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Paroles d'Actu
25 janvier 2019

François Delpla : « Pétain fut longtemps la dupe d'un Hitler qu'il n'a jamais vraiment su cerner »

L’historien François Delpla travaille sans relâche, depuis une trentaine d’années, sur la Seconde Guerre mondiale et le pouvoir nazi. Il compte aujourd’hui parmi les grands spécialistes français de l’époque, qui estime-t-il demeure très méconnue, y compris des historiens, parce qu’entachée de nombreuses zones d’ombre que la recherche seule pourra, peut-être, lever un jour. Auteur de plusieurs ouvrages sur le conflit et ses perpétrateurs en chef, il vient de s’attaquer, avec son dernier opus en date Hitler et Pétain (Nouveau Monde, 2018), à un sujet des plus explosifs : les coulisses de la collaboration française avec l’occupant, soit à peu près la page la plus touchy de notre histoire récente.

M. Delpla se base sur tout ce qui a été fait antérieurement, par lui et par d’autres, et sur des éléments nouveaux, pour analyser les rapports de force et les responsabilités de chacun, à Vichy et ailleurs. Sa thèse, à chaque fois étayée, par des faits solides comme par des hypothèses, s’éloigne à la fois de celles d’un Robert Paxton ou d’un Éric Zemmour : il considère que Paxton a surestimé les marges de manoeuvre de Pétain et sous-estimé le poids du joug allemand sur l’ « État français » du vieux maréchal ; il ne prête guère foi non plus à la thèse de l’inévitabilité de l’armistice, dont il lit les effets pervers, et estime que la thèse du « bouclier » et de l« épée », chère à Zemmour comme à bien d’autres avant lui, est inopérante (parce qu’elle supposerait un pouvoir que l’auteur ne prête pas à Pétain).

En somme, pour François Delpla, tout, s’agissant des grandes décisions imputées au gouvernement de la zone dit « libre », s’est fait sous contrôle étroit de l’appareil nazi, lui-même clairement aux mains de son décidément habile Führer. Vichy, un État fantoche, responsable de rien ou presque ? Puisse cet ouvrage, passionnant et dont je vous recommande chaleureusement la lecture, être versé parmi les pièces des débats futurs, qu’on espère moins hystérisés mais davantage éclairés, pour appréhender l’histoire de la seule manière qui tienne : avec intelligence et sérénité. Une interview exclusive (20-21 janvier) Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Hitler et Pétain

Hitler et Pétain, Nouveau Monde, novembre 2018.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

François Delpla : « Pétain fut longtemps

la dupe d’un Hitler qu’il n’a jamais

vraiment su cerner »

 

François Delpla bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions autour de votre nouvel ouvrage, Hitler et Pétain, paru aux éditions Nouveau Monde en novembre 2018. Pourquoi ce choix ?

pourquoi "Hitler et Pétain" ?

Ce livre est une sorte de clé de voûte, au point de rencontre de mes études sur le nazisme (dont la seule bio française de Hitler en 1999 et une synthèse sur le Troisième Reich en 2014) et de mes ouvrages sur la défaite française de 1940 et ses conséquences (notamment le Montoire de 1996, le 18 Juin de 2000 et le Mandel de 2008). Autant d’études utiles pour tenter de cerner la part du chef nazi dans les décisions du maréchal que la défaite avait porté à la tête de la France.

 

Les lacunes de l’historiographie et autres zones d’ombre sont-elles encore nombreuses quant à cette période ?

lacunes de l’historiographie

Les lacunes ? Elles béent ! Et la plupart des études bêlent, du moins sur l’essentiel. Je veux dire qu’au-dessus d’analyses de détail souvent novatrices et pertinentes, elles répètent quelques slogans moutonniers en lieu et place d’une logique cohérente. Et malheureusement, si on le fait remarquer aux auteurs, il leur reste la ressource de répliquer que l’histoire n’est pas toujours logique. C’est assez vrai en général, mais incongru s’agissant de toute histoire où Hitler joue un rôle prépondérant.

 

« Les lacunes ? Elles béent ! »

 

Hitler, à partir de la Grande Guerre, témoignait volontiers du respect pour Pétain. Comment le chancelier du Reich a-t-il reçu la nomination de Pétain à la tête du gouvernement français, le 17 juin 1940 ?

Hitler, du respect pour Pétain ?

Le respect, Hitler n’en a que pour ses lubies et son programme, tout le reste n’est qu’instrument ou matériau. Le 17 juin 1940, on ignore sa réaction à la nomination de Pétain. En revanche, sa joie à l’annonce de la demande d’armistice est notoire. Il faut dire que, comme tout le monde (c’est le cas de le dire), il n’envisage pas que l’Angleterre puisse continuer seule la lutte. Une période de paix s’ouvre donc, pendant laquelle un octogénaire ne saurait s’incruster à la tête de la France.

 

Sa nomination a-t-elle pu être de nature à pousser Hitler à une plus grande clémence dans ses conditions d’armistice ?

vers un armistice...

Les conditions d’armistice, élaborées entre le 17 et le 21 juin, sont calculées avant tout pour pousser l’Angleterre à se résigner : l’armistice enchaîne la France au char allemand, le fait de lui substituer une paix générale permettrait à Londres de reprendre des relations avec Paris, sur tous les plans, et éloignerait les canons allemands des falaises de Douvres.

 

Que sait-on de la manière dont Pétain a observé, dès le début des années 30, la prise de pouvoir par Hitler et sa clique nazie, puis l’affirmation de plus en plus forte de leurs ambitions, au-dedans comme au-dehors, jusqu’en 1939 ?

Pétain et la montée du péril nazi

Pas grand-chose. Rien n’indique qu’il distingue le traditionnel « danger allemand » d’un danger nazi spécifique, ni qu’il ait fait le moindre effort pour analyser ce dernier. 

Certes, comme on le sait depuis peu, il réagit vigoureusement aux brusques atrocités de la nuit de Cristal (9-10 novembre 1938). Mais il est douteux qu’il mesure la place, dans la politique allemande de l’heure, d’un antisémitisme obsessionnel et exterminateur. Il est au contraire probable que ce ne soit pour lui qu’un signe de plus d’une « barbarie » intemporelle, et que l’événement ne l’aide pas à voir en Hitler autre chose qu’un excité brouillon.

 

« Pétain n’a probablement pas vu en Hitler

bien davantage que l’image de l"excité brouillon". »

 

Quelle lecture faites-vous de la déroute de 1940, pour ce qui concerne les responsabilités françaises ? Pétain, qui a assumé diverses fonctions, notamment en matière de planification militaire, durant les années 30, est-il vraiment « tout blanc » en cette affaire des plus traumatisantes ?

Pétain et la défaite de 1940

J’ai peu de goût pour la querelle « franco-française » où l’on sanctifie le courage, devant les juges de Riom, de Blum et de Daladier défendant crânement leur politique de réarmement de 1936-1939, tout en mettant en accusation le maréchal devenu chef de l’État français pour sa gestion du ministère de la Guerre en 1934. De fait, Pétain s’était alors docilement coulé dans les restrictions budgétaires du gouvernement Doumergue. Mais ni les uns ni les autres ne regardaient en face cette évidence : l’Allemagne réarmait à toute vapeur sous la conduite d’un dictateur talentueux dont la France était, chronologiquement, la cible première.

 

Dans vos précédents ouvrages, vous avez affirmé plusieurs fois la thèse suivante : ne nous trompons pas, Hitler est bien à la tête et au cœur du dispositif décisionnel nazi. Dans le livre qui nous intéresse aujourd’hui, vous insistez sur la force du joug et de l’influence allemands sur la France, y compris en zone « libre ». Et vous remettez en cause l’approche de Robert Paxton, estimant, pour schématiser, qu’il a surestimé la liberté d’action du gouvernement établi à Vichy. Concrètement, par quels moyens d’action, visibles ou plus discrets, l’Allemagne nazie a-t-elle pesé sur la France administrée par l’ « État français » de Pétain ?

Paxton et la « zone libre »

Vous dirigez la troisième puissance du monde (après l’Angleterre et les États-Unis) et occupez militairement la quatrième pendant quatre ans, dans un conflit mondial qui tourne de plus en plus mal pour vous… à commencer par l’irritante et angoissante poursuite de la guerre par l’Angleterre malgré la chute du bastion français. De surcroît vous êtes un dictateur, et devez dompter un peuple profondément républicain. Et vous allez, comme ose l’écrire Paxton, vous désintéresser de sa politique intérieure pendant « au moins deux ans » ?

Vous avez raison de mettre des guillemets à la zone « libre ». L’adjectif ne peut s’appliquer décemment qu’à la France libre dirigée par de Gaulle, même si Hitler lui porte quelques coups douloureux. Par exemple en induisant la vigoureuse réaction vichyssoise à sa tentative de s’installer à Dakar, le 24 septembre 1940.

