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Paroles d'Actu
9 mai 2024

Véronique Dabadie : « Jean-Loup a toujours su garder l'enfant qui était en lui... »

Le 24 mai 2020, en plein Covid première période disparaissait Jean-Loup Dabadie, un de nos plus brillants paroliers et scénaristes. On avait tous vu passer à un moment ou à un autre son beau sourire à l’écran. Surtout, on a tous, forcément, entendu, écouté, fredonné même une des chansons qu’il a écrites. L’homme avait, dans bien des domaines, du talent à revendre. J’en ai découvert tout le détail, toute l’ampleur, toute la palette, à la lecture de Jean-Loup, tant d'amour (L’Archipel, mai 2024), un bel ouvrage écrit par sa veuve Véronique et par Françoise Piazza (voir : notre interview à propos de Barbara), et riche de témoignages incroyables.

 

Ce que j’ai découvert aussi, c’est à quel point l’homme, raconté par celles et ceux qui l’aimaient, était attachant. Je remercie Véronique Dabadie, Françoise Piazza mais aussi le jeune Thomas Patey (voir : son hommage à Charles Aznavour) pour les réponses qu’ils ont bien voulu apporter, chacun, à mes questions. Cet article, hommage à huit mains pourrait fort bien, comme le livre, s’intituler Everybody loves Jean-Loup, et c’est vrai que cet homme-là, j’aurais moi aussi aimé le rencontrer... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Jean-Loup, tant d'amour (L’Archipel, mai 2024).

 

Véronique Dabadie : « Jean-Loup

 

a toujours su garder l’enfant

 

qui était en lui... »

 

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

 

I. Thomas Patey, le passionné

 

Thomas Patey bonjour. C’est la troisième fois que je te retrouve sur Paroles d’Actu. La première fois pour un hommage à Aznavour, la seconde pour le livre auquel tu as participé sur Barbara, et aujourd’hui pour cet autre ouvrage, également signé Françoise Piazza (et Véronique Dabadie), sur Jean-Loup Dabadie. Tu y rends un hommage à Marcel Amont qui chanta cette chanson superbe de Dabadie, Dagobert. Je pense comme toi qu’on devrait parler beaucoup plus de Marcel Amont, l’écouter surtout, d’autant plus que la période n’est pas marrante... Que représentait-il à tes yeux ?

 

>>> Dagobert <<<

 

Bonjour cher Nicolas. C’est un plaisir pour moi de répondre de nouveau à tes questions, qui plus est, pour parler chansons. Oui Françoise Piazza m’a proposé de rendre hommage à Marcel Amont dans son ouvrage, et je l’en remercie car j’y ai pris un grand bonheur. Lorsque Marcel m’envoyait du courrier, il signait ses lettres en qualité et profession de saltimbanque. Voilà, je le crois, un des mots qui correspond le mieux à ce qu’était ce grand homme de music-hall. Il était un acrobate, et incroyablement scénique. Je l’ai vu sur scène à presque quatre-vingt dix ans faisant des cabrioles, c’était magnifique. Dire ce que Marcel Amont représentait à mes yeux est délicat, tant il a été important dans ma vie d’adolescent. Il m’a offert quelques leçons de vie, des cadeaux qui redonnent foi en l’humanité, et que je n’expose pas ici par pudeur. Aussi, pour le décrire, et je le disais encore il y a peu à Marlène, son épouse, on peut dire que Marcel était tout simplement un « type bien ». C’est simple comme description, mais c’est si rare, au fond, ces hommes à qui l’on ne peut rien reprocher, et envers qui on ne peut ressentir que de la tendresse et de l’admiration. Fidèle aussi, il l’était. Je lui écrivais ou lui téléphonais par exemple chaque année pour son anniversaire, et il me renvoyait la donne le lendemain pour me souhaiter le mien. Parfois, sans raison, je retrouvais dans ma boîte aux lettres des petits mots d’amitié provenant de chez lui... un chic type, je vous dis.

