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Paroles d'Actu
4 octobre 2023

Alcante : « Être le tout premier scénariste à adapter Ken Follett en BD, c'est franchement un honneur ! »

Comme pas mal de gens nés au milieu des années 80, enfin je crois, j’ai découvert Les Piliers de la Terre de Ken Follett grâce à la série télé éponyme diffusée au tout début des années 2010. À l’époque je lisais moins. Bref, cette série, c’était ça :

Une fresque épique située dans un XIIème siècle anglais tout sauf accueillant, des personnages forts, attachants parfois, des situations historiques et en même temps très actuelles. Un rêve, celui d’un homme, Tom, qui rêve d’édifier une cathédrale, ultime réalisation, au moins à l’époque, du génie humain. Et le jeu des complots, des ambitions. Histoire éternelle.

La question que j’ai posée à Didier Swysen, alias Alcante, qui depuis La Bombe devient un habitué de Paroles d’Actu (j’en suis ravi), je me la suis vraiment, sincèrement posée : comment se fait-il qu’un roman aussi populaire, aussi monumental que Les Piliers de Follett, monumental peut-être autant qu’une cathédrale, et auquel sans doute la série télé ne rend qu’imparfaitement hommage, n’ait jamais été adapté en BD, ou roman graphique, on dira comme on voudra ? Sa réponse, vous la retrouverez dans quelques minutes, lui et ses deux acolytes, Steven au dessin, et Quentin à la 3D, vont tout vous expliquer. Inutile que moi, je développe davantage cette intro (comment ça, elle traîne déjà trop en longueur ?).

Juste une chose, et après je vous laisse avec ceux qui ont réellement quelque chose à dire : Le rêveur de cathédrales, premier volet d’une série qui en comptera six, et qui sort donc le 11 octobre (Glénat), dans une semaine tout pile, est un album superbe, narration impeccable et dessin aussi impressionnant qu’immersif. On est ailleurs, transportés avec eux, dans cette Angleterre du XIIème. Emparez-vous de ce livre, ce sera plus facile que de prendre un château fort. Et sortez couverts, l’atmosphère risque d’y être glacialeUne exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Les Piliers de la Terre BD

Les Piliers de la Terre - Tome 1 : Le rêveur de cathédrales (Glénat, octobre 2023).

 

Alcante : « Être le tout premier scénariste

à adapter Ken Follett en BD,

c’est franchement un honneur ! »

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

 

I. Quentin Swysen, le spécialiste 3D

(sa première interview !)

Peux-tu, Quentin, te présenter en quelques mots et nous parler de ton parcours jusqu’ici ?

Sport, scoutisme, famille, amis et voyages résument bien ma vie jusqu’à présent. Hormis quelques expériences à l’étranger au cours de mon parcours scolaire, j’ai passé ma vie à Jette, dans le nord de Bruxelles. J’ai suivi des études d’ingénieur civil architecte à l’ULB, à la fin desquelles j’ai commencé à travailler chez BESIX, une boîte de construction belge. Je travaille depuis 6 mois à Copenhague pour la construction d’un tunnel sous-marin. En parallèle, j’ai été animé puis animateur scout pendant 16 ans.

 

Quel lecteur de BD es-tu ? Quelles sont en la matière, les œuvres qui t’ont le plus marqué (signées Alcante ou non, évidemment) ?

Il faut savoir que mon frère et moi avons été bercés dans le monde des bandes dessinées dès notre plus jeune âge. Il fut un temps où le rituel était de nous lire des BD avant d’aller dormir, ou même de nous raconter une histoire inventée de toute part. Mon père était très fort pour cela d’ailleurs. Mes BD favorites étaient entre autres Thorgal, XIII, Tintin, en plus du magazine hebdomadaire Spirou. J’étais un bon lecteur dans mon enfance. J’utilise le passé car ce n’est plus d’actualité. J’ai perdu cette envie de lire au fil du temps au profit d’autres activités. Néanmoins, j’ai lu et je continue à lire la majeure partie des BD de mon père. Je désignerais Quelques jours ensemble, XIII Mystery, et La Bombe comme ses BD qui m’ont le plus marquées, en attendant Les Piliers de la Terre bien sûr.

 

Quand tu observais, depuis petit j’imagine, ton père plancher sur des scénarios de BD, ça t’inspirait quoi, de l’admiration, une envie aussi de faire quelque chose qui t’en rapproche ?

Je ressentais de l’admiration et de la curiosité. Cela reste un métier peu commun et mythique quand on est enfant. Dès que j’ai appris à écrire à l’école, j’en ai profité pour écrire des petites histoires que j’amenais fièrement à mes parents. Quelques années plus tard, vers 12 ans, j’ai même dessiné quelques planches par moi-même. Pour l’anecdote, l’une d’entre elle a été publiée dans le Magazine Spirou en tout petit. Ce fut le sommet de ma carrière scénaristique. Je n’ai plus rien fait par après mais j’ai gardé cette fibre artistique et créative en moi. Devenir scénariste comme mon père n’a par contre jamais été un objectif sérieux.

 

Ton truc c’est l’ingénierie civile, l’architecture, la modélisation 3D. Tu m’as confié avoir eu pour tâche, lors de ce travail sur Les Piliers de la Terre, de rendre plus concrets les visuels des bâtiments fictifs dont il est question, le village de Kingsbridge, la cathédrale... Raconte-nous un peu ce travail. Comment as-tu été intégré au projet, et comme ça s’est passé ? Travailler avec, pour son père, ça n’est que facile ? ;-)

Le village de Kingsbridge est fictif et donc difficile à représenter fidèlement tant pour mon père, scénariste, que pour le dessinateur. Grâce à mes études, j’ai été amené à modéliser des bâtiments en 3D. Mon père savait ce dont j’étais capable et en a « légèrement » profité (rire). L’idée était donc de modéliser l’ensemble du village pour coller au mieux aux descriptions du roman et à l’architecture de l’époque. Après un long travail minutieux, mon père a réalisé un plan approximatif dont je me suis servi pour rajouter un par un les bâtiments, murailles, arbres, rivière, etc... Heureusement pour moi, certains éléments étaient disponibles sur Internet et ne requéraient que de légères modifications. Le plus dur a été de modéliser l’intérieur de la cathédrale. Ce fut un challenge de coller aux descriptions du roman tout en produisant une cathédrale « correcte » d’un point de vue structurel. J’ai mis mes connaissances architecturales à contribution pour modéliser la structure intérieure.

