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Paroles d'Actu
29 mars 2021

Frédéric Quinonero : « Dutronc se cache plus qu'il ne se montre, même au cinéma... »

En ces temps où l’actu n’est pas très joyeuse, et même carrément déprimante, toute plage d’évasion est bonne à prendre. Et quand il y a du rire, ou même du sourire à la clé, bingo ! La lecture de la nouvelle bio signée Frédéric QuinoneroJacques Dutronc, l’insolent (L’Archipel, mars 2021) procure son lot de moments souriants, parce que Dutronc, grand artiste de la chanson et du cinéma et homme complexe, est aussi doué d’un humour parfois grinçant mais qui souvent fait mouche. Quand on lui demande pourquoi il tient à tourner avec le réalisateur Wim Wenders, il répond : « Parce que j’ai vu les films de Gérard Jugnot, c’est moins bien. » Cette bio, riche et rigoureuse, nous fait suivre les traces d’un faux dilettante, d’un vrai timide un peu rebelle, un peu anar ; une « vieille canaille » qu’on aime bien et dont on aime savoir qu’elle est encore parmi nous, quelque part en Corse. 😉 Entretien, et confidences touchantes. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero: « Dutronc se cache plus

qu’il ne se montre, même au cinéma... »

Jacques Dutronc

Entretien daté du 26 mars ; première mise en ligne sur le blog le 27 mars.

 

Frédéric Quinonero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions faisant suite à la sortie de ton nouvel ouvrage,  Jacques Dutronc, l’insolent  (L’Archipel, mars 2021). Quelques années après ton livre sur Françoise Hardy, écrire une bio de Dutronc, ça sonnait pour toi comme une évidence ?

pourquoi Dutronc ?

Oui et non. Dutronc était une évidence, car il fait partie de mon panthéon personnel. Il est du pays de mon enfance. Je me suis souvenu en écrivant qu’il faisait la «  une  » du premier Salut les copains que mes parents m’avaient acheté au début des années 70. Il m’intimidait un peu, comme je l’explique en avant-propos. Il fallait que je me lance.

 

Le livre s’ouvre sur une préface sympathique écrite par Thomas Dutronc, et surtout est parsemé de témoignages riches et parfois très profonds de la part de Françoise Hardy. Le contact avec eux deux pour ce livre s’est-il établi facilement  ?

histoire de famille

Oui. Ce sont des gens simples, directs, généreux. Qualités rares dans ce milieu. Pour la petite anecdote, c’est à la faveur d’une chanson d’Antoine Élie, La Rose et l’Armure, que j’ai entamé une conversation à distance avec Françoise Hardy. Il y a un an et demi, cette chanson (et son CD tout entier) tournait en boucle chez moi et dans ma voiture. La première fois que je l’ai entendue, j’ai aussitôt pensé à Françoise. Je me suis dit que c’était exactement le style de chanson qu’elle devait adorer. Ne sachant pas comment l’aborder par courriel, ce fut le prétexte idéal. Le merveilleux, l’étrange, c’est que je ne savais pas que La Rose et l’Armure tournait aussi en boucle chez elle. Parmi les centaines voire les milliers de chansons qui sortent chaque année, j’avais pile choisi son coup de cœur du moment ! Nous en étions tous deux stupéfaits. Cette conversation commencée grâce à Antoine Élie a abouti à ce beau témoignage dans ma biographie de Jacques Dutronc. Dommage qu’on se soit bêtement loupés lorsque j’écrivais mon livre sur elle… La préface de Thomas est arrivée au dernier moment, comme la cerise sur la chantilly. Il a demandé à lire mon texte, je le lui ai fait imprimer et envoyer en Corse pendant le deuxième confinement. Il me faisait part de ses impressions tout au long de sa lecture. Ça lui a fait du bien, je crois, en ces temps troublés, de s’immerger dans la vie de ses parents et de ses grands-parents. Il m’a dit des choses très belles qui m’ont beaucoup touché.

