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Paroles d'Actu
frederic quinonero
12 juin 2018

« Me manquer », par Frédéric Quinonero (Hommage à Johnny Hallyday, 75è anniversaire)

Combien de personnes, même parmi celles qui ne retiennent pas forcément les dates, même parmi les "pas spécialement fan" du chanteur, se seraient surprises à répondre, parce qu’elles l’avaient dans un coin de la tête, comme ça, que Johnny était né un 15 juin ? Pas mal sans doute, et rien d’anormal à cela : devenu Johnny Hallyday, Jean-Philippe Smet est entré dans les  cœurs et dans les familles, et il n’a jamais quitté ni les uns ni les autres. Il était devenu familier. Mais voilà, cette année, pour la première fois, en cette date du 15 juin, il n’y aura plus ni cris de célébration ni pensées de bons vœux. À la place, une absence, pesante. Un silence... Jean-Philippe Smet est mort, lui qui a tant joué avec la vie. Mort. Il aurait eu 75 ans, âge canonique pour un rocker qui a eu sa vie. Si Johnny restera, pour longtemps encore, Jean-Philippe lui, est parti. Avant.

J’ai proposé à l’ami Frédéric Quinonero, talentueux biographe (Johnny Immortel, l’Archipel, décembre 2017) et surtout grand fan de Johnny, de réfléchir à un hommage, totalement libre dans la forme, à son idole. Il a accepté de se prêter à lexercice, ce qui comme on pourra l’imaginer n’a pas dû être neutre émotionnellement parlant. Je le remercie chaleureusement pour ce texte, bouleversant, déchirant même, et clairement empreint de l’amour qu’il lui porte. J’ai choisi de le publier dès ce jour de réception de l’article, soit trois jours avant ce 15 juin au cours duquel nous aurons, nombreux, des pensées pour Johnny. En musique, forcément. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Johnny immortel

Johnny Immortel, de Frédéric Quinonero (l’Archipel, décembre 2017).

 

« Me manquer »

Par Frédéric Quinonero, le 12 juin 2018.

 

J’ai rêvé la nuit dernière, Johnny, que t’étais pas parti.

Un instant étrange. Tu me regardes en silence. Des turquoises dans les yeux. Tu as l’apparence d’un ange. Une aile au paradis, l’autre dans la vie.

Dans la nuit, cette question qui serre le cœur: "C’est toi, c’est toi Johnny ?"

Et puis ce matin, ce réveil. Et toi qui n’es plus là. Parti à l’abri du monde. Loin de la rumeur qui court, des lumières et des discours. Cette chose impossible à croire que la mort t’a souri. J’ai oublié de me souvenir de l’oublier, et pourtant...

 

Pour ton anniversaire, j’ai mis une fleur sur l’étagère, à côté du sable blanc de ton paradis, là-bas. Et je bois à ta santé.

 

C’est comment l’envers du décor, dis ? Est-ce que les étoiles dans le ciel font des étincelles ? Est-ce qu’il y a du sable, et de l’herbe, et des fleurs ? De l’or dans les rivières ? Et des fleurs jaunes dans le creux des dunes ?

 

Tu étais là, mon Johnny, c’était toi. Ton sourire à transpercer l’acier. Tes yeux si purs, à te donner le bon dieu sans confession. C’était toi et moi. Les battements de nos cœurs sur la même longueur d’ondes. Tes cheveux si clairs que j’ai cru un instant rêver. Mais je rêvais, de fait. Et j’aurais voulu pouvoir retenir la nuit.

 

Oublier, t’oublier ? Toi qui me portes et me tiens debout ? Il me faudra plus de temps que m’en donnera ma vie.

Écoute mon cœur qui bat. Mon cœur fermé à double tour. Noyé dans l’ombre de toi. Écoute ma douleur, elle ne s’en va pas.

De vague en larmes je vogue en solitaire. Perdu dans le nombre d’un troupeau de misère. Comme un radeau qui flotte à la dérive. Une caisse qui se traîne à 80 de moyenne. Une tequila entre citron et sel… Évanouie, mon innocence. Johnny, si tu savais…

Non, je n’oublierai jamais. Tu es gravé dans ma vie.

Tu es parti mais tu es partout. Intraçable et muet. Ton absence et ton silence qui n’en finit pas. Comme une maladie, comme un grand froid. Chaque jour, je fais une croix. Quatre murs autour de moi et dessus, des photos de toi. Rien ici, non, rien n’a changé. Et le temps semble arrêté.

 

Me manquer, me manquer…

 

Frédéric Quinonero JH 75

Crédits photo : Yan Barry (Midi Libre).

 

Je serai là si tu veux pour écrire ton histoire, garder ta mémoire. Contre les croquemorts qui rodent. Contre les mots faciles et la haine des imbéciles. Tout ce cirque.

 

Continuer à vivre pendant que tu te reposes. Avec ton souvenir au plus fort de l’absence. Avec l’illusion d’attendre un signe. Des soirs comme un grand trou noir. Puis dans mes nuits, enfin, l’oubli. L’espoir que tu viennes encore me visiter. À certaines heures, quand le cœur de la ville s’est endormi. Ou dans le souffle d’un vent géant. Le vent qui hurle qui crie, et qui comprend. Un rêve qui ne fasse plus peur. Comme dans un tableau de Hopper… Et que la mort vaincue n’ait plus d’empire dans le pays des vivants.

 

Je t’en prie, Johnny, reviens ! 

Reprends ton cœur et ce vieux train, là, et dans le soleil, reviens vers moi. Reviens chanter les peines et les espoirs. Donner des raisons d’espérer. Palais des Sports, palais des foules. 15 heures ouverture des portes. Et les stands et la buvette… Chanter encore ce blues maudit pour qu’il éclaire ma vie. 

Mes valises sont toutes prêtes pour les voyages que je me raconte.

Pour aimer vivre encore.

 

Je n’ai jamais rien demandé, mais parfois j’ai envie de crier à la nuit: "Emmène-moi !" Et je m’accroche à mon rêve. Tôt ou tard, tu me reviendras. Tu verras. Comme l’aigle blessé revient vers les siens. Un monde sans toi ? Non. Remboursez-moi ! Je ne veux pas de ce monde-là ! Dans cette foutue boutique aux souvenirs, je vois s’en aller ma vie. Un souvenir de rocker sur les murs d’une ville triste… Non ! Je donnerai mes larmes au regard que tu avais, la flamme au souffle que tu portais. Je défierais les rois, les fous, les soldats, la mort et les lois… Mais qu’on reparte au bord des routes. Terminer la nuit sur les parkings et les tarmacs. Et reparler d’amour un jour. Pourquoi ne reviendrais-tu pas puisque je t’attends ? Je t’attends, tout le temps. Souviens-toi, la route est ta seule amie. On se reverra, dis ?

 

Quand la nuit crie au secours qui pourrait l’écouter ?

 

Je me sens si seul parfois, Johnny. Je voudrais tellement qu’on soit du même côté de la rivière. Être encore cet enfant qui croyait à l’éternité. Entendre ta voix de révolté. C’est une prière que je grave dans la pierre, pour toi, mon vieux frère. Je veux si fort refaire un jour l’histoire. Et fixer le soleil droit devant, comme un pari d’enfant. Trinquer à nos promesses au café de l’avenir. Refaire la route, dis. Rien ne peut séparer ceux qui s’aiment.

Reviens allumer le feu, mon Johnny, viens jouer ton rock’n’roll pour moi.

 

 

Johnny BDay

 Crédits photo : inconnus. D.R.

 

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2 avril 2018

« Faut-il désespérer… de vous revoir chanter un jour ? » Michel Sardou, La Dernière Danse, Hommage

Dans une dizaine de jours, il est prévu que Michel Sardou donne les deux derniers concerts de sa carrière (il les avait repoussés il y a peu, pour raison de santé). Une dernière danse ; après, si on en croit ses promesses en tout cas, ç’en sera fini de sa carrière de chanteur. Et quel chanteur ! Quelle carrière ! 53 ans de carrière, 100 millions de disques vendus. Deux interviews de biographes, deux articles ont déjà été consacrés à l’artiste et à l’homme, sur Paroles d’Actu : l’un avec Frédéric Quinonero (juin 2014), l’autre avec Bertrand Tessier (octobre 2015). Je raconte un peu, dans mon intro du premier article, mon histoire perso par rapport à l’artiste Sardou ; je ne le referai pas ici et invite ceux que ça intéresse à relire ce texte, et ces deux docs.

À partir du 4 avril, la nouvelle bio que Frédéric Quinonero consacre à Sardou, Michel Sardou : sur des airs populaires (City éditions) sera dispo dans toutes les bonnes librairies. Si vous lisez régulièrement ce blog, vous connaissez bien Frédéric, sa force de travail, sa grande capacité de synthèse, la qualité de sa plume, et l’heureuse bienveillance dont il fait montre dans ses ouvrages : je ne peux que vous inviter à aller découvrir ce livre, et suis prêt à parier que vous ne serez pas déçus.

Il y a quelques semaines, j’ai fait la connaissance, via internet, de Bastien Kossek, un garçon très sympa et très fan de Sardou qui, lui aussi, porte un projet d’ouvrage ambitieux sur le chanteur : ça s’appellera Regards, c’est en cours de développement, et ce sera suivi de près ! J’ai proposé à Frédéric et à Bastien de répondre à une interview croisée sur Sardou. Chacun a répondu aux questions de son côté, il ne sait pas ce que l’autre a répondu. Deux générations d’auteurs qui aiment Sardou et écrivent sur lui, ça se ressent, et c’est très intéressant.

Je suis heureux, également, d’avoir invité, comme guests surprises, deux amis fidèles, connus au temps où j’étais actif sur la très chaleureuse communauté de l’An Mil : son webmaster Gianni, alias Giros, et Dominique alias Lanatole, une des fans les plus actives. Deux personnes adorables qui ont accepté de m’écrire, chacun, un texte émouvant où il racontent leur histoire avec Sardou. Ils se sont également trituré les méninges, et à l’occasion crevé le coeur pour choisir, parmi le répertoire de leur idole, 15 chansons dont pas plus de la moitié de gros tubes, à ma demande. Histoire d’avoir, en fin d’article, une liste de chansons moins connues à proposer aux lecteurs qui le connaissent moins. Avec Frédéric et Bastien, ça fait quatre listes. Avec moi, ça fait cinq. Je me suis donc prêté au jeu moi aussi.

Mes chansons, donc. La colombe (1971). Danton (1972). Le France (1975). Je vous ai bien eusLa vallée des poupées, La vieille (1976). Je ne suis pas mort je dors (1979). La pluie de Jules César (1980). Le mauvais homme (1981) version live 2011. Il était là (1982). L’An MilVladimir Ilitch (1983). Vincent (1988). Putain de temps (1994). Rebelle (2010). Comment ça j’ai déjà atteint les 15 ? Je vais les mettre où, Un enfant et Le monde où tu vas ? Mais qui a posé cette règle à la c**... ? ;-) Une liste, très personnelle, comme chacune des cinq listes de cet article, parce que comme le dit Bastien Kossek, « il y a un Sardou pour chacun ». Je précise au passage que j’ai parsemé l’article de beaucoup, beaucoup de liens vers des chansons sur YouTube, pour que les lecteurs les découvrent.

Je demande aussi, parmi les questions posées, aux intervenants de sélectionner un objet ou une photo emblématique de Sardou, pour eux. J’ai pris cette photo, hier soir : ce 33T de l’album de 1976, pour moi de loin le meilleur de Sardou. Il appartenait à mon père. N’ayant pas de saphir pour le vieux tourne-disque (NB : dans la to do list), je n’ai pas écouté de vinyle depuis belle lurette. Mon père, donc, était ouvrier, et compagnon de route de la CGT sincèrement attaché aux valeurs portés d’amélioration des conditions de travail et de vie des plus laborieux. Je crois qu’il s’était éloigné de Sardou, en partie parce que le Sardou engagé, ça l’embêtait un peu, et que ça ne se limitait pas à la belle image du patron de la CGT l’embrassant sur les chantiers de Saint-Nazaire à l’époque du France. Il avait été un peu étonné de voir que j’aimais Sardou, mais m’avait proposé de me prendre un billet pour aller le voir une première fois, en 2005. J’avais pris deux billets, un pour moi, et un pour lui.

Un soir de juillet de cette année, direction le beau cadre du théâtre antique de Vienne (Isère). Très beau show, et un Sardou au top. Mon père, plus jeune que Sardou de quatre ans, me fait comprendre après le concert qu’il a apprécié ce moment. « Il a encore la forme, le père Sardou. Et tu as vu, quand il a chanté L’Aigle noir de Barbara, il a levé la main au ciel, vers la vierge (celle de la chapelle qui surplombe la scène). » Il avait aimé. Bien sûr, tout comme moi, il aimerait moins Allons danser, chanson sortie un an plus tard, un titre qui avait un côté « moralisateur dans le confort » assez déplaisant, et qu’on aurait cru écrit par François de Closets : « Parlons enfin des droits acquis, Alors que tout, tout passe ici bas, Il faudra bien qu’on en oublie, Sous peine de ne plus jamais avoir de droits ». Et cette ligne, qui sonne décidément bizarre dans une chanson : « Se prendre en charge, et pas charger l’État... ». Préférer, de loin, sur ce thème de la transmission bienveillante, Le monde où tu vas. Bref. Mon père n’est plus là aujourd’hui, mais je suis content d’avoir partagé cette soirée de juillet 2005 avec lui. Et de lui avoir redonné l’envie de s’intéresser à Sardou, dont il avait aussi un album live daté de 1971, et que j’ai toujours (le saphir, le saphir !). 

MS 1976

En janvier 2013, j’avais écrit des questions pour Michel Sardou (on ne sait jamais !) et les avais envoyées à un site officiel par je ne sais plus quel biais. Deux jours après je recevais ce mail, un de ceux qui m’auront le plus touché. « Je serais ravi de répondre à vos questions (...) mais, de grâce, n’en posez pas trop à la fois. Cela ressemblerait à un livre écrit à deux. De plus, je n’aime pas parler de moi. À la question des regrets, je n’en ai aucun. Ceux qui n’ont pas compris à l’époque ne comprendront pas plus demain. Pour le reste, j’ai suivi une route ; celle qu’il y avait devant moi. J’ai commencé à écrire très jeune, ce qui pourrait expliquer quelques maladresses, mais je ne m’excuse jamais. Sauf quand je suis impoli. L’avenir ? Je verrai bien. Ou mieux, je ne le verrai pas. Il est désormais derrière moi. Bien à vous, Michel. » Il n’y aura pas d’interview à la suite de cet échange, mais ce mail, venant de lui (quand même, LUI !) m’avait vraiment fait plaisir. L’avenir, on vous le souhaite radieux et chaleureux Michel. Merci à toi pour tout ce que tu as donné. Merci à vous tous, Dominique, Gianni, Bastien, Frédéric, pour vos contributions pour cet article exceptionnel. Hommage à un artiste authentiquement populaire. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Sardou Sur des airs populaires

Michel Sardou : sur des airs populaires, City éditions, 2018.

 

F. Quinonero : « Faut-il désespérer…

de vous revoir chanter un jour ? »

MICHEL SARDOU - LA DERNIÈRE DANSE - HOMMAGE

 

 

partie I : l’interview croisée

 

Frédéric Quinonero, Bastien Kossek bonsoir, et merci à vous deux d’avoir accepté de répondre à mes questions, pour Paroles d’Actu. Frédéric, les lecteurs du blog savent déjà qui tu es, ils connaissent tes écrits... Bastien, en ce qui te concerne, ce n’est pas encore le cas. Quelques mots sur toi, sur ton parcours ?

Bastien Kossek : Déjà une question difficile (sourire) ! Je suis incapable de trouver le mot qui résumerait mes activités. Si je faisais du pain, je dirais que je suis boulanger, et ça serait très simple (rires) ! Là, c’est un peu plus compliqué, à l’image de mon parcours, finalement. On peut dire que je suis un « touche-à-tout » principalement attiré par l’interview : un passeur de parole. Provoquer la rencontre, recueillir les témoignages, organiser une conversation, apprendre des choses, en comprendre d’autres : voilà ce qui me passionne en premier lieu. Au fond, c’est le sens de tous les jobs que j’ai faits jusqu’ici : une petite émission de télé sur Melody (« Rendez-vous avec… »), de la radio sur France Bleu, de longs entretiens pour le site internet du journal L’Équipe, l’animation des débats lors d’avant-premières dans les cinémas UGC, et l’écriture de documentaires pour une société de production audiovisuelle.

 

Votre actu à tous les deux est très colorée Sardou, et ça tombe plutôt bien, puisque c’est le fil conducteur de notre échange. Pour toi, Frédéric, il y a la sortie de ta dernière biographie, Michel Sardou, sur des airs populaires (City Éditions, avril 2018) ; quant à toi Bastien, c’est un projet de livre qui, petit à petit, prend forme. Quelle est, pour l’un et pour l’autre, l’importance de Michel Sardou dans votre univers musical, et peut-être dans votre vie ? Sans forcément en faire une « maladie », est-ce qu’on peut parler d’histoire d’amour, et si oui depuis quand existe-t-elle ?

 

F. Quinonero : « Je chantais Les Bals populaires debout

sur la table à la fin des repas de famille ! »

 

Frédéric Quinonero : J’ai eu une culture musicale très populaire. Et Michel Sardou a fait partie de ces chanteurs que j’entendais dans le transistor, à la télé chez Guy Lux ou les Carpentier. Ses chansons étaient reprises dans les bals pendant les fêtes de village. Ce sont ces souvenirs-là qui me viennent quand je pense à lui. Je l’ai connu avec Les Bals populaires (d’où le titre de mon livre, qui m’est venu spontanément), que je chantais debout sur la table à la fin des repas de famille, et il a accompagné toute ma vie depuis mon enfance, avec Johnny, Sylvie, Sheila, Dassin, Fugain, toute cette génération-là. Je me souviens de La Maladie d’amour que le type des autos tamponneuses de la fête foraine d’Anduze passait sans arrêt pendant l’été 73, puis de mes premiers flirts sur Je vais t’aimer et Dix ans plus tôt. Puis Je vole, le bien-nommé, que j’avais piqué à Montlaur, et l’album « Verdun » (1979) qu’on écoutait en boucle avec mon ami Bruno et ses potes dans les rues de Lyon… Mes madeleines à moi.

 

Bastien Kossek : (rires) Pour ma part, elle court, elle court… depuis le milieu des années 2000 ! Il faut savoir que ma maman – mais aussi ma grand-mère, mes tantes… – ont toujours adoré Sardou. C’est un peu une maladie familiale, un virus qui se transmet ! Ma mère, c’est une grande admiratrice ! Quand elle était ado, elle a fait partie de son Fan Club – seulement un an, par manque de moyens – et sa chambre était tapissée de posters de Michel. Enfant, j’ai été bercé par ses chansons, et je crois même que j’ai appris à lire avec les livrets qui se trouvaient à l’intérieur de ses albums. Des photos en témoignent (sourire) ! Après, j’ai connu une période – comme tout le monde, j’imagine – durant laquelle j’ai voulu me différencier, ne pas écouter la même chose que mes aînés. Alors, dans la voiture, pour ne pas entendre Sardou, j’écoutais des groupes de rock, le volume des écouteurs à fond ! Et puis, petit à petit, je suis revenu dans le droit chemin (rires). D’abord avec l’album « Du plaisir » (2004), qui était très moderne dans ses sonorités et, définitivement, grâce à « Hors Format  » (deux ans plus tard, en 2006), qui est une merveille, que ce soit dans l’écriture, le choix des thèmes, les ambiances. Depuis, Sardou ne m’a plus quitté, et il a même pris une place assez centrale dans ma vie…

 

Parlez-nous, l’un et l’autre, de votre démarche pour vos ouvrages respectifs, s’agissant de leur construction mais aussi, en particulier, les prises de contact, les témoignages recueillis... Je crois que le tien, Bastien, sera largement composé de témoignages inédits. Quant à toi Frédéric, je sais que cette bio a été autorisée par l’intéressé après avoir été validée par son épouse Anne-Marie. En quoi diffère-t-elle de Vox Populi, le premier ouvrage que tu avais consacré à Sardou en 2013 ?

