Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles d'Actu
2 août 2016

« Paroles de passionnés : Lucas Fernandez et le club Full Contact Gym Boxe de Vienne »

Cet article-ci n’a pas grand chose à voir avec la plupart de mes publications habituelles, qui bien souvent portent sur des points assez lourds - y’en a-t-il qui soient réellement légers, surtout en ce moment ? - d’actu. Cet article est d’abord né d’un vrai coup de cœur perso. J’ai eu envie d’offrir cet espace d’expression à Lucas Fernandez, un garçon de qualité, de talent(s), un jeune au potentiel élevé. Lorsqu’il m’a parlé pour la première fois de sa pratique de la boxe, discipline que je ne connais pour ainsi dire pas du tout, il l’a fait avec une telle passion, un enthousiasme tel qu’il a réussi à m’intéresser vraiment. Il aurait sa place dans les colonnes de Paroles d’Actu. Forcément.

Depuis la première proposition, il y a eu sur ce blog, en matière de sport, une tribune libre offerte au champion du monde de boxe Mahyar Monshipour et que j’ai, justement, spécial-dédicacée à Lucas, et l’interview fleuve réalisée avec Julien et Gérard Holtz au début du mois de juillet. L’échange qui nous concerne aujourd’hui, après avoir failli tomber à l’eau à plusieurs reprises, s’est finalement fait le 26 juillet. En live intégral, une première dans l’histoire de Paroles d’Actu. Les confidences cash, sans fard ni filet d’un jeune mec de 19 ans, parfois drôles, souvent touchantes et qui en tout cas sonnent à chaque fois justes et vraies. L’occasion également d’évoquer le trente-cinquième anniversaire du club Full Contact Gym Boxe qu’a fondé son grand-père Carlos Fernandez à Vienne (Isère). Un article à découvrir en texte (entièrement retranscrit à la main, ouch !) et en audio, parfois en vidéo, étape par étape, au fil des surprises, jusqu’au petit clin d’œil final. Je ne sais pas si, voyant passer cette publication, Google News décidera de me sucrer son référencement ; tant pis, je prends le risque : c’est et ce sera un bel article, et il en vaut la peine... Merci beaucoup à vous qui y avez participé. Heureux 35 ans au club... et bonne route, Lucas... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Paroles de passionnés : Lucas Fernandez

et le club Full Contact Gym Boxe de Vienne »

 

Partie I: l’interview de Lucas Fernandez

réalisée le 26 juillet 2016

L

 

Tu te présentes ?

Je m’appelle Lucas Fernandez, j’ai 19 ans. Je suis né le 14 janvier 1997 à Sainte-Colombe (Rhône). Je viens d’avoir mon Bac professionnel en alternance Commerce section Européenne. Je vais partir un an dans les écoles EF à Brighton (Angleterre) pour étudier la langue. Je travaille actuellement en job étudiant à Easydis, Grigny.

Niveau sport, je ne fais rien actuellement. Je vais reprendre la boxe en Angleterre après l’avoir pratiquée pendant dix ans.

 

Ta découverte de la boxe : les premières

impressions et sensations

Au départ, j’ai commencé par le foot, comme je pense beaucoup de Français, beaucoup de jeunes. Le foot, parce que tous les copains de l’école jouaient du foot. On y jouait déjà dans la cour. D’abord le foot, donc. Mais comme mon grand-père avait son club de boxe c’était un peu une obligation d’en faire. Les premières fois, j’allais à la salle et je donnais des cours de gym aux grands-mères, avec mon grand-père, je devais avoir entre 6 et 8 ans... Avec les petits poids, etc... Mes plus vagues souvenirs. Je voyais déjà les anciens boxeurs, parce qu’à l’époque il y avait des professionnels, comme Abdel Jebahi, qui a été champion d’Europe. Pas mal de bons boxeurs du coin comme Bouzidi Belouettar... des jeunes et bons boxeurs.

J’ai commencé la boxe à 7-8 ans. À part les cours, j’ai commencé par l’éducative. J’aimais pas, déjà parce que c’était une obligation. Mes potes faisaient du foot, j’avais aussi essayé le basket, etc. Moi je voulais rester dans le foot. Mon grand-père me disait que les sports de combat, ça allait m’aider, surtout qu’à l’époque, j’étais plus timide, très gentil. Je me laissais plus marcher dessus quand j’étais petit. Ça m’a aidé à m’endurcir, à m’affirmer. La sociabilité je l’ai toujours eue. Le caractère, c’est venu après. Par la boxe et aussi par les hauts, les bas de la vie. Je retiens bien les choses, du coup, j’analyse beaucoup. Je garde beaucoup les choses pour moi, surtout avec ma famille, où c’est quand même un peu plus bridé. On est très sociable, on rigole bien mais il y a une vraie pudeur.