 

« Qui peut croire sérieusement, comme l’a écrit

Paxton, que Hitler se soit désintéressé

de la politique intérieure française

pendant "au moins deux ans" ? »

 

Quels sont les hommes de Hitler ayant eu une influence décisive sur la France non-occupée ? On pense notamment à l’ambassadeur d’Allemagne Abetz, qui d’autre ?

les hommes du Führer

Avant tout Werner Best, le troisième homme dans l’organigramme des SS et le co-fondateur du SD avec Heydrich, qui passe pour brouillé avec ce dernier et laisse croire qu’il est nommé à Paris, le 1er août 1940, par l’effet d’une disgrâce. Il a effectivement, dans l’organigramme du commandement militaire, deux gradés au-dessus de lui, mais il les domine de la tête et des épaules, notamment sur le plan de la politique antisémite.

Je mets également en lumière le rôle de Rudolf Rahn, un diplomate orfèvre qui est théoriquement le n° 3 de l’ambassade, derrière Abetz et Schleier. Et celui de Charles Bedaux, alors un célèbre milliardaire né français et naturalisé américain, qui effectue au moins, de la part de Hitler, une mission des plus délicates pour contrôler le général Weygand en décembre 1940, dans les remous induits par le renvoi de Laval. Je cerne aussi, par exemple, le rôle du juriste Friedrich Grimm dans l’arrêt, en douceur, du procès de Riom en mars-avril 1942, celui de Göring dans le retour au pouvoir de Laval, etc. Avec, dans chaque cas, des preuves documentaires de l’implication de Hitler… par ailleurs indubitable d’un point de vue organisationnel, tant ces manœuvres sont délicates et requièrent un pilote unique.

 

Vous expliquez très bien que, contrairement à tout ce qui se trouvait à l’est du Reich, Hitler ne souhaitait pas tant asservir la France que la diminuer, pour qu’elle ne puisse plus jamais prétendre à la domination du continent européen. Et indiquez même que, souhaitant atteindre un rapprochement favorable avec le Royaume-Uni, le dictateur aurait été prêt, pour acte de bonne volonté, à renoncer à l’Alsace-Lorraine. Dans les faits, a-t-il jamais traité la France comme un partenaire plutôt que comme un État-client ?

la France dans l’Europe hitlérienne

Il la traite avant tout comme un ennemi à sa merci et à la manière d’un dompteur : le fouet n’est jamais loin mais on s’en sert le moins possible… ce qui présente, entre autres avantages, celui de permettre à Pétain de se peindre ou d’être peint en sauveur, jusque dans les proses d’un Eric Zemmour en 2018 !

Dompter, c’est aussi flatter. Hitler sait laisser à la France des satisfactions mineures, qui ne touchent pas à l’essentiel, par exemple en matière de littérature (Sartre ou Camus, insoupçonnables de sympathies nazies, sont publiés librement à l’égal de Céline ou de Chardonne) ou de mode vestimentaire féminine (Goebbels est bridé dans son souhait initial que Berlin éclipse Paris).

L’Angleterre ? Oui, Hitler espère jusqu’au bout s’attirer ses bonnes grâces en l’amenant à éliminer Churchill. C’est l’une des raisons de sa relative mansuétude envers la France.

 

« Hitler espère jusqu’au bout s’attirer les bonnes

grâces de l’Angleterre en l’amenant à éliminer

Churchill. C’est l’une des raisons de sa relative

mansuétude envers la France. »

 

J’avais avant lecture de votre livre, quelques idées reçues : un Pétain réactionnaire à l’intérieur (plutôt d’ailleurs pour la vie des autres que pour la sienne) et collaborateur plus résigné qu’enthousiaste, un Pierre Laval pour lequel ce serait plutôt le contraire (homme venu de la gauche, prêt à des compromissions déshonorantes au nom d’un pacifisme acharné), et un Darlan voulant conserver une fenêtre ouverte avec Washington. Dans quelle mesure votre travail d’historien confirme-t-il ces schémas ?

Pétain, Laval, Darlan

Pétain est en perpétuelle recherche du meilleur compromis possible avec l’occupant ; c’est certainement, des trois, celui qui fait le plus abstraction de ses idées personnelles. Darlan a une dent contre les Anglais et dans le monde anglo-saxon c’est plutôt, effectivement, vers l’élément américain qu’il se tourne. Laval, le seul des trois qui soit un politicien de métier, retrouve un certain nombre de ses marques républicaines après l’année 1940, au cours de laquelle il avait déployé des efforts de nazification censés lui attirer les bonnes grâces de l’occupant. Mais tous trois sont avant tout satellisés par un Hitler soucieux de violer la France avec son consentement.

 

Dans le même ordre d’idées, considérez-vous que Pétain, Laval et les autres ont violé par leurs actes ultérieurs, et par la manière même dont ils l’ont sollicité, le mandat qui leur fut accordé par les parlementaires de la Troisième République, le 10 juillet 1940 ? Thèse qui seule puisse garantir, en plus de sa légitimité politique qui ne fait aucun doute, un fondement légal à l’annulation, à la Libération, de l’acte constitutionnel établissant le régime dit « de Vichy » ?

10 juillet 1940 : la république violée ?

Ce mandat lui-même est un mythe, nazi de surcroît ! L’assemblée nationale siégeant à Vichy est déjà une mascarade dictatoriale, permise sinon imposée par l’ennemi. L’exécutif écrase le législatif, en omettant de convoquer les opposants potentiels les plus virulents (les passagers du Massilia), souvent juifs qui plus est (Mandel, Zay, Mendès France, Lazurick…), et en imposant la teneur et le rythme des débats, ce qui tranche par rapport aux moeurs de la Troisième ! Du reste le mandat principal, celui de rédiger une constitution, n’est pas rempli parce que l’occupant y met violemment obstacle, le 13 novembre 1943, et que Pétain s’incline.

 

« Le mandat principal, celui de rédiger une

constitution, n’est pas rempli parce que l’occupant

y met violemment obstacle, le 13 novembre 1943,

et que Pétain s’incline. »

 

Vous laissez entendre dans votre livre, élément pouvant surprendre, que Hitler se serait fort bien accommodé d’une continuation (certes « épurée ») de la république en France non-occupée : misant en ce cas sur une division accrue du pays, il n’aurait eu que davantage de jeu pour la « tenir en laisse ». N’y a-t-il eu aucune exigence nazie quant à la forme, et à l’exercice du nouvel État français ?

Hitler et la forme de l’État français

Aucune. Cependant, il y a, comme toujours, des suggestions et des manipulations. À certains moments et par certaines bouches, l’occupant semble souhaiter un renversement de la République. Mais au lendemain, et même à la veille, du vote du 10 juillet 1940, la propagande de Goebbels se gausse des Français qui «  jouent au fascisme  » et déclare que le Reich n’est pas dupe ! La division du pays, empêchant toute réaction unitaire aux menées allemandes, est bien le maître mot de la politique d’occupation.

 

Quels autres noms, certainement moins connus, faut-il retenir parmi ceux qui gravitaient autour de l’État français de Pétain, pour mieux appréhender l’époque dans toute sa complexité ?

les hommes de Vichy

Essentiellement Pierre Pucheu qui, pendant ses neuf mois au ministère de l’Intérieur, développe une politique personnelle qui aurait pu être fructueuse… si Hitler n’avait pas été Hitler : redoubler d’anticommunisme tandis que le Reich piétine en Russie, pour l’amener à penser qu’il pourrait confier à la France le créneau de sa défense occidentale. Le livre de Gilles Antonowicz, le premier qui étudie de près le personnage, manque complètement cet aspect des choses.

J’aborde de façon nouvelle le cas Weygand, sur lequel règne encore de manière écrasante un tabou : ce général se distingue certes, dans le haut personnel vichyssois, par son tropisme anti-allemand… sauf le premier mois, pendant lequel il est aussi résigné, et aussi pessimiste sur les chances d’une victoire anglaise, que Pétain, Laval ou Darlan. Le livre récent de Max Schiavon, Weygand l’intransigeant, est, comme l’indique son titre, aveugle sur ce point.

J’éclaire aussi, notamment grâce à ses archives personnelles, le rôle d’Henry du Moulin de Labarthète, chef du cabinet civil de Pétain pendant les deux premières années et adversaire assez conséquent des tentatives de collaboration de Darlan à la fin de son ministère, d’où sa disgrâce exigée par Berlin.

 

Comment qualifier la politique étrangère chapeautée par le maréchal Pétain durant son temps d’influence effective à la tête de l’État français ?

les affaires étrangères de Pétain

Il mange à tous les râteliers mais… surtout à l’allemand, et constamment sous le contrôle de Hitler. D’autre part, il essaye de profiter des difficultés croissantes du Reich (les différentes versions, de plus en plus républicaines, de sa constitution en témoignent) mais le Führer anticipe ses manœuvres, ou y réagit promptement.

Il était tout disposé à s’allier avec le Reich, notamment au moment de Montoire (octobre 1940) et des protocoles de Paris (mai-juin 1941), et encore en janvier 1942.