 

>>> Mon école <<<

 

Marcel Amont est victime d’un silence qui n’est pas acceptable, ou du moins, qui n’est pas recommandé. Évidemment que certaines des chansons de son répertoire font partie de notre grand patrimoine populaire de la chanson, comme Le Mexicain, Le Chapeau de Mireille ou L’Amour ça fait passer le temps. Mais il a aussi été l’interprète de magnifiques chansons qui mériteraient d’être réécoutées. Je pense par exemple à Au bal de ma banlieue, ou les deux textes que Dabadie lui a en effet offerts, Dagobert et Mon École, mais aussi les chansons qui sont écrites de sa main. Marcel était un amoureux de son métier, et de la chanson. Il suffit de visionner l’entretien qu’il a accordé à Bernard Pivot pour Bouillon de Culture en 1994, il est je crois disponible en ligne. Érudit, généreux, talentueux, Marcel Amont est l’incarnation de l’artiste complet, il me manque, et je ne l’oublie pas.

 

Merci pour ce bel hommage. Revenons-en à Jean-Loup Dabadie, qui a aussi écrit des chansons incroyables pour Reggiani, pour Polnareff, pour Julien Clerc, pour Sardou, j’en passe... Comment définirais-tu à la fois sa patte particulière, et sa place dans le patrimoine de la chanson française ?

 

>>> Le petit garçon <<<

 

Jean-Loup Dabadie est un parolier fascinant à bien des égards, le premier étant qu’il a su rendre populaires des chansons extrêmement ciselées, ce qui est loin d’être un travail évident. Il s’inscrit dans la même lignée que Pierre Delanoë ou Claude Lemesle, celle d’auteurs qui ont écrit des chansons incontournables de notre patrimoine, exigeantes mais aussi très efficaces. Évidemment que les interprètes jouent un rôle essentiel et ont su porter les textes de Dabadie, mais il faut reconnaître l’efficacité rigoureuse de cette écriture. Dès les premiers mots de L’Italien pour Reggiani par exemple, le public est pris dans l’histoire, le cadre est posé. Il a prouvé que la chanson française pouvait être un art majeur et en même temps extrêmement populaire, tant ses chansons ont été fredonnées sur toutes les lèvres. La liste des succès de Dabadie est assez fascinante à explorer. Et, en même temps, il est le premier parolier, auteur de chansons, à avoir été admis à l’Académie Française, poste refusé à Charles Trenet quelques années avant lui. C’est dire si, grâce à une personnalité comme la sienne, la chanson française a obtenu ses titres de noblesse.

 

Tu as justement lancé il y a peu, avec des camarades, une belle association, Le Panthéon de la Chanson, qui vise à la faire vivre et à lui rendre hommage, notamment auprès des plus jeunes. Votre soirée inaugurale aura lieu le 24 mai, jour des 100 ans de Charles Aznavour. Raconte-nous un peu ce projet, vos premiers retours de la vie de cette asso, et ce que vous en espérez ?

 

Merci beaucoup de me poser cette question. Je suis assez heureux de la tournure que prend cette association, et nous avons déjà reçu les beaux parrainages de Charles Dumont, Francesca Solleville, Marie-Paule Belle, Marie-Thérèse Orain, Fabienne Thibeault, Bernard Joyet, Gilles Dreu ou encore Jacqueline Boyer. Nous avons le soutien de nombreux artistes de toute notoriété, et de tout âge, car là est notre force : le dialogue des générations. Le 24 mai, pour le spectacle que nous organisons, soixante-dix ans séparent l’artiste le plus jeune du plus confirmé, c’est magnifique. Pour en parler rapidement, Le Panthéon de la chanson est une association opérant selon une logique patrimoniale en ce qui concerne la préservation et l’étude de la chanson française. Créée et dirigée par trois jeunes, Carla Scalisi, Léopold Thievend et moi-même, cette initiative vise à rassembler les artistes, les passionnés et les chercheurs de la chanson francophone, dans le dessein de constituer un lieu de conservation, d’exposition, de création et d’échange, où chacun peut s’intéresser à l’histoire de la chanson, à son actualité et à son avenir.