Ce que j’ai aimé, c’est la compétition. Dès que j’ai commencé la compétition, à ce moment-là j’ai vraiment commencé à aimer la boxe.

 

Ton style de boxe ?

Les premières années avant la compétition il y a eu l’éducative, j’ai dû en faire deux ans. On apprend les bases. La corde, déjà, rien que la corde. Trois années au moins avant de maîtriser. On croit que c’est facile, que c’est un truc de fille, mais en fait c’est pas si facile. Ce qui est dur déjà avec la corde, c’est de ne pas s’emmêler les pieds. De trouver son rythme. Après, avec l’expérience, on se débrouille un peu, on fait des accélérations, doublées, croisées... On prend un peu un style, style parfois à l’américaine. On essaie de nouvelles choses qu’on peut voir à la télé... La corde à sauter c’est très bon pour le cardio, ça aide pas mal.

On travaille aussi le déplacement, la garde. Quand j’ai commencé, j’avais la garde haute. Toujours, parce qu’on commence toujours en apprenant les gardes de base. D’année en année, j’ai adopté un peu plus la garde basse, à part dans les contacts, un peu à la Muhammad Ali ou comme les boxeurs colombiens. On a boxé aussi sur les deux gardes, comme beaucoup de boxeurs colombiens - ça c’est un style que j’aime beaucoup. Les mecs sont vifs, et quand tu sais boxer sur les deux gardes, tu peux boxer aussi facilement contre un gaucher que contre un droitier. Et ça déstabilise, puisque ça n’est pas les mêmes attaques. Mon style : « vif ».

 

On souffre quand on est boxeur ?

Oui ! J’ai deux-trois souvenirs... Pour moi, le truc qui était un peu compliqué, c’est que c’était mon grand-père, l’entraîneur à l’époque où j’ai commencé. Jusqu’à ma dernière année de compétition en éducative, c’était lui. Et mon grand-père, il est, comment dire... pas comme un militaire, mais quand même assez froid. Et comme c’était moi, il fallait que je sois le meilleur. Ce qui me faisait de la peine, c’est qu’il félicitait tout le temps les autres, alors qu’il était plus dur avec moi. Mais après, ça m’a beaucoup aidé. Surtout en éducative : à la fin, je boxais contre des amateurs et des pro ou semi-pro.

Le vendredi soir. Je m’entraînais à cette époque avec Paul Omba Biongolo, qui sera aux Jeux olympiques à Rio. Notre point commun, c’est qu’on était doué. Lui, c’est un mec qui a la technique, il a de la frappe, c’est un puncheur. Il est dans les poids lourds, et il fait mal. Depuis tout petits qu’on était ensemble, ça a toujours été une « brute ». Il y a surement des gênes, puisque son père avait été champion d’Afrique - c’était mon grand-père l’entraîneur. Lui, il avait ça, et moi, comme me disait mon grand-père, j’avais la malice. J’avais beaucoup de cardio, j’avais de la technique. J’apprenais à bien et vite m’adapter aux boxeurs. Il y a aussi le mental : sans mental tu ne montes pas sur le ring. Tout le monde croit que c’est facile, mais c’est pas le cas. C’est des rounds de trois minutes. Il faut avoir l’endurance, la niaque. Savoir encaisser. Si tu te fais mal, ne pas te plaindre. Il y en a beaucoup que j’ai vu pleurer après avoir perdu. Après, c’est une question de fierté : moi, j’ai jamais pleuré. Même après une défaite, j’ai toujours serré la main de mon adversaire. Jamais fait de manière, à dire que c’est l’arbitre, etc... J’ai déjà eu les boules, surtout les dernières années, où je me suis fait voler. Mais c’est le sport : il y a toujours eu du vol, il y en aura toujours.

(...) Pleurer aux entraînements ça m’est peut-être arrivé deux fois, parce que moi je pleure pas beaucoup. Je me rappelle d’un entraînement, c’était ma dernière année. Il y avait ma petite copine de l’époque qui était venue. Comme dit mon grand-père, certaines semaines ça va, d’autres quoi que tu fasses, t’arrives à rien. On rentrait de l’entraînement. Je parlais pas dans la voiture. Je sentais que ça venait... Je sentais qu’il y avait la mort, parce que j’avais ramassé, ce soir-là. Y’avait Marvin Falck, qui avait fait champion d’Europe cette année-là, qui était dans mon club, en full contact. J’avais fait deux-trois rounds contre lui. Moi je boxais. On avait fait des sparring. J’était toujours le même boxeur, et je tournais contre trois mecs. Du coup, à chaque fois qu’ils rentraient sur le ring, ils étaient frais. Toi, t’as déjà enchaîné un ou deux rounds. Surtout contre des mecs comme Marvin et d’autres bons sportifs. Quand t’y arrives pas, t’as les nerfs. Tu te bas. En plus il y avait ma copine, alors t’as encore une fierté, une pression en plus. Et j’ai craqué. En bas de chez moi, je me rappelle... J’ai pleuré pendant au moins une heure, dans la douche. C’était il y a trois ans.