 

Frédéric Quinonero : J’ai repris la trame de Vox Populi, un compromis entre la biographie chronologique et les thématiques des chansons de Michel. J’ai tout revu, relu, modifié, amélioré, actualisé. Je ne sais pas relire un texte de moi sans le corriger phrase après phrase. Alors, cinq ans après, tu penses !... Vox Populi était très illustré, et le texte se perdait un peu parmi toutes ces belles images. J’avais envie qu’il soit mis en valeur, qu’il se suffise à lui-même. C’est le cas ici. Ensuite, Cynthia (la fille de Michel Sardou, qui est également écrivain, ndlr) et Anne-Marie Sardou l’ont relu et approuvé. Puis, Vline Buggy (auteure de Les Bals populaires, Et mourir de plaisir et J’habite en France, ndlr) m’a écrit une belle préface. C’était le moment ou jamais de le sortir, puisque se tourne la page musicale de la carrière de Michel.

 

B. Kossek : « Quand il a annoncé qu’il arrêtait

sa carrière de chanteur, j’ai ressenti comme une forme

d’urgence : c’était maintenant ou jamais. »

 

Bastien Kossek : En tant que fan, puisque c’est comme ça que me considère avant tout, j’avais envie de quelque chose de neuf. J’ai trop souvent été frustré par des interviews répétitives, des reportages convenus, etc. Ça faisait longtemps que j’avais envie de proposer autre chose, mais je me freinais. Je ne connaissais, ni Sardou, ni son entourage, et je ne savais pas comment y accéder. J’avais l’impression d’être au pied d’une montagne. Et puis, je ne me sentais pas vraiment légitime. C’est une envie profonde que j’avais, mais je repoussais un peu le truc. Quand il a annoncé qu’il arrêtait sa carrière de chanteur, j’ai ressenti comme une forme d’urgence : c’était maintenant ou jamais. J’ai beaucoup réfléchi, me suis posé pas mal de questions. Que suis-je capable de faire ? Que pourrais-je apporter de nouveau ? Qu’est-il envisageable de proposer ? Je savais pertinemment que Michel ne s’impliquerait pas directement dans ce projet. Même si c’est une idée qui me séduisait, j’avais conscience qu’un livre d’entretiens – avec lui – n’était pas réalisable. Alors, j’ai imaginé un recueil autour du thème du regard, afin que des personnes très différentes, qui l’ont côtoyé dans des circonstances diverses, me racontent « leur » Michel Sardou.

 

Regards

Regards, de Bastien Kossek. Visuel temporaire.

 

Ce printemps 2018, c’est la date qui a été choisie par Michel Sardou pour tirer sa révérence, et quitter la scène musicale (disques et concerts), après une ultime tournée (ses deux derniers concerts, prévus pour la fin mars, ont été repoussés à la mi-avril pour raisons médicales). Il ne quitterait pas le monde du spectacle mais irait un peu plus encore vers le théâtre. Déjà, est-ce que vous y croyez, à un retrait définitif du monde de la chanson ? Et quel regard portez-vous, à la fois sur cette dernière période, et bien sûr sur sa carrière, qui se sera donc étendue sur cinq décennies ?

(restera-t-il encore ?)

Bastien Kossek : Ce n’est pas la première fois que Sardou annonce qu’il arrête la chanson, ou plutôt qu’il planifie une fin de carrière musicale à court ou moyen terme. Quand il avait une trentaine d’années, déjà, il l’évoquait ! Il était définitif, disait : « Dans cinq ans, j’arrête la chanson ! » Simplement, c’est beaucoup plus facile d’annoncer ça quand on est jeune et en pleine possession de ses moyens, qu’aujourd’hui. À l’âge qui est le sien, je pense que c’est une décision sans retour possible. Une décision qui, au fond, ne doit pas le laisser insensible. Je pense qu’il n’arrête pas le cœur léger : il le fait parce que c’est un homme digne, relativement lucide. Je dis relativement, parce que d’un côté, il a conscience que ses capacités vont baisser avec le temps, et que certaines chansons – Je vais t’aimer, pour prendre l’une des plus emblématiques – ne sont plus adaptées à sa voix, ni à l’homme qu’il est. D’un autre côté, je pense qu’il aurait pu – j’aimerais écrire, qu’il peut – faire évoluer sa carrière, piocher dans d’autres titres de son imposant répertoire, aller vers plus de dépouillement, de simplicité, de proximité. Il y a eu des fins de carrières magnifiques ! Prenez – dans un autre style – Johnny Cash, que Sardou adore, et qui a su se réinventer dans les dernières années…

 

F. Quinonero : « Je crois sincèrement que son souhait le plus cher

est de terminer sa carrière au théâtre. Comme son père. »

 

Frédéric Quinonero : Il a vraiment décidé d’arrêter la chanson. C’est une décision qui couvait depuis quelques années. Je crois qu’il est allé au bout de ses envies et de ses possibilités. Sa tessiture vocale s’est réduite avec le temps, et il a conscience que Sardou qui chante Le France ou J’accuse avec une octave en moins dans la voix ce n’est plus Sardou  ! Il y a aussi une question d’endurance : il faut avoir la santé pour chanter de ville en ville… La scène c’est donc fini. Alors, peut-être, si l’inspiration revient, on aura droit à un nouveau disque… Mais je crois sincèrement que son souhait le plus cher est de terminer sa carrière au théâtre. Comme son père.

 

Sardou a traversé plusieurs époques, il s’est essayé à différents styles. Le chanteur a évolué, l’homme a mûri. Est-ce qu’il y a une époque, un Michel Sardou que vous, vous préférez ? Un album que vous mettriez en avant ?

 

Frédéric Quinonero : Sans hésitation, et malgré les polémiques qu’il a suscitées à ce moment-là, les années 1970. Mon côté nostalgique me renvoie à l’album « J’habite en France  », le premier qu’on m’a acheté quand j’étais môme. Mais mon préféré, si j’en juge d’après le nombre de plages que j’apprécie, est « Verdun » (1979). Outre les souvenirs personnels que m’évoque l’écoute de ce disque, je ne me suis jamais lassé de titres comme Je n’suis pas mort, je dors, L’Anatole, Carcassonne ou Verdun. Du grand Sardou !

 

Hors Format

L’album « Hors Format » (AZ-Universal, 2006), choix de B. Kossek.

 

Bastien Kossek : Je vais te faire une réponse de Normand, parce que l’homme, je l’aime à toutes les périodes (sourire) ! Je découperais sa carrière en trois périodes distinctes. D’abord, il a été un mec fougueux, d’une totale clarté dans ses sentiments comme dans ses intentions, parfois maladroit, et profondément épicurien. Ensuite, à partir des années quatre-vingt, j’ai l’impression qu’il a évolué, tendant vers plus de retenue, de pondération. Il a alors acquis une véritable stature, et il était très brillant dans chacune de ses prises de parole. Enfin, une dernière période – depuis dix ans, peut-être – qui semble condenser les deux précédentes, à ceci près qu’il n’a plus rien à prouver – tout en restant professionnel – et qu’il fait désormais ce qu’il a envie.

 

Quant à l’album, ce serait « Hors Format », forcément ! Pour moi, c’est la quintessence de ce qu’a proposé Sardou : c’est varié, puissant, audacieux. Il y a des grandes fresques qui ont fait sa légende (Beethoven), des chansons populaires dans la lignée de ses plus grands tubes (Valentine Day), des titres extrêmement forts émotionnellement (Les yeux de mon père, Nuit de satin), des thèmes de société qui visent juste (Les villes hostiles), et des morceaux d’une noirceur insoupçonnée dans son répertoire (On est planté, Je ne suis pas ce que je suis). Je crois que cet album est le plus personnel et le plus créatif qu’il ait réalisé. En te répondant, je m’aperçois que je mets de côté Jacques Revaux, à qui je voue pourtant une admiration sans bornes, et sans qui Sardou n’aurait sans doute pas accompli la même carrière. Un crève-cœur de te répondre, donc !

 

Sardou a su s’entourer, à son meilleur, des auteurs et des compositeurs les plus talentueux de leur époque. Mais on remarque aussi, dans les crédits de ses albums, que souvent, il apparaît parmi les auteurs - moins en tant que compositeur. Finalement, dans quelle mesure a-t-il effectivement « écrit » (et non pas simplement « retouché ») certaines de ses chansons ? Combien en a-t-il écrites en propre ? Frédéric, peut-être ?

 

Bastien Kossek : Je laisse donc Frédéric te répondre, tout en précisant que pour mon livre, j’ai interrogé trois des co-auteurs majeurs de Sardou. Ce qu’ils disent de lui – en tant qu’auteur – est aussi passionnant qu’instructif…

 

F. Quinonero : « À la grande époque, lors de sa collaboration

avec Pierre Delanoë, Sardou édulcorait le côté "engagé à droite"

de son partenaire par son penchant romanesque... »

 

Frédéric Quinonero : Entre 80 et 90 chansons sont créditées à son nom seul en tant que parolier. J’ai compté neuf titres qu’il a entièrement écrits, paroles et musique : J’y crois, L’Anatole, Verdun, Les Noces de mon père, Mélodie pour Élodie, 55 jours, 55 nuits, La Chanson d’Eddy, Tout le monde est star, La vie, la mort, etc... Difficile ensuite d’estimer sa part réelle de créativité (d’autant qu’elle varie selon l’inspiration) dans les collaborations avec Delanoë, Dessca, Billon, Dabadie, Barbelivien, Vline Buggy et les autres. Il a souvent dit que Vline Buggy – et elle le confirme dans la préface qu’elle m’a écrit – lui avait appris à aller à l’essentiel dans l’écriture, à se débarrasser de la mauvaise poésie qui parasitait ses premiers textes, à l’époque Barclay. Jacques Revaux prétend que Sardou intervenait toujours sur l’écriture d’une chanson, à pourcentages variables, et même si ce n’était qu’un apport minime il apportait la touche finale, ce qui faisait que la chanson allait marcher, le truc en plus, la cerise sur le gâteau. On peut s’aventurer à dire aussi qu’à la grande époque, lorsqu’il travaillait en complicité avec Pierre Delanoë, l’un (Delanoë) y allait franco dans le côté «  engagé à droite  », que Sardou édulcorait par son penchant romanesque… Ce fut le cas notamment dans Vladimir Ilitch : Delanoë a versé dans le pamphlet anticommuniste, tandis que Sardou s’est laissé porter par le souffle épique de l’histoire.

 

Michel Sardou traîne depuis les années 70 et les chansons les plus polémiques (Je suis pour, qu’il dit avoir été maladroite ; Le Temps des colonies, dont il déplore qu’elle soit lue au premier degré ; on peut aussi citer dans les années 80 et 90 les titres engagés Vladimir Ilitch, Le Bac G, et plus tard la dispensable Allons danser) une image d’ « homme de droite », largement amplifiée par des prises de position, sur le plan politique notamment. Alors, cette image, réalité ou, comme souvent avec lui, pas « noir ou blanc mais d’un gris différent » ?

 

Bastien Kossek : Le truc, c’est que ce sont les chansons que tu cites qui ont été mises en avant. Si, en début de carrière, Sardou avait rencontré le succès avec des titres comme Danton, God save, ou Zombie Dupont, peut-être qu’on lui aurait apposé l’étiquette du chanteur de « gauche ». Bon, je reconnais qu’avec ces trois chansons, les chances de succès étaient minces (rires) ! Personnellement, le positionnement politique des titres de Sardou, c’est un débat qui ne m’a jamais vraiment intéressé. C’est réducteur, et un peu vain…

 

F. Quinonero : « Par tradition familiale, en souvenir de Fernand

qui se levait quand De Gaulle parlait dans le poste,

Sardou s’est longtemps dit gaulliste... Aujourd’hui,

il ne croit plus en l’homme providentiel. »

 

Frédéric Quinonero : Il est plutôt de droite, oui. Et ne peut concevoir l’idéal de gauche, communautaire et égalitaire. Cela ne fait pas partie de son éducation. Même s’il n’est pas contre les tendances redistributives que l’on trouve le plus souvent à gauche. Par tradition familiale, en souvenir de Fernand qui se levait quand De Gaulle parlait dans le poste, Sardou s’est longtemps dit gaulliste. Mais on ne sait plus trop ce que ça veut dire, être gaulliste, aujourd’hui. Comme beaucoup de Français, la vérité ne vient jamais d’où il l’attend. Et il ne croit plus en l’homme providentiel. Aux dernières élections, il a trouvé en Macron un bon compromis. Ni de droite, ni de gauche. Mais on peut espérer que ses espoirs seront encore déçus. (Rires)

 

Est-ce que dans votre vie, l’un et l’autre, vous avez été « gênés » parfois d’aimer Sardou, par rapport à vos proches, vos amis, etc ? Par rapport à l’image qu’il  dégagerait, à ses prises de position, etc. C’est « dur » parfois d’assumer qu’on aime Sardou, franchement ?

 

Frédéric Quinonero : Je vais reprendre ce que je te disais dans une précédente interview. Adolescent, quelques chansons m’ont marqué, mais le personnage me dérangeait. Comme je baignais dans un milieu de gauche, on ne tolérait pas autour de moi qu’un chanteur use de sa notoriété pour se prononcer en faveur de la peine de mort, à un moment crucial où l’opinion publique réclamait à cor et à cri la tête d’un homme – finalement, cet homme fut emprisonné, puis un autre, inculpé dans une autre affaire et dont la culpabilité demeure discutable, fut guillotiné. En réalité, je répétais ce que l’on disait autour de moi, car j’étais très jeune. Pas tant dans ma famille, car mon père adorait Sardou, que dans mon cercle d’amis et celui de ma sœur, plus âgée que moi. À la radio ou dans les fêtes de village, j’aimais entendre Je vais t’aimer ou Le France, alors que je m’interdisais d’acheter les disques. Même J’accuse, j’aimais bien ! Notamment son intro pompière… Mais au lycée, je ne m’en vantais pas.

 

B. Kossek : « Plus le mec en face de moi se montre méprisant

au sujet de ma passion pour Sardou, plus j’en rajoute.

Je vais même te dire : j’adore ça ! »

 

Bastien Kossek : J’ai vite compris qu’aimer Sardou était perçu de manière très particulière, mais je n’ai jamais été gêné. Au contraire, plus le mec en face de moi se montre méprisant à ce sujet, plus j’en rajoute. Je vais même te dire : j’adore ça ! Je me rappelle qu’au lycée, au-delà des idées préconçues que j’entendais sur l’artiste que j’admirais un mec m’avait lancé : « Mais il est vieux, ton Sardou ! Quand il va mourir, tu vas pas être bien ! » Alors, pour être aussi con que lui, j’avais répondu : « C’est sûr que ça me fera plus de peine que quand ça sera ton tour ! » C’était pas hyper malin, mais je le pensais profondément (rires). Quant à mes amis, je crois qu’ils apprécient tous Sardou ! Faut dire que je ne leur ai pas laissé le choix (rires). Plus sérieusement, je pense qu’il y a un Sardou pour chacun, que tout le monde – dans la variété de son répertoire – peut trouver de quoi être concerné, ému, enthousiasmé. Mon meilleur ami est un grand fan de rap, mais quand je fouille dans sa playlist Deezer, je trouve toujours quelques titres de Sardou…

 

Sardou proclame souvent qu’il « n’est pas l’homme de ses chansons », sous-entendu, sauf dans de rares cas, il ne raconte pas sa vie mais se met dans la peau de personnages. Est-ce pour cette raison qu’on a tant de mal à cerner l’homme derrière le personnage parfois ? En tout cas, il se démarque ici d’autres artistes, qui vont plus volontiers vers des chansons personnelles. Est-ce que cette espèce de détachement vis-à-vis de ce qu’il chante a des conséquences sur la manière dont on perçoit l’homme (une image un peu froide qui pour certains peut encore lui coller à la peau), et dont ses chansons sont reçues par le public (puisqu’elles ne racontent pas sa vie, on peut s’identifier plus facilement à elles) ?

 

« Je n’sais pas faire le premier pas, 

Mais vous savez déjà tout ça.

Je n’suis pas l’homme

De mes chansons, voilà. »

Salut, 1997.

 

Bastien Kossek : Je pense que Michel Sardou aime brouiller les pistes, rebattre les cartes. En tant qu’auteur, je crois que c’était une réelle volonté tout au long de sa carrière. Sans doute ne souhaitait-il pas livre du prêt-à-penser, avec des chansons trop typées, trop datées ou trop précises, préférant ainsi laisser de l’espace à l’auditeur. Il a toujours voulu que le public soit, en quelque sorte, le co-auteur des chansons…

 

Frédéric Quinonero : Il a construit son image et sa notoriété sur l’art de la provocation. Mais s’il est évident que pour certaines chansons à polémique, comme Les Villes de solitude ou Le Temps des colonies, il campe un personnage, cela l’est moins pour d’autres où la différence entre l’artiste et ses personnages est ténue – je pense en particulier à Je veux l’épouser pour un soir qui, curieusement, n’a pas suscité de controverse à sa sortie. Mais c’est vrai qu’il affichait souvent au gré de ses «  incarnations  » un visage plutôt grave, fermé, le rictus rageur, le poing serré, l’allure guerrière. Dans Je vais t’aimer, qui était une chanson d’amour, mais pas le genre sentimental, plutôt le truc hyper sexué, il incarnait le mâle dans sa virilité plénière – ce qui avait pas mal révulsé les féministes. C’est une image dont il a eu beaucoup de mal à se défaire. Pour beaucoup, il est le type qui sourit quand il se brûle !

 

Est-ce qu’avec la fin de la carrière d’un Sardou, on n’assiste pas un peu à la disparition des artistes transgénérationnels, capables de parler massivement aux « cheveux blonds » comme « aux cheveux gris » en même temps ? Et Sardou a-t-il vraiment été de ceux-là d’ailleurs ? Je précise ma question : quand les jeunes aimaient Sardou dans les années 70, est-ce que les « vieux » faisaient eux aussi déjà partie de son public ?

 

Bastien Kossek : Je crois qu’il a toujours été transgénérationnel, en effet…

 

F. Quinonero : « Sardou, avec sa cravate et ses costards

trois pièces des débuts, faisait plutôt garçon de bonne famille

qui plaisait aux enfants, tout en rassurant les parents. »

 

Frédéric Quinonero : C’est La Maladie d’amour, justement, qui a installé définitivement Michel Sardou dans la spirale du succès et lui a permis de gagner la fidélité d’un public, le plus large qui soit, « de sept à soixante-dix-sept ans ». Mais je ne l’ai jamais perçu comme le chanteur d’une génération, ainsi que l’a été Johnny, par exemple. Sardou, avec sa cravate et ses costards trois pièces des débuts, faisait plutôt garçon de bonne famille qui plaisait aux enfants, tout en rassurant les parents. Cette popularité-là, il l’a gardée. Aujourd’hui, moi qui fais partie des «  cheveux gris  », je partage avec les «  cheveux blonds  » un intérêt assez vif pour certains chanteurs qui remettent au goût du jour la chanson française traditionnelle. Je pense à Gauvain Sers ou Vianney.

 

Lors d’interviews que vous m’aviez accordée, toi Frédéric, tu me disais que Sardou avait « traduit en chansons l’âme d’un peuple ». Un peu plus tard, Bertrand Tessier, également biographe du chanteur, m’avait confié penser que Sardou n’avait « pas son pareil pour capter l’air du temps ». Quel est ton avis sur la question, Bastien ? Sardou, quelle marque, quelle trace ?

Bastien Kossek : Je trouve que ce sont des « punchlines » très efficaces, et très justes.

 

Donnez-moi, tous les deux, après y avoir bien réfléchi, une liste de 15 chansons de Sardou, celles que vous garderiez s’il vous fallait faire un choix sacrificiel. En essayant de ne pas inclure à la liste plus de la moitié de grands succès, histoire de faire découvrir des perles méconnues à nos lecteurs ?

 

Frédéric Quinonero :

- Je vole ;

- Le France ;

- Restera-t-il encore

- Je vous ai bien eus ;

- Je vais t’aimer ;

- Verdun ;

- Je viens du sud ;

- Si j’étais ;

- Vladimir Ilitch ;

- Io Domenico ;

- Musulmanes ;

- L’acteur ;

- Le bac G ;

- Qu’est-ce que j’aurais fait, moi ? ;

- S’enfuir et après.

 

Bastien Kossek : Voici ma liste ! J’ai fait ça très sérieusement, presque méthodiquement… Mais si tu me demandes de refaire le même exercice dans une semaine, tu peux être sûr que la moitié des chansons aura changé (rires) !

