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Paroles d'Actu
11 mars 2023

Frédéric Quinonero : « J'ai voulu réaliser quelque chose de plus personnel, qui m'appartienne vraiment »

Je souhaite, avant d’entrer dans le cœur de ce nouvel article, entamer d’emblée par une digression dont j’aurais beaucoup aimé me passer. La disparition, mercredi 8 mars, de Marcel Amont, artiste complet, auteur fin et homme généreux - j’ai pu le constater très directement, notamment mais pas que, lors de cette interview réalisée en décembre 2021 -, a peiné pas mal d’artistes et un grand nombre d’hommes et de femmes qui l’ont aimé au cours de ses sept décennies (!) de carrière. Il incarnait, plus sincèrement que d’autres sans doute, une forme de légèreté associée à une époque dont beaucoup sont nostalgiques. Une joie de vivre à l’évidence. Dans les hommages, on a beaucoup lu, entendu qu’il était solaire, et il l’était vraiment, Marcel. Alors, on emprunte un moment le chapeau de Mireille (de toute façon je crois qu’ils annoncent du vent aujourd’hui), pour dire simplement : chapeau, l’ami !

 

 

J’ai interviewé Frédéric Quinonero pas mal de fois pour Paroles d’Actu. Toujours pour ses bio d’artistes. Il a choisi cette fois, encore une histoire de chapeaux, de changer de casquette et nous présente aujourd’hui un roman, publié 14 ans après son premier. Carol Eden n’existe pas vient de paraître chez La Libre édition. Vous ne connaissez pas cette maison ? C’est normal, il vient de la créer. Ce roman, il y songeait depuis longtemps. Et ma foi, c’est une belle surprise : il part de sa connaissance encyclopédique de la carrière des chanteuses qui l’ont marqué, Sheila et Françoise Hardy en tête, pour recréer une histoire totalement originale, un huit clos pesant, lourd de non-dits en plein contexte apocalyptique. Ce bouquin, écrit avec l’aisance de plume qu’on lui connaît, nous transporte en plein drame intime, alors que se joue une catastrophe et en même temps, peut-être, des retrouvailles, et quelque chose qui n’est pas rare en temps d’Apocalypse : une forme de rédemption. Un roman court mais intense et parfaitement ficelé, je vous invite à le lire, vous soutiendrez en même temps un nouvel éditeur ! Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero : « J’ai voulu réaliser quelque chose

de plus personnel, qui m’appartienne vraiment... »

Carol Eden n'existe pas

Carol Eden n’existe pas (La Libre édition, mars 2023)

 

Frédéric bonjour. Première question, une triste actualité. On vient d’apprendre la disparition, à quelques jours de ses 94 ans, de l’ami Marcel Amont, que toi et moi avions chacun de notre côté interviewé, pour ce qui te concerne il avait notamment témoigné sur le terrible accident de Serge Lama en 1965. Que retiens-tu de tes rencontres avec Marcel Amont, et que t’inspire-t-il, l’homme comme l’artiste ?

L’annonce de sa disparition m’a attristé. Je l’ai interviewé à deux reprises, en 2007 pour mon livre sur les années 60 (Rêves et révolutions) et tout récemment pour la biographie de Lama. En novembre 2007, je l’avais rencontré à Montpellier lors de la tournée «  Âge tendre  ». Il m’avait reçu dans sa chambre d’hôtel et nous avons dialogué – car l’interview s’est rapidement transformée en conversation -, lui allongé sur son lit, moi assis sur un fauteuil. Ce sont des rencontres qu’on n’oublie pas. Outre le talent et le parcours de l’artiste, l’homme était passionné et passionnant, humble, généreux, sincère, attentif, curieux de l’autre. Il appartenait à une «  école  » qui n’existe plus, celle du music-hall. À l’époque, on ne s’embarrassait pas avec l’image, la com, tout ce fourbi. On se donnait sans filtre. C’est tout ça aussi qui s’en va avec lui.

 

On pense à lui, à son épouse et à ses proches... Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ce roman, Carol Eden n’existe pas (La Libre édition), toi qu’on connaît surtout pour des biographies d’artistes (ta biblio en compte une bonne vingtaine, contre un roman sans compter celui-ci) ? Le goût peut-être de laisser libre cours à son imagination, de s’affranchir des rigidités de la bio, de ne dépendre de rien ni de personne, bref le goût d’être "libre" tout court ?