 

LPLT modélisation cathédrale

Visuel fourni par Quentin Swysen.

 

J’ai entamé mon travail en 2021. Au fur et à mesure que le village prenait forme, mon père me demandait d’ajuster certains détails, ce qu’il n’aurait probablement pas demandé si le modeleur n’était pas moi (rire). Il a fallu quinze versions du village et une quarantaine d’heures de travail réparties sur plusieurs mois pour arriver au résultat final. Tant mon père que moi sommes satisfaits du résultat, et je suis content de lui avoir rendu ce service !

 

Penses-tu que, de manière générale, qu’on a tendance à négliger, dans le monde de la BD notamment, l’apport qui peut être celui de la modélisation 3D ?

Je n’ai pas une vue d’ensemble sur les pratiques de la bande dessinée, mais c’est définitivement une question qui mérite d’être posée. De mon humble avis, il semblerait que oui, l’utilisation de la modélisation 3D dans les bandes dessinées soit sous-estimée. Je suis convaincu que cela pourrait rendre service à de nombreux scénaristes et dessinateurs, d’autant plus qu’il existe des outils de modélisation simples, à la portée de tout le monde. Je précise qu’en aucun cas cela ne doit remplacer le travail d’un dessinateur, mais cela peut définitivement l’optimiser. C’est très utile pour voir un objet ou un lieu, sous tous ses angles.

 

LPLT modélisation 1

Visuel fourni par Quentin Swysen.

 

Un des personnages majeurs de ce premier tome, et du roman, c’est Tom, ce bâtisseur qui rêve d’ériger une cathédrale magnifique. J’imagine que son histoire, son rêve, c’est quelque chose qui ne te laisse pas indifférent ? Tu aurais pu l’avoir à son époque ?

Dès qu’il s’agit de construction, cela me parle. Construire une cathédrale à pareille époque était un sacré challenge que j’aurais pu avoir dans une autre vie oui. Je construis chaque année des pilotis et autres constructions avec les scouts, donc pourquoi pas une cathédrale ?! (Rire)

 

Lors de précédents échanges, et à nouveau en début de cet interview, tu m’as confié travailler actuellement comme ingénieur sur la construction d’un tunnel à Copenhague, mais il y a des challenges qui t’exciteraient par-dessus tout ? Partir sur un projet futuriste, ou bien refaire Notre-Dame ?

Je ne connais pas encore toutes les facettes de mon métier pour dire avec certitude quel projet m’intéresserait le plus. Étonnamment, je n’aurais jamais imaginé qu’un projet d’infrastructure tel que ce tunnel puisse susciter autant d’intérêt en moi par exemple. Ceci dit, les projets de grands bâtiments modernes m’attirent beaucoup. Mon entreprise réalise quelques projets de ce genre, donc je serai peut-être amené à participer à de tels projets dans le futur. La rénovation de bâtiments anciens me parle un peu moins en revanche.

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ? De la BD, de l’artistique à nouveau, à côté de la construction de bâtiments ?

Je suis actuellement concentré sur ma nouvelle vie à Copenhague. La fin de mon projet est prévue pour 2027, donc c’est important de poser les bases qui me permettront de profiter au mieux de cette aventure à l’étranger. Continuer à faire du sport me tient à cœur, au même titre que maintenir un contact avec mes proches en Belgique. Au niveau artistique, j’ai des petits projets de temps à autre, notamment des montages vidéos ou des petits bricolages. Je garde aussi un œil attentif aux BD de mon père et qui sait, on collaborera peut-être de nouveau ensemble dans le futur ?

 

Un dernier mot ?

Si on m’avait dit que j’allais être interviewé dans le cadre d’une bande dessinée, je ne l’aurais pas cru. C’est ma première interview. Ravi de l’avoir faite. Merci à toi !

 

Quentin Swysen

Réponses datées du 17 septembre 2023.

 

 

II. Steven Dupré, le dessinateur

 

Steven Dupré bonjour. Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce projet des Piliers de la Terre de Ken Follet avec Alcante, avec lequel vous avez déjà travaillé, notamment sur les séries Pandora Box, et L’Incroyable Histoire de Benoit Olivier ?

Et on avait fait Interpol Bruxelles ensemble aussi. Pour Les Piliers... c’est Didier qui a vu passer sur mon Facebook un dessin de personnages médiévaux pour un autre projet sans suite, ce qui l’a convaincu de me demander des planches d’épreuves dans le style que j’ai utilisé là. Il y avait d’autres candidats bien sûr. Un Français et un Italien. Vu que la BD commence avec une belle scène de masse, j’ai lâché mes diables et j’ai dessiné chaque personnage en vue aérienne, alors que les autres avaient clairement coupé des coins pour suggérer la masse. Je n’en suis pas certain, mais je pense que c’est le montant de travail et de détails qui ont convaincu l’éditeur, et l’expérience d’avant, de nos collaborations précédentes qui ont convaincu Didier de me donner ce beau projet.

 

Vous aviez lu, aimé le roman Les Piliers de la Terre auparavant ?