 

« À plusieurs moments (octobre 1940, mai-juin 1941

ou encore janvier 1942), Pétain fut disposé

à s’allier avec le Reich. »

 

Quelles sont les décisions ignominieuses qui ont été prises « en liberté » par le régime installé à Vichy ?

liberté d’(ex)action

Il me semble impossible de répondre. Berlin investit et gouverne Vichy d’une manière très serrée, sur laquelle il reste sans doute beaucoup à découvrir. Le jeu de Hitler consiste à obtenir que Pétain se discrédite (pour pouvoir cuisiner la France à sa sauce sans devoir composer avec un chef prestigieux) tout en lui conservant un minimum d’autorité : un savant dosage est indispensable, qui suppose un contrôle de tous les instants.

 

Est-ce que, sur le plan de la classification politique, vous positionneriez le régime dit de Vichy comme un régime fasciste, ou bien comme un régime autoritaire plus classique, de type paternaliste ?

quel régime à Vichy ?

Pour des raisons déjà dites, je ne vois pas là un régime. De Gaulle avait à mon avis raison de parler (dès la fameuse affiche intitulée « La France a perdu une bataille… ») de « gouvernants de rencontre » et de rappeler une formule de Napoléon : « Un général tombé au pouvoir de l’ennemi n’a plus le droit de donner des ordres ».

 

Pétain a-t-il réellement songé à rejoindre la France libre en Afrique, et si oui qu’est-ce que cela aurait changé selon vous ?

Pétain avec la France libre ?

Oui. Tout ! Du moins la première fois, que j’ai découverte en 2008 et racontée dans le livre sur Mandel. Ce prisonnier, Paul Reynaud et d’autres hommes politiques de la Troisième, internés par Pétain pendant sa danse du ventre initiale de l’été 40, sont brusquement mis en route vers Alger le 31 décembre 1940. L’équipée avorte à mi-parcours et s’achève à Vals-les-Bains. Ce signe et d’autres montrent que la décision de départ était prise, à l’invitation de Churchill, dans la foulée du renvoi de Laval et de la crise consécutive des rapports vichysso-germaniques. Si Darlan, Chevalier et quelques autres ministres n’avaient pas mené auprès du maréchal une contre-attaque vigoureuse et victorieuse, Hitler était fini, et le nazisme plus encore : obligé de poursuivre les fugitifs, il se serait enlisé à l’ouest, aurait mortellement fâché les États-Unis, recréant la situation de 1917, et aurait dû dire adieu à l’opération Barbarossa, fruit de son racisme et pilier de son programme.

Une deuxième velléité se produit en novembre 1942, au lendemain de l’invasion alliée en Afrique française du nord (AFN). Si Pétain s’était alors envolé vers Alger, les conséquences auraient surtout été « franco-françaises », de Gaulle ayant plus de mal à s’imposer à la Libération. Pour continuer à dominer et à pressurer la métropole, Hitler n’aurait pas pu se conduire beaucoup plus brutalement qu’il ne l’a fait, Pétain étant présent ; il aurait sans doute passé des compromis avec Laval… ou avec n’importe qui. Mais il était bien plus confortable pour lui de garder Pétain… et il a tout fait pour cela, y compris en agitant la menace de tout casser s’il s’en allait (la menace, récurrente pendant toute l’Occupation, d’une « polonisation » menée par un « gauleiter »).

 

« À la fin du mois de décembre 1940, Pétain a failli

rejoindre Alger. Ce qui aurait largement

compromis les plans de guerre de Hitler. »

 

Pétain a-t-il sincèrement été indisposé par certaines des pires exactions de ses « ultras » - la Milice par exemple ?

Pétain et ses « ultras »

Il s’offre le luxe d’appeler un jour Darquier de Pellepoix, bourreau de Juifs nommé par lui-même, « Monsieur le tortionnaire ». Cela s’appelle prendre ses distances sans les prendre. Il en va de même de la lettre à Laval stigmatisant les crimes de la Milice, le 6 août 1944. Il est peut-être sincèrement indigné mais il a couvert ces exactions, et ne les désavoue que dans le cadre d’un calcul politique (favoriser une transition avec le gouvernement que les États-Unis sont sans doute sur le point d’installer).

 

Après la guerre, les défenseurs de Pétain ont porté cette idée qu’il aurait agi, sinon de concert, en tout cas en une logique commune avec celle de De Gaulle. Cette théorie du « bouclier » et de l’ « épée », reprise récemment par Éric Zemmour,  a-t-elle quelque base solide ?

le « bouclier » et l’ « épée »

Zemmour, après bien d’autres, s’appuie sur l’idée que l’armistice de juin 1940 était inévitable et la poursuite de la guerre à partir des colonies, chimérique. Et sur ce corollaire : l’armistice arrêtait Hitler, sauvait les meubles, permettait la reprise ultérieure du combat. En réalité, il offrait à Hitler un contrôle sur des zones, en particulier coloniales, qu’il n’aurait pu dominer sans renoncer à lui-même, à sa cour au Royaume-Uni et à ses ravages en pays slaves. Surtout, à très court terme, l’armistice franco-allemand mine un peu plus la position de Churchill et son option d’une continuation de la guerre quoi qu’il en coûte. Les « raisonnables » du genre de Halifax, après une courte défaite fin mai, au moment de Dunkerque, relèvent la tête, contactent l’Allemagne, ou tentent de le faire, via la Suède et l’Espagne et conspirent contre Churchill, qui ne retrouvera un peu de confort qu’après la tuerie de Mers-el Kébir et, surtout, après le discours par lequel il la justifie le lendemain. Un massacre dû d’ailleurs non à lui-même mais à une exécution hésitante de ses ordres par l’amiral Somerville.

À l’occasion d’un récent séjour en Suède, j’ai eu l’idée du dernier paragraphe du livre : une comparaison terme à terme entre la situation de ce pays et de celle de la France, le 18 juin 1940. En même temps que Pétain fonce vers l’armistice, le premier ministre socialiste Per Albin Hansson et son ministre des Affaires étrangères conservateur Christian Günther accordent à Hitler, sous la menace d’une invasion, un droit de transit vers la Norvège, qu’ils lui refusaient depuis avril et qui va mettre le trafic allemand à l’abri des coups de la flotte anglaise. Les démarches de Pétain et de Hansson regorgent de points communs, dont le plus important est qu’elles portent simultanément un coup au moral du Royaume-Uni, augmentant les chances qu’il se résigne devant le triomphe allemand. En d’autres termes, que Churchill soit promptement renversé par les « raisonnables » précités.

 

« N’en déplaise à M. Zemmour, l’armistice, plutôt que

de sauver les meubles, a offert à Hitler un contrôle

sur des zones (en particulier coloniales) qu’il n’aurait

pu dominer lui-même, et surtout miné, à court

terme, les positions déjà fragiles de Churchill. »

 

Quelle image vous faites-vous du Pétain des années 1940-45 après cette étude ? A-t-il sacrifié honneur et réputation pour gérer au mieux, de bonne foi, une situation exceptionnellement dégradée, ou bien s’est-il prêté sciemment à un coup d’État revanchard ?

Pétain 1940-45, quel bilan ?

Rappelons que l’accusation, lors de son procès, a finalement renoncé au grief de complot contre la République. Mais rappelons aussi que la justice n’est pas l’histoire : une telle renonciation procède d’une insuffisance de preuves, hic et nunc, devant le tribunal, et non d’une impossibilité définitive de prouver. En fait, les options de politique intérieure et de politique extérieure se mêlent étroitement, pendant le mois qui sépare la percée de Sedan du choix de l’armistice. Pétain, qui a toujours sur le coeur la victoire du Front populaire en 1936 et les mouvements sociaux consécutifs, en vient à réprouver le régime lui-même. Il n’a pas adhéré, en 1937, à la conspiration putschiste de la Cagoule… mais ne l’a pas dénoncée à Daladier, son ministre. Tout cela dépeint une atmosphère et suggère des tentations. Et l’anticommunisme est, pendant toute la période, un solide point commun entre pétainisme et nazisme.

L’habileté de Hitler, si longtemps méconnue, est à la fois disculpante et accablante. Elle était (et reste) difficile à percevoir, mais comme toutes ses dupes, Pétain s’est cru, au moins pendant un temps, le plus malin et c’était faux, malheureusement pour lui et pour son pays. Il disait volontiers qu’il fallait être réaliste et ne pas jouer les chances de la France sur un coup de dés… mais c’est exactement ce qu’il faisait : la victoire allemande, à laquelle il croyait dur comme fer en signant l’armistice et assez longtemps après, n’était qu’une apparence, à grand renfort de mise en scène, et il se laissait éblouir. Il refusait de voir en face non seulement la barbarie d’une vision de l’histoire en termes de lutte des races, mais son improbabilité. Pas plus qu’il ne discernait les obsessions qui obéraient l’intelligence hitlérienne, et notamment l’obsession antifrançaise, égale en intensité à l’obsession antisémite, à défaut d’être aussi meurtrière.

