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Paroles d'Actu
coronavirus
7 mai 2020

Julie Bottero : « L'espérance de vie des personnes vivant avec le VIH se rapproche désormais de celle des autres... »

Alors que le déconfinement se précise, et que la vie s’apprête à redevenir un peu plus normale pour les uns et les autres, suite de ces articles ayant vocation à mieux faire connaître le monde médical, en donnant la parole à des soignants. Mon invitée du jour s’appelle Julie Bottero : responsable d’unité aux Maladies Infectieuses et Tropicales de l’hôpital Jean Verdier (Seine-Saint-Denis), elle est notamment spécialisée dans les questions touchant au VIH, au SIDA. Merci à elle d’avoir accepté de répondre à mes questions, au tout début du mois de mai. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Julie Bottero: « L’espérance de vie des personnes vivant

avec le VIH se rapproche désormais de celle des autres... »

 

Julie Bottero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Comment vivez-vous, comme soignante, et comme chef de service à l’AP-HP, cette crise du COVID-19 ? Dans quelle mesure votre service est-il impacté par la pandémie, et sollicité pour lutter contre elle ? Quelles leçons tirez-vous de cette expérience de terrain ?

face au Covid-19

Bonjour. Tout d’abord, une précision, je ne suis pas chef de service, mais responsable d’unité aux Maladies Infectieuses et Tropicales de l’hôpital Jean Verdier (Seine-Saint-Denis), dont le chef de service multi-sites est le Professeur Olivier Bouchaud. Au début du confinement, cette unité, à activité ambulatoire exclusive, a dû, comme toutes les unités ambulatoires, fermer pour ne pas risquer d’exposer les patients au coronavirus. Ainsi l’hôpital Jean Verdier a pu, comme les autres hôpitaux, concentrer ses efforts sur la prise en charge des patients hospitalisés pour COVID.

De mon côté, j’ai donc réorganisé, conformément au souhait du Professeur Bouchaud, mon travail à distance autour d’activités de veille et synthèse bibliographique, et de production de projets de recherche.

À ce jour j’ai donc contribué à :

  • la diffusion d’informations médicales auprès de nombreux confrères, via notamment des groupes WhatsApp et un site internet mis en place par l’UNFM (Université Numérique Francophone Mondiale), dédié à la formation des soignants francophones

et à

  • l’écriture de plusieurs projets de recherche opérationnelle visant notamment à :

- Évaluer le retentissement médico-psycho-social à moyen terme d’une hospitalisation pour COVID ;

- Organiser la prise en charge des personnes sans-abri à Marseille ;

- Évaluer l’apport d’un Drive de dépistage du COVID en région parisienne.

 

Cette question dépasse un peu le cadre médical, mais croyez-vous que cette crise va nous changer, au moins un peu, dans la manière dont on aborde nos rapports à nos aînés, le temps à employer, notre environnement et le sens des priorités ?

après la crise

Même nous ne pouvons que l’espérer, je ne suis pas sûre que cette crise nous permettra effectivement de sortir du système individualiste dans lequel notre société est engagée depuis si longtemps…. Et des dérives extrémistes, notamment secondaires d’une part aux erreurs des politiques dans la gestion de cette crise, et d’autre part à une excessive défiance de la société envers ses « élites », sont même à craindre…

 

Vous êtes très engagée dans la prévention, et dans la lutte contre le Sida, pandémie (provoquée par le virus VIH) qui a tué et qui continue de tuer massivement partout dans le monde (plus de 30 millions de morts d’après l’OMS). Quels points de dissemblance et de ressemblance notables avec le COVID-19 ? La rapidité légitime des réactions et de la recherche pour lutter contre ce nouveau coronavirus, qui frappe et perturbe massivement les pays occidentaux, n’est-elle pas à comparer avec l’historique de la réponse faite au SIDA ?

Covid-19 et VIH

De nombreux parallèles peuvent effectivement être faits dans la gestion internationale, scientifique et médicale de ces deux pandémies… Même si je n’exerçais pas encore à ce moment-là, il semble que les choses vont plus vite actuellement que pour la pandémie du SIDA. Toutefois, il me semble que cela tient essentiellement aux immenses avancées, non seulement techniques (qui ont permis de caractériser ce coronavirus très rapidement), mais aussi numériques qui facilitent largement les transferts d'informations et de connaissances. En outre, ce virus de type respiratoire semble, pour le moment, moins complexe et variable que celui du VIH, ce qui devrait permettre la mise au point rapide d'un vaccin.

 

Constatez-vous, si vous avez des données en la matière, un nombre moindre de dépistages ou de traitements de maladies de type MST ou SIDA en cette période de Covid-19 ? Ce phénomène a l’air assez alarmant : beaucoup de gens ne font pas leurs examens ou ne vont pas à l’hôpital quand ils le devraient, par peur du Covid ou pire, de ne pas déranger ?

effets collatéraux

Il est certain que, du fait du confinement, du principe général de précaution, mais aussi afin de pouvoir prendre en charge au mieux l’ensemble des personnes hospitalisées pour COVID, nous avons dû différer de nombreuses consultations de suivi (certaines ayant toutefois été réalisées en téléconsultations), mais aussi limiter les amplitudes des consultations dédiées au dépistage. De ce fait, et comme d’autres spécialistes, nous sommes inquiets d’une possible (non documentée jusqu’alors) dégradation de l’état de santé générale de nos patients et nous nous préparons désormais activement à pouvoir reprendre au mieux le suivi nécessaire.

 

Où en est-on justement dans la recherche contre le SIDA ? Quelles avancées, et quels faits notables ces dernières années ? Y a-t-il un espoir tangible d’imaginer qu’à l’horizon 2030, il y ait un vaccin ?

SIDA : perspectives d’avenir

De nombreux progrès ont été faits ces dernières années, tant aux niveaux thérapeutique que préventif. Sur le plan thérapeutique, de nombreuses personnes infectées peuvent désormais bénéficier de traitements sous forme simplifiée (1 à 2 comprimé.s. par jour, parfois uniquement 4 jours/7), et quasiment dépourvus d’effets secondaires. Du fait de ces progrès, les patients infectés par le VIH vivent mieux avec le traitement et ont, de plus en plus, une espérance de vie proche de celle des personnes non-infectées.

Par ailleurs, des progrès ont également été réalisés sur le plan de la prévention, puisque l’on sait désormais qu’il n’y a pas de risque à avoir des rapports sexuels avec une personne porteuse du virus du VIH, sous réserve que celle-ci prenne scrupuleusement son traitement et que « sa » charge virale soit constamment indétectable (Concept du I= I ou Indétectable = Intransmissible). Il existe également, désormais, des tests de dépistage rapide simplifiés, y compris réalisables par les personnes elles-mêmes si elles le désirent (autotests vendus en pharmacie), et la possibilité, pour toutes les personnes prenant des risques importants d’exposition au virus (notamment pour celles n’arrivant pas à utiliser des préservatifs lors des rapports sexuels), de bénéficier de consultations et de traitement préventif appelés PREP.

Quant au vaccin, difficile malheureusement, compte-tenu des caractéristiques du virus et de ses mécanismes physiopathologiques, de penser que celui-ci sera disponible en 2030…

 

Un message à adresser aux uns et aux autres ?

Gardez la confiance en vos soignants et en l’Inserm (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale)… nous mobilisons toute notre énergie médicale et scientifique pour nous sortir de cette crise sanitaire le plus vite et le mieux possible, et notamment en ne cessant de chercher les meilleurs traitements.

 

Un dernier mot ?

Prenez-soin de vous, de vos proches, et de la société.

 

Julie Bottero

 

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1 mai 2020

Nans Florens, néphrologue : « Il faut désacraliser nos professions, inciter le public à s'emparer de nos débats »

En ce premier mai, dont je souhaite, pour toutes et tous, qu’il soit porteur d’éclaircies durables, ou en tout cas de moments de joie et de partage, pas négligeables en ces temps bien sombres, je vous propose un nouvel article (le cinquième) autour de l’épidémie de Covid-19, qui continue de ravager des familles et de faire porter par nos soignants, et par nos sociétés, une pression difficile à supporter. Nans Florens est néphrologue (c’est-à-dire, médecin spécialiste du rein), chercheur en physiologie (en gros, la science qui étudie les fonctions et les propriétés des organes et des tissus des êtres vivants, merci Google !) et fan de rock (pas incompatible ^^). Je le remercie vivement d’avoir accepté de répondre à mes questions (interview réalisée à la fin du mois d’avril) et vous engage, toutes et tous, à suivre sa chaîne de vulgarisation (au sens le plus noble du terme) YouTube, Doc’n’Roll. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

Nans Florens: « Il faut désacraliser nos professions,

inciter le public à s’emparer de nos débats... »

 

Nans Florens bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Parlez-nous un peu de votre parcours : pourquoi la médecine, et en particulier, pourquoi la néphrologie et la recherche en physiologie ?

Bonjour, merci à vous de m’interroger ! Pourquoi la médecine ? Parce que j’ai toujours été passionné par la science et le corps humain, et aussi, beaucoup, car j’ai une tendance hypocondriaque, penchant paranoïaque ! Faire médecine, c’était aussi une façon de mieux appréhender cette partie-là de ma personnalité (enfin c’est ce que je croyais, rires).

La néphrologie, c’est une histoire marrante. C’est la seule matière pour laquelle je n’ai rien compris en lisant les cours pour la première fois à la fac. Je me suis alors dit : « Ouah ! Pas évident cette spécialité, va falloir un peu/beaucoup réfléchir ! ». En fait, au fur et à mesure, j’ai compris que cette discipline était surtout basée sur la physiologie et la physiopathologie et, une fois que l’on a bien appréhendé cela, on comprend tout ! À ce moment-là, ça a été une révélation pour moi. Cette spécialité est très vaste, elle se recoupe avec beaucoup d’autres comme la cardiologie, l’endocrinologie, l’urologie, l’immunologie et la médecine intensive (la réanimation). J’étais particulièrement séduit par ce dernier point : la relation néphrologie/médecine intensive (ce sont les néphrologues qui ont en partie inventé la réanimation moderne), j’ai donc suivi également l’enseignement du diplôme d’études spécialisées en réanimation, et j’effectue aujourd’hui encore des gardes en réa.

Parallèlement à mon choix de spécialité, j’ai toujours voulu enseigner et faire de la recherche. Je ne voulais pas seulement être un bon clinicien (c’est à dire faire ce qu’il faut pour soigner) mais aussi être acteur de la médecine et de la science de demain, participer à l’amélioration des connaissances et à la découverte de nouvelles perspectives. C’est pour cela que j’ai fait un deuxième doctorat de recherche en physiologie (domaine très vaste). J’ai surtout travailler sur les lipoprotéines dans l’insuffisance rénale chronique et leur lien avec le risque cardio-vasculaire. Je vais poursuivre mes recherches aux États-Unis à partir de la fin de l’année, pour deux ans, dans un laboratoire à la pointe de la biologie moléculaire cardio-vasculaire.

Côté enseignement, j’interviens dans les cours magistraux de néphrologie et de thérapeutique, mais je crois aussi beaucoup à la vulgarisation et c’est pour ça que j’ai lancé avec un ami infirmier une chaîne YouTube du nom de Doc’n’Roll (alliant aussi ma passion pour la musique) il y a peu !

 

Quel regard portez-vous sur ce nouveau coronavirus, le Covid-19, notamment en tant que chercheur ?

Ce virus est un véritable challenge pour la science et ce, à plusieurs égards.

Premièrement, car nous partons de zéro. Il faut construire la connaissance autour de ce virus, son origine, son mode de transmission, ses particularités virologiques, ses symptômes et ses traitements potentiels. Le monde scientifique est en ébullition et nous découvrons chaque jour dans tous les domaines de nouvelles choses. C’est assez rare dans ce milieu, autant de découvertes aussi importantes et en peu de temps ! La plupart du temps, la recherche avance doucement car les hypothèses testées sont de plus en plus complexes et il faut beaucoup de temps pour y répondre. Là, nous avons une feuille vierge pour écrire l’histoire et la science de ce virus.

 

« En matière de recherche, le combat doit être

un combat de preuves, et non de communication ! »

 

Deuxièmement, car la science ne doit pas être victime d’un emballement néfaste. Le domaine de la recherche est aussi un milieu très compétitif, avec des enjeux financiers et d’égo. Il est donc dangereux de voir apparaître tout et n’importe quoi sur le plan scientifique, et même à un haut niveau de publication (revues prestigieuses). Toute l’année, nous nous battons pour protéger les patients par une recherche clinique de qualité, avec une vraie évaluation du bénéfice/risque et une transparence absolue en matière d’efficacité. La façon de faire de certains collègues, quel que soit leur passé glorieux, est plus de l’ordre du populisme scientifique. Il est absolument dément de voir la médiatisation et la « peopolisation » du débat sur la chloroquine ! Le combat doit être un combat de preuves, et non de communication, ce que je déplore trop souvent actuellement. Plus que jamais dans une période aussi inédite, et vu l’énormité des enjeux (on parle quand même de traiter des millions, voire des milliards d’individus !), il ne faut pas se contenter de mauvaises études. La science, ce n’est pas selon l’interprétation de chacun, il y a des faits et une méthode. Si la méthode ne permet pas d’affirmer les faits, alors on ne peut pas les affirmer, point.