 

Des moments, des combats marquants ?

Quelques uns, oui. Là j’en ai un en tête. C’était dans la Loire. Je boxais contre un Algérien, une racaille un peu. Je l’ai pas montré, mais il était venu avec ses potes de quartier. Moi, je suis toujours resté le mec à rigoler dans les vestiaires, etc. On se voit tous, on se connaît, c’est un petit monde. Surtout quand tu fais les championnats de France, etc. Ce jour-là donc, j’avais une plus grosse pression, parce que je m’étais laissé impressionner par l’image du mec. Comme beaucoup dans la rue, quand on voit la racaille on baisse les yeux. C’est des mecs qui sont tellement dans leur film, je pense, tellement dans leur image, ils montrent une telle confiance que toi, ça te remet en question. Dans la rue, certaines personnes vont prendre peur quand on va leur demander l’heure. Avec l’effet de groupe, etc. C’est une question d’image avant tout.

Je me rappelle, donc, de ce combat. Pendant le premier round, je me laissais dépasser par cette peur. La peur on l’a toujours, ou en tout cas le stress, même quand on est sûr de gagner. Tout le monde l’a. Moi, mon truc, c’est que j’avais tout le temps envie de pisser, je le faisais au moins quinze fois... Pour ce combat, mon grand-père me disait, dans le ring, que quand il était jeune, quand il voyait un Arabe ou un noir, ça lui mettait encore plus la niaque, pas par racisme mais parce que souvent ces mecs-là se croient dans leur film, avec leurs préjugés sur les blancs, etc. Ils se croient à part alors que tout le monde est pareil. Et les deux rounds suivants, je l’ai mené, facile. Tous ses potes de quartier étaient un peu choqué et m’ont félicité à la fin du combat.

Autre bon souvenir : la première année où j’ai fait champion de France. La première fois que j’y allais, c’était à Angers, en éducative. Toute la France était là : des Corses, des Réunionnais, etc... C'était super bien. J’y suis allé trois années de suite. La première année, j’ai eu la médaille de bronze après avoir perdu en demie. Une bonne expérience, vraiment. Les deux années suivantes, j’ai fait champion de France.

En fait, plus j’ai passé des échelons, plus j’ai apprécié. Les dernières années j’ai un peu baissé les bras. J’ai eu des frustrations par rapport au fait de m’être fait voler, mais aussi je dois le dire, je travaillais moins. Mon problème, c’est que j’étais doué - quand j’étais à l’entraînement je travaillais beaucoup - mais j’étais feignant à y aller. Comme mon grand-père, encore lui, m’a toujours dit, quand tu es champion, tu as passé un cap, mais le plus dur c’est de rester à ce niveau. Aujourd’hui son idole c’est Teddy Riner : depuis ses 17 ans il est champion du monde, et le mec il est toujours là. Il s’est toujours remis en question et toujours imposé. D’autres qui ont son âge et qui ont commencé quand lui a commencé le voient comme l’homme à battre absolument. Tu te dis, arrivé là, que des mecs s’entraînent uniquement dans le but de te battre, de te détruire, de prendre ton titre. La roue tourne, il ne faut pas prendre la grosse tête. Mais parfois, malheureusement, il y en a qui tombent là-dedans... Moi j’ai pas vraiment eu la grosse tête, mais était tombé dans l’adolescence, il y a eu les soirées, etc... Maintenant je regrette un peu. Je vais peut-être reprendre un jour mais... Après, moi j’ai fait l’amateur, et c’était très bien. Les dernières années surtout j’avais envie de me lâcher un peu sur les coups. En amateur, tu as droit au KO. C’est une autre expérience. De vrais coups, l’arbitre laisse plus le contact, le cardio c’est pas le même, etc.

Je cite beaucoup mon grand-père parce qu’il est un modèle pour moi et que beaucoup des choses qu’il m’a dites ou des conseils qu’il m’a donnés ont été justes.

 

Tes grosses déceptions ?

