaincues que le blocage de la société est dû au refus de celle-ci de se moderniser, et qu’il suffirait de quelques reformes libérales, visant à assouplir le marché du travail ou à accroître la compétitivité, pour amorcer une sortie définitive de la crise. Le pessimisme des élites n’en serait pas un, puisque traversé d’une conviction optimiste : « la solution est à portée de la main », et sa traduction est économique. Suivant ce prisme économiciste, l’on répond au déficit de puissance par l’obsession de la croissance, au malaise des classes populaires par le financement d’aides sociales. Non pas que parler économie ne soit pas légitime et pertinent, mais il ne peut s’agir de l’alpha et l’oméga de l’action politique. Car se manifeste alors une rupture entre la base et le sommet, rupture symptomatique du malheur français ; la première souhaite préserver la spécificité française du rouleau compresseur de la mondialisation tandis que le second n’ambitionne que de prolonger l’intégration du pays à l’espace globalisé. Il y a, en substance, le refus de la population de l’inféodation du politique à l’économique, inféodation d’ores et déjà intériorisée et consentie par les pouvoirs en place.

La perspective historique d’un déclin national

L’une des courroies qui alimentent puissamment ce pessimisme français est le sentiment de dissolution, au fil de l’histoire, d’un glorieux passé. L’auteur situe l’acmé de la puissance française au siècle de Louis XIV, dont Voltaire disait déjà en 1751 qu’il était « le plus éclairé qui fut jamais ». La France louis-quatorzienne connaît un moment hégémonique : démographiquement elle domine l’Europe, militairement elle défait la puissance espagnole aussi bien que l’empire des Habsbourg, culturellement elle rayonne à l’international du fait du génie littéraire d’un Racine ou architectural d’un Vauban, intérieurement elle consacre la pacification religieuse du pays et l’autorité souveraine de l’État. À cet instant, plus qu’à n’importe quel autre, se fonde l’universalisme français, et jamais plus les Français ne se contenteront de la seule prospérité économique mais appelleront de leurs vœux l’adhésion à un projet politique transcendant les particularités individuelles. L’État-nation n’existe pas encore, puisque seule la Révolution française en achèvera la formation, mais déjà s’opère une « prise de conscience d’une communauté politique de destin ».

« Le levier économique ne devrait être qu’un moyen

au service de l’idéal politique »

Depuis lors le pays n’a cessé de se déclasser à l’égard de l’histoire et du monde ; arrivé au sommet de l’Everest, l’alpiniste est condamné à amorcer sa descente. Ici et là, ont été observés des « sursauts », instants héroïques où se refuse le déclin et où la réalité du présent renoue avec la grandeur des héritages du passé. Ici avec Napoléon Bonaparte, là avec le général De Gaulle. Le chapitre portant sur la France gaullienne insiste sur l’alliance réussie à cette époque entre la « masse du peuple » et le « dirigeant responsable ». Tout concourt à l’intérêt général : l’incarnation présidentielle sert la souveraineté républicaine là où le dynamisme économique rend possible une politique de grandeur et d’indépendance, l’ensemble faisant corps avec l’identité historique du pays. Un lien de l’ordre de la transcendance et du sacré unit en un bloc collectif la communauté nationale. C’est précisément lorsqu’elle s’accompagne d’un souffle relevant presque de la métaphysique, dont est dépourvu le pragmatisme économique dans lequel elle s’enferme désormais, que la politique prend son sens véritable. Le levier économique ne devrait être qu’un moyen au service de l’idéal politique, l’idéal du Général ayant été celui de l’unité et de la grandeur. En définitive, peu importe la nature de cet idéal, peu importe que l’on souscrive ou non à cette vision gaullienne du devenir du pays (l’on pourrait tout à fait accorder par exemple sa sensibilité à un projet socialiste), ce qui demeure déterminant est de ne pas substituer le moyen à l’idéal. La croissance pour la croissance ? À quoi bon ! Marcel Gauchet en appelle à la primauté du politique sur l’économique, la fonction majeure du gouvernant étant ultimement de « produire un récit de notre histoire collective et en tirer les perspectives ».

Le constat d’un affaissement du modèle français

Le récit chronologique de l’histoire française, auquel sont entièrement destinés les chapitres II à V de l’essai (« La France et son histoire », « La France gaullienne », « Les années de crise », « La France changée par Mitterrand »), met en exergue le tournant mitterrandien que le philosophe résume en un mot : déboussolement. Contraint d’abandonner dès 1983 l’ambitieux programme socialiste en raison d’une politique de rigueur visant à ne pas sortir du Serpent monétaire européen, François Mitterrand découvre en l’Europe le projet supranational susceptible de sauver son bilan politique. Se met en place ce que Marcel Gauchet nomme le « piège européen », éloigné du projet gaulliste d’une Europe des nations, et dont sont dépositaires les instances de l’Union européenne telles qu’elles se manifestent à présent : concurrence économique et inclination à la bureaucratie plutôt qu’à la souveraineté populaire en interne, déficit de coopération et incapacité à se définir stratégiquement à l’externe. Concomitamment à ce choix d’effacement du fait national au profit de la supranationalité européenne, s’observe sous François Mitterrand une réorientation fondamentale de la pensée de gauche : puisque l’analyse ne se porte plus au premier chef sur la redistribution des richesses, elle se déplace sur la défense des minorités de toutes factures. Le concept de transformation sociale effectue sa mue, du socialisme traditionnel à une synthèse de libertarisme hérité de mai 1968 et de cosmopolitisme multiculturel. Sans compter, enfin, la faillite morale d’une gauche prétendue morale, entre affaires de corruption et d’écoutes téléphoniques, faussant définitivement le rapport de clarté qui prévalait entre les dirigeants et les dirigés, rapport que les successeurs de François Mitterrand ne sont pas parvenus jusqu’ici à rétablir. Cette désintégration du lien de confiance unissant le gouvernant au gouverné n’a pour seule issue que la généralisation du « principe de précaution sociale » : ne sachant plus quel est le cap poursuivi, ne reste qu’à préserver les acquis. Les grèves de 1995 sont à cet égard révélatrices de cet état de désemparement qui saisit le pays. Construction européenne, nouvelle définition de l’idée de progrès, absence de projet politique structurant venant d’élites qui ne seraient pas déconnectées, ainsi se caractérisent les premiers pas de la France dans le monde globalisé dont l’architecture générale se dessine en ces années décisives.

