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Paroles d'Actu
14 juillet 2022

Alain Wodrascka : « Toute la vie de Michel Berger tourne autour de l'abandon de son père »

Le 2 août marquera le 30ème anniversaire de la disparition, à 44 ans seulement, d’un des auteurs-compositeurs les plus influents des années 1970-80 en France : Michel Berger, terrassé par une attaque, ultime reddition de ce cœur qui, au propre comme au figuré, aura connu un peu plus que son lot de tourments. L’homme, discret, aura finalement brillé via les autres, France Gall en particulier bien sûr, plutôt que comme interprète. Mais, 30 ans après, sa trace est perceptible, ses chansons s’écoutent toujours, sans vrai coup de vieux, et ses textes restent à découvrir. À découvrir pour en extirper, l’air de rien, la sensibilité, les colères aussi qui s’y cachent.

Qui était Michel Berger ? Qu’est-ce qui l’animait ? Plusieurs auteurs se sont penchés sur cette question. J’ai choisi d’inviter, pour cette nouvelle interview, le biographe et artiste Alain Wodrascka, auteur de Michel Berger, il manque quelqu’un près de moi (L’Archipel, juin 2022). Titre évocateur, tiré d’une chanson emblématique, Quelques mots d’amour, une de celles dans lesquelles ce pudique s’est livré. Un ouvrage riche en témoignages, à lire pour connaître, "pour comprendre" l’homme, les maux derrière les mots, et pour appréhender aussi l’impact de sa musique. Merci à M. Wodrascka pour cet échange animé, que j’ai choisi de retranscrire comme il s’est fait. Exclu. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Alain Wodrascka : « Toute la vie de Michel Berger

tourne autour de l’abandon de son père... »

Michel Berger AWo

Michel Berger, il manque quelqu’un près de moi (L’Archipel, juin 2022).

 

Pourquoi cette nouvelle bio de Michel Berger, sur lequel vous avez déjà pas mal travaillé ?

J’ai travaillé une fois sur lui, il y a dix ans, donc ça fait déjà un certain temps. C’était déjà un livre sur lui, mais un livre illustré, il n’y avait donc pas la possibilité de s’exprimer autant sur le sujet, même s’il était relativement complet.

 

Quels éléments nouveaux avez-vous souhaité apporter, 30 ans après sa disparition ?

Je trouvais que je n’avais pas dit tout ce que j’avais à dire. En outre, il se trouve que j’ai travaillé sur France Gall, puis sur Véronique Sanson par la suite, donc à chaque fois le sujet Michel Berger était évidemment exploité. Et comme c’est quelqu’un qui me passionne, c’était une évidence pour moi que j’avais d’autres choses à dire, d’autant plus qu’on lit beaucoup de choses, tout et n’importe quoi à mon avis, sur le sujet. On fait beaucoup parler les morts... Cela dit, je ne prétends pas avoir toutes les vérités possibles. Mais j’ai enquêté, je me pose des questions quand il s’agit d’assertions soutenues par tout le monde. Il est mort en 1992 : depuis, on a pu inventer une histoire... J’ai voulu explorer tout cela avec bienveillance et une sympathie, au sens étymologique - "souffrir avec". Je l’ai fait vraiment de façon fraternelle, même si je n’ai jamais connu le personnage. J’ai en revanche eu des témoignages de la part de personnes importantes ayant gravité autour de lui.

 

L’abandon depuis la blessure originelle, le départ du père, c’est le marqueur essentiel, comme un fil rouge dans la vie de Michel Berger ?

Évidemment, pour moi c’est fondamental. Je sais bien que je n’ai rien inventé, mais je crois que toute sa vie tourne autour de cette scène primitive qui a lieu quand il a 5 ans et des poussières, et qui va conditionner toute son existence. D’autant plus qu’il était le plus petit de la fratrie, il n’avait donc pas les armes assez affûtées pour pouvoir vivre une chose pareille. Son grand frère et sa soeur étaient plus âgés. Tous assistaient à la dislocation de la famille, au départ du père sans explication. Et dans sa vie, Michel revivra des scènes de cette nature, qu’il aura plus ou moins inconsciemment provoquées.

