« Le théâtre, comme véritable outil mémoriel ? », par Cyril Mallet
Au mois de juillet, j’avais sollicité M. Cyril Mallet, germaniste et austriaciste spécialiste des camps nazis (il a notamment consacré deux ouvrages à celui de Redl-Zipf), pour lui offrir un espace d’expression autour du 80ème anniversaire de la tragique Rafle du Vél d’Hiv. Je tenais à ce qu’une publication apparaisse sur ce blog autour de cette thématique. Et je savais pouvoir compter sur cet homme, que j’avais connu précédemment comme assistant parlementaire de Pierre-Yves Le Borgn’, pour pouvoir la traiter avec la rigueur de l’historien, et la sensibilité du citoyen engagé : il y a quatre ans, à l’occasion d’un anniversaire plus souriant, du centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918, il s’était saisi d’une proposition similaire et avait livré un texte méritant d’être relu parce que toujours d’actualité. Bref, l’article sur la Rafle du Vél d’Hiv n’a pu se faire, mais à la place, il m’a proposé le principe du texte qui suit : l’évocation d’un évènement militaire méconnu, le Raid de Dieppe (ou Operation Jubilee) du 19 août 1942, vu au travers d’une pièce de théâtre de Nicolas F. Paquin, avec un questionnement, la place et la crédibilité de l’art en tant que vecteur d’une mémoire collective. Son texte, très documenté, m’a conquis, et je le remercie pour cette nouvelle marque de confiance. Exclu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
« Le théâtre, comme véritable
outil mémoriel ? »
par Cyril Mallet, le 27 août 2022
Répétition de Nicolas F. Paquin dans la salle des Fêtes
de Saint Nicolas d’Aliermont. © Cyril Mallet
Le 20 août dernier, la ville balnéaire de Dieppe, située sur les côtes de la Manche, commémorait le quatre-vingtième anniversaire de l’Opération Jubilee. A cette occasion, l’artiste canadien Nicolas F. Paquin a présenté son one man show « Avant d’oublier, les Canadiens français à Dieppe ». Alors que certains spécialistes continuent de critiquer l’apport du spectacle vivant dans la Mémoire de la Seconde Guerre mondiale, il peut être utile de rappeler le rôle joué par le théâtre dans le domaine mémoriel.
Le théâtre comme moyen de dénonciation : Heldenplatz de Thomas Bernhard
On découvre un peu partout en France et dans le monde des représentations théâtrales dont la mission est de retracer un événement en particulier. Ce phénomène n’est en rien récent et les scènes autrichiennes ont souvent été des lieux de scandales voire de dénonciations au point de diviser la population, à l’instar de la pièce Heldenplatz de Thomas Bernhard, présentée pour la première fois au public le 4 novembre 1988 au Burgtheater de Vienne, l’équivalent de la Comédie française.
L’année 1988 est restée célèbre en Autriche sous l’appellation de Bedenkjahr, une année de commémorations. Le pays souhaitait en effet rappeler le cinquantième anniversaire de l’Anschluss, l’annexion de l’État autrichien par Adolf Hitler en 1938. Malgré cela, force est de constater qu’il n’y a eu que très peu de rendez-vous depuis le début de cette année 1988 jusqu’au scandale initié par la pièce de Thomas Bernhard, dont des extraits ont fuité dans la presse en amont de la première. À sa sortie, Place des Héros donc, veut casser le mythe, alors bien ancré dans le petit pays danubien, d’une Autriche première victime des nazis sous le Troisième Reich ; statut conféré par les Alliés dès 1943. Il faut ici rappeler qu’en 1988, le pays est un terrain fertile pour la pièce bernhardienne puisque sa sortie a lieu deux ans après l’élection de Kurt Waldheim à la présidence de la République autrichienne. Or, cette élection a mis en lumière les actions du nouveau Président commises sous l’uniforme nazi du temps de sa jeunesse durant la guerre. Après quarante années d’amnésie volontaire de la part du peuple danubien, l’élection à la fonction suprême de celui qui avait été l’ancien secrétaire général de l’ONU, va faire prendre conscience dans le monde entier de la participation active des Autrichiens dans les crimes nazis. Heldenplatz va ainsi servir de déclencheur dans le débat politique à l’intérieur du pays. Le titre de la pièce n’a d’ailleurs rien d’anodin puisque la place des Héros existe véritablement à Vienne. C’est sur cette place que des milliers d’Autrichiens se sont rassemblés le 15 mars 1938 pour acclamer Adolf Hitler lorsque celui-ci est venu annoncer depuis le balcon de l’ancien palais impérial de la Hofburg sa décision d’annexer son pays natal au Reich nazi. Faut-il ici rappeler que le Burgtheater, où sera jouée la pièce de Bernhard cinquante ans plus tard, est situé à quelques mètres seulement de cette Heldenplatz ?
« En France, le théâtre est quelque chose de l’ordre
du culturel et de l’artistique, en Allemagne et en Autriche,
il participe véritablement à la vie de la cité
et est une partie du débat public. »
Avant même qu’elle ne soit rendue publique, la pièce de Bernhard a véritablement heurté les esprits au point que des manifestations ont eu lieu devant et à l’intérieur du Burgtheater le soir de la première représentation. Heinz-Christian Strache, politicien issu du parti populiste FPÖ et vice-président de l’Autriche sous le Gouvernement Kurz de 2017 à 2019, manifestait à l’époque à l’intérieur de la salle au cours de cette représentation. C’est d’ailleurs ici une différence à noter entre la France et l’espace germanophone. Alors qu’en France, le théâtre est quelque chose de l’ordre du culturel et de l’artistique, en Allemagne et en Autriche, il participe véritablement à la vie de la cité et est une partie du débat public.
Le scandale lié à cette pièce est, il faut bien l’avouer, assez légitime tant cette œuvre est un véritable pamphlet contre l’Autriche. Thomas Bernhard n’en est ici pas à son coup d’essai et celui-ci est, du temps de son vivant, souvent considéré par les critiques germanophones comme étant un Netzbeschmutzer, « celui qui souille le nid », sous entendu, celui qui souille l’image idyllique de carte postale qu’a le petit pays alpin. Il faut dire que Bernhard y va fort, notamment lorsqu’il fait dire (page 89) au Professeur Robert Schuster, l’un de ses personnages, que :
L'Autriche elle-même n'est qu'une scène
sur laquelle tout est pourri, vermoulu et dégradé
une figuration qui se déteste elle-même
de six millions et demi de personnes abandonnées
six millions et demi de débiles et d'enragés
qui ne cessent de réclamer à cor et à cri un metteur en scène
Au-delà de l’outil de protestation, le spectacle peut servir à faire accepter à une population honteuse un passé trouble, notamment en passant par le comique.
Le théâtre comique pour aider à accepter son passé : Zipf oder die dunkle Seite des Mondes de Franzobel
Le 19 juillet 2007, l’écrivain autrichien Franzobel, de son vrai nom Franz Stefan Griebl, assiste en Haute-Autriche à la première de sa pièce Zipf oder die dunkle Seite des Mondes (Zipf ou la face obscure de la Lune). Dans un style tragi-comique, l’auteur décrit la vie du petit village autrichien de Zipf sous le Troisième Reich alors que celui-ci héberge un camp satellite du camp de concentration de Mauthausen. C’est sur le ton de l’humour que l’auteur a décidé de faire connaître ce camp de Redl-Zipf, alias Schlier, qui avait une mission bien singulière dans l’univers concentrationnaire puisque les SS y testaient notamment les propulseurs des V2, ces armes volantes qui devaient apporter à l’Allemagne nazie une victoire totale sur les Alliés. En utilisant cette forme, Franzobel s’inscrit dans ce qu’on appelle le Volksstück, le théâtre populaire, bien ancré en Allemagne du Sud et en Autriche.
Les critiques dans la presse autrichienne de l’époque sont élogieuses comme le montre l’article du journaliste Peter Jarolin dans le journal Kurier en date du 21 juillet 2007 : « Une fois de plus, Franzobel a écrit un texte fantastique. Franzobel mélange les faits (tragiques) avec la fiction, joue avec virtuosité avec le mythe de Faust et même avec Goethe. Et il montre à quelle vitesse des hommes aveuglés peuvent devenir des bêtes. Tout cela sans montrer du doigt la morale, mais avec un humour grotesque et une dose d'amertume ».
« Le risque d’utiliser la forme théâtrale
pour décrire un fait historique tragique
est de ne pas être pris au sérieux. »
Le risque d’utiliser cette forme théâtrale pour décrire un fait historique si tragique est de ne pas être pris au sérieux même si l’on sait que l’auteur s’est basé sur des recherches historiques et les témoignages oraux et écrits de survivants, notamment celui de Paul Le Caër. Pour rendre son travail plus réaliste, l’auteur donne la parole à des personnages qui ont véritablement côtoyé ce petit village, à l’instar de Eigruber (le responsable de la région Haute Autriche sous le Troisième Reich), ou bien encore Ilse Oberth (l’une des victimes nazies de l’explosion à l’intérieur du camp le 29 août 1944). Franzobel s’accorde tout de même quelques libertés en ce qui concerne certaines identités. Ainsi, Käseberg, le kapo de sinistre mémoire bien connu des survivants du camp qui nous intéresse, devient-il Kässberg sous la plume de l’auteur tandis que le dernier commandant de Zipf, Karl Schöpperle devient Adonis Schöpperle sur scène. On comprend évidemment l’allusion de l’auteur à l’amant d’Aphrodite, déesse de l’amour, dans la mythologie grecque. Pour certains hommes, seuls les prénoms voire des surnoms sont précisés à l’instar de Paul ou Rudi. Un spécialiste du camp de Zipf identifiera ces personnages comme correspondant à Paul Le Caër, déporté français arrivé au camp en 1943 et Rudolf Schöndorfer, déporté autrichien assassiné par les SS le 1er février 1945 pour avoir aidé un autre déporté à s’échapper.