Cela peut s’appeler de la trahison, objectivement. Subjectivement, c’est une autre question, mais est-elle si importante  ?

 

Quels arguments pour inciter ceux que la période intéresse, et ceux même qui la connaissent bien, de s’emparer de votre livre ? En quoi fait-il "avancer le schmilblick" de la connaissance et de la recherche historiques ?

avancées historiographiques

  • Sur le filet tendu par Hitler pour piéger la France, au long des années trente : le journaliste Fernand de Brinon, ami d’Abetz (et futur ambassadeur de Vichy en zone occupée), est utilisé par Hitler pour contacter, et amuser par de bonnes paroles, au moins deux chefs de gouvernement, Daladier en 1933 et Laval en 1935.

  • Sur le premier statut des Juifs (18 et non 3 octobre 1940) :
    * Abetz est perçu dès son arrivée (mi-juin 1940) comme un antisémite qu’il convient de satisfaire sur ce chapitre;
    * il organise dès juillet des manifestations antisémites sur la voie publique;
    * de concert avec Werner Best, il incite dès le mois d’août Vichy à prendre des mesures contre les Juifs;
    * les historiens se sont laissés impressionner par un effet de manche de l’avocat Serge Klarsfeld (plein de mérites par ailleurs), prétendant le 3 octobre 2010 que Pétain était l’inspirateur principal de l’antisémitisme vichyssois et de la dureté du statut, sur la seule foi d’un brouillon annoté par lui ; l’étude de ce texte selon une méthode historique oriente la réflexion dans une direction toute différente : la recherche d'une collaboration en tirant parti de la victoire vichyste à Dakar.

  • Sur la préparation par Vichy d’une expédition militaire contre le Tchad passé à de Gaulle : c’est ce que Pétain entend, à Montoire, sous le vocable de « collaboration » et le projet se concrétise tout à fait sérieusement dans une réunion politico-militaire franco-allemande, le 10 décembre. Hitler a poussé à la roue, puis fait machine arrière, conformément à son orientation politique fondamentalement pro-anglaise, et à son intention de guerroyer en Russie plutôt qu’en Afrique.

  • Sur le renvoi de Laval le 13 décembre 1940 : Hitler a de bonnes raisons de penser qu’en convoquant Pétain à Paris comme un domestique, deux jours à l’avance, pour le « retour des cendres de l’Aiglon », il provoquera une crise majeure entre lui et son principal ministre ; il est le premier à estimer que Laval s’est usé en étant trop complaisant envers lui-même (et Goebbels l’écrit dans son journal), alors qu’il l’y a évidemment encouragé. Mais les choses lui échappent un peu à la fin du mois et il rattrape la situation de justesse en faisant intervenir Charles Bedaux.

  • Sur l’affaire des « gardes territoriaux » accusés d’avoir assassiné des parachutistes allemands en mai-juin 1940, arrêtés par dizaines en zone occupée, condamnés à mort en grand nombre et exécutés, à dose homéopathique, en 1941 : il s’agit d’un des principaux moyens hitlériens de chantage, en liaison étroite avec le sort de Paul Reynaud et de Georges Mandel, prisonniers de Vichy et réclamés plus ou moins énergiquement par le Reich.

  • La première exécution d’un Parisien, Jacques Bonsergent, le 23 décembre 1940, doit également être interprétée comme un chantage de Hitler : il refuse sa grâce à ce passant condamné depuis trois semaines (pour avoir été pris dans une bousculade), à la veille du départ de son train vers la France, où il va prendre en main personnellement l’amiral Darlan.

  • Un autre brouillon annoté par Pétain, en novembre 1941, en prévision de sa rencontre avec Göring à Saint-Florentin le 1er décembre, le montre prêt à signer un traité avec l’Allemagne.

  • Sur la persécution des Juifs :
    * le plasticage de la moitié des synagogues parisiennes dans la nuit du 2 au 3 octobre 1941, est indubitablement une provocation hitlérienne, exécutée par Heydrich et destinée à retirer des mains des militaires la direction des opérations de police, au profit des SS; l’événement doit aussi être mis en rapport avec la nuit de Cristal, prélude à une aggravation de la persécution des Juifs allemands, et avec la haine de Hitler pour la religion juive, trop souvent éclipsée par les massacres alors qu’elle en est une prémisse.
    * le remplacement comme « commissaire aux questions juives » de Xavier Vallat par Darquier de Pellepoix au printemps 1942, prélude au tour de vis imprimé par Bousquet (rafle du Vel d’Hiv, etc.), est nommément réclamé par Werner Best à Brinon, en excipant de « pouvoirs spéciaux », le 21 février.
     
  • Sur le procès de Riom : le coup d’envoi est donné par Abetz lors de sa première rencontre avec Laval, le 20 juillet 1940, racontée par Brinon dans un rapport à Pétain que je publie pour la première fois. Comme je publie le compte rendu de la démarche de Friedrich Grimm pour faire cesser le procès suivant un mode d’emploi précis, à la mi-mars 1942.
     
  • Le diplomate Charles Rochat dénonce aux Allemands, le 11 novembre 1942, le général Weygand qui voulait leur faire tirer dessus lors de leur invasion de la zone sud ; il s’agit moins de traîtrise que d’affolement, et de l’éternel souci vichyssois d’éviter un « bain de sang ».
     
  • L’assassinat de l’influent politicien toulousain Maurice Sarraut par un milicien, le 2 décembre 1943, prend place dans la dernière crise importante des relations entre Hitler et Pétain, ouverte le 13 novembre et conclue fin décembre par l’entrée de miliciens au gouvernement et une sévère épuration des personnels. D’autres meurtres de personnalités de la Troisième République, au demeurant d’origine juive (Marx Dormoy, Victor Basch, Jean Zay, Georges Mandel), ressemblent à des coups de fouet pour faire marcher droit le maréchal, même s’il n’est pas toujours possible, en l’état de la documentation disponible, de prouver l’implication du Führer.
     
  • Le massacre d’Oradour-sur-Glane (10 juin 1944), souvent et laborieusement expliqué par des raisons locales, est beaucoup mieux éclairé si on le replace dans la minutieuse préparation, par l’occupant nazi, d’une réaction au débarquement allié annoncé pour 1944. Il convient notamment de remarquer le voyage de Himmler à Montauban pour y chapitrer la division Das Reich et son chef Lammerding, le 12 avril. Il faut aussi tenir compte de l’écriture à quatre mains (maréchaliennes et hitlériennes) de l’allocution radiodiffusée de Pétain le 6 juin, enregistrée en février : le maréchal y déclare que le débarquement est un nouveau malheur pour la France et que, pour limiter les dégâts, ses habitants doivent se conformer strictement aux ordres allemands. Or, entre le 6 et le 10 juin, la Résistance s’était largement manifestée, ce qui justifiait le déclenchement d’un plan d’intimidation… et le fait que ce froid massacre d’un gros bourg paisible entraîne beaucoup plus de décès que les accrochages de la Wehrmacht avec tel ou tel maquis.
     
  • Le fait même qu’après l’étape de Sigmaringen Pétain soit obligeamment conduit en Suisse, sur sa demande, par son escorte de SS peut s’interpréter comme une peau de banane lancée par Hitler sur les pas de De Gaulle, qui s’apprêtait à le faire juger par contumace.
     
  • Ce livre est une contribution à la connaissance du régime nazi, tant il montre un Hitler à l’aise pour peser sur toutes les décisions importantes, soit directement soit par divers intermédiaires, parmi lesquels le mouvement SS s’arroge une place croissante.

 

« Ce livre est une contribution à la connaissance

du régime nazi, tant il montre un Hitler à l’aise

pour peser sur toutes les décisions importantes,

directement ou via, par exemple, les SS. »


Quels sont vos projets, vos envies pour la suite, François Delpla ?

des projets

Je me lance dans un nouvel ouvrage, sur le cœur du pouvoir nazi. L’éditeur m’a interdit d’en dire plus pour l’instant ! Et bien entendu je suis disponible pour tous les débats, notamment à propos de l’édition française de Mein Kampf, cette Arlésienne qui ne devrait plus trop tarder à apparaître.
 

Un dernier mot ?

dernier mot

L’humanité passe par un moment aussi dangereux que passionnant, qu’on est tenté de rapprocher des années trente tout en espérant qu’il ne soit pas comme elles le prélude d’une période apocalyptique. Les historiens ont des devoirs particuliers : il leur incombe de montrer que le séisme nazi est unique et non reproductible, mais aussi que l’humanité n’en est pas sortie intacte et qu’il requiert toujours, pour éviter des répliques, un effort de compréhension.

 

François Delpla 2019

François Delpla, historien.