 

Vous pensez que, plus ou moins consciemment, ce sont des choses qu’il a provoquées ?

S’agissant de Véronique Sanson, l’a-t-il vraiment choisie ? Pour moi c’était un peu une union arrangée : les mêmes milieux sociaux, des familles qui se connaissaient... À l’époque, plus que maintenant, on voyait beaucoup les gens que les parents voulaient que l’on fréquente. Il s’est attaché, et elle lui a fait vivre exactement la même chose que son père. Il n’y a pas de hasard dans les choix qu’on fait à mon avis. Il y a des ruptures dans la vie, mais là on ne parle pas de ruptures, mais bien d’abandons : des gens qui partent sans l’expliquer.

 

Il y a eu aussi ce choc de cet ami très cher qui s’est suicidé...

Oui, là il s’agit plutôt d’accidents de vie. Mais qui évidemment ont eu une résonance par rapport à ses deux histoires d’abandon. Effectivement, son meilleur ami, Antoine, a décidé de s’ôter la vie... Ce sont des choses qui arrivent. Mais ça lui est arrivé, à lui... Michel Berger était quelqu’un de très complexe. Sous des apparences légères, ses chansons étaient souvent très graves, surtout celles qu’il interprétait lui-même. Celles écrites pour les autres, c’est un peu différent. Quoique, prenez Quelque chose de Tennessee, c’est une chanson grave...

 

 

Michel Berger, c’est d’abord dans votre esprit, un compositeur, un auteur ? Ne néglige-t-on pas, peut-être, son côté révélateur de talents en ce qu’il a aidé Véronique Sanson à trouver sa patte musicale, contribué à relancer les carrières de Françoise Hardy et Johnny Hallyday, et bien sûr fait d’une France Gall un peu ringardisée une authentique pop star ?

Pour moi, c’est un grand compositeur, et un auteur très inégal. J’en parle d’ailleurs, en citant Françoise Hardy qui a le même regard que le mien. Il avait une énorme exigence sur plein de détails d’interprétation, d’orchestration, etc... et des textes parfois faits au fil de la plume. Dans les années 70, c’était un peu le truc de Véronique Sanson aussi, d’écrire des textes rapidement sans forcément se relire. Eux deux sont issus de l’école anglo-saxonne où le son prime plutôt que le sens. Mais la chanson française peut difficilement se permettre ça. On ne peut pas faire du Elton John en français. Quoique si, on peut le faire, il l’a fait ! Mais c’est mal perçu parce que la chanson française est issue de la poésie. Il y a eu un glissement de l’un à l’autre, avec Prévert, etc... Alors que la pop, la musique anglo-saxonne n’a pas de lien précis avec la poésie. Ça passe difficilement en français à mon avis, même dans un registre populaire. Lucy in the Sky with Diamonds, "Lucy dans le ciel avec des diamants", on ne peut pas répéter ça pendant cinq minutes en français.

Michel Berger négligeait les textes alors même qu’il était capable d’en écrire de très bons et de très profonds. Mais il a fait des efforts par la suite, parce que ça ne passait pas auprès de la presse culturelle française. Il y a eu l’aventure Starmania, la collaboration avec Luc Plamondon qui a apporté une évolution. Il y avait aussi le regard exigeant de son épouse et interprète, qui avait travaillé avec Gainsbourg et Étienne Roda-Gil, Maurice Vidalin... durant la première partie de sa carrière. Je trouve que globalement, au moins les premiers temps, comme auteur, il n’était pas toujours à la hauteur de son talent de compositeur. Mais, à partir de Cézanne peint, il y a une constance d’écriture qui durera jusqu’à la fin.

Quant au fait qu’il ait révélé autant d’artistes, oui effectivement c’est incroyable...

