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Paroles d'Actu
10 septembre 2012

Alain de Greef : "Canal ? J'envisage de me désabonner"

« Il avait une qualité de contact avec les gens qui était formidable (...) Il fait partie de la trentaine de personnes extraordinaires que j'ai côtoyées à Canal+. » C'est en ces termes qu'Alain de Greef a rendu hommage à Jean-Luc Delarue après la disparition de l'icône du PAF. Quelques heures avant l'annonce de ce triste évènement, survenu dans la nuit du 23 au 24 août, j'avais contacté M. De Greef pour lui proposer de lui poser quelques questions. L'ancien directeur des programmes de la chaîne cryptée m'a fait parvenir, très rapidement, son accord de principe. L'échange s'est réalisé dans la foulée.

 

La retraite ? Canal ? La télé d'aujourd'hui ? Celui qui fut, aux côtés de Pierre Lescure, l'un des piliers historiques de la 4 jusqu'à la page Vivendi se livre en toute liberté et sans langue de bois. La parole à un jeune retraité. À une voix qui compte dans l'univers de la télé... La parole à un pionnier... Merci infiniment, cher Monsieur de Greef, merci d'avoir accepté, avec bienveillance et générosité, mon invitation... Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer  EXCLU

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

ALAIN DE GREEF

Directeur des programmes de Canal+ (1986-2000)

 

« Canal ? J'envisage de me désabonner »

 

Alain de Greef

(Photo fournie par M. Alain de Greef)

 

Q. : 24/08/12 ; R : 03/09/12

  

Paroles d'Actu : Comment allez-vous, Alain de Greef ? Que devenez-vous ?

 

Alain de Greef : Très bien ! Comme un retraité qui en ce moment précis se la coule douce dans la chaleur provençale…

 

PdA : Sans faire dans la nostalgie (je ne pense pas que vous soyez homme à vivre dans le passé), quel regard portez-vous sur vos années Canal ?

 

A.d.G. : Sans doute la plus belle période de ma vie, même si je ne crache pas sur mes années ORTF, puis Antenne 2, qui ont été formidablement formatrices.

 

PdA : De quoi êtes-vous le plus fier s'agissant du temps - de 1986 à 2000 - où vous avez été en charge des programmes de Canal + ? Qu'est-ce qui guidait vos choix ?

 

A.d.G. : Je pense que ma première fierté fut, en 1984, deux ans avant de devenir patron des programmes, d’avoir inventé la multidiffusion des films, au contraire des rediffusions sans fin qui étaient le lot des chaînes à péage américaines qu’on me demandait de prendre pour modèle. Puis, bien sûr, Les Nuls, même si je n’y étais pas pour grand chose, si ce n’est de les avoir réunis. Nulle Part Ailleurs, parce que c’était beaucoup plus qu’une émission. Les Guignols, parce que, 25 ans plus tard, c’est toujours unique dans le Paf. Le Vrai Journal, parce que la bonhomie de Karl Zéro a permis à des reportages pointus d’être vus par dix fois plus de monde que les actuelles émissions politiques sur Canal+. Et encore tous ces gens exceptionnels avec lesquels j’ai bossé pendant quinze ans…

 

PdA : On a beaucoup entendu parler, sous Pierre Lescure et Alain de Greef, de l'"esprit Canal". A-t-il jamais réellement existé ? Si oui, il est mort depuis longtemps, non ?

 

A.d.G. : Ce n’est pas nous qui en parlions, mais les gens qui regardaient et trouvaient que cette télé n’était pas comme les autres. En tous cas c’était une question de personnes et nous sommes presque tous partis. Restent Groland, Les Guignols et Le Zapping

 

PdA : Vous regardez toujours Canal, aujourd'hui ? Quels sont, en tant qu'ancien directeur des programmes, mais aussi en tant que téléspectateur (abonné ?), les programmes de la chaîne que vous applaudissez ? Ceux que vous n'auriez pas validés ?

 

A.d.G. : Je regarde très peu en fait, juste Le Zapping et Les Guignols, quelques films, de moins en moins de foot, je regarde surtout L’Équipe du dimanche, malgré son présentateur souvent lourdingue. Je regarderai ce qui se passera dans les prochains mois, mais j’envisage de me désabonner de cette chaîne qui ne donne plus grand chose à mettre sous la dent de mes goûts marginaux…

 

PdA : Question liée. Quels sont, toutes chaînes confondues, les programmes qui trouvent grâce à vos yeux ? Je pense notamment aux chaînes étrangères. Vous les regardez ? Que peut-on en apprendre ? 