- Madame je (il avait vingt ans et, déjà, quel auteur !) ;

- La vallée des poupées ;

- La vieille ;

- Le prix d’un homme ;

- Dossier D ;

- Le verre vide ;

- Rouge ;

- Délivrance ;

- Les routes de Rome ;

- Elle en aura besoin plus tard ;

- Le grand réveil ;

- La chanson d’Eddy ;

- Les yeux de mon père ;

- Valentine Day ;

- J’aimerais savoir.

 

Une photo perso, de concert ou d’un objet fétiche, que vous rattachez à Sardou ?

 

Frédéric Quinonero : Je ne suis pas trop fétichiste. Mais je suis très attaché aux choses de l’enfance. Et les objets qui concernent Sardou sont forcément des disques, les premiers qu’on m’a offerts : le 33 tours vinyle de « J’habite en France » ou encore le single de «  Je t’aime, je t’aime  ».

 

J'habite en France 

 

Sardou, en trois adjectifs ?

 

B. Kossek : « Populaire. Irréductible. Imprévisible. »

F. Quinonero : « Bougon. Sincère. Populaire. »

 

Si vous pouviez lui adresser un message, ou lui poser une question là, à l’occasion de cette interview (imaginons qu’il nous lise), ce serait quoi ?

 

Bastien Kossek : Accepteriez-vous de rédiger ma préface (rires) ?

 

Frédéric Quinonero : Ma question est : faut-il désespérer… de vous revoir chanter un jour ?

 

Vos projets pour la suite ?

 

Bastien Kossek : Acheter les droits d’une pièce de théâtre majeure, et la proposer à Michel Sardou (rires) !

 

Frédéric Quinonero : Continuer.

 

Un dernier mot ?

 

Bastien Kossek : Merci Nicolas pour cet entretien fouillé ! Pour une fois, je suis de l’autre côté, puisque c’est moi qui réponds aux questions… et je dois avouer que c’est difficile ! Maintenant, j’ai hâte de découvrir les réponses de Frédéric, lui souhaitant – au passage – un énorme succès pour sa biographie consacrée au chanteur qui nous a réunis durant cette interview !

 

Frédéric Quinonero : Salut.

 

Frédéric Quinonero

Frédéric Quinonero. Q. : 25/03/18 ; R. : 27/03/18.

 

Bastien Kossek

Bastien Kossek. Q. : 25/03/18 ; R. : 30/03/18.

 

partie II : parce que c’était lui, parce que c’était moi... (ou le choix du fan)

 

Dominique, alias Lanatole

29/03/18

 

Introduction : Pourquoi Michel ?

 

Episode 1 :

« Michel, mon premier amour d’adolescente... »

J’avais quoi ? 13/14 ans, et cet été-là, sur toutes les ondes et à longueur de journée, on entendait cette « bombe atomique » : La Maladie d’amour ! Alors, pour cette toute jeune adolescente que j’étais, il était impossible que je ne tombe pas amoureuse pour la première fois de ma vie ! Ce fut pour Michel ! Une maladie incurable puisqu’encore aujourd’hui, presque sexagénaire, je suis encore, voire même plus qu’auparavant, admirative de cet artiste !

 

Episode 2 :

Eté 77 : la rencontre avec celui qui allait devenir l’homme de ma vie, le père de mes enfants... On s’est rencontrés tout simplement dans un bal populaire, il a proposé de me ramener chez moi et ô surprise une cassette tournait, qu’il avait mise en fond sonore, c’était l’album « J’habite en France » ! Et de cet album là, je ne connaissais que les titres phares, Petit, Les Ricains, Les Bals populaires et bien sur la chanson éponyme… et lorque j’ai entendu cette voix sur des chansons inconnues pour moi, j’avoue que le jeune homme que je venais de rencontrer prit une importance pour le restant de ma vie, que je ne soupçonnais pas alors.

 

Episode 3 :

Mars 2005 : je n’avais jamais vu Michel en concert jusqu’à ce jour de Saint Casimir (hormis un concert en 2002 à la maison des Sports de Clermont-Ferrand, mais j’étais très mal placée et donc ce ne fut pas un souvenir impérissable). Ce jour-là, grâce à internet, grâce à l’An Mil et à son webmaster Giros, je rencontrais des fans aussi frappés que moi ! Pour la première fois de ma vie j’allais partager cette passion qui m’anime depuis 1973 et qui est indéfectible, avec d’autres !

Le concert : premier rang, plein centre. Je n’ai vu que LUI, rien d’autre : pas de jeux de lumière, pas de musiciens, pas de choristes. Juste MON Michel… énorme émotion jusqu’aux larmes sur L’Aigle noir, qu’il interprète de manière magistrale...

J’avais préparé un papier sur lequel j’avais écrit en gros : MICHEL JE T’AIME, telle une ado ! Je le lui ai montré, il m’a fait un signe de la main, un clin d’oeil et voilà comment il a fini de m’achever dans cet amour éternel.

 

Episode 4 :

Tournée 2007 : elle m’a emmenée au quatre coins de France, et même jusqu’en Belgique, au Forest National. Je me suis regorgée de Michel, comme si toutes ces décennies de frustration me poussaient à le voir, encore et encore ! J’ai dû faire 16 ou 17 dates. Ce fut épique, inoubliable, excitant, passionnant et je ne le regrette pas, car ça m’a permis aussi de rencontrer des humains formidables dont, certains font partie aujourd’hui de mes amis intimes, et rien que pour ça je ne peux qu’aimer davantage Michel !

 

Epilogue :

2017/2018 : ce qui sera probablement sa « Dernière Danse », comme il nous l’a annoncé.

« J’ai savouré chaque concert de cette dernière tournée,

pour cela reste gravé à jamais dans ma mémoire intime… »

Je suis donc allée le voir 9 fois pour cet ultime opus et j’ai essayé de savourer chaque instant. Sa voix est encore au top, toujours frissonnante, chaleureuse (lorsqu’il n’a pas de laryngite bien sûr !) ; sa démarche n’est plus très assurée (douleurs au dos ?) mais son amour pour nous, le public, il ne fait que nous le chanter, nous le dire, nous le répéter ; je l’ai trouvé en communion totale avec nous. J’ai savouré chaque concert, pour cela reste gravé à jamais dans ma mémoire intime… bien consciente que je vivais mes derniers concerts avec lui, mais bienheureuse qu’il nous offre cette Dernière Danse. Sur mes deux derniers à Dijon, j’ai bien évidemment pleuré avec tous ceux qui étaient devant, c’était vraiment très, très émouvant ! Lorsque le rideau se ferme sur Michel à la fin, qu’il disparaît, on sait alors, qu’on ne reverra plus notre chanteur, en chantant...

Je ne suis pas triste qu’il arrête la chanson, il a sûrement raison de s’arrêter au sommet de son art. Je suis heureuse d’avoir pu vivre toutes ces heures de concerts à fond. Il va nous manquer, même si on le retrouvera sans doute sur les planches d’un théâtre ici ou là. Mais on a la chance qu’il soit encore vivant !

 

Lana MS

« Ma photo préférée de tous les temps »

 

Pourquoi j’aime Sardou ?

  • parce que sa voix, en premier lieu ;

  • parce que sa culture (histoire, littérature...) ;

  • parce que son intelligence ;

  • parce que ses textes profonds ;

  • parce que son romantisme (et oui !) ;

  • parce que ses grandes chansons, qui resteront à la postérité ;

  • parce que ses musiques variées (il a su s’entourer des meilleurs compositeurs) ;

  • parce qu’il a suivi sa ligne de conduite avec ses contradictions (ou évolutions) assumées ;

  • parce que son professionnalisme, son perfectionnisme ;

  • parce que sa sensibilité ;

  • parce qu’il est un homme libre (comme il le martèle sur sa dernière tournée) ;

  • parce que son humour décapant, provocateur parfois ;

  • parce que son autodérision ;

  • parce que l’homme ;

  • parce que c’était lui…

 

Mon choix de 15 chansons (torture mentale)

Lana

 

- - - - -

 

Gianni Rosetti, alias Giros

Créateur et webmaster du très beau site An Mil / Sardou.ch.

30/03/18

« Ça fait déjà longtemps qu’on se connaît... »

 

Cela fait maintenant 35 ans qu’on se connaît.

Et il est entré dans ma vie par le plus grand des hasards...

J’ai 47 ans aujourd’hui, donc à l’époque je devais avoir une douzaine d’années, c’est dire le parcours effectué avec Michel, jusqu’à aujourd’hui.

Moi qui était passionné de cinéma et de séries TV, la musique ne m’intéressait pas vraiment. Cette époque de ma vie a été marquée par le divorce de mes parents, je n’allais pas très fort... cela m’a profondément marqué. Mon père est parti, je ne l’ai que très peu revu. La blessure était immense, elle l’est encore aujourd’hui ; on ne s’est jamais rapprochés.

Je ne sais pas grand chose de lui... On ne s’est revus que peu de fois durant toutes ces années. Je me souviens d’une fois où j’avais été chez lui. J’y avais aperçu des 45 tours de Michel. Peut-être l’aimait-t-il aussi, je n’en sais rien...

« Ce soir-là, il m’a touché au plus profond de moi-même. »

Bref j’étais un gamin pas très heureux, avec peu d’amis. Un soir, alors qu’on était chez des amis, ma mère discutait à la cuisine, et moi j’étais seul au salon regardant la télé. Je zappe sur une émission de variétés et là, Michel apparaît. Il chante... je ne me souviens plus de quelles chansons exactement. Seigneur, cette voix m’a bouleversé, elle m’a profondément touché... Il se passait quelque chose en moi, une émotion terrible. Cet homme avec ce regard si sévère (comme on le disait de lui...). Moi, j’y ai vu une grande tendresse, dans son regard. Comme avait dit Yves Montant, « il a le regard sévère, mais l’œil tendre ». Ce soir-là, il m’a touché au plus profond de moi-même.

Et ce soir-là, il m’a sans doute sauvé la vie. Cette rencontre a été une des plus belles de ma vie, une lumière est apparue, l’espoir... Cette passion naissante pour cet artiste a été salvatrice pour moi, et là tout a commencé : une très belle histoire, qui dure encore jusqu’à aujourd’hui. On ne s’est plus jamais quittés et on ne se quittera jamais. Michel et moi, c’est pour la vie.

Dès le lendemain donc, je tannais ma mère pour qu’elle m’achète un des ses albums. Il fallait absolument que j’écoute cette voix, ce timbre si particulier, qui avait réussi a atteindre mon cœur, les tréfonds de mon âme. J’insistais tellement, qu’elle est venue avec une K7 de Michel, « Chanteur de jazz », et là une chanson me plait énormément : Voyageur immobile. C’est avec elle que tout a commencé, et c’est avec elle que tout s’achèvera...

Cette incroyable aventure venait de commencer, Michel faisait désormais partie de ma vie ; il allait devenir très important pour moi, il serait là dans les bons comme dans les mauvais moments. Grâce à lui, j’ai remonté la pente. Ce fut la course aux chansons. Il me fallait toutes les connaître. Lorsque j’ai commencé à travailler, quelques années après, je faisais le tour des magasins pour trouver des K7 de Michel avec des chansons que je n’avais pas. Le bonheur ultime, quand je découvrais ce titre que je ne connaissais pas. Magique !

Puis l’instant tant attendu, l’heure du premier concert. Michel sera à Lausanne, j’en tremble encore de bonheur... le voir pour de vrai, là devant moi... Comme le dit le grand Jacques Revaux, dans un concert de Michel on en reçoit plein la figure, et pas qu’une fois mais pendant 25 chansons... Il était là... et c’était tellement émouvant, cette homme avec cette voix venue d’ailleurs, son regard plein de tendresse, et cette communion avec son public... Une soirée de rêve, gravée à jamais dans ma mémoire.

« Il a sans aucun doute remplacé un peu mon père,

qui m’a tant manqué, et qui a toujours été absent. »

Depuis je n’ai jamais cessé de la suivre : concerts, émissions, théâtre... et comme le disait ma mère, « regarde, il y a ton père qui passe à la télé... » (Rires) Oui c’était vraiment très fort, ce lien qui nous unissait, et ça l’est toujours resté. Il a sans aucun doute remplacé un peu mon père, qui m’a tant manqué, et qui a toujours été absent.

Si Michel pouvait se douter du poids important qu’il a eu dans ma vie... il m’a redonné l’envie d’avoir envie, à un moment où tout était sombre pour moi. J’ai rencontré plein de gens formidables grâce à lui, je lui dois beaucoup... Michel et moi, c’est « l’histoire sans fin », la maladie d’amour... une fois qu’on l’a...

Et maintenant vivement la suite de l’histoire...

 

Sardou 66

 

Mes chansons ? Évidemment celles liées aux pères...

 

partie III : le choix des fous

 

Citées 3 fois sur 5 (60% des fous):

La Vallée des poupées (1976)

L'An Mil (1983)

 

Citées 2 fois sur 5 (40% des fous):

Restera-t-il encore / La colombe (1971)

Le France (1975)

Je vais t'aimer (1976)

Je vous ai bien eus (1976)

Un roi barbare (1976)

La vieille (1976)

Je ne suis pas mort, je dors (1979)

Verdun (1979)

Il était là (1982)

Vladimir Illitch (1983)

Délivrance (1984)

Vincent (1988)

Le grand réveil (1992)

Putain de temps (1994)

Les yeux de mon père (2006)

 

Et vous, racontez-nous, aussi...

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23 février 2018

Frédéric Quinonero : « Goldman, c'est un fédérateur, un artiste et un homme de coeur... »

En décembre dernier, Jean-Jacques Goldman était élu personnalité préférée des Français dans le cadre du classement IFOP/JDD. Depuis juillet 2013, l’auteur-compositeur-interprète a dominé l’exercice, dont il est sorti lauréat à sept reprises, sur neuf consultations semestrielles. Frédéric Quinonero, biographe de nombreux artistes et interviewé régulier de Paroles d’Actu, lui a consacré dernièrement un portrait, bienveillant et fouillé : Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie (City éditions, 2017). L’ouvrage est riche de toutes les infos disponibles sur un artiste aussi important pour le paysage musical français qu’il est discret, et vaut davantage encore pour les témoignages inédits récoltés par l’auteur et qui mettent en lumière la personnalité de Goldman. La bio d’un artiste et d’un homme attachant, par un mec bien. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 08/02/18 ; R. : 21/02/18.

Frédéric Quinonero: « Goldman, c’est

un fédérateur, un artiste et un homme de cœur... »

 

JJ Goldman Vivre sa vie

Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie, City éditions, 2017.

 

Bonjour Frédéric, ravi de te retrouver pour ce nouvel échange, autour de ce livre sorti en novembre dernier, Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie (City éditions, 2017). Pourquoi avoir choisi d’écrire sur Goldman, et quelle orientation particulière as-tu voulu donner à ta démarche ? Est-ce que spontanément, tu t’inclurais, toi, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la «  génération Goldman  » ?

pourquoi Goldman ?

Pour la première fois je n’ai pas choisi. C’est mon nouvel éditeur qui est venu vers moi pour me souffler l’idée. J’y avais longtemps pensé, cela dit. Car les chansons de Goldman ont bercé ma jeunesse. Mais j’y voyais une difficulté que je n’avais pas envie de surmonter  : aborder le sujet sous un angle nouveau. On a tant écrit sur Goldman ! J’avais tort, on ne devrait pas douter de soi. Il faut avoir le courage d’écrire sur les artistes qu’on aime, quand bien même on n’aurait aucun scoop à révéler. On a au moins sa plume, son style, sa façon personnelle d’écrire, ce n’est pas rien ! Même si aujourd’hui on nous demande de faire le buzz  avec du sensationnel… Là, on me propose d’écrire sur Goldman, donc je ne peux refuser. Je me donne une semaine pour réfléchir à un angle d’attaque, puis je me lance.

 

« La "génération Goldman" ? Bien sûr que j’en fais partie ! »

 

La «  génération Goldman  », bien sûr que j’en fais partie. J’avais 18 ans à l’époque de son premier album solo. J’étais animateur dans une radio libre et j’avais jeté mon dévolu sur la chanson Pas l’indifférence que je programmais souvent. Puis, j’ai fêté mes 20 ans sur Quand la musique est bonne !

 

Didier Varrod, grand spécialiste de la chanson française et fin connaisseur de Goldman, a signé la préface de l’ouvrage et y livre quelques témoignages éclairants. Comment la rencontre s’est-elle faite ? Et après quelles démarches, quel signal de la part de Jean-Jacques Goldman as-tu pu, avec l’éditeur, intégrer la mention «  biographie autorisée  » au document ?

préface et autorisations

Avec Didier, nous avons Sheila et Goldman en commun. Il avait témoigné en 2012 dans mon livre Sheila, star française. Puis, naturellement, j’ai pensé à lui quand j’ai abordé  Goldman, puisqu’il est son premier biographe et le premier journaliste à avoir pressenti son importance auprès de la jeunesse. Outre ses connaissances sur l’artiste, Didier est un garçon vraiment adorable et j’ai eu plaisir à dialoguer avec lui. Sa préface est très belle…

 

« La réponse de Goldman, favorable et pleine d’humour,

m’est parvenue au bout de trois jours... Ça donne des ailes ! »

 

Comme je le fais systématiquement, pour chacune de mes biographies, j’ai adressé une lettre à Jean-Jacques Goldman afin de lui exposer mon projet et je suppose que ce que je lui ai écrit l’a touché. J’ai obtenu sa réponse, favorable et pleine d’humour, trois jours après. Ça donne des ailes.

 

Je m’attarde un peu, avant d’entrer dans le vif du sujet, sur l’aspect  «  conception  » du livre ; j’en ai déjà chroniqué pas mal de toi, et tu en as écrit bien davantage : comment t’y es-tu pris pour mettre en forme, rédiger ce nouvel opus ? Y a-t-il, après une phase qu’on imagine longue de documentation (lectures, écoute et visionnage d’interviews, rencontre de témoins...), décision d’intégrer ou de ne pas intégrer tel témoignage ou élément, décision de suivre tel ou tel plan ? Ça s’est fait comment, sur ce livre, et est-ce que tu dirais que, publication après publication, ta technique se peaufine et l’exercice devient plus aisé ?

coulisses d’un ouvrage

« Je considère que les témoignages apportent un éclairage

supplémentaire, une fois qu’on a raconté l’essentiel. »

Je trouve donc un angle d’attaque, d’abord : je me souviens que je suis cévenol et que dans ma région on n’a pas oublié la générosité de Jean-Jacques Goldman. Je raconte sa venue à La Grand-Combe, en 1999, pour sauver une colonie de vacances de la faillite, puis l’année suivante pour le spectacle des Fous chantants d’Alès. Touché par l’hommage qui lui est rendu, il décide d’écrire une chanson qui s’appellera Ensemble et qu’il vient enregistrer l’année suivante avec les choristes… C’est cette idée de «  vivre ensemble  » qui a guidé mon travail. J’ai écrit sans perdre de vue cette valeur qui fait partie du personnage Goldman : c’est un fédérateur, un artiste et un homme de cœur. Je ne me suis censuré sur rien. La phase de documentation n’a pas été très différente par rapport à mes livres précédents. Je lis beaucoup d’interviews et «  stabilobosse  » les extraits qui me paraissent importants, je visionne la plupart des spectacles et documents vidéo… Ensuite, je classe tout de façon chronologique afin d’avoir toutes les données sous la main, classées, ordonnées. C’est une phase qui me plaît beaucoup et que je ne bâcle pas. Ça aide beaucoup d’être très discipliné… Pour ce qui est des témoignages (il y en a une bonne dizaine dans ce livre), j’attends d’avoir écrit ma partie avant de les recueillir, puis je les intègre à mon texte. Je ne fais pas l’inverse, comme beaucoup de biographes. Je considère que les témoignages apportent un éclairage supplémentaire, une fois qu’on a raconté l’essentiel.

 

Une des images fortes qui ressortent de ce portrait, de Goldman, c’est celle d’un homme qui, malgré son talent, malgré son charisme, choisit de ne jamais se mettre seul en avant, privilégiant très souvent, en bien des points de sa carrière, le collectif, l’esprit de troupe. Ce sera vrai à ses débuts, avec la chorale de l’église de Montrouge. Un peu plus tard, les Tai Thong. Fredericks Goldman Jones évidemment, par la suite. Puis, bien sûr, Les Enfoirés. D’où lui viennent cette envie de partager l’affiche, ce goût de l’« Ensemble » ? C’est une vraie humilité ? Une sécurité ? Un peu des deux ?

esprit de troupe

Les deux, oui. Goldman s’est toujours comporté comme un homme «  normal  », tourné vers les autres, un artiste animé par le besoin de partager. Et le fait d’être entouré était aussi rassurant pour lui, surtout sur scène parce que ce n’était pas le lieu où il se sentait le plus à l’aise.