J’avais déjà vu la série télé il y a pas mal d’années, mais je l’avais totalement oubliée. Donc je l’ai revue, et j’ai lu le roman après avoir su que j’allais dessiner tout ça. Et oui, je l’ai bien aimé.

 

Parlez-moi d’Alcante, de votre première rencontre, de votre complicité ?

À l’époque où on est venu me chercher pour collaborer sur Pandora Box, Didier était un débutant. C’était sa première série, mais le scénario que l’éditeur m’avait fait lire pour illustrer le propos de la série - un sujet qui normalement ne m’intéresse absolument pas : les sports - était d’un tel haut niveau que je ne pouvais pas refuser d’y collaborer. On m’a fait choisir parmi les autres sujets disponibles (le concept de Pandora Box : huit albums, sept sur chacun des péchés capitaux, le dernier sur l’espérance ; un auteur, Alcante, sept dessinateurs, ndlr) et j’avais bien envie de dessiner des belles femmes, mais "la luxure" était déjà pris. Comme j’aime aussi bien dessiner des animaux - les vaches surtout, dans ce cas - j’ai pris "la gourmandise".

 

Pandora Box

 

Vous avez des méthodes bien à vous de travailler ensemble ?

Oui : il m’envoie son scénario complet, y compris la documentation, ou de belles tranches de tout ça, et moi je lui envoie ensuite mes croquis sur lesquels il peut me demander des corrections. Des fois, je trouve qu’il exagère avec ça, parce que j’aime bien avancer et si je traîne sur une planche, ça m’emmerde. Et il le sait bien. Mais pour lui, si le résultat peut être encore meilleur, il faut faire l’effort de changer. Et il a bel et bien raison. Si ensuite je suis passé à la phase de l’encrage (technique consistant à surligner une esquisse, ndlr), normalement c’est trop tard pour me demander des corrections, mais bon, c’est Didier, donc ça m’arrive qu’il me demande d’autres trucs à corriger qui auraient échappé à son œil d’aigle dans la phase de croquis. Et il me demande ça d’une façon qui fait que je le fais quand même. Mais à part ça, on se connait assez bien pour que ça fonctionne assez bien.

 

Qu’est-ce qu’il y a de particulièrement difficile, de jouissif aussi, quand on doit dessiner un univers, des scènes, des paysages de Moyen-Âge ?

Qu’il n’y a pas de choses modernes, pas de voitures, pas de portables, pas d’ordinateurs à dessiner. Les choses ont une structure, de bois, de cuivre, de pierres. C’est tout plus cru, et j’aime bien ça. Et si je peux dessiner des chevaux, ça me rend toujours heureux. D’autres animaux aussi. J’essaie d’en ajouter partout où je peux.

 

Est-ce que vous vous êtes inspiré un peu, en la matière, de ce que vous faites depuis une quinzaine d’années avec Alexandre Astier pour Kaamelott ?

Non. Clairement ici on est dans un univers beaucoup plus réaliste qu’avec Kaamelott.

 

Dans la BD, il y a une atmosphère, souvent pesante, sombre, à l’image d’une époque pas très accueillante, rude, où les Hommes n’étaient définitivement pas égaux. Tout cela est bien retranscrit, en grande partie grâce à vos dessins. Comment vous êtes-vous attaché à "raconter une atmosphère" ?

Ben, je ne sais pas trop. Il faut imaginer qu’on est vraiment là à cet endroit, à cette époque. Si c’est l’hiver, je dessine l’hiver, et cette saison a une atmosphère particulière. S’il y a de la misère qui se passe, il faut essayer de le faire sentir aussi par les lecteurs, pour qu’ils vivent l’aventure avec les personnages.

Je suis un homme de la campagne, j’habite en plein nature, et j’ai vécu une vie à observer mes alentours, alors je peux les transmettre sur papier plus facilement qu’un décor de ville contemporaine, je suppose. Aussi, je m’intéresse au fonctionnement des mécaniques primitives de l’époque. Une solution pour qu’une porte se ferme automatiquement était de ne pas la mettre tout droit, mais dans un angle, pour que la gravité aide à la fermer après un passage. C’est tout simple, mais je trouve ça génial. Enfin, des trucs comme ça, j’aime bien être au courant.

 

Dupré storyboard

Visuel fourni par Steven Dupré.

 

Pour les personnages et les bâtiments, vous êtes-vous inspiré à la lettre des descriptions qu’en fait Follett dans son ouvrage ? Peut-être aussi de la mini-série sortie en 2010 ?

Pas vraiment. Il faut juste que ça ressemble à un endroit croyable. Il faut aussi se figurer que ce que nous voyons des restants du Moyen-Âge, ce sont de vieilles piles de pierres, mais à l’époque forcément, c’était construit tout neuf .

 

Avez-vous préféré dessiner tel ou tel personnage, et pourquoi ?

Parce qu’il n’y a pas beaucoup de femmes à dessiner dans Kaamelott, je me réjouis de les dessiner ici.

 

J’aimerais revenir avec vous sur l’aventure Kaamelott justement. D’autres tomes de la BD sont-ils prévus, et qu’est-ce que ça fait, de travailler aussi intensément avec celui qui a créé la série et qui l’incarne à l’écran, Alexandre Astier ?

On vient juste de commencer le travail sur le tome 11, donc oui, il y a bien d’autres tomes prévus. Même si nous avons une admiration pour l’autre, notre collaboration, entre Alexandre et moi, reste surtout professionnelle. Si on ne travaille pas sur un BD Kaamelott, on ne reste pas en contact car il n’y a pas de raison de le faire. Mais pour l’essentiel, ça fonctionne comme avec Didier : l’envoi des croquis avec la possibilité de faire des corrections avant l’encrage. Si Alexandre ne me répond pas le lendemain, ça veut dire que c’est bon et je peux passer à l’encrage de la planche. Alexandre me donne plus de confiance que Didier, il faut le dire. Mais c’est peut-être parce que Kaamelott est moins réaliste, avec plein d’éléments fantastiques, et parce qu’on a déjà pas mal d’expérience sur la série.