 

Dutronc débute son parcours d’artiste comme guitariste. Chanteur, il le devient un peu par hasard. Il y en aura eu beaucoup, des hasards, ou quand même pas mal de volonté, de plans dans sa carrière ?

par hasard ?

Tout lui est arrivé par hasard, la chanson comme le cinéma. De même, il a eu la chance de trouver aussi, sans trop le chercher, l’amour de toute une vie. C’est un homme qui a eu beaucoup de chance. Mais la chance il faut savoir l’inspirer et l’utiliser, elle est souvent associée au talent. Planifier  ? Ce n’est pas trop son genre. Il a plutôt tendance à laisser venir. Quand il s’engage sur un projet, cependant, il le fait sérieusement.

 

De sa collaboration avec l’auteur Jacques Lanzmann est né l’essentiel de ses succès musicaux, principalement entre 1966 (Et moi, et moi, et moiLes CactusLes Play-boys) et 1972 (Le Petit Jardin), en passant par Il est cinq heures, Paris s’éveille et L’Opportuniste (1968). Qu’est-ce qui les a réunis, et qu’est-ce qui, en dépit des brouilles, les  unissait, ces deux-là ?

les deux Jacques

On ne sait jamais précisément pourquoi l’alchimie prend dans un duo artistique… Le fait est qu’elle a été parfaite entre les deux Jacques, présentés l’un à l’autre par l’entremise de Jean-Marie Périer et de son patron Daniel Filipacchi. À l’origine, un autre Jacques, Wolfsohn, directeur artistique chez Vogue, cherchait un chanteur capable de concurrencer Antoine, qui venait d’être lancé par un autre grand producteur de la maison Vogue, Christian Fechner, qu’il détestait cordialement. Il fallait aussi un auteur qui sache capter l’esprit de son temps. Et ce fut l’union sacrée. La voix et la musique de l’un, ajoutées à son allure et sa personnalité, ont fusionné à merveille avec les mots de l’autre. De quel côté penche la balance  ? Dans un duo, chacun veut souvent tirer la couverture à soi, d’où les fâcheries. Qu’importe. Leurs chansons, pour la plupart, ont fait mieux que s’inscrire avec succès dans une époque, elles ont traversé le temps. Et leurs noms demeurent historiquement associés.

 

Avec Gainsbourg, il y a eu de la création musicale mais surtout, ils étaient potes ?

Gainsbourg & moi

Ils se sont d’abord détestés. C’est Françoise Hardy qui les a rapprochés. Et ils sont devenus les meilleurs amis du monde. Enfin, ils étaient surtout potes de beuverie. Ils aimaient finir la nuit dans les postes de police, buvant des coups avec les flics. Deux grands gamins ensemble  ! Cependant, au niveau création musicale, même s’il y eut quelques fulgurances musicales, la mystérieuse alchimie qui fait le succès ne fonctionnait pas.

 
 
Tes titres préférés parmi toutes les chansons de Dutronc, particulièrement parmi les moins connues ?

playlist dutronienne

Paris s’éveille est pour moi l’une des plus grandes chansons du patrimoine français  ! J’ai beaucoup dansé sur La Fille du père Noël. Enfant, j’adorais L’Hôtesse de l’air et L’Arsène. De la période Gainsbourg, je retiens surtout L’Hymne à l’amour (moi l’nœud). J’ai un faible pour Entrez, m’sieur, dans l’Humanité. Dans les moins connues, j’invite à découvrir La Pianiste dans une boîte à Gand, à l’ambiance jazz. Parmi les curiosités, je recommande L’âne est au four et le bœuf est cuit, qui avait heurté en son temps quelques bons paroissiens.