 

Jean-Jacques Goldman est issu d’une famille ballottée par les vents glaciaux de l’Histoire. Et engagée, forcément. Son père Alter, né en Pologne, fut résistant en France durant l’Occupation. Il était communiste. Son demi-frère Pierre, un militant radical d’extrême gauche, assassiné en 1979. On parle beaucoup politique et grandes causes, chez les Goldman. Jean-Jacques lui, se sent des valeurs de gauche, mais il s’emporte moins facilement pour les pulsions révolutionnaires. Dans une interview que tu cites, il admet que lors de repas familiaux, il était le seul à ne pas savoir où était Cuba... Jean-Jacques, on peut dire que c’est un indépendant, qui a à cœur de tracer sa propre route, sans carcan idéologique, de se composer sa propre brochette d’indignations ? Est-ce qu’il a souffert de cette différenciation parfois (il est suggéré, dans le livre, que certaines des critiques assassines dont il a eu sa part dans la presse de gauche étaient aussi liées au fait qu’il « n’était pas » Pierre) ?

engagements de famille

S’il en a souffert, il ne l’a pas dit. Il a très peu parlé de son frère aîné, sauf dans quelques chansons si on sait écouter… J’ai adoré écrire toute la partie concernant sa famille, le parcours de ces gens, leur engagement, leurs valeurs. L’album « Rouge » leur rend un vibrant hommage.

 

Quelles sont, dans sa jeunesse et par la suite, les coups de cœur musicaux et d’écriture qui lui ont donné envie d’aller vers ce parcours, et qui l’ont inspiré ? On note, à la lecture du livre, que c’est en découvrant Léo Ferré sur scène qu’il se dit que oui, on peut écrire de la musique en français...

inspirations musicales

« C’est Michel Berger qui, au milieu des années 1970, le débar-

rasse de tout complexe à l’égard du chant français : il trouve

en lui le compromis idéal entre la variété française

et un style musical inspiré de la pop anglo-saxonne. »

Avant Léo Ferré, il y a eu Jean Ferrat qu’écoutaient ses parents. Et aussi les Chœurs de l’Armée rouge qu’il est allé applaudir avec eux et qu’il ira chercher plus tard pour l’accompagner sur l’album « Rouge ». Mais pendant son adolescence, son influence musicale était surtout anglo-saxonne, il écoutait Jimi Hendrix, Bob Dylan, Aretha Franklin, les Doobie Brothers, Chicago ou encore Elton John. Puis, Michel Berger au milieu des années 1970 le débarrasse de tout complexe à l’égard du chant français. C’est lui qui ouvre la voie : il trouve en lui le compromis idéal entre la variété française et un style musical inspiré de la pop anglo-saxonne.

 

Qu’est-ce qui, pour toi, caractérise l’artiste Goldman en tant qu’auteur-compositeur-interprète ? En quoi dirais-tu de son œuvre qu’elle évolue (mûrit ?) de manière évidente entre le premier et le dernier album solo ? En quoi lui a-t-il évolué ?

regard sur une œuvre

« Sa pensée a toujours été en éveil, attentive

à l’air du temps et à la marche du monde. »

C’est un artiste qui a toujours su allier le fond et la forme, les «  chansons pour les pieds  » et celles pour le cœur et l’esprit, les tubes dansants pour les discothèques et les textes qu’on écoute les soirs où on veille tard, afin d’y trouver une réponse à ses doutes. Son langage simple et percutant a répondu aux attentes de la jeunesse, qui s’y est reconnue. Il ne s’est jamais départi de cette ligne artistique, même si son public ensuite a grandi, vieilli. Ses textes aussi. Sa pensée a toujours été en éveil, attentive à l’air du temps et à la marche du monde. Il s’autorisait de penser autrement, de naviguer entre gris clair et gris foncé, parce que rien d’humain n’est jamais noir ou blanc.

 

Les chansons que tu préfères de lui, et pourquoi ?

J’aime surtout ses chansons qui me transpercent le cœur et ont la faculté de «  changer la vie  », comme Puisque tu pars, Né en 17 en Leidenstadt ou Ensemble. La force du texte et de la mélodie, tout est réuni…

 

Goldman, très lucide, se rappelle dans une interview les années où tout le monde ou presque méprisait ce qu’il écrivait ou composait, parce qu’il n’était pas connu. Il dit en substance : maintenant, on s’extasierait devant une chanson bâclée que j’écrirais, parce qu’elle est de moi, et on mépriserait un jeune plein d’envie et de talent parce qu’il n’est pas connu. Ça t’inspire quoi, ce sujet, qui je le sais te parle aussi, personnellement... ?

la galère du débutant

C’est toujours vrai. Il faut un certain pouvoir pour convaincre. On ne vit pas dans un pays où on donne une chance aux débutants de réussir. On doit se battre, fort et longtemps.

 

Parmi les grands interprètes de Goldman, évidemment, la plus grande de tous, c’est Céline Dion, dont tu dis qu’avant lui, elle avait une image un peu ringarde. Il en a fait une reine sur la scène francophone. Est-ce que grâce à lui, elle a changé de dimension ?

Céline Dion

Quand il lui écrit l’album « D’eux  » (sur lequel figurent notamment Pour que tu m’aimes encore et J’irai où tu iras, ndlr), elle mène déjà une carrière internationale, mais ça ne marche pas tellement en France. Goldman lui écrit un répertoire solide, en exploitant toute la violence, toute la passion qu’elle peut exprimer dans ses sentiments. Et surtout, il lui indique comment moderniser son interprétation, en évitant de rouler les «  r  » et mouiller les «  m  », et en déchantant, c’est-à-dire en acceptant de ne pas être à tout moment dans la démonstration vocale et, de cette façon, en laissant passer les émotions. L’album triomphe dans le monde entier, y compris aux États-Unis où il est classé dans sa version originale, sous le titre «  The French Album  ». Grâce à Goldman, puis à la BO de Titanic, Céline devient une star planétaire.

 

Céline Dion JJ Goldman

Céline Dion et Jean-Jacques Goldman. DR.

 

Ce qui est le plus touchant, dans ton livre, ce sont ces anecdotes, ces témoignages que tu es allé grappiller de gens dont le parcours a un jour, de manière provoquée ou non, rencontré celui de Goldman. Ici il accepte généreusement de donner un coup de main pour une jolie cause, là il rappelle quelqu’un pour lui dire qu’il n’oublie pas les moments passés «  ensemble ». On découvre aussi des traits de sa personnalité, qui le rendent encore plus humain : un artiste assez peu à l’aise avec la célébrité finalement, et aimant volontiers des moments de solitude complète. C’est quoi finalement, en résumé, cette image que tu t’es forgée de l’homme JJG ?

perception publique

Oui, c’est toujours cette idée de «  vivre ensemble  » qui m’a guidé, y compris dans le choix des témoins que j’ai interviewés. Ce sont les valeurs humaines de Jean-Jacques Goldman qui m’attachent à lui, c’est cet aspect-là de sa personnalité que j’ai voulu mettre en avant. Si le public persiste à le plébisciter dans les sondages plus de quinze après son retrait de la scène, ce n’est pas un hasard.

 

Si tu avais une question à lui poser ?

Dis quand reviendras-tu ? Dis, au moins le sais-tu ?...

 

Crois-tu, justement, qu’on le reverra un jour sur scène pour défendre ses chansons voire, soyons fous, de nouvelles chansons ?

reviendra-t-il un jour... ?

« La vie qu’il mène actuellement est celle qu’il avait envisagée

au départ : être dans l’ombre et écrire pour les autres. »

Je pense qu’il serait déjà revenu. Il avait prévu de le faire pour ses 60 ans, puis le temps a passé… Je crains qu’il ne soit trop tard pour la scène. Un disque, peut-être, mais en a-t-il envie ? En fait, la vie qu’il mène est celle qu’il avait envisagée au départ : être dans l’ombre et écrire pour les autres. Aujourd’hui, il peut le faire confortablement.

 

Je ne peux pas, évidemment, ne pas évoquer Johnny ici... Parce que Goldman lui a écrit quelques unes de ses plus belles chansons (dont L’envie et Je te promets...) Est-ce qu’ils venaient vraiment d’univers musicaux différents, ces deux-là ? Comment qualifier leur entente ?

avec Johnny

« L’instinct et la fragilité sous le roc apparent

de Johnny ont inspiré Goldman. »

L’instinct et la fragilité sous le roc apparent de Johnny ont inspiré Goldman. Humainement, ils ne se sont pas trop fréquentés, mais la musique les a rapprochés. L’album « Gang » est l’un des grands albums de Johnny, il contient non seulement des tubes énormes mais aussi des chansons intemporelles, comme Je te promets.

 

JH et JJG

Johnny Hallyday et Jean-Jacques Goldman. Photo : SIPA.

 

Johnny, auxquels tu as consacré de nombreux livres, dont le dernier Johnny immortel, Johnny que tu qualifiais de « frère que tu n’avais pas eu », est parti il y a un peu plus de deux mois... C’est bête à demander, mais est-ce que tu t’y fais ?

la mort de Johnny

Non… D’autant que cette affaire d’héritage m’attriste encore plus…

 

Question musique, voix plutôt, sur Johnny : comment le jeune homme à la voix douce et charmante de L’idole des jeunes a-t-il pu interpréter, « gueulant » (au meilleur sens du terme) à vous coller les poils des titres comme Que je t’aime, Derrière l’amour, Diego ou Vivre pour le meilleur ? Est-ce que sa voix, sa technique ont mûri au fil des ans, ou bien aurait-il été capable de faire ça dès le départ, au début des années 60 ?

la voix de Johnny

Je ne crois pas qu’il ait beaucoup travaillé sa voix, mais sans doute a-t-il appris l’essentiel, à savoir respirer correctement et rééduquer son souffle. Puis, la maturité et l’exercice constant de son métier, de la scène ont fait le reste… Mais il chantait déjà très bien à ses débuts.

 

Johnny immortel

Johnny immortel, l’Archipel, 2017.

 

Quels sont, à ce stade, avec pas mal de livres à ton actif, les plus et les moins que tu attribuerais à cette expérience, à ton métier de biographe ?

le métier de biographe

Le plus : vivre de sa passion et s’intéresser à l’autre. Le moins : la mauvaise réputation des biographes auprès des artistes et la difficulté d’obtenir leur concours. On pourra développer une autre fois…

 

Tes projets et envies pour la suite ? Je sais qu’une nouvelle version de ta bio de Sardou va sortir bientôt... et sinon, de qui aurais-tu envie de tirer le portrait ?

Trouver un compromis pour aller vers des projets plus personnels…

 

Des coups de cœur musicaux récents que tu voudrais partager avec nous ?
 
Gauvain Sers, que je vais applaudir bientôt en tournée, et Juliette Armanet.

 

Frédéric Quinonero

Photo : Emmanuelle Grimaud.

Photos utilisées dans cet article : DR.

 

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7 décembre 2017

« À toi Johnny », par Frédéric Quinonero

La mort de Jean-Philippe Smet, plus connu sous le nom de Johnny Hallyday, hier dans la nuit (pourquoi a-t-il fallu que cela survienne un jour de Saint-Nicolas ?), a provoqué une onde de choc émotionnel à la mesure du personnage. Johnny, c’était presque 60 ans de carrière, 110 millions de disques vendus, un univers perpétuellement renouvelé et, surtout, une pêche, un enthousiasme, et une voix qui emportaient tout. On pouvait râler parce qu’on le voyait trop, mais franchement, que celui qui n’a jamais aimé ne serait-ce qu’une de ses chansons, que celui qui a eu la moindre occasion dans sa vie de le trouver antipathique jette la première pierre sur son cortège mortuaire. Johnny était respecté parce qu’il était un showman hors du commun, et il était aimé parce qu’il était aimable. La France de plusieurs générations ressent aujourd’hui un deuil sincère, sans doute comparable à celui que l’on ressentira, outre-Manche, au départ d’Elizabeth. Il était quelque chose comme un lien, un pont entre des gens parfois très différents. En ce sens, si Jean-Philippe vient de s’éteindre, Johnny, lui, son oeuvre, son sourire, son exemple, tout cela restera. Johnny immortel, c’est précisément le titre de la version définitive de la bio qui lui a été consacrée par Frédéric Quinonero et dont il vient, à grand peine, de boucler les chapitres finaux. J’ai eu une grosse pensée pour lui quand j’ai su pour Johnny, pour lui qui le qualifiait, lors d’une interview pour Paroles d’Actu il y a trois ans, de « grand frère qu’il n’avait jamais eu ». Frédéric a accepté d’évoquer Johnny dans un nouveau texte, nostalgique et touchant, je l’en remercie bien amicalement... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Johnny immortel

Johnny Immortel, de Frédéric Quinonero (l’Archipel, décembre 2017).

 

« À toi, Johnny »

Par Frédéric Quinonero, le 7 décembre 2017.

 

Quelques fragments de vie avec toi, mon Johnny...

Ton apparition dans le poste en noir et blanc, dans Que je t’aime à la fin des années 60 et un petit garçon de six ans qui tombe sous le charme.

Le même petit garçon qui veut chanter ta chanson dans un radio-crochet sur la place d’Anduze, sa ville d’enfance, et l’organisateur qui ne sait comment lui expliquer d’en choisir une autre, que celle-là n’est pas pour son âge ; plus tard, mes parents qui m’expliquent avec un peu de gêne que «  quand tu ne te sens plus chatte et que tu deviens chienne  » ou «  mon corps sur ton corps lourd comme un cheval mort  », ce genre de phrases pose problème dans ma bouche et devant mon air hébété : «  Tu comprendras plus tard  »...

L’ «  album au bandeau  » au pied du sapin le matin de Noël et le verre de liqueur sur la table, bu par le Père Noël ; et moi surpris que le Père Noël te connaisse, toi, Johnny Hallyday.

Mon premier show de toi dans les arènes de Nîmes et moi hypnotisé, comme devant une apparition miraculeuse, tandis que des jeunes filles tombées dans les pommes sont évacuées sur des brancards ; puis, dans la voiture, l’air ahuri de mes parents quand je leur dis que je veux faire «  Johnny Hallyday  » comme métier.

Puis, mon dernier show des années plus tard, au même endroit, sans savoir quil serait le dernier.

Un communiant de onze ans entonnant dans son aube blanche ton dernier tube, Prends ma vie, à la fin du repas familial et les premières phrases : «  Je n’ai jamais mis les pieds dans une église, je ne sais pas prier  », entre autres, qui choquent l’assistance, en particulier une cousine très pieuse qui ne s’en est jamais remise.

L’affiche géante de la tournée Johnny Hallyday Story – toi vêtu de jean, posant allongé sur fond rouge - longtemps punaisée au mur de ma chambre d’adolescent, place Émile-Combes à Montpellier ; puis, longtemps après, celle du Stade de France 1998 au-dessus de mon bureau dans l’appartement de Saint-Maur.

Mon copain Bruno et moi sur ma Mobylette orange partant t’applaudir aux arènes de Palavas  et t’attendre le lendemain devant ton bungalow au Reganeous ; te voir sortir, boitillant – tu étais tombé dans la fosse la veille -, avec Sylvie préoccupée par l’état de ta jambe et ne se souciant pas de son petit chien venu vagabonder vers nous et devenu prétexte idéal pour vous approcher l’un et l’autre.

Mon premier spectacle parisien de toi, au Zénith, et tous les autres qui vont suivre...

Ton entrée chez Graziano où je travaille pour payer les cours de théâtre ; tous ces gens qui s’arrêtent de dîner, les couverts levés ; puis moi tremblant comme une feuille en servant le champagne à ta table et toi le remarquant qui m’adresses un sourire à faire fondre la banquise.

Ta voix dans le téléphone – «  Bonjour c’est Johnny  » - lorsque tu appelles pour réserver et moi, qui manque de tomber du tabouret où je m’étais assis.

Ta première interprétation de Diego en 1990 à Bercy et l’émotion qui nous a cueillis, mon amie Muxou et moi.

Tes messages à distance qui mettaient du baume au coeur au petit garçon devenu ton biographe.

Des souvenirs, souvenirs en pagaille…

Et maintenant, mon Jojo, à quoi ça va ressembler la vie sans toi  ?

 

Frédéric Quinonero JH

 

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21 juin 2017

« Autour de Françoise Hardy », Emma Solal et Frédéric Quinonero

Il y a deux mois sortait, chez l’Archipel, la nouvelle biographie signée Frédéric Quinonero, fidèle des interviews Paroles d’Actu. Ce dernier opus en date, sous-titré Un long chant d’amour, est consacré comme une évidence au vu du parcours de l’auteur, à Françoise Hardy, artiste élégante, délicate et touchante dont les problèmes de santé ont inquiété les nombreux amateurs, ces dernières années. Lorsqu’il a été convenu d’un nouvel échange autour de ce livre, Frédéric Quinonero a eu à coeur de m’orienter également vers une artiste que je ne connaissais pas, Emma Solal, interprète de reprises solaires et délicates, réappropriées par elle, de chansons plus ou moins connues qu’avait chantées Françoise Hardy. Le tout s’appelle « Messages personnels ». À découvrir, parallèlement bien sûr à la lecture du livre de Frédéric Quinonero, somme d’infos connues de toute une vie mais aussi fruit d’enquêtes inédites, le tout dans un style agréable, un must pour tout amateur de l’artiste... Merci à eux deux pour cet article, pour les réponses apportées à mes questions datées du 18 juin (Frédéric Quinonero le 18, Emma Solal le 19). J’espère que Françoise Hardy lira cet article, et surtout qu’elle aura loisir de découvrir leur travail. Puisse cette publication vous donner envie, aux uns et aux autres, de vous y plonger, en tout cas... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIENS EXCLUSIFS - PAROLES D’ACTU

« Autour de Françoise Hardy »

Françoise Hardy 

Crédits photo : Virgin Emi.

Emma Solal et Frédéric Quinonero

 

Paroles d’Actu : Parlez-nous de votre parcours, et de vous, Emma Solal ?

Parcours et premiers pas.

Emma Solal : Je suis une chanteuse (auteur et interprète) parisienne d’origine italienne. Je pianote au clavier sur scène et j’ai un très joli ukulélé chez moi que j’aimerais pouvoir utiliser bientôt sur scène également. J’ai des influences musicales variées dont le Jazz, la chanson française, la musique brésilienne, italienne, l’opéra, les musiques plus électroniques également, tout une palette d’inspirations donc ! Après avoir sorti un premier album de chansons jazzy, « Robes du soir » et deux EP digitaux, j’ai travaillé sur ce projet « Messages personnels », de reprises de chansons de Françoise Hardy.

 

PdA : Qu’avez-vous mis de vous, de votre univers, "votre" patte personnelle dans « Messages personnels », cet album de reprises de chansons de Françoise Hardy ?

« Patte personnelle ».

E.S. : Il s’agit d’un album que nous avons arrangé et enregistré avec Paul Abirached (guitares), Philippe Istria (percussions) et Pierre Faa (mixages et collaborations variées). C’est un album qui a été enregistré dans le prolongement du spectacle « Messages personnels », joué au théâtre Les Déchargeurs à Paris avec Paul et Philippe et mis en scène par Stéphane Ly-Cuong en janvier-février 2015 puis en novembre-décembre 2016. L’idée originale en revient à mes amis Éric Chemouny, qui est auteur et journaliste, et Pierre Faa, auteur-compositeur-interprète avec qui j’ai fait mes premiers albums.

« J’ai eu envie de redonner, à ma manière,

des couleurs aux chansons de Françoise Hardy »

L’univers de Françoise Hardy m’a toujours beaucoup touchée, notamment au travers de l’exploration du lien amoureux et de la complexité des sentiments, qu’elle décline depuis quelques années maintenant ! Je suis admirative de ses textes ciselés, de son parcours, de la richesse de ses collaborations musicales… J’ai eu envie de proposer ma vision de son univers, en premier lieu bien sûr car il me fait vibrer, mais également car ses chansons ont très peu vécu sur scène, Françoise Hardy ayant cessé de faire des concerts à partir de 1968. J’ai eu envie de leur redonner des couleurs, à ma manière ! Et nous avons tâché avec Paul, Pierre et Philippe, d’orner les treize chansons de l’album de couleurs musicales variées et différentes des titres originaux. Une relecture personnelle et un hommage, en somme.