Enfin, je dirais que cela montre aussi la grande qualité de notre recherche scientifique mondiale, quand elle s’en donne les moyens. Dernièrement, nous avons généré plus de connaissances, en quelques mois, sur ce virus que sur le virus Ebola. On parle de vaccin d’ici l’année prochaine, là où une épidémie qui a fait 20.000 morts a dû attendre quatre années (Ebola : dernière épidémie 2013-2016, vaccin 2019).

 

Comment vivez-vous, dans le cadre de votre travail à l’hôpital, cette grave crise sanitaire ?

Nous avons dû repenser en profondeur notre façon de fonctionner. Toutes nos réunions de service ont été annulées ou réduites au staff minimal nécessaire. Nous avons déprogrammé toutes nos hospitalisations non urgentes et sommes passés à quasiment 100% de téléconsultation. C’est une véritable révolution ! Le déploiement de la téléconsultation est probablement un des points positifs de la crise Covid. Cela permettra d’accélérer les choses au niveau national. En fait, cette crise nous permet aussi de constater que, lorsque nous nous en donnons les moyens, nous pouvons faire bouger rapidement les lignes. On a qualifié l’hôpital de gros paquebot ingouvernable, mais là, les administratifs ont fait preuve d’initiative, main dans la main avec les soignants, et nous avons pu nous réinventer pour mieux absorber la crise. Résultat : pas de submersion de notre système à Lyon, bien qu’ayant connu une activité hors norme durant les dernières semaines.

En néphrologie, nous avons la dialyse, et ça, on ne peut pas le faire en téléconsultation. Nous avons donc repensé notre façon de fonctionner. De l’arrivée du patient par un circuit d’ascenseurs spécifique, de son accueil avec un questionnaire et une prise de température jusqu’à la programmation sur une série spéciale de patients dialysés Covid-19+...

À la fac, nous avons aussi déployé rapidement des plateformes de cours en ligne, et avons dû revoir nos contenus. C’est extrêmement enrichissant comme expérience !

Au laboratoire, malheureusement tout est à l’arrêt, c’est mon principal regret car je ne peux pas avancer sur ma recherche…

 

« J’ai vu que l’on était capable de faire beaucoup,

et j’espère que l’on pourra continuer avec

cette même énergie à la sortie de la crise. »

 

Pour résumer, à titre personnel, je vis la crise sous un angle plutôt positif. J’ai vu que l’on était capable de faire beaucoup, et j’espère que l’on pourra continuer avec cette même énergie à la sortie de la crise. J’ai aussi vu un grand soutien de la part de toute la société civile : les restaurateurs (qui vont être en grande difficulté), mon fournisseur d’énergie, les réparateurs de vélos, et j’en oublie ! Personnellement, je mettrai un point d’honneur à tous les remercier un par un à la sortie de tout ça.

 

Dans quelle mesure peut-on dire, sur le papier et de par l’expérience acquise ces dernières semaines, que les insuffisants rénaux sont une population particulièrement à risque face au Covid-19 ? Leur prise en charge hospitalière se fait-elle différemment en ce moment ?

Les patients insuffisants rénaux sont effectivement plus à risque. Très probablement car ils ont souvent plusieurs facteurs de risque de forme grave de Covid-19 (l’âge, les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’hypertension…). Notre expérience montre que, comme dans la population générale, les symptômes et la gravité de la maladie sont extrêmement variables. Sur la vingtaine de patients que nous avons dû hospitaliser, nous avons eu environ 20% de formes sévères, et 15% de décès. C’est donc effectivement largement au-dessus de la population générale...

Leur prise en charge ne diffère pour autant quasiment pas des autres. Les traitements de support sont les mêmes (oxygène, nursing). Par contre, du fait de leur insuffisance rénale, nous ne pouvons pas les faire participer à toutes les études en cours, et les médicaments comme l’hydroxychloroquine sont à manier avec encore plus de précaution chez ces patients. De fait, nous ne les utilisons quasiment pas.

Les patients dialysés sont pris en charge la nuit sur une série spéciale pour leurs séances de dialyse. Les transplantés rénaux voient leur traitement réadapté.

 

« L’activité de greffe rénale a été suspendue

sur le plan national depuis le début

de la crise de Covid-19. »

 

Pour la prise en charge des patients non-Covid, nous avions transformé le service de transplantation rénale en service de néphrologie général non-Covid, car l’activité de greffe rénale a été suspendue sur le plan national. Cela a été un grand choc pour tout le monde, mais cette décision était plus sage vu le contexte, et compte tenu du fait que nous pouvons faire patienter les gens en dialyse (ce n’est cependant pas le cas pour les greffes de foie en urgence, ou les greffes de cœur/poumons qui ne peuvent pas trop attendre parfois…)

Tout cela constitue un gros changement pour nos patients, notamment pour les personnes âgées qui dialysent. La nuit c’est très éprouvant et avec la maladie, souvent très difficile, ajoutez à ça le fait de ne pas recevoir de visites et de ne voir que des soignants habillés en cosmonaute… le cocktail parfait pour déprimer !

Les patients dialysés se savent à haut risque de forme grave et en même temps, ils sont obligés de venir à l’hôpital. Cela les met dans une situation anxiogène que nous essayons de gérer au mieux.

 

On entend ou lit beaucoup, ici ou là, qu’à cause du Covid-19, de la peur qu’il engendre ou de la crainte de « déranger » des personnels soignants déjà fortement sollicités, pas mal de gens auraient repoussé à plus tard des examens qu’ils devaient passer, voire des interventions médicales, parfois importantes. Clairement, faut-il craindre un grand nombre de victimes « collatérales » du Covid-19, et a-t-on déjà des données en la matière ?

C’est effectivement le cas. Un certain nombre de mes patients ne veulent pas sortir faire leurs examens biologiques. Cela est un véritable problème en néphrologie, car notre prise en charge est énormément basée sur les résultats des prises de sang ! Cela est d’autant plus ennuyeux quand les patients ont une insuffisance rénale sévère, et qu’il faut ajuster leur traitement très souvent. Lors des téléconsultations, je ne peux souvent pas évaluer leur pression artérielle non plus, car beaucoup ne la prennent pas... et c’est pourtant une donnée essentielle !

 

« Les cardiologues ont peur de voir arriver une vague

de malades ayant des formes dépassées de pathologies,

négligées à cause de la peur du Covid... »

 

Je n’arrive pas à dire si tout cela va être un gros problème, mais on a bien vu que la fréquentation des services d’urgence avait chuté, qu’il y avait moins de prise en charge d’infarctus du myocarde… Cela est un peu à double tranchant, d’un côté, on voit que les consultations non urgentes et les passages injustifiés aux urgences ont largement diminué, mais d’un autre côté on voit aussi des complications sévères et des formes graves de pathologies qui ont été négligées par peur de se rendre aux urgences. Pour les infarctus, il est impensable que leur nombre ait chuté comme par magie avec le confinement... Les cardiologues ont peur de voir arriver une vague de malades ayant des formes dépassées, et donc une insuffisance cardiaque séquellaire plus grave in fine. Ces effets ne seront palpables qu’avec plusieurs années de recul par contre !

Il n’y a pas vraiment de données établies mais on peut d’ores et déjà constater des prises en charge plus tardives que d’habitude pour certaines pathologies. Un message simple : il faut aller voir son médecin, ou en tout cas l’appeler en cas de problème. Il ne faut pas hésiter à appeler les secours pour une douleur thoracique ou un problème inhabituel ! Au début de la pandémie, le 15 était saturé d’appels et les « vraies urgences » pouvaient attendre plusieurs longues minutes avant d’être prises en charge. Aujourd’hui, la situation est plus calme donc il n’y a pas de raison de ne pas se soigner !

 

Êtes-vous de ceux qui croient en un « monde d’après », plus responsable et plus vertueux ? Quelles grandes leçons tirer de cette pandémie ?

J’avoue que je ne sais pas ce que je crois… En confinement, tout le monde a envie de changement, de repartir sur de nouvelles bases. Mais les conséquences dans la vie de tous les jours vont peut-être perturber tout cet élan. Le chômage, la crise économique…

Je suis un fervent partisan de plus d’écologie, on voit bien que l’air est plus respirable, que la nature revient avec l’arrêt de la suractivité humaine. J’espère que l’on pourra prendre cela en compte et surtout que l’on ne sabordera pas toutes les initiatives pour un monde plus durable au profit et à la justification d’une relance économique (qui sera essentielle par ailleurs j’en conviens !)

Les leçons à tirer sont, pour moi :

Le positif :

  • Sur le plan professionnel : l’énergie et les moyens que l’on peut déployer pour une cause précise. Il faut garder cela en tête pour la refondation à venir de l’hôpital. Le dialogue et la vraie collaboration administration-soignant fonctionnent ! Je suis content que l’on puisse remettre la problématique de l’hôpital au centre du débat, mais après les paroles y aura-t-il des actes ?

  • Sur le plan économique : on redécouvre que de nombreux métiers peu reconnus sont essentiels au fonctionnement de la société. Il serait temps que l’on revalorise ces filières-là aussi.

  • Sur le plan sociétal : on voit que le confinement a permis d’exacerber des élans de générosité et de bienveillance. J’aimerai que l’on garde cette belle énergie positive pour construire l’avenir et le vivre-ensemble.

 

« Il faut absolument sortir de cette crise

en repensant dès le plus jeune âge

l’apprentissage de l’esprit critique, du doute... »

 

Le négatif : le complotisme… la gouroutisation… Je me rends compte que nous avons échoué sur toute la ligne avec l’avènement des réseaux. Au lieu d’être une plateforme de partage, ils sont devenus le lieu d’un sectarisme numérique avec la circulation et la galvanisation de fausses informations, de détournement de la vérité… La responsabilité de chaque personne dans son domaine d’excellence est grande. Il faut absolument sortir de cette crise en repensant dès le plus jeune âge l’apprentissage de l’esprit critique, du doute (la zététique), permettre aux gens d’avoir à nouveau confiance dans les experts (ce que j’appelle les experts, ce sont ceux qui sont normalement légitimes pour parler d’un sujet, légitimes par leur cursus et leurs réalisations), mais aussi de pouvoir les remettre en question avec des arguments documentés. Sortir du sensationnalisme, du clic, du follower… Je ne vois que l’éducation et la pédagogie pour ça !

(L’annulation du Hellfest aussi est le gros point négatif de cette crise, mais ça c’est plus à titre personnel… :D)

 

Je l’ai bien compris, la pédagogie est quelque chose qui vous tient beaucoup à cœur. Pourquoi est-il essentiel que les patients, et plus généralement les citoyens, s’emparent davantage des questions de santé ?

Oui, comme je le disais à la question précédente, je suis assez convaincu qu’il faut proposer plus de contenu pédagogique pour le plus grand nombre. Sur le plan professionnel, je suis assez engagé dans la pédagogie à la faculté et je fais partie de l’APNET (Association pédagogique nationale des enseignants en thérapeutique).

 

« En médecine, nous sommes les champions du monde

de la jargonisation ! Pour le grand public, il faut vulgariser.

Et vulgariser, c’est donc surtout donner les clés

pour pouvoir mieux douter. »

 

Par ailleurs, sur un plan plus général, je pense qu’il faut désacraliser nos professions et la tour d’ivoire dans laquelle nous nous plaçons, avec nos dizaines d’années d’études ! C’est vrai qu’il est parfois difficile d’expliquer pourquoi telle ou telle étude est bonne ou mauvaise, car cela fait appel à de nombreux concepts à la fois de sciences fondamentales, de physiologie et de méthodologie. En médecine, nous sommes les champions du monde de la jargonisation ! Ma femme me le dit souvent quand elle se voit piégée dans une conversation avec mes amis médecins ! Le propre d’un bon pédagogue c’est de s’adapter à son auditoire. Pour le grand public, il faut vulgariser. Et vulgariser, c’est donc surtout donner les clés pour pouvoir mieux douter. L’idée ce n’est pas de devenir médecin ou statisticien, mais de se dire que la réalité cache des choses parfois plus complexes et qu’il faut beaucoup de mesure pour tirer des conclusions tranchées ! Si l’on peut par la même occasion faire passer des messages et des connaissances, alors tant mieux !

