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Paroles d'Actu
17 février 2013

Samuel Grzybowski : "D'abord se parler..."

À la mi-janvier, j'ai proposé à Samuel Grzybowski de l'interviewer pour Paroles d'Actu. Il m'a donné son accord, avec enthousiasme. Mes questions, qui lui ont été transmises le 20 janvier, portent sur l'objet, l'organisation et les activités de l'association Coexister, qu'il a fondée et qu'il préside. Sur le grand "tour" interreligieux qu'il entreprendra bientôt. Sur l'Église, celle de Vatican II, celle de demain. Fervent Catholique, Samuel Grzybowski plaide inlassablement pour que dialogues et échanges s'établissent entre les différentes religions. Un véritable sacerdoce. Peu après l'envoi de mes questions, une décision vécue comme "injuste, incohérente et scandaleuse" est intervenue. Une décision relayée par la presse : l'association Coexister perd son statut d'intérêt général. Un nouvel obstacle qui n'entamera pas la détermination sans faille de ce jeune homme d'à peine 21 ans...

 

Ses réponses, Samuel Grzybowski me les a transmises oralement, le 10 février (j'ai souhaité retranscrire l'enregistrement en en conservant la spontanéité). Quelques heures plus tard, une nouvelle est annoncée, elle fera réagir bien au-delà des frontières du monde catholique : le pape Benoît XVI renonce à sa charge, estimant qu'étant donné l'avancement de son âge, ses forces ne lui permettent plus de l'assumer convenablement. Une décision sage, empreinte de lucidité et d'humilité venant d'un homme, Joseph Ratzinger, qui a eu le courage de reconnaître, tout pape qu'il était, qu'il était humainement faillible. Samuel Grzybowski a accepté de me confier sa réaction (17 février), en marge de notre entretien : "Je suis particulièrement admiratif de cette décision. Sa capacité a surprendre révèle la force d'une Église éternellement jeune, toujours renouvelée !" Voilà pour l'actualité. Place à Samuel Grzybowski, 21 ans à peine. Place à demain, un demain résolument optimiste quant à une coexistence pacifique des Hommes... Merci ! Bonne lecture. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer.  EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

SAMUEL GRZYBOWSKI

Président-fondateur de l'association Coexister

 

"D'abord se parler..."

 

Samuel Grzybowski

(Photo fournies par Samuel Grzybowski)

 

 

Q : 20/01/13

R : 10/02/13

 

 

 

Paroles d'Actu : Bonjour Samuel Grzybowski. Avant d'aller plus avant, qu'aimeriez-vous que nos lecteurs sachent à votre propos ? Quelle place la foi tient-elle dans votre vie ?

 

Samuel Grzybowski : Je suis étudiant en double licence Science Politique - Histoire politique à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Cela fait trois ans que j'étudie au sein de cette université, je suis en troisième année de licence.

 

Je suis également et surtout le président et fondateur de Coexister, le mouvement interreligieux des jeunes dans lequel je me suis engagé il y a maintenant quatre ans et dans lequel je crois discerner une part importante de ma vocation.

 

La foi tient une place fondamentale dans mon existence. C'est en m'engageant que je donne corps, que je donne cohérence à cette foi.

 

 

PdA : Vous êtes le président de l'association Coexister, que vous avez créée en 2009. Racontez-nous ce cheminement personnel qui vous a conduit à vous engager ainsi, pour cette cause ?

 

S.G. : Mon cheminement, je le décrirais en trois temps.

 

D'abord, l'école primaire dans laquelle j'étais. Sur 300 élèves, 42 nationalités étaient représentées. 7 religions, et trois principales sphères sociales. Des enfants d'ambassadeurs, qui étaient là puisqu'il y avait un internat pour les jeunes d'écoles primaires. Des enfants placés par la DDASS. Des enfants de la petite bourgeoisie du 15è, dont j'étais issu. Dans cet établissement, les jeunes de toutes sensibilités, de toutes religions, de toutes cultures coexistaient de façon pacifique. Du coup, j'ai eu la chance de pouvoir banaliser, dans le bon sens du terme, la diversité dès mon plus jeune âge comme quelque chose de constructif et de favorable à l'épanouissement. J'avais créé un club des cinq dans lequel il y avait deux Asiatiques, un Arabe et deux Occidentaux. Je leur rends hommage encore aujourd'hui, ils m'ont beaucoup apporté pendant cinq ans. On était une bande d'amis inséparables. J'ai pris conscience que les liens se tissaient notamment sur l'importance de la différence.