 

Nous travaillons avec des spécialistes et des passionnés pour mettre au mieux possible ce patrimoine incroyable, et unique en France. Nous souhaitons également rassembler la communauté autour d’un projet d’inscription de la pratique de la chanson au rang de patrimoine immatériel, d’abord à l’échelle nationale et, ensuite, à l’UNESCO. En tant que pratique culturelle transmise d’une génération à l’autre et reflet de l’identité de notre communauté, la chanson mérite une reconnaissance et préservation particulière, notamment dans le cadre d’une potentielle inscription à l’inventaire du PCI. Nous avons un site internet, encore en construction mais qui ne tardera pas à être plus complet, où tout le monde pourra trouver plus en détails nos aspirations, et nos actions. J’invite tous les amoureux de la chanson française, et francophone (les amis belges, québécois et créoles sont aussi de la partie), à suivre nos aventures et, s’ils le peuvent, à nous aider en adhérant. Nous penserons évidemment à Aznavour le 24 mai, lui qui espérait tant atteindre les cent ans.

 

>>> Les deux guitares <<<

 

Si tu devais retenir 10 chansons de tout le patrimoine, les 10 que tu pourrais écouter pour toujours, quelles seraient-elles ?

 

Ça c’est une question impossible pour moi, tant une telle liste changerait d’un jour à l’autre. Je peux toujours tenter, mais repose moi la question demain, ça ne sera plus la même...

 

  • Charles Trenet, J’ai connu de vous (Charles Trenet)

  • Catherine Sauvage, Nana’s Lied (Boris Vian, Bertold Brecht, Kurt Weill)

  • Patachou, Le Tapin tranquille (André Maheux, Gérard Calvi)

  • Les Frères Jacques, Quartier des Halles (Bernard Dimey, Hubert Degex)

  • Barbara, Gueule de nuit (Barbara)

  • Charles Aznavour, Les deux guitares (Charles Aznavour, musique folklorique russe)

  • Jean Sablon, Vous qui passez sans me voir (Charles Trenet, Johnny Hess)

  • Marie-Thérèse Orain, L’Amour en cage (Boris Vian)

  • Juliette Gréco, Il n’y a plus d’après (Guy Béart)

  • Gilbert Bécaud, Les Tantes Jeanne (Maurice Vidalin, Gilbert Bécaud)

 

Évidemment il manque sur cette liste Cora Vaucaire, Damia, Jacques Brel, Léo Ferré, Claude Nougaro, Agnès Capri, Gribouille, Georges Brassens, Pierre Perret, Édith Piaf, Germaine Montero, Lucienne Boyer, Annie Cordy, Marcel Amont, Ray Ventura, Jean Tranchant, Mireille... et tant d’autres qui rendent ma vie plus belle.

 

La belle chanson française telle que tu la conçois a-t-elle un avenir ? Est-ce qu’il y a notamment parmi les jeunes des artistes qui t’inspirent et t’attirent aujourd’hui ?

 

Tout a un avenir, et heureusement. La chanson a et aura un avenir, mais comme toute chose elle évolue et se construit selon les attentes d’une société, la nôtre, qui est un peu perdue depuis quelque temps. La chanson française est souvent taxée du « c’était mieux avant », je ne vais pas dire que tout me plaît aujourd’hui, mais en cherchant bien, et dans des styles musicaux parfois inattendus, on trouve des choses magnifiques, et trop peu médiatisées. Ce que j’espère pour la chanson française, du fond du cœur, c’est un retour à des endroits plus intimistes où la pratiquer. Je ne suis pas certain que la chanson à texte soit compatible avec les zéniths et les palais des Congrès, où le partage et l’échange sont moins faciles à entreprendre. Nous avons tant de théâtres en manque de chansons. J’aimerais aussi assister à un retour en force de la profession d’interprète, je ne désespère pas. Je remarque, depuis quelques mois ou petites années, un retour en force des textes et la présence d’une jeunesse en manque de quelque chose... de quoi ? Nous le verrons bien. Mais cela peut être à l’origine de biens des jolies chansons qui viendraient enrichir encore notre patrimoine. Parmi les jeunes artistes, j’avoue par exemple être envoûté par quelques interprétations de Solann qui, sur les réseaux sociaux, reprend parfois de très grandes chansons. Elle possède une voix assez impressionnante, qui ne manque pas de caractère et de singularité. L’ennui naquit un jour de l’uniformité, je le répète toujours, il ne faut pas avoir peur de bousculer les choses pour espérer relancer un grand mouvement, tout en ayant évidemment une connaissance du passé, et un respect pour ce dernier.