 

Messages personnels

 

PdA : Pourquoi avoir choisi, Frédéric, de consacrer cette nouvelle bio à Françoise Hardy ? Est-ce qu’elle tient, dans ton esprit, une place particulière dans cette période chère à tes yeux et sur laquelle tu as beaucoup travaillé, les années 60 ?

Pourquoi ce livre sur F. Hardy ?

Frédéric Quinonero : Françoise Hardy a été avec Sylvie Vartan et Sheila l’incarnation d’un prototype de jeune fille moderne dans les années 60. Toutes les trois ont marqué les esprits, ce n’est pas un hasard. J’avais écrit sur Sylvie et Sheila, je rêvais depuis longtemps d’une biographie de Françoise Hardy, mais je voulais quelque chose d’abouti, de complet, pas du déjà vu.

 

PdA : Comment t’y es-tu pris pour composer cet ouvrage ? As-tu pu t’appuyer notamment sur des témoignages inédits, sur des recherches que tu aurais entreprises ? Et dirais-tu que tu as encore gagné en aisance dans l’exercice, alors que tu signes ton 16 ou 17è livre ?

Le livre, coulisses.

F.Q. : Je ne me suis pas contenté des archives que l’on trouve facilement sur les sites de fans. J’ai interrogé une dizaine de témoins, surtout des personnes qui n’ont jamais ou très peu été sollicitées. J’avais besoin d’informations exclusives et pertinentes pour illustrer mon propos. J’aurais pu, par exemple, contacter Jean-Marie Périer qui est quelqu’un d’absolument adorable et que j’avais interviewé pour ma biographie de Johnny. Mais il a déjà tout dit sur Françoise… En revanche, trouver des musiciens qui l’ont côtoyée dans les années 1960, à l’époque où elle chantait autour du monde, me semblait plus intéressant… On gagne en aisance à chaque livre, il me semble. Même si parfois on se demande si on va arriver au bout. C’est à chaque fois comme un petit miracle. Quant au style d’écriture, je pense que le temps le bonifie. Le temps, l’expérience, les lectures diverses.

 

Un long chant d'amour

Françoise Hardy, un long chant d’amour (l’Archipel, 2017)

 

PdA : Si vous deviez ne choisir pour les emporter que 5 chansons de Françoise Hardy, lesquelles, et pourquoi ?

5 chansons, pas une de plus...

 

E.S. : Françoise Hardy n’a pas forcément écrit et/ou composé les cinq chansons que je choisirais mais elles me touchent tout particulièrement :

« Message personnel » pour sa mélancolie et les superbes texte et musique de Michel Berger.

 

« Même sous la pluie » : elle met si bien en scène l’attente de l’être aimé, la douleur et parfois une certaine complaisance  à se retrouver dans cette posture.

 

« Soleil » : j’aime ses évocations de plage, de sable, qui parlent à l’italienne que je suis, tout en restant dans une couleur très mélancolique qui me parle aussi…

 

« Étonnez-moi Benoît » : son côté léger, enlevé, moqueur… Et j’adore Patrick Modiano, j’ai lu beaucoup de ses romans.

 

« Je suis moi » : là encore une collaboration avec Michel Berger et une chanson de libération de la femme, teintée de joie et d’une certaine sérénité, ce qui est un peu rare dans le répertoire de Françoise Hardy !

 

F.Q. : Sans réfléchir :

« Tant de belles choses », un chef-d’œuvre d’émotion pure : je ne peux l’entendre sans pleurer.

 

« Message personnel », parce que c’est un tube intemporel, mais surtout pour le passage parlé qui est de sa plume et qui fait selon moi la magie de la chanson.

 

« Ma jeunesse fout le camp » : elle est avec « Il n’y a pas d’amour heureux » de ces grandes chansons que Françoise a sublimées, car elle porte en elle la mélancolie qu’elles véhiculent.

 

« Soleil », car elle est la première chanson d’elle que j’ai entendue quand j’étais petit garçon. Je la trouvais d’une beauté et d’une douceur remarquables.

 

« L’amitié »  : une des plus belles chansons jamais écrites sur ce thème, je ne me lasse pas de l’entendre.

Et il y a beaucoup d’autres pépites dans son répertoire…

 

PdA : Michel Berger est très présent dans votre liste de cinq chansons, Emma. Nous commémorerons bientôt les 25 ans de sa disparition, bien trop prématurée. J’aimerais vous inviter à nous parler un peu de lui. Est-ce qu’il compte parmi les gens, les artistes qui vous inspirent vraiment ? Qui d’autre, à part lui, et Françoise Hardy ?

 

E.S. : En effet, Michel Berger compte parmi les artistes qui m’inspirent et que j’ai beaucoup écouté. J’apprécie beaucoup sa sensibilité, ses mélodies, sa délicatesse, son élégance aérienne et profonde à la fois…

 

Michel Berger

Illustration : RFI Musique.

  

J’ai aussi beaucoup écouté, dans le désordre, Brel, la Callas, Barbara, Ella Fitzgerald, Vinicius de Moraes, Tom Jobim, Mozart, beaucoup d’influences variées donc pour ne citer qu’eux parmi ceux qui ne sont plus tout jeunes ou plus de ce monde !

 

PdA : Une époque, une image à retenir de Françoise Hardy ?

« Une » Françoise Hardy ?

 

E.S. : Les années 1960, Courrèges, son allure sublime et élégante, une icône !

« Dans les années 60, elle triomphait

dans toute l’Europe et elle était une des rares

vedettes françaises à être aimée des Anglais...  »

F.Q. : Cette époque magique où elle était à la fois une pop star dans le monde entier et l’incarnation de la femme française, habillée par Courrèges. Contrairement aux idées reçues, elle a beaucoup chanté sur scène à cette période, elle était reçue comme un chef d’État en Afrique du Sud, au Brésil… Elle triomphait en Italie, en Espagne, dans toute l’Europe. Et elle était une des rares vedettes françaises à être aimée des Anglais – elle a chanté à quatre reprises au Savoy, ce qui est exceptionnel pour une artiste française.

 

PdA : Comment qualifierais-tu, Frédéric, sa relation devenue légendaire avec Jacques Dutronc ? Que t’inspire-t-elle ?

Hardy, Dutronc...

F.Q. : Elle a formé avec Dutronc un couple mythique, comme Johnny et Sylvie, et tellement atypique ! Je comprends qu’on puisse être séduit par un personnage comme Jacques Dutronc. Je trouve leur fin de parcours exceptionnelle, et Françoise admirable de s’être sacrifiée pour son bonheur à lui. C’est un bel acte d’amour que peu de gens sont capables d’accomplir.

 

Françoise Hardy et Jacques Dutronc

Crédits photo : Mano.

 

PdA : La question "regards croisés" : un mot, l’un(e) sur l’autre, sur son parcours et son travail ?

"Regards croisés"

 

E.S. : J’avoue ne pas avoir encore lu le livre de Frédéric mais il est déjà dans ma valise pour mes vacances en Sardaigne cet été ! Mais je connais d’autres biographies écrites par Frédéric, que j’avais lues avec plaisir ! Je souhaite à Frédéric un très beau succès avec sa biographie de Françoise Hardy.

 

F.Q. : Je connais peu le parcours d’Emma, que j’ai découverte avec son album de reprises de Françoise. Je vais pouvoir désormais m’y intéresser de plus près. J’ai beaucoup aimé son album « Messages personnels », justement parce qu’elle s’est approprié les chansons. Elle a choisi des titres souvent peu repris, comme « Rêver le nez en l’air », qui est une réussite. Il y a une belle pureté chez cette artiste. Elle a su aborder le répertoire de Françoise avec simplicité et élégance. Je lui souhaite une longue route.

 

PdA : « Tant de belles choses », tu la citais Frédéric, c’est une chanson très récente de Françoise Hardy, émouvante et adressée à son fils. "Tant de belles choses", l’expression est jolie et parlante. Qu’est-ce qu’elle vous inspire à tous les deux, quand vous pensez à la chanson, à ce qu’il y a derrière, à Françoise Hardy et à la vie... ?

« Tant de belles choses »

 

E.S. : « Tant de belles choses », en effet, c’est une chanson superbe et si émouvante, sur la transmission, l’amour entre les parents et les enfants. C’est également la teneur de ce que je souhaiterais dire à mon fils, sur le fait de profiter et d’être à la hauteur de cette vie qui nous est offerte…

« Son texte le plus beau, le plus spirituel... »

F.Q. : Elle fait partie de mes chansons préférées. Sur un thème délicat, celui d’une mort prochaine, elle livre son texte le plus beau, le plus spirituel. Elle exprime sa croyance en l’éternité de l’esprit et de l’âme, ce en quoi je crois également. C’est une chanson consolatrice pour exprimer la force des sentiments, qui nous survivent. Françoise l’a écrite après avoir appris qu’elle souffrait d’un lymphome. C’est un message d’amour à son fils.

 

PdA : Quel serait si vous en aviez un le "message personnel" que vous aimeriez adresser à Françoise Hardy, qui lira peut-être cet article, cette double interview ?

Message personnel à F. Hardy ?

 

F.Q. : Je le lui dirai en privé si elle fait la démarche de me contacter ‑ elle a mes coordonnées. Nous partageons nombre de points communs, si l’on exclut la politique (rires), nous pourrions bien nous entendre.

« Je serais ravie de pouvoir inviter Françoise Hardy

à chanter un duo ensemble ! »

E.S. : Je serais ravie de pouvoir inviter Françoise Hardy à chanter un duo ensemble !

 

PdA : Trois mots, adjectifs ou pas d’ailleurs, pour la qualifier ?

Françoise Hardy en 3 mots ?

 

F.Q. : L’élégance, la franchise, la mélancolie.

 

E.S. : Elégance, pop, intemporelle.

 

PdA : Lors d’une interview précédente Frédéric, tu me faisais part d’une certaine lassitude, par rapport au métier d’auteur, à la difficulté d’en vivre... et tu évoquais l’idée de chercher un autre job plus stable en parallèle. Où en es-tu par rapport à cela ? Es-tu plus "secure", plus optimiste par rapport à ce métier ?

Du métier d’auteur.

 

F.Q. : J’en suis au même point. À une différence près, qui n’est pas négligeable : j’ai le sentiment qu’on reconnaît davantage mes qualités d’auteur. Pas seulement dans le fond, mais aussi dans la forme. Et j’en suis content.

  

PdA : Tu as consacré plusieurs ouvrages à Johnny Hallyday, que tu avais qualifié lors de notre interview citée à l’instant de « frère » que tu n’avais pas eu. Il se bat aujourd’hui courageusement (comme, certes, bien des malades) contre cette saleté qu’on appelle cancer, et remonte même sur scène en ce moment. Comment l’observes-tu dans cette séquence de sa vie, toi qui la (et le !) connais si bien ?

Johnny face à la maladie...

« J’ai du mal à imaginer la vie sans Johnny... »

F.Q. : Je suis très inquiet, bien sûr. Je ne peux m’empêcher de penser à Piaf et aux derniers temps de sa vie, l’époque des tournées suicide. En même temps, la scène ne peut lui être que bénéfique. Alors, courage à lui ! J’ai du mal à imaginer la vie sans Johnny. Toute ma vie a été marquée par ses chansons. Je ne voudrais pas avoir à lui dire adieu.

 

Johnny, la vie en rock

Johnny, la vie en rock (l’Archipel, 2014)

 

PdA : Quels sont tes projets, tes envies pour la suite ? Frédéric, une nouvelle bio en perspective ou des désirs de bio ? Quid, peut-être, d’écrits de fiction ? Et vous Emma ? Que peut-on vous souhaiter ?

Des projets, des envies ?

 

F.Q. : Je suis ouvert à tous projets, à condition d’avoir la possibilité de les mener à bien. Aujourd’hui, concernant la biographie, je pense avoir franchi un cap (voir réponse à une question précédente) et j’aspire à un travail en complicité avec un artiste. J’ai envie d’aventures humaines. Nous y réfléchissons, mon éditeur et moi. En attendant, je travaille sur un nouveau livre (une biographie) destiné à un nouvel éditeur. J’espère que le résultat sera à la hauteur de mes attentes.

 

E.S. : Je travaille sur un nouvel album de compositions originales, qui aura une couleur plus pop justement.

Pour la suite, je serais heureuse de réussir à trouver un plus large écho auprès du public, aussi bien pour l’album « Messages personnels » que pour mes prochains albums… et je serais très heureuse d’échanger avec vous à l’occasion d’un prochain album depuis les coulisses de l’Olympia !

 

Un dernier mot ?

 

Frédéric Quinonero

À suivre…

 

Frédéric Quinonero p

 

Emma Solal

Merci beaucoup à vous Nicolas pour cette interview!

 

Emma Solal (2017)

 

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6 mars 2016

Frédéric Quinonero : « Jane Birkin a été, pour Gainsbourg, plus que sa muse, son double féminin »

Le 2 mars, jour marquant le vingt-cinquième anniversaire de sa disparition (déjà !), on était peut-être plus nombreux qu’à l’accoutumée à se rappeler Serge Gainsbourg. Les médias en ont pas mal parlé à cette occasion, et c’est heureux tant son œuvre mérite d’être redécouverte et découverte par les nouvelles générations. Le mois dernier, les éditions L’Archipel faisaient paraître la dernière biographie en date du fidèle Frédéric Quinonero, Jane Birkin, « La vie ne vaut d’être vécue sans amour ».  Un récit fluide, vivant, sensible et touchant à l’image de son objet, Jane Birkin, qui fut probablement « la » femme de la vie de Gainsbourg et, très certainement, hier comme aujourd’hui, une des personnalités les plus émouvantes et les plus « vraies » du monde du show-biz. Frédéric Quinonero a accepté de répondre à mes questions et de nous « prêter » pour reproduction, à ma demande, lextrait de son ouvrage qui raconte la rencontre Gainsbourg-Birkin. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

Partie I : l’extrait du livre

Le cadre : le tournage de Slogan, un film de Pierre Grimblat. On est en 1968. Les premiers contacts - difficiles -, « la » rencontre entre Serge Gainsbourg et Jane Birkin ; l’un et l’autre, une sensibilité à fleur de peau et l’âme blessée (chacun sort alors d’une séparation douloureuse, le premier avec Brigitte Bardot, la seconde avec le compositeur britannique John Barry, père de sa fille Kate).

Lors de l’audition, elle est déstabilisée par la présence désagréable de Serge Gainsbourg, fortement déçu de ne pas avoir Marisa Berenson pour partenaire et déterminé à témoigner de sa méchante humeur. Elle ne sait pas prononcer son nom, elle comprend « bourguignon » - il existe un Serge Bourguignon acteur et cinéaste, il a obtenu un Oscar à Hollywood en 1963 pour son film Les Dimanches de Ville-d’Avray et fait tourner Bardot l’année précédente dans À cœur-joie. « Mais comment pouvez-vous accepter de tourner un rôle en France alors que vous ne parlez pas un mot de français ? », lui lance-t-il avec mépris. Elle fond en larmes. Et continue de jouer sa scène, comme si sa vie en dépendait, ce qui convainc Grimblat de l’engager. « Jane pleurait sur son sort. Elle confondait tout : la fiction et la réalité, la vie et le scénario. [...] J’en ai conclu qu’elle était fabuleuse » dira Gainsbourg. Pourtant, alors que le tournage commence à la mi-juin, retardé par les événements, il persiste à ne faire aucun effort de civilité.

[...] L’ambiance sur Slogan est donc au vinaigre. Une semaine passe. Le vendredi soir, inquiet pour le bon déroulement de son film, Grimblat organise un dîner chez Maxim’s où il omet sciemment de se rendre, laissant ses héros seuls, en tête à tête. Tous deux ont ce point commun d’avoir été quittés par la personne aimée, ils sont tristes. « Qu’est-ce que vous n’avez jamais fait ? Tout ce que vous désirez, je vous promets de l’exaucer », lance un Gainsbourg grand seigneur à la fin du dîner. Jane a besoin de se changer les idées, elle est prompte à accepter toutes les invitations à s’amuser. Et la soirée se poursuit dans toutes les boîtes à la mode. Jane découvre un homme séduisant : « Il était adolescent, ambigu, contradictoire, romantique, sensible. » Chez Régine, elle l’entraîne sur la piste de danse pour un slow. Piètre danseur, il lui marche sur les pieds. Sa maladresse l’attendrit. À son tour, Serge se laisse séduire par cette fille drôle et émouvante, sexy et décontractée, qui déambule dans les lieux les plus chic de Paris avec son blue-jean, ses baskets et son cabas en osier rempli de livres et de cahiers noircis de notes. Au petit matin, comme elle refuse qu’il la ramène à son hôtel, il commande au chauffeur de taxi de poursuivre jusqu’au Hilton où il a ses habitudes. Elle fait mine d’ignorer la gaffe du réceptionniste : « La même chambre que d’habitude, monsieur Gainsbourg ? » Et le trouve à nouveau touchant quand il tire les rideaux et tamise la lumière, avant de s’allonger tout habillé sur le lit où il s’endort comme une masse, copieusement imbibé. Elle file au Drugstore voisin et revient avec le single d’un hit qu’elle avait dansé devant lui chez Régine, Yummy Yummy Yummy des Ohio Express, et le lui glisse discrètement entre les orteils, en guise de remerciement.

Issu de Jane Birkin, « La vie ne vaut d’être vécue sans amour » (L’Archipel, février 2016). P. 48 à 50 (extraits).

 

Jane Birkin Serge Gainsbourg 1968

Jane Birkin, Serge Gainsbourg, 1968. Photo : Giancarlo Botti - Agence Gamma-Rapho. Src. : Photos de légende. 

 

Partie II : l’interview

Frédéric Quinonero: « Jane Birkin a été, pour Gainsbourg,

plus que sa muse, son double féminin »

 

Jane Birkin

Jane Birkin, « La vie ne vaut d’être vécue sans amour » (L’Archipel, février 2016)

 

Pourquoi avoir choisi d’écrire cette biographie de Jane Birkin ?

Jane Birkin est quelqu’un de très inspirant. J’aime à la fois l’artiste et la femme. C’est un être qui me touche par sa spontanéité, sa poésie, son humour. Je me reconnais dans certains traits de sa personnalité, la nostalgie de l’enfance, la mélancolie, l’amour des autres. Écrire sur elle a été un vrai plaisir.

 

Trois mots pour la définir ?

Nostalgique, généreuse, émouvante.

 

Quel regard portes-tu sur le couple/duo qu’elle a formé avec Serge Gainsbourg ?

C’est un couple mythique, rattaché à une époque de liberté et d’insouciance. Ils se sont connus en 1968, grande année, même si les événements leur sont passés au-dessus du brushing. Jane a été le grand amour de la vie de Serge, et réciproquement. Elle a été sa muse, son double féminin. Et ce n’est pas donné à tout le monde de sublimer à ce point le talent d’un artiste. Il l’a imposée en tant qu’actrice dans son film Je t’aime moi non plus, puis il a écrit pour elle ses textes de chansons les plus intimes et les plus raffinés, exprimant une sensibilité à fleur de peau qu’il ne pouvait exprimer lui-même sans paraître indécent. Les trois albums Baby alone in Babylone, Lost Song et Amour des feintes sont de vrais bijoux. Jane a été l’interprète de Serge dans le vrai sens du terme, elle a été sa voix, elle a porté ses mots (ses maux). Pendant qu’il se plaisait à jouer à Gainsbarre, il lui donnait ses blessures et ses fragilités à chanter. C’était sa plus belle façon de lui déclarer son amour éternel. Et le plus beau cadeau qu’elle lui ait fait en retour, et sa plus belle victoire, est d’avoir fait connaître son œuvre dans le monde entier. Ce fut sa mission après la mort de Serge. Sa façon à elle de lui dire merci.

 

Jane Birkin et Serge Gainsbourg

Source de l'illustration : http://rockimages.centerblog.net.

 

Cinq chansons chantées par Jane Birkin à écouter ?

Ballade de Johnny-Jane (1976),

Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve (1983),

Quoi (1985),

Lost song (1987),

Physique et sans issue (1987).