 

Un deuxième évènement fondateur, c'est le scoutisme. J'ai été scout pendant plus de huit ans. J'ai participé au Jamboree mondial en 2007 à Londres, qui avait lieu pour les cent ans du scoutisme sur les traces du premier camp scout. Celui-ci était sur Brownsea Island, juste en face de Londres, dans la mer, évidemment. Là-bas, j'ai fait une autre rencontre, une autre prise de conscience assez fondamentale. Déjà, que le scoutisme n'était pas chrétien, il était d'abord musulman. Il y a plus de scouts musulmans sur terre que de scouts chrétiens. Et que le scoutisme abritait une diversité phénoménale. On prenait conscience, une fois sur place, qu'il y avait des scouts du monde entier, unis par le foulard, unis par la chemise, unis par des valeurs communes, comme celles de Baden-Powell. Unis par des citations, des phrases affichées en grand au-dessus de la scène principale. Je me souviens de cette phrase, "Essayez de repartir de ce monde un peu plus beau que vous ne l'avez trouvé en arrivant" ou "Soyez le changement que vous voulez voir advenir pour le monde". Et en même temps, au-delà de cette unité très forte, il y avait une très grande diversité. Beaucoup de religions, beaucoup de cultures. Évidemment des milliers d'origines géographiques. 50 000 scouts qui venaient de 195 pays, de mémoire. Quelque chose de colossal. Ce paradoxe entre l'unité et la diversité m'a beaucoup appris. J'ai découvert très tôt que c'est par le caractère irréductible de nos différences que l'unité devient, elle, indestructible. L'unité ne peut pas s'appuyer sur des ressemblances, parce que les ressemblances ont tendance justement, parfois, à oublier la différence comme quelque chose de coercitif. Et à tort, on considère que la différence est inférieure ou subordonnée à la ressemblance. Je pense que c'est un risque, puisque la différence, les identités singulières reviennent souvent sur le devant de la scène. Si l'on n'apprend pas très tôt à les appréhender comme quelque chose de favorable à l'unité, ça pose problème. Très sincèrement, je dirais, de par mon expérience que c'est justement l'irréductibilité de nos différences qui rend indestructible l'unité.

 

Troisième évènement dans ce cheminement, la participation au train de la mémoire. Vers Auschwitz, en novembre 2008. J'ai participé à une expédition hors du commun. 28 heures de train dans un sens, 28 heures de train dans l'autre. Avec deux amies, une amie juive, une amie musulmane. Avec elles, j'ai eu la chance de lire les noms, en plein milieu du camp d'Auschwitz-Birkenau. Cette lecture à trois voix a aussi changé ma vie. C'était juste trois mois avant la création de Coexister. C'est donc en janvier 2009, trois mois plus tard, au moment de l'Opération Plomb durci que je participe à une manifestation contre l'importation du conflit en France. C'est au sein de cette manifestation que je lance un appel, un peu improvisé. Je propose alors aux jeunes de se joindre à moi pour créer une initiative interreligieuse entre jeunes.

 

 

PdA : À quoi la vie de l'association ressemble-t-elle ? Quelles sont ses activités au quotidien ?

 

S.G. : La vie de l'association au quotidien, c'est du travail ! (Rires) D'abord. Du travail, beaucoup de travail, encore du travail. Il y a beaucoup de projets à organiser. Il ne se passe pas des choses tous les jours mais il y a de gros évènements, plusieurs fois par an. Coexister oriente son action autour de cinq domaines :

- le dialogue interreligieux. Comment est-ce qu'on se parle, comment est-ce qu'on se respecte... ;

- la solidarité interreligieuse. Le fait d'agir ensemble avec des personnes de provenances différentes mais avec une destination commune ;

- la sensibilisation interreligieuse. Éveiller les consciences des lycéens, des collégiens, des étudiants... ;

- la formation interreligieuse. Pour donner des outils concrets, des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être ;

- les voyages interreligieux. Pour mettre dans un même "panier de crabes" des jeunes de différentes religions, ensemble, H24, nuit et jour, et les laisser appréhender, apprendre ce que cela implique.