On peut être véritablement critique avec cette forme théâtrale tant elle peut paraître grotesque. Ainsi, la présence de sorcières dans cette œuvre peut surprendre puisque l’on est plus habitué à les retrouver dans les contes pour enfants. Ici, elles ont clairement pour rôle de faire accepter le sujet tragique par le grotesque. Mais un germaniste reconnaîtra pourtant l’allusion aux sorcières de la Nuit de Walpurgis dans le Faust de Johann Wolfgang Goethe.
Dans un même genre, l’auteur fait dire sur scène au personnage-déporté Franz Kedizora qu’il va se plaindre auprès de l’ambassade de Pologne pour le mauvais traitement reçu. Est-il utile de rappeler qu’à l’époque, la Pologne avait été rayée de la carte ? Lorsque l’on sait que ce jeune homme s’appelait en réalité Franz Kedziora et que le malheureux a été assassiné par les SS en étant installé dans un autoclave lui-même placé sur le feu, on pourrait reprocher à l’auteur de ne pas rendre véritablement hommage à cet homme ou plus généralement aux centaines de victimes du camp de Schlier.
On pourrait également blâmer l’auteur de faire le jeu des négationnistes en déformant la réalité (l’exemple des identités modifiées en est la preuve) mais il ne faudrait ici pas oublier la nationalité de Franzobel. En passant par l’humour, celui-ci cherche à atteindre une cible bien précise, ses compatriotes qui, au moment de l’écriture de la pièce, ont encore beaucoup de mal à accepter le passé national-socialiste du pays. Ce mélange de fiction-réalité a le mérite de rappeler, pour ne pas dire faire connaître, l’histoire du camp de Zipf à l’intérieur du pays et il y a fort à parier qu’en passant par un style plus sérieux et réaliste, le public autrichien aurait boudé les représentations. Cette volonté de faire accepter les pages sombres de l’histoire nationale à ses compatriotes est fort louable mais si ce même texte était joué hors du pays, il serait plus que nécessaire de compléter la représentation d’une explication ou bien d’une contextualisation afin que les faits réels ne soient pas voilés par la fiction et le ridicule.
Au-delà de la cible nationale, l’auteur rappelle au spectateur par la voix de Ilse Oberth que ce n’est pas simplement l’histoire d’un camp de concentration installé dans une petite bourgade autrichienne qui est décrite mais bien un pan de l’histoire mondiale. En effet, la jeune fille rappelle que sans déportés, il n’y aurait pas eu de V2 mais que sans V2, il n’y aurait pas eu non plus de fusées envoyée sur la Lune. On a tendance à l’oublier mais en 1945, l’Opération Paperclip a permis aux Alliés de récupérer les cerveaux de l’Allemagne nazie et parmi eux, Wernher von Braun, qui a concrètement aidé à la conquête spatiale américaine. Alors oui, on sait les Américains très fiers du premier pas sur la Lune mais étonnamment, peu savent que cet exploit s’est fait avec l’aide d’anciens SS.
Après le théâtre du scandale et celui de l’absurde, la forme utilisée par l’auteur canadien Nicolas F. Paquin est plus sobre, et dans le texte et dans la représentation, mais justement, n’est-ce pas cette sobriété qui participe au réel hommage voulu par l’auteur ?
Le théâtre comme outil de lutte contre l’oubli : Avant d’oublier de Nicolas F. Paquin.
Le 19 août dernier, alors que les cérémonies officielles en l’honneur des soldats de diverses nationalités qui ont débarqué sur ce sol en 1942 se sont succédées toute la journée dans la cité balnéaire de Dieppe, Nicolas F. Paquin a présenté son spectacle intitulé « Avant d’oublier, les Canadiens français à Dieppe ». Celui-ci est complété d’un ouvrage retraçant le parcours de nombreux soldats canadiens ayant participé à ce raid rédigé par ce même N. F. Paquin à partir des archives et des témoignages de proches (Cf. bibliographie).
Le 19 août 1942, aux aurores, plus de 6 000 hommes, dont 5 000 Canadiens, participent à ce raid au cours duquel meurent de nombreux participants : pour les seuls Alliés, 1 200 hommes sont tués, dont 913 Canadiens. 1 600 autres ont été blessés et plus de 2 000 sont faits prisonniers. Le spectacle de Nicolas F. Paquin est dédié aux seuls Canadiens francophones qui ont pris part à cette Opération Jubilee en débarquant sur Dieppe et les alentours.
Le Cimetière des Vertus où sont inhumées les victimes alliées
débarquées à Dieppe le 19 août 1942. © Cyril Mallet
Tout au long du spectacle et à travers de petits détails, l’on comprend que Nicolas F. Paquin est allé loin dans la recherche archivistique. Ainsi, il n’hésite pas à raconter combien il a été ému de découvrir au bas d’un testament rédigé par un soldat (comme cela se faisait à l’époque avant de partir combattre) le petit mot laissé par ce même soldat et destiné à son épouse. Ce spectacle est véritablement touchant car il met à l’honneur ces héros mais également leur famille, ce que font rarement, il faut bien l’avouer, les chercheurs. L’artiste, qui fait donc ici œuvre d’historien, présente par exemple le combat d’Albertine Picard, mère de Oscar Francis et de Paul-Emile, qui ont tous deux grandi à Edmundston, au 59 de la rue d’Amours. Après le raid du 19 août 1942, cette maman est demeurée sans nouvelle de son fils Oscar plusieurs semaines durant au point de devoir écrire au Gouvernement pour connaître le cruel destin de son fils. Il lui faudra plusieurs mois et encore écrire plusieurs autres courriers pour que le Ministère de la Défense nationale lui réponde qu’Oscar est mort à Dieppe dans les heures qui ont suivi le Débarquement. Le deuxième fils d’Albertine, Paul-Émile, a lui aussi été tué au combat mais à l’été 1943 alors qu’il participait aux opérations en Sicile. Seul Jacques, le plus jeune des trois fils a survécu. À travers les courriers d’Albertine, que le comédien lit tel que sur scène, l’on comprend toute la détresse des familles de disparus.
Les frères Picard : Oscar à gauche, Paul-Émile à droite. © Mémorial virtuel du Canada
D’autres portraits de soldats sont divulgués tout au long du spectacle ; spectacle qui se termine sur l’expérience plus controversée d’Alcide Martin. L’auteur nous apprend ainsi que cet homme a participé au raid de 1942 puis à la Bataille de Normandie deux années plus tard. Survivant à la Seconde Guerre mondiale, celui-ci décidera également de s’enrôler pour participer à la Guerre de Corée, surtout pour bénéficier d’une prise en charge de soins qu’il ne pouvait s’offrir dans la vie civile. Si l’histoire de ce soldat est contée, c’est avant tout une volonté de la part de l’auteur d’évoquer les ravages sur le psychique des soldats rentrés après guerre. Les médecins avaient bien découvert des symptômes alarmants mais Alcide Martin s’était vu prescrire comme seul traitement « Une bonne nuit de sommeil ». Le traumatisme lié aux années de guerre ne va pourtant pas disparaître au point que, le 30 juillet 1951, le survivant en est arrivé à assassiner sa grand-mère, le compagnon de cette dernière et un voisin venu les secourir. L’auteur pose alors une question importante qui trouvera difficilement réponse : aurait-il fallu oublier ce meurtrier ou bien au contraire se rappeler qu’il a été un héros en participant au raid, et que c’est justement ce raid qui a fait de lui un assassin ?
Sur scène, le décor est sobre, dépouillé. Au premier plan, trois cubes noirs. Tout au long du spectacle, un simple bouquet de coquelicots amené par le comédien lors de son entrée sur scène est placé à même le sol, et rendu visible par un faisceau de lumière. Ce bouquet annonce à lui seul le thème du spectacle puisque, depuis la parution du poème In Flanders Fields, écrit par le lieutenant colonel canadien John McCrae durant la Première Guerre mondiale en l’honneur d’un ami tombé au champ d’Honneur, cette fleur est devenue le symbole du Souvenir au Canada et dans plusieurs pays du Commonwealth. Au fond de la scène, trois éléments gris et bleu posés à même le sol représentent une barge, comme celle utilisée quatre-vingts ans plus tôt par les soldats. L’élément central de ce triptyque servira d’ailleurs en fin de spectacle pour suggérer un cénotaphe que le comédien fleurira du bouquet mentionné auparavant. On ne peut alors que s’interroger sur le rôle de la représentation dans le spectacle dédié à la Mémoire. En faisant revivre un village entier sous le Troisième Reich, Franzobel veut époustoufler le spectateur par une « mise en scène-spectacle ». L’auteur canadien, quant à lui, est dans un tout autre registre. Il se place plutôt dans un théâtre de l’évocation par le biais de l’absence, du fragmentaire. Alors que chez Franzobel, le spectateur est passif comme il pourrait l’être en regardant un film au cinéma, il doit réfléchir et s’interroger en regardant le spectacle de Nicolas F. Paquin. Il doit imaginer et se représenter ce que lui raconte le comédien. On pourrait reprocher par exemple l’absence de photographies des personnes évoquées mais finalement, cette carence oblige le spectateur à se concentrer sur le texte récité. Par cette mise en scène volontairement sobre, par cette volonté d’absence, Nicolas F. Paquin revient alors au degré zéro du théâtre. La force est donc dans la parole théâtrale plus que dans le décor ou le spectacle.