J’ai pris le parti, depuis le début de la crise, d’expliquer, en essayant au maximum de vulgariser les différents enjeux, par exemple ceux d’une étude bien ou mal faite ; de ce qu’est une prise en charge en réanimation ; de pourquoi il est faux de dire que l’hydroxychloroquine est un médicament bien toléré sans regarder son contexte de prescription… J’ai utilisé les réseaux et donc diffusé cela à mes proches. On se rend compte que pour beaucoup, il n’y avait pas de problème, mais il est difficile de convaincre les gens qui sont persuadés d’avoir raison et d’être au centre d’un complot…

Du coup, avec mon ami, Renaud Benier-Rollet, infirmier libéral, nous avons lancé notre chaîne YouTube Doc’n’Roll, l’objectif étant d’avoir un contenu de vulgarisation médicale que nous espérons accessible et sur un format ludique, la vidéo. Comme nous sommes tous les deux musiciens, cette page ne pouvait être sans rappeler notre passion commune ! Notre première vidéo sur les principes du dépistage du Covid-19 a été plutôt bien reçue ! Nous en préparons déjà plusieurs autres sur des sujets variés (médicaments, physiologie...). La prochaine va sortir très bientôt ! N’hésitez pas à nous suivre et à nous dire ce que vous en pensez ! Ce projet est dans nos têtes depuis longtemps, et c’est en voyant l’actualité que nous nous sommes décidés à le concrétiser.

 

 

« Pour moi, la place qu’on accorde aux

anti-vaccins est délirante ! »

 

Pour répondre à votre question donc, effectivement, je pense qu’il est fondamental que les gens se préoccupent plus de leur santé. Et pas seulement quand ils sont malades ! Pour cela, il faut qu’ils aient les clés pour pouvoir décrypter ce monde ! Il y a aussi un gros travail à faire au niveau des médias généralistes et du milieu du divertissement ! Des collectifs comme NoFakeMed ou NoFakeScience sont mobilisés et militent pour un traitement rigoureux de l’information scientifique. Je partage leur point de vue. Et ce n’est pas faire de l’élitisme que de dire cela. Il ne faut pas mettre au même niveau des informations sans commune mesure. Par exemple, la place donnée aux anti-vaccins est délirante ! Cette minorité de gens réussit à faire passer son message à grand coup de fake news, d’études bidons et de pseudo-experts médiatiques. Alors que les vraies études et les vrais experts n’ont que peu droit au chapitre ! Juste à titre d’exemple, la variole a été déclarée comme éradiquée complètement en 1980 grâce à la vaccination ! Les maladies infectieuses n’ayant pas de vaccination continuent de faire des millions de morts (paludisme, VIH…). Plus de 200 ans de recul sur les vaccins ! Enfin bref, vous aurez compris ce que je veux dire !

Je pense qu’en donnant accès à la connaissance, on pourra combattre l’obscurantisme scientifique ! Apprendre aux gens à douter et à creuser pour vérifier une info, pour moi cela devrait être au programme dès le CP !

 

Une question sur votre spécialité, la néphrologie. Les maladies des reins sont malheureusement très répandues, et dans les cas les plus aigus, elles nécessitent des traitements fort lourds : la dialyse à vie, ou bien la greffe d’organe. Quelles sont les perspectives d’améliorations que vous pouvez déjà entrevoir à ce stade ?

Oui aujourd’hui la maladie rénale touche près de 3 millions de personnes en France. Les patients en dialyse et en transplantation ne représentent qu’un peu moins de 100.000 personnes en France, mais la dépense de santé qu’ils génèrent est très importante (2% de la dépense globale, pour 0,1% de la population !)

Malgré l’amélioration des techniques de dialyse, cela reste effectivement un traitement lourd. Lourd sur le plan médical et lourd sur le plan personnel, car cela chamboule complètement le quotidien du patient. Il faut se rendre compte que dialyser trois fois par semaine pendant quatre heures, cela ne prend pas que douze heures du temps ! Il faut compter le temps pour s’y rendre et le temps pour en revenir, et le temps de récupérer de la séance. En somme, cela prend plutôt entre huit et dix heures, et donc entre vingt-quatre et trente heures par semaine !

La transplantation reste la meilleure option de remplacer les reins défaillants. Mais malgré les efforts déployés par la médecine moderne, ce traitement n’est pas accessible pour tous les insuffisants rénaux du fait de leur fragilité par rapport à leur dossier médical d’une part, et de la disponibilité limitée des greffons d’autre part.

Il y a plusieurs pistes pour améliorer notre prise en charge. La première c’est la prévention, l’intensification du dépistage précoce des facteurs de risque d’insuffisance rénale (comme l’hypertension par exemple). Les outils numériques de dépistage se perfectionnent et il sera peut être possible d’anticiper une partie de ces facteurs de risque, ce qui est encore le meilleur moyen de ne pas avoir d’insuffisance rénale, et donc de ne pas se poser la question des moyens de suppléance (dialyse, transplantation).

Concernant les techniques actuelles, la dialyse a beaucoup évolué depuis ses premiers essais, à la fin des années 40. Malgré l’augmentation de l’espérance de vie des patients en dialyse, cela reste un mode de traitement lourd et vécu comme pénible par les patients. Aujourd’hui, nous pouvons proposer un traitement plus personnalisé grâce à la dialyse incrémentale, qui consiste à adapter au plus près les besoins de dose de dialyse à ce dont a besoin le patient. Cela peut paraître une évidence mais, nous n’avons pas forcément eu les bons dosages et les bonnes techniques pour pouvoir identifier au mieux la dose nécessaire ! En France, plus de 90% des patients sont en hémodialyse, c’est à dire, l’épuration du sang par une machine. Il existe aussi la dialyse péritonéale, qui utilise la membrane naturelle de nos intestins, le péritoine, pour épurer le sang. Cette technique est mieux adaptée à la vie quotidienne, car elle se fait à la maison. Cependant, elle nécessite plus de logistique et une adhésion forte du patient, qui devra gérer seul son traitement la plupart du temps. La tendance est au développement de cette technique et plus généralement, des techniques de domicile. En effet, aujourd’hui, la miniaturisation a permis de mettre à disposition des patients des machines d’hémodialyse à domicile de taille raisonnable, et avec une interface ludique et simple. Cela permet de réaliser des séances plus courtes, et surtout à domicile ! On se rapproche un peu plus de la physiologie du rein !

Un gros effort de recherche est fait aussi pour une meilleure compréhension de l’épuration faite par le rein, et de celle faite par les dispositifs de dialyse, grâce à des nouvelles technologies comme la spectrométrie de masse et l’analyse en big data. Ces techniques permettent de savoir pour la première, de façon assez exhaustive, quels sont les composés présents dans un liquide ou un tissu là où il nous fallait auparavant un dosage spécifique pour chaque composé recherché ; pour la seconde, il s’agit d’outils bio-informatiques surpuissants permettant d’analyser des millions de données simultanément, afin de mieux comprendre leurs corrélations. Ces techniques ne sont pas encore disponibles, car encore très onéreuses, mais je l’espère, elles nous permettront de mieux appréhender la complexité du rein dans sa filtration et son fonctionnement.

Concernant les organes artificiels portatifs, un gros projet américain tente de développer un rein artificiel portatif implantable. Ils ont levé beaucoup d’argent pour ce projet mais pour l’instant, rien n’est encore opérationnel pour le grand public. Notre collègue Claudio Ronco, un célèbre néphrologue italien, a testé des combinaisons de dialyse portatives. Peu esthétiques, elles ont le mérite de fonctionner. Cependant, cela reste plus une prouesse technologique qu’un traitement applicable pour le grand nombre. Les nanotechnologies sont aussi une piste. Des puces biologiques avec des cellules rénales sont à l’essai, le problème est que le rein est un organe complexe avec une physiologie impliquant de nombreuses cellules, et le niveau de régulation est quantique... Le meilleur traitement reste encore la transplantation.

Pour cette dernière, les innovations sont surtout dans la prise en charge de l’immunosuppression, avec des nouvelles molécules, moins toxiques. La possibilité est accrue de faire des greffes avec des groupes sanguins différents, voire même avec des incompatibilités qui ne permettaient pas la greffe il y a vingt ans. Les innovations chirurgicales permettent de réaliser des greffes chez des patients très obèses grâce à des robots, et les machines de perfusion permettent une meilleure conservation des organes pendant leur transfert du donneur vers le receveur. Malheureusement, le nombre de greffons est limité et malgré l’élargissement des critères des donneurs et des receveurs, il y a une pénurie toujours très importante !

 

« S’agissant de vos reins, le meilleur traitement

reste, de loin, la prévention : faites-vous suivre ! »

 

J’en reviens au premier point, le meilleur traitement reste encore la prévention ! Faites-vous une prise de sang avec la fonction rénale au moins une fois (taux sanguin de créatinine), et faites-vous prendre la pression artérielle de temps en temps !

 

Un message pour nos lecteurs ?

J’espère qu’ils apprécieront cet article, qu’ils nous suivront sur les réseaux, et surtout qu’ils se portent bien ainsi que leurs proches.

S’ils applaudissent les soignants, je les en remercie beaucoup pour cette attention, et pour leur aide dans la lutte contre le virus, grâce au confinement.

Merci beaucoup à Paroles d’Actu de m’avoir donné la parole !

Prenez soin de vous.

 

Nans Florens

Nans Florens a l’air sérieux, sur cette photo. Mais allez le voir sur la chaîne

YouTube qu’il partage avec Renaud Benier-Rollet, c’est plus fun,

et même s’ils démarrent tout juste, on y apprend déjà plein de trucs !

https://www.youtube.com/channel/UC3MFyO53K3TiYnr2uFT5Y3A

 

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26 avril 2020

Mathieu Raad : « Nous autres soignants avons trop laissé le pouvoir aux gestionnaires de l'hôpital »

Alors que le bilan humain du nouveau coronavirus, dit Covid-19, s’établit désormais à plus de 200.000 morts au niveau global, dont plus de 22.000 en France, gardons toujours à l’esprit que, même si ces chiffres sont terribles, mis bout à bout et surtout pris un par un, fort heureusement, une vaste majorité des personnes infectées en sort guérie. Guérie parce que les signes de la maladie n’ont pour l’essentiel pas porté atteinte à des équilibres vitaux de l’individu, mais aussi dans certains graves, voire gravissimes, grâce à une prise en charge rapide et efficace par des pros, dévoués, par tous les soignants, jusqu’à la réa quand les choses deviennent critiques.

Deux semaines après avoir publié le témoignage de Rodolphe Lelaidier, j’ai la joie de vous proposer, aujourd’hui, ce nouvel article avec un autre interne en réanimation lyonnais, Mathieu Raad. Lui aussi nous raconte, à sa manière, son parcours et son quotidien en ces temps de crise, celui aussi de ses collègues. Il porte aussi son regard sur ce qui fonctionne, et sur ce qui fonctionne moins bien. Cet échange, franc, je l’en remercie, s’est tenu autour du 13 avril. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

Mathieu Raad: « Nous autres soignants avons

trop laissé le pouvoir aux gestionnaires de l’hôpital... »

 

Pourquoi la réanimation ?

Lors de nos études de médecine, il y a plusieurs étapes  : le concours de fin de première année, qui est très sélectif mais qui permet d’intégrer les études médicales.  Ensuite, de la troisième à la sixième année de médecine, on est à mi-temps à l’hôpital, et à mi-temps à la faculté. Lors de ce mi-temps à l’hôpital, on enchaîne les stages dans les différents services hospitaliers. Cela nous permet de découvrir les différentes spécialités de l’intérieur, et de nous faire une idée de ce que l’on aimerait faire plus tard (ou à l’inverse, ne pas faire) comme spécialité.

C’est lors de mon premier stage de troisième année (à la Croix-Rousse, en 2014) que je suis tombé amoureux de la réanimation. Son coté très holistique. On est un peu le généraliste de l’extrême. Notre but est de pallier, via des machines ou/et des médicaments, la défaillance d’un organe vital (respirateur pour le poumon, dialyse pour le rein, noradrénaline pour le cœur, coma artificiel pour le cerveau, etc…).

En réanimation, il y a cette vision globale du patient, on n’est pas des spécialistes d’organe. En même temps il faut bien comprendre que la réanimation est quelque chose d’extrêmement violent et agressif. Cela justifie de ne l’infliger qu’aux patients qui ont une chance de survie. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, s’agissant par exemple du coronavirus, nous amenant à limiter l’admission de certains patients en réanimation.

 

« Recevoir des patients dans des situations

systématiquement critiques et réussir (dans 2/3

des cas environ) à leur sauver la vie,

c’est cela que j’ai voulu faire. »

 

Je pensais que ce «  coup de cœur  » de 3ème année serait passager, mais au fil des stages dans les autres spécialités, je me rendais compte que c’étais vraiment cela que je voulais faire. Recevoir des patients dans des situations systématiquement critiques et réussir (dans deux tiers des cas environ) à leur sauver la vie.

À la fin de la sixième année de médecine, on repasse un concours national, nous permettant selon notre classement de choisir notre ville et notre spécialité (généralistes, anesthésistes réanimateurs, chirurgiens, pneumologues, etc…). À partir de la septième année, on devient donc «  interne  » c’est-à-dire à 100% à l’hôpital.