Je ne sais pas encore comment je vais combiner les deux projets en même temps. Je pense que je vais devoir faire de longues journées de travail dans les mois à venir...

 

Sarah et Robin

 

Quelles sont, parmi vos œuvres, celles qui vous tiennent le plus à cœur et que vous aimeriez inciter nos lecteurs à découvrir tout particulièrement ?

C’est difficile à dire, mais j’ai tendance à aimer davantage les albums que j’ai aussi écrits moi-même. Dans la série Sarah et Robin (une série jeunesse pas parue en français), il y a deux tomes en particulier dont je trouve que les scénarios sont de vraies réussites. Je suis toujours content des scénarios de Coma aussi. Je regrette de n’avoir pu compléter la série, idem pour Midgard.

 

Vos projets, vos envies surtout pour la suite ?

J’aimerais bien travailler moins... mais je ne crois pas en prendre le chemin ! J’espère pouvoir réaliser un jour un projet personnel, pouvoir écrire de nouveau moi-même. Ma frustration actuellement, si je peux dire ça comme ça, c’est que je me semble être devenu le roi des adaptations : Kaamelott est une sorte d’adaptation. Je viens de faire Benoît-Olivier, qui est une adaptation de romans jeunesse canadiens. Je viens de faire une adaptation de Liu Cixin, romancier SF chinois, avec Valérie Mangin. Une adaptation d’un roman de Jean-Côme Noguès, avec Maxe L’Hermenier, un Bob et Bobette avec Conz, une reprise d’un ancien album de Jommeke, et maintenant donc, ce sont Les Piliers de la Terre. Même si je suis content que ça m’arrive, on peut arrêter de me proposer des adaptations, svp ? (Rire)

 

Steven Dupré

Réponses datées du 11 septembre 2023.

 

 

III. Didier "Alcante" Swysen, le scénariste

 

Quand as-tu découvert Les Piliers de la Terre de Ken Follett ? Que t’a inspiré ce roman ?

Je me souviens parfaitement de la période à laquelle j’ai lu Les Piliers de la Terre, et pourtant c’était il y a déjà presqu’un quart de siècle  : durant l’hiver 1998-99, juste après la naissance de mon premier enfant. J’avais reçu ce livre en cadeau d’un de mes meilleurs amis qui m’en avait dit le plus grand bien. À l’époque, je n’avais lu aucun livre de Ken Follett.

Mon épouse et moi avions pris l’habitude de lire un livre ensemble, chacun lisant à tour de rôle un chapitre à voix haute pour l’autre. Ce roman a toutefois été une exception car, mon épouse étant fort fatiguée suite à l’accouchement, c’est moi qui le lui ai lu entièrement  ! Plus de mille pages à voix haute, vous avouerez que ce n’est pas banal. C’est surtout dire à quel point ce roman m’a passionné.

Dès le prologue, j’avais été happé par l’histoire  : une pendaison publique qu’on devine injuste, une adolescente enceinte qui maudit un prêtre, un moine et un chevalier. Et ce coq décapité qui court en-dessous du pendu, en répandant des taches de sang sur la neige…

Grâce à ce roman, je me suis senti réellement immergé au Moyen Âge. J’ai vécu l’angoisse de cette famille jetée injustement sur les routes sans moyen de subsistance, et son terrible désespoir quand elle est forcée d’abandonner ce nouveau-né. J’ai ressenti la violence de cette époque où l’on pouvait tuer pour voler un cochon… ou simplement le conserver.

En me plongeant dans ce roman, j’ai surtout vibré avec les personnages, comprenant leurs motivations, partageant leurs espoirs, leurs peurs, leurs ambitions, leurs haines, leurs amours et leurs passions. Grâce à eux, j’ai vécu des intrigues à la cour royale, été témoin de l’élection du nouveau prieur, côtoyé les marchands de laine, connu le chaos des batailles… J’ai vu avec horreur cette cathédrale brûler, s’effondrer… et renaître de ses cendres  !

En lisant cette histoire, je la visualisais réellement  ! Et j’ai tout de suite été convaincu qu’elle ferait une bande dessinée extraordinaire, alors même que je n’étais pas encore du tout scénariste à l’époque  !

Depuis lors, Les Piliers de la Terre est tout simplement devenu mon roman préféré, et j’ai lu quasiment l’intégralité des romans de Ken Follett.

 

Quand cette aventure BD avec Glénat a-t-elle pris forme ? Et j’ai envie d’ajouter, au vu du succès du roman (1989), au vu de son cadre, de ses intrigues, et du souffle épique qui en émane, tu racontes tout cela très bien, qu’on s’étonne que personne ne l’ait fait avant ?

Je ne vais pas vous révéler un grand secret en disant que je ne suis pas le seul auteur à avoir eu l’idée d’adapter ce roman en BD  ! Ça fait bien 20 ans que, dans le milieu, on entend des rumeurs à propos de ce projet réalisé par tels ou tels auteurs, chez tel ou tel éditeur. Mais force est de constater que rien ne s’est jamais fait. Il n’y a à ce jour eu strictement aucune adaptation BD d’un roman de Ken Follett. Moi-même j’en ai parlé régulièrement à des éditeurs depuis le début des années 2000, et avant de tenter le coup avec Glénat j’avais déjà convaincu un autre éditeur qui avait fait pas mal de démarches, mais était malheureusement «  trop petit  » (avec tout le respect que je lui dois) pour un coup pareil.