 

Pour mener de front ces cinq domaines d'actions qui sont réalisés par nos dix groupes locaux aujourd'hui, nous avons une équipe nationale avec 37 jeunes actifs dont 10 qui constituent le comité de direction de l'association. Chaque groupe local est dirigé par un comité de pilotage d'au moins 7 jeunes aidé par un service civique volontaire à plein temps. Au niveau national, nous avons 9 temps partiel et un temps plein qui travaillent. Tous ces jeunes qui travaillent participent à donner du corps au mouvement. Je suis frappé au quotiden par ce travail, toujours dans la bonne humeur, parfois l'humour. Certains observateurs qui viennent nous voir disent qu'ils ont l'impression de voir une start-up, c'est-à-dire le contraste entre beaucoup de sérieux, beaucoup de professionalisme et en même temps beaucoup de déconnade. Il y a du café qui traîne, il y a de quoi manger partout... On est vraiment dans une logique de création et de croissance.

 

 

PdA : Quel bilan établissez-vous de la vie de Coexister depuis sa fondation ?

 

S.G. : Il faut laisser les chiffres parler, quatre ans plus tard. On était 11 au départ, on est 300 maintenant. Il n'y avait qu'un seul groupe, on en a 10. On n'avait réalisé qu'un seul projet, on en a réalisé plus d'une cinquantaine. On a rencontré 7000 jeunes. On en a formé 150. Emmené 75 en voyage. Pratiquement 500 jeunes ont participé à des programmes de dialogue. Le budget de l'association est également révélateur, il est passé de 900 à 30.000€ en trois ans. On a un prévisionnel de 100.000 cette année.

 

Au-delà des chiffres, pour moi, le bilan est très positif. On constate que l'avion décolle et qu'il est loin d'avoir atteint sa vitesse de croisière. Surtout, on a le sentiment de répondre à une vraie demande. Coexister n'a rien provoqué pendant trois ans, rien. On n'a fait que répondre à des demandes, à des besoins. Quand on crée un programme de dialogue, c'est parce que sur place, des jeunes ont envie de se rencontrer. Les opérations de solidarité marquent peut-être l'exception dans le sens où c'est vraiment le seul type de projet que l'on initie nous-même. Les 150 sensibilisations réalisées en deux ans ne sont que des réponses à des sollicitations d'établissements. Nous n'avons jamais fait de pub auprès d'un établissement. C'est toujours eux qui viennent nous chercher parce qu'il y a besoin de sensibiliser les jeunes sur place. Nos formations répondent à une demande en interne. Nos voyages également.

 

 

PdA : Vous vous apprêtez à entreprendre un tour du monde interreligieux (InterFaith Tour) visant à encourager des initiatives d'échange et de coopération entre les grandes fois monothéistes. Parlez-nous de cet ambitieux projet ?

 

S.G. : Il ne s'agit pas tout à fait d'encourager les initiatives d'échange et de coopération entre les grandes fois. C'est plutôt aller rencontrer ce qui existe déjà dans le monde. Nous, on pensait qu'on allait galérer comme des oufs pour chercher des initiatives. En fait, le plus difficile n'a pas été de les chercher mais de les choisir. Il y en a partout. Dans tous les pays, dans tous les continents, il se passe des choses interreligieuses. On sent que notre génération a cette double spécificité d'être à la fois engagée sur le terrain du social, l'action sociale - ce sont des projets qui rassemblent, donc le but n'est pas de s'accorder sur nos fois mais d'accorder nos fois sur la paix. Ça, c'est la première spécificité. La deuxième, c'est que ce sont les jeunes qui se munissent souvent de ce dialogue, sous différentes formes. J'en relève trois, de mes observations internationales :