 

Il est cinq heures, Paris s'éveille (Live au Casino de Paris 1992).
La préférée des deux contributeurs de cet article. Avec la flûte magique ! 😍

 

À partir d’un film fait avec l’ami Jean-Marie Périer, au début des années 1970, son parcours est de plus en plus axé ciné. A-t-il trouvé dans cet exercice-là (faire l’acteur) un nouveau type de challenge qui peut-être, l’implique davantage ? Peut-être, celui où il s’épanouit le plus ?

l’acteur

S’il mésestime la chanson («  un métier d’escroc  », dit-il), Jacques Dutronc considère le cinéma comme un art majeur, ce qui lui pose problème lorsque Jean-Marie Périer insiste pour lui faire franchir le pas. Par respect, il préfère être spectateur qu’acteur. Il a tort, et va le prouver. Car il a une vraie nature d’acteur. Un charisme de dingue, une aura particulière. Il lui suffit d’«  être  », de s’approprier un personnage, d’en restituer les émotions. Tout en sobriété. L’air de rien. Ce n’est pas si simple. Et ça demande plus de sérieux et d’engagement qu’on ne croit. S’y épanouit-il  ? Sûrement. Le métier d’acteur va bien aux timides, il leur permet de mieux se cacher derrière un personnage. Dutronc se cache plus qu’il ne se montre. Même au cinéma. Jouer la comédie a des vertus thérapeutiques. À condition d’être en confiance, de faire les bons choix. Si l’on prête attention à la filmographie de Jacques Dutronc, on remarque qu’il a tourné avec les plus grands cinéastes de son temps, de Zulawski à Pialat, en passant par Lelouch, Deville ou Sautet. Truffaut, Wenders et Spielberg ont rêvé de lui pour un film. Dutronc n’est pas si dilettante qu’on se le figure.

 

Quels films avec Dutronc mériteraient, à ton avis, d’être découverts ou redécouverts ?

filmo sélective

Son talent dramatique est révélé par Andrzej Zulawski dans L’important c’est d’aimer. Incontournable dans la carrière d’acteur de Dutronc, tout comme Van Gogh, qu’il incarne au sens strict du terme – César du meilleur acteur en 1992. Pour retrouver sa beauté renversante, il faut le revoir dans Le Bon et les Méchants de Lelouch, Violette et François de Rouffio ou Sale rêveur de son ami Jean-Marie Périer. Je le préfère sensible et émouvant dans C’est la vie, de Jean-Pierre Améris, où il forme avec Sandrine Bonnaire un irrésistible couple de cinéma. Parmi les films à (re)découvrir, Malevil est une curiosité dans le genre des films de science-fiction. Et si l’on revoit l’excellent Merci pour le chocolat, c’est surtout pour Isabelle Huppert, machiavélique à souhait, et le génie de Claude Chabrol, avec qui Jacques Dutronc avait lié amitié.

 

Comment décrire sa relation iconique et en même temps, très atypique, avec Françoise Hardy ? Au fond, ces deux-là ne sont-ils pas avant tout, bien qu’aussi différents qu’on peut l’être, les meilleurs amis du monde ?

Françoise et Jacques

Ils le sont devenus. Jacques Dutronc a eu la chance de tomber sur une épouse aimante et surtout patiente. D’autres seraient parties depuis longtemps. Françoise Hardy a fait de ses longues heures à attendre son amour toute son œuvre artistique. Elle avoue aujourd’hui que Dutronc est l’homme de sa vie et considère qu’elle aussi a eu beaucoup de chance de l’avoir rencontré. Ils ne se sont jamais autant parlés que depuis ces dernières années. Ils sont désormais des confidents et éprouvent une tendresse infinie l’un pour l’autre. «  Aimer l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’on voudrait qu’il soit  », tel est l’amour absolu selon Françoise Hardy.

 

Bon et finalement, Dutronc, ce Corse d’adoption qui a si bien chanté la capitale, il aime plus Paris ?

On court partout ça l'ennuie ! 😉

 

Alors, finalement, après avoir mené cette enquête, c’est qui, Jacques Dutronc ? Agaçant parfois, souvent attachant, ok. «  Insolent  », soit, anticonformiste,  est-ce qu’il l’est vraiment ? Qu’est-ce qui, chez lui, est carapace à l’image de ses fameuses lunettes noires, et quelle est sa vérité ?