J’ai toujours essayé de tout faire sans regret. Peut-être d’avoir un peu lâché les dernières années, de m’être moins entraîné. Parce que là, quand j’ai remis les gants les derniers temps, les mecs qu’à l’époque je battais ont pris du niveau. Comme mon grand-père dit souvent, c’est les mecs qui bossent plutôt que ceux qui sont doués à la base qui s’en sortent. Le talent sans travail ça ne marche qu’un temps. Abdel Jebahi me racontait que, quand il était gamin, ses frères étaient tous meilleurs que lui. Lui n’était pas costaud. Il venait quand même, mais n’a jamais rien lâché. C’est devenu le meilleur. C’est comme un pote à moi, Quentin Drevon, poids léger, tout mince. Lui, tous les ans, nous on avançait aux championnats du Lyonnais et lui se faisait éliminer dès les premiers tours. Je crois qu’il a dû mettre cinq ou six ans avant de faire ses premiers titres. Ce mec est toujours venu aux entraînements, sauf pour des enterrements, etc. Il ne lâchait rien. Là, il a arrêté pour les études, mais c’est le genre de mec qui ne sont pas bien quand ils arrêtent. Moi j’étais doué. C’est comme mon grand-père, quand il a commencé les sports de combat, il se battait beaucoup dehors, du coup il y a déjà une appréhension. Moi je suis né comme ça. Ça te vient tout seul. Je me la racle pas, je me la suis jamais raclé : y’a très peu de gens qui savent que j’ai fait des titres en champion de France, des compétitions, etc. Je l’ai jamais dit, parce que je trouve que ça ne sert à rien, il y a toujours meilleur que soi et pire que soi. On en parle en club, mais j’ai jamais jalousé les gens.

Quand on était en éducative, avec mon pote Valentin Armada, aux championnats du Lyonnais, on était dans la même catégorie. Du coup on devait s’affronter. Moi j’ai eu le choix, ou de monter d’une catégorie, ou de l’affronter. J’ai pensé au côté amical, du coup j’ai changé de catégorie, et c’est lui qui a fait champion de France, deux années d’affilée, alors que j’avais un niveau largement supérieur à lui. Je me suis fait voler à Marseille, après j’ai arrêté. Récemment j’ai remis les gants avec lui... et je le tiens toujours. Il a fait ses titres, c’est bien. J’ai fait un choix, je le regrette pas. Lui n’avait jamais fait de titre avant. Au moins, il a eu son heure. J’ai été content quand il a été champion. Après, tu te poses toujours des questions...

Parfois, il y a des mecs qui ne font jamais de compétition, ils sont dans les salles avec un niveau supérieur à des gens qui font des titres. Ce qui est bien, c’est que la boxe c’est un sport d’individualité, mais aussi collectif. Sans les collègues du club, tu n’évolues pas. Tu as besoin d’eux parce que tu apprends à chaque combat, tu ne peux pas affronter uniquement un sac ou une vitre, faire du shadow contre toi-même. Il faut se battre avec des gens qui ont du niveau et ne pas toujours avoir les mêmes adversaires ou des adversaires faciles. Tu t’habitues trop quand c’est des collègues. Quand il y a un challenge, tu apprends plus.

 

Des modèles, des figures qui t’inspirent ?

Déjà il y a les grandes stars, Tyson, Ali... Ils ont créé leur style, à leur époque. Après, j’aime beaucoup les Mexicains, qui ont un mental de taré, ils ne lâchent rien, ou même les Thaïlandais - je fais un peu de boxe thaï. J’ai eu la chance d’aller en Thaïlande. Je voyais des gamins de 8 ans blessés ; les mecs ils ne pleurent pas, il n’y a pas papa-maman derrière. Chez nous, il y en a un qui saigne du nez, ça y est, c’est la fin... Ils jouent un peu leur vie et ils ne naissent pas dans les mêmes conditions que nous. Ils savent bien se battre, mais j’ai pas ressenti d’agressivité dans la rue là-bas. Alors que chez nous, les gens ne savent pas se battre, mais on se sent plus menacé... Alors que c’est qu’une image. Parmi les gens que j’admire aussi, il y a Mayweather, même si c’est un businessman et qu’il se la racle... c’est une légende.

 

Rocky ?

Oui c’est une inspiration, je pense qu’il a poussé beaucoup de monde a faire de la boxe et des sports de combat. Quand je regardais ces films, j’avais toujours envie d’aller à l’entraînement après. Ça a quelque chose d’inspirant. Il y a beaucoup de films comme ça : tu sors du cinéma et tu te dis, « J’ai envie de faire ça ». Parce que ça fait rêver, c’est inspiré d’une réalité. Tu regardes les premiers Rocky, parfois c’est abusé, mais quand tu vois le dernier, Creed, c’est inspirant et c’est souvent juste et vrai. Des films avec beaucoup à la fois d’adrénaline et d’émotion. Il y a la mort, la maladie... On voit aussi que le sport de combat évolue, il y a les MMA (arts martiaux mixtes, ndlr) maintenant, et ça c’est bien. Ces mecs-là sont complets et pour moi ils sont des idoles parce que, souvent, c’est des machines. Des bêtes, des tueurs. Ils sont dans une cage, c’est des combats libres. Le mec, tu le croises dehors, il te tue.