 

>>> Rome <<<

 

Tes projets et surtout tes envies pour la suite ?

 

Je viens de rendre un mémoire d’anthropologie pour l’École du Louvre, il consistait à mener une enquête de terrain auprès de chanteurs de cabarets parisiens. Pour ce faire, je me suis entretenu avec Serge Lama, Marie-Paule Belle, Marie-Thérèse Orain, Francesca Solleville, Claude Lemesle et Jean-Pierre Réginal. De ces entretiens est née toute une réflexion sur la chanson de cabaret, et la place du cabaret dans une carrière d’auteur ou d’interprète. J’aimerais que ce mémoire d’étude aboutisse sur quelque chose, mais quoi, à suivre... Ma seule envie est celle de continuer à prendre du plaisir dans ce que je fais, à rencontrer des gens, et tenter de poser ma petite pierre dans l’édifice qui valorisera notre patrimoine, de la chanson certes, mais notre patrimoine tout court. Le reste, on verra. Je crois en l’avenir finalement, je reste optimiste sur ce qui arrivera demain. Dans l’immédiat, je souhaite un grand et beau succès à ce Jean-Loup, tant d’amour !

 

(Réponses datées du 8 mai 2024.)

 

  

II. Françoise Piazza, la biographe

 

Françoise Piazza bonjour. Que vous inspiraient le personnage et l’œuvre de Jean-Loup Dabadie avant d’entreprendre ce travail, et qu’en est-il maintenant ?

J’avais aperçu Jean-Loup Dabadie un soir à l’Olympia (année ? spectacle ?) et sa beauté charismatique m’avait subjuguée. Pour moi il était surtout lié à Reggiani et au Petit Garçon (j’avais vu Reggiani en première partie de Barbara à Bobino), et à toutes les autres chansons écrites pour lui car il reste mon interprète masculin préféré (en particulier L’Absence, Hôtel des voyageurs, Les Objets perdus, Le temps qui reste et Un menuisier dansait pour Casque d’or) Pour le cinéma, c’était Les Choses de la vie et César et Rosalie, où j’enrageais que Romy préférât Montand au craquant Sami Frey !

 

>>> Les choses de la vie <<<

 

L’ayant découvert en le regardant et en l’écoutant sur les archives de l’INA, j’ai été confortée dans l’idée que ce magnifique sourire cachait une angoisse profonde née de certains moments de solitude durant son enfance. Qu’il pouvait être torturé mais avait l’extrême courtoisie de n’en rien montrer.

 

Racontez-nous la rencontre, les échanges avec sa veuve Véronique, et le travail que vous avez effectué ensemble ? Je pense notamment à l’accès à leur incroyable carnet d’adresses, à ces demandes de témoignages dont les réponses (souvent positives ?) ont dû beaucoup vous réjouir...

J’ai rencontré Véronique en février 2023, recommandée par une de mes lectrices, Nevine Stephan, notamment de Barbara à livre ouvert, venue à la séance de dédicaces à la librairie Delamain et amie de Véro. Un climat de confiance s’est immédiatement instauré et nous avons foncé tête basse, sans éditeur !

 

Chaque fois que j’ai pu contacter un(e) ami(e) ou interprète de Dabadie (comédiens, chanteurs) grâce aux nombreux liens déjà créés au fil des années et aux contacts mis à ma disposition par Véronique, la réponse a été positive et immédiate. Les deux seules à avoir superbement ignoré mes SMS pour la première, mes WhatsApp pour la seconde sont Isabelle Boulay, je ne sais pas pourquoi, et Emmanuelle Devos, tellement imbue d’elle-même qu’ une réponse ou même un accusé de réception m’eût stupéfiée... J’ai contacté à deux reprises, sans succès, Elsa via son agent, parce que j’avais une photo d’eux noir et blanc ravissante (certains agents ne font pas suivre quand ça ne leur rapporte rien). Une seule a été pénible : Nicoletta. J’ai fini par renoncer « Je pars au restaurant », « Je reviens du restaurant », « Je suis avec des amis », etc… Quand on pense à l’adorable message d’Isabelle Adjani m’offrant une page entière et la légende d’une photo, et me demandant si je pouvais lui accorder 48 heures pour rédiger son texte car elle rentrait de tournage ! C’est le monde à l’envers !