Je laisse le soin aux lecteurs de s’en faire une idée. De mon côté, je vais tout relire et je réponds après (rires).

 

 
 
Trois adjectifs, pour le qualifier ?

Insolent, caustique, attachant.

 

Entre 2014 et juillet 2017, Dutronc a formé un trio mythique avec deux potes, Johnny et Eddy, connus à l’époque bénie du Golf-Drouot. Ces trois-là, inutile de le rappeler ici, ont chacun réalisé un parcours superbe, chacun dans son style, et chacun à sa manière. Est-ce qu’ils partageaient tous trois une conception du show-biz propre à leur époque (On veut des légendes) et qui ferait défaut aux artistes d’aujourd’hui ?

Vieilles Canailles

Aujourd’hui, la communication et le marketing sont devenus des composantes plus importantes que les qualités artistiques  ! Pour toucher un artiste, il faut passer par une armée de managers et de conseillers en image. Le show-biz est représentatif de son époque. On ne mise plus désormais sur la durée, on ne considère que l’instant. Il faut que ça rapporte. Les chanteurs ont perdu la faculté de faire rêver. Le temps des idoles est révolu. Les gamins préfèrent les footballeurs. Johnny, Eddy et Jacques ont connu le temps béni où tout était à créer et à rêver. Les choses se faisaient encore de façon artisanale. Avec fraîcheur, spontanéité et insolence. L’avenir était permis.

 

De 2014 à 2017, on a eu trois légendes...

 

Parmi les témoignages les plus intéressants de ton livre, il y a, avec ceux de Françoise, toutes les confidences que t’a faites le photographe légendaire de  Salut les copains, Jean-Marie Périer. Lui aura été, comme un fil rouge dans ces parcours 60s que tu as suivis, depuis tes débuts de biographe : Johnny bien sûr, Sylvie, Sheila, Jane, Françoise et Jacques... N’est-il pas lui aussi, définitivement, un acteur essentiel de ces années-là ?

Périer, l’ami, l’âme des 60s à la française ?

Tout à fait. Il est à peu près du même âge que les chanteurs que tu cites et faisait partie de la «  bande  ». Pour officialiser l’union de Françoise et Jacques, c’est à lui qu’on fait appel. De même, il est le témoin du mariage de Sylvie et Johnny, qu’il accompagne en voyage de noces  !... Je ne pense pas qu’il ait photographié Jane, cependant. C’est plutôt Tony Frank qui était le photographe attitré du couple Birkin/Gainsbourg… Ayant beaucoup écrit sur les idoles de cette époque, j’ai souvent interviewé Jean-Marie Périer. Pour me parler de son ami Jacquot, il a voulu que je le rejoigne dans sa retraite aveyronnaise et m’a fait découvrir une auberge à la lisière du Lot où l’on déguste une cuisine du terroir absolument divine  !... Je n’ai rencontré que de belles personnes, au cours de l’écriture de ce livre.

 

Je crois savoir que tes projets à venir, consisteront, notamment, en une bio (attendue !) de Serge Lama, et en un nouvel ouvrage sur Julien Doré. D’autres envies, d’autres thèmes ou pourquoi pas, des envies d’ailleurs ?

projets

Je voudrais pouvoir écrire des choses plus personnelles. J’ai des bouts de textes qui traînent dans les tiroirs, des romans inachevés… Et, de façon moins impérieuse, une biographie de temps en temps. Sur un sujet choisi. Il me faudrait trouver une autre activité qui me le permette. J’aimerais qu’on fasse appel à moi pour certaines de mes compétences, pour mes connaissances sur la chanson française, par exemple… En attendant, j’espère que ma façon d’écrire et la bienveillance avec laquelle j’aborde les biographies vont finir par trouver un écho dans ce milieu. Les compliments de Thomas Dutronc me le laissent croire.

 

Un dernier mot ?

Une boutade dutronienne  ? «  « J’ai arrêté de croire au Père Noël le jour où, dans une galerie marchande, il m’a demandé un autographe. »

 

Frédéric Quinonero 2021

 

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