 

 

Il a su en magnifier certains, donner confiance à d’autres...

Oui. Déjà, à mon avis, ses forces à lui, c’est d’avoir inventé avec Michel Bernholc un nouveau style musical. Bernholc traduisait avec des partitions ce que Berger avait dans la tête. Michel Berger était autodidacte, lui n’écrivait pas la musique. Bernholc lui apportait ce qu’il lui manquait sur le plan de la musique, de l’orchestration, etc... Ce duo-là a été très important. Il y a un avant et un après Michel Berger, on reconnaît tout de suite sa patte.

Par rapport au rôle qu’il a joué auprès des autres, il faut rappeler qu’il a été directeur artistique au départ, chez Pathé-Marconi, des années 60 au début des années 70. Comme vous dites, il a été très doué pour propulser des talents et remettre en selle et en scène des talents qui étaient dans une impasse, comme Françoise Hardy qui n’avait pas eu de succès depuis Comment te dire adieu en 1968. Elle faisait des "ronds dans l’eau" depuis quelques années. Il va lui écrire Message personnel. Pour Johnny, même chose : avant Quelque chose de Tennessee, il était ringard. Je l’ai vécu : au lycée, peu avant cette chanson, une jeune fille avait un t-shirt à l’effigie de Johnny Hallyday, tout le monde se moquait d’elle. Il représentait quelque chose de passé, un vieux show business. Berger l’a vraiment relancé, et ça a duré jusqu’à la fin...

 

 

Quant à France Gall, effectivement, c’est encore plus fort, et pas ponctuel. C’est une chanteuse qui n’arrivait plus du tout à avoir de crédit depuis 1967, et à partir de 1974 les succès vont s’enchaîner. Plus que ça, elle va devenir la seconde voix de Berger et aura plus de succès que lui chantant ses propres chansons. C’est un phénomène assez rare, comparable à Souchon-Voulzy.

 

Après avoir lu votre bio ça m’a donné envie de réécouter des créations de Michel Berger, mais plutôt chantées par France Gall justement. N’est-ce pas là un de ses "drames", un grand talent pour mettre les autres en avant, mais un relatif manque de charisme pour soi ?

Est-ce un "drame" ? Une frustration je pense, chez lui. Cela dit, il était heureux quand il avait du succès comme interprète, mais je pense que ce n’était pas vraiment sa vie. Quand il parle des chanteurs dans ses propres chansons, il ne parle pas de lui. Les princes des villes, ces rock stars, ça n’est pas lui. Il ne se met pas dans la mêlée. Il aimait chanter en public mais il n’avait pas plaisir, par exemple, à improviser une chanson devant une manifestation quelconque... Il aimait enregistrer en studio, monter sur une scène, mais il n’était pas un adepte de la défonce scénique, pas un Jacques Higelin pour parler de la même génération.

Il y a bien une question de charisme. Une question aussi d’image à casser : lui voulait toujours avoir le contrôle de soi. C’était d’ailleurs quelque chose de très familial : son père a dirigé sa propre opération sans anesthésie pour en avoir le plein contrôle. Michel Berger voulait avoir le contrôle de lui : un verre d’alcool maximum, jamais d’excès... La rock’n’Roll attitude, ça n’était pas pour lui qui se couchait à 10h du soir. Sa femme, elle, l’avait.

 

Les collaborations de Berger avec Daniel Balavoine et Johnny Hallyday ont été couronnées de succès sur le plan artistique, et des amitiés sont nées. L’un comme l’autre n’ont-ils pas été, dans des styles différents, des fantasmes pour ce garçon bien élevé qui n’osait pas crier lui-même ses rages et ses révoltes ? Plus simplement n’a-t-il pas préféré l’ombre à la lumière ?

Oui, alors, Balavoine, il n’a pas directement écrit pour lui, à part les chansons de Starmania. Quant à Johnny effectivement, il exprimait via cet interprète une certaine violence qu’il avait du mal à exprimer lui-même. Peut-être aurait-il voulu, mais on ne se refait pas... Il avait plus le look d’un chercheur du CNRS que d’une rock star.