 

Un message à lui adresser ?

Le message est dans le livre, je pense. Je l’ai écrit avec toute l’affection que je lui porte.

 

Frédéric Quinonero

Photo : Emmanuelle Grimaud

 

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20 novembre 2015

Frédéric Quinonero : « Oui, Sophie Marceau est une de nos grandes actrices »

Le 6 novembre dernier - une éternité, par les temps qui courent... -, une version actualisée de la biographie de Sophie Marceau qu’a signée Frédéric Quinonero, La belle échappée, sortait chez Carpentier. Un ouvrage qui fait référence pour qui souhaiterait tout connaître du parcours de l’actrice, qui vient d’avoir quarante-neuf ans : empreint de bienveillance envers son objet mais pas exempt de réflexions critiques, le livre fera le bonheur des fans de Sophie Marceau et de ceux qui, curieux, ont grandi avec elle. Je remercie Frédéric Quinonero et les éditions Carpentier pour cette lecture qui m’a fait découvrir - et apprécier au plan humain - une vedette à laquelle je ne m’étais jamais vraiment intéressé jusque là. Les réponses de Frédéric Quinonero me sont parvenues le 20 novembre, six jours après que je lui ai envoyé mes questions. Bonnes lectures ! Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero: « Oui, Sophie Marceau

est une de nos grandes actrices »

 

La belle échappée

Éd. Carpentier

 

Paroles d'Actu : Bonjour Frédéric Quinonero, et merci de m’accorder ce nouvel entretien. Une réédition « enrichie et mise à jour » de ton ouvrage intitulé Sophie Marceau : La belle échappée vient de sortir (éd. Carpentier). Je précise à ce stade qu’étant né dans le milieu des années 80, je n’ai pas forcément le même rapport que d’autres générations à Sophie Marceau - ce qui peut rendre l’échange d’autant plus intéressant. Je reviens au livre. Dans la section des remerciements, vers les dernières pages, tu salues l’actrice, confessant qu’elle a été ton « premier coup de cœur de cinéma ». L’envie d’écrire sa bio vient de là ?

 

Frédéric Quinonero : Oui, il y a à la base un élan affectif de ma part à l’égard de Sophie Marceau. Et comme il est important d’être en empathie avec son sujet quand on est biographe, c’est d’autant plus commode quand on le connaît bien, qu’on a grandi avec lui et suivi sa carrière pas à pas.   

 

PdA : La jeune Sophie Maupu, qu’on n’appelle pas encore « Marceau », est issue d’un milieu populaire, fort éloigné du monde du cinéma. Sa première audition, ce sera pour La Boum, en 1980. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’à ce moment-là, la jeune ado de 13 ans a déjà un caractère bien affirmé...

 

F.Q. : C’est en effet ce que révèlent ceux qui l’ont connue à ce moment-là. Issue d’un milieu social défavorisé, Sophie a tôt compris que pour s’en émanciper il fallait faire preuve d’audace et de volonté. Surtout ne pas être timide, inhibée. Elle a vite intégré cette idée qu’elle n’avait rien à perdre. Ajouté à cela, elle avait un charme naturel qui l’élevait au dessus des autres.

 

PdA : La suite, chacun la connaît : elle obtient le rôle de Vic, l’héroïne du film La Boum, de Claude Pinoteau, qui fera un carton monumental ; le film deviendra rien de moins qu’un phénomène de société. Comment reçois-tu tout cela en tant que spectateur qui, du haut de ses dix-sept ans, s’apprête lui à quitter progressivement l’adolescence ?

 

« Avec un ami, nous sommes tombés amoureux

de Sophie Marceau après avoir vu La Boum »

 

F.Q. : J’étais très cinéphile à cette époque et, avec un copain qui l’était tout autant, j’allais voir deux ou trois films par semaine. Je me souviens que nous avions vu tous les films à l’affiche du Gaumont-Comédie à Montpellier, sauf La Boum qui ne nous disait rien. Nous trouvions le titre et l’affiche ringards. Nous étions allés revoir Je vous aime, qui n’en méritait pas tant, puis nous nous sommes finalement décidés. Et nous sommes tombés amoureux de Sophie Marceau. 

 

PdA : Sophie Marceau, devenue hyper populaire en très peu de temps, retrouvera rapidement Claude Pinoteau, son père de cinéma, pour La Boum 2, film qui lui vaudra, en 1983, le César du meilleur espoir féminin. Mais elle est bien décidée à suivre un parcours d’actrice audacieux. Libre, elle le sera résolument dans ses choix de rôles, quitte à déboussoler (un peu) son public...

 

F.Q. : À un moment donné, elle a eu l’instinct de se démarquer de l’image dans laquelle on l’avait enfermée. Elle a compris qu’il fallait cesser de se laisser dorloter par Pinoteau et la Gaumont et prendre sa carrière en main. L’occasion s’est présentée très vite, en 1984. Elle avait le choix entre un petit rôle dans La Septième Cible de Pinoteau et le premier rôle de L’Amour braque de Zulawski. Elle n’a pas hésité longtemps. Sa liberté elle l’a payée un million de francs, en rachetant le contrat qui la liait à Gaumont.

 

PdA : Andrzej Zulawski justement, réalisateur polonais et, accessoirement, son futur compagnon, la prendra bientôt sous son aile. Il lui ouvre de nouveaux horizons, la conforte dans son désir d’aller vers des rôles différents, de casser son image... Quel regard portes-tu sur leur relation ? Que lui a-t-il apporté ?

 

F.Q. : Sa rencontre avec Zulawski a été cruciale, tant d’un point de vue professionnel que personnel. Sophie est tombée sous le charme de cet homme érudit qui se pose en Pygmalion et va contribuer à faire son éducation artistique et culturelle. Il lui recommande des lectures, lui apprend à apprécier des films d’auteur, des œuvres d’art… Et bien sûr elle devient son égérie. Sans doute lui a-t-il permis de gagner un temps précieux. Même si, avec le recul, on peut penser que l’influence prégnante de Zulawski a pu avoir quelque incidence sur la carrière de Sophie, en empêchant sa rencontre avec d’autres metteurs en scène de renom.   

 

PdA : Un passage du livre qui m’a particulièrement intéressé, c’est celui qui concerne Police de Maurice Pialat (1985). La complicité du réalisateur avec sa vedette Gérard Depardieu, le climat un peu malsain qui régnait sur le plateau, envers les actrices féminines (Sophie Marceau et Sandrine Bonnaire) en particulier... avec une Marceau qui n’hésite pas à se rebiffer, à « l’ouvrir ». On comprend qu’elle a acquis assez rapidement l’estime de Pialat. Quelques années plus tard, l’un et l’autre peaufineront leur image rebelle en dérangeant, par des voies certes un peu différentes, le petit monde si bien huilé de l’establishment cinématographique tel qu’on l’entend à Cannes. Est-ce qu’ils ont des traits communs ; est-ce qu’ils se ressemblent, ces deux-là ?

 

« Maurice Pialat avait un certain respect pour elle »

 

F.Q. : Il me plaît de penser, en effet, qu’ils ne sont pas si différents l’un de l’autre. Sur Police, Sophie Marceau a acquis sinon l’estime de Pialat, tout au moins une certaine forme de respect. Il a avoué lui-même avoir été très impressionné par l’actrice, et par sa force de caractère. Dès le deuxième jour de tournage, ne pouvant tolérer l’ambiance malsaine qui régnait sur le plateau, Sophie Marceau eut l’audace de convoquer carrément le réalisateur dans sa loge. Plus tard, Pialat sera l’un de ses rares soutiens à distance après le discours cafouilleux de Cannes : il y verra une forme de rébellion contre le protocole et, naturellement, ça lui plaira. Nul doute qu’il aurait fort apprécié également les récents « accidents vestimentaires » de la star au même festival. Oui, je crois qu’ils ont ce point commun de se démarquer de l’establishment cinématographique.

 

PdA : On avance un peu dans le temps... 1994 : c’est la sortie de La Fille de d’Artagnan, de Bertrand Tavernier ; Marceau y partage l’affiche avec Philippe Noiret et Claude Rich. On le sait peu, mais en coulisses, il y a eu quelques remaniements quant à la réalisation. Et Marceau a pesé dans la balance...

 

F.Q. : À l’origine, La Fille de d’Artagnan ne devait pas être réalisé par Bertrand Tavernier, mais par un vieux cinéaste nommé Riccardo Freda. Tavernier n’intervenait qu’en qualité d’ami et de parrain. Mais il s’est très vite avéré que Freda ne pouvait diriger seul un tel tournage, prévu en hiver, avec plusieurs scènes nocturnes, des cascades, etc. Il fut alors question que Tavernier intervienne comme second réalisateur, une sorte de superviseur en quelque sorte. La proposition n’emballait personne, et c’est Sophie Marceau qui a pris l’initiative d’en parler. Elle a demandé à Bertrand Tavernier de reprendre seul les rênes du film, faute de quoi elle ne signait pas son contrat. Sans elle, il n’y avait plus de « fille de d’Artagnan ». Donc ce fut fait comme elle l’avait dit.

 

PdA : 1995 : Mel Gibson la remarque et l’invite à prendre part à son Braveheart ; 1999 : elle est Elektra King dans Le Monde ne suffit pas, le nouveau James Bond que réalise Michael Apted. En quoi va-t-elle changer au contact de ces superproductions américaines ?

 

F.Q. : Les véritables changements à cette époque sont d’ordre personnel. Elle devient maman pour la première fois, puis elle se sépare de Zulawski.  Elle traverse une période assez tourmentée, qui se traduit par des comportements insolites, comme son discours lunaire à Cannes. C’est son nouveau compagnon, un producteur américain, qui la convainc de tourner le « James Bond ». Mais elle n’est pas particulièrement tentée par une carrière américaine, qui implique qu’on s’installe là-bas et se soumette à leur discipline. Sophie se sent trop Française pour quitter son pays. Elle préfère alors se lancer dans la réalisation, avec un premier film où elle exorcise sa rupture conjugale : Parlez-moi d’amour.  

 

PdA : Je passe rapidement sur ses films des années 2000 : elle continue de grandir, de mûrir personnellement et professionnellement sous les yeux des spectateurs qui ont pris de l’âge avec elle. 2009 : LOL, de Lisa Azuelos, sort dans les salles. Elle y joue, trente ans après La Boum, la mère d’une ado ; toutes deux bien ancrées dans leur temps. Et c’est un succès, un gros succès. Est-ce qu’à ce point de sa carrière, une boucle est bouclée - et peut-être un chapitre refermé ? Question complémentaire : Christa Theret, sa fille de cinéma, te paraît-elle promise à un parcours « à la Marceau » ?

 

F.Q. : Oui, on peut dire que la boucle est bouclée. À nouveau, près de trente ans après La Boum, Sophie Marceau se retrouve à l’affiche d’un film générationnel à gros succès. Ceux qui l’ont suivie réalisent que le temps a passé… Et la jeune génération l’adopte en maman moderne et sympa. Le chapitre n’est peut-être pas refermé. Dans quelques années, on peut imaginer une nouvelle comédie générationnelle où elle serait la grand-mère ou l’arrière-grand-mère cool, comme le fut Denise Grey dans La Boum… En ce qui concerne Christa Theret, elle n’a pas eu le même impact populaire que Sophie Marceau. L’époque n’est pas la même non plus…

 

LOL

Sophie Marceau et Christa Theret à l’affiche de LOL ; source : Cineplex.com.

 

PdA : Une anecdote m’a fait sourire à propos d’un jugement tout personnel qu’elle aurait formulé auprès de François Mitterrand : au président de l’époque, très impliqué dans l’érection d’une pyramide au Louvre, elle aurait confié de manière assez cash, disons, qu’elle n’était pas fan de l’idée. Mitterrand n’a que modérément apprécié. Marceau, rebelle et d’une franchise rafraîchissante, souvent...

 

F.Q. : Oui, la réflexion sur la Pyramide du Louvre c’était lors d’un voyage en Corée avec le président Mitterrand. C’est lui-même qui avait choisi Sophie comme ambassadrice, car elle est une énorme star en Asie – l’enjeu économique était de vendre des TGV à la Corée. La franchise de Sophie est souvent décapante, en effet. Elle en agace certains, et en réjouit d’autres. C’est ce qu’on aime aussi chez elle, son esprit frondeur et sa propension à mettre les pieds dans le plat.

 

PdA : Sophie Maupu, issue d’un univers très popu, nous le rappelions tout à l’heure, n’a eu de cesse de vouloir rattraper un peu du temps qu’elle pense avoir perdu, s’agissant de la constitution d’une culture, littéraire en particulier. Cet aspect m’a touché...

 

« Sophie Marceau s’est longtemps sentie

illégitime dans le milieu des acteurs »

 

F.Q. : Oui, elle a toujours eu à cœur de s’affranchir de son milieu d’origine, sans jamais le renier. Son ambition d’enfant était d’être intelligente. Elle a toujours eu conscience de ses carences culturelles, au point de ressentir parfois le complexe de l’imposture. Se sentir illégitime parce qu’on n’a pas eu comme la plupart de ses consœurs la vocation et suivi un parcours classique au Conservatoire ou dans une école de comédie. Ce discours est récurrent dans la bouche de Sophie, comme le complexe d’être embarrassée avec les mots et devoir chercher systématiquement à s’exprimer avec justesse et clarté. S’adapter à son milieu, celui du cinéma, n’a pas été chose aisée de ce point de vue. D’autant que son apprentissage s’est effectué aux yeux de tous. On parlait tout à l’heure de Zulawski qui lui a beaucoup apporté en ce sens, tout en l’accaparant.

 

PdA : On retrouve cette même logique avec le théâtre : cet univers qu’elle voit comme un peu élitiste, inaccessible a priori pour elle, elle s’attache à s’y immiscer, avec succès. Trop peu ?

 

F.Q. : Oui, elle ne s’interdit aucune audace. Et son aplomb, ajouté à son talent, lui permet de s’imposer. Avec succès, en effet, et la reconnaissance des gens du métier puisqu’elle fut couronnée du Molière de la révélation pour ses débuts sur les planches avec Eurydice. On aimerait la voir plus souvent au théâtre car elle s’y montre souvent plus audacieuse qu’au cinéma. Sa dernière performance dans le monologue de Bergman, Une histoire d’âme, était particulièrement courageuse et réussie. Ceux qui ne l’ont pas vue pourront bientôt l’apprécier sur Arte qui en diffusera une version filmée.

 

PdA : Le rendez-vous est pris. La lecture du livre nous donne à découvrir pas mal d’éléments de critiques d’époque au fil des sorties en salles de ses films. Certains sont bons, d’autres moins ; ce qui frappe, c’est que Sophie Marceau passe quasiment tout le temps, y compris pour les films jugés négativement, comme un élément positif dans la balance : on loue son jeu d’actrice autant que son charme, ce qu’elle a de solaire...

 

F.Q. : Oui, et je me suis appliqué à choisir des critiques de sources très diverses, de Première à Télérama, en passant par Les Inrocks. Il en ressort, en effet, qu’elle porte souvent le film à elle toute seule et on loue généralement sa justesse de jeu, son naturel, sa beauté et son implication physique.

 

PdA : À plusieurs époques, Marceau se retrouve mise en concurrence avec Isabelle Adjani. On croise aussi quelques autres grandes actrices dans ce livre : Isabelle Huppert, Juliette Binoche, Sandrine Bonnaire... Quels rapports entretient-elle avec ces femmes ? Comment les perçoit-elle au plan artistique ?

 

F.Q. : Sophie ne se range pas dans une famille d’acteurs ou d’actrices. Elle s’exprime rarement sur ses consœurs. En outre, elle n’aime pas beaucoup les films choraux. On l’a peu vue partager l’affiche avec d’autres comédiennes, sauf dans Les Femmes de l’ombre. On le regrette, car on adorerait un film qui réunirait à l’affiche les trois comédiennes générationnelles que sont Marceau, Bonnaire et Binoche. On pourrait même y ajouter Dalle.

 

PdA : Sophie Marceau est peut-être la plus populaire de nos actrices - ça se défend aisément ; la classerais-tu parmi nos « grandes » actrices ?

 

F.Q. : Mais oui. Sophie Marceau est une grande actrice. Qui ne fait pas toujours les bons choix, ou qui n’est pas toujours servie comme elle le mériterait… Mais puisqu’on la sait capable de porter sur ses épaules de mauvais films, on ne peut en douter.

 

PdA : Si tu devais nous recommander, ici, une liste de cinq films avec Sophie Marceau (les plus connus mis à part peut-être) ?

 

« Taularde marquera un tournant dans sa carrière »

 

F.Q. : Police ; Marquise ; À ce soir ; Firelight ; La Fidélité. Et le prochain : Taularde, où elle apparaît sans fard et qui va assurément marquer un tournant dans sa carrière.

 

PdA : Ce qui ressort d’elle à tout moment, à la lecture de ce livre, c’est ce qu’elle renvoie depuis des années : l’image d’une femme belle, battante et éprise de liberté. Est-ce là l’image que tu t’es forgée d’elle ?

 

F.Q. : Oui, une femme solaire. Pas une star glacée. Sa beauté est lumineuse. C’est une actrice proche des gens, populaire au sens noble du terme.

 

PdA : Tu as rencontré plusieurs témoins pour la composition de cet ouvrage, des amis de jeunesse notamment. Ça a été compliqué, de ce point de vue ?

 

F.Q. : Non, et ça a été plutôt sympathique et instructif. Je trouvais intéressant de s’attarder sur ses années passées à Gentilly, avant que le cinéma ne la kidnappe. Les témoignages de ses amis de collège ont été précieux. Tout le monde a tendance à confondre Sophie avec la jeune ado de La Boum, alors qu’elle arrivait d’un milieu opposé où l’on partage le quotidien des ouvriers, les influences de la rue, les problèmes d’intégration et de racisme.

 

PdA : Quel message aimerais-tu adresser à Sophie Marceau, là, maintenant ?

 

F.Q. : À quelle heure dois-je réserver le resto ?

 

PdA : Tes projets, tes envies pour la suite ?

 

F.Q. : Un livre consacré à Jane Birkin paraîtra en février, aux éditions de l’Archipel. Puis, on espère continuer…

 

PdA : Que peut-on te souhaiter ?

 

F.Q. : Du bonheur.

 

PdA : Un mot sur le nouvel album de Johnny, auquel tu as consacré plusieurs ouvrages, dont la bio monumentale Johnny, la vie en rock ?

 

F.Q. : J’aime beaucoup. Un soin particulier a été apporté aux textes, et je m’en réjouis. J’aime aussi l’interprétation sobre de Johnny.

 

PdA : Un dernier mot... ?

 

F.Q. : Plutôt deux, par les temps qui courent : Peace & Love...

 

Frédéric Quinonero

Photo : Emmanuelle Grimaud

 

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Pour aller plus loin...

22 avril 2015

Frédéric Quinonero : "Julien Doré a mérité sa Victoire de la musique"

J’ai, pour la troisième fois, la joie d’accueillir M. Frédéric Quinonero, auteur de biographies réputées de vedettes de la chanson et du cinéma, dans les colonnes de Paroles d’Actu. Il a accepté, le 21 avril, de répondre aux questions que je lui ai préparées autour de la sortie de son nouvel ouvrage, Julien Doré, LØVE-Trotter (éd. Carpentier), consacré comme son nom l’indique à l’ex-vainqueur de l’édition 2007 de la Nouvelle Star. Depuis, ce dernier a fait du chemin : le 13 février dernier, il était consacré artiste masculin de l’année lors de la cérémonie des Victoires de la musique 2015. Merci à Frédéric Quinonero pour ce nouvel échange. Pour son travail, qui véritablement vaut d’être découvert. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES DACTU

Frédéric Quinonero : « Julien Doré a mérité sa Victoire de la musique »

 

Julien Doré

Éd. Carpentier

 

Paroles d'Actu : Bonjour Frédéric Quinonero, je suis ravi de vous retrouver pour cette nouvelle interview pour Paroles d’Actu. L’objet de notre entretien du jour, c’est la biographie que vous venez de consacrer à Julien Doré (Julien Doré, LØVE-Trotter, aux éd. Carpentier). J’ai d’abord envie de vous demander à quel moment vous l’avez découvert, et ce que vous en avez pensé les premiers temps ?