- les sections jeunes de mouvements internationaux d'adultes, très important. Je voudrais rendre hommage, en particulier, à l'International Council of Christians and Jews (ICCJ), qui est en fait l'Amitié judéo-chrétienne mondiale. Sa section Jeunes, le Young Leadership Council, est très active. Elle rassemble des Juifs et Chrétiens du monde entier, une fois par an, dans une ville. D'ailleurs, cette année, c'est plutôt étonnant, c'est à Aix-en-Provence que ces jeunes se rassemblent. Coexister est heureux et fier d'accueillir le bureau de cette Amitié judéo-chrétienne mondiale des jeunes, une semaine en mars pour les préparatifs. Voilà, pour l'actualité.

- les organisations "umbrella" (parapluie). Elles rassemblent des représentants. Les jeunes ne sont pas là en tant qu'eux-mêmes, ils sont là pour représenter des organisations juives, musulmanes, chrétiennes.

- la typologie Coexister. Des jeunes sont là en tant qu'eux-mêmes, qui ne sont pas une section d'un mouvement plus grand. Là où il y a vraiment une vie associative indépendante et autonome. Sur Terre, on en relève seulement deux. Interfaith Youth Core, à Chicago, fondée et dirigée par Eboo Patel, un Musulman américain très connu. Et Coexister, en France.

 

Le projet va durer 12 mois. Nous partons vers l'est. Nous nous arrêterons un mois dans chacun des pays suivants : Israël-Palestine, Turquie, Inde, Malaisie, États-Unis. Nous ferons des road-trips de deux mois en Europe, un mois en Afrique, un mois en péninsule indochinoise, un mois en Amérique du sud. Nous finirons ce tour, après dix mois de globetrotting, par deux mois de tour de France. Le programme est déjà prêt. Si vous voulez nous inviter chez vous, c'est avec grand plaisir, partout où vous êtes, partout où on nous le demande. Nous allons passer à peu près une demi-journée ou un jour par département en France. Nous ferons tous les départements. Donc, n'hésitez pas à nous prévenir et nous dire que vous êtes intéressé, que vous soyez une collectivité territoriale, une association, une entreprise, un établissement scolaire...

 

 

PdA : Quels sont, d'après vous, les obstacles majeurs à l'harmonie interreligieuse à travers le monde ? Ces troubles trouvent-ils essentiellement leur origine dans une incompréhension de la foi d'autrui, d'ailleurs ? Les religions ne sont-elles pas, souvent, instrumentalisées par quelques excités extrémistes, utilisées à dessein, sans scrupule et sur le terreau de problèmes politiques, économiques, sociaux, identitaires pour imposer leurs idées ?

 

S.G. : La réponse est dans la question : c'est évident que oui. Les problèmes sont souvent liés, dans leur immense majorité, à des problèmes politiques, sociaux, économiques.

 

Les obstacles, on les connaît. J'en relève deux, en fait :

- le premier obstacle regroupe, à mon avis, tous les autres. C'est celui de vouloir imposer son identité à l'autre parce que c'est la bonne, c'est la vérité, le droit chemin... ;

- le deuxième écueil, tout aussi dangereux à mon avis, c'est celui de vouloir se dissoudre dans l'autre. C'est un peu la mode actuelle... On entend beaucoup dire que la différence est un problème... Comme si la ressemblance était plus élevée que tout. Je ne suis pas d'accord avec cette conception. Je pense que la différence a une place noble dans les relations entre les gens. Qu'il faut respecter cette place, justement pour respecter les identités singulières et dépasser cette logique selon laquelle seule la ressemblance rassemblerait. La différence rassemble, il faut qu'on arrête de vivre ensemble "malgré" les différences. Il faut vivre ensemble "grâce" aux différences." La différence est coercitive quand on décide de l'appréhender ainsi.