 

C’est quoi un bon boxeur ?

Dure cette question. Il ne doit pas y avoir que le résultat, il y a la personne aussi. C’est comme pour tout sport. Il y en a qui vont être de gros connards de la vie et qui vont réussir et d’autres, des pauvres mecs qui vont s’acharner sans jamais réussir. Pour moi un bon boxeur doit être complet. Il soit savoir se remettre toujours en question, être humble et travailler. Tu peux peut-être plus te lâcher en fin de carrière, quand tu as fait tes preuves. Et même là, tu as toujours à prouver, parce qu’il y a toujours meilleur que soi quelque part. Et quand tu vieillis, il y a les jeunes qui arrivent, tout frais...

C’est comme avec mon pote Paul, qui fait les JO ; tous les mecs du quartier de l’Isle (Vienne, Isère, ndlr) sont derrière lui. Ils lui jettent un peu des fleurs alors qu’il y a des années, c’était pas la même. Là il y a le côté un peu people : il est passé sur beIN, il est passé sur France 3, ils sont sponsorisés par Lacoste... Quand tu es populaire, je pense qu’il faut savoir trier un peu. L’entourage. Écouter les bonnes personnes parce qu’il y a de mauvaises personnes qui sont là pour de mauvaises raisons, pour le pognon... Comme disait un de mes entraîneurs, Olivier Perrotin, il ne faut pas oublier que la boxe, c’est pas comme footballeur où tu peux gagner des millions. La boxe, il y en a qui meurent en Afrique pour des 150€. Ils sont lâchés, les mecs, pour des 150 balles ils se mettent sur la gueule jusqu’à crever... Les professionnels eux ont des séquelles. Ali est mort il y a pas longtemps, il avait Parkinson... ils sont ravagés, souvent, les pro. Mais comme plein de sport : les rugbymen, le foot américain, les sports d’impact. On dirait pas, mais quand tu reçois des coups de poing... Et encore, ça a évolué, les gants...

 

Que t’inspirent les gens dont la boxe est le métier ?

Je me dis qu’ils ont de la chance. Vivre de sa passion, c’est le meilleur métier du monde. Pas que dans le sport : les artistes, etc... Les mecs, ils se lèvent le matin, et vraiment ils kiffent. Ils montrent ce qu’ils aiment ; leur trip, leur vie, c’est ça. Mais il faut du courage aussi parce que c’est pas toujours facile. Même le foot. Je pense à un pote à moi qui est à Évian, en centre de formation. Dans le foot il y a du bling bling mais faut pas voir que ça : souvent, ils n’ont pas trop d’adolescence et doivent faire des sacrifices.

 

Que représente la boxe pour toi aujourd’hui ?

Pour l’instant, je suis un peu en retrait mais ça restera une passion. J’ai grandi avec, donc ça restera. La boxe m’a appris beaucoup de choses. La boxe, ça forge en tout. Les difficultés, comme ma famille m’a toujours dit, tu en as tous les jours. La jalousie, il y en aura tout le temps. Dans le sport c’est pareil. C’est un affrontement. Aujourd’hui, tu affrontes un boxeur mais demain tu affronteras peut-être la misère. Sans compter qu’il y a toujours un combat contre soi-même. Tout est combat : le combat du chef d’entreprise qui va devoir affronter son travail tous les jours, il a une pression...

Quand tu es champion, tu as cette pression. Et quand tu es en haut, dans la lumière, tu as plus une pression parce que tu n’as pas droit à l’erreur. Tout le monde croit en toi, et parfois c’est lourd à porter, pas facile à assumer. C’est encore plus compliqué aujourd’hui, avec l’omniprésence des médias, etc. Pendant l’Euro, un joueur pouvait être traité en roi l’espace d’un match avant d’être descendu celui d’après... Pour la famille aussi, ça doit être dur. Être dans la lumière, c’est loin d’être bon tout le temps. Par rapport à ça, ce qui est bien, c’est les gens, sportifs ou autres, qui se créent une image, un personnage pour le public. Tu joues un rôle en public, et je pense que ça peut les protéger. Moi je pense que je ferais ça. Renvoyer une image... pour continuer de faire rêver un peu les gens, c’est ça qu’ils attendent...

 

Qu’as-tu appris sur l’aspect gestion d’un club ?