L’idée de Carol Eden remonte à quelques années, du temps où je faisais mon "apprentissage" d’écrivain. J’avais écrit cinq ou six romans, déjà, non aboutis. Puis l’idée de Carol Eden est arrivée au moment où j’ai commencé à être biographe, grâce à un ami journaliste – Benoît Cachin, pour le citer – qui m’a ouvert les portes de l’édition parisienne. Pendant 17 ans, j’ai enchaîné les biographies. On ne me demandait rien d’autre, malgré mes appels du pied. Je faisais ça plutôt bien, pourquoi avoir envie d’autre chose ? me disait-on. Il m’a fallu attendre que ce soit possible et j’ai décidé enfin de me faire plaisir, en créant mon édition. Cela ne veut pas dire que je renonce à la biographie et que je claque la porte de la « grande édition » (rires). Sinon, pour répondre à ta question, oui, on peut tout se permettre dans un roman. La biographie nous contraint à une technique particulière et à un effacement de soi. On se tient à distance pour mettre son sujet en lumière. Avec le roman, on s’immisce partout. Sans que cela se voie.

 

Pas d’obligation en effet d’être béton sur une vie d’artiste, sur des faits... mais qu’est-ce que le roman suppose justement en matière d’exigence particulière pour son auteur ?

Je crois qu’il n’existe aucune règle particulière à suivre, excepté peut-être l’idée qu’on écrit pour les autres et qu’on doit captiver son lectorat. Personnellement, je m’applique à fixer deux choses dès le départ  : comment je commence et où je compte aller. Entre les deux, je me laisse guider par mon imaginaire, sans perdre de vue la chute, le dénouement final. Zola disait  : «  Savoir où l’on veut aller, c’est très bien ; mais il faut encore montrer qu’on y va.  »

 

Comment l’aventure Carol Eden n’existe pas s’est-elle passée pour toi ? As-tu ressenti en y mettant le point final, une jouissance un peu plus grande que pour tes bios ? Et l’exercice t’a-t-il donné envie d’écrire davantage de fiction par la suite ?

La jouissance était plus grande parce que le projet me tient à cœur depuis longtemps, et parce que j’avais fait la promesse à mon ami romancier Michel Jeury, aujourd’hui disparu (ce livre lui est dédié), que Carol Eden existerait un jour  ! Ensuite, j’étais heureux de pouvoir m’échapper un peu du cadre de la biographie et de réaliser quelque chose de plus personnel, qui m’appartienne vraiment. Et oui, je compte bien écrire d'autres fictions.

 

Quel lecteur de romans es-tu ?

Je suis un grand lecteur, très éclectique. Je lis de tout  : romans, récits, essais, livres historiques, biographies. Je n’ai pas toujours du temps à consacrer à la lecture, mais je ne m’endors jamais sans avoir lu quelques pages. Actuellement, je lis une biographie passionnante de Juliette Drouet (Juliette Drouet, compagne du siècle, Flammarion), par Florence Naugrette, que j’ai rencontrée au Festival de la biographie de Nîmes.

 

La Libre édition, c’est une aventure personnelle amenée peut-être à se développer. L’autoédition, c’est quelque chose qui te tentait depuis longtemps et que peut-être, tes expériences avec les éditeurs établis ont précipité ?

Oui, qui sait  ?... Je n’ai pas cherché longtemps un éditeur pour mon roman. J’ai vite compris que c’était peine perdue. Non pas que je sois un piètre romancier, mais pour des raisons purement commerciales. L’édition aujourd’hui, essentiellement tenue par de grands groupes hégémoniques, ne laisse plus guère de chance aux romanciers débutants, à moins d’arriver avec un sujet hyper «  bankable  »…  Je me suis donc lancé en tant qu’éditeur, j’aurais pu simplement m’autoéditer comme le font certains auteurs. Je tenais à créer mon édition, mon logo, faire les choses en professionnel. Avec mon amie graphiste Christine Kovacs, que j’ai connue lorsque j’étais publié par les éditions Didier Carpentier, on a réfléchi à un visuel, un concept, une «  collection  ». On a pris beaucoup de plaisir à se lancer dans cette aventure que je souhaite longue.