 

Le terrain politique, économique, social, c'est évident. On fait toujours ce rapprochement entre la carte de la liberté religieuse sur Terre. On voit une coïncidence entre les zones rouges de l'absence de liberté religieuse qui correspondent aux zones vertes, où l'Islam est le plus dense. Le problème, c'est que cette carte coïncide avec une autre carte, qui est la véritable cause du problème. Celui-ci n'a rien à voir avec l'Islam. Cette carte coïncide avec le taux d'éducation. Les zones rouges de la carte des libertés religieuses correspondent à celles du manque d'éducation. D'ailleurs, certains pays hautement musulmans, pour ne pas dire les premiers pays musulmans - un Musulman sur deux est asiatique - sont des pays où la liberté religieuse est totalement respectée. Mais le niveau d'éducation y est plus haut. Je pense notamment à l'Indonésie. Voilà, tout simplement, l'explication est là.

 

 

PdA : Quelles sont les petites et les grandes actions qui, d'après vous, devraient être entreprises par les différents acteurs concernés pour apaiser les tensions interreligieuses ?

 

S.G. : D'abord se connaître. Se dire bonjour. On a tous des voisins de différentes religions maintenant, un peu partout sur Terre. Il faut leur parler. Il faut les inviter à boire le thé. Je voudrais saluer cette initiative incroyable des Musulmans de Norvège. Ils ont invité l'ensemble de leurs concitoyens, un jour. Chacun, chaque famille musulmane a ouvert les portes de son domicile pour inviter les familles norvégiennes à boire le thé. Je pense que c'est ce genre d'initiatives qui favorisent incroyabement la paix entre les individus. Il faut commencer par là, et ensuite, pourquoi pas, aller plus loin. Mais d'abord, se parler, ça, c'est une initiative de taille abordable.

 

 

PdA : Les dialogues œcuméniques et interreligieux ont été largement encouragés à l'occasion du Concile Vatican II, à partir duquel les messes en langue locale ont supplanté celles, traditionnelles, en latin. Sur d'autres sujets tels le contrôle des naissances, Paul VI et la curie ont choisi le statu quo. Cinquante ans après, quel est l'héritage de Vatican II ?

 

S.G. : Oulà, là, on touche à un autre domaine ! Je ne suis pas sûr d'être habilité à m'exprimer sur la question. Je voudrais juste citer ce passage du Concile Vatican II, que je trouve incroyable... Sur les différentes religions, l'Église rappelle qu'elle exhorte les croyants à faire grandir, mûrir les valeurs spirituelles, morales, sociales, culturelles qui se trouvent chez les croyants d'une autre religion. C'est quelque chose de très fort. L'Église ne se contente pas de dire, "Vivez ensemble parce que c'est important", elle dit aux Chrétiens, "Permettez aux autres religions de s'exprimer, de grandir en humanité". Et ça c'est très fort.

 

J'ai 100 000 raisons d'espérer pour l'Église de demain, et même l'Église d'aujourd'hui. Je ne suis pas sûr d'avoir envie de parler de "statu quo", de problèmes quelconques... Il y a des difficultés, comme partout. Je ne suis pas sûr que ce soit forcément lié à la question de l'interreligieux... Moi, j'applaudis l'Église à deux mains pour le travail incroyable qu'elle fait sur l'interreligieux. En particulier Monseigneur (Jean-Louis) Tauran, qui dirige le Conseil pontifical pour les Relations interreligieuses.

 

  

PdA : Récemment, Rome a décidé de réintégrer au sein de l'Église les prêtres de la Fraternité Saint-Pie-X (les lefebvristes), dont l'un des membres, M. Williamson avait tenu des propos assez difficilement compatibles avec l'esprit de réconciliation de Vatican II. D'autre part, Benoît XVI a libéralisé, de nouveau, la messe en latin. Franchement, au vu de votre combat, quel est votre sentiment face à ces gages apportés sans concession aux mouvement les plus réactionnaires de l'Église catholique ?

 

S.G. : Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation. Je ne crois pas que Benoît XVI ait donné de gages aux mouvements les plus réactionnaires de l'Église. Ou en tout cas, il en a donné autant aux autres. J'ai été invité et reçu très tôt par Monseigneur Tauran à la Curie romaine pour soutenir l'engagement de Coexister. Le Saint Père nous a fait l'honneur de nous inviter aux rencontres d'Assise, en novembre 2011.