 

Ce que cela implique au quotidien

La réanimation implique je pense une certaine dose d’humilité. Nos patients sont gravissimes et on ne «  gagne le combat  »  contre la mort que dans deux tiers des cas. Dans le tiers restant, notre mission consiste surtout à accompagner une fin de vie décente pour le patient, et à assurer un encadrement pour la famille. Cela nous renvoie à nos propres faiblesses. On peut facilement s’identifier à un patient plus jeune que soi.

 

« Nous n’avons pas la prétention de "sauver" tout le monde,

mais au moins de tous les soigner. »

 

Notre mission consiste à pallier des défaillances d’organes. Au final, on accompagne la nature dans son processus de rétablissement, le temps que le patient soit de nouveau autonome dans ses fonctions vitales. Nous n’avons pas la prétention de «  sauver  » tout le monde, mais au moins de tous les soigner (dans le sens «  prendre soin  »).

C’est particulièrement un travail d’équipe, car ces patients nécessitent énormément de soins infirmiers (un infirmier pour deux patients) et d’aide soignants. De plus, les médecins réanimateurs sont de formation d’origine extrêmement diverses  : environ 50% d’anesthésistes, mais aussi des pneumologues, neurologues, cardiologues… Composant ainsi de véritables «  teams  » où chacun apporte sa compétence spécifique.

Durant notre formation initiale (avant le choix de notre spécialité, en fin de sixième année), cette médecine de l’extrême est peu évoquée. Donc on a beaucoup à ré-apprendre durant l’internat. Cela implique donc un engagement estudiantin énorme, à un âge où tous nos petits camarades de promotion hors médecine sont déjà diplômés depuis longtemps, autonomes financièrement, fondent légitimement une famille, etc… 

Alors que les gouvernements se retranchent derrière des dispositions théoriques et administratives, la réalité c’est que les internes travaillent en moyenne soixante heures par semaine (Cf. Mise_en_demeure_UE : une mise en demeure adressée par l’Union européenne à la France). Cela entraîne des temps de travail consécutifs parfois supérieurs à vingt-quatre heures pour les internes et donc, fatalement, des erreurs médicales, de prescriptions ou de gestes. C’est cela qui est insupportable. De voir des administratifs se retrancher derrière des textes théoriques de répartition de temps de travail en «  demi-journées  » sachant que la réalité est inapplicable et inappliquée. Je vous invite à lire les pages 8 et 9 du document par exemple.

 

« On a des responsabilités personnelles

énormes, là où les administratifs n’ont jamais

à répondre personnellement de rien. »

 

On a des responsabilités personnelles énormes, là où les gestionnaires ne signent jamais un document sans que ce soit validé par une large commission, pour bien diluer la responsabilité et ne jamais répondre personnellement de rien. Un interne en septième année de médecine gagne 1300€/mois… (voir : la grille officielle des salaires d’internes). Et pour chaque décision que je prends face à un malade, mon nom est toujours attaché à la moindre de mes prescriptions, et je suis susceptible (légitimement) d’avoir à en répondre.

 

L’identification, face à la mort

La première personne que j’ai vu mourir je m’en souviens très bien. J’étais jeune étudiant, c’était une jeune femme en attente de greffe pulmonaire sur une mucoviscidose. Elle avait le même âge que moi. Un choc quand à 21 ans on vient de réussir à intégrer le cursus médical, on se sent tout puissant, successful...

 

« Voir la mort. Je pense que cela explique

pour beaucoup les excès constatés en soirées médecine.

Une envie de vie énorme... »

 

Je pense que cela explique pour beaucoup les excès constatés en soirées médecine. Voir la mort. Celle de personnes de son âge. Être confronté avant l’heure à la finitude de sa propre vie.

Il y a un besoin, une envie de vie énorme du coup !!! De fête, d’alcool, de sexe...

Il y a un an, ça me l’a refait. Alors que ça ne s’était pas reproduit depuis longtemps. Personnellement je suis physiquement typé arabe. Et là, on reçoit un mec qui vient de se prendre plusieurs balles. Trop grave, il décédera dans les minutes qui suivent. Mais physiquement il me ressemblait incroyablement. Eh bien, avoir l’impression de se voir soi-même... mort... les yeux ouverts, la bouche ouverte sans souffle... c’est une expérience qui vous plonge tout au fond de vous.

Le soir, comme un enfant, j’ai eu besoin d’appeler ma mère, pour lui en parler...

Dans cette crise du Covid-19, ce qui a été dur pour certaines infirmières, c’est de recevoir certaines de leur collègues d’autres établissements, parfois plus jeunes qu’elles ... et de se dire, la prochaine là, dans ce lit dans le coma... c’est peut être moi.

 

En réa

En réanimation...

M

 

La crise du Covid-19

À titre personnel, je suis affecté dans l’une des réanimations Coronavirus. Comme de très nombreux soignants, on a peur pour nous. Si le gouvernement assure à la télévision que les soignants sont protégés, la réalité du terrain est tout autre. Il faut vraiment ne connaitre aucun soignant pour pouvoir y croire.

La peur c’est pour soi, mais c’est aussi et surtout de ramener le Covid à sa famille, à son conjoint… À titre personnel comme beaucoup, je me suis coupé de tous depuis un mois et vis mon confinement seul.

 

« Certains reviennent, pour aider, à plus de 50 ans.

Ils ont parfois eux-mêmes ou des proches, des maladies

chroniques qui les rendent plus à risque que d’autres.

Et pourtant ils sont là,

soldats sans protections ni armures… »

 

J’ai énormément d’admiration pour tous les personnels qui reviennent, parfois même sur volontariat, alor>s qu’ils ont plus de 50 ans. Ils ont parfois eux-mêmes ou des proches, des maladies chroniques qui les rendent plus à risque que d’autres. Et pourtant ils sont là, soldats sans protections ni armures…

À titre professionnel cela a rapproché beaucoup d’équipes. Il n’y a pas/plus de catégories professionnelles. On est tous exposés aux mêmes risques, ensemble, à essayer de lutter pour les patients.

Beaucoup de paramédicaux ont été envoyés dans l’enfer de la réanimation sans y être suffisamment préparés, moralement ou techniquement. J’ai vu des infirmières craquer, en larmes, débordées, ne voyant plus comment s’en sortir… Et toujours une collègue pour venir l’épauler.

Et pendant ce temps-là, où sont ils les gestionnaires  ? À peine le confinement décrété qu’ils étaient tous en télétravail. Tous ceux qui nous commandent depuis leurs conseils et leurs comités, sans jamais être descendus dans une chambre d’hôpital ou avoir vu un malade en vrai  ? Pour certains, nous ne sommes que des techniciens bons à produire des gestes/des opérations/des consultations. Ils veulent nous diriger, mais à la première secousse venue, ils se sont tous envolés, nous laissant seuls et sans armes, en première ligne. Ce n’est pas moi seul qui le dis. Le 14 janvier, un millier de chefs de services démissionnaient pour dénoncer la mainmise des administratifs sur l’hôpital. Sur internet, vous verrez de nombreuses illustrations et articles étayant mes propos sur janvier 2020 et la démission en masse de chefs de services partout en France. Un exemple avec cette vidéo.

On en a reçu, des mails. Environ vingt-cinq par jour au début de la crise, nous rappelant de bien nous protéger alors que nous n’avions pas de quoi le faire. Complètement déconnectés du terrain, une fois de plus.

Donc cette crise, pour moi, a vraiment permis de mettre en valeur les capacités de résilience et de combat de nos hôpitaux, qui ont triplé leurs capacités de réanimation en dix jours pour absorber le flux de patients. Et tous les soignants, unis pour affronter ensemble cette maladie, malgré les risques pour eux-mêmes et leur entourage.

Tous les décideurs administratifs, directeurs qui eux, veulent commander, diriger depuis leurs ARS (agences régionales de santé, ndlr), nous envoyaient des «  directives  » et «  notes de service  » à longueur de journée… Ils commencent leurs mails par «  Chers professeurs, chers docteurs, chers internes… » pour nous dire au final, «  on n’a même plus de blouse en plastique, merci de vous mettre dans des sacs poubelle  ».

 

« À force d’être déconsidérés par des gestionnaires

qui n’ont pas la moitié de leurs études et pas le centième

de leurs responsabilités…

eh bien les médecins quittent l’hôpital public. »

 

Les médecins fuient l’hôpital public. C’est dramatique. L’immense majorité des médecins est animée de valeurs d’engagement, de dévotion et de sens du service altruiste incroyables. Ils sont pour moi, jeune en formation, mes modèles. Mais à force d’être déconsidérés par des gestionnaires qui n’ont pas la moitié de leurs études et pas le centième de leurs responsabilités… eh bien les médecins quittent l’hôpital public.

C’est pour cela qu’on a rendu l’internat obligatoire (obliger tous les médecins à être internes à l’hôpital). Et que maintenant on rend l’assistanat obligatoire (deux années obligatoires à l’hôpital après le diplôme), toujours pour  «  améliorer la formation  ».

Je cite Didier Sicard, qui a été président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de 1999 à 2008 et chef de médecine interne à l’hôpital Cochin à Paris.  Il est également professeur émérite de médecine à l’université Paris-Descartes. Dans une interview du 22 avril, il a dit ceci : «  Le pouvoir administratif à l’hôpital est devenu tel qu’il en vient à angoisser les médecins. Lorsque j’étais chef de service à l’hôpital Cochin, je m’inquiétais déjà de dépenser trop d’argent pour tel ou tel malade, je me demandais si le but de l’hôpital était compatible avec celui de tel ou tel malade.  » 

Si c’est la réflexion que se fait un médecin professeur d’une telle envergure nationale, alors imaginez le poids de l’administration sur un jeune interne !

 

« Moi je rêve d’un hôpital au service du patient, où le bureau

du directeur général ne doit pas dépasser en luxe,

le lieu de soin d’un malade qui souffre. »

 

Un message d’ouverture, pour l’avenir  : j’espère que cette crise dramatique va être l’occasion d’une prise de conscience. Que l’on va sortir de ce système de gestion purement administrative. Réintégrer enfin les soignants dans les processus de décision et de direction de l’hôpital. Il y a dans certains services des chambres dans lesquelles on a honte d’installer un patient. Allez voir Quai des Celestins (à Lyon, ndlr) les locaux de la direction, en comparaison. Moi je rêve d’un hôpital au service du patient, où le bureau du directeur général ne doit pas dépasser en luxe, le lieu de soin d’un malade qui souffre.

Je ne nous dédouane pas, nous autres médecins, de nos responsabilités. Nous avons laissé les gestionnaires prendre le pouvoir à l’hôpital, et avons trop souvent courbé l’échine. On pensait pouvoir se dédier aux soins, notre métier, laissant naïvement la gestion à d’autres. Au final aujourd’hui, on paie une certaine forme de naïveté. J’espère que cette crise aura comme effet bénéfique de nous faire nous rendre compte des choses et ne plus nous laisser faire. Je trouve qu’en tant que soignants, nous avons cette responsabilité de défendre ce qui est le plus important pour nous  : les soins du patient.

 

Des éléments de coulisses de vos services ?

Beaucoup de solidarité, d’entraide. D’échanges de plannings, de camaraderie. Comme dans toutes les crises, quand on est dans la merde, on se soutient. C’était vraiment beau de voir tout le monde travailler ensemble et s’adapter, se mettre dans la zone rouge pour pouvoir toujours prendre un patient de plus… allez, encore un… Ne laisser tomber personne.

On voit des professeurs et chefs de services dévoués et proches de leurs équipes médicales. Dans toutes les spécialités, bien que se sachant plus à risques que leurs jeunes médecins, les chefs venaient quotidiennement nous voir pour s’assurer que tout allait bien, que nous n’étions pas en difficulté avec tel ou tel patient… Ils n’ont pas compté leur temps pour réorganiser, mettre les services en ordre de bataille, remotiver les troupes, reprendre des gardes, faire preuve de pragmatisme en tenant compte des réalités du terrain, et des moyens matériels disponibles.

 

« Vraiment, dans ces moments-là, il n’y a

plus ni spécialité, ni ancienneté. »

 

Voir les chirurgiens, sortir de leur zone d’expertise habituelle pour venir nous aider en réanimation, pour donner des nouvelles aux familles inquiètes et privées de visite à leurs proches... Vraiment, dans ces moments-là, il n’y a plus ni spécialité, ni ancienneté. Je n’ai vu qu’une armée d’hommes et de femmes dévoués qui, chacun à sa manière dans son travail, s’est engagé pleinement aux soins de ces malades critiques.

Entre soignants aussi, on a appris à se connaître plus et à prendre soin les uns des autres. S’appeler, prendre des nouvelles lorsque l’un ou l’autre tombait malade.