 

Frédéric Quinonero : J’avais un peu suivi la Nouvelle Star et sa personnalité m’avait séduit. J’aimais son côté décalé et sa façon de détourner les chansons, comme Mourir sur scène ou Moi Lolita. Comme souvent chez ce genre d’artistes révélés par un télé-crochet, j’ai moins adhéré à son premier album (Ersatz, sorti en 2008, ndlr). Mais je trouvais sa démarche ambitieuse et intelligente. J’ai vraiment découvert son univers avec l’album LØVE (sorti en 2013, ndlr).

 

PdA : La démarche d’une biographie de Julien Doré peut étonner, à ce stade de son parcours : certes, il s’est fait une place dans le paysage musical, mais il est encore très jeune... D’où est venue cette idée ?

 

F.Q. : Comme je l’écris en avant-propos, il y avait cette idée d’écrire sur un enfant du pays. Quelqu’un de chez moi. Nous avons tous deux grandi entre le Gard et l’Hérault et je pensais que cela créait un lien, une sorte de parenté géographique. Et c’était à la fois sympathique et pratique de mener un travail d’investigation du côté de Nîmes et de Lunel. Ensuite, il me semblait que Julien Doré était parvenu à une étape-butoir de son parcours : son album LØVE, le plus abouti à mes yeux, venait de remporter un gros succès, conforté par une longue tournée de plus d’un an, et marquait l’affirmation d’une identité musicale et poétique. Et partant, la confirmation d’une carrière. Alors, je trouvais intéressant de dresser un premier bilan et de le faire mieux connaître au public par le biais de ce livre.

 

PdA : Julien Doré n’a, disons, pas exactement regardé ce projet de bio avec une bienveillance aveugle. Ça a été compliqué de rencontrer ses proches, de composer cet ouvrage ?

 

F.Q. : Disons le clairement : Julien Doré a rejeté carrément le projet. Ma première démarche vers lui – un petit mot privé sur son Facebook officiel où je lui exposais humblement le motif de ma démarche et avançais éventuellement la possibilité d’une rencontre – demeura lettre morte. Dans le cas d’un silence prolongé, on applique l’adage « qui ne dit mot consent ». J’ai alors commencé mon travail d’investigation dans ma région et recueilli quelques entretiens. Jusque là, rien de très compliqué. Au contraire, c’était fort agréable de rencontrer ainsi des gens sympathiques qui m’ont fait part d’anecdotes amusantes. Prévenu par l’un de ses amis proches, Julien Doré a soudainement réagi en me demandant de renoncer au projet. Après concertation avec mon éditeur, il a été décidé que non.

 

PdA : On découvre dans votre livre les premières années du parcours de Julien Doré : un garçon qui se cherche pas mal au départ et apparaît plutôt touchant. Mais il y a aussi, ressortant de certains propos recueillis, cette image tenace d’un manipulateur, quelqu’un qui a tout compris en termes d’image et de marketing, et dont on pourrait douter de la sincérité (même si c’est une thèse qui n’est pas forcément la vôtre et que les quelques articles déjà parus sur ce livre lui accordent une couverture amplement disproportionnée). Ma question est : quelle image vous êtes-vous forgée de l’artiste, de l’homme Julien Doré au terme de cette étude ?

 

F.Q. : Il n’est pas le seul artiste à gérer sa carrière en termes d’image et de marketing. Prenez Stromae, Christine & The Queens… C’est une attitude qui répond parfaitement à l’époque. Et même, si l’on remonte un peu le temps, quelqu’un comme Claude François maîtrisait déjà parfaitement ces outils-là : rien n’était laissé au hasard et ne sortait du cadre… Son expérience aux Beaux-Arts a formé Julien Doré à ces outils de communication indispensables aujourd’hui pour durer dans ce métier. Ceci étant, il a su intelligemment construire une carrière et imposer un style, une vraie démarche artistique, ce qui n’est pas donné à tout le monde et encore moins aux ressortissants de talent-shows que les maisons de disques ont plutôt tendance à manipuler, à formater, et qui s’essoufflent vite.

 

PdA : Julien Doré a été consacré « artiste masculin de l’année » lors des Victoires de la musique 2015. C’est une consécration méritée pour vous ? Vous lui auriez apporté votre voix ?

 

F.Q. : Oui, sans doute. C’est une consécration méritée pour les raisons déjà énoncées. Julien Doré est une personnalité artistique qui sort du lot. Quelqu’un dont on peut présager qu’il va durer encore longtemps. C’était le moment pour lui donner ce trophée : il confirme son élan et promet un bel avenir.

 

PdA : Je ne suis pas a priori un grand amateur de Julien Doré mais je suis toujours très curieux et ouvert à la découverte. Pour préparer cet échange, j’ai écouté un peu ce qu’il avait fait. Et suis tombé notamment sur une chanson puissante, qui m’a beaucoup plu, Corbeau blanc (version LØVE live).  Bref... S’il fallait conseiller à nos lecteurs quelques titres, quelques « incarnations » de titres préexistants pour mieux découvrir Doré, quel serait votre choix ?

 

F.Q. : Mon Top 5 : Corbeau blanc, Les bords de mer, Paris-Seychelles, Mon apache, Glenn Close.

 

PdA : À défaut d’avoir reçu quelque signe que ce soit de sa part, avez-vous eu des retours de ses proches par rapport au livre ?

 

F.Q. : Ceux qui ont témoigné et à qui j’ai fait parvenir le livre l’ont aimé et trouvé très respectueux de l’artiste.

 

PdA : Lors de notre précédente interview, datée de novembre dernier, vous me disiez vouloir, après cet ouvrage, lever un peu le pied niveau écriture pour travailler à l’obtention d’un emploi moins précaire en parallèle. Où en êtes-vous de vos projets ?

 

F.Q. : Pour l’instant, j’ai d’autres projets d’écriture. Mon livre sur Johnny (Johnny, la vie en rock, aux éd. de lArchipel, ndlr) a été un succès, donc il est important de rebondir sur un succès.

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter, Frédéric Quinonero ?

 

F.Q. : Que ça dure.

 

Frédéric Quinonero

Photo : Emmanuelle Grimaud

 

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6 novembre 2014

Frédéric Quinonero : "Johnny a été le grand frère que je n'ai pas eu"

Le 22 octobre dernier, alors que les « Vieilles Canailles » (Eddy Mitchell, Jacques Dutronc, Johnny Hallyday) s'apprêtaient à entamer leur série de concerts, Frédéric Quinonero - qui m'avait fait l'amitié de répondre à mes questions sur Michel Sardou au mois de juin - voyait son nouveau livre, Johnny, la vie en rock, investir les étals des librairies. C'est le troisième ouvrage qu'il consacre à celui que nombre de francophones de toutes générations appellent toujours, plus de cinquante ans après, et avec la même affection, « l'idole des jeunes ». Une bio massive, très complète, qui fera date. Il a accepté, à nouveau, de m'accorder un peu de son temps. D'évoquer le Johnny qu'il aime et qu'il a appris à connaître. De se confier, aussi. Je l'en remercie. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

FRÉDÉRIC QUINONERO

Auteur de Johnny, la vie en rock

 

« Johnny a été le grand frère

que je n'ai jamais eu »

 

Johnny La vie en rock

(Source des illustrations : F. Quinonero)

 

Q. : 31/10/14 ; R. : 04/11/14

 

Paroles d'Actu : Bonjour, Frédéric Quinonero. Je suis ravi de vous retrouver, quelques mois après notre première interview. Votre dernier ouvrage, Johnny, la vie en rock, vient tout juste de paraître (Éd. Archipel). Pourquoi avez-vous eu envie d'écrire ce nouveau livre sur lui, d'entreprendre ce travail colossal ?

 

Frédéric Quinonéro : J’avais écrit précédemment un livre qui se présentait sous la forme d’un agenda ou journal de bord, puis j’avais abordé la carrière de Johnny à travers la scène. Depuis longtemps, je rêve d’une énorme biographie, qui soit la plus complète possible, la plus riche, la plus documentée. Émaillée de témoignages de gens célèbres ou anonymes, dont certains rarement ou jamais sollicités. Une telle somme ne s’écrit pas en six mois ni même un an, c’est le travail de toute une vie.

 

Je voulais aussi quelque chose de très écrit, qui sans trop quitter la technique obligée de la biographie, impose un style d’écriture personnel. J’ai envie qu’on me juge autant sur la forme que sur le fond. Et je suis assez frustré quand on ne se soucie pas du premier élément qui me semble indispensable à tout auteur, fût-il biographe de stars.

 

PdA : Quelle est l'histoire de, précisément, votre histoire avec Johnny Hallyday ?

 

F.Q. : Mon histoire avec Johnny commence en 1969. J’avais six ans. Une histoire de fan, qui ressemble à des milliers d’autres. Je vois le « show Smet » à la télévision ; je tombe en admiration devant ce chanteur si charismatique. Le lendemain ou la semaine suivante, mes parents m’achètent le single de Que je t’aime, puis pour Noël « l’album au bandeau » (album sans nom sorti en 1969, ndlr). L’été suivant, ils m’emmènent l’applaudir dans les arènes d’Alès — à moins que ce soit Nîmes. Ils gardent un souvenir de moi ce soir-là, comme hypnotisé, envoûté.

 

J’ai grandi avec Johnny et ses chansons ; il a été le grand frère que je n’ai pas eu. Aujourd’hui j’ai un regard de biographe, mais je ne peux me défaire de mon regard de fan. Ce que j’écris est inévitablement chargé de mon amour pour lui. Je l’ai croisé plusieurs fois dans ma vie, sans jamais provoquer une vraie rencontre. Récemment, répondant à la suggestion de mon éditeur qui m’a dit : « Quand même, après trois livres que vous lui avez consacré, il serait temps que vous le rencontriez », j’ai tenté la démarche, mais elle n’a pas abouti, et je n’ai pas insisté.

 

PdA : Si, parmi son répertoire imposant, vous deviez sélectionner quelques chansons, connues ou moins connues, quelles seraient-elles ?

 

F.Q. : J’adore en particulier toute la période avec Tommy Brown et Micky Jones, les albums sortis entre 1967 et 1971. C’est ma période préférée de l’artiste. Outre Que je t’aime, qui a été mon premier disque, j’ai une préférence pour Oh ! ma jolie Sarah, une chanson qui a marqué mon enfance. Mais globalement, il n’y a pas une époque de sa carrière que je n’aime pas. Car tous ses albums me rappellent un souvenir, renvoient à quelque chose de l’ordre de l’affectif.

 

Parmi ses dernières productions, j’écoute assez souvent l’album Le Cœur d’un homme. Et je rêve d’un spectacle unplugged, d’une scène intime au milieu de ses fans. Il n’a plus besoin de nous bluffer avec tout un barnum de décors et de feux d’artifice. Sa voix et sa présence suffisent.

 

L'éphéméride

 

PdA : On a le sentiment de tout savoir de lui. Avez-vous fait d'authentiques découvertes lors du travail effectué pour ce livre ? Question subsidiaire : y a-t-il encore des zones d'ombre en ce qui concerne M. Smet/Hallyday ?

 

F.Q. : Tout artiste a des zones d’ombre. C’est d’autant plus vrai pour Johnny, qui a vécu une enfance si extraordinaire, au sens strict du terme. Abandonné par son père, éloigné de sa mère, il a forgé son éducation dans les cabarets et les théâtres. C’est un être profondément sensible et romantique, sous sa carapace de rock star.

 

Au fond, lui qui n’a pas eu d’enfance n’a jamais cessé d’être un gamin, et le terme n’est pas péjoratif. Ce qui explique ses difficultés à créer une famille. Cette vie carrément romanesque qu’il a vécue est pain bénit pour un auteur. Si j’ai réussi à transmettre la tendresse qu’il m’inspire et à rendre le personnage sympathique, même dans ses travers, le pari est alors gagné.

 

PdA : Pourquoi un amateur de Johnny ou - cas extrême - un fan absolu qui aurait déjà tout de et sur lui serait-il bien inspiré de feuilleter, d'acheter votre livre ?

 

F.Q. : Sans doute parce qu’il aura là la biographie la plus complète à ce jour. Déjà, 860 pages c’est du jamais vu ! Ensuite, parce que je me suis appliqué à ne rien laisser dans l’ombre, à relater tous les grands événements de la vie du chanteur. Et surtout, puisqu’il s’agit avant tout de raconter le parcours d’un artiste, je n’oublie rien de son extraordinaire carrière !

 

PdA : Si vous deviez lui adresser un message... ?

 

F.Q. : Je me réserve pour le jour où il souhaitera mettre un visage et une voix sur mon nom. 

 

PdA : Voulez-vous nous parler de vos projets, Frédéric Quinonero ?

 

F.Q. : Un livre en 2015, probablement au printemps. Ensuite, il est probable que je lève un peu le pied, ou plutôt la plume ! J’ai l’intention d’obtenir un diplôme afin d’exercer un métier parallèle. Vous n’êtes pas sans savoir que la situation sociale et contractuelle des auteurs n’est pas évidente, et que dans la période de crise que nous traversons elle ne cesse de se dégrader. L’écrivain est le parent pauvre de la culture, le seul qui n’a pas de statut et doit exercer un autre job pour subsister. Alors, si je veux continuer à vivre de ma passion, il est préférable pour moi de m’assurer un certain confort avec un emploi stable, fût-il à mi-temps. C’était ma minute d’engagement politique (rires).

 

PdA : Un dernier mot ?

 

F.Q. : Rock’n’roooooll !

 

Frédéric Quinonero

 

 

Que vous inspirent l'œuvre, le personnage de Johnny Hallyday ? Quelles sont, parmi ses chansons, celles que vous préférez ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer

 

 

Pour aller plus loin...

  

29 juin 2014

Frédéric Quinonéro : "Sardou a traduit en chansons l'âme d'un peuple"

   L'histoire commence il y a une bonne douzaine d'années. L'auteur de cette intro - entamée un 27 juin, jour de la St-Fernand - devait avoir dix-sept ans. Il, ou, pour plus de facilité, je, venais, alors, de créer mon forum d'actu sur la plate-forme Aceboard, le Forum 21 - disparu depuis, en même temps que la plate-forme. J'ai invité quelques contacts à m'y rejoindre, démarché quelques admin inscrits sur le forum support d'Aceboard. Parmi eux : un certain Giros, webmaster d'un site dédié à Michel Sardou. Sardou, je connais, pas mal, sans plus. De lui, j'aime quelques chansons, dont Le France. Avec Gianni - alias Giros -, nous sympathisons. Il a rejoint F21, je rejoins sa communauté, dédiée au chanteur. J'y rencontre des gens très sympa - dont Dominique, alias Lanatole, je la salue ici, ainsi que Gianni, et ceux qui me reconnaîtront -, y trouve une belle ambiance conviviale. J'y ai découvert, ai aimé de nombreux titres - dont L'An Mil, qui donne son nom au site, à la communauté bâtis par Gianni. Une œuvre parfois controversée. Une œuvre, une carrière riches, incontestablement.

   Automne 2012 : Paroles d'Actu existe depuis une quinzaine de mois. Pouvoir poser quelques questions à Sardou ? J'adorerais, évidemment. Je cherche les coordonnées de son agent sur internet, je lui présente mon blog, lui soumets ma proposition. Je réessaierai à la toute fin de l'année, puis au début de 2013. Une réponse de l'agent m'encourage à accélérer un peu, à rédiger mes questions - chose que je ne fais pas sans un "OK" préalable en général. Je n'ai pas le "OK" de principe, mais j'ai les questions en tête : perte de temps ou pas, on verra... Elles sont un peu différentes de celles qui lui sont posées habituellement dans les médias, lors des interviews de promo, parce que, je le crois en tout cas, je connais bien son répertoire. La rédaction et l'envoi se font le 26 janvier 2013 - jour de son anniversaire, je le sais et ne manque pas de le lui souhaiter, au passage. Le 28, je reçois un mail. Je le découvrirai rapidement : il ne connaîtra pas de suite... mais constitue déjà, en soi, une belle victoire.

   « Je serais ravi de répondre à vos questions (...) mais, de grâce, n'en posez pas trop à la fois. Cela ressemblerait à un livre écrit à deux. De plus, je n'aime pas parler de moi. À la question des regrets, je n'en ai aucun. Ceux qui n'ont pas compris à l'époque ne comprendront pas plus demain. Pour le reste, j'ai suivi une route; celle qu'il y avait devant moi. J'ai commencé à écrire très jeune, ce qui pourrait expliquer quelques maladresses, mais je ne m'excuse jamais. Sauf quand je suis impoli. L'avenir ? Je verrai bien. Ou mieux, je ne le verrai pas. Il est désormais derrière moi. Bien à vous, Michel. » Sa tournée-marathon de 2012-2013 - qui sera interrompue par ses problème de santé - vient de démarrer. Il a pris le temps de m'écrire ces quelques mots. Il n'y aura pas - en dépit des quelques amendements apportés au texte - de suite... mais je suis content. Et je l'en remercie.

   Sardou, Vox populi, écrit par le biographe Frédéric Quinonéro, est sorti il y a tout juste un an, à la fin juin 2013. Je saisis l'occasion, lui propose une interview autour de son livre, autour de Sardou. Cet entretien, je le veux construit autour de chansons souvent méconnues, que j'aime et que j'aimerais inviter nos lecteurs à découvrir ou redécouvrir. J'ai pris le temps de parsemer ce document de liens vidéo qui sont, de la part de celles et ceux qui les ont publiées sur YouTube ou Dailymotion, autant de témoignages d'affection, d'admiration pour lui. S'il exige un procès, je le perdrais, tant pis... Et le blog s'en irait, j'ai pas payé l'crédit... Que ces vidéos soient prises comme telles : elles ne détourneront pas celui qui les aimera d'une consommation tarifée de l'artiste, elle l'inciteront au contraire à l'achat de titres en téléchargement légal, d'album physiques.

   Merci, un grand merci à Frédéric Quinonéro : il a joué le jeu, il l'a fait rapidement, avec beaucoup de générosité. Ses réponses sont éclairantes, passionnantes, empreintes de sympathie, de respect pour un chanteur qu'il a appris, au fil des années, à aimer. Sardou, Vox populi est à découvrir chez tous les bons libraires. Il mérite d'être découvert, de la même manière que son sujet qui, lui, gagnerait à être redécouvert. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

FRÉDÉRIC QUINONÉRO

Auteur de Sardou, Vox populi

 

« Sardou a traduit en chansons

l'âme d'un peuple »

 

Sardou Vox Populi

(Source des photos : F. Quinonéro)

 

Q. : 26/06/14 ; R. : 26/06/14

 

Paroles d'Actu : Bonjour, Frédéric Quinonéro. Quel était votre rapport à Michel Sardou, à son œuvre, au personnage, avant de vous lancer dans le projet Vox populi ?

 

Frédéric Quinonéro : J’ai des souvenirs de disques de lui, achetés quand j’étais enfant : J’habite en France, Je t’aime, je t’aime, La Maladie d’amour. Adolescent, quelques chansons m’ont marqué, mais le personnage me rebutait. Élevé dans les valeurs humanistes de gauche, je ne pouvais tolérer qu’on use de son statut d’artiste pour se prononcer publiquement en faveur de la peine de mort, à un moment crucial où l’opinion publique réclamait à cor et à cri la tête d’un homme – finalement, cet homme fut emprisonné, puis un innocent, inculpé dans une autre affaire, fut guillotiné. Je ne pouvais tolérer davantage que soit évoqué sur le mode nostalgique « le temps béni des colonies » (j’avoue que je ne percevais pas le second degré).

 

Avec le recul, je me rends compte que je ne le détestais pas tant que ça, Sardou. Je me souviens de fêtes de village où j’aimais entendre l’orchestre entonner Je vais t’aimer, La Vieille ou Le France, alors que je m’interdisais d’acheter les disques. Même J’accuse, j’aimais bien ! Notamment son intro très pompière… C’était beaucoup pour le principe : dans une famille de gauche, il ne faisait pas bon être fan de Sardou. D’autant qu’il avait construit son image et sa notoriété sur l’art de la provocation, un art qu’il partageait avec son parolier Pierre Delanoë, qui était tout de même un vieux réac ! Le temps aidant, les esprits s’apaiseront de façon bilatérale.

 

PdA : Quelle est l’histoire de cet ouvrage, publié l’année dernière aux éditions Didier Carpentier ?