 

 

Carol Eden n’existe pas nous fait revivre, comme toile de fond omniprésente, l’exceptionnel épisode cévenol qui a frappé ta région en septembre 2002. Quels souvenirs en gardes-tu, et pourquoi avoir choisi ce cadre-là ? C’était une façon pratique, aussi, de forcer les deux protagonistes à passer une soirée ensemble ?

L’idée de Carol Eden est née chez Michel Jeury, au lendemain de cet épisode cataclysmique. Je n’habitais pas dans les Cévennes à ce moment-là, mais dans la région de Montpellier. J’ai tout de suite imaginé un huis clos cette nuit-là et je l’ai situé à l’endroit où vivait Michel, à qui j’ai demandé de me raconter en détails ce qu’il avait vécu. J’ai tout recueilli sur dictaphone, si bien que toutes les précisions données dans le roman sont rigoureusement exactes. Michel Jeury m’encourageait à écrire, ses conseils étaient précieux, distillés subtilement afin de susciter en moi une vraie réflexion et un vrai cheminement d’auteur. Il faisait en sorte que l’on trouve seul sa voie (sa voix), parce qu’il n’y a pas de recette miracle pour être écrivain. Pendant plus de dix ans, je suis venu régulièrement lui rendre visite dans sa maison d’Anduze. Longtemps, sans faillir, je me suis appliqué à écrire des romans ou des ébauches de romans que je lui faisais lire, parce qu’il me demandait toujours ce que je faisais et lisait tout ce que j’écrivais. La première ébauche de Carol Eden n’existe pas lui avait beaucoup plu, je me devais de le publier, je le lui avais promis.

 

Michel Jeury

Michel Jeury. Photo : Andersen/Sipa.

 

L’atmosphère un peu pesante liée à ce huis clos contraint par la météo (et un peu calculé par un des deux personnages), le lecteur la ressent bien me semble-t-il. Le huit clos, c’est quelque chose qu’en général tu trouves attirant pour une narration ? T’es-tu inspiré d’œuvres en particulier pour construire cette ambiance ?

Oui, la tempête de cette nuit-là a pleinement sa place dans l’histoire, comme un personnage à part entière. Elle installe un climat pesant, une situation d’urgence. Sans elle, la rencontre n’aurait pas pu se faire. Le huis clos s’imposait ici. Je ne crois pas m’être inspiré d’une œuvre en particulier, j’avais simplement l’idée d’un film en écrivant. Je visualisais ce que j’écrivais.

 

Le roman met face à face deux personnages, présentés comme étant la sœur jumelle d’une ex-star des sixties disparue, et un jeune journaliste un peu mystérieux. Clairement, ton inspiration, s’agissant du parcours de Carol Eden notamment, tu l’as pioché ici ou là, dans les vies et carrières de tes idoles à toi, Françoise, et surtout Sheila en tête ?

C’était une façon de faire doucement la transition entre le biographe et le romancier. Mais rien n’a été calculé. Il y a un peu de moi chez le jeune journaliste - en 2002, j’étais encore jeune (rires). Et le personnage de Carol Eden s’inspire de toutes nos vieilles chanteuses bien-aimées, à commencer par Sheila, ma fée Clochette, et son producteur. Mais on s’éloigne assez vite de Sheila. Il s’agissait de reconstituer une époque et d’établir une satire du milieu du showbiz. On peut donc y voir plusieurs références…

 

Tu expliques, à un moment du roman, à quel point Carol Eden a mal vécu à la fin de sa carrière le côté hystérique, inquiétant même de certains fans. Quel regard portes-tu finalement sur la célébrité, après avoir étudié la manière dont toutes les stars que tu as racontées ont géré la leur ? C’est plutôt quelque chose que tu trouves enviable, ou lourd à gérer au quotidien ?