J’ai le souvenir ému et personnel d’une infirmière qui a pris sur elle toute une journée. Elle était forte, n’a rien laissé transparaître, jusqu’à la fin de son service. À peine le témoin passé à la suivante, elle a relâché toute la pression et fondu en larmes. Le confinement depuis un mois à l’écart de sa famille pour ne pas les exposer, la pression de vouloir bien faire avec des patients si fragiles et dans une pratique de la réanimation qui n’est pas la sienne habituellement…

 

Ce qui marche bien ou moins bien ? Ce qui fait chaud au cœur ou agace ?

Au sein d’une région, les Agence régionales de santé sont toutes puissantes. Par dogmatisme pur, certaines ont refusé de travailler avec les cliniques privées qui possèdent des lits de réanimation ! Certains patients dans le coma ont été transférés à l’autre bout de la France pour ne pas aller dans la clinique en face de l’hôpital. C’est un surcoût monstrueux, mais surtout un risque invraisemblable qu’on a fait courir aux malades  ! Heureusement sur Lyon comme sur Paris, le choix a été fait de joindre ces cliniques parfaitement équipées de réanimation, à l’effort local.

Je ne reviendrai pas non plus sur les laboratoires vétérinaires, équipés pour réaliser les tests. Mais par dogmatisme et par «  défaut d’accréditation  », on a interdit à ces laboratoires de faire les tests qui nous manquent si cruellement  ! (Cf. courrier_ars_laboratoire_agrivalys_4748632 : un courrier de l’ARS de Bourgogne ayant délivré une autorisation après trois semaines de confinement  ! Merde, imaginez le temps perdu en trois semaines  ! Et en attendant qu’ils veuillent bien délivrer leurs attestations, on continue d’envoyer les soignants dans l’ignorance de savoir qui est positif, et qui est négatif).

 

« Les réactions des familles de patients que j’ai pu avoir

ont toujours été admirables et encourageantes. »

 

Les réactions des familles de patients que j’ai pu avoir ont toujours été admirables et encourageantes. On leur demande l’impossible  : en un coup de fil je vous annonce  : «  Bonjour Mr/Mme X… votre père / mère / frère est en réanimation pour un coronavirus…. Non vous ne pouvez pas venir le voir, les visites sont interdites… Oui il risque de mourir et vous risquez de ne plus le revoir...  » Et pourtant, tant de messages d’encouragement de ces familles qui comprennent, et nous souhaitent bon courage  !

 

Des messages à faire passer aux uns et aux autres ?

Juste que je suis heureux et fier d’avoir travaillé avec chacun des soignants qui ont été mes collègues. J’y ai rencontré mes modèles et, beaucoup d’exemples. Ensemble, il faudra que nous reprenions la direction des soins de nos malades qui nous tiennent tant à cœur et pour lesquels on se bat.

 

Cette crise va-t-elle changer quelque chose ?

Je pense qu’il y avait déjà un début de prise de conscience, trop lent certes, mais que cette crise va foncièrement accélérer.

Cette crise, qui sera amené à durer plus longtemps probablement qu’aucun de nous ne l’imagine, va forcément changer notre manière de consommer, notre conception de la souveraineté, et ce bien commun à tous qu’est l’hôpital (qui peut se targuer aujourd’hui de n’avoir pas besoin de l’hôpital demain  ?)

Il y a les élections certes, mais pour moi, chaque euro dépensé est un bulletin de vote apporté à une manière de produire/de consommer… Il ne faut pas nous défier de nos responsabilités en pensant «  les politiques décideront… ce n’est pas moi, à mon niveau...  » Chacun de nous, par ses choix de mode de vie et de consommation, est responsable de décisions sociétales.

Je précise enfin qu’il n’y a aucune revendication personnelle dans tout ce que j’ai écrit. Ni contre une personne, ni contre une administration en particulier. Simplement la volonté sincère et farouche d’être toujours du coté du malade, d’en défendre les soins et la qualité de prise en charge. Quitte à refondre un système de gestion pour laisser une plus grande place aux soignants, premiers à se battre pour les patients.

 

Mathieu Raad

Mathieu Raad est engagé notamment auprès de la plateforme

en ligne de formations pour les soignants Zazakely.

https://www.facebook.com/ZazakelyMadagascar

  

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14 avril 2020

Rodolphe Lelaidier, anesthésiste-réanimateur : « Notre job : faire varier de quelques degrés la trajectoire des événements »

J’ai la joie et le privilège, pour ce deuxième article en deux jours consacré à la crise du Covid-19, de donner la parole à Rodolphe Lelaidier, jeune anesthésiste-réanimateur exerçant à l’hôpital Édouard Herriot de Lyon. Malgré ses emplois du temps des plus chargés, comme on l’imagine aisément en ce moment, il a accepté, le 12 avril, de répondre à mes questions. L’article qui suit constitue une immersion dans un milieu, celui de la réanimation, qui est peu connu - et c’est tant mieux, si vous n’avez jamais eu à le fréquenter de trop près. Un témoignage pétri d’humanité. Précieux. Qui nous fait découvrir les coulisses de ces services ; le travail de ces hommes et de ces femmes qui, au mépris parfois de leur propre santé, sont un peu les derniers remparts face aux accidents de la vie, ou aux catastrophes collectives. Sans eux, n’en doutons pas, le bilan déjà lourd du coronavirus le serait bien davantage encore. Je profite de cette publication pour saluer, avec humilité, et une reconnaissance toute personnelle, à travers lui, l’ensemble de ces équipes, et tous les soignants qui méritent au quotidien l’hommage que leur rend la nation. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

Rodolphe Lelaidier: « Notre job : faire varier

de quelques degrés la trajectoire des événements. »

Médecins

Les derniers instants avant de rentrer dans l’univers contaminé d’une chambre

de patient « Covid » sont synonymes de préparation, de concentration et de confiance

dans nos capacités à faire face. Ces qualités sont essentielles dans le quotidien

d’un anesthésiste-réanimateur.

 

Pourquoi avoir choisi la réanimation ?

Aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours voulu «  faire médecine  », sans vraiment savoir pourquoi. Parce que j’ai appris à lire au milieu des feuillets de thèse de médecine de ma mère, probablement. Parce que j’ai très vite trouvé passionnante la physiologie, depuis l’infiniment petit jusqu’aux interactions entre les différentes parties du corps. Puis, plus tard, à l’âge où il faut «  choisir  », parce que j’ai eu le sentiment que cette voie permettrait d’étancher ma curiosité, tout en ayant un métier utile et moral.

Le choix de l’anesthésie-réanimation remonte à ma quatrième année d’études de médecine, lors d’un stage en réanimation médicale au CHU de Rouen, où j’ai passé la première partie de ma vie.

Il s’agit bien d’anesthésie-réanimation, et non de réanimation. En France, deux catégories de médecins sont autorisées à exercer dans des services de réanimation. D’une part, les réanimateurs dits «  médicaux  », qui ont souvent un cursus de spécialiste «  d’organe  » avant de faire le choix de se spécialiser en médecine intensive et réanimation. Cette organisation a récemment changé, mais ce n’est pas le sujet du jour. D’autre part, les anesthésistes-réanimateurs, qui ont une double compétence en anesthésie / médecine péri-opératoire et en réanimation. Ce double cursus, singulier à l’échelle mondiale, nous donne une polyvalence et une résilience qui prennent tout leur sens à l’occasion de cette crise. Nos collègues mettent souvent en avant notre pragmatisme, nos capacités d’adaptation et la culture médico-chirurgicale que nous acquérons en cours de formation. Nous ne serons jamais les plus grands spécialistes dans un domaine de niche, mais nous aurons toujours une solution à proposer à un grand nombre de problèmes. Nous sommes en quelque sorte les généralistes de la médecine aiguë. Cela impose également de manier avec précision les médicaments et techniques de l’urgence, de connaître la théorie de la plupart des chirurgies et des complications qui en découlent. Nous sommes en quelque sorte les artisans de la médecine, et nos outils s’appellent « respirateur artificiel », « circulation extra-corporelle », « vidéo- laryngoscope » ou « noradrénaline ».

Certains considèrent ce métier comme étant très technique, loin de l’humain, traitant les corps inertes de nos patients comme un assemblage de systèmes intégrés dans une enveloppe périssable. Ce n’est qu’une infime partie de la réalité de notre art.

« De parfaits inconnus remettent leur vie entre

nos mains. Un point commun que nous avons

avec les pilotes d’avion... »

L’anesthésie-réanimation est une des spécialités les plus humaines que je connaisse. Nous sommes présents à tous les moments importants de votre vie  : le début et la fin, les heureux événements, les petits accidents du quotidien et les tragédies qui brisent la trajectoire d’une vie, les insignifiantes opérations du bricoleur maladroit comme la chirurgie de la dernière chance. Je connais peu de jobs dans lesquels de parfaits inconnus remettent entre vos mains leur vie, leurs espoirs, l’avenir de leurs enfants, leur crédit immobilier, leurs rêves passés et à venir, leurs fantasmes de guérison ou d’une vie un peu meilleure. Nous ne sommes pas les seuls, loin de là. Les pilotes d’avion sont de cette trempe, par exemple. C’est probablement pour cette raison, parmi d’autres, que de nombreux parallèles existent entre les deux professions.

Enfin, dans une société où la mort est cachée, niée, confinée entre les murs épais de nos hôpitaux et établissements médico-sociaux, nous cohabitons avec elle au quotidien. Elle fait partie de la vie, et bien présomptueux est celui d’entre nous qui se vanterait de pouvoir la conjurer ou l’éviter. J’aime dire que nous n’avons que les moyens de faire varier de quelques degrés la trajectoire des événements. À espérer que ces quelques degrés suffisent à trouver un lieu où atterrir en sécurité. Et à accompagner humblement la retraite de la vie quand nos efforts auront été vains.

Je pourrai trouver encore mille autres raisons d’expliquer ce choix qui s’est vite imposé comme une évidence. Mais ce sont les principales, et les moins obscures pour un novice.

 

À quoi ressemble le quotidien d’un anesthésiste-réanimateur ?

À celui de n’importe quelle personne qui travaille  ! On se lève le matin, la tête dans le c**, l’eau de la douche met du temps à chauffer, le café renversé sur le t-shirt et dix minutes de vélo ou de métro plus tard, on est sur notre lieu de travail  !

Les heures s’enchaînent, alternant des réunions et tâches routinières qui balisent notre quotidien, et des moments de rush où il faut envoyer la sauce pour ne pas perdre pied  ! Beaucoup de métiers fonctionnent comme ça, et nous avons la très grande chance de toujours travailler en équipe, de pouvoir se reposer sur des professionnels qui apportent leur pierre à l’édifice avec passion, dévouement et excellence. La particularité de ce job est que notre matière première, ce sont des vies humaines, et que nous avons des moyens techniques et humains hors norme pour les sauvegarder. Le très haut niveau de soins et les moyens garantis par l’hôpital public nous sont enviés par de nombreux pays dans le monde, malgré les reproches qu’on peut adresser au système de soins français.

« La société nous paie pour contribuer à maintenir une

forme d’équilibre, et servir un idéal qu’elle s’est choisi :

apporter les meilleurs soins possibles, notamment

aux patients dans les situations les plus critiques... »

Il ne faut pas croire qu’on arrive au boulot en se disant «  Encore une belle journée pour sauver des vies  !  ». Notre rôle appelle à bien plus d’humilité, et de pragmatisme. La société nous paie pour contribuer à maintenir une forme d’équilibre, et servir un idéal qu’elle s’est choisi  : apporter les meilleurs soins possibles, au plus grand nombre, et en particulier aux patients dans les situations les plus critiques, menaçant leur vie à court terme.

Pour arriver à ce but, le quotidien est partagé entre l’examen clinique pluriquotidien de nos patients, les soins techniques et réglages des machines chargées d’assurer tout ou partie les fonctions vitales défaillantes, les entretiens avec les patients et leurs familles… Les tâches administratives sont également très consommatrices de temps. Nous jouons résolument collectif, et de nombreux rendez-vous entre professionnels ponctuent la journée. Ils sont destinés à partager les informations dont nous disposons, à exprimer nos doutes, à expliquer nos décisions à l’ensemble de l’équipe, à réfléchir ensemble à la meilleure trajectoire pour chaque patient, à enrichir nos observations de l’avis d’autres médecins, plus experts que nous sur telle ou telle question.

Beaucoup d’étudiants de mon service me demandent en quoi consiste mon métier. Je leur réponds que nous jouons les chefs d’orchestre afin de rassembler les meilleures ressources humaines et techniques et garantir à chaque patient une médecine sur mesure, à la pointe des connaissances actuelles.

 

Comment vivez-vous cette crise, professionnellement parlant ?

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je la considère comme une chance unique pour l’anesthésie-réanimation d’exprimer son savoir-faire à son plus haut niveau. Entendons nous bien, j’aurais évidemment préféré que rien de «  tout ça  » n’arrive. Mais puisque nous sommes au pied du mur, pour ne pas dire franchement dans le mur, j’ai choisi d’en garder le meilleur.