« Le triomphe de l’idéologie néolibérale a mis à mal

le collectif au profit de tous les individualismes »

L’explicitation de ce moment crucial, à savoir les deux dernières décennies du siècle passé où la France entre de plain-pied dans la mondialisation, pose les fondements du cœur de la démonstration de l’auteur : il existe une divergence profonde entre le modèle français tel que compris et intégré par les Français, et une « idéologie néolibérale » identifiée de la sorte par Marcel Gauchet. Cette idéologie, qui s’est imposée par le haut, comment la définir ? Par la règle ultime qu’elle fixe au fonctionnement d’une communauté politique : n’existent que des individus, définis par leurs droits juridiques et leurs intérêts économiques. La maximisation du bien-être collectif s’obtient par maximisation des droits et intérêts individuels. Cette pensée se décline mécaniquement en deux lectures : l’une de gauche exhortant à la multiplication des droits individuels, l’autre de droite prônant l’enrichissement personnel. Il y a dans ce catéchisme une réelle divergence avec le libéralisme classique, qui ne pouvait considérer la liberté des acteurs d’une société autrement que dans un cadre national et étatique. Marcel Gauchet fait de la dissolution des structurations religieuse et étatique, ce qu’il appelle « l’ultime tournant théologico-politique de la modernité », le point d’appui sur lequel s’est construite cette domination néolibérale. En conséquence, l’auteur déplore « l’oubli d’une histoire commune » et « un manque de perspective collective au profit d’un programme court ne s’adressant plus qu’aux individus », pour reprendre les termes de ses deux interlocuteurs, Éric Conan et François Azouvi. C’est pourtant dans cet arrachement aux singularités particulières que s’ancre les racines du modèle français dont les principales composantes semblent être la citoyenneté, la laïcité, l’école et la culture. Chacun de ces éléments a pour ambition l’élévation au-dessus de soi-même et la participation à un corps collectif. Tous sont désormais dévoyés dans le sillage idéologique exhibé précédemment : la citoyenneté devient la manifestation électorale des intérêts propres à chacun, l’école se range du côté de l’épanouissement personnel et de la construction d’une carrière future, la culture s’apparente aux libres loisirs. Pire, la laïcité n’est plus qu’un concept vide avancé ici comme un totem anachronique à abattre, et là comme la justification d’un séparatisme identitaire. Or, la France puise son rayonnement dans sa capacité à faire participer, au sein d’un même collectif national, des personnes aux convictions et origines différentes.

« L’Europe et la globalisation rendent paradoxalement

de sa pertinence, de sa légitimité à l’État national »

À rechercher des astres dans le désastre, trois optimismes se détachent dans cette lecture bien que placée sous le signe du pessimisme. Le premier fait écho à la question de l’Europe : la construction européenne a affermi la légitimité des nations qu’elle a voulu surplomber. Une nation, contrairement à un empire, se définit par rapport à autrui et s’inscrit dans un système de nations. L’aventure supranationale a en réalité rendu plus mûres les nations du Vieux Continent, pétries de bellicisme jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et désormais capables de reconnaissance mutuelle et de regroupement autour d’intérêts communs. Le second optimisme couvre la problématique néolibérale. Contrairement à la victoire de l’économique sur le politique qu’annonce cette pensée à potentialité radicale, c’est en fin de compte l’indispensabilité du politique qui émerge. On en revient aux propos tenus par le philosophe lors des Rencontres économiques : le jeu international de libre-échange nécessite la présence d’États comme puissance normative en premier ressort, et comme garants du vivre-ensemble en dernier lieu. Si l’État n’est plus une superstructure visible et dominant de façon ostentatoire la société civile, cette dernière ayant acquis son autonomie, il n’en demeure pas moins l’infrastructure assurant et sécurisant le déploiement des libertés individuelles. Quand bien même existerait-il un droit à l’école pour tous, que vaudrait-il sans le financement de structures éducatives et de personnel enseignant ? Enfin, et c’est sur ce point que se conclut l’essai, si la France ne fait plus office de grande puissance en raison même de la nature polycentrique du processus actuel de la mondialisation, il revient au pays d’assumer son rôle exemplaire et de conserver son élan pluriséculaire d’innovation politique. Tous les déterminants de l’analyse proposée par Marcel Gauchet convergent vers un unique point : la promotion d’un sort commun et collectif, pierre essentielle à l’édifice républicain dont la France doit réapprendre à être fière, pour épargner aux citoyens qui la composent le pessimisme dont ils sont frappés.

 

Nicolas Germain

 

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