Il faut bien se rendre compte de quoi on parle  : Les Piliers de la Terre, c’est tout simplement un des plus gros succès littéraires de tous les temps. Il s’est vendu à plus de 20 millions d’exemplaires, a été traduit en plus de 20 langues, et a été adapté notamment en mini-série produite par Ridley et Tony Scott (excusez du peu). Il est évident que la demande pour acquérir les droits d’adaptation est énorme, et que les prix demandés sont en conséquence. De plus, Ken Follett et son équipe ont également, pour ne pas dire surtout, le souci de la qualité et du respect de l’œuvre originale. Tout ça est bien normal, mais cela implique qu’il faut vraiment présenter un dossier «  bétonné  » pour ne fût-ce qu’entamer les discussions  !

La première fois que j’en ai parlé avec des personnes de Glénat, c’était à la foire du livre de Bruxelles en février 2018. J’y avais discuté avec Jean Paciulli qui était à l’époque le directeur général de Glénat (il a pris sa retraite en 2022). J’avais une excellente relation avec lui car c’est avec lui que nous avions signé «  La Bombe  » et il s’était personnellement fort investi pour que Glénat obtienne ce projet qui était aussi fort convoité.

À la Foire du Livre, nous avons parlé de notre envie réciproque de travailler sur d’autres projets, et c’est là que je lui ai parlé de mon envie adaptation des Piliers. Jean Paciulli m’a alors «  avoué  » que lui-même en rêvait et que Glénat avait déjà fait une proposition à Ken Follett quelques années auparavant, mais que celle-ci n’avait pas abouti. Comme je savais que les droits étaient encore libres à ce moment là étant donné ma récente expérience avec le «  petit  » éditeur, nous avons décidé de retenter ensemble notre chance. Jean m’a alors demandé de (re)prendre les premiers contacts avec l’équipe de Follett («  Follett office  » emploie 25 personnes, et c’est son épouse qui dirige tout ça).

Le 11 avril 2018, j’ai donc écrit une belle lettre (par e-mail) à celle-ci, dans laquelle je me présentais brièvement ainsi que mon travail, et où j’expliquais à quel point ce roman m’avait marqué, ce que j’y avais apprécié, pourquoi je pensais qu’il était fait pour être adapté en BD et comment je m’y prendrais. J’expliquais également que j’avais le soutien de Glénat pour cette démarche, et que cet éditeur était tout autant motivé que moi, et tout autant respectueux de l’œuvre.

J’ai alors reçu une réponse de l’épouse de Follett, le 16 avril 2018, qui marquait son intérêt et me demandait de lui parler plus en détails des éditions Glénat et de leurs publications. J’ai alors envoyé un second e-mail, le lendemain, en expliquant que Glénat était l’éditeur idéal pour Les Piliers étant donné sa grande expérience en matière de BD historique. J’ai donné quelques exemples en présentant brièvement les plus grands succès en la matière  : Les Maîtres de l’Orge, Les Sept Vies de l’épervier, Le Troisième Testament et Les Tours de Bois Maury. J’ai également mentionné que j’étais moi-même en train de travailler sur deux BD historiques avec les éditions Glénat  : LaoWai et La Bombe.

L’équipe de Ken Follett a alors marqué son intérêt, et Jean Paciulli a pris le relais avec Benoît Cousin qui est l’éditeur qui suit le projet pour Glénat, et les négociations ont réellement début à ce moment-là, en y incluant les éditions Robert Laffont qui détenaient les droits sur l’édition française du roman.

Les négociations ont pris un certain temps, pour ne pas dire un temps certain, et c’est finalement le 20 décembre 2019 que l’accord a été signé, ce dont nous avons été avertis par un e-mail extrêmement enthousiaste de Jean Paciulli.

Tout devait donc débuter à ce moment-là, mais il y a d’abord eu les congés de fin d’année, suivi d’Angoulème… et patratas la crise du Covid est arrivée et a tout chamboulé  ! Tout a été suspendu pendant le plus fort de la crise, ce qui fait que le véritable démarrage du projet a été retardé.

Il a aussi fallu trouver un dessinateur. En fait, dès le début, il y en avait un qui était associé au projet, un dessinateur très talentueux et immense fan comme moi du roman. Mais des contingences pratiques ont fait qu’il a dû finalement se retirer du projet, et donc il a fallu repartir à la recherche de la perle rare.

Fort heureusement, tout a fini par s’arranger.

 

Et Follett a préfacé la BD, ce qui a dû vous faire sacrément plaisir. L’as-tu rencontré, ou as-tu pu échanger avec lui ? Est-ce qu’on se met la pression, quand on se dit, "un monstre sacré comme lui va lire le travail que j’ai fait et qui est basé sur son œuvre" ?

Non, je ne l’ai pas encore rencontré personnellement. Par contre une équipe de Glénat a été invitée chez lui, dans sa résidence à Londres, avec de nombreux autres éditeurs européens pour la présentation de son nouveau roman (Les Armes de la lumière, qui se passe à nouveau à Kingsbridge et qui sortira le 5 octobre, juste avant la BD). À leur grande surprise, Ken Follett a commencé son discours en montrant la BD et en en disant le plus grand bien  ! Pour qualifier notre travail, il a utilisé les mots «  wonderful artwork  », «  absolutely excellent  » et «  terrific  ». Il y a pire comme qualificatifs.

Sinon, oui, adapter Les Piliers, c’est une sacrée pression, non seulement par rapport à Ken Follett lui-même mais également par rapport aux lecteurs du roman originel. Car chaque lecteur a ses propres souvenirs, ses propres préférences, et notre album va forcément être comparé à ça. Mais c’est une bonne pression. C’est de l’excitation, c’est de la passion, c’est une chance. Être le tout premier scénariste à adapter Ken Follett en BD, c’est franchement un honneur, quelque chose dont je suis très fier et heureux ! Pouvoir faire revivre les personnages qui m’ont fait vibrer, c’est génial.