 

A.d.G. : Je regarde assez peu la télé. Mes principaux centres d’intérêt sont le jazz et je suis abonné aux deux canaux de Mezzo, la comédie pas trop beauf et là, faut faire le tri. Et enfin, surtout les émissions consacrées aux arts plastiques, au patrimoine, à la création, donc plutôt sur le service public, Arte compris. Je ne regarde que très peu les chaînes étrangères…

 

PdA : Vous avez écrit en 2005 Vous regardez trop la publicité (Flammarion), un livre très critique sur le Paf de l'époque, visant surtout la course à l’Audimat et aux annonceurs, au détriment parfois de la qualité des programmes. Les choses ont-elles changé ? 

 

A.d.G. : Je crois que c’est pire ! Il y avait dans ce livre l’idée de supprimer la pub sur le service public. Sarkozy l’a fait, mais sans fixer de nouveaux objectifs à ces chaînes. Surtout, sans reprendre mon idée principale, qui était de privatiser la 2 pour pouvoir financer France Télé sans pub et faire baisser la part de marché exorbitante des chaînes privées. Aujourd’hui, personne ne sait comment France Télé se financera dans les années à venir, et personne ne veut augmenter la redevance !

 

PdA : Que vous inspire la télé d'aujourd'hui ?

 

A.d.G. : Sur la télé d’aujourd’hui, je crois qu’il y a deux choses bien distinctes. Les gens qui ne reçoivent que la TNT et qui ont un choix indigent de chaînes qui diffusent presque toutes les mêmes choses, à quelques années de distance, hors le service public. Et puis ceux qui peuvent vraiment se composer un programme en ayant accès à un bouquet fourni, tel CanalSat.

 

PdA : Les Qataris, en pleine frénésie d'achats parisiens en ce moment, ont remporté avec Al Jazeera une victoire contre Canal dans le domaine des droits du foot. C'est inquiétant, pour la chaîne cryptée, et peut-être à terme pour le cinéma français ? L'argent n'a-t-il pas pris trop d'importance dans la balance des décisions d'attribution ?

 

A.d.G. : Nous vivons dans un monde libéral et il faut en accepter les règles, ou alors changer d’univers ! L’argent a longtemps été le moteur du succès de Canal +, notamment contre TPS. Aujourd’hui, Canal + serait plutôt la vitrine luxueuse de CanalSat, qui n’est pas près du gouffre, loin de là !  

 

PdA : Imaginons que le patron d'une chaîne naissante vous appelle demain pour vous proposer la direction de ses programmes, avec les mains totalement libres. C'est une offre que vous pourriez accepter ? À quoi ressemblerait votre grille ?

 

A.d.G. : Je n’ai vraiment plus la volonté de travailler, il y a des jeunes gens qui feraient ça mieux que moi. Ma devise depuis le précédent président est : « Travailler moins pour vivre mieux ! ». Je vis mieux…

 

PdA : Avez-vous en tête des concepts d'émissions dont vous rêvez, ou bien d'ex-projets avortés pour x ou y raison mais qui vous tenaient à coeur ? Vous aimeriez nous en parler ?

 

A.d.G. : Malheureusement non ! J’aurais aimé trouver le cadre nécessaire pour avoir des émissions qui parlent de jazz ou d’art plastique de manière populaire, mais je n’ai pas trouvé. J’ai bien deux trois idées pour d’autres types de programmes, mais c’est une question à plusieurs millions d’euros… ;-)

 

PdA : Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui croirait, justement, avoir en tête un concept révolutionnaire mais ne saurait comment s'y prendre ? Comment les choses se passaient-elles, lorsque vous étiez le patron des programmes ? 

 

A.d.G. : Pour ce qui me concerne, nous inventions nos émissions de flux avec mon équipe. Nous avions peu recours à d’autres. Mais si l’idée était lumineuse, nous pouvions partir au quart de tour. Par exemple, quand Hervé Chabalier de Capa m’a proposé le magazine 24 heures, je lui ai tout de suite dit « Ok ! ». Trois jours plus tard, je discutais le devis une petite heure avec lui. Plus de tournages en France, moins à l’étranger, donc moins cher et plus attractif (les Français s’intéressent surtout à ce qui se passe chez eux), et hop, nous étions d’accord ! Malheureusement c’était rare !