Ça va faire 35 ans à la rentrée que le club existe. Mon grand-père, je précise, c’est Carlos Fernandez. L’aspect business, je l’ai jamais trop approché. D’après mon grand-père, c’est beaucoup d’investissement personnel. Il m’a toujours dit qu’un jour il avait été touché par ce que lui avaient dit ma mère et mon oncle, qu’il était plus avec ses boxeurs qu’avec ses enfants. Ça lui avait fait mal. Mais les vrais entraîneurs, les vrais passionnés, en général ils ne font pas gaffe. Même sans vouloir blesser. C’est vraiment beaucoup d’investissement personnel et de sacrifices.

Pour l’aspect business, les déplacements, il faut les payer, la salle et le matériel il faut les payer... après, même si c’est une association, il faut trouver les fonds, etc. Mon grand-père a organisé beaucoup de galas. Il faut trouver les sponsors. Il a beaucoup de connaissances, donc ça l’a beaucoup aidé. C’est bien qu’il y ait des gens comme ça. C’est des passionnés et s’il n’y avait pas de gens comme ça, il n’y aurait pas d’évènements. Je pense que parfois il a pris des risques mais il faut ça, avoir les « couilles » de prendre des risques. Après, ça passe ou ça casse... la vie, il y a des hauts et des bas.

 

Comment se porte la boxe en France ?

Les choses sont beaucoup bridées en France. Ça se développe, mais pas comme aux États-Unis, en Russie, etc. C’est pas la même mentalité, pas le même esprit... Je parlais tout à l'heure du MMA, en France c’est interdit. Du coup, les combattants français vont boxer à l’étranger. Beaucoup de choses changent chaque année, les règles etc... C’est plus en haut que ça se passe, comme avec la FIFA pour le foot...

 

Tu te verrais prendre la suite du club un jour... ?

Je sais que ça rendrait fier mon grand-père, il me l’a toujours dit. Il est content quand je vais à la salle. Aussi parce qu’il faut parfois retirer les mauvaises plantes. Il a toujours dit que quand il y a une mauvaise plante dans un groupe, il faut l’enlever, parce qu’elle peut contaminer l’ensemble. C’est vrai pour tous les sports.

Après, reprendre le club, oui et non. Faire quelque chose de bien, si j’en ai les moyens un jour, oui, franchement oui... Il y a un vrai potentiel. Et c’est bien parce que c’est dans un quartier. Peut-être pas forcément à Vienne, peut-être ouvrir quelque chose ailleurs... mais déjà, ouvrir quelque chose dans un quartier, c’est bien. Parce que ça fait venir tous types de populations, et les gens se mélangent. Saint-Fons, Saint-Priest, etc... c’est bien parce qu’il y a de la racaille mais aussi des parents, etc. Dans mon club aussi il y a des mecs de quartiers, mais il y en a moins, parce que quand ils ne sont pas dans leur élément, ils restent pas. Beaucoup de bla-bla et quand les difficultés arrivent, ils s’en vont. Ils sont dans leur film. Dans mon club, il y a eu deux boxeurs qui sont au GIGN, des mecs de la police, etc. Et il y a des blancs, des noirs, des Arabes... pas de frontière, on est tous là pour la même chose, pour apprendre le combat. C’est bien, surtout pour les jeunes, surtout maintenant.

Tout le monde devrait avoir comme moi j’ai eu l’exemple de ce grand-père. Ça te fait capter les choses. Après, des conneries, on en fait tous. Mais tout le monde aurait besoin de ça, de cette école de la vie pour prendre de bonnes bases. Je suis déconneur, je mange la vie mais je sais me remettre en question. C’est déjà beaucoup. Beaucoup de gens n’y arrivent pas. Et il y en a qui coulent. Certains qui fuient parfois jusqu’au suicide. Mais c’est pareil, fuir et avoir les couilles : il en faut pour se tirer une balle dans la tête ou pour se pendre... Il faut toujours se rappeler que du jour au lendemain tout peut partir, et parfois c’est dur à supporter...

 

Où, comment te vois-tu dans 5 ans ?

Dans 10 ans... ?

J’espère être au mieux. Pas malade, etc. La pêche, toujours. Où je me vois ? Déjà, j’espère avoir fini mes études. Avoir passé les caps que je veux, niveau études, niveau investissements, dans la vie, etc. Même si j’ai 19 ans, malheureusement maintenant il faut penser à l’avenir jeune. Comme ma mère dit, il faut profiter de sa jeunesse parce que ça passe vite, mon père me le dit aussi... mais il ne faut pas oublier que maintenant c’est dur, c’est dur en France, ailleurs aussi. Il faut voir loin. Pas forcément faire le gourmand, il faut avancer étape par étape, mais voir loin. J’espère être au plus loin que je veux et atteindre les objectifs que je veux.

