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Paroles d'Actu
4 décembre 2023

« Mon regard sur Kissinger », par Gérard Chaliand

Le 29 novembre 2023 disparaissait, à cent ans et six mois, une des personnalités les plus controversées du dernier tiers du XXème siècle. Henry Kissinger fut conseiller à la Sécurité nationale des États-Unis auprès des présidents Nixon et Ford (1969-1975), une fonction qu’il cumula même, sous Gerard Ford, avec celle, en pleine lumière, de secrétaire d’État (1973-1977). Conseiller de l’ombre et diplomate en chef. Un théoricien passé à la pratique. Pour certains un authentique criminel de masse, et à cet égard le bilan qu’en feront les historiens ne pourrait que difficilement être tout blanc ; pour d’autres un génie de la géostratégie, un maître de la Realpolitik, terme qu’on croirait inventé pour lui, et dont on rappelle au passage qu’il fut co-lauréat d’un très controversé prix Nobel de la Paix en 1973.

J’ai proposé à Gérard Chaliand, grand spécialiste de la géopolitique et fin connaisseur des guérillas, notamment celle au Vietnam - qui eut beaucoup à voir avec Kissinger -, d’écrire quelque chose à propos du défunt dans un texte libre. Le fruit de son travail m’est parvenu le 1er décembre. Je le remercie d’avoir accepté de se prêter au jeu, un peu plus de dix mois après notre interview qui portait sur son récent Atlas stratégique paru chez Autrement et toujours disponible. Une exclu Paroles d’Actu.

 

H

Henry Kissinger, avec Richard Nixon.

Crédits photo : Air Force Magazine.

 

« Mon regard sur Kissinger »

par Gérard Chaliand, le 1er décembre 2023

Pour situer Kissinger avant de l’encenser ou de le critiquer, il faut rappeler son originalité dans le contexte américain.
 
Longtemps, comme le rappelait Stanley Hoffmann, grâce à une rhétorique moralisatrice issue du protestantisme et d’un projet universaliste, les États-Unis ont connu une "virginité historique constamment renouvelée" (pas de colonies, pas d’États voisins capables de rivaliser avec eux, une démocratie à forte mobilité sociale - pour les Blancs) qui les a encouragés à ne pas participer aux querelles européennes pour se consacrer au commerce et à l’édification de leur espace.
 
Lorsqu’ils se retrouvent, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en charge des relations internationales, leur provincialisme leur fait considérer la paix comme l’état normal des relations internationales, d’autant plus que l’expérience du désastre leur est étrangère.
 
Kissinger note dans son livre Nuclear Weapons and Foreign Policy (1957) que les personnalités qui occupent des fonctions politiques aux États-Unis sont issues des milieux d’affaires ou du droit, et que d’une façon générale elles manquent de cadres conceptuels, de vision d’ensemble, habituées qu’elles sont à traiter de cas souvent individuels.
 
Le biographe d’Henry Kissinger, Walter Isaacson, écrit à propos de ce dernier : "He had a worldview that a born American could not have" ("Il avait une vision du monde qu’un natif américain ne pouvait avoir"). En effet, né en Allemagne en 1923, juif de surcroît, et ayant dû quitter son pays natal à 15 ans, le jeune Kissinger devenu citoyen américain était, culturellement dedans-dehors, comme un certain nombre de minoritaires, marqué par une culture européenne qui lui sera fort utile à Harvard...
 
C’est en 1969 (il a 46 ans) qu’il devient, sous la présidence de Richard Nixon, responsable de la National Security Affairs (conseiller à la Sécurité nationale, ndlr). On le dit réaliste, stratège et tacticien, plutôt pessimiste sur la nature humaine et partisan du contact direct. Mais c’est deux années plus tard, en 1971, en pleine querelle sino-soviétique, qu’il devient célèbre en prenant contact, à Pékin avec Chou En-lai (le Premier ministre de Mao à l’époque, ndlr).
 
Son récent décès a été l’occasion, bien sûr, d’une foule d’articles établissant des bilans fort contrastés : d’une part son rôle éminent, tout au long du dernier demi-siècle, de façon directe ou indirecte ; d’autre part des critiques sévères de son action au Cambodge, au Pakistan... Tony Greco écrit par exemple : "Dans un monde juste, Henry Kissinger serait mort en prison (ou il aurait été exécuté)".
 
Où est ce monde juste en politique ? Il ajoute : "On ne peut espérer d’une nation qui célèbre Kissinger qu’elle mène une politique étrangère décente". On croit rêver : il y a aux États-Unis, et aux États-Unis seulement, ce mythe de la nation décente et moralement rigoureuse face en général à des adversaires présentés comme indécents ou criminels. Or, il faut rappeler que la politique menée chez soi, en général démocratique, n’a que peu de choses à voir avec ce qui si souvent est pratiqué ailleurs, chez l’adversaire.
 
Oui, Kissinger a beaucoup contribué à envenimer des conflits, à cet égard l’exemple du Cambodge est particulièrement tragique. Il est indirectement responsable de la montée au pouvoir des Khmers rouges...
 
Sans doute faudra-il attendre que s’éteignent les passions pour une appréhension plus réaliste, et moins indignée, du bilan forcement sanglant de qui s’occupe de relations internationales de façon concrète, c’est-à-dire cruelle, comme ce fut le cas au Pakistan, au Chili, au Timor est, etc...
 
 
La question en +
 
Auriez-vous aimé rencontrer Henry Kissinger ? Si vous aviez pu, les yeux dans les yeux, lui poser dans les dernières années de sa vie une question, une seule, quelle aurait-elle été ?
 
Il y a cette question : "Que regrettez-vous ?" Et en même temps je ne me vois pas la poser à Kissinger. Il répondrait encore par une pirouette...

 

G

 

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Commentaires
L
Mon avis sur Kissinger? tout est dit dans cette chanson<br /> <br /> <br /> <br /> https://youtu.be/aZnf3KNid-o
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M
Pas pire que Sarkozy qui envahi la Libye pour effacer le financement de sa campagne électorale !
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