On ressort totalement chamboulé tant l’heure et demie interroge et invite à d’autres questionnements. Ce travail fort utile réalisé par un artiste de l’autre bout du monde en l’honneur des Canadiens français encourage à se demander quel a été notamment le destin des soldats anglophones, qu’ils soient canadiens, britanniques, australiens, néo-zélandais etc. ou encore d’autres nationalités comme les Polonais, les Français et les Belges. Et si Alcide Martin, malgré le triple meurtre, est considéré comme un héros pour avoir participé activement à la Libération de l’Europe, qu’en est-il des soldats allemands tombés à Dieppe pour avoir fait leur devoir ? En 2022, l’Allemagne ne participait toujours pas aux commémorations dieppoises. Ne serait-il pas temps, 80 ans après les faits, d’inviter ce pays, qui a aussi connu de lourdes pertes estimées à plus de 590 hommes ? Ou bien la valeur d’un soldat de 20 ans serait-elle plus élevée au Canada ou en Angleterre qu’en Allemagne ou en Autriche ? Serait-il légitime de considérer la perte d’un enfant plus cruelle pour une mère canadienne que pour une mère allemande ?
On imagine légitimement la douleur d’Albertine Picard lorsqu’elle apprend le décès de son fils Oscar, tombé sur les plages de Dieppe mais devons-nous continuer d’ignorer la peine ressentie de parents allemands apprenant la mort de leur jeune enfant sur ces mêmes plages de Dieppe ? Comme il est possible de le lire dans l’ouvrage de Nicolas F. Paquin qui complète le spectacle : « À Dieppe, la commémoration impressionne par la démesure de la catastrophe qu’elle souligne. Les cérémonies touchent les cœurs puisque jamais elles ne peuvent être associées à la victoire. Pourtant la disparition des témoins met en péril la portée de ces événements dans les esprits ». À ce jour, et alors que l’on trouve tout ce que l’on recherche sur Internet, force est de constater qu’il est très difficile d’obtenir des informations basiques sur les soldats allemands tombés lors du raid d’août 1942. On ne parvient même pas à savoir après des heures de recherche où sont inhumés les hommes de la Wehrmacht tombés du côté allemand. Ici, c’est bien l’Allemagne qui est responsable car c’est à elle qu’incombe la responsabilité de faire perdurer la mémoire de ces jeunes hommes, qui n’ont eu d’autre choix que de porter l’uniforme nazi sous le Troisième Reich. L’Allemagne pourrait le faire en encourageant des historiens à effectuer des recherches ou bien alors en passant une commande auprès d’un artiste désireux de se pencher sur le destin individuel de ces hommes.
« Par son seul spectacle dieppois, l’auteur canadien
a touché plusieurs centaines de personnes
en une soirée, ce que mes ouvrages scientifiques
mettront plusieurs années à réaliser. »
En tant que chercheur, j’étais assez dubitatif avec les nouveaux moyens de diffusion de connaissances que sont les BD, les reportages que l’on retrouve sur des sites d’hébergement ou encore le théâtre. En effet, l’on ne peut jamais être certain que les informations transmises se basent sur des faits vérifiés ou si cela sort de l’imagination de son auteur. Finalement, la pièce de Nicolas F. Paquin m’a fait radicalement changer d’avis. Par son seul spectacle dieppois, l’auteur canadien a touché plusieurs centaines de personnes en une soirée, ce que mes ouvrages scientifiques mettront plusieurs années à réaliser. Alors oui, à partir du moment où le spectacle s’inscrit dans une démarche scientifique avec des recherches réalisées en amont, il faut légitimement considérer cet art comme étant un puissant outil de transmission de la mémoire.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Ouvrages
BERNHARD Thomas, 1988, Heldenplatz, Suhrkamp Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main
FRANZOBEL, 2007, Zipf oder die dunkle Seite des Mondes, Verlag Publication N°1 / Bibliothek der Provinz, Weitra
LE CAER Paul, 1996, Les cicatrices de la Mémoire, Heimdal Editions, Bayeux
MALLET Cyril, 2017, Le camp de concentration de Redl-Zipf (1943-1945), Editions Codex, Bruz
PAQUIN F. Nicolas, 2022, Avant d’oublier. Les Canadiens français à Dieppe, Hugo Doc, Paris
STACHEL Peter, 2018, Mythos Heldenplatz. Hauptplatz und Schauplatz der Republik, Molden Verlag, Wien
Presse
JAROLIN Peter, Theater, das süchtig macht, Kurier, 21 juillet 2007
Travaux universitaires
FALTER Barbara, Franzobel französisch ? Eine Untersuchung literarischer und szenischer Übersetzungsprozesse unter besonderer Berücksichtigung der komischen Elemente, Université de Vienne (Autriche), mémoire de Master sous la direction de Alfred Noe, 2009
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T. Lopez (Artus) : « Le marché physique du film permet d'investir dans la préservation du patrimoine »
Le 10 octobre dernier, je me trouvai presque par hasard au Salon du DVD (en marge du Festival Lumière, rue du Premier-Film, Lyon 8e). Moment agréable de rencontres, de découverte aussi du métier d’éditeur de disques ciné (DVD donc, Blu-ray ou plus sophistiqué). À l’heure où le nombre d’abonnements à des plateformes de streaming (ouvrant droit à un grand nombre de films et séries) explose, on pourrait se demander même où est la pertinence de tenir un tel salon. Pour avoir échangé avec certains exposants j’ai vite compris qu’on avait là des passionnés, et que les concurrences nouvelles les poussent à des exigences nouvelles, à une montée en gamme finalement profitable au consommateur cinéphile : oui le support physique a un avenir, il conservera une clientèle. Je vous propose, pour illustrer tout cela, cet interview finalisé en décembre avec Kévin Boissezon et Thierry Lopez, cofondateurs de la maison Artus Films. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Thierry Lopez (Artus) : « Le marché physique
du film permet d'investir dans la préservation
et la restauration du patrimoine »
Pourriez-vous tous les deux nous parler de vous, de vos parcours ?
Kévin Boissezon : Nous venons de Béziers et nous nous connaissons depuis la maternelle. J’ai pour ma part un bac A1 (Lettres / Maths), une maîtrise de Sociologie et un DEA de Philosophie que j’ai eus à la faculté Paul Valéry de Montpellier.
Thierry Lopez : Je me définis comme un cinéphile passionné par le fantastique. Après mes études de cinéma à Montpellier, j’ai réalisé quelques courts métrages, puis créé Artus.
D’où vous vient, l’un et l’autre, votre amour pour le cinéma, et quels ont été en la matière vos premiers coups de cœur ?
K.B. : Je pense à La Dernière Séance d’Eddy Mitchell que je regardais avec ma grand-mère, puis à l’arrivée de Canal Plus et son Cinéma de quartier. Je me souviens d’une Dernière Séance où ils avaient diffusé L’étrange créature du lac noir en 3D. Tout le monde s’était rué au tabac pour acheter les lunettes.
T.L. : Le fantastique m’a emmené au cinéma, à la suite de la littérature et de la bande-dessinée, surtout aux films de vampires. Un film fondateur de ma passion est Nosferatu, fantôme de la nuit, de Werner Herzog, vu lorsque j’avais 12 ans.
Quelle est l’histoire de votre amitié, et comment est née l’aventure Artus Films?
K.B. : On se connaît depuis qu’on est à la maternelle. On est nés dans la même clinique à une semaine d’intervalle. Nous étions partis à Montpellier pour les études et un soir, autour d’une discussion sur le cinéma et les films que l’on ne pouvait malheureusement pas voir (Internet n’était pas aussi performant que maintenant), nous avons décidé de monter notre propre maison d’édition pour pouvoir accéder à ces films.
T.L. : Ma vidéothèque de VHS et DVD s’agrandissait, mais je désespérais de pouvoir trouver des vieux films qui me faisaient rêver. Une seule solution : les éditer soi-même.
Votre catalogue est très varié, du fantastique donc au cinéma d’épouvante en passant par les films historiques, avec pas mal de pays représentés. C’est quoi, au global, l’identité particulière de votre maison d’édition ?
K.B. : C’est surtout le cinéma Bis* et d’exploitation qui couvre énormément de genres différents. Mais c’est surtout de donner au public la chance de pouvoir voir chez nous des films inconnus et encore inédits.
* Sur la page Wikipedia qui lui est dédiée, le cinéma Bis est défini comme désignant "des films réalisés en reprenant des recettes déjà éprouvées, mais tournés avec des moyens réduits et destinés au public populaire".
T.L. : Nous explorons tout le Bis dans quasiment tous ses genres, avec une nette préférence pour le cinéma des années 60. Depuis quelques années, nous revenons régulièrement à nos premières amours : le légendaire européen, avec des films de notre patrimoine qui ne sont pas obligatoirement Bis.