Dans dix ans... je serai peut-être posé, on verra. Surtout, ne pas se faire de film. Rester moi-même. Se fixer des objectifs et avancer dans la vie correctement.

 

Un message pour quelqu’un ?

Déjà, c’était un plaisir de faire cette expérience, que j’avais jamais faite auparavant. Je me rends un peu plus compte de comment ça se passe, les YouTubeurs, etc... Être derrière et devant une caméra, confier ses pensées... et franchement c’est cool ! Parfois il y a des choses qu’on pense mais qu’on n’ose pas dire. Et là on se livre. Le truc, c’est que moi je parle pas sérieux avec tout le monde. J’ai toujours été un peu le déconneur, le fou du groupe, avec mes potes. Mais on peut pas parler de choses sérieuses avec tout le monde. Tout le monde n’est pas ouvert sur tout. C’est malheureux parce que normalement tout le monde devrait parler de tout. Mais le problème c’est que souvent les gens ont une pudeur, ils se mettent des barrières.

Passer un message, oui à ceux qui se reconnaîtront dans ce que je dis. Merci à mon grand-père qui m’a appris la boxe, à mon père et ma mère qui m’ont appris pas mal de choses. Les paroles que normalement tout parent devrait avoir pour ses enfants. Voilà... globalement, un merci collectif.

 

Que peut-on te souhaiter ?

Pas facile comme question... me souhaiter le meilleur. Le meilleur sans prendre la grosse tête. Rester humble. Et si un jour j’ai la chance d’évoluer vers le haut, jamais oublier d’où je viens, je pense que c’est important... Moi, je suis un peu fainéant parfois, malheureusement je reste sur mes acquis, mes capacités... mais c’est un défi que je me lance aussi. Toujours me remettre en question et avancer comme ça.

 

Un dernier mot ?

Gardez la pêche ! La forme, le sourire... profitez de la vie et évoluez !

 

* * *

 

Partie II: l’interview d’Olivier Perrotin

réalisée le 31 juillet 2016

O. Perrotin, entraîneur au Full Contact Gym Boxe de Vienne depuis de nombreuses années, est aussi l’auteur de deux ouvrages sur la boxe : Drôle d’endroit pour un ring... et Le Rose vous va si bien (Édition 7).

 

Le Rose vous va si bien

 

C’est quoi un bon boxeur ?

C'est quelqu’un qui boxe pour lui et non pas pour son père, ses potes, sa réputation... Qui est capable de se créer un objectif et de trouver la motivation, et de s’y tenir. Du point de vue physique, il faut qu’il soit un travailleur acharné pour compenser ses faiblesses et accroître ses qualités. L’idéal, c’est un boxeur possédant une bonne coordination jambes/bras, avec un bon coup d’oeil qui arrive à « lire » la boxe adverse et anticiper, capable d'allier relâchement, contraction musculaire et précision - le punch - et qui accepte de recevoir des coups...

Quels conseils pour quelqu’un qui aimerait boxer ?

Qu’il choisisse bien son club. Qu’il prenne le temps de discuter avec les professeurs et qu’il regarde les séances. S’il existe des groupes de niveau, d’âge et de pratique, que les exercices sont avec des thèmes, que les groupes sont multi-culturels et qu’on ne lui demande pas tout de suite son poids, alors là, il peut y aller !

Quel regard sur le monde de la boxe et sur la boxe pro ?

La boxe pro ne m’intéresse plus vraiment. Je préfère l’aspect formation de la boxe amateur et de la boxe loisir. Je mets l’accent sur la boxe « éducative » destinée aux plus jeunes. Les amener à prendre confiance en eux et à mieux se connaître afin d’être à même de côtoyer les autres et d’apprendre à les apprécier. L’aspect éducatif à base de jeux de rôles (arbitre, juge, boxeur) avec ses règles précises aident à la socialisation et le brassage culturel participe au « mieux-vivre ensemble ».

La boxe a perdu sa médiatisation à l’époque où les promoteurs ont remplacé les entraîneurs dans la gestion de carrière et monté des combats « bidons » pour faire « monter » les boxeurs qu’ils avaient sous contrat. Les spectateurs et les diffuseurs n’étant pas tous des pigeons s’en sont rendu compte et ont cessé, les uns de regarder les matchs à la télé, et les autres de financer.

Quelques mots sur le club, qui fête ses 35 ans ?

La politique du club reste la formation – amener les jeunes boxeurs à leur plus haut niveau personnel, c’est-à-dire « champions d’eux-mêmes » – ; la pratique loisir, pour que le plus grand nombre de personnes connaissent et apprécient la pratique des sports de combat, et en parlent en bien – cette saison, près de deux cents adhérents ont été initiés – ; la convivialité : dans ce monde ou l’égoïsme, la violence, les dogmes religieux reviennent en force, le Full Contact Gym Boxe de Vienne est un lieu ou il fait bon se retrouver autour d’un projet commun.