 

Quid de Catherine Deneuve ?

J’ai envoyé un courrier postal à Catherine Deneuve en lui demandant si elle acceptait de légender une des deux photos jointes à ma lettre Deux jours plus tard j’ai reçu un mail avec le choix de la photo et une légende écrite à la main.

 

Marie-Anne Chazel a aussi fourni un beau témoignage...

Oui, elle garde un souvenir ébloui de Jean Loup. Elle est d’ailleurs venue à l’église Saint Germain des Prés ce fameux 23 septembre où un hommage lui a été rendu.

 

>>> Lettre à France <<<

 

Avez-vous essayé de contacter Michel Polnareff ?

Non car c’est le seul avec lequel les rapports n’ont pas été exceptionnels. Il continue d’importuner Véronique en demandant s’il peut changer les paroles d’une chanson de Jean-Loup en gardant la musique, etc… J’ai contacté le journaliste qui vient de sortir un livre sur lui à L’Archipel. Réponse : Polnareff est impossible à interviewer...

 

Et qu'est-ce qui vous a incitées à recueillir ce joli message de Serge Lama qui, à ma connaissance, n'a jamais travaillé avec Jean-Loup Dabadie ?

Je l’ai trouvé par hasard sur le Net.

 

Comment s’est construit l’ouvrage ? Avez-vous attendu de recevoir tous les témoignages pour en établir le plan, ou bien tout cela a-t-il été mobile ?

Vous savez que je déteste les biographies traditionnelles qui vont de la barboteuse au cimetière. Mais le lecteur a évidemment besoin d’un fil conducteur. Il a fallu y réfléchir ! Jean-Loup allant d’un sketch à une chanson et à un scénario, impossible de suivre le fil des années. Donc j’ai imaginé assez vite le plan qui est resté le plan définitif. En même temps, je travaille d’une manière atypique, je peux écrire dix lignes sur une chanson de Reggiani et une heure après raconter la rencontre avec Sautet.. Je ne structure pas vraiment à l’avance. Les témoignages sont venus peu à peu se glisser au fil des chapitres Je n’écris jamais le texte dans l’ordre où il sera finalement donné, je m’ennuierais trop et je n’écrirais plus depuis longtemps...

 

Est-ce que Jean-Loup Dabadie c’est une plume particulière que vous sauriez définir en peu de mots ? Était-il d’une espèce en voie de disparition ?

L’écriture de Jean-Loup est une musique de l’âme. Le moule est cassé.

 

Il est beaucoup question dans le livre du sur-mesure que pratiquait M. Dabadie, notamment en tant que scénariste : il mettait dans la bouche des acteurs les mots qu’il les « entendait » prononcer face à telle ou telle situation. Une des raisons de son succès ?

Sans doute. « Les acteurs sont les souffleurs des auteurs », disait-il. Les mots qui venaient sous ses crayons de toutes les couleurs collaient d’emblée aux acteurs pour lesquels il les avait écrits.

 

>>> Le mauvais homme <<<

 

Jean-Loup Dabadie c’est un peu l’homme de l’ombre qui est quand même une star, et je songe là au parolier (pour Clerc, pour Reggiani, pour Polnareff, pour Sardou...) et au scénariste (pour Robert, pour Sautet, pour Pinoteau, pour Becker). Est-ce qu’il n’est pas un peu une exception s’agissant de ces métiers de l’ombre qui sont très peu mis en avant par ailleurs ?

Totalement ! Sa beauté, son sourire, son élégance ont fait beaucoup aussi !

 

Je vous sais attachée Françoise à l’importance des mots, de la belle construction des phrases, comme Dabadie forcément. Estimez-vous avoir fait progresser votre plume à vous depuis vos premiers livres ?

J’espère que mon écriture a évolué, c’est en tout cas ce que me disent mes amis, en même temps il reste une certaine musique des mots dont j’espère qu’elle est immédiatement identifiable.

 

Est-ce que, d’ailleurs, l’idée, l’envie d’écrire vous-même de la fiction, sous toutes les formes qu’a pu explorer Dabadie, a pu ou pourrait vous tenter ?

Non, je ne songe pas à la fiction pour l’instant. Écrire pour le théâtre serait le rêve, mais je n’ai pas le sens des dialogues.