Comment gère-t-on un éditeur de DVD et de Blu-ray ? À quoi ressemble votre quotidien ?
K.B. : Thierry s’occupe de la ligne éditoriale et de la confection du produit fini. Je prends le relais pour la commercialisation, le service après-vente, les envois des commandes, les relations avec la presse et autres partenaires, la paperasse…
T.L. : Choisir les films, trouver les ayants droit, chercher le matériel dans des labos – notamment les versions françaises originales lorsque le vendeur ne la possède pas -, produire les bonus vidéo et/ou écrits, gérer le sous-titrage, le graphisme, la technique…
Pouvez-vous, avec des exemples, nous raconter comment un film arrive dans votre catalogue ? De sa prospection jusqu’à la confection de la galette magique. Parfois il y a des droits à acquérir, parfois il est dans le domaine public ; parfois en très bon état, parfois tout ou presque est à reconstruire…
K.B. : C’est pour Thierry ça !
T.L. : Dans le meilleur des cas, un producteur nous contacte car il a réalisé une numérisation et une restauration d’un film susceptible de faire partie du catalogue Artus. Dans un autre cas, je tiens énormément à un film, et je dois trouver l’ayant droit, le matériel, etc… Pour certains films, je suis en recherche depuis le début d’Artus, soit plus de seize ans…
Le support disque est nettement moins couru depuis l’avènement des plateformes à abonnement, comme Netflix ou Disney+. C’est quelque chose qui vous inquiète, ou bien pouvez-vous aussi, pour les contenus dont vous possédez les droits, en bénéficier ?
K.B. : Nous vendons des films pour l’exploitation en SVOD (vidéo à la demande avec abonnement, ndlr) comme à FilmoTV, UniverCiné, Shadowz… mais l’essentiel des ventes reste le physique. Le film de patrimoine en galette se porte toujours très bien, contrairement aux films récents. Les clients veulent l’objet.
T.L. : Il est indéniable que les ventes ont largement chuté depuis sept-huit ans. À nous de proposer un film dans un bel écrin, un objet collector, qui ravira le collectionneur. Finalement, la cinéphilie y gagne en qualité.
Cet avènement des plateformes ne pousse-t-il pas aussi, justement, les éditeurs de disques à réfléchir à proposer un bel objet, visuellement impressionnant (du film remasterisé jusqu’à la jaquette redessinée), accompagné de bonus (documentaires et contenus additionnels, livret) pour survivre ? Là où peut-être, il y avait une forme de paresse chez certains (une pauvre bande-annonce comme seul bonus), quand cette concurrence n’existait pas ?
K.B. : Exactement et tout le monde se tire vers le haut.
T.L. : C’est ça.
On entend beaucoup dire que depuis la crise Covid, pas mal de gens ont changé leurs habitudes, qu’ils vont moins au cinéma privilégiant, par exemple, le home video. Qu’est-ce que ça inspire aux cinéphiles que vous êtes ?
K.B. : Je ne suis pas très optimiste pour les cinémas. Je pense que ça va être long avant que tout le monde y revienne. On s’est pas mal habitué à être livré, alors pour aller voir un film alors que tout arrive chez vous ! C’est sûr, rien ne vaut un film en salle ! Mais, bon, on verra bien…
T.L. : Pour ma part, rien n’a vraiment changé. Je regarde toujours autant de films en DVD et Blu-ray.
Une question que je me pose depuis longtemps : comment expliquer que, souvent, les films français soient édités sans sous-titres ? Cela pourrait aider les personnes malentendantes à se sentir moins exclues, et accessoirement, à la culture française de se diffuser un peu plus loin qu’en francophonie ? Concrètement vous travaillez avec une même société de doublage ?
K.B. : Parce que ça coûte cher et parce qu’il n’y a pas d’intérêt. De plus, les contrats nous interdisent la plupart du temps de vendre en dehors de la France, de la Belgique ou de la Suisse.
T.L. : Oui, peut-être. Nous avons édité très peu de films francophones, et la question ne s’est pas posée.
Quels films du catalogue Artus auriez-vous, l’un et l’autre, envie de nous présenter, et de nous recommander tout particulièrement ?
K.B. : C’est dur là ! On a presque 250 titres.
T.L. : Les films de notre nouvelle collection « Histoire et Légendes d’Europe ». Guillaume Tell (de Michel Dickoff, 1961, ndlr) était totalement inédit chez nous ; le film est très bon, le personnage si peu représenté au cinéma, et la Cinémathèque Suisse a produit un master de toute beauté. Jeanne d’Arc (de Gustav Ucicky, 1935, ndlr) idem. Hormis le fait que nous avons restauré le film nous-mêmes. Le troisième et dernier – pour l’instant – titre est La vengeance de Siegfried (de Harald Reinl, 1966-7, ndlr). Je l’avais vu étant petit, et cela m’avait laissé une très forte souvenance émotionnelle. Je suis très heureux de permettre aux cinéphiles de (re)découvrir ce film dans de bonnes conditions.
Vos films préférés, Artus et soyons ouverts, les non Artus aussi ?
K.B. : Le boulanger de l’empereur qui était un de nos premiers titres. Mais il est épuisé. Requiem for a dream, c’est le film que j’ai vu le plus souvent.
T.L. : J’ai toujours un petit coup de cœur pour Blanche-Neige, le prince noir et les sept nains ! Hors Artus, le cinéma de Werner Herzog, Sergueï Paradjanov, Wojcieh Has… Excalibur, de John Boorman, le nom Artus vient de là.
Vos projets, vos envies pour les mois et les années à venir ?
T.L. : Nous allons continuer la collection Giallo qui était très attendue. Et toujours des westerns, péplums, SF, fantastique etc…
En quelques mots, surtout pour ceux qui n’y croient (toujours) pas : pourquoi le home video version disque a-t-il encore un avenir ?
K.B. : Parce que si tu n’achètes pas le film en physique tu risques de te retrouver comme un con dans dix ans quand tu voudras le revoir. Le stockage dématérialisé n’est pas extensible à l’infini et il faut faire de la place. De plus le catalogue de la vidéo physique et de loin le plus fourni.
T.L. : Le marché physique permet d’investir dans la préservation et la restauration du patrimoine. Sans une édition physique à la clé, il y aurait difficulté, en l’état actuel des choses, à financer la sauvegarde de vieux films.
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Frédéric Quinonero : « Serge Lama est perçu injustement, corrigeons cela tant qu'il est encore là »
De Serge Lama, on connaît tous au moins une chanson : Je suis malade (S. Lama / A. Dona) a été interprétée, ici et ailleurs, par de grandes voix qui ont sublimé ce texte, pourtant très personnel d’un Lama né Chauvier qui, davantage sans doute que d’autres, s’est raconté et s’est confié, tout au long de sa carrière.
Connaît-on vraiment Serge Lama, au-delà de cette chanson, et de ses plus connues qui, des P’tites femmes de Pigalle à Femme, femme, femme, ne sont pas forcément ses plus intéressantes ? Je le confesse : de lui je ne savais pas grand chose avant de lire cette nouvelle bio de qualité signée Frédéric Quinonero, que je remercie pour cet entretien - et je salue au passage Marie-Paule Belle et Marcel Amont, cités dans le livre et que j’avais tous deux interviewés, il y a des années.
L’histoire d’une enfance, qui l’aura marqué à vie ; l’histoire aussi d’une niaque hors norme, que les lourdes épreuves de son existence n’ont fait que renforcer. Lama, un gaillard attachant, et un grand interprète et auteur, trop souvent oublié, et qui mérite d’être découvert, ou redécouvert. Lisez ce livre, et écoutez-le, profitez-en : pour le moment le chanteur a vingt ans. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Frédéric Quinonero: « Serge Lama est perçu
injustement, corrigeons cela tant qu’il est encore là »
Serge Lama, la rage de vivre (L’Archipel, septembre 2021)
Pourquoi as-tu choisi de consacrer cette nouvelle biographie à Serge Lama ?
C’est avant tout pour réparer un manque : il n’y avait pas de biographie de Serge Lama quand j’ai décidé d’écrire la mienne. Ensuite, il y a eu l’annonce de ses adieux à la scène, tout au moins à la Province, ce qui constituait un prétexte idéal. Enfin, et surtout, il s’agissait de réhabiliter un auteur et un show-man.
Ce qui saute aux yeux quand on lit ce récit, dès les premières lignes, c’est cette niaque assez incroyable qui a animé Lama, notamment après son terrible accident de l’été 1965 qui a emporté celle qu’il aimait, Liliane, le frère d’Enrico Macias aussi, et qui a failli, lui, le laisser paralysé...
J’ai ouvert mon livre en relatant cet événement tragique, de façon filmique. Car on peut dire que cet accident de voiture, au-delà de l’horreur qu’il représente, a « fait » Lama ! Il était en tournée, il démarrait une carrière avec l’arrogance des débutants qui veulent réussir coûte que coûte. L’accident l’a fauché en pleine ascension, modifiant brutalement la donne. Ramené à la case départ, physiquement et moralement détruit, il lui a fallu remonter la pente avec une rage de vivre supplémentaire, mais la sensibilité en plus. Devenu plus ouvert aux autres, plus humain, il était désormais prêt à être aimé. Et il l’a été, ô combien !