 

 

Il était trop bien élevé pour chanter Quand on arrive en ville ?

À chacun son registre. Cette chanson ne correspondait pas à sa sensibilité. Pas davantage, les chansons de Diane Dufresne dans Starmania. D’ailleurs il n’a pas du tout chanté dans Starmania. Une chanson qui s’appelait Paranoïa lui convenait mais à part ça... Les uns contre les autres, peut-être ?

 

Vous indiquez bien en tout cas dans votre livre que sous ses airs très BCBG il y avait de vraies révoltes...

Oui, de vraies révoltes. Un grand désir de justice sociale, un engagement politique aussi. Mais il ne se sentait pas d’exprimer tout cela directement, ça n’était pas lui. La chanson Voyou est très symbolique de cela : quand elle est sortie, les gens riaient quand ils l’entendaient. Elle a eu un petit succès, mais elle n’était pas vraiment crédible. Il y prend la défense des délinquants, pourquoi pas, mais avec une interprétation très féminine qui ne passait pas vraiment. Si France Gall l’avait chantée, elle serait passée.

 

 

Qu’est-ce qui définit la "patte" Berger, paroles et musique ?

Sa musique est assez simple, avec des suites d’accords qui sont les siennes, qui ne ressemblent qu’à lui. Un sens de la mélodie hors pair, ce qui est rare. Un côté rythmique aussi, évident. Pour les paroles, l’art de dire avec légèreté des choses graves avec l’air de ne pas y toucher. Prenez Résiste, il y a une phrase qui dit "Tant de liberté pour si peu de bonheur, est-ce que ça vaut la peine ?" C’est glissé dans une chanson, comme ça, alors que c’est un vrai message politico-philosophique. Il a préféré toucher un plus grand public avec une manière populaire en adressant un message politique d’humanisme et de tolérance plutôt que d’aller dans la chanson engagée qui est écoutée par un public plus restreint. Il a fait rentrer la chanson humaniste, "de gauche", dans tous les foyers français.

 

Vous convoquez une comparaison intéressante avec James Dean, dont l’histoire est évoquée dans La Légende de Jimmy. Vivre vite avec un sentiment d’urgence, ne pas perdre de temps, quitte à se mettre en danger, c’est quelque chose qui colle bien à ce Berger perfectionniste qui voulait créer rapidement et laisser une trace ?

Oui, c’est quelqu’un qui effectivement était dans l’urgence, voulait toujours aller très vite. Et en même temps je suis prudent avec ce sujet : quand la personne n’est plus là, on dit qu’elle était forcément dans l’urgence. Peut-être à la fin de sa vie, parce que, s’il était dans un certain déni, il avait eu des alertes par rapport à sa pathologie. Quoi qu’il en soit, en 44 années, il a fait un nombre incroyable d’expériences. En cela je crois qu’il est comparable à Jacques Brel, mort à 49 ans. Chacun d’eux, rapporté à ce qu’il a créé, a vécu 90 ans. Et la trace est bien là, elle n’est pas venue tout de suite, mais avec le temps.

 

Vous laissez entendre que Michel Berger, malade du coeur, aurait négligé de se soigner en partie à cause d’une méfiance qu’il aurait intégrée vis-à-vis du corps médical, son père étant lui-même médecin...

Oui, il avait je crois une très mauvaise image de la médecine, qu’il rattachait à l’univers de son père. L’abandon par son père de sa famille a certainement provoqué ce sentiment de répulsion. Il savait qu’il était malade, d’ailleurs son père lui avait adressé une lettre lui conseillant d’aller consulter un cardiologue, il avait eu des alertes... Avec son épouse France Gall, il avait eu quelques mois avant sa disparition des problèmes d’essoufflement dans une station de ski. Un de ceux qui furent ses partenaires au tennis m’a raconté qu’un jour ou deux avant son décès, lors d’une conversation qui tournait autour des régimes, Michel Berger avait dit ne pas suivre le traitement qui lui avait été prescrit. J’ai voulu aller à la source pour ce genre d’info, parce que beaucoup de choses ont été dites.