C’est enviable à partir du moment où l’on vit de sa passion, tout en gardant les pieds sur terre. Mais tout autour de soi, les conditions de vie, l’argent, les fans, l’entourage, tout invite à perdre le sens des réalités. Je dis souvent que la biographie, malgré ma réputation d’auteur bienveillant, m’a permis de déboulonner les stars de leur piédestal. Enfant, j’avais des idoles. Je les croyais au-dessus de tout. Et c’est un peu le problème  : les stars, souvent, se croient au-dessus de tout. Mon statut d’écrivain m’amène parfois à être reçu dans des endroits prestigieux et je suis toujours amusé par les révérences obséquieuses que l’on suscite dès lors qu’on est un peu connu. Être ainsi courtisé au quotidien fait facilement perdre les pédales. Ils ne sont pas nombreux ceux qui comme Souchon ou Cabrel ont su se préserver, s’écarter du milieu du showbiz, maintenir une certaine «  normalité  ». C’est un métier où on se brûle facilement les ailes, si on se laisse bercer par les flagorneurs.

 

La question de la filiation, celle de la maternité est très présente dans l’intrigue, on songe un peu au beau film Guy que tu m’as dit n’avoir pas vu. C’est un élément que tu as eu assez rapidement en tête quand tu as construit ton histoire ?

Oui. J’avais eu une longue conversation avec le fils d’une chanteuse, et je voulais parler de cette difficulté d’avoir un enfant quand on mène ce genre de vie et qu’on est plutôt autocentré de nature…

 

Si tu devais en quelques lignes inciter une de tes idoles à lire ton roman, qui serait-elle et quel argumentaire déploierais-tu ?

Je n’ai plus trop d’idoles, mais si tu veux parler de nos chanteuses bien-aimées, je les inciterai toutes à le lire. Chacune s’y retrouverait, au gré de l’histoire. Bien sûr, celle avec qui j’ai le plus d’échange est Françoise (Hardy) et j’aimerais beaucoup avoir son avis intransigeant… Mais comme je te vois venir avec ta question, ce serait peut-être l’occasion de me réconcilier avec ma fée Clochette ! (rires). Elle n’a pas beaucoup aimé le biographe, quand bien même il est bienveillant, mais elle apprécierait peut-être le romancier, qui sait...

 

Sheila

 

J’évoquais l’atmosphère particulière du roman tout à l’heure, ce huit clos chargé tant par la météo que par les non-dits entre les personnages. Je me dis, et je ne suis pas le seul, que ça s’adapterait fort bien au théâtre et pourquoi pas au grand écran. Y as-tu songé, et si oui, mettre en scène, c’est une chose qui pourrait te tenter ou pas du tout ?

Je l’ai dit  : j’ai écrit de manière filmique. Je ne sais pas faire autrement  : il faut que je visualise une scène pour pouvoir la décrire. Sans doute le fait que j’ai été pendant quelques années monteur image. Alors oui, l’histoire pourrait s’adapter au cinéma ou à la télé. Ça me plairait beaucoup, je pourrais éventuellement retravailler le texte avec un scénariste mais je laisserais le soin de l’adapter à un vrai metteur en scène.

 

Florent Pagny, à propos duquel tu écris une bio en ce moment, a annoncé il y a quelques jours des nouvelles moins bonnes qu’on espérait à propos de son cancer. Si tu avais un message à lui adresser ?

Je l’ai trouvé courageux et émouvant dans l’émission. Garder le sourire avec les larmes aux yeux, c’est admirable… Je lui souhaite tout le meilleur, vraiment. Il reçoit en ce moment beaucoup de messages d’amour. C’est bien de lui dire qu’on l’aime. Lui envoyer ce genre d’ondes positives. Mon livre sera ma façon de le lui dire.

 

Quels sont tes projets, tes envies surtout, en tant qu’auteur et tout autant, en tant qu’éditeur ?

Je ne sais pas si j’aurai assez de temps, mais je prévois de publier à La Libre Édition une nouvelle version de Chemin d’enfance, avant l’été, et ma biographie d’Édith Piaf à l’automne, rebaptisée et augmentée d’une préface prestigieuse… L’abécédaire Florent Pagny est donc annoncé aussi pour l’automne à L’Archipel. Ensuite, toutes les aventures sont permises. À condition qu’elles soient palpitantes.

 

Un dernier mot ?

Merci (de ta fidélité).

 

 

F 

Photo : Nathalie Bouly.

 

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