On est frappé aussi de voir à quel point il a, semble-t-il, été influencé par ce qu’il a vu de ses parents : une mère au caractère fort, un peu castratrice ; un père artiste mais qui lui a manqué de niaque et a lâché l’affaire sous la pression notamment de son épouse. Peut-on dire que Lama, plus peut-être que d’autres artistes, s’est construit en songeant à ses parents ? Qu’il a choisi ses compagnes en pensant à sa mère, comme un anti-modèle, et qu’il a mené sa carrière et sa vie d’homme en s’assurant, lui, de ne jamais abandonner ce qui lui tenait à cœur ? Les Ballons rouges c’est vraiment l’histoire de son enfance ?
Il y a souvent chez l’artiste un enfant qui sommeille et n’a pas réglé ses comptes avec ses parents. C’est le cas de Lama. Admiratif de son père, chanteur d’opérette qui plaisait beaucoup aux femmes, mais dont la carrière évoluait péniblement, il en a toujours voulu à sa mère de l’avoir contraint à renoncer pour une activité alimentaire plus lucrative. Une rancœur injuste, à l’égard d’une femme, sa mère, qui supportait les inconvénients de la vie d’un chanteur, sans en connaître les avantages ! Si Lama n’a pas eu de ballons rouges et ne jouait pas aux billes dans son quartier, c’est parce qu’il ne devait pas se salir et astreindre sa mère à trop de lessives… Ce ressentiment à l’égard de sa mère allait déteindre ensuite sur les femmes, en général, tout au long de sa vie – l’idée de la femme castratrice et empêcheuse de tourner ou de chanter en rond l’incita à ne jamais partager le même toit avec ses compagnes (sauf la dernière). Devenu chanteur populaire pour venger son père, alors qu’il se voulait plutôt écrivain, Lama a fait ensuite, comme dans la chanson, « ce qu’il a voulu ».
Parmi tes témoignages recueillis, sur l’accident, et sur son père, on retrouve avec plaisir les mots de Marcel Amont. Un témoin, comme une évidence à tes yeux ?
Oui, n’ayant pas accès aux très proches de Lama (le chanteur écrit un livre de souvenirs, et se les réserve), j’ai sollicité d’autres témoins qui ont accompagné son parcours, certains jamais sollicités. Marcel Amont l’a été, notamment pour évoquer l’accident de l’été 1965, puisqu’il était la vedette de cette tournée. Je l’avais déjà rencontré pour un livre sur les années 60 (Les années 60, rêves et révolution, 2009) : il m’avait alors reçu dans sa chambre d’hôtel, allongé tout habillé sur son lit et moi assis dans un fauteuil (rires). C’est toujours un plaisir d’interviewer Marcel Amont qui est un artiste d’une grande humanité. J’ai tendance à penser que seuls les chanteurs de « l’ancienne école » sont encore capables d’une telle générosité. Il me remerciait encore tout récemment par courriel de lui avoir envoyé un exemplaire de mon livre.
On le salue avec chaleur. Tu l’évoques très bien dans le livre, Serge Lama aime écrire, il a de l’énergie à revendre, mais il a aussi fait des rencontres essentielles qui l’ont aidé à prendre le large, à l’image de son "père de substitution" Marcel Gobineau, de Régine, de Barbara aussi... Beaucoup de bonnes fées, au féminin comme au masculin, autour de lui ?
Marcel Gobineau, qui était régisseur au théâtre des Capucines où se produisait Georges Chauvier, le père de Lama, a été l’homme providentiel. Il l’a aidé à surmonter les épreuves, s’est occupé de lui comme d’un fils. Serge lui dédiera plus tard la chanson Mon ami, mon maître. Médium, Gobineau lui avait prédit que la gloire viendrait avec un disque à la pochette rouge, illustré d’un portrait de Serge qui ne serait ni une photo, ni un dessin… À ses débuts, ce sont surtout des femmes qui lui ont mis le pied à l’étrier. Barbara, la première, qui était la vedette de l’Écluse où Lama levait le torchon, l’imposera ensuite à Bobino dans le spectacle de Brassens où elle était la vedette américaine. Il y aura ensuite Renée Lebas, qui sera la productrice de ses premiers disques, Régine, pour qui il écrira des chansons et qui lui présentera le compositeur Yves Gilbert… Les femmes seront très importantes dans le parcours de Serge, toujours présentes dans son entourage.
Serge Lama n’était pas compositeur, mais on l’a vu, il a su et sait toujours très bien s’entourer. Parmi ses compositeurs, deux noms essentiels : Yves Gilbert et Alice Dona. Qu’est-ce que l’une et l’autre lui ont apporté, et en quoi la contribution de chacun à l’édifice Lama a-t-elle été particulière ?
Yves Gilbert survient très tôt dans son parcours, au moment où il est alité et corseté, à la suite de son accident. Le compositeur lui rend visite tous les jours et, ensemble, ils écrivent les chansons des premiers albums de Serge. Ils ne se quitteront plus. Yves Gilbert sera son pianiste attitré sur scène pendant toutes les années de gloire. Alice Dona intervient à partir de 1971, à la faveur d’une chanson écrite pour le concours de l’Eurovision (Un jardin sur la terre). Complément harmonique d’Yves Gilbert, elle devient indispensable dès lors qu’elle écrit Je suis malade et d’autres titres de l’album rouge (La chanteuse a 20 ans, L’enfant d’un autre…) Suivront de nombreux tubes, comme Chez moi, La vie lilas, L’Algérie…) Serge apprécie l’élégance d’Yves Gilbert, sa sensibilité féminine, et a contrario, le touche masculine et efficace d’Alice Dona, son élan populaire.
Au petit jeu des filiations et des ressemblances, on l’a paraît-il pas mal comparé à Brel au début, ce qui ne le convainquait qu’à moitié. Parmi les anciens, ne faut-il pas plutôt, chercher du côté d’un Bécaud ? Je sais qu’il a aussi revendiqué une filiation par rapport à Aznavour...
Oui, Bécaud comme Lama était un vrai show-man. Aujourd’hui, on ne cite pas plus Lama que Bécaud dans les influences sur les jeunes générations, alors qu’ils ont révolutionné la scène musicale chacun à son époque, par ailleurs auteur pour l’un, compositeur pour l’autre. Si Bécaud a influencé Lama à ses débuts – il allait le voir sur scène pour apprendre le métier –, c’est du côté d’Aznavour qu’il préfère qu’on le rapproche, car c’est sa plume qu’il voudrait qu’on honore, plus que ses qualités d’interprète qui, pourtant, elles, pourraient être comparées à celles de Brel.
Lama a monté un spectacle assez impressionnant autour de Napoléon. Dans la deuxième moitié des années 70 il a volontiers assumé un côté cocardier, sa virilité, et passait auprès de certain(e)s pour être misogyne, voire allons-y franchement - l’époque (déjà) ne faisait pas trop dans la finesse - pour un affreux réac. On pense aussi à Sardou, qui a été catalogué dans ces catégories lui aussi : comme Lama, il a parfois tendu le bâton, mais comme Lama, il a prouvé par la suite à quel point il savait être plus fin que ce que certains espéraient de lui. De fait, est-ce qu’ils se ressemblaient au-delà des apparences, ces deux-là que tu connais bien ? Quelles ont été, pour ce que tu en sais, leurs relations ?
Napoléon ne lui a pas rendu service. Ce fut un triomphe en termes d’entrées pendant six ans, mais cela n’a pas attiré une clientèle jeune et l’a définitivement éloigné de la génération de ces années Mitterrand et des suivantes. Il y eut de graves erreurs de commises à cette période-là, en termes d’image et de communication, de celles dont on peine à se relever. Par la suite, il lui a manqué, dans les années 80 surtout, des grandes chansons, dignes de celles qu’il sait écrire quand il est inspiré. Si bien qu’aujourd’hui on l’associe encore à une caricature de chanteur franchouillard, liée aux chansons joyeuses qui demeurent ancrées dans les mémoires, comme Les p’tites femmes de Pigalle ou Femme, femme, femme. Sardou n’a pas eu cette traversée du désert des années 80, il a su prendre le virage qu’il fallait et garder sa popularité intacte avec des tubes comme Musulmanes ou Les Lacs du Connemara.
Quels sentiments Serge Chauvier, l’homme derrière Lama, qui a connu plus que sa part d’épreuves, t’inspire-t-il ? Si tu avais un message à lui faire passer, une question à lui adresser ?
Il m’inspire des sentiments contrastés, mais je le crois généreux et humble. Nous avons des amis communs. J’aurais aimé le rencontrer, même après ce livre. Pour parler histoire et littérature. Et chanson, inévitablement.
Quel regard portes-tu sur son travail, son œuvre en tant qu’auteur ? Serge Lama est-il à ton avis considéré à sa juste valeur aujourd’hui ?
On se souviendra sans doute longtemps de Je suis malade, que Lara Fabian a fait découvrir à la génération du début des années 2000. Et mon livre permet de se rendre compte de la richesse de son répertoire, qui ne se limite pas aux chansons festives, style Le gibier manque et les femmes sont rares. Je crois sincèrement qu’il y a une injustice de perception à l’égard de l’œuvre de Lama, qui mérite d’être corrigée tant qu’il est encore là.
Quelles chansons, connues ou moins connues d’ailleurs, préfères-tu dans son répertoire, celles que tu aimerais inviter nos lecteurs à découvrir ou redécouvrir ?