Il y avait sans doute aussi, une forme de fatigue. Et il y avait la maladie de Pauline, très présente dans son esprit, ses collaborateurs dont Michel Bernholc en ont témoigné. Quelque part, ça lui aurait été impossible de survivre à sa fille. Mais je le dis avec prudence, on ne sait pas ce que les gens ont dans leur tête...

Il faut noter aussi la décision de France Gall, en 1988, de ne plus chanter. Pour moi, la troisième grosse scène d’abandon. Je crois qu’il ne s’en est jamais remis.

 

Que reste-t-il, 30 ans après sa mort, de Michel Berger ? Qu’est-ce qui restera dans 30 ans parmi l’oeuvre de Berger ?

Dans 30 ans, je ne peux pas vous dire ! (Rires) Quoi qu’il en soit, les années passent plus vite qu’on ne le sent. Il y a 30 ans, quand j’ai appris comme tout le monde, par le JT, la mort de Michel Berger, je ne pensais pas que 30 ans après on en parlerait autant. Ce qu’il reste ? Une oeuvre assez moderne pour qu’on puisse l’entendre assez régulièrement dans les radios : on entend La groupie du pianiste, on entend Paradis blanc, on entend Évidemment... Il jouait du piano debout, vous l’entendez sur pas mal de radios... Et à chaque fois, ça n’est pas présenté comme un antiquité, ça fait partie de l’air du temps. Des titres en avance, et intemporels. D’autres ont plus mal vieilli, comme certains de la deuxième partie des années 80, assez agaçantes avec les caisses claires synthétiques. Les orchestrations de Débranche, etc... sont très marquées par une époque. Mais, pour en revenir à celles qu’on écoute toujours et qui pourraient avoir été faites hier, on peut dire, c’est mon avis en tout cas, qu’il était un "génie de l’art mineur".

 

 

A-t-il vraiment été visionnaire, sur Starmania et d’autres choses ?

Oui. Après, il a eu l’idée mais il a fait appel à un auteur, sur Starmania. Un nord-américain, Luc Plamondon donc, sur le conseil de sa femme, parce qu’elle pensait qu’il n’aurait pas la violence nécessaire pour écrire ce qu’il voulait écrire, et je crois qu’elle a eu raison. Mais visionnaire oui, à un point assez incroyable. Starmania a été écrit dans les années 1975-77. Le premier album avec les chansons sort en 78. Il était inenvisageable, à l’époque, d’imaginer que les réseaux sociaux allaient exister. Et je ne parle même pas d’internet. Starmania, c’est ce que nous vivons depuis quelques années, mais ça n’était pas du tout envisageable à cette époque-là. Starmania c’est une histoire où tout le monde veut devenir star, et c’est un peu ce qu’on vit avec les réseaux sociaux. Avec toutes les histoires de cyber-harcèlement, etc... Michel Berger était quelqu’un d’une intelligence supérieure mais il voulait exprimer les choses avec une certaine simplicité.

 

Michel Berger en 3 qualificatifs ?

(Il hésite longuement) Inventif, c’est clair. Pygmalion. Protestant. Oui, c’est ça.

 

Même question pour France Gall ?

Pas protestante du tout. (Rires) Interprète. Opiniâtre. Solaire. Ce côté solaire, c’est un peu ce qui lui manquait à lui qui était plutôt quelqu’un de l’ombre. Elle a éclairé son oeuvre. Dans un vrai couple, il y a ce genre de complémentarité. La gémellité fonctionne difficilement pour un couple.

 

 

Si vous aviez pu l’interroger de son vivant, quelles questions lui auriez-vous posées ?