 

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23 janvier 2019

Olivier Da Lage : « Le révisionnisme bat son plein dès que les nationalistes religieux arrivent au pouvoir... »

Je suis heureux, pour cette première interview-chronique de l’année, de donner la parole, une nouvelle fois, au journaliste de RFI Olivier Da Lage, à l’occasion de la parution de L’Essor des nationalismes religieux (Demopolis), ouvrage collectif qu’il a dirigé et dans lequel il a signé un texte sur le nationalisme hindouiste en Inde, pays qu’il connaît bien. Je remercie M. Da Lage d’avoir accepté de répondre à mes questions (interview datée du 20 janvier) et vous invite vivement à vous emparer de cet ouvrage, qu’on peut lire tout ensemble ou bien en « picorant » dedans, chacun des articles s’attachant à expliquer une situation particulière, et à raconter une partie de la psyché nationale du pays concerné. Un document important qui met en lumière, en tant que phénomène de fond, des éléments d’actualité qu’on aurait pu croire localisés dans l’espace et le temps. Et qui nous aide, et ce n’est pas là son moindre mérite, à mieux comprendre ce monde décidément incertain - mais avec toujours, quelques permanences - dans lequel nous vivons. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

L'essor des nationalismes religieux

L’Essor des nationalismes religieux, Demopolis, 2018.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Olivier Da Lage : « Le révisionnisme bat son plein

dès que les nationalistes religieux arrivent au pouvoir... »

 

Olivier Da Lage bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions autour de L’Essor des nationalismes religieux (Demopolis, 2018),  ouvrage collectif que vous avez dirigé et dans lequel vous avez signé une contribution, sur la situation en Inde. Vous l’indiquez vous-même : peu d’études ont analysé le phénomène de « l’essor des nationalismes religieux » en tant que tel, et moins encore avec une telle vue d’ensemble. C’était nécessaire d’y remédier, à votre sens, pour mieux appréhender le monde d’aujourd’hui ?

pourquoi ce livre ?

Bien sûr. Il y a suffisamment d’exemples à travers la planète de ces mouvements nationalistes d’inspiration religieuse pour que l’on ne puisse plus les négliger ou considérer leur accumulation comme des coïncidences. On parle de populismes, de théocraties, de mouvements religieux, de nationalismes, mais ce qui manquait, à l’échelle globale, c’est une étude systématique du phénomène pour voir ce que ces exemples ont en commun et les spécificités locales qui les distinguent les uns des autres. Au total, il apparaît clairement que les traits communs sont suffisamment nombreux pour que l’on puisse parler de nationalismes religieux en tant que phénomène global, indépendamment de ce qui différencie les uns des autres selon les régions du monde. L’autre raison qui rendait nécessaire une telle étude est qu’il ne s’agit pas d’un phénomène statique, mais en plein essor, ainsi que l’indique le titre de l’ouvrage.

 

À quand faire remonter le phénomène ? La partition Inde hindoue / Pakistan musulman, en 1947 ? La révolution islamique iranienne en 1979 ? Peut-être, dans une certaine mesure, une tendance favorisée par la dislocation des empires, puis la fin de la guerre froide et des grandes idéologies du vingtième siècle ? Peut-on dire que la religion est, de plus en plus, la « nouvelle couleur » du nationalisme ?

les nationalismes religieux, depuis quand ?

Les idéologies que l’on peut considérer comme les matrices de ces nationalismes religieux sont parfois assez anciennes. La plupart remontent à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle. Mais les mouvements qui s’en réclamaient restaient relativement marginaux, car l’espace politique était occupé par les courants conservateurs qui voulaient perpétuer l’ordre ancien (immuable, aurait dit Bonald) d’un côté, et de l’autre, les mouvements progressistes, souvent nationalistes et positivistes. Par conséquent, pendant des décennies, les idéologues nationalistes religieux et les mouvements qui se réclamaient d’eux ont relativement peu fait parler d’eux.

Cela change en effet avec d’une part la déception qui a suivi l’accession au pouvoir des élites occidentalisées dans les pays décolonisés  : corruption, manque de résultats économiques, comportements dictatoriaux, etc. et d’autre part, l’échec du projet communiste, la disparition de l’URSS et l’effondrement de l’influence soviétique à travers le monde. L’horizon se dégageait pour les nationalistes religieux, dont la place, au sein des courants nationalistes, va croissant à partir des années 80. Donc, oui, dans une large mesure, le nationalisme prend en bien des régions du monde le visage de la religion. Et c’est l’Iran, avec la révolution islamique de 1978-1979 qui a en quelque sorte ouvert la voie, même si à l’époque on ne l’a pas analysé dans ces termes.

 

Il est difficile de tirer des conclusions générales d’un panel aussi complexe de situations variées. Quelques constantes semblent, toutefois, pouvoir être retrouvées. Sur fond de crise de confiance dans le politique (corruption généralisée ou incapacité à résoudre des problèmes majeurs), d’un  sentiment de déclassement, de mise en danger de son identité par « l’autre » (exemple : l’Amérique de Donald Trump), voire même de crise existentielle (quête de sens dans un monde où tout est marchandise et compétition) en profondeur et à grande échelle, les populations formant la composante socio-ethnique majoritaire d’une nation sont celles qui, souvent, vont décider (dans les pays où on leur donne la parole) de confier les rênes de leur destin à des forces politiques à agenda plus ou moins empreint de religieux. Assiste-t-on, dans les pays en question, à des situations de repli identitaire objectif, par choix direct d’une majorité de citoyens ?

un repli sur soi des majorités ?

Oui. Cela va même plus loin que cela. Si on réduit les ingrédients du nationalisme religieux au minimum, à la manière dont on réduit des fractions, on y trouve une constante  : le sentiment de la majorité d’une population que son identité est menacée par les minorités, à qui tout est dû et que l’on «  apaise  » par des concessions sans fins à leurs revendications extravagantes qui remettent en cause l’âme même de la nation. On convoque à cette fin la tradition ancestrale, qui, le plus souvent, est en réalité très récente, mais de plus en plus enracinée dans la religion dominante. Il est frappant, par exemple, de voir Poutine, ancien officier du KGB à l’époque soviétique, se proclamer le héraut de la défense du christianisme orthodoxe. En Inde, les nationalistes hindous au pouvoir rejettent tous les maux de la société sur le «  pseudo-sécularisme  » de Nehru et du parti du Congrès, même Gandhi n’échappe pas à leurs critiques et une part croissante de la population lui reproche d’avoir «  donné  » le Pakistan aux musulmans et d’avoir été dupés par les Anglais. Ce qui ne manque pas de sel car les nationalistes hindous, dans les années 30, s’opposaient bien davantage au Congrès qu’aux Anglais. Enfin, la vie politique en Israël est aujourd’hui largement confisquée par les nationalistes juifs (d’où le vote de la loi sur l’État juif en juillet 2018) alors même qu’Israël a été fondé dans une large mesure par des socialistes laïcs.

 

Dans quels cas, qu’ils soient démocratiques ou autoritaires, ces phénomènes s’accompagnent-ils, dans les faits, d’une transformation des structures de l’État, dans le sens d’un poids accru qui serait accordé à la religion, y compris pour régir la société et la vie de tous les jours ?

une place accrue du religieux dans la société ?

Bien avant d’être religieux, c’est un phénomène culturel avant tout. Il faut reprendre le contrôle de la société selon les valeurs religieuses (et conservatrices) et donc contrôler l’enseignement, à commencer par l’histoire. Le révisionnisme bat son plein dès que les nationalistes religieux arrivent au pouvoir (Inde, Israël, Brésil depuis l’élection de Bolsonaro, ou dans les États des États-Unis dirigés par des Républicains dans la mouvance des Évangéliques)… Les droits des femmes, des minorités religieuses, et à leur suite, de tous ceux qui ne se fondent pas dans la culture dominante normée par le parti au pouvoir sont remis en cause et les critiques sont de moins en moins bien tolérées. Des sociétés démocratiques (Inde, brésil, Etats-Unis, Israël, Hongrie) glissent progressivement vers la «  démocrature  » pour reprendre le néologisme qui associe les contraires  : démocratie et dictature. La Turquie d’Erdogan en est un autre exemple. C’est d’abord un contrôle social sur la population qui est à l’œuvre. Le divin y a finalement peu de place. On serait tenter de se demander  : «  et Dieu, dans tout ça  ?  ».

 

Tous les États des pays à forte poussée de nationalisme religieux n’ont certes pas vocation, vous l’avez rappelé à l’instant, à devenir des théocraties, et on est bien loin, même dans les perspectives « pessimistes », d’une multiplication attendue du cas iranien. Malgré tout, est-ce que tout cela n’est pas, pris tout ensemble, un signe de recul du rationalisme auprès de populations de plus en plus nombreuses ?

un recul du rationalisme ?

Si, à l’évidence. Il est frappant que les ressorts du nationalisme (ferveur, croyance intense dans le caractère exceptionnel de la nation à laquelle on appartient) opèrent dans un registre très proche de la ferveur religieuse. Le nationalisme n’est pas un mouvement fondé sur la raison. A fortiori lorsqu’il prend une dimension religieuse.