 

F.Q. : Deux déclarations du chanteur : l’une contre l’exil fiscal, l’autre en faveur du mariage pour tous – avec sa façon très personnelle de l’exprimer, se déclarant « pour le mariage des tantes » -, ont eu raison de mes réticences. J’ai même pris beaucoup de plaisir à la rédaction de ce livre et au travail de recherche qu’il a demandé. J’en profite pour remercier les fans, très sympathiques, qui m’ont aidé à l’iconographie, en particulier Fabien Chaise, webmaster d’un site dédié au chanteur. Le titre s’est tout de suite imposé à moi : Vox populi. Mon éditeur n’était pas très emballé, il voulait que j’en change. Mais j’ai insisté.

 

PdA : Commençons... par le commencement. Michel Sardou, né le 26 janvier 1947, est un authentique enfant de la balle : Fernand et Jackie, ses parents, sont comédiens. Le théâtre le tente; il suit des cours, se lie d’amitié avec un camarade, un certain Michel Fugain... avec lequel, bientôt, il s’essaiera à la chanson (1965). C’est le début de l’épisode Barclay. Le prologue...

 

F.Q. : Chez les Sardou, la tradition du spectacle se transmet en effet de génération en génération. Michel a fondé son éducation dans les salles de théâtre et de cabarets, ou sur les tournages de films de cinéma, où il suivait ses parents. Le déclic s’est opéré un dimanche après-midi sur la scène du Châtelet où sa mère, qui jouait dans une opérette, l’a attiré en fin de représentation sous les applaudissements du public. Pour lui, cependant, la chanson prendra le pas sur la comédie. Presque par accident. Apprenti comédien qui court le cachet, il s’associe avec Michel Fugain, copain de galère, pour écrire des chansons. Un jour de 1965, ils présentent l’une d’entre elles, Les Arlequins, devant Régis Talar, chez Barclay. Sardou chante, Fugain l’accompagne à la guitare. Un contrat est bientôt signé. Et le disque sort le 10 novembre, dans l’indifférence.

 

PdA : 1967 : il agace, déjà... Face à l’escalade vietnamienne, la France de De Gaulle prend ses distances avec Washington. Sardou, lui, chante Les Ricains. S’ils n’étaient pas là, affirme-t-il, « vous seriez tous en Germanie ». C’est sans doute vrai. Mais loin, dans le contexte, d’être du goût de tout le monde...

 

F.Q. : Et pour cause. Sardou réagit surtout contre la vague prosoviétique qui rejette l’Amérique, impliquée dans la guerre du Vietnam. Il rappelle au passage que la France était bien contente d’accueillir les Américains en 1944. La chanson sort en janvier 1967, au moment où De Gaulle, au nom de la souveraineté nationale, a sorti la France de l’OTAN et demandé aux Américains d’évacuer les bases implantées dans le pays. Le Général va donc « déconseiller » (comme on dit alors) la chanson polémique de Sardou à l’ORTF. Elle passe alors inaperçue et sera réhabilitée à l’orée des années 70. Dans l’intervalle, Sardou aura enfoncé le clou avec Monsieur le Président de France !

 

PdA : On avance un peu dans le temps... Eddie Barclay, estimant - il a du nez ! - que Sardou n’est pas fait pour ce métier, rompt leur contrat. Le chanteur saisit la balle au bond : il crée, avec le compositeur Jacques Revaux et le producteur Régis Talar - deux futurs fidèles parmi les fidèles - le label Tréma. Les premiers gros succès publics émergent au tout début des années 70... En 1973, ce sera, l’air de rien, la chanson-miracle : La Maladie d’amour...

 

F.Q. : La carrière de Sardou explose au début de 1970, avec Les Bals populaires. S’ensuivent, dans la même cuvée, J’habite en France, Bonsoir Clara et Le Rire du sergent. Il hésite entre ce répertoire pompier et la chanson sentimentale, représentée par Je t’aime, je t’aime ou Un Enfant. Fort de ces succès, le chanteur s’offre son premier récital à l’Olympia, en janvier 1973. Puis, La Maladie d’amour devient le tube incontournable de l’été et lui permet de gagner la fidélité d’un très large public populaire.

 

PdA : Son meilleur album est sans doute celui de 1976. Parmi les chansons moins connues, deux pépites : La Vieille, Je vous ai bien eus... Sur ce 33T, on retrouve la torride Je vais t’aimer. Et cette supplique d’une ancienne gloire nationale, Le France, qui fait mouche dans un pays qui, depuis quelques années, s’interroge, doute de lui et de son avenir...

 

F.Q. : C’est aussi son album le plus controversé, avec des titres revendicateurs comme J’accuse et l’insupportable Je suis pour. On y trouve aussi Le Temps des colonies, qui aborde sur un ton humoristique un sujet tabou. Sa tournée 1976 est émaillée de manifestations. On veut l’interdire de chanter, et on finit par y parvenir. Un journal titre « Heil Sardou ! » C’est dire la violence dont il fait l’objet.

 

On en oublie que, sur le même album, Sardou est capable de tendresse avec La Vieille et aborde le sujet délicat du suicide dans Je vous ai bien eus, une chanson mal comprise à sa sortie. Personnellement, j’adore l’emphase de Je vais t’aimer et le lyrisme du France, que je prends toujours plaisir à entendre et dont la puissance de l’interprétation m’émeut aux larmes.

 

PdA : Les tubes s'enchaînent sans discontinuer... les polémiques aussi. L’album de 76, (vous en parliez à l'instant) c’est aussi celui de Je suis pour, de J'accuse, du Temps des colonies. Quelques années plus tôt, il y avait eu Les Villes de solitude. Sardou est un artiste engagé, il se fait, dans le texte, volontiers provocateur. Chacun de ces titres va, pour des raisons différentes, en faire la cible de nombreuses attaques - parfois excessives ou à côté de la plaque, quelquefois violentes... En 1977-78, le climat est tendu, très tendu : des « comités Anti-Sardou » voient le jour, on retrouvera même une bombe au Forest National de Bruxelles... Comment vit-il cette époque ?

 

F.Q. : Il la vit très mal, forcément. En mars 1977, lassé d’être escorté par un commando de CRS et sans doute affolé de la tournure prise par les événements – on a tout de même attenté à sa vie ! -, il met un terme à sa tournée et s’offre des vacances en attendant que le calme revienne. Heureusement, il trouve des soutiens dans le métier, y compris parmi des personnalités de gauche, comme Yves Montand ou Jean Ferrat, qui réprouvent cette façon radicale de condamner un artiste et de porter atteinte à la liberté d’expression. Cependant, Sardou met la pédale douce et aborde pour son retour un répertoire qui ne prête pas à conséquence. Pour un temps, du moins. Ainsi, il triomphe à nouveau avec En chantant et La Java de Broadway.

 

PdA : Le temps s’écoule... il semble avoir un peu perdu de son goût pour la provocation. La décennie 80 s’ouvre, elle sera difficile pour pas mal d’artistes de sa génération. Lui va s’offrir une nouvelle jeunesse, conquérir de nouveaux publics. Sur son album de 1981, il y a cette chanson obscure qui raconte un banal mariage irlandais, chanson à laquelle – c’est ce qu’il affirmera plus tard, en tout cas - il ne croyait pas. Le morceau s’appelle Les Lacs du Connemara...

 

F.Q. : Elle fait partie de ces chansons tellement rebattues – il n’y a pas de mariage ou de fête familiale sans Les Lacs du Connemara - qu’elle en devient insupportable. En 1981, une autre chanson à succès suscitait tout de même un tollé chez les féministes : Être une femme, qui ravivait avec un humour douteux le caractère macho et misogyne du chanteur.

 

PdA : Milieu-fin des années 80 : les « comités anti-Sardou » ont vécu. L’époque est moins passionnée politiquement parlant. Lui s’est assagi, il divise moins. Ces années-là, il y aura, tout de même, deux chansons coup-de-poing, parmi ses plus emblématiques, ses plus belles aussi : il s’insurge des dérives, des trahisons du régime communiste soviétique dans Vladimir Ilitch (1983), s’interroge sur la condition féminine en terre d’Islam dans Musulmanes (1986)...

 

F.Q. : Même si Sardou se défend de les avoir écrites en réaction à une actualité, ces deux thèmes empruntent à l’air du temps. Vladimir Ilitch s’inscrit à une période de « guerre fraîche » entre l’Est et l’Ouest, juste avant la chute du régime soviétique et la fin d’une ère qui opposait deux systèmes. La chanson, qui semble glorifier Lénine et une certaine idéologie égalitaire, s’avère en fait un pamphlet anticommuniste, selon le parti pris du co-auteur Pierre Delanoë. Plus enclin aux envolées romanesques, Michel Sardou privilégie le souffle épique de l’Histoire.

 

C’est dans cet esprit qu’un soir, au milieu du désert saharien, alors qu’il court en pleine aventure du Paris-Dakar, il écrit Musulmanes, l’une de mes chansons préférées. L’album sort en 1986, après une vague d’attentats islamistes. Sardou s’élève contre l’amalgame fait entre musulmans et islamistes et se réjouit que son public entonne avec lui un hymne à la gloire des femmes arabes. Le métier semble réhabiliter Sardou : la chanson est récompensée aux Victoires de la Musique.

 

Sardou Vox Populi 2

 

PdA : Sardou a souvent chanté l’Amérique, ses mythes éternels et, plus souvent qu’à son tour, les désillusions qu’elle lui a inspirées : La Vallée des poupées (une très belle chanson de 1976), Huit jours à El Paso (1978), Happy birthday (1986)... La fascination est toujours là (Préservation en 1981, Chanteur de jazz en 85, Mam'selle LouisianeLe Blues black brothers et Au nom du père en 90...) mais le rêve a du plomb dans l’aile...

 

F.Q. : Dans mon livre, je consacre un chapitre à cette fascination de Sardou pour l’Amérique. Son répertoire est en effet riche de références au pays de l’oncle Sam, à commencer par Les Ricains, bien sûr, et affirme un proaméricanisme nourri dès l’adolescence par le cinéma et l’image d’un pays sublimé par ses grands espaces, ses voitures rutilantes et la possibilité fantasmée d’y faire fortune. C’est aussi la mère patrie du blues et du jazz. Longtemps, Sardou sera habité par cet attrait pour l’Amérique.

 

PdA : Dans son répertoire, on trouve également de nombreuses chansons épiques, des chansons sur lesquelles souffle un vent d’histoire... Il y a Danton en 1972, La Marche en avant en 73, Verdun en 79, Qu’est-ce que j’aurais fait moi en 98, La Bataille en 2000, sans oublier, bien sûr, les grandioses L’An mil, datée de 1983, et Un jour la liberté, de 89... Sardou aime l’Histoire, et quand il la chante, il y a toujours un message en filigrane...

 

F.Q. : C’est un autre chapitre du livre, « Notre histoire et la mémoire des vieux », titre emprunté aux Routes de Rome. Outre sa passion pour l’Histoire, qu’il transmettra à son fils Romain, Sardou aimait imposer ce type de chansons dans ses spectacles, afin de leur conférer une composante théâtrale. Ce fut notamment le cas d’Un jour la liberté, qui célébrait en 1989 le bicentenaire de la Révolution française et faisait l’objet d’un final de douze minutes à Bercy, avec le renfort de cent comédiens, mis en scène par Robert Hossein.

 

Dans ce répertoire, j’ai une tendresse particulière pour Verdun - j’aimais beaucoup cet album en 1979, en particulier Je ne suis pas mort, je dors et L’Anatole - et aussi pour Qu’est-ce que j’aurais fait, moi ?, un titre hélas méconnu, sur un thème déjà abordé par Jean-Jacques Goldman dans Né en 17 à Leidenstadt.

 

PdA : « Qu’est-ce qu’ils vont dire à la maison ? Un garçon qui aime un garçon... » Le Privilège sort en 1990. Avec cette très belle chanson, qui nous dit le désarroi d’un jeune garçon s’apprêtant à faire son coming out, il espère surclasser Comme ils disent d’Aznavour. Et amende - en même temps qu’une phrase de J’accuse - un peu plus son image...

 

F.Q. : Il m’a paru évident de consacrer un chapitre au thème de l’homosexualité, tant le sujet semble interpeller le chanteur. Il y fait allusion dans nombre de chansons, par des allusions souvent moqueuses ou méprisantes à ses débuts : Le Rire du sergent, Le Surveillant général et J’accuse qui, en effet, sera revu et corrigé dans les années 90. Sardou s’excusera de ses dérapages de jeunesse, en créant notamment Le Privilège, qui dénonce l’amalgame entre homosexualité et perversion.

 

Sardou a cette qualité d’évoluer de façon intelligente et de reconnaître ses torts. C’est ce qui le rend attachant. Une image m’a marqué lors des manifestations pour le mariage homosexuel : cette pancarte levée où était écrit « Même Sardou est pour ! ». J’avais contacté l’auteur de la photo, afin de la publier en illustration de ce chapitre. Hélas, il n’a pas voulu la céder, même moyennant rétribution.

 

PdA : Sa mère Jackie disparaît en 1998, vingt-deux ans après Fernand (« 1976, c’est la mort de mon père, et cette impression folle que ses dernières paroles n’étaient pas les dernières... » in 1965, datée de 1985). Il leur a consacré, au fil des années, de nombreux hommages (reprenant dans ses tours de chant Aujourd’hui, peut-être, de son père), écrit des textes plus ou moins biographiques mais empreints de tendresse : Une fille aux yeux clairs (1974), Les Noces de mon père (1981), Il était là (Le fauteuil) et le sketch Maman (1982), Les Yeux de mon père (2006)... Quels rapports entretenait-il avec ses parents ?

 

F.Q. : Michel Sardou disait de son père qu’il lui avait tout appris sans jamais lui avoir rien enseigné. Ils n’ont pas eu le temps de beaucoup se parler, tous les deux. Fernand Sardou est mort trop tôt, et Michel a idéalisé ce père un peu bougon et taiseux, mais tendre, comme l’étaient ces hommes du Midi que Pagnol a immortalisés dans ses films.

 

L’image de la mère a naturellement pâti de cette idéalisation du père, d’autant que Jackie était plutôt dirigiste et envahissante. La mère et son fils, qu’elle appelait « Mon minou », étaient très proches. Michel Sardou a mesuré le poids de son absence au lendemain de sa mort. Ce soir-là il chantait à Nancy. Et a failli craquer en interprétant Une fille aux yeux clairs, la chanson que Jackie disait sienne.

 

PdA : À partir de la fin des années 90, celui qui n’est « plus un homme pressé » a desserré les poings. Il s’est trouvé un nouvel équilibre personnel, se soucie moins de politique, - la dispensable Allons danser (2006) ou la trop méconnue Le Monde où tu vas (1994) mises à part. Il entame de nouvelles collaborations; ses créations à venir toucheront, au fond, à l’essentiel : l’amour (Tu te reconnaîtras, en 1997, Je n’oublie pas, Même si, Dis-moi en 2004, Nuit de satin et Je serai là en 2006, Et puis après en 2010...), le temps qui passe, ses bilans... (Putain de temps, en 1994, La Rivière de notre enfance et La vie, la mort, etc. en 2004, Les Jours avec et les jours sans, La dernière danse en 2006...) Que vous inspirent-elles, ses années les plus récentes ?

 

F.Q. : Vous oubliez un succès marquant : Le Bac G, dont j’aime beaucoup la mélodie et le texte, en dépit de ce passage polémique sur les lycées poubelles, qui avait enragé Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale. J’aime aussi Putain de temps, Le monde où tu vas, Rebelle, Je n’oublie pas. Des chansons qui me parlent.

 

Cette période est teintée d’une douce mélancolie et d’une nostalgie parfois amère que je partage. J’aime aussi l’homme qu’il est devenu. Je pense que la présence d’Anne-Marie Périer à ses côtés n’y est pas pour rien.

 

PdA : J’ai eu à cœur, tout au long de cet entretien, d’évoquer des titres peu connus, parmi ceux que j’aime. J’aurais également pu citer - même si l’occasion ne s’est pas présentée - d'autres chansons qui mériteraient d’être découvertes ou redécouvertes, comme Un Enfant (1972), Les vieux mariés (1973), Un Roi barbare (1976), les superbes Je vole (1978) et Je ne suis pas mort, je dors (1979), les émouvantes Victoria et La Pluie de Jules César (1980), Le mauvais homme (1981), Si l’on revient moins riches (1983), L’Acteur (1987), Le Successeur, Dans ma mémoire elle était bleue, Vincent (1988), Espérer (2004), Rebelle (2010)... J’en passe... Quelles sont, dans son répertoire, les chansons que vous préférez, et pourquoi ?

 

F.Q. : Ma préférée d’entre toutes est Je vole. Quand elle est sortie, je n’avais pas compris qu’elle évoquait un suicide, je pensais simplement que le garçon de la chanson faisait une fugue. Et pourtant, cette chanson m’émouvait aux larmes. Parmi celles que vous citez, j’aime surtout L’Acteur - j’étais élève au cours Florent quand elle est sortie, elle parlait donc forcément au cœur d’un apprenti acteur -, Les vieux mariés - j’aime cette idée que la vieillesse puisse être sereine -, Je ne suis pas mort, je dors et Vincent. Je pourrais encore citer Dix ans plus tôt, un tube d’été sur lequel j’ai connu mes premiers flirts, et Je viens du Sud, pour des raisons géographiques évidentes (Frédéric Quinonéro est un enfant du Gard, ndlr). Il y en a plein d’autres…

 

PdA : Qu’avez-vous appris à propos de Sardou à l’occasion du travail, des recherches que vous avez menés pour l’écriture de votre livre ?

 

F.Q. : Je ne crois pas avoir appris beaucoup de choses sur Sardou que je ne savais déjà, car malgré tout j’ai toujours suivi sa carrière et grandi avec ses chansons. J’ai surtout appris à passer outre les idées préconçues. J’ai appris qu’il était très agréable d’écrire un livre sur un artiste dont on n’est pas a priori fan et de se rendre compte qu’au fond on l’apprécie beaucoup plus qu’on ne le pensait. Le répertoire de Sardou se prête en outre à l’analyse, ce qui est pain bénit pour un écrivain.

 

Dans le travail d’écriture d’un livre, il y a toujours un moment difficile où l’on cale, où c’est douloureux et où l’on éprouve le besoin de faire un break. Ça n’a pas été le cas avec ce livre-là. Ce fut un vrai bonheur du début à la fin. J’ai trouvé un rythme dès le départ, et il ne m’a pas quitté.

 

PdA : « Qui êtes-vous, Michel Sardou ? » On ne compte plus les pages qui, années après années, ont été noircies autour de cette question. Il n’a jamais cessé d’être populaire - et cela dure depuis quarante-cinq ans - mais dans pas mal d’esprits subsistent, bien ancrés, quelques résidus de sa mauvaise réputation... Quelle image vous êtes-vous forgée de lui ?

 

F.Q. : L’image d’un homme rebelle, mais ce n’est pas fait pour me déplaire. Il est, selon le mot de François Mitterrand, un « homme à angles aigus », mais qui a tendance à les arrondir avec le temps.

 

PdA : Ses contours sont encore - et c’est heureux - en train d’être dessinés, affinés : il est toujours actif et reviendra probablement à la chanson dans les années à venir. Cela dit, quelle est et quelle sera, à votre sens, l’empreinte Sardou sur le patrimoine musical français ?

 

F.Q. : Pour moi, Sardou est le chanteur populaire par excellence, d’où le titre éloquent de mon livre. C’est un artiste fédérateur, qui a su plaire à toutes les couches sociales et traduire en chansons l’âme d’un peuple. Quand on est populaire un jour, on l’est toujours. Cette image de lui restera. Inévitablement.

 

PdA : Quel message souhaiteriez-vous lui adresser, à l’occasion de cette interview ?

 

F.Q. : Pourquoi ne pas m’avoir répondu quand je vous ai informé de mon projet d’écrire ce livre ? Je suis sûr que nous aurions eu des tas de choses intéressantes à nous dire et que nous aurions passé un agréable moment. Dommage.

 

PdA : Quels sont vos projets pour la suite, cher Frédéric Quinonéro ?

 

F.Q. : Le 14 octobre prochain, je publie une énorme biographie de Johnny Hallyday aux éditions de l’Archipel. J’ai hâte !

 

PdA : Un dernier mot ?

 

F.Q. : Espérer.

 

PdA : Merci... Salut !

 

Frédéric Quinonéro

 

 

Que vous inspirent l'œuvre, le personnage de Michel Sardou ? Quelles sont, parmi ses chansons, celles que vous préférez ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer

 

 

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