Bonne question... Pourquoi ne pas avoir fait de psychanalyse ? Je pense que cette question s’appliquerait bien dans son cas : il était intelligent, dans la réflexion. Il savait qu’il y avait une souffrance. Peut-être aurait-il répondu qu’il avait peur que ça tarisse son inspiration, qui était peut-être une forme de compensation à sa souffrance. Mais je ne sais pas s’il aurait répondu... Il y a de la psychologie dans ses chansons. La groupie du pianiste raconte le fanatisme avec des mots très simples et d’une façon très fine.

 

 

Quelles sont les trois ou quatre chansons de Berger qu’il faut écouter à votre avis, "pour le comprendre" ?

Pour me comprendre, ça c’est sûr. C’est une des rares où il parle vraiment de lui. Et il parle de son frère, qui était malade. Je citerais Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux, parce qu’ici il parle autant de la souffrance du monde que de lui. "Quand je pense à eux, ça fait mal, ça fait mal..." À la fin de la chanson, il y a des coups de batterie, ça percute très fort, on dirait que ça percute dans sa tête. Et, Plus haut, où il fait son autoportrait, d’ailleurs très suffisant... (rires)

 

 

Les chansons de lui, pas forcément chantées par lui, que vous préférez et qui vous touchent particulièrement ?

 

 

Déjà je suis loin. Personne ne la connaît, mais j’adore cette chanson-là. Il y décrit qui il est, son abandon (d’ailleurs le texte commence par "Perdu...") et l’injustice du monde ("Assez de luxe et de misère...") en mélangeant le tout. Une superbe mélodie, de belles harmonies... Du Berger pur jus, ça aurait dû faire un tube.

J’aime beaucoup La prière des petits humains, que là encore personne ne connaît. Elle est chantée par France Gall dans l’album Tout pour la musique. Je ne sais pas ce qu’il y a eu avec celle-ci. Personne ne la diffuse, elle n’a jamais été chantée sur scène, elle avait pourtant tout pour devenir un tube : très bien chantée, mélodie et texte géniaux, elle traite de ce besoin qu’ont les peuples depuis toujours d’un dieu, qu’ils créent eux-mêmes. Tous ces gens font des prières, chacun à son dieu, sans réponse.

 

 

Je veux aussi citer Quelques mots d’amour, dont j’ai extrait un vers pour le titre de mon livre. On a dit, de façon posthume, qu’elle était la chanson pour Véronique Sanson. C’est un peu frustrant, c’est vraiment limiter son imaginaire : "Il manque quelqu’un près de moi, je me retourne tout le monde est là", c’est bien encore le sentiment d’abandon que quelqu’un qui a été abandonné très tôt aura toute sa vie. On ne limite pas ça à une personne. C’est comme Seras-tu là, au-delà de Véronique Sanson, il pose la question de savoir si le couple peut durer. C’est une version bien plus moderne de la Chanson des vieux amants de Brel. Cette chanson de Brel, on ne dit pas qu’elle est pour telle ou telle personne. Pourquoi, avec Michel Berger... Un des problèmes avec lui à mon sens, c’est qu’il a été peoplisé à sa mort. Une presse très people a parlé d’anecdotes, de ses amours, plutôt que de regarder son oeuvre en profondeur. Il n’aurait pas aimé cette "gloire" posthume-là.

 

Vos écrits sont principalement consacrés à des chanteurs d’un âge, Orelsan excepté. Qui trouve grâce à vos yeux parmi les artistes plus récents ?

Je vais vous en expliquer la raison, il y en a deux. Déjà, quand on me propose une biographie d’artiste qui est là depuis cinq ans ou moins, en général je refuse : pour moi, il faut qu’il y ait vingt ans pour savoir si la personne s’inscrira dans la durée. Les gens sur lesquels j’ai écrit sont ceux que j’ai écoutés quand j’étais gosse, qui m’ont façonné aussi. Comme je chante moi aussi, je m’intéresse moins à la nouvelle génération. Je dis ça modestement : je n’ai pas besoin de nouvelle nourriture parce que je me la crée. Mais je me tiens au courant bien sûr, il y a des tas de choses que j’apprécie, d’Orelsan à Feu! Chatterton. Mais il n’y a pas un besoin. J’ai une collection de vinyles d’époque, de chanteurs et groupes qui ont été une nourriture d’enfance.