Lucas

Né au club, il y a fait ses premiers pas : il entre à l’école de boxe à 8 ans et suit notre enseignement jusqu’à ses 18 ans... Il fait partie, en dehors de ses titres sportifs, de ce qui fait notre fierté. Des jeunes garçons et filles que l’on a aidés à grandir, à être sûrs d’eux et de leur capacité à relever tous les défis de la vie.

 

* * *

 

Partie III: l’interview de Carlos Fernandez...

réalisée le 1er août 2016

Le club a 35 ans... quels souvenirs ?

Après neuf mois de travaux et beaucoup de difficultés à surmonter (car j’ai pratiquement tout fait par moi-même pour créer ce lieu réservé aux sports de combat), la naissance de mon club a été pour moi un grand bonheur me permettant de donner aux autres ce que je n’avais pas eu, c'est-à-dire, une salle multi-boxe.

Si c'était à refaire, ce serait plus ou moins dur qu’en 1981 ?

Si c’était à refaire, je pense que ce serait plus simple car, grâce à l’expérience acquise et aux connaissances humaines que j’ai aujourd’hui, j’ai appris et compris beaucoup de choses. Je procéderais différemment, en faisant appel aux organismes d’État pour m’aider à monter ce projet.

Ce qui vous rend fier...

Ce qui me rend fier, ce sont tous les résultats acquis pendant 35 ans et les satisfactions que cela apporte ; l’ambiance familiale que j’ai pu créer dans ce club et, pour couronner le tout, le double titre de champion de France de mon petit-fils Lucas. 

Quelques mots sur lui ?

À part la satisfaction personnelle qu’il m’a apportée, Lucas est un garçon intelligent, malin et très humain. En boxe, il savait s’adapter à ses adversaires et trouver les failles pour remporter la victoire.

Je souhaite tout simplement qu’il réussisse dans la vie comme il a réussi en boxe et qu’il continue à être le petit-fils adorable que j’aime !

Ce qui vous donne des regrets...

L’ingratitude humaine...

Vos projets et envies pour la suite ?

Je tire ma révérence progressivement (tout en gardant un oeil bienveillant sur le club) en mettant en place une équipe qui assurera la continuité de cette belle aventure. J’espère quant-à-moi profiter d’une paisible retraite.

 

...et l’album photo qu’il nous fait partager !

 

26 - National La Pommeraye - 17 au 19 Lucas Champion France N°1

« Deux photos de Lucas lorsqu’il est devenu champion de France à La Pommeraye, près d’Angers, en 2012. »

 

Boxe Camp de boxe photo avec l'entraîneur

« Deux photos prises dans un camp de boxe en Thaïlande en août 2008, avec deux

entraîneurs thaïlandais. Je suis avec mes deux petits-fils (Lucas et son frère Enzo),

et nous venions de faire ensemble un entraînement de boxe. »

 

* * *

 

Partie IV: petite surprise, pour les 35 ans... 

réalisée le 1er août 2016

 

Le lien du club FCGBhttp://www.vienneboxe.fr

FCGB

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

Publicité
Publicité
Commentaires
H
Bonsoir<br /> <br /> Il faut bien lire les deux livres d'Olivier. Olivier,comme mémoire vivante on ne fais pas mieux. Il n'est pas écrivain, mais il a du style. Ce sont des livres-documentaires, qui se lisent comme des romans. l’œil du technicien hors pair,la compétence, la pertinence de ses réflexions se disputent avec un sens aigu de la narration peu courante et un humour décapant. <br /> <br /> Carlos, c'est l'homme à la force mentale peu commune, personne ne lui conteste son courage et sa rage de vaincre. Ceux qui ont des comportements d'irresponsables, écœurants contre lui ont été nombreux, puisque comme un certain Jules Claretie le spécifie " Tout homme qui dirige, qui fait quelque chose, a contre lui ceux qui veulent faire la même chose, ceux qui font précisément le contraire et surtout la grande armée des gens d'autant plus sévères qu'ils ne font rien du tout" Donc Carlos comme beaucoup d'autres s'est retrouvé dans le même schéma avec en plus le fait que c'était un étranger au caractère qui dérangeait, puisque personne n'apprécie celui qui lui donne l'exemple qu'il devrait suivre pour être considéré et aimé comme lui.<br /> <br /> Longue vie à ce club, qui devrait être reconnu de service public. Pierre Haga
Répondre
Paroles d'Actu
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 056 535
Publicité