 

Comment l’équipe s’est-elle constituée ? Je pense à Steven Dupré au dessin, avec lequel tu avais déjà travaillé (sur la série Pandora Box notamment), à Jean-Paul Fernandez à la couleur, aux spécialistes du lettrage Maximilien et Philémon Chailleux, à celui qui a assuré la supervision historique de l’ouvrage, Nicolas Ruffini-Ronzani, de l’Université de Namur... et je pense aussi à un nouveau venu dans ce domaine, un certain Quentin Swysen, qui s’est chargé des modélisations 3D ?

Comme je l’ai mentionné, un autre dessinateur était prévu au départ, mais a finalement quitté le projet. Avec Benoît Cousin, nous avons alors remis les choses à plat pour partir à la recherche d’un nouveau dessinateur. Il fallait forcément quelqu’un de très haut niveau, mais qui puisse aussi avancer avec une belle cadence car nous partons quand même sur 6 albums de 80 planches, donc près de 500 planches au total  ! Quelqu’un qui puisse faire vivre les personnages, les rendre attachants, et qui puisse aussi dessiner des décors impressionnants et représenter fidèlement l’architecture romane puis gothique. Et nous voulions un dessin de style réaliste à la franco-belge, à la fois classique et moderne. Ce n’est pas une mince affaire de trouver un tel dessinateur  ! Finalement trois dessinateurs ont fait des planches d’essai. J’avais moi-même proposé à Steven de tenter le coup car j’ai déjà travaillé avec lui sur pas mal d’albums, on se connaît depuis près de 20 ans, c’est un excellent dessinateur et il est très professionnel. Il a mis rapidement tout le monde d’accord, notamment avec la toute première planche d’essai (qui est la première planche de l’album), qui est très impressionnante, avec une vue plongeante et des détails incroyables.

En ce qui concerne le coloriste, là aussi nous avions quelqu’un d’autre de prévu à l’origine, mais qui a dû se retirer du projet suite à des soucis personnels. Peu de temps après, je suis tombé sur une preview de la série Hérauts qui se déroule aussi au Moyen Âge et j’ai été convaincu par les couleurs. J’en ai parlé à Benoît Cousin et Steven Dupré, qui étaient bien d’accord avec moi, et nous avons donc proposé à Jean-Paul de rejoindre l’équipe, ce qu’il a accepté à notre grande joie.

Je ne suis par contre pas du tout intervenu dans le choix des lettreurs, c’est Benoît Cousin qui a pris tous les contacts nécessaires, et ceux-ci ont fait de l’excellent boulot aussi.

L’historien, Nicolas Ruffini-Ronzani, m’a été chaudement recommandé par une amie qui est pour ainsi dire devenue ma fournisseuse officielle de consultants historiques. Nicolas est un puits de savoir sur le Moyen Âge et ses conseils et réponses à nos questions sont toujours d’une grande aide. Je lui en suis très reconnaissant  ! D’autant que le genre de questions que je lui pose sont loin d’être évidentes. Je m’adresse à lui par exemple pour lui demander «  Que pourraient bien chanter des moines bénédictins lors d’une messe de minuit au XIIe siècle  ?  », «  Y avait-il déjà des vitraux  ?  » ou encore «  Comment faisait-on pour connaître l’heure au Moyen Âge  ?  », «  Est-ce que les gens assistaient debout ou assis aux messes  ?  », et Nicolas répond à chaque fois  !

Enfin, Quentin Swysen n’est autre que mon fils. Il est ingénieur architecte et j’ai donc fait appel à ses services pour qu’il construise un modèle 3D du prieuré de Kingsbridge, sur la base de mes indications elles-mêmes basée sur le roman bien entendu C’est évidemment très utile d’avoir ce modèle 3D à disposition car la cathédrale de Kingsbridge est fictive et il n’était donc pas évident du tout pour Steven de pouvoir la représenter, encore moins sous différents angles. Nous avions donc besoin de ce modèle 3D. Non seulement de l’extérieur, mais également de l’intérieur de la cathédrale. Quentin y a passé beaucoup de temps et je l’en remercie vivement.

 

Storyboard LPDLT

Visuel fourni par Didier Swysen.

 

A-t-il été difficile de découper Les Piliers de la Terre, roman qui pèse entre 600 et 1100 pages selon les versions, et qui se fera donc sur six tomes ? As-tu rencontré des difficultés dans la tâche, toujours un peu cruelle, du nécessaire élagage, de ces éléments d’intrigue que tu as dû te résoudre à sacrifier ? Et t’es-tu inspiré, aussi, de la mini-série datée de 2010 ?

Nous travaillons effectivement sur une base de six albums pour adapter l’entièreté du roman. Mais attention, ce seront six «  gros  » albums, de 80 planches en moyenne. Le premier fait même 90 planches. À l’heure où je vous réponds, je n’ai pas encore découpé l’entièreté des BD, j’en suis à la moitié du second tome environ. Par contre, j’ai déjà fait un plan complet des six tomes.

La difficulté principale est que le roman est extrêmement bien construit et que chaque événement en amène un autre, il est donc très difficile de supprimer l’un ou l’autre passage sans entraîner des problèmes pour la suite de l’histoire. C’est d’autant plus difficile que je souhaite vraiment rester très fidèle au roman d’origine, par respect et tant celui-ci tient bien la route. Comme l’a dit tout récemment Manara à propos de son adaptation du Nom de la Rose  : «  Je me suis retrouvé face à une cathédrale. L’enjeu était d’identifier les murs porteurs et d’enlever des pierres sans la faire s’écrouler, retirer ce qui n’était pas indispensable à sa stabilité  ».