 

Plusieurs des textes de votre ouvrage indiquent qu’une recrudescence du sentiment religieux auprès de la population majoritaire s’accompagne malheureusement, parfois, de gestes d’intolérance - voire carrément de haine - de plus en plus marqués envers certaines minorités. Je ne citerai que l’exemple de votre texte, celui des musulmans d’Inde pris à partie par certains tenants d’un hindouisme radical, porté par l’actuel gouvernement. Est-ce que l’on perçoit, auprès de ces minorités qui se sentent de plus en plus mises à l’écart, en Inde ou ailleurs, des réactions à leur tour identitaires, voire des velléités séparatistes affirmées ?

une réaction des minorités ?

Pas vraiment. Une partie essaie de résister sur un plan intellectuel, en alliance avec les autres intellectuels d’opposition. Mais la très grande majorité baisse la tête et fait le gros dos, en attendant des jours meilleurs, par crainte d’aggraver leur situation et de provoquer les milices du courant majoritaire en leur donnant une justification supplémentaire pour les brimer.

 

Où y a-t-il à ce jour, situations ou risques de conflit interne violent sur des bases identitaires et religieuses ? Est-ce que, dans certains cas, il peut y avoir implication d’autres pays se voulant, de bonne foi ou par calcul géostratégique (voir : la guerre au Yémen) défenseurs de telle ou telle foi ?

où sont les risques ?

Je serais tenté de dire, à peu près partout. Aucun peuple n’est immunisé contre cette tentation. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que l’on va constater partout la montée des nationalismes religieux. Par ailleurs, il existe des partis religieux qui ne relèvent pas du courant nationaliste, par exemple la Démocratie chrétienne en Allemagne. Et souvent, même lorsque les arguments prennent un tour religieux dans un conflit (par exemple l’opposition entre chiites et sunnites souvent évoqué dans la tension entre l’Iran et l’Arabie Saoudite), il s’agit le plus souvent d’un habillage pour une opposition classique entre deux nations rivales pour l’hégémonie à l’échelle d’une région.

 

La montée des nationalismes religieux va-t-elle de pair avec une plus grande volatilité des relations internationales ? Le nationalisme religieux, « c’est la guerre », aussi ?

potentiellement la guerre ?

C’est certain. S’il existait un ordre international unanimement accepté, cela laisserait moins de place à ces courants. Mais le nationalisme religieux n’est pas nécessairement un projet expansionniste. Si on prend le cas des extrémistes bouddhistes birmans ou sri-lankais, ou encore des nationalistes hindous en Inde, il s’agit essentiellement de renforcer un contrôle intérieur, sur la population nationale, en excluant du récit national une partie des habitants qui, de fait, deviennent citoyens de seconde zones, autorisés à n’exister qu’à la condition de se soumettre aux exigences du groupe majoritaire.

 

Quels sont les points chauds ou potentiellement chauds qui, en matière pour le coup de conflit potentiel, vous inquiètent le plus ? Est-ce que vous entrevoyez des hotspots qui, de par leur portée symbolique, ou le jeu des sphères d’influence et alliances, pourraient devenir pour leur région, ou au-delà, ce que furent les Sudètes en 1938, voire la Serbie en 1914 ?

des points chauds ?

Je ne m’y risquerai pas à ce stade. Pour l’heure, comme je l’ai dit, j’estime que l’exacerbation de l’idée nationale au nom de la religion obéit avant tout à un projet de contrôle social et politique sur une population à l’intérieur des frontières. Demain, je ne sais pas.

 

On prête volontiers à André Malraux la citation suivante : « Le XXIe siècle sera religieux... ou ne sera pas ». À votre avis : on y est ? ou bien y va-t-on tout droit ? Les épisodes relatés dans votre ouvrage sont-ils des passades plus ou moins longues, ou bien des mouvements de fond ?

vers un siècle religieux ?

Ce sont des mouvements de fond  et l’erreur de beaucoup de penseurs et analystes laïcs/modernistes/progressistes a été de croire qu’il ne s’agissait que des derniers soubresauts du passé. C’est particulièrement vrai en France, compte tenu de notre tradition laïque depuis plus d’un siècle. Ce qui se passe est en réalité tout le contraire et l’essor des nationalismes religieux s’inscrit dans un temps long.

 

Quels sont vos prochains projets, Olivier Da Lage ?

Ils n’ont rien à voir avec ce livre sur les nationalismes religieux. J’ai commencé l’écriture d’un petit roman policier qui se déroule à Bombay. Je ne vais pas en dévoiler l’intrigue, mais je peux déjà vous en donner le titre  : Le rickshaw de Mr Singh.

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage, journaliste à RFI.

 

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17 janvier 2019

« Président, voici ma réponse ! », par François Delpla (Grand Débat)

Avec sa Lettre aux Français diffusée massivement depuis le 13 janvier, le président Emmanuel Macron, mis en grande difficulté avec l’exécutif qu’il dirige et, dans une certaine mesure, l’ensemble de la classe politique traditionnelle, par la crise dite des "gilets jaunes", entend reprend la main et l’initiative. En proposant d’ouvrir en grand (premier débat ?) les fenêtres de la discussion, il espère apaiser les colères et miser sur les aspirations populaires à la (re)prise de parole, tant et tant exprimées ces dernières semaines, sur les ronds-points et ailleurs. Qu’adviendra-t-il des conclusions de ce "grand débat national" ? L’exercice est à peu près inédit, faut-il par soupçon le crucifier avant même de lui avoir donné sa chance ? À l’évidence, non. J’ai proposé à François Delpla, historien spécialiste du nazisme, citoyen engagé, et fidèle de Paroles d’Actu, de nous livrer sa réponse au président de la République et, surtout, ses réponses aux questions proposées. Je le remercie de s’être prêté à l’exercice. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

UNE EXCLUSIVITÉ PAROLES D’ACTU

« Président, voici ma réponse ! »

GRAND DÉBAT NATIONAL

 

Le premier sujet porte sur nos impôts,

nos dépenses et l’action publique...

 

"(...) Mais l’impôt, lorsqu’il est trop élevé, prive notre économie des ressources qui pourraient utilement s’investir dans les entreprises, créant ainsi de l’emploi et de la croissance. Et il prive les travailleurs du fruit de leurs efforts. Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises pour corriger cela afin d’encourager l’investissement et faire que le travail paie davantage. Elles viennent d’être votées et commencent à peine à livrer leurs effets. Le Parlement les évaluera de manière transparente et avec le recul indispensable. Nous devons en revanche nous interroger pour aller plus loin. Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ?"

1°) On convient en général que ce paragraphe exclut du "grand débat national" toute remise en cause de la suppression de l’ISF et des ordonnances sur le travail. Or il est singulier de placer ces dernières dans la rubrique "impôts" ! Cela porte un nom : la contrebande. Et mérite une explication : on n’aura pas trouvé, pour caser cet interdit, d’endroit plus adapté.

2°) Même si une majorité parlementaire servile s’est laissé, dans l’été 2017, dessaisir de ses prérogatives, il est singulier de prétendre que des mesures prises par ordonnance ont été votées. Une faute de frappe pour "volées" ?

3°) Il devient envisageable ou du moins il n’est pas interdit, même par ce dirigeant très imbu de lui-même, d’assortir les cadeaux faits aux riches et aux entreprises de conditions en matière d’emploi, ce à quoi s’étaient obstinément refusés le président Hollande et son conseiller économique, aux initiales identiques à celles de l’expression "en marche".

4°) Des mesures aux effets désastreux, reposant sur des analyses tendancieuses, contestées dès l’origine par des économistes compétents, ne doivent surtout pas être remises en question, du moins avant un "recul indispensable". La Liberté inscrite au fronton de nos mairies exige qu’on les laisse produire tous leurs dégâts. Leurs responsables sont, dans l’intervalle, dispensés de toute argumentation.

5°) La discussion sur la fiscalité se voit canalisée dans un sens unique : les citoyens sont invités à proposer des baisses et non des hausses d’impôts, pour quelque catégorie de contribuables que ce soit. Le fait d’engager plus de moyens, en personnel comme en démarches diplomatiques, dans la traque des fraudeurs fiscaux et le démantèlement de leurs paradis ne fait pas non plus partie des options proposées.
Cependant, un rééquilibrage entre l’impôt indirect, payé également par tous, et l’impôt direct, modulable en fonction des revenus, n’est pas frappé d’interdit : oubli, ou imprudente glissade vers plus de justice ?

 

Le deuxième sujet (...), c’est l’organisation

de l’État et des collectivités publiques.

 

"Les services publics ont un coût, mais ils sont vitaux" : précieux aveu du continuateur de Sarkozy et de Hollande... conseillé par Macron -un homonyme sans doute -, dans la baisse du nombre des fonctionnaires, au nom d’une logique comptable et sans la moindre étude prévisionnelle de ses effets. Comme devait être homonyme celui qui déplorait que la politique sociale coûtât "un pognon de dingue", et faisait fièrement fuiter vers les réseaux sociaux un enregistrement où il le disait.