 

Vos projets et surtout, vos envies pour la suite ? Sans forcément trop développer sur ce point, est-ce que certaines des prises de contact occasionnées par ce livre vous ont inspiré des idées de projet ?

Je suis en train d’écrire un livre sur la magnifique et trop méconnue Jacqueline Danno, une amie très proche, une seconde grande sœur. Fabuleuse comédienne et chanteuse. Je sais déjà combien ce sera difficile de trouver un éditeur !

 

Un livre sur Isabelle Adjani… oui… mais en serais-je capable ? et me donnerait-elle son accord ? Car, vous le savez, je n’écris jamais sans l’accord de l’artiste. C’est la moindre des courtoisies. De l’artiste ou de ses proches comme, dans les cas très rares – Marie Trintignant, Mireille Darc - où l’artiste n’était plus là. (Pour Barbara, livre écrit avec deux co-auteurs et plusieurs dessinateurs, nous avons cheminé seuls). Je pense aussi à une autre actrice iconique , plus âgée et vivante, mais chut…

 

Un dernier mot ?

Véronique a eu de la chance de rencontrer Jean-Loup, je l’aurais volontiers volé au passage !

 

(Réponses datées du 5 mai 2024.)

 

 

III. Véronique Dabadie, l’épouse

 

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire ce nouveau livre sur Jean-Loup Dabadie, Véronique Dabadie, et comment la rencontre, le travail avec Françoise Piazza se sont-ils organisés ?

Je voulais que ce livre existe car au moment du Covid, du départ de mon mari, il n’y a pas eu à proprement parler d’hommage, de documentaire sur son personnage et son œuvre, si riche et diversifiée... J’avais une mission impérative du cœur à faire ce livre.

 

>>> Ma préférence <<<

 

Françoise Piazza était la personne que le destin m’a apportée, au bon moment... Elle a à son acquis écrit avec talent, finesse et culture un nombre de livres passionnants sur Juliette Gréco, Barbara, Petula Clark, Francis Huster, et tant d’autres... Poser des mots et des pensées sur Jean-Loup fut un enchantement pour elle, car elle nourrissait depuis longtemps  ce projet... C’était le bon moment, la bonne personne, grâce à une amie qui me l’a présentée. Nous avons donc conçu ce livre à quatre mains.

 

Ça a été difficile d’écrire sur lui à l’imparfait ? Ou bien le fait de relater sa vie, de recueillir tous ces témoignages très vivants vous a-t-il finalement aidée dans votre processus de deuil ?

Je ne fais pas le deuil de mon mari et ne le ferai jamais... Tous ces témoignages m’ont montré que sa personnalité et son univers ont suscité une réelle affection et admiration, extrêmement présente... et écrire à l’imparfait, oui c’est troublant, inacceptable pour moi mais il est si présent, encore et toujours...

 

Quand on écrit sur un homme public qu’on a tant aimé et que le public aime sans forcément le savoir, est-ce qu’on ne craint pas de se trouver dépossédé de sa mémoire, même si forcément on garde son jardin secret ?

J’ai vécu des moments de vie extraordinaires, uniques avec lui, bien qu’étant arrivée un peu tard dans sa vie malheureusement... Je me suis nourrie à ses côtés du premier jusqu’au dernier moment. Ce n’est pas rien, le quotidien avec un homme tel que lui... J’avais un trésor à mes côtés. Je ne suis dépossédée de rien. Sauf de sa présence... Un manque abyssal, au quotidien.

 

Pouvez-vous nous dire comment il avait vécu le Covid première période, moment au cours duquel il est malheureusement parti, en mai 2020 ?

Nous étions à l’île de Ré, je venais de me faire opérer du genou. On avait absolument voulu quitter Paris. Deux semaines passées avec les fleurs du printemps et les chants des oiseaux pour nous accompagner... Puis un matin, la vie a basculé, le début de la nuit... Nous étions loin de Paris et le Covid ne m’a pas permis de l’accompagner à l’hôpital... Nous étions  séparés, très malheureux et ensuite le drame absolu a fait petit à petit son nid... Quand il a été admis à la Salpêtrière, tout est allé très vite, et l’enfer est devenu mon quotidien...