 

PdA : Votre popularité est aussi due, en grande partie, à votre marionnette mythique des Guignols. J'ai le souvenir d'un sketch très drôle concernant, justement, l'humour et le CSA (le sérieux de ce blog m'interdit de retranscrire la phrase que répétait votre personnage... lol) J'ai aussi en tête une saison où, en plein Festival de Cannes, votre fêtard de Guignol faisait tout pour éviter Pierre Lescure, terrorisé par ses questions sur les programmes de l'année suivante. C'était vraiment un calvaire, de décider de la grille de rentrée ? Vous l'aimiez bien, votre marionnette ?

 

A.d.G. : La grille de rentrée n’était pas un calvaire, bien au contraire. Mais oui, j’aimais bien cette marionnette, qui était plus que sympathique à mon égard !

 

PdA : Les Guignols vous font-ils toujours autant rire ?

 

A.d.G. : Je regarde les Guignols presque tous les soirs, et avec le même plaisir depuis le début. Même si je suis bien placé pour savoir qu’on n’est pas Molière tous les jours, je trouve les auteurs très pertinents.

 

PdA : Un élément connu de votre vie : vous aimez la musique (pas seulement The Rhythm of the Night de Corona) et le cinéma. Quel est votre top 5 dans ces deux domaines, ce que vous aimeriez que nos lecteurs découvrent ou redécouvrent ?

 

A.d.G. : Top 5 en musique... C’est trop peu pour quelqu’un qui, comme moi, écoute du jazz à longueur de journée, mais bon allons-y :

Top 5 des albums de ces derniers mois (ceux qui n’aiment pas le jazz instrumental circulez, y a rien à voir !)

- The Well, Tord Gustavsen.

- Knee-Deep In The North Sea, Portico Quartet.

- 301, Esbjörn Svensson Trio.

- The Art of Dreaming, Jacques Schwarz-Bart Quartet.

- Accelerando, Vijay Iyer Trio.

 

Pour le Top 5 du cinéma, j’aime autant montrer une liste de cinq films anciens que j’aime plutôt que des films de l’année, ce qui aurait un caractère promotionnel… Sans aucun ordre de préférence, et sachant que demain ma liste serait différente :

- La Dame de Shangaï, Orson Welles.

- All That Jazz, Bob Fosse.

- Philadelphia Story, George Cukor.

- L’homme qui tua Liberty Valance, John Ford.

- Lost in translation, Sofia Coppolla.

 

PdA : Quels sont, aujourd'hui, vos rêves ? Vos projets ?

 

A.d.G. : Vivre au soleil l’hiver, comme souvent les retraités !

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter ?

 

A.d.G. : Une santé d’enfer !

 

PdA : Souhaiteriez-vous adresser un message à nos lecteurs ? À quelqu'un en particulier ?

 

A.d.G. : Ma devise, « Travailler moins pour vivre mieux ».

 

PdA : La dernière question. En fait, une tribune libre, pour vous permettre de conclure l'interview. Comme vous le souhaitez. Vous êtes... libre ! Merci infiniment...

 

A.d.G. : Je suis profondément choqué par ce qui s’est passé en Tunisie, en Libye et en Egypte, et qui risque de se transmettre à l’ensemble des pays musulmans. Une révolution menée par des élites qui met à bas une dictature sanguinaire, suivie d’un suffrage universel où une majorité d’analphabètes s’expriment pour mettre au pouvoir une dictature religieuse non moins sanguinaire. Mais je suis également choqué de voir dans nos contrées les affrontements politiciens se passer à un niveau d’une bassesse révoltante. Donc, je suis pour la modération du suffrage universel par l’instauration d’un permis de voter. Il reposerait sur une connaissance correcte des institutions pour lesquelles on vote, avec une brève dissertation sur la démocratie qui permettrait de juger de la qualité d’expression, orthographe et grammaire compris, de l’aspirant citoyen…

 

 

La « santé d'enfer », je vous la souhaite de tout coeur, cher Alain de Greef ! Merci encore ! Phil Defer. Un commentaire ?

 

 

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Times New Roman > Georgia : 30/09/12. Présentation remaniée : 04/11/13.

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