Dans les solutions suggérées, on n’est pas trop surpris de ne pas trouver un mot sur le nombre des fonctionnaires, et de lire seulement de vagues considérations sur l’organisation de l’État.

 

La transition écologique est le troisième thème.

 

"Je me suis engagé sur des objectifs de préservation de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air. Aujourd’hui personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’agir vite. Plus nous tardons à nous remettre en cause, plus ces transformations seront douloureuses."

Quel aveu encore ! Ici, l’auteur ne cherche même pas à donner le change sur la politique déjà menée. En écrivant comme s’il partait de zéro, il donne raison à Nicolas Hulot d’avoir démissionné et ne prétend même pas que son successeur Rugy ait entrepris la moindre action.

S’agissant de l’avenir, les "solutions concrètes" se bornent au remplacement des vieilles voitures et des chaudières anciennes : on croirait lire les annonces faites en catastrophe par Édouard Philippe à quelques jours du premier samedi des Gilets, dans l’espoir d’étouffer le mouvement dans l’oeuf.

Puis il est question des "solutions pour se déplacer, se loger, se chauffer, se nourrir" afin d’"accélérer notre transition environnementale". Le grand absent ici est l’aménagement du territoire, tant français que mondial, pour redéployer l’activité au plus près des habitants. Une question jusqu’ici ignorée des conférences internationales sur le climat. Dame, si les multinationales ne sont plus libres d’investir où cela leur chante, où va-t-on ? En attendant, ce sont les oiseaux qui chantent de moins en moins.

 

La lorgnette n’est toujours pas dirigée du bon côté lorsqu’on lit :

"Comment devons-nous garantir scientifiquement les choix que nous devons faire [à l’égard de la biodiversité] ? Comment faire partager ces choix à l’échelon européen et international pour que nos agriculteurs et nos industriels ne soient pas pénalisés par rapport à leurs concurrents étrangers ?"

Ce n’est pas trop tôt pour parler de l’Europe ! Hélas, elle n’est mentionnée que pour absoudre les reculades françaises, par exemple sur l’interdiction du glyphosate ou le contrôle des OGM, en suggérant que, sans des accords internationaux, on ne peut rien faire.

 

Enfin, il (...) nous faut redonner plus de force

à la démocratie et la citoyenneté.

("à la démocratie et la citoyenneté" : quel niveau de français !)

 

"Être citoyen, c’est contribuer à décider de l’avenir du pays par l’élection de représentants à l’échelon local, national ou européen. Ce système de représentation est le socle de notre République, mais il doit être amélioré car beaucoup ne se sentent pas représentés à l’issue des élections."

Ici, le problème n’est pas trop mal posé. Quant aux solutions suggérées, il est à noter qu’elles ont peu à voir avec une certaine réforme constitutionnelle, que le scribe était sur le point de faire prévaloir à grandes enjambées de ses "godillots", quand l’affaire Benalla (que rien n’évoque ici, de près ni de loin) l’a obligé à colmater d’autres brèches. À peine retrouve-t-on son dada de la réduction du nombre des députés.

Les limites imposées au débat n’en sont pas moins sévères. Rien n’est dit du pouvoir présidentiel ni, à plus forte raison, du numéro de la République, alors même que, si certaines des mesures évoquées entraient en vigueur, elles justifieraient qu’on l’appelât Sixième. Il manque aussi le référendum révocatoire, permettant d’écourter le mandat des élus incompétents ou, par rapport à leurs engagements de campagne, excessivement amnésiques. On cherche tout aussi vainement une mention du lobbyisme des intérêts privés auprès des élus, que ce soit par la corruption (un mot absent) ou par la désinformation. Et surtout, peut-être, l’effort annoncé pour "rendre la participation citoyenne plus active, la démocratie plus participative" ignore entièrement la question du rééquilibrage entre la logique nationale ou "jacobine" et la prise en main de leurs affaires par les habitants.

Comme est ignoré le droit de manifestation, si utile pour parer aux abus gouvernementaux. J’ajouterai donc aux suggestions de ce point quatrième, et censément dernier, un modeste codicille :

Souhaitez-vous que, pour que force reste à la loi, la police mette en garde à vue les porteurs d’un vêtement que la loi rend obligatoire, et leur tire dessus sans sommation avec des armes en principe non létales, sauf regrettable malchance ?

 

C’est alors que l’immigration s’invite...

(et que, par une inflation semblable à celle des mousquetaires de Dumas, les quatre questions se retrouvent cinq)

 

"La citoyenneté, c’est aussi le fait de vivre ensemble. Notre pays a toujours su accueillir ceux qui ont fui les guerres, les persécutions et ont cherché refuge sur notre sol : c’est le droit d’asile, qui ne saurait être remis en cause. Notre communauté nationale s’est aussi toujours ouverte à ceux qui, nés ailleurs, ont fait le choix de la France, à la recherche d’un avenir meilleur : c’est comme cela qu’elle s’est aussi construite. Or, cette tradition est aujourd’hui bousculée par des tensions et des doutes liés à l’immigration et aux défaillances de notre système d’intégration.

Que proposez-vous pour améliorer l’intégration dans notre Nation ? En matière d’immigration, une fois nos obligations d’asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ? Que proposez-vous afin de répondre à ce défi qui va durer ?"

Le fossoyeur du plan Borloo ne manque pas de toupet. Car ce travail était déjà un "grand débat national", d’un meilleur aloi que celui qui s’annonce. Il regroupait, autour de l’ex-ministre, des maires de toutes tendances à la tête d’agglomérations de toutes sortes, pour accoucher de propositions tendant à une meilleure intégration, justement. La crise des banlieues n’est d’ailleurs évoquée ici qu’en filigrane.

Une politique de quotas ? Le projet en avait été esquissé par Sarkozy, dans le sens d’un écrémage des compétences du Tiers-Monde pour compléter celles qui manquaient à la France. C’est évidemment l’inverse qu’il faut faire... et que n’induisent pas les questions. Souhaitons que des suggestions intelligentes sur le développement économique des pays d’émigration éclipsent les considérations oiseuses que ne manqueront pas de nourrir les approches proposées.

 

La laïcité, raccordée de façon malsaine à l’immigration, ferme la marche :

"La question de la laïcité est toujours en France sujet d’importants débats. La laïcité est la valeur primordiale pour que puissent vivre ensemble, en bonne intelligence et harmonie, des convictions différentes, religieuses ou philosophiques. Elle est synonyme de liberté parce qu’elle permet à chacun de vivre selon ses choix. Comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le rapport entre l’État et les religions de notre pays ? Comment garantir le respect par tous de la compréhension réciproque et des valeurs intangibles de la République ?"

Les valeurs de la République seront mieux gardées, avant tout, quand les autorités seront plus républicaines, les pouvoirs mieux séparés, les puissants punis à l’égal des gueux, et surtout quand le locataire de l’Elysée, soit par un changement de personne, soit par une conversion radicale de celui qui est en place, sera enfin conscient de ses devoirs envers tous, y compris sur le plan de la correction verbale. N’a-t-il pas, dans les jours mêmes où il rédigeait ce texte, trouvé encore le moyen de mettre en doute le "sens de l’effort" de "beaucoup trop de Français" ? Et dès le début de sa tournée de propagande, le 15 janvier, appelé à rendre "responsables" les pauvres "qui déconnent" ? 

En matière d’efforts, il lui reste, à lui, beaucoup à faire, et sa capacité dans ce domaine n’est pas encore démontrée.

François Delpla, le 15 janvier 2019.

 

François Delpla 2019

François Delpla (2014, photo : Paolo Verzone).

 

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5 janvier 2019

« Sport… encore et encore ! », par Christine Taieb

J’ai la joie, pour ce premier document de l’année 2019, de vous proposer un témoignage inspirant et lumineux, là où l’actualité, et le ciel, ne le sont pas toujours. J’ai rencontré Christine Taieb, qui nous raconte aujourd’hui son parcours sportif et sa conception du sport, dans la foulée de mon article de l’an dernier, autour de Véronique de Villèle. Élève assidue de la coach et ancienne co-animatrice, avec son amie Davina, de l’émission culte Gym Tonic, Mme Taieb avait accepté d’évoquer ces cours par un petit clin d’oeil. Nous sommes restés en contact, et elle a accepté donc, de répondre à ma proposition d’écrire le présent texte, qui m’est parvenu dans les tout derniers jours de 2018. Puisse-t-il vous inspirer, et vous donner envie de vous remettre au sport, de vous fixer à nouveau des objectifs à atteindre. Je vous souhaite, à toutes et à tous, ainsi qu’à celles et ceux qui vous sont chers, une heureuse année 2019. Avec pour maîtres mots la santé bien sûr. Et le sport ? Exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Sport… encore et encore ! », par Christine Taieb.