 

Au-delà du déchirement qu’on imagine aisément avez-vous vécu comme une forme de symbole triste ou de mauvaise blague du destin le fait que Guy Bedos disparaisse si peu de temps après lui ? Eux deux c’était vraiment quelque chose ?

Oui coup du destin étrange et troublant, vraiment... C’était un binôme exceptionnel, deux frères qui s’aimaient vraiment beaucoup, quoique différents politiquement, mais ils savaient cultiver un humour et une amitié qui n’appartenaient qu’à eux deux... Il était écrit que la vie et leur départ les rassembleraient ainsi... Ils sont maintenant, je pense, tous les deux à deviser ensemble sur notre monde...

 

Dans quelle mesure diriez-vous que son enfance, dont il est beaucoup question dans le livre et dans son œuvre, a marqué et imprégné sa vie et son travail ?

C’est valable pour qui que ce soit : on ne quitte pas totalement son enfance... Sa première chanson pour Reggiani, Le petit garçon, c’est un peu son histoire... son père quitte sa mère... la séparation, l’abandon, le chagrin furent des thèmes récurrents dans ses écrits.

 

Quand on lit cet ouvrage on est impressionné par la diversité de la palette artistique de votre mari, qui s’est illustré tant comme auteur de chansons bien sûr que comme scénariste de films, de théâtre, de sketchs, comme romancier aussi. Est-ce qu’il était un bourreau de travail, et comment cela se traduisait-il dans ses journées ?

Mon mari a toujours été habité par l’inquiétude, l’angoisse, par le travail acharné au prix de sacrifices qui ont fait qu’il n’a quelquefois pu voir l’été que derrière une fenêtre ....

 

Ses journées commençaient après la lecture des journaux, sa longue toilette où l’imagination faisait son nid pour la suite de la journée... Puis il passait, après le déjeuner - il était gourmand et gourmet -, dans ses deux pièces de travail du fond de l’appartement, cherchant la meilleure lumière, et s’installait avec ses feutres de toutes les couleurs... Et il allait et venait, parfois dans le couloir à la recherche d’un baiser ou d’une parole pour le rassurer... Il aimait la solitude accompagnée... Nous dînions un peu tard, la vie d’artiste n’est pas toujours lisse et régulière... et c’est tant mieux.

 

Quand on découvre cet homme que vous aimez et dont vous dressez le portrait, on se dit, je me suis dit en tout cas que j’aurais aimé, adoré même le rencontrer, être son ami tant il paraissait fin, intéressant et en même temps solaire, autant que le suggérait son sourire. Mais cet homme-là avait bien des défauts, non ? Son perfectionnisme dans le travail n’était-il pas parfois pesant, d’abord pour lui ?

Oui, il a dû se priver de doux moments de vie parfois, tant que la copie n’était pas rendue à son goût… Il était parfois impatient et il s’ennuyait, sans trop le montrer bien sûr, dans des dîners trop longs ou mondains... Il pensait déjà à rentrer et relire ce qu’il avait écrit dans la journée...

 

Il aimait les moments avec ses vrais amis, artistes, académiciens ou potes sportifs car il aimait passionnément le rugby, le tennis et l’athlétisme. Il aimait aussi la solitude, plongé dans ses lectures, et regarder ses matches de rugby... Je me devais de respecter ses moments de détente à la maison... La difficulté d’écrire jusqu’au résultat qu’il souhaitait était de toute évidence une souffrance pour lui, bien sûr. L’inquiétude, toujours l’inquiétude...

 

Il avait à l’évidence, vous venez de l’évoquer, le culte de l’amitié. Quels ont été, dans le métier, ses vrais amis, ceux qui ont invariablement été les vôtres, pendant et après lui ?

Les fidèles d’avant... Reggiani, Lino, Mastroianni, Yves Robert, Claude Sautet, Pinoteau, Julien Clerc, Bertrand de Labbey, son agent et confident pour son travail, Pierre Bénichou, Didier Barbelivien... Enrico, d’autres artistes encore... Et certains académiciens et académiciennes... Après, la vie change : mon mari parti, j’ai gardé quelques uns de ses amis, mais c’est plus difficile...