 

Les artistes d’hier qui pour vous sont au-dessus du lot, que vous aimeriez contribuer à faire découvrir ou redécouvrir ? Marie Laforêt, par exemple ?

Si je vous dis les Beatles ou Barbara, il n’y a pas de besoin de les faire redécouvrir, parce qu’ils ne sont pas oubliés. Marie Laforêt est un bon exemple. C’est une très grande artiste, mais tout le monde ne le sait pas, à part Télérama et la presse culturelle. Elle n’a pas la reconnaissance qu’elle mérite. En partie à cause de sa carrière, qui va un peu dans tous les sens. Elle ne l’a pas vraiment ordonnée, elle faisait un peu les choses comme elle voulait, voilà. C’était quelqu’un qui chantait très bien dans plusieurs registres, dans les aigus et les graves, des choses très différentes, du folklore au chanson à texte, et même de la variété ce qui à mon avis lui a fait du mal à long terme. Elle fut aussi une grande actrice. C’est rare d’être à la fois Barbara et Catherine Deneuve, je ne vois pas d’autre exemple.

 

 

Justement, est-ce qu’il ne lui a pas manqué de rencontrer "un Michel Berger" ?

Je ne pense pas. Ce n’était pas un problème de chansons. Elle les écrivait, et elle le faisait très bien. Mais elle n’avait pas d’ambition du tout (rires). Elle a fait ce métier par hasard. D’abord le cinéma, peut-être aussi pour perdre de sa timidité. Ensuite la chanson est venue, mais elle n’a pas eu le désir de laisser une trace. Simplement, dans les derniers moments de sa vie, elle a contribué à l’élaboration de son intégrale chez Universal, sans doute parce qu’elle voulait quand même laisser une trace, avec une pointe de regret. C’était ça, Marie Laforêt. Jusque dans les années 70, ça a été sa période très variétés, ça marchait très bien. Dans les années 80 elle a pris de la distance, ouvert une gallerie d’art à Genève. Elle faisait du cinéma et de la chanson de manière plutôt alimentaire. Quand elle faisait une télé, elle disait des choses du genre "Je viens de faire un film hautement psychologique", elle se moquait de ses films, etc... Dans une émission dont je me souviens, il était question de soupe, soupe alimentaire, et elle a rebondi : "En matière de soupe, je suis experte, d’ailleurs je vais vous chanter quelque chose..." Elle a fabriqué tout cela dans les années 80, ce qui a discrédité son personnage parce que quand on entend ça, on la croit. Le mal a été fait. Patrick Dewaere avait été un peu comme ça aussi.

 

Vos projets et envies pour la suite Alain Wodrascka ?

Je prépare un album de chansons qui va sortir en février prochain, avec une scène. Et je prépare deux autres livres.

 

Un dernier mot ?

Je suis un biographe qui fait ce travail avec passion, mais je suis avant tout un artiste. Je me distingue des autres biographes qui sont avant tout des journalistes. Souvent j’interroge des gens, mais comme un artiste qui parle à d’autres artistes. En toute modestie, je me mets sur un pied d’égalité avec ceux sur lesquels j’écris. Je ne suis un fan de personne. Je m’intéresse beaucoup à l’art mais je le fais avec distance. Ils ne sont pas des dieux mais des artistes comme les autres, ils sont excellents dans ce qu’ils font mais sont des gens comme les autres. Artiste, je le suis, je ne me compare en rien avec eux au niveau du talent ou autre, je projette un regard d’artiste sur d’autres artistes.

Entretien réalisé le 9 juillet 2022.

 

Alain Wodrascka

 

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