En voici dix-huit pour une playlist de mes préférées : Le 15 juillet à cinq heures, Et puis on s’aperçoit…, Le dimanche en famille, Mon enfance m’appelle, Les poètes, L’enfant d’un autre, À chaque son de cloche, Les ports de l’Atlantique, L’esclave, Toute blanche, La fille dans l’église, Devenir vieux, O comme les saumons, Maman Chauvier, Les jardins ouvriers, Quand on revient de là, D’où qu’on parte et Le souvenir.
Et encore, parmi les mieux connues : La chanteuse a vingt ans, L’Algérie, La vie lilas, Souvenirs… attention… danger ! et bien sûr, Les Ballons rouges...
Et, allez, quelles chansons de Lama mériterait-elles de sombrer définitivement dans l’oubli, celles qu’il n’aurait jamais dû écrire ?
Messieurs… et quelques autres comme Je vous salue Marie.
Je ne crois pas briser un secret en indiquant, à ce stade, que tu as commencé un nouvel emploi à la Poste, durant l’été, à côté de tes activités d’auteur. Est-ce que cette expérience te fait regarder autrement, peut-être avec une motivation différente, ton travail d’écrivain ?
Cela faisait longtemps que je m’interrogeais sur ma situation et les difficultés que je pouvais rencontrer, financièrement. L’année 2020 a été épouvantable à tous points de vue et m’a fait franchir le pas. Cette nouvelle activité me permet d’avoir une vie sociale, un salaire, une mutuelle, bref une sécurité que je n’avais pas. Et me donne, en effet, la possibilité d’envisager l’écriture autrement. Celle aussi de dire merde à quelques-uns (rires)…
Début septembre, la disparition de Jean-Paul Belmondo a provoqué une vague d’émotion qui à mon avis, n’était pas usurpée tant l’artiste, talentueux, avait aussi une image sympathique. À quoi songes-tu à l’évocation de Belmondo ? C’est quelqu’un sur qui tu aurais pu avoir envie d’écrire ?
Il est l’acteur de mes tendres années et sa mort, comme celle de Johnny – toutes proportions gardées, car chacun sait ce que Johnny représentait pour moi –, a fait s’écrouler un pan de ma vie. On n’allait pas voir le dernier film de Zidi ou de Lautner, on allait voir le dernier Belmondo. Ils sont de plus en plus rares les acteurs qui font ainsi déplacer les foules au cinéma. Son immense popularité était la conséquence de la simplicité et de la gentillesse qui irradiaient de tout son être. Il avait en outre un charme de dingue. J’aurais aimé écrire sur Belmondo, comme j’ai écrit sur Sophie Marceau. Je leur trouve des points communs, en particulier cette grande liberté qui a fait leur force.
Crédit photo : AFP.
Si ça ne tenait qu’à toi, et non aux impératifs posés par des éditeurs, y a-t-il des personnalités moins "bankables" auxquelles tu aurais envie de consacrer une biographie ?
Il y a des artistes oubliés comme Georges Chelon, que j’aime beaucoup et dont l’oeuvre mériterait d’être réhabilitée. Des artistes de mon enfance, comme Gérard Lenorman. De nombreux anonymes qui changent la vie (comme le chante si bien Goldman) mériteraient qu’on s’intéresse à eux. Ils sont sûrement plus méritants que certains chanteurs. Et puis, ça va t’étonner, mais j’aimerais raconter l’incroyable destin de Mireille Mathieu ! J’aime les gens qui ont un destin inouï comme le sien. C’est pain bénit pour un biographe !
C’est le destin qui me plaît, partie de rien, des terrains vagues d’Avignon, travaillant en usine pour nourrir la marmaille (13 enfants), et devenir ce qu’elle est devenue à force de travail et de renoncements, c’est purement incroyable.
C’est un appel du pied ?
Je ne suis pas sûr qu’elle ait envie de collaborer à un livre. Mais pourquoi pas ? Mireille, si tu nous lis...
À quand des écrits plus intimes ?
Chaque chose en son temps… Des choses sont écrites, des fragments. Une idée de roman autobiographique… Tout ça viendra sans doute.
Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?
Un projet de livre sur un chanteur, mais pas une biographie. Plein d’envies, mais rien encore de concret.
Un dernier mot ?
Doré… (c’est pour bientôt !)
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« Les peintres naissent poètes », par Silvère Jarrosson
Quelques jours après nous avoir offert un texte intitulé L’artiste endormi, Silvère Jarrosson a accepté cette fois de nous livrer une réflexion « colorée » sur la frontière parfois ténue, et la navigation dangereuse pour un artiste, entre poésie et folie. Merci à lui ! Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
« Les peintres naissent poètes »
par Silvère Jarrosson, juin 2020
Dans son clip Money Man, le rappeur américain Asap Rocky met en scène une jeunesse fictive, désœuvrée et aux prises avec une drogue hallucinogène issue d’un mélange d’ailes de papillons et de peinture acrylique. Durant ce court-métrage, le portrait social de ces jeunes à l’abandon est progressivement remplacé par l’étrange univers coloré dans lequel ils évoluent (celui des ailes de papillons, de la peinture et des hallucinations qui en découlent).
Avaler des ailes de papillons pour se sentir voler : parfois le rap oublie la vulgarité pour se réfugier dans la poésie.
Les ailes de papillon sont complémentaires de la peinture acrylique comme moyen d’échapper à la réalité — les jeunes d’Asap Rocky l’ont bien compris, qui en font une mixture. L’un comme l’autre manifestent, à leur façon, l’irrationnel et le poétique, par le jaillissement d’innombrables motifs colorés. Aristote appelait justement la couleur une drogue (« pharmakon »). Dans le cas des ailes de papillons, c’est le monde naturel même qui est source de ce jaillissement. La nature est en plein délire. Les papillons ont investi la poésie comme une niche écologique parmi d’autres. Leur génome a évolué vers une réalité qui semble folle, des fards et des poudres de couleurs irréalistes. L’irréalité s’est faite réalité, la folie est devenue la raison.
Chez les papillons, l’évolution vers ce monde coloré et poétique remplit une fonction biologique au service de leur survie et de leur existence. Comme on aimerait que la poésie soit, pour nous aussi, un indispensable de l’existence.
Il me semble que la poésie ne se distingue de la folie que par son degré de persistance. Chez le fou, l’abandon de toute rationalité au profit d’une réalité concurrente est durable, l’esprit ne parvient plus à s’en échapper. Chez le poète, cet état d’éloignement n’est que passager (bien que l’on ignore tout du chemin retour du délire à la réalité).
Les jeunes de Money Man ignorent eux aussi le chemin qui ramène au réel, et finissent perdus dans la folie. Durablement égarés dans leur monde coloré, sans échappatoire, ils ne sont plus poètes temporaires mais fous permanents. Comme les papillons, naviguer en plein délire est devenu, pour eux, la seule façon d’exister. Un indispensable de l’existence. À la fin du clip, à force de laisser leur regard plonger dans celui, factice, des ailes de papillons, ils deviennent tous aveugles.
Beethoven a fini sourd. Les peintres, eux, finissent aveugles. La peinture acrylique agit sur eux comme des ailes de papillon. Elle devient pour eux un indispensable de l’existence, elle les emporte, et un jour ils ne savent plus en revenir. Les peintres naissent poètes et meurent fous.
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Fabrice Jaumont: « Je suis heureux de participer à la révolution bilingue »
En ces temps où, troubles extérieurs et crispations internes n’aidant pas, les réflexes de repli sur soi sont légion, j’ai eu envie de donner la parole à quelqu’un qui, depuis des années, se bat pour que, précisément, l’ouverture aux autres cultures soit reçue et inculquée comme une valeur, comme une richesse. Non pas comme un mantra vide de sens, mais sur la base de réalisations concrètes : M. Fabrice Jaumont, auteur et activiste enthousiaste, compte parmi les plus ardents défenseurs de ce que soit favorisée, partout, l’instauration de classes bilingues. Sur ce sujet et d’autres, comme l’attrait, la place de la francophonie aux États-Unis ou le poids des fondations privées dans le système éducatif, il a accepté de répondre à mes questions, et je l’en remercie. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Q. : 10/02/18 ; R. : 07/05/18.
Fabrice Jaumont: « Je suis heureux
de participer à la révolution bilingue ! »
Fabrice Jaumont. Photo : Jonas Cuénin.
Fabrice Jaumont bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Comment vous présenteriez-vous, en peu de mots mais sans rien omettre de l’essentiel de votre parcours et de vos engagements ?
En quelques mots, je suis éducateur, chercheur et auteur avec un penchant pour les livres qui peuvent changer l’éducation, la culture et le développement humain.
Né en France, vous vous êtes installé aux États-Unis en 1997, soit, il y a un peu plus de vingt ans. Qu’est-ce qui, au premier abord, puis à l’usage au fil des années, vous a sauté aux yeux, s’agissant des différences, petites et grandes, entre les deux pays ?
Sans tomber dans les clichés, j’ai trouvé ici beaucoup de liberté à pouvoir faire les choses que j’avais envie de faire, ce qui m’a mis en confiance et m’a permis de m’épanouir, d’oser, de progresser. À commencer par mon doctorat que j’ai fait à la New York University, mes livres sur la philanthropie, l’éducation, le cinéma, mon activisme pour les communautés linguistiques et bien d’autres projets. Bien sûr, j’aurais sûrement réussi à trouver de belles choses à faire en France, d’ailleurs mes nouvelles affiliations avec la Fondation Maison des Sciences de l’Homme à Paris et NORRAG à Genève m’amènent à multiplier les initiatives en Europe.