 

>>> Ta jalousie <<<

 

Est-ce qu’il a pu vous arriver parfois de ressentir une forme de jalousie, ou d’insécurité au regard du charisme, du charme qui émanait de lui et des personnes avec lesquelles il était amené à travailler ?

Quand on aime un homme tel que lui, on l’admire, on le protège et on est fier de lui... Les personnes qui l’entouraient pour un projet, c’était toujours bienveillant... Le sentiment de jalousie ne m’a jamais effleurée...

 

Il est beaucoup question du sur-mesure qu’il pratiquait pour adapter au mieux les textes à qui allait les dire. Vous écrivez qu’il « sentait » très vite les gens, instinctivement. Ça se ressentait aussi dans votre vie de tous les jours ?

C’était un intuitif instinctif... Il se trompait rarement sur quelqu’un. Un don quelque part, qui l’a aidé dans son travail et dans sa vie.

 

>>> Ça n’arrive qu’aux autres <<<

 

Vous rendez justement hommage dans le livre à ce qui est connu et aussi à ce qui est moins connu de lui (je pense notamment à la sublissime Ça n’arrive qu’aux autres écrite pour Polnareff). Qu’est-ce qui, dans sa vaste œuvre, je pense aux chansons mais aussi aux scénarios, aux romans peut-être, vous touche particulièrement à titre personnel ? Votre « Panthéon » Dabadie en somme ?

Il a écrit tant de textes qui m’ont souvent mis le cœur dans la gorge car sa sensibilité était à fleur de peau. Sa dernière chanson pour Reggiani, Le temps qui reste, me bouleversera toujours. La chanson d’Hélène aussi... Il écrivait pour tel ou telle artiste, il lui fallait cette chose magique qui allait donner ce que l’on sait... il pouvait dire non quelquefois mais avec élégance, toujours l’élégance du cœur chez Jean-Loup.

 

>>> Le temps qui reste <<<

 

Vous êtes sans doute la personne qui le connaît le mieux : dans quels éléments de son œuvre, dans quels textes a-t-il mis le plus de lui ? Qu’est-ce qui, dans son œuvre, est autobiographique ou presque ?

Difficile de choisir... Rien d’autobiographique, ou quelquefois, avec pudeur et encore, toujours avec l’élégance... Il disait toujours que les acteurs, les chanteurs sont les souffleurs des auteurs... il fallait la magie de la rencontre... Il aimait particulièrement Les choses de la vie...

 

Trois adjectifs pour qualifier au mieux ce Jean-Loup Dabadie que vous connaissez si bien ?

C’est trop réducteur  trois adjectifs... Il a su garder toujours l’enfant qui était en lui, curieux de tout et éternellement inquiet...

 

Est-ce que le moule dont était issu Jean-Loup Dabadie s’est cassé avec lui ?

Il est venu à une époque où il a connu et travaillé pour des acteurs (trices), des chanteurs(euses) et des réalisateurs d’une si grande qualité... quelle richesse ! Ces années 70 à 90, quelle inspiration pour lui, et quelle vision il a eue pour la majorité de ses films ! Le moule n’est pas cassé car certains ont pu continuer ce style d’écriture... Il aimait les films choraux, la bande de potes à l’Italienne dont il aurait adoré aussi partager l’écriture pour le cinéma italien...

 

Qu’auriez-vous envie qu’on dise de lui dans vingt ans ?

Une certaine intemporalité.

 

Je ne sais pas dans quelle mesure vous avez vous-même la fibre artistique, Véronique Dabadie, mais est-ce que le fait de voir votre époux à l’œuvre pendant 25 ans, de voir le bonheur que ça lui procurait, vous a donné envie d’écrire, que sais-je, des chansons, des scénarios, un roman ?

Non. Je peins un peu, pour m’évader de ce présent si difficile sans lui à tous points de vue... Laissons l’écriture aux professionnels.

 

Vos projets et surtout vos envies pour la suite Véronique Dabadie ?

Retrouver la paix de l’esprit que l’on ne me laisse toujours pas... et faire des choses dont il serait fier.

 

Un dernier mot ?

« Merci mon amour... Je t’aimerai toute ma vie. Tu me manques tant ! J’ai tant reçu de toi... Je te retrouverai un jour, pour danser avec toi... »

 

(Réponses datées du 6 mai 2024.)

 

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