 

Marathon Berlin Sept 2017 C TAIEB

Au marathon de Berlin, en septembre 2017.

 

C’est l’histoire sans doute banale, d’une petite dame normale de bientôt 68 ans qui souhaite partager son expérience, pour aider d’autres femmes tout aussi banales, à accéder à un bon équilibre de vie, par le sport sans records.

C’est mon histoire courte illustrée : une vie parcourue d’aléas et d’obstacles comme nombreuses, apaisée et devenue forte grâce à une activité physique régulière. J’entends par «  normale  »  : ne pas disposer d’aptitudes particulières, et mener une vie très complète par ailleurs  : famille, boulot puis retraite avec engagement associatif très actif, enfants et petits-enfants.

J’ai débuté le sport dès 4 ans sur des parquets flottants, puis délaissé mes chaussons de danse à 44 ans. La petite fille que j’étais ne réfléchissait pas sur le bien-fondé de ses années de conservatoire  : un tutu rose, une pianiste pour rythmer mes entrechats et le travail de souplesse guidaient mes premiers pas … vers le sport.

 

« Parlons franc : il s’agit bien d’"efforts" avec son lot

de sueur, de courbatures et de régularité contraignante

dans l’entraînement : on n’a rien sans rien ! »

 

Quarante années d’une activité qui forge le goût de l’effort, de la rigueur et l’esthétique, le sens de l’équipe et construit une solide détermination, tout en acceptant ses limites. Comment n’ai-je jamais perdu le courage de poursuivre les entrainements malgré un travail exigeant ainsi qu’une vie familiale et associative toujours riche  ? Sans doute dans le plaisir renouvelé d’un corps en harmonie avec l’esprit … et réciproquement  ! Comme une nécessité, un capital en ADN, sans mesurer qu’au fil-de-l’eau tous mes efforts m’ont portée vers bien d’autres satisfactions. Parlons franc  : il s’agit bien d’ «  efforts  » avec son lot de sueur, de courbatures et de régularité contraignante dans l’entraînement  : on n’a rien sans rien  !

J’ai aussi fait partie des adeptes des années aérobic, leur folie et parfois leurs excès. Mon mérite est de n’avoir jamais décroché de la salle de gym, malgré les grossesses, les dossiers à rendre et toutes les bobologies. Les pratiques fitness sans cesse renouvelées ont su nourrir mon besoin de curiosité: monotonie ne rime pas avec envie  !

À l’âge où le grand écart se fait plus ingrat, et le hasard d’un coaching inspirant, m’ont offert la découverte des épreuves pédestres  : une salade composée de course, trek, marche ou trail, sur un principe simple  : «  tu mets un pied devant l’autre …  et tu recommences». Après des premiers pas prudents et progressifs  - 10, 20, 42,195 km, … jusqu’aux 100 km récemment -, voici près de 30 ans que j’accumule les kilomètres sur piste, route, avec ou sans dénivelé, dans les campagnes françaises, le désert, ou l’autre bout du monde, sans jamais délaisser le travail équilibrant de «  barre au sol  », la danse sans les déplacements.

 

Barre au sol - Nov 2018 - CTAIEB

Ingrat, ingrat... tout de même ! ;-)

 

Pour pimenter le menu, quelques détours sur des courses à obstacles comme Mudday, Frappadingue ou Muddy Angel, viennent agrémenter la saveur du challenge sportif et ludique en équipe.

À l’approche des 70 ans, dame santé reste ma fidèle amie à qui je concède une vie et une nourriture saines et des choix de vie éclairés. Ma recette-équilibre est faite d’un sage 50/50 : écoute bienveillante de mes sensations et exigence mesurée. Le prix d’un entraînement régulier ne doit jamais me priver d’une vie sociale aussi riche que nécessaire.

Rester connectée avec mon organisme, apprécier le sport outdoor qu’il pleuve, neige ou vente  : les baskets ne sont jamais bien loin  ! Apprendre à comprendre mon corps, respecter ses limites et ses talents, c’est aussi apprendre à comprendre les autres en restant en éveil, solidaire des différences et s’offrir d’être en paix avec ses rêves.

Le sport témoigne que l’impossible est possible, même sans capacités particulières ni goût de la performance, en gardant motivation et en développant la confiance en soi. Lui adjoindre une dimension solidaire au départ de certaines épreuves, le plus souvent au profit d’une association aidant à lutter contre la maladie, c’est aussi mettre du sens à un projet et traduire cette complicité. Se dépasser, c’est construire des objectifs, être inspirée par des talents et des conseils avisés, donc savoir écouter.

Oser se confronter à un nouveau challenge est une transgression jouissive. J’ai pleuré au départ de mon premier marathon à 60 ans. J’ai été très émue de réaliser mon premier triathlon (format XS) et mon premier 100 km cette année à 68 ans. Je reste émue aux larmes à chaque passage de ligne d’arrivée, comme une enfant qui rêve éveillée. Il est bon de se surprendre, même si bien entendu mon niveau n’impressionne aucun champion.

 

« Mon exploit reste au fond de mon cœur : arriver souriante,

sans blessure tout en gardant l’envie de recommencer. »

 

Mes temps sont très lents et les pros, addicts ou plus jeunes peuvent en témoigner. Mon exploit reste au fond de mon cœur  : arriver souriante, sans blessure tout en gardant l’envie de recommencer. Souvent voisine de la voiture balai, je vis de purs moments de solidarité autour des courageux derniers de la vague, souvent en difficulté. S’échanger un mot d’encouragement ou une barre de céréales devient un geste d’amour et procure d’émouvants souvenirs.

Le sport c’est aussi accepter, autant que s’accepter : l’embonpoint post-ménopause, les épreuves par grand froid, la régularité de l’entrainement programmé, le brushing jamais parfait, mais aussi le respect des règles, des barrières horaires, des temps de récupération, des alertes blessures aux sensations. Bref, être dans la vraie vie, celle qui impose de ne jamais se prendre au sérieux et de garder de la hauteur sur les êtres et les événements qui entourent.

Le sport c’est aussi une grande liberté de choix devant la palette d’épreuves pédestres chaque jour plus nombreuses. M’être confrontée cette année à de nouvelles disciplines comme un relais vélo sur route, le «  Triathlon des Roses  » et le «  100 km de Millau  », ont nourri avec bonheur mon goût de la diversité. Préparations, déplacements, challenges et contextes  : chaque fois différents, chaque fois très enrichissants, dès le partage sur le spot de départ jusqu’à la grande arche de la ligne d’arrivée.

Dans cette troisième tranche de vie, je réalise que le sport aura toujours été un fidèle ami. Il m’a aidée à être plus forte devant les épreuves et plus sensible aux autres, me permet de rester connectée à la nature, m’impose sa règle d’or «  ne jamais se prendre au sérieux  » et penser à tous ceux qui n’ont pas la chance d’une santé solide.

Finalement, le sport reflète un art de vivre, conscient que les efforts sont récompensés, que la nature humaine est complexe et riche et que chaque challenge, même modeste, est un nouveau graal. Je privilégie l’endurance à la vitesse pour savourer chaque sortie, solitaire ou collective, comme un partage d’émotions.

 

« Le sport aide à accepter les déceptions : l’échec devient

une expérience, la colère s’estompe devant la réflexion

et la rancœur s’efface pour de la confiance. »

 

Le sport n’est pas une recette miracle. Triste, serait une vie toute tracée comme une voie parfaitement lisse. Le sport aide à accepter les déceptions : l’échec devient une expérience, la colère s’estompe devant la réflexion et la rancœur s’efface pour de la confiance.

Le père Noël vient de m’adresser le calendrier des courses 2019  : 6.000 épreuves et 2.700 trails en couverture. Résultat  : un agenda sportif déjà bien rempli jusqu’en 2020 et l’envie intacte de me mesurer à des défis, même modestes. Que me réservera l’année 2021, celle de mes 70 ans  ?

Enfin, pour ma future mais inévitable et joyeuse reconversion, le terrain est lui aussi déjà balisé. Bénévole depuis déjà plusieurs années sur certaines épreuves, je sais que mes émotions y sont presque plus fortes qu’en tant que participante. Les échanges sont authentiques et la bienveillance réelle, tant au sein des fidèles équipes de bénévoles qu’avec les sportifs. Le sport n’a donc pas fini de continuer de me faire vibrer.

Puisse mon témoignage, aider des femmes, quand bien même une seule, à oser pratiquer un sport, ne pas lâcher devant la difficulté pour en mesurer tous les bienfaits, prendre du plaisir et intégrer la grande famille du sport-réconfort … sans plus jamais utiliser les escalators  !
Alors, le sport ça va fort  ! … d’accord  ?

Christine Taieb, le 29 décembre 2018.

 

Trianthlon des Roses Sept 2018 C TAIEB

Lors du Triathlon des Roses, en faveur de la recherche sur le cancer du sein, en septembre 2018.

 

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