 

Je crois que Benoît XVI est un pape formidable, qui travaille à l'unité des Chrétiens. Non sans peine. Il a beaucoup de difficulté à communiquer et à gouverner. Ce ne sont pas ses atouts. C'est d'abord un intellectuel, un homme de grande envergure avec un esprit profond et large. Je pense qu'on ne peut pas lui demander ce qu'il ne sait pas faire. Je trouve qu'il fait un travail extraordinaire sur le rapprochement avec les autres religions et l'ouverture de l'Église. Il prépare l'Église de demain. Je crois qu'il rend un grand service à ses successeurs, qui n'auront pas à faire le sale travail qu'il a fait.

 

Maintenant, effectivement, il y a des choses sur lesquelles il faut des garde-fous. Je trouve très positif que Benoît XVI ait refusé au final la réintégration de la Fraternité Saint-Pie-X. Ceux-ci se refusaient en effet à reconnaître le Concile Vatican II. L'argument est clair : le Concile est donc le point de rassemblement de tous les Catholiques du monde. En dehors de Vatican II, pas d'Église.

 

 

PdA : Un point d'unanimité entre les différentes religions : le rejet du mariage pour tous, et de ce qui va avec. Mon idée n'est pas de vous inviter à un énième débat sur le sujet. J'aimerais par contre vous faire réagir à propos d'une déclaration faite par Frédéric Gal, directeur général du Refuge, lors de notre interview. "Le fait religieux est (...) extrêmement présent avec une référence régulière à l'homosexualité comme un véritable péché impardonnable". Évidemment, l'Église ne va pas, demain, célébrer de mariage homosexuel, c'est compréhensible, personne ne le lui demande, d'ailleurs. Mais ce sentiment que peuvent avoir certains homosexuels, parfois croyants, d'être rejetés, voire stigmatisés pour un amour, un mode de vie qu'ils n'ont pas choisis, ça vous inspire quoi ?

 

S.G. : Je ne suis, là encore, pas sûr d'être compétent sur le sujet. Pour rebondir, je voudrais souligner et applaudir le Conseil pontifical de la Famille qui vient de lancer un ultimatum aux grands pays du monde qui n'ont pas encore dépénalisé l'homosexualité.

 

 

PdA : Nous parlions de Vatican II tout à l'heure. Le mot d'ordre du pape de Jean XXIII à l'époque : "Aggiornamento". Mise à jour. Quelles mesures un Aggionamento des années 2010-2020 devrait-il comprendre, à votre avis ? Encore une fois, que l'Église refuse le mariage religieux de deux hommes ou de deux femmes, cela se conçoit. Quid, en revanche, de l'adoption d'une position de neutralité, sinon de bénédiction de la contraception dans un monde toujours rongé par le Sida (pour, in fine, préserver la vie, si chère à l'Église). Quid de l'ordination de femmes à la prêtrise ? Quid de la fin du célibat imposé pour les prêtres ? En un mot comme en cent : quel Vatican III appeleriez-vous de vos voeux ?

 

S.G. : Aucun ! D'abord, Vatican II n'est pas qu'un Aggiornamento. Il l'a été dans les voeux de Jean XXIII, mais l'a-t-il été réellement ? Pour moi, Vatican II, c'est d'abord une continuité de l'Église après 2000 ans d'histoire. Le Concile vient puiser à la source des pères de l'Église, à la source des Apôtres. Il en fait ressortir toute la splendeur pour le 21è siècle. L'Église prend conscience avec Vatican II que Dieu n'est pas seul à rentrer dans l'Histoire. Elle le fait elle-même. Elle n'est pas immuable, elle n'est pas absolue. Elle n'est pas éternelle. Elle est relative, construite par les individus. Et en même temps, elle a cette double identité d'être l'Église du Ciel et le corps du Christ.

 

L'Église a certainement beaucoup de progrès à faire, puisque l'Église est humaine. Ce sont en tout cas les hommes qui la composent qui ont des progrès à faire et doivent marcher vers la sainteté. Ces progrès passent-ils par des questions aussi simples que celles de l'ordination des femmes, du mariage des prêtres... peut-être ! Peut-être pas. Je ne suis pas sûr que ce soit la priorité aujourd'hui.