Le meilleur, c’est la formidable énergie collective qui a animé le service dans les quelques jours que nous avons eus pour nous préparer entre l’annonce de la situation épidémique et l’arrivée des premiers patients. À l’échelle de Lyon, nous étions le service de troisième recours. Nous avons bénéficié de l’expérience et de l’expertise de nos collègues réanimateurs médicaux pour nous préparer au mieux. Cette longueur d’avance, et ce que nous en avons fait, nous permet aujourd’hui d’affronter cette crise avec calme et sérénité. Pendant plusieurs jours, chacun d’entre nous a donné le meilleur de lui-même pour ré-inventer le fonctionnement de notre microcosme. Nous avons fait preuve d’une intelligence collective inédite, sublimant les bonnes volontés individuelles en un projet d’équipe cohérent et solide. Nous avons ré-organisé nos locaux, formé des centaines de professionnels venus d’autres services en un temps record. Un programme de simulation hautement immersive au sein même du service a par exemple vu le jour en quelques heures, et ce grâce à l’engagement bénévole de nombreux professionnels. Nous avons mis au point des stratégies et des protocoles pour chaque situation. Nous avons compilé les retours d’expériences de Chine et d’Italie pour nous prémunir des ornières dans lesquelles les médecins de ces pays étaient tombés. Nous avons mis de côté nos vies personnelles et familiales, nos loisirs et projets de vacances, pour nous concentrer tout entiers sur un seul objectif  : assurer la prise en charge des dizaines de patients à venir, sans renoncer au niveau d’exigence que nous nous imposons habituellement, et au plus haut niveau de sécurité pour tous les soignants.

Je crois pouvoir dire que nous y sommes arrivés, même si la route est encore longue.

Nous parvenons aujourd’hui à nous installer dans une forme de routine, qui reste éloignée de notre fonctionnement antérieur. Nous apprenons à nous déplacer masqués et déguisés, à intégrer de très nombreux professionnels moins expérimentés en réanimation que nos équipes habituelles, en gardant le même niveau de soins pour nos patients. C’est vraiment un des grands défis posés à notre système de soins  : faire face à un afflux extraordinaire, sans avoir à faire de choix impossibles concernant certains patients ou certaines techniques.

« Nos vrais champions ? Les cadres infirmiers, et les

infirmiers "techniques" des services de réanimation. »

Nous nous habituons à vivre dans une tension permanente de matériel de protection, de médicaments, de personnel soignant. L’encadrement et le personnel médico-technique sont d’une aide très précieuse pour gérer tous ces aspects de la crise. Leur engagement mériterait d’être d’avantage mis en avant au cours de cette crise. Les vrais champions sont les cadres infirmiers, qui ont dû doubler les effectifs du jour au lendemain et incorporer aux équipes hospitalières des soignants venus d’autres structures, ou encore les infirmiers «  techniques  » des services de réanimation, qui portent sur leurs épaules la gestion infernale des stocks de respirateurs, de machines de dialyse, de petit et de gros gadgets, indispensables à l’ouverture de services de réanimation, dans des endroits qui n’étaient encore hier que des zones de transit. Sans parler du casse-tête que représente la pénurie mondiale d’équipements de protection, de consommables ou de médicaments hypnotiques indispensables à la prise en charge de tous les patients, Covid-19 ou pas.

Je suis vraiment fier de notre équipe, de chacun de ses membres, quel que soit son niveau de qualification et le rôle qu’il y joue. Nous avons fait face avec pragmatisme, confiance en nos capacités et sang-froid, en apprivoisant les craintes et les interrogations que cette épidémie a soulevées pour nous, et pour nos proches.

 

Quelques photos pour illustrer. Précision : pas de port de gants

ni de masques FFP2 sur ces entraînements pour économiser le matériel,

alors que la crise n’avait pas commencé.

 

Assistance respiratoire

Lorsque nous plongeons un patient dans le coma artificiel, et sous assistance respiratoire,

chaque seconde compte. Pour optimiser les chances de survie et diminuer les séquelles,

d’abord. Et pour protéger chacun des professionnels de la contagion. Une parfaite 

coordination entre médecin et infirmier est indispensable.

 

Tablette 

Les formations de nos équipes par des programmes de formations par simulation

haute fidélité faisaient partie de l’ADN du service avec la crise. Un programme similaire

existe en effet pour améliorer les soins donnés aux accidentés de la vie ou de la route.

Ces formations nous ont permis d’aborder l’arrivée des premiers patients avec sérénité.

 

Photos : Alicia Dupré.

 

Et à titre personnel ?

Je me réjouissais de l’arrivée tant attendue de ma première semaine de vacances en six mois, quand le confinement a été ordonné. Un chouette tour de ski-alpinisme dans le massif du Mont-Blanc, entre France, Italie et Suisse. J’ai rapidement senti le vent tourner, avant de comprendre que les vacances allaient passer au second plan pour un certain temps…

En dehors des journées (et des nuits) de travail, je suis confiné, comme le reste de la population. Mon appart’ n’a jamais été aussi propre, et ma pile de bouquins à lire décroît régulièrement. Il a aussi fallu trouver un supplétif à la dizaine d’heures consacrées au sport chaque semaine, sans compter les week-ends passés en montagne. La saison avait bien commencé, et le mois d’avril en marquait le point d’orgue, avec des projets d’itinéraires classiques et très prometteurs, tant dans leur dimension technique qu’esthétique.

C’est comme ça que je me suis mis à «  écrire  ». Pour garder une trace tangible de ce qui est en train de se passer. Cette période est unique, et il me paraît capital d’en garder une mémoire écrite, au moins à titre personnel. J’écris à propos de la vie du service, à propos d’aventures passées ou à venir en montagne, en utilisant les mots pour s’évader un peu des quatre murs de mon appartement. Il m’arrive aussi de faire des billets plus «  pédagogiques  », pour faire un peu de ménage au milieu de la diarrhée d’informations, aux fondations plus ou moins solides, qui inonde les médias et les réseaux sociaux. J’ai bien conscience de participer de ce fait à la déferlante, mais j’essaie de le faire avec simplicité, humilité, et une pointe d’humour.

Cette petite discipline (quasi) quotidienne commence à représenter quelques dizaines de pages, que j’ai compilées sous forme de blog, illustré par des images rapportées de voyage. S’il vous reste un peu de temps de lecture à la fin de cet article, osez vous y rendre  ! (https://leconfiblog.jimdofree.com)

 

Rodolphe Lelaidier alpinisme

Dans le Vercors...

 

Le monde de la réanimation est mal connu du grand public. Que se passe-t-il derrière les murs de votre service ?

Vous l’avez peut-être compris au travers des lignes précédentes  : un très grand nombre de professions est mobilisé autour d’un nombre relativement restreint de patients, les plus graves et dans les situations les plus instables. Médecins et internes de tous bords, infirmiers (de réanimation, de bloc, anesthésistes), aide-soignants, agents de service et de ménage, secrétaires, assistants de recherche clinique, manipulateurs radios, pharmaciens, hygiénistes, techniciens de laboratoire et biologistes, ambulanciers, étudiants de toutes les filières, psychologues, kinésithérapeutes, diététiciens… J’en oublie forcément  !

Tous ces professionnels font en sorte que nos patients reçoivent les soins les plus qualitatifs possibles, quelle que soit l’heure du jour et de la nuit. Il faut bien comprendre qu’un patient hospitalisé en réanimation, en coma artificiel et sous ventilation mécanique, est entièrement dépendant pour l’ensemble de ses fonctions vitales, même les plus basiques. Cette dépendance exige des soins constants et attentifs, ce d’autant que ces patients étaient déjà souvent vulnérables avant d’arriver dans notre service, et qu’un événement aigu est venu tout chambouler  ! En ce moment, cet événement prend souvent la forme d’un virus, et de «  l’orage inflammatoire  » qu’il provoque…

Jour et nuit, toutes ces énergies sont là pour soutenir, et parfois remplacer temporairement les systèmes respiratoire, neurologique, circulatoire, rénal, hépatique ou encore digestif de ces patients en sursis. Les journées et les nuits sont rythmées par les soins de toilette, l’élimination des urines et des selles, le rythme veille / sommeil, la gestion de la soif, de la douleur, de la peur de la mort, l’alimentation artificielle sous différentes formes, l’administration de fluides et de médicaments précisément dosés et adaptés à chaque patient. Nos amis chirurgiens parlent en se moquant «  du sel et du poivre  », et ils n’ont pas complètement tort.

« Les règles visant à réduire le risque de contagion nous ont

imposé de fermer les portes du service. (...) C’est un

changement majeur pour notre structure... »

Nous devons aussi garder le lien avec les familles de nos patients. Les règles visant à réduire le risque de contagion nous ont imposé de fermer les portes du service. Nous mettons un point d’honneur à appeler les familles de patient matin et soir au minimum, afin de leur donner des nouvelles sur l’évolution de la santé de leurs proches. Nous avons conscience que l’hospitalisation d’un proche en réanimation, sans possibilité de visite ni de recevoir des explications «  en direct  » par les soignants, est très anxiogène. En cas d’événement important ou de décision marquante, c’est le médecin responsable des soins qui appelle lui-même la personne référente désignée par la famille.

C’est un changement majeur pour notre structure, qui était connue pour être très ouverte et accueillante envers les familles de nos patients. Nous accordons une importance particulière à rendre aussi bonne que possible la vie de nos patients et de leurs proches lors de leur passage dans le service. Cela passe par une attention constante aux différentes sources d’inconfort, une ouverture du service 24/7 et l’accueil des enfants en bas âge de nos patients les plus jeunes. Notre dernier projet, le plus novateur, porté par une de mes collègues (le Dr Amélie Mazaud) était de faire venir des chiens dans le service, pour faire bénéficier nos patients en cours de guérison de thérapie médiée par les animaux. Une première en France  ! Bien entendu, tout cela a été mis en suspens par le confinement…

La nuit règne une ambiance très particulière. Bien éloignée des clichés véhiculés par les séries hospitalières ou l’imaginaire collectif. On parle d’une atmosphère plus intimiste, empreinte de camaraderie entre ceux qui ont le privilège de vivre des moments forts pendant que les autres sont au fond de leur lit. En tout cas, c’est comme ça que je voyais les choses quand je découvrais, il y a une dizaine d’années, émerveillé, les coulisses de la vie nocturne en réanimation. Un sentiment rare d’être privilégié, aux premières loges, de se trouver exactement au bon endroit et au bon moment, au cœur de l’action et frappé de plein fouet par les situations les plus stimulantes.

Aujourd’hui, je commence à ressentir la pénibilité du travail de nuit, qui est réelle. Et, étant donné mon jeune âge, ce n’est pas près de s’arrêter… Le travail nocturne est un assassin silencieux, pour les soignants comme pour les autres. La privation de sommeil qu’il induit vient dérégler tout l’organisme. C’est comme ça qu’on se tartine des morceaux de pain rassis avec du pâté de thon offert par l’hôpital (…) à 4h du mat, ou qu’on se demande si on se sentira un jour enfin «  reposé  » après avoir aligné deux nuits blanches dans la semaine. J’essaie d’en rire, mais il est bien prouvé que le travail de nuit augmente la mortalité cardio-vasculaire, le risque de cancer, d’accident de la route, les risques psycho-sociaux, qu’il favorise l’obésité et le diabète et vient polluer nos vie familiales et personnelles.

« Nos infirmières touchent une prime de nuit

de quelques centimes par heure travaillée.

Ç’en est presque insultant. »

Ce n’est pas très brillant, mais c’est la réalité. Une réalité sur laquelle nos décideurs ferment les yeux, et qu’ils refusent de valoriser. Nos infirmières touchent une prime de nuit de quelques centimes par heure travaillée. Ç’en est presque insultant.

 

Quel rôle joue l’administration hospitalière ?

Dans cette crise, nous sommes tous dans la même galère. La résilience de nos administratifs est mise à rude épreuve, et j’ai le sentiment qu’ils font de leur mieux pour nous faciliter la tâche et s’assurer qu’on ne manque pas de personnel ni de matériel. Certaines restrictions budgétaires ont été levées, nous donnant accès à des examens ou à du matériel coûteux, afin de prodiguer des soins à la pointe pour nos patients. C’est le résultat de l’orientation donnée par le gouvernement, qui a fort à faire pour réparer la coque du navire hospitalier, mis à mal par des années d’austérité et de politique managériale «  dure  ». C’est également possible grâce à la générosité du public et de certains poids lourds du monde des affaires. Je préfère ne pas m’interroger sur les bénéfices secondaires qu’une minorité escompte possiblement, qu’ils soient fiscaux ou en termes d’image. L’argent est là, l’expertise et les moyens techniques de certains industriels également, ce n’est pas le moment de cracher dessus. Osons accepter cette solidarité, cette générosité. Valorisons ce que l’humain a de meilleur à offrir en ces temps maudits. Le moment de solder les comptes viendra après.