Donc de temps en temps, je retire quand même une scène ou l’autre. Par exemple, au début du roman, Tom et sa famille se font voler leur cochon dans la forêt, rencontrent ensuite Ellen et Jack, puis s’en vont dans une ville où ils retrouvent le voleur. Ils comprennent que celui-ci a vendu le cochon, et espère au moins pouvoir récupérer l’argent. Ils tendent donc un piège au voleur pour le coincer, mais cela dégénère en bagarre. Le voleur y perd la vie, mais Tom ne retrouve pas l’argent pour lui. Avec sa famille ils sont contraints de retraverser la forêt, et rencontrent à nouveau Ellen et Jack. La partie où ils sont en ville, retrouvent le voleur, lui tendent un piège et le confrontent est certes passionnante à lire, mais elle n’est pas indispensable à l’histoire puisqu’à l’issue de cette séquence Tom et sa famille se retrouvent exactement dans la même situation que juste après le vol du cochon. J’ai donc supprimé ce passage, et fusionné les deux rencontres avec Ellen et Jack en une seule.

Pour gagner un peu de place et faciliter la lisibilité de l’histoire, j’ai également veillé à fusionner plusieurs personnages en un seul, principalement dans la communauté des moines de Kingsbridge.

Un autre moyen de gagner de la place consiste évidemment (et c’est bien le but dans une adaptation en BD) de remplacer les longues descriptions par un dessin. Par exemple, le prieuré de Kingsbridge est décrit très précisément dans le roman pendant plusieurs pages, lorsque Jack en fait le tour (ce qu’on verra dans le tome 2). En BD, il «  suffit  » d’en montrer une vue d’ensemble.

D’un autre côté, j’ai aussi rajouté une séquence dans le tome 1. Dans le roman, on mentionne juste rapidement que le Roi Henry est décédé et que le nouveau roi, Stephen, a été couronné. J’ai voulu montrer cela de manière plus explicite car cela me semblait à la fois important pour l’intrigue mais aussi visuellement intéressant.

Pour en venir à la série TV, je l’ai vue bien évidemment et bien appréciée, mais elle prend plus de libertés avec le roman, notamment en montrant Jack déjà âgé de 16 ans voire plus dès le début, alors que dans le roman il a 11 ans. J’ai la série en DVD chez moi, mais je ne m’en inspire pas, car c’est le roman que j’adapte, pas la série.

En ce qui concerne notre premier tome, il y a par exemple deux séquences du roman auxquelles j’étais fort attaché, et qui ne sont pas reprises dans la série TV (mais bien dans notre album).

La première, c’est l’élection du nouveau prieur. Dans le roman, il y a l’équivalent d’une véritable campagne électorale chez les moines pour savoir qui va devenir le nouveau prieur. Deux camps s’affrontent à coups de petites phrases policées mais assassines à la fois, en retournant les arguments du candidat adverse contre lui, en comptant les voix potentielles des uns et des autres. C’est extrêmement subtil et bien fait. Je voulais absolument conserver ce passage, ces dialogues, dans la BD alors qu’ils sont complètement escamotés dans la série TV  ?

La deuxième séquence qui est très fortement raccourcie dans la série TV, c’est l’attaque et la prise de Earlscastle, le château du Comte de Shiring par les troupes des Hamleigh. Dans la série TV, ça se passe très rapidement, et ça a l’air assez facile, on ne sent pas beaucoup de «  tactique  » ou de stratégie. Or dans le roman, Ken Follett décrit bien que prendre un château fort était excessivement compliqué  : il y a des gardes postés sur les tours, qui vous voient arriver de loin  ; il y a un pont-levis qu’on peut relever, ainsi qu’une porte massive qu’on peut refermer. Et si l’ennemi parvient à entrer dans la cour basse, les occupants du château peuvent encore se réfugier dans la cour haute, séparée de la première par un autre pont-levis. Bref, c’était réellement très difficile de prendre rapidement possession d’un château. Ken Follett a donc décrit minutieusement un plan pour déjouer tous ces obstacles les uns après les autres, et je trouvais ça non seulement passionnant mais également réaliste, et je voulais donc garder absolument cette séquence et la traiter également de manière réaliste.

 

De manière plus générale, est-il plus compliqué, à ton avis, d’adapter un roman ou une histoire vraie, bref quelque chose qui soit déjà posé, plutôt que de travailler à une création originale ?

C’est quand même plus facile de partir de quelque chose qui existe déjà, mais ce n’est pas simple pour autant, loin de là. Il faut bien repérer les éléments essentiels du roman, synthétiser tout ça, écarter ce qui n’est pas indispensable, traduire visuellement le plus d’informations possible, etc. De nos jours, on n’utilise quasiment plus les phylactères pour montrer ce que pensent les personnages, donc il faut trouver d’autres moyens pour exprimer cela… Il y a tout un travail de recherche de documentation également, cela prend pas mal de temps.

 

As-tu déjà en tête le calendrier des prochains tomes ? Leur parution sera-t-elle fonction du succès de celui-ci ?

En principe le but est de sortir un album par an. Sauf gros contre-temps imprévu, le second tome sortira donc en octobre 2024, et ainsi de suite. Comme toujours et comme pour tous les projets, si jamais les albums ne se vendent vraiment pas, ou se vendent très mal, on ne peut théoriquement pas exclure totalement un arrêt prématuré de la série, mais cela semble quand même extrêmement improbable vu le renom du roman et notre engagement à en faire une excellente adaptation.

 

Dans ce premier tome, on est pleinement immergé dans cette Angleterre du XIIème siècle en proie à une crise dynastique, où les pauvres crèvent de faim quand ils n’ont pas de travail (il y a une séquence doublement déchirante au début du livre, tu l’as évoquée plus haut), où les hommes d’Église prient, pour les plus humbles, ou font de la politique, pour les plus ambitieux, et où les nobles complotent. Il ne fait pas rêver, ce tableau médiéval, n’en déplaise à tous ceux qui s’extasient sur ce que l’époque aurait eu de "chevaleresque"... Est-ce que dans ta manière de présenter le récit, il y a eu aussi une volonté de poser un paysage, une atmosphère ?