 

Si l'on devait réfléchir, pour moi, à des mesures pour les années 2010-2020, ce serait d'abord d'approfondir tous les textes, tout l'esprit du Concile Vatican II. Il faudrait aller plus loin dans l'ensemble des chantiers entrepris après le Concile. J'en vois douze, d'après le travail que j'ai accompli dans le cadre de l'association Youcoun (Vatican II pour les jeunes, ndlr). Douze grands chantiers sur lesquels les Chrétiens et l'Église peuvent encore travailler pour les dix années à venir.

- la lecture régulière de la parole de Dieu et sa compréhension ;

- la formation à la célébration liturgique ;

- l'engagement dans la vie de l'Église, qui va également avec l'amour pour l'Église ;

- l'engagement pour l'unité des Chrétiens, avec Taizé ;

- des espaces de discernement pour les vocations, et peut-être adapter de nouvelles vocations... comprendre qu'il y ait d'autres vocations que celles que l'on connaît déjà ;

- former les Chrétiens à leurs responsabilités de croyants ;

- former les Chrétiens à leurs responsabilités de citoyens, c'est l'engagement politique ;

- former ces derniers, chantier évidemment très important, à leurs responsabilités de citoyens s'agissant cette fois de la solidarité et du service du Pauvre ;

- la dignité de l'être humain, sur laquelle l'Église a ouvert un chantier phénoménal d'anthropologie au nom du Concile et dans lequel il y a encore tant à faire ;

- la Mission, qui prend un jour neuf et dynamique avec la nouvelle évangélisation ;

- l'usage des médias et des réseaux sociaux ;

- l'interreligieux, douzième chantier, pour moi.

 

Effectivement, si ces douze chantiers, avec leurs chantiers parallèles (l'engagement des laïcs, etc...) sont approfondis, je pense que l'Église a encore de belles heures et de beaux siècles devant elle.

 

 

PdA : Êtes-vous optimiste quant à un futur où les différences de religions ne seraient plus un motif de conflits, de souffrances, de malheur, mais peut-être, finalement, de richesse culturelle ?

 

S.G. : Bien sûr que je suis optimiste ! J'en suis même convaincu. La question, c'est "Quand ?". Demain. À la fin du mois. L'année prochaine. Dans un siècle. (Rires) J'espère voir un petit bout de ce monde où les religions s'apportent les unes aux autres avant de mourir.

 

 

PdA : En cette période de voeux, que peut-on vous souhaiter pour 2013 et pour la suite, cher Samuel Grzybowski ?

 

S.G. : D'entendre l'appel. Le bon.

 

 

PdA : Quel message souhaiteriez-vous adresser à nos lecteurs ?

 

S.G. : Cessez la coexistence passive pour passer en mode "coexistence active".

 

 

PdA : Souhaiteriez-vous en adresser un à quelqu'un, à un groupe en particulier ?

 

S.G. : Oui. Je voudrais souhaiter des voeux sincères, amicaux, et surtout d'estime à tous mes amis qui travaillent dans Coexister, ces 300 jeunes militants dans toute la France. Ils font un travail extraordinaire. Ils portent aujourd'hui les valeurs de la coexistence active et ils en défendent le message. Un message neuf, un message extrêmement dynamique. Je pense qu'ils portent une très grande vitalité, que nous espérons défendre encore pendant longtemps longtemps. Merci beaucoup !

 

 

 

Merci à vous, Samuel Grzybowski, pour vos réponses enthousiastes et passionnées. Et bravo pour votre engagement au service d'un monde un peu plus fraternel. Longue vie à Coexister ! Phil Defer

 

 

 

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Commentaires
O
Merci Samuel de partager et surtout de faire vivre, une autre vision de notre monde que celle éprise de haine et que les actualités tentent, jour après jour, de présenter comme fataliste. Merci pour ce vent d'espoir.
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G
Cette interview très optimiste ne fait qu'accroître mon désir de m'investir toujours plus pour qu'on grandisse dans un monde où les différences seraient une force!!!!!!! GOOOO
Répondre
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