« Je regrette qu’on ne parle pas plus

de la vague de suicides qui touche le monde

des soignants depuis plusieurs années. »

Si l’effort de l’institution est réel, il ne parvient cependant pas à combler certaines insuffisances qui existaient avant l’épidémie. La qualité de vie au travail est à mes yeux une priorité pour les professionnels de l’hôpital, et je regrette qu’on ne parle pas plus de la vague de suicides qui touche le monde des soignants depuis plusieurs années. Nous avons par exemple dû doubler nos effectifs de nuit, afin de nous adapter à l’afflux massif de patients requérant des soins très denses et techniques. Mais nos locaux et notre organisation n’ont pas été prévus pour ça. La moitié des médecins de garde en réanimation doit dormir dans des bureaux, sur un matelas en plastique, sans accès à l’eau ni à des sanitaires. Nos infirmiers et aide-soignants de nuit ont à peine de quoi se reposer quelques instants pendant leurs 12h de travail. Tout ça nous paraît parfaitement normal. Car c’est comme ça que nous avons été « élevés  ».

Je pourrais aussi vous parler des repas fournis par la cuisine centrale, dont les portions n’ont fait que diminuer depuis quelques années. Estimons nous chanceux d’avoir des repas, c’est le privilège de bosser 24h d’affilée. Mes collègues paramédicaux n’ont pas cette chance, on ne leur jette en pâture qu’un paquet de chips et une barre chocolatée ultra-sucrée. Comme un clin d’œil à leur bonne santé cardio-vasculaire. Il n’y a pas de petites économies. Nous, les docteurs, les «  nantis  » du système, profitons ainsi de repas qui conviennent probablement à un patient confiné au lit, mais qui sont clairement insuffisants pour passer la nuit debout, entre situations d’urgence et transport de patients. Les exemples sont tellement nombreux, vous pourriez y consacrer un article entier. Mais tous reflètent la même réalité  : l’expertise, l’engagement, le dévouement des professionnels de santé qui sont sur le pont au quotidien, nuit et jour, ne doit pas attendre d’autre reconnaissance que la satisfaction du travail bien fait, et la chance d’exercer un métier «  à haute valeur morale ajoutée  ».

« Est-il normal de considérer, et de rétribuer ces métiers

à l’aune inverse de leur valeur sociale ? »

J’ai bien conscience que nos administrateurs font «  comme on leur dit  », tâchant de répartir au mieux une quantité limitée de deniers publics. Le dilemme est à un autre niveau  : quels membres de notre société sont vraiment indispensables à ce que les choses tournent rond  ? Est-il normal de considérer, et de rétribuer (car le salaire n’est qu’une partie du problème) ces métiers à l’aune inverse de leur valeur sociale  ?

Je laisserai ce genre de considérations à des gens dans le besoin et essentiels au fonctionnement de notre société, comme M. Yves Calvi, qui semblait avoir, il y a quelques jours, de grandes idées sur la «  pleurniche hospitalière  »…

 

Un message à faire passer ?

La concision n’étant pas la plus grande de mes qualités (vous l’aurez remarqué), j’en choisirai plusieurs.

Respectez les consignes transmises par les scientifiques et le gouvernement. Si elles changent d’une semaine sur l’autre, c’est aussi parce que nos connaissances sur la maladie évoluent sans cesse, de même que les moyens dont nous disposons. Cette crise est globale, et nous sommes en concurrence nauséabonde avec les autres puissances de ce monde pour l’accès aux équipements de protection, au matériel médical, aux ressources les plus rares. C’est malheureux, mais c’est la réalité, et nous n’avons pas d’emprise pour la changer dans l’urgence. Ce qu’on ne peut changer, il faut nous y adapter.

« La solidarité dont nous jouissons est d’autant

plus remarquable que tous ces particuliers et acteurs

de l’économie locale seront bientôt eux-mêmes

en très grande difficulté. »

Continuez à nous soutenir, à nous envoyer des tonnes de marques d’affection et d’encouragements, sous un grand nombre de formes. Je suis époustouflé par la solidarité des particuliers, des restaurateurs, des agriculteurs, des commerçants de notre quartier qui nous fournissent gratuitement des repas, du café, des friandises, des équipements de protection ou tout simplement de l’argent pour améliorer la qualité de vie des soignants et des patients au quotidien. C’est d’autant plus remarquable que tous ces particuliers et acteurs de l’économie locale seront bientôt eux-mêmes en très grande difficulté.

Entraînez votre mémoire, enfin, car nous allons en avoir besoin dans les mois à venir.

Pour tâcher de solder les comptes, et de comprendre quels impairs nous ont menés à cette situation historique. Car c’est bien une page singulière de l’histoire de l’Humanité que nous sommes en train d’écrire, collectivement.

Pour faire les choix de société qui s’imposeront au lendemain de cette catastrophe sanitaire. Les milliers de travailleurs qui permettent à ce pays de rester debout, soignants et non soignants, ne doivent pas tomber dans l’oubli. Les «  héros  » (terme tant galvaudé…) d’aujourd’hui risquent trop de ne récolter que quelques médailles en chocolat et remerciements en grandes pompes, avant de retourner à leurs conditions de travail en détérioration constante et à leurs salaires indignes. Il n’y a qu’à se référer à la sortie très remarquée du directeur de l’ARS Grand Est il y a quelques jours. On ne pourra pas feindre la surprise. 

Pour venir en aide à tous ceux qui vont être durement affectés par la crise économique qui suivra. Les acteurs de terrain, les indépendants et les travailleurs de la terre et des mains, qui auront besoin de notre soutien, et du discernement des consommateurs que nous sommes.

 

Rodolphe Lelaidier 

 

Quelques liens, pour aller plus loin :

Le blog de Rodolphe Lelaidier (je vous le recommande chaleureusement !)

L’espace grand public de la Société Française d'Anesthésie et de Réanimation

Espace RéAnimal de la Fondation HCL

 

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13 avril 2020

« La résilience, les armées et la Nation », par Guillaume Lasconjarias

En ces heures tellement particulières, porteuses d’angoisse pour soi et pour ses proches, et tandis que le bilan humain du désormais tristement célèbre Covid-19 a passé la barre des 120.000 morts, je vous présente cet article que j’ai sollicité auprès de Guillaume Lasconjarias, expert sur les questions stratégiques et militaires, et chercheur associé à l’IFRI. Il est question dans ce texte de résilience, ce concept qu’on associe souvent à Boris Cyrulnik. Un concept bien connu de nos armées, pour devoir souvent l’éprouver. Quels leçons à partager, quels ponts nouveaux à jeter entre institution militaire et société civile à l’occasion de cette crise ? M. Lasconjarias fait le point, je l’en remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Hôpital de campagne

Installation d’un hôpital de campagne à Mulhouse.  S. Bozon/AFP.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

« La résilience, les armées et la Nation »

par Guillaume Lasconjarias, le 9 avril 2020

Depuis le début de la crise du coronavirus, les débats se sont largement portés sur la gestion de la crise, la préparation ou l’impéritie du gouvernement, le bien-fondé de telle ou telle mesure. On a aussi vu de formidables gestes de solidarité, à l’échelle locale et nationale, l’ouverture d’une réserve civique où les volontaires souhaitent aider et apporter leurs compétences et leur appui à cette lutte d’un genre exceptionnel. On a aussi vu la façon dont les Armées se sont portées au-devant de cette pandémie, au travers le lancement d’une opération militaire, l’opération «  Résilience  ». En effet, derrière ce terme se cache le but de toutes ces actions, de toutes ces manifestations  : parvenir à rebondir après la crise, et reprendre une vie normale.

rebondir après la crise, et reprendre une vie normale...

J’ai été frappé par le choix, annoncé par le Président de la République, de donner à cette opération le nom de code «  Résilience  ». Le lancement par la plus haute autorité de l’État  ne m’a pas choqué, il s’inscrivait dans la lignée de propos et de positions prises depuis déjà quelque temps, utilisant à dessein une phraséologie guerrière, militaire. On peut s’interroger sur la pertinence de cette rhétorique, et j’ai personnellement quelque difficulté à concevoir qu’on soit en guerre contre un virus, lequel ne regarde pas la télé ni ne s’est enregistré sur les réseaux sociaux. Ce qu’il faut entendre derrière le terme de «  guerre  », c’est la mobilisation de tous, l’implication de chacun, la discipline collective et une victoire en objectif commun. L’analogie se poursuit si l’on considère les soignants en première ligne, les personnels autrefois invisibles (caissiers, éboueurs, facteurs...) devenus les maillons essentiels au maintien de la vie courante dans une chaîne logistique inédite, et les malheureux frappés et mourant du virus les victimes de cette guerre contre un acteur invisible.

Comment ne pas songer à La Fontaine et aux animaux malades de la peste  ? «  Tous ne mouraient pas, mais tous étaient frappés  ». Notre société tremble, nos repères habituels – temporels, spatiaux, familiaux – connaissent un bouleversement inouï, et il paraît impossible de se projeter dans le monde d’après, celui où les choses reviendront à la normale. Pas la paix, mais un retour à l’équilibre, et peut-être à la forme d’insouciance qui nous caractérisait.

 

« Initialement, la résilience définit les caractéristiques

physiques d’un matériau qui, soumis à une pression

extérieure, retrouve au bout d’un certain temps

sa forme, sa taille et sa structure... »

 

Ce souhait du retour à la normale après une crise, cette reprise d’un fonctionnement normal, voilà ce qu’on appelle aujourd’hui communément résilience. Mais je crois que le choix de ce terme mérite d’être éclairci. Il le mérite à la fois pour comprendre ce que ce concept signifie, et aussi pour savoir si les armées sont les seules à porter cette résilience. Le terme de résilience n’a rien d’original sauf à considérer le parcours qu’il a emprunté depuis son champ d’origine jusqu’à aujourd’hui. Initialement, la résilience définit les caractéristiques physiques d’un matériau qui, soumis à une pression extérieure, retrouve au bout d’un certain temps sa forme, sa taille et sa structure. De là, le terme est d’abord passé à l’écologie  pour souligner les capacités d’un biotope à surmonter les agressions extérieures, puis à la psychologie humaine. Les travaux d’Emmy Werner en 1982 forment la base de ces discussions, au travers la manière dont des individus sont parvenus à dépasser des traumatismes lourds et à reprendre une vie normale. En France, on salue généralement Boris Cyrulnik et ses ouvrages qui tournent peu ou prou autour de l’adaptation psychologique après un choc.

Cette aptitude à encaisser, à absorber puis à retrouver ses fonctions intéresse aussi, pour d’autres raisons, le domaine de la sécurité et de la défense. La résilience se trouve dans le Livre Blanc de la Sécurité et de la Défense nationale de 2008 pour souligner combien il importe de se doter des capacités individuelles et collectives pour surmonter une période de tension extrême, quelle qu’elle soit. L’intégration de ce concept s’explique par la nécessité, alors, de mieux comprendre le monde qui nous entoure, ses dangers et les nouvelles menaces  : terrorisme, conflits asymétriques, tensions ethniques et religieuses, instabilité régionale, compétition pour les ressources, etc... mais aussi évènements climatiques majeurs et pandémies  !

Et donc, dans ce contexte radicalement différent, il convient d’être préparé, de s’entraîner pour un mot qui est alors à la mode, la «  gestion de crise  ». Là encore, l’acceptation est très large, mais traduit bien que nous ne sommes plus dans des affrontements entre États mais dans des types de conflits, des scenarii qui mélangent tout, qui surimposent des crises et des tensions, ou qui voient les populations secouées par des formes de risques (technologiques ou naturels) de grande ampleur.

Or donc, dans ce nouvel environnement de sécurité et de menaces, il semble bien qu’un outil, une institution en l’occurrence, garde les capacités à encaisser, puis à rebondir. Il s‘agit des armées – même si on pourrait de façon large juger que les forces de sécurité dans leur ensemble, ceux qui vivent sous la tension de l’urgence (sapeurs-pompiers, hôpitaux, sécurité civile, etc...) conservent les mêmes savoir-faire. Dans l’ensemble, ces personnels, par leur sélection, leur entraînement, leur(s) expérience(s) savent à la fois agir et décider dans l’incertitude, changer de posture selon la situation, et toujours, partout, faire face. Dit autrement, de travailler, poursuivre leur mission et atteindre leur objectif même dans des conditions dégradées.