Ce qui m’avait frappé dans le roman en tous cas, dès le début, c’est la très grande violence du Moyen Âge. Lorsque Tom le bâtisseur doit traverser une forêt avec sa famille, ils se font voler leur cochon, qui est littéralement leur seule richesse. Des hommes sont prêts à tuer pour le voler, et Tom est prêt à tuer pour le récupérer  ! J’aime beaucoup cette première scène car on comprend ainsi directement que les personnages peuvent mourir à tout moment. C’était une époque ou une mauvaise rencontre dans un lieu isolé pouvait très vite mal tourner.

Il y a aussi l’extrême précarité dans laquelle se trouvaient bon nombre de petites gens. Ça les rend encore plus vulnérables. Tom et sa famille n’ont même pas de toit sous lequel s’abriter au début, et ils risquent carrément de mourir de faim.

J’ai voulu transposer cette ambiance dans la BD. On n’est pas dans un Moyen Âge romantique  : on est dans une époque où l’on peut mourir ou tuer pour un cochon  !

 

Perso LPDLT

Visuel fourni par Didier Swysen.

 

Vois-tu des ressemblances entre cette histoire-là, ce temps-là, et notre époque à nous ?

Je n’y ai pas trop réfléchi. Tout a changé entre nos deux époques, mais d’un autre côté il y a toujours de nos jours des jeux de pouvoir, des luttes d’influence, des énormes écarts de richesse… Et malheureusement parfois une certaine forme d’obscurantisme qui revient en force.

 

Si tu devais poser un focus sur un des personnages, un de ceux sur lesquels tu aurais particulièrement aimé travailler, quel serait-il ?

Je trouve justement qu’une des forces de ce roman, c’est que tous les personnages sont vraiment intéressants, ou en tous cas un grand nombre d’entre eux. Jack, Tom, Ellen, Aliena, Philipp, William, Waleran, etc., ils vivent tous  ! Mais si je devais n’en choisir qu’un, je pense que mon choix se porterait sur Tom. Il rêve de créer une cathédrale, une œuvre tellement belle et puissante qu’elle lui survive. Je pense que cet aspect là parle forcément à tous les auteurs  !

 

Tu publies beaucoup chez Glénat, je ne ferai à personne l’offense de rappeler, encore, que c’est aussi chez eux qu’est sorti La Bombe. Qu’est-ce qui fait la force de cette maison s’agissant de la BD ? Les sens-tu désormais pleinement réceptifs à toute idée de thème qui viendrait de toi ?

C’est clair que La Bombe a été (et est toujours, d’ailleurs) un très beau succès dont tout le monde est fier. Nous les auteurs bien évidemment, mais aussi les différentes personnes qui travaillent chez l’éditeur, Glénat en l’occurrence. C’est une très belle maison d’édition, qui a publié de grands classiques de la BD (Les maîtres de l’Orge, Les Sept Vies de l’épervier, Balade au bout du monde, etc). Je m’entends vraiment très bien avec Franck Marguin, l’éditeur qui a suivi La Bombe, mais aussi avec Benoît Cousin, qui suit Les Piliers. J’avais d’excellentes relations avec Jean Paciulli, l’ancien directeur général, et j’ai également un très bon contact avec Benoît Pollet, son successeur. Idem avec Marion Glénat, la big boss. Tout se passe très bien avec eux.

Mais j’ai aussi des bons contacts avec pas mal d’autres personnes dans plusieurs maisons d’édition. Dans les mois qui viennent, je vais d’ailleurs également publier chez Dupuis, Bamboo, et Delcourt.

 

Si tu devais écrire le petit post it des libraires qui donne envie de lire un ouvrage, qu’écrirais-tu pour inciter les lecteurs à lire ta BD des Piliers de la Terre ?

Le roman culte de Ken Follett enfin adapté en BD ! Un maître bâtisseur rêve de construire la plus belle cathédrale de son époque, mais se trouve plongé dans des luttes de pouvoir et des intrigues qui menacent tant la royauté que l’Église  ! Aventure, mystère, passion, amour, et des dessins à couper le souffle  : il y a tout ce qu’on aime dans cet album  !

 

La Bombe collector

 

Ça donne envie ! Je reviens sur La Bombe : est-ce qu’avec le succès considérable du Oppenheimer de Christopher Nolan au cinéma, vous avez perçu, en Francophonie comme ailleurs où l’album vient d’être lancé, un frémissement au niveau des ventes ?

Oui, le film a clairement eu un impact. Les ventes mensuelles s’étaient stabilisées à un certain niveau, et en juillet et août elles ont triplé par rapport à ce niveau  !

On a eu aussi énormément de réactions sur les réseaux sociaux, avec des liens entre le film et notre album. Beaucoup de gens conseillaient de lire notre album avant de voir le film.

 

Y a-t-il des romans, des œuvres que tu rêves d’adapter en BD, que tu as dans un coin de la tête depuis longtemps ?

Je pense que de nombreux romans de Ken Follett feraient d’excellentes BD. Mais bon, on va d’abord faire notre maximum pour Les Piliers  !

 

Un dernier mot ?

Là je viens tout juste de valider l’édition «  collector  » de «  La Bombe  » qui sortira fin novembre, et je peux vous dire que ce sera vraiment un bel objet, avec pas moins de 50 pages de bonus en tous genre (crayonnés, scènes inédites, extraits de scénario, les coulisses de l’album,…). Ce sera vraiment un beau cadeau de fêtes de fin d’année  !

 

Alcante 2023

Réponses datées du 23 septembre 2023.

 

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