 

«  La camaraderie, la réactivité, l’excellence et

l’efficacité incarnées par l’armée contribuent

à mettre la résilience en actes. »

 

Si l’on revient désormais sur l’opération décidée par le pouvoir politique, qui voit l’implication des armées sur le sol national en appui des autorités civiles, on donne à voir un signal triplement intéressant  : les armées vont d’abord renforcer, consolider et appuyer les autres services publics. La mise en place d’un hôpital de campagne à Mulhouse, les vols sanitaires d’une région à l’autre, l’envoi outre-mer de porte-hélicoptères amphibies dont le plateau médical est une plus-value, en sont autant de symboles, comme le sont la présence de soldats déployés pour protéger les dépôts de masques. Ensuite, on rappelle les valeurs que portent les armées  : la mission à accomplir, mais sans nier la fraternité d’armes, la camaraderie au sens large. Enfin, la réactivité, l’excellence et l’efficacité incarnées qui mettent la résilience en actes. 

Pourtant, derrière cette posture, on ne doit pas oublier que si les armées sont résilientes, cela tient sans doute à plus d’une dizaine d’années de cure d’amaigrissement, de coupes budgétaires, de diminution drastiques des effectifs. On peut comprendre avec raison le passage d’une armée de conscription à une armée professionnelle, et la réduction du nombre d’unités et de soldats se défendait à l’heure où les engagements se faisaient à l’extérieur du territoire national, dans le cadre d’opérations extérieures (OPEX). Mais les arbitrages ont conduit à ajuster les moyens au plus près, à réduire à peau de chagrin les services et entités  : ainsi, le service de santé des armées représente ainsi 1% de la totalité de l’offre de santé en France et il ne demeure qu’un régiment médical. La composante logistique tient dans une brigade qui ne l’est pas tout à fait, et les exemples sont nombreux par ailleurs. Malgré tout, les armées ont poursuivi leurs missions, ont été toujours plus engagées  : après l’Afghanistan, le Mali, la République centrafricaine, les opérations Barkhane, Chammal…

La situation actuelle rebat les cartes au travers d'une opération dont le nom de code porte deux sens  : mettre en avant des armées qui sont un symbole de resilience, et souligner leur rôle dans la construction de cette même capacité, au profit de la population. Mais ce dernier point pose problème  : d’abord, parce que la résilience ne se décrète pas. Ensuite, parce qu’elle est une prise de conscience collective – c’est-à-dire celle de la nation dans son ensemble – pour surmonter la crise. Aujourd’hui, notre résilience passe par la mise en œuvre d’une stratégie et d’un processus  : une stratégie qui identifie les objectifs et les moyens de les atteindre, et un processus qui affecte les ressources idoines pour maintenir le système en état de fonctionnement et qui garantit à la population la satisfaction de ses besoins élémentaires. Viendra ensuite, pour le temps d’après, une nécessaire réflexion sur les faillites d’hier, mais tel n’est pas le propos. Il faudra surtout se préoccuper non plus d’encaisser la prochaine crise mais d’être suffisamment préparé pour ne pas la subir.

La résilience que nous devons appeler de nos vœux n’est donc pas simplement une façon technocratique et institutionnelle ou fondée sur des infrastructures, ou des réseaux. Elle est un effort commun. Là encore, nous devons retrouver ce qui nous unit, ce qui fait Nation. Cela porte un nom  : l’esprit de défense. Mais qu’est-il devenu  ? Il existe, inscrit dans les programmes scolaires, un enseignement de défense auquel et le ministère de l’Éducation nationale et les Armées contribuent, au travers d’actions pédagogiques, d’accompagnement et de découverte. Ce partenariat, formalisé depuis trente ans par un protocole interministériel, valorise les relations entre l’École et l’Armée, les deux piliers de la République. Cet enseignement favorise une meilleure connaissance de ce que font les armées, souligne les valeurs d’engagement, d’abnégation et de service de valeurs communes, mais aussi au service des autres.

 

« Retrouver la résilience, c’est redonner à lesprit

de défense, sa place et son importance. La résilience est

une soudure, qui garantit que l’ensemble des atomes

qui constituent un matériau ne se désagrège pas. »

 

Mais l’esprit doit souffler au-delà, dans l’ensemble de la société, qu’il doit irriguer. Retrouver la résilience, c’est redonner à cet esprit de défense sa place et son importance. La résilience est une soudure, qui garantit que l’ensemble des atomes qui constituent un matériau ne se désagrège pas. Et pour cela, les leçons que nous donnent les armées – comme l’ensemble des services publics mobilisés – ne devront pas être oubliées.

 

Guillaume Lasconjarias 2020

Guillaume Lasconjarias est chercheur associé à l’IFRI.

 

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2 mars 2020

Lauric Henneton : « Trump, l'hyper-présidence, jusqu'à la caricature... »

Demain 3 mars se tiendra le Super Tuesday, journée décisive au cours de laquelle un grand nombre des délégués pour les primaires démocrates (dont ceux de Californie, du Texas, de Caroline du Nord, de Virginie et du Massachusetts) sera attribué. Plusieurs données à retenir du côté du « parti de l’âne », à ce stade : le statut de favori d’un Bernie Sanders, très marqué à gauche et en grande forme actuellement ; le maintien dans la compétition de l’ex vice-président Joe Biden, renforcé par le retrait du jeune espoir Pete Buttigieg qui était sur un même positionnement, plutôt centriste ; in fine la grande incertitude quant à l’issue de ces primaires.

Pour y voir plus clair, notamment sur la campagne et le bilan de Donald Trump, j’ai souhaité interroger Lauric Henneton, maître de conférences à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, spécialiste de l’histoire et de la politique des États-Unis, et auteur récent d’un Atlas historique des États-Unis (Autrement, 2019). Je le remercie d’avoir accepté de se prêter à l’exercice, avec clarté et précision. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

PRÉSIDENTIELLE ÉTATS-UNIS, 2020

Donald Trump 2020

Donald Trump en 2019. Source : REUTERS.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU (2 MARS 2020)

Lauric Henneton: « Trump,

c’est l’hyper-présidence, poussée

jusqu'à la caricature... »

 

1. Le bilan de Donald Trump, qui sera candidat à sa réélection en novembre, peut-il être qualifié de "bon", du point de vue notamment des électeurs plutôt humbles et conservateurs qui constituent sa base ?

La question du bilan est à la fois décisive et particulièrement épineuse. Décisive car elle correspond à la fameuse question de Ronald Reagan: "Votre situation est-elle meilleure qu’il y a quatre ans ?" et que c’est souvent un élément décisif du choix, quand il n’est pas déjà fait sur des bases plus idéologiques. Épineuse car il est difficile de déterminer ce qui, dans la santé économique d’un État, dépend directement de l’action de l’administration en place.

Ici, deux exemples: la bonne santé de la bourse et la baisse continue du chômage. Les deux tendances avaient débuté sous Obama, c’est factuel et vérifiable. Mais tout est dans le "narrative", le récit. Les partisans de Trump sont de toute façon enclins à le croire, quoi qu’il dise. Reste la décision des indécis et là c’est très volatile. L’emploi cache en réalité un nombre important d’Américains qui sont sortis des statistiques ("not in the labor force"). Si on doit cumuler deux emplois sous-payés très loin de chez soi pour vivoter, on est dans les statistiques flatteuses.

On note un rebond des salaires, en revanche, mais là encore, difficile de mettre cette tendance directement au crédit de l’administration Trump, et pas par anti-trumpisme primaire: c’est difficile de mettre cela au crédit d’une administration fédérale en général. Notamment parce que l’attractivité économique est aussi une affaire qui se décide au niveau des États, mais aussi à un niveau encore plus local.

« Le coronavirus pourrait être

le "Katrina" de Donald Trump... »

La grande question actuellement est celle de l’impact du coronavirus sur l’économie (et la bourse). L’administration Trump est notoirement sous-pourvue, ce qui ne facilite pas la gestion. Le coronavirus pourrait être pour Trump ce que l’ouragan Katrina, qui avait dévasté La Nouvelle-Orléans en 2005 dans l’indifférence assez générale, avait été pour l’administration Bush. Évidemment, Trump rejettera la faute sur les médias, qui montent tout en épingle pour faire le buzz et sur les Démocrates.

 

2. Y a-t-il la moindre chance que la campagne générale se joue sur les idées plutôt que sur les personnes (pour ou contre Donald Trump) ? Et de ces deux hypothèses, laquelle serait, a priori, moins défavorable aux Démocrates ?

Une présidentielle, et dans une certaine mesure une sénatoriale, se jouent sur la personnalité, c’est inévitable quand ce sont des humains qui votent et pas des machines. Nous sommes tous, que nous le voulions ou non, plus ou moins réceptifs à des considérations de type émotionnel (charisme, par exemple). Nous rationalisons après-coup.

Dans le cas d’un duel Trump-Biden on sera clairement dans un référendum sur Trump plus que dans des considérations programmatiques strictes, même si celles-ci sont évidemment en filigrane: voter pour l’un ou pour l’autre, c’est forcément voter pour des programmes très différents et au-delà, pour des orientations pour le pays.

« Un duel Trump-Sanders serait un double

référendum : sur Trump et sur le socialisme,

associé au candidat démocrate. »

Dans un duel Trump-Sanders, en revanche, les idées seront plus présentes: au référendum sur Trump s’ajoutera un référendum sur le "socialisme", une notion assez mal définie aux Etats-Unis. Les plus âgés, qui ont vécu la guerre froide, sont nettement plus réticents que les jeunes, pour qui l’URSS relève des livres d’histoire. La séquence entre l’investiture de Sanders et l’élection de novembre serait alors l’occasion d’un grand exercice de pédagogie et de clarification sur la portée réelle du projet de Sanders, un exercice visant à rassurer les plus sceptiques. De l’autre côté, Trump dépenserait des millions de dollars à diaboliser le projet de Sanders en partant du principe que si l’on calomnie, il en restera toujours quelque chose.

 

3. L’historien que vous êtes lit-il dans la présidence, dans le "moment" Trump, quelque chose de fondamentalement nouveau, comme une rupture par rapport au reste de l’histoire des États-Unis, ou bien les ruptures de Trump ne se jouent-elles finalement que sur la forme ?

Trump a fait sa fortune politique sur une double rupture, qui commence au sein du Parti républicain. Il ne faut jamais l’oublier: l’essentiel de la campagne de 2015-2016 se situe au moment des primaires, de juin 2015 à l’été 2016. La dernière ligne droite (septembre-octobre) est finalement très brève. On l’oublie car elle est d’une rare intensité. La principale rupture se situe donc au sein du Parti républicain, que ce soit au niveau de l’interventionnisme militaire ou du retour au protectionnisme. Même chose sur l’immigration: s’il y a bien une constante dans l’opposition à l’immigration illégale, les Républicains n’étaient pas du tout hostiles à une immigration légale dans la mesure où elle fournissait une main d’oeuvre peu qualifiée bon marché indispensable à la bonne santé de l’économie, notamment dans les régions agricoles du Sud-Ouest (principalement en Californie).

Les lignes Trump sont donc en rupture assez nette avec les positions classiques du Parti républicain, mais on trouve aussi des continuités, qui n’apparaissaient pas toutes pendant la campagne 2015-2016. La politique fiscale, favorable aux plus riches, les coupes budgétaires, la déréglementation systématique des mesures de protection environnementale mises en place par l’administration Obama, la nomination de juges conservateurs à la Cour suprême: tout cela est très en phase avec la droite du Parti républicain. En cela, Trump nourrit une polarisation qui existait bien avant son entrée en politique. Trump est donc ici un catalyseur mais pas du tout l’origine du mal.

On pourrait faire un parallèle avec Sanders du côté démocrate: il entre en campagne en 2015 dans une galaxie démocrate déjà tiraillée, notamment par le mouvement "Occupy Wall Street" d’un côté et "Black Lives Matter" de l’autre - qui lui est d’abord très hostile. Sanders est aussi un catalyseur, sur lequel se greffent des personnalités montantes comme Alexandria Ocasio-Cortez (jeune élue à la Chambre des représentants proche de ses idées, ndlr).

Trump est aussi une forme d’évolution maximaliste sinon caricaturale de l’hyper-présidence déjà diagnostiquée par Hubert Védrine sous Bill Clinton dans les années 1990, de la "présidence impériale" qui remonte à la présidence Roosevelt dans les années 1930. Évidemment, sa personnalité abrasive, son utilisation très provocatrice et clivante (à dessein) des réseaux sociaux, sa stratégie visant à flatter sa base électorale la plus radicale, tout cela concorde à accentuer très profondément des tendances déjà présentes.

« La présidence Trump est un exercice

grandeur nature de résilience

démocratique. »

C’est encore accentué par des tendances volontiers autoritaires, neutralisées parfois par son administration (certains ministres, démissionnaires depuis), par les institutions (la séparation des pouvoirs, plus ou moins efficace) et le mille-feuilles fédéral. En cela la présidence Trump est un exercice grandeur nature de résilience démocratique, ce que les économistes appellent un test de résistance, un "stress test". Et ce sera encore davantage le cas si Trump était réélu en novembre, ce qui n’est ni exclu ni acquis.

 

Lauric Henneton 2020

Lauric Henneton est maître de conférences à

l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

 

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