Vous portez actuellement la « révolution bilingue » dans les écoles américaines : le français semble avoir le vent en poupe sur le territoire américain en encourageant les initiatives d’établissement de filières bilingues (cours en français et en anglais) dans les écoles. Quelles sont les vertus observées, avec le recul, de ces filières bilingues pour les élèves qui les suivent ? Quel bilan tirez-vous, à ce stade, de ces programmes, et quels retours en avez-vous ?
Aux États-Unis, on remarque un engouement réel pour l’éducation bilingue qui prend plusieurs formes : en immersion partielle ou totale, en programme double-langue ou dans l’école du samedi. En ce qui concerne notre langue, ce phénomène s’est concrétisé par l’ouverture de filières bilingues français-anglais dans plus de 200 écoles publiques et privées. La demande est forte, les élèves réussissent bien aux tests et aux évaluations nationales, les parents s’engagent pour soutenir ces filières ou en créer de nouvelles s’ils n’en trouvent pas près de chez eux. Bref, c’est très intéressant de participer à cette révolution bilingue.
Est-ce que la promotion du français à l’étranger s’apparente à une « diplomatie d’influence » (le terme n’étant pas entendu comme péjoratif) ? Quels en sont les meilleurs vecteurs : la littérature ? le cinéma ? la chanson ?
La promotion du français, comme pour la promotion des films, des artistes, des auteurs, des échanges universitaires, entre autres, peut sûrement aider à influencer les esprits. J’y vois surtout une manière de mieux les ouvrir, par le dialogue, l’enrichissement de soi et la découverte de l’autre. Je le vois à mon niveau, dans les classes, et c’est très enthousiasmant. La langue sert de point d’entrée vers la culture d’un pays, ses traditions, son peuple.
Est-ce que vous diriez que le français se défend plutôt bien, ou plutôt moins bien que les autres langues étrangères, par rapport à la dynamique de leur diffusion sur le territoire américain ? Et d’ailleurs, que peut-on en dire, de la communauté francophone aux États-Unis ?
La langue française a su conserver sa place de deuxième langue enseignée après l’espagnol aux États-Unis. L’image du français est toujours très positive et véhicule un certain cachet même chez des individus qui ne connaissent rien de la France. La communauté francophone, quant à elle, est vibrante avec près d’1,3 million de locuteurs qu’on retrouve dans les grands centres urbains et dans les zones d’héritage francophone comme la Louisiane et la Nouvelle-Angleterre.
Sur la couverture de votre livre, The Bilingual Revolution: The Future of Education is in Two Languages (TBR Books, 2017) apparaît le mot « multiculture », comme un terme positif parce qu’il implique une ouverture à l’autre, à ce qu’il est. Mais vous n’êtes pas sans savoir que cette notion est vue globalement d’un œil moins favorable qu’en pays anglo-saxons, en France, où l’on chérit le conformisme républicain tout en se méfiant des communautés, soupçonnées parfois de vouloir « pousser » leurs particularismes jusqu’à les faire déborder sur l’espace commun. Est-ce que vous comprenez ces crispations, qui plus généralement peuvent être apparentées à celles ressenties par toutes celles et tous ceux qui, de bonne foi, et sans pour autant avoir l’esprit étriqué, ressentent le « multiculturel » comme une atteinte potentielle à des traditions, à leur identité ? A-t-on un problème spécifique avec le multiculturel en France, en Europe continentale ?
C’est une question complexe. Ce que je peux dire en réponse, c’est que je suis très heureux d’avoir trouvé à New York une société, des politiques, un système scolaire ouvert aux langues et aux cultures des autres, à commencer par ma propre culture et par ma langue. Je m’estime chanceux de voir mes filles suivre leur scolarité en deux langues dans une école publique américaine. Grâce au travail de parents et d’éducateurs bienveillants, elles pourront, comme des milliers d’autres à New York, devenir complètement bilingue, bi-lettrée et biculturelle. C’est une opportunité et elle est proposée à de plus en plus de familles de la ville peu importe leur origine ethnique ou leur statut socio-économique. D’ailleurs, la ville vient d’annoncer la création de 48 écoles bilingues supplémentaires avec des programmes en espagnol, chinois, arabe, français, italien, ourdou, bengalais, allemand, russe, polonais, coréen et, pour la première fois, albanais. J’en ai aidé plusieurs à se monter et j’invite toutes les communautés à suivre le mouvement, comme je l’explique dans mon livre. À mes yeux, cette approche offre un bel exemple de cohésion sociale ; elle favorise la compréhension mutuelle, le respect et la tolérance, tout en permettant le maintien des patrimoines culturel et linguistique de chaque groupe.
The Bilingual Revolution: The Future of Education is in Two Languages (TBR Books, 2017)
Je rebondis sur la question précédente, pour citer une partie du propos de promotion de votre dernier livre, Partenaires inégaux. Fondations américaines et universités en Afrique (Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2018), questionnant sur l’importance de la philanthropie internationale « à une époque où l’enseignement supérieur est à nouveau reconnu comme un moteur de développement économique, que les sociétés du savoir exigent de nouvelles compétences, rendant obsolètes les économies basées sur l’industrie manufacturière... » : est-ce que de fait, ce paradigme tel que posé ne crée pas un « gap » aigu entre anciennes et nouvelles générations, entre jeunes « éduqués » et personnes moins intégrées à l’« économie de demain » ? Comment intégrer pleinement, en évitant de nourrir les frustrations qu’on peut imaginer, toute la masse des gens qui ne sont pas des élites (et le terme n’est pas vu comme péjoratif) au monde de demain tel que celles-ci nous le préparent ?
En ce qui concerne l’exemple des filières bilingues de New York, c’est bien parce que la solution permet de servir, à terme, tous les enfants, avec des parents et des éducateurs travaillant ensemble, que le modèle est remarquable et qu’on parle d’une révolution bilingue. Certes, il y a de nombreux défis à surmonter, comme celui de trouver des enseignants qualifiés et multilingues en nombres, mais je crois qu’on a ici l’opportunité de construire quelque chose d’important, surtout si les institutions, les communautés, voire les nations, collaborent entre elles, comme dans le cas d’échanges d’enseignants par exemple. Pour les fondations américaines impliquées dans le développement des universités en Afrique, c’est là-aussi une question de collaboration, de coordination et de mise en place de stratégies partagées, entre donateurs et récipiendaires, dialoguant de façon équitable pour œuvrer à des solutions de grande envergure certes, mais voulues par tous dans le but de changer un secteur pour mieux servir les jeunes générations.
Partenaires inégaux. Fondations américaines et universités en Afrique
(Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2018)
L’ouvrage traite comme son nom l’indique de la place des fondations américaines dans le financement du système d’éducation supérieure africain : quelles masses cela représente-t-il, et dans quelle mesure cela vient-il pallier les manquements des financements publics ? Surtout, qualitativement parlant, on peut imaginer que ces structures privées, qui sont philanthropiques mais ne versent pas strictement dans l’humanitaire, ont aussi des intérêts identifiables, qu’elles ciblent les formations financées et cherchent à influencer le fond de ce qui est enseigné, par exemple pour former les élites africaines de demain aux vertus de l’économie de marché et en faire des ambassadeurs futurs des manières américaines de faire du commerce. Est-ce que ces fondations sont des fondations qui, clairement, visent aussi à « influencer » ?
C’est une évidence, les fondations cherchent à influencer, que ce soit les universités, les gouvernements, les organisations internationales, voire les autres fondations, l’argent leur permet d’orienter les choses vers leurs idéaux et elles ont développé des stratégies pour y parvenir. Dans le cas du secteur universitaire, le volume des fonds qu’elles investissent n’est proportionnellement pas si important que cela. Mon livre couvre une période de dix ans pendant laquelle une centaine de fondations américaines ont versé 500 millions de dollars dans le secteur universitaire africain. C’est une goutte d’eau comparé au budget total des gouvernements pour l’enseignement supérieur du continent pendant la même période. Malgré tout, ces fondations ont permis de redonner de l’importance à un secteur jusqu’alors délaissé tout en repositionnant les universités africaines comme des moteurs au cœur du développement économique africain.
Le système de fondations philanthropiques privées apportant des financements, portant des causes et « poussant » des formations est infiniment moins développé en France que, par exemple, aux États-Unis, comment l’expliquez-vous ? Est-ce, pour le coup, une question culturelle ? Et est-ce qu’à choisir vous diriez qu’il est toujours, forcément meilleur, que ce soit la collectivité qui finance les formations supérieures quand c’est possible ?
Aux États-Unis, on dénombre plus de 100 000 fondations qui, chaque jour, soutiennent telle ou telle cause, ou des institutions qui œuvrent pour le bien commun. On retrouve les méga-fondations comme celle de Bill Gates et d’autres milliardaires comme Rockefeller, Ford, Carnegie, MacArthur, Mellon, Soros, Hewlett, etc. Cependant, ces dernières ne sont pas les plus représentatives, la majorité des fondations privées sont des organisations familiales, de petite taille, ou des organisations communautaires, servant une région ou une ville en particulier. Ce qui est le plus frappant, c’est que ces fondations ne représentent qu’une petite partie de la philanthropie américaine, majoritairement dominée par des dons d’individus qui soutiennent leur église, leur école ou leur musée, entre autres. Les États-Unis sont une société du don, tradition qui prend sa source avec l’arrivée des premiers colons venus d’Europe, donc très liée à l’individualisme protestant, au capitalisme, et encouragée fiscalement qui plus est. Pour ce qui est du développement des universités aux États-Unis, il se fait principalement par l’apport de la philanthropie, les noms de mécènes sont souvent donnés à un bâtiment, une bibliothèque, un laboratoire. Mais ces dons n’empêchent pas des frais de scolarité élevés qui provoquent l’endettement des étudiants, parfois sur des dizaines d’années, un vrai problème qui, pour moi, montre les limites de ce système.
Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?
Je travaille actuellement sur de nouveaux projets de livre. Je viens tout juste de ressortir un essai sur les Odyssées de Stanley Kubrick, en hommage au 50ème anniversaire de la sortie de 2001 : l’Odyssée de l’espace. Je vais sortir un livre sur les linogravures de Raymond Verdaguer, artiste français résidant à New York et qui a, pendant 40 ans, produit des illustrations publiées dans les plus grands journaux comme le New York Times, le Los Angeles Times, Harper’s Magazine et bien d’autres. Enfin, je travaille à l’écriture d’un livre sur l’histoire de la langue française aux États-Unis et j’aide plusieurs auteurs à sortir leur livre aux États-Unis.
Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous, de la trace que vous aurez laissée, après vous, Fabrice Jaumont ?
Je préfère attendre un peu avant de me prononcer, ou laisser passer quelques années. J’ai encore beaucoup de projets à accomplir, d’étapes à franchir pour parler de trace.
Un message pour nos lecteurs ?
Qu’ils me contactent s’ils ont envie de publier un livre aux États-Unis.
Un dernier mot ?
Bravo Nicolas pour votre blog que j’apprécie depuis plusieurs années.
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« Autour de Françoise Hardy », Emma Solal et Frédéric Quinonero
Il y a deux mois sortait, chez l’Archipel, la nouvelle biographie signée Frédéric Quinonero, fidèle des interviews Paroles d’Actu. Ce dernier opus en date, sous-titré Un long chant d’amour, est consacré comme une évidence au vu du parcours de l’auteur, à Françoise Hardy, artiste élégante, délicate et touchante dont les problèmes de santé ont inquiété les nombreux amateurs, ces dernières années. Lorsqu’il a été convenu d’un nouvel échange autour de ce livre, Frédéric Quinonero a eu à coeur de m’orienter également vers une artiste que je ne connaissais pas, Emma Solal, interprète de reprises solaires et délicates, réappropriées par elle, de chansons plus ou moins connues qu’avait chantées Françoise Hardy. Le tout s’appelle « Messages personnels ». À découvrir, parallèlement bien sûr à la lecture du livre de Frédéric Quinonero, somme d’infos connues de toute une vie mais aussi fruit d’enquêtes inédites, le tout dans un style agréable, un must pour tout amateur de l’artiste... Merci à eux deux pour cet article, pour les réponses apportées à mes questions datées du 18 juin (Frédéric Quinonero le 18, Emma Solal le 19). J’espère que Françoise Hardy lira cet article, et surtout qu’elle aura loisir de découvrir leur travail. Puisse cette publication vous donner envie, aux uns et aux autres, de vous y plonger, en tout cas... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...
ENTRETIENS EXCLUSIFS - PAROLES D’ACTU
« Autour de Françoise Hardy »
Crédits photo : Virgin Emi.
Emma Solal et Frédéric Quinonero
Paroles d’Actu : Parlez-nous de votre parcours, et de vous, Emma Solal ?
Parcours et premiers pas.
Emma Solal : Je suis une chanteuse (auteur et interprète) parisienne d’origine italienne. Je pianote au clavier sur scène et j’ai un très joli ukulélé chez moi que j’aimerais pouvoir utiliser bientôt sur scène également. J’ai des influences musicales variées dont le Jazz, la chanson française, la musique brésilienne, italienne, l’opéra, les musiques plus électroniques également, tout une palette d’inspirations donc ! Après avoir sorti un premier album de chansons jazzy, « Robes du soir » et deux EP digitaux, j’ai travaillé sur ce projet « Messages personnels », de reprises de chansons de Françoise Hardy.
PdA : Qu’avez-vous mis de vous, de votre univers, "votre" patte personnelle dans « Messages personnels », cet album de reprises de chansons de Françoise Hardy ?
« Patte personnelle ».
E.S. : Il s’agit d’un album que nous avons arrangé et enregistré avec Paul Abirached (guitares), Philippe Istria (percussions) et Pierre Faa (mixages et collaborations variées). C’est un album qui a été enregistré dans le prolongement du spectacle « Messages personnels », joué au théâtre Les Déchargeurs à Paris avec Paul et Philippe et mis en scène par Stéphane Ly-Cuong en janvier-février 2015 puis en novembre-décembre 2016. L’idée originale en revient à mes amis Éric Chemouny, qui est auteur et journaliste, et Pierre Faa, auteur-compositeur-interprète avec qui j’ai fait mes premiers albums.
« J’ai eu envie de redonner, à ma manière,
des couleurs aux chansons de Françoise Hardy »
L’univers de Françoise Hardy m’a toujours beaucoup touchée, notamment au travers de l’exploration du lien amoureux et de la complexité des sentiments, qu’elle décline depuis quelques années maintenant ! Je suis admirative de ses textes ciselés, de son parcours, de la richesse de ses collaborations musicales… J’ai eu envie de proposer ma vision de son univers, en premier lieu bien sûr car il me fait vibrer, mais également car ses chansons ont très peu vécu sur scène, Françoise Hardy ayant cessé de faire des concerts à partir de 1968. J’ai eu envie de leur redonner des couleurs, à ma manière ! Et nous avons tâché avec Paul, Pierre et Philippe, d’orner les treize chansons de l’album de couleurs musicales variées et différentes des titres originaux. Une relecture personnelle et un hommage, en somme.
PdA : Pourquoi avoir choisi, Frédéric, de consacrer cette nouvelle bio à Françoise Hardy ? Est-ce qu’elle tient, dans ton esprit, une place particulière dans cette période chère à tes yeux et sur laquelle tu as beaucoup travaillé, les années 60 ?
Pourquoi ce livre sur F. Hardy ?
Frédéric Quinonero : Françoise Hardy a été avec Sylvie Vartan et Sheila l’incarnation d’un prototype de jeune fille moderne dans les années 60. Toutes les trois ont marqué les esprits, ce n’est pas un hasard. J’avais écrit sur Sylvie et Sheila, je rêvais depuis longtemps d’une biographie de Françoise Hardy, mais je voulais quelque chose d’abouti, de complet, pas du déjà vu.
PdA : Comment t’y es-tu pris pour composer cet ouvrage ? As-tu pu t’appuyer notamment sur des témoignages inédits, sur des recherches que tu aurais entreprises ? Et dirais-tu que tu as encore gagné en aisance dans l’exercice, alors que tu signes ton 16 ou 17è livre ?
Le livre, coulisses.
F.Q. : Je ne me suis pas contenté des archives que l’on trouve facilement sur les sites de fans. J’ai interrogé une dizaine de témoins, surtout des personnes qui n’ont jamais ou très peu été sollicitées. J’avais besoin d’informations exclusives et pertinentes pour illustrer mon propos. J’aurais pu, par exemple, contacter Jean-Marie Périer qui est quelqu’un d’absolument adorable et que j’avais interviewé pour ma biographie de Johnny. Mais il a déjà tout dit sur Françoise… En revanche, trouver des musiciens qui l’ont côtoyée dans les années 1960, à l’époque où elle chantait autour du monde, me semblait plus intéressant… On gagne en aisance à chaque livre, il me semble. Même si parfois on se demande si on va arriver au bout. C’est à chaque fois comme un petit miracle. Quant au style d’écriture, je pense que le temps le bonifie. Le temps, l’expérience, les lectures diverses.
Françoise Hardy, un long chant d’amour (l’Archipel, 2017)
PdA : Si vous deviez ne choisir pour les emporter que 5 chansons de Françoise Hardy, lesquelles, et pourquoi ?
5 chansons, pas une de plus...
E.S. : Françoise Hardy n’a pas forcément écrit et/ou composé les cinq chansons que je choisirais mais elles me touchent tout particulièrement :
« Message personnel » pour sa mélancolie et les superbes texte et musique de Michel Berger.
« Même sous la pluie » : elle met si bien en scène l’attente de l’être aimé, la douleur et parfois une certaine complaisance à se retrouver dans cette posture.
« Soleil » : j’aime ses évocations de plage, de sable, qui parlent à l’italienne que je suis, tout en restant dans une couleur très mélancolique qui me parle aussi…
« Étonnez-moi Benoît » : son côté léger, enlevé, moqueur… Et j’adore Patrick Modiano, j’ai lu beaucoup de ses romans.
« Je suis moi » : là encore une collaboration avec Michel Berger et une chanson de libération de la femme, teintée de joie et d’une certaine sérénité, ce qui est un peu rare dans le répertoire de Françoise Hardy !
F.Q. : Sans réfléchir :
« Tant de belles choses », un chef-d’œuvre d’émotion pure : je ne peux l’entendre sans pleurer.
« Message personnel », parce que c’est un tube intemporel, mais surtout pour le passage parlé qui est de sa plume et qui fait selon moi la magie de la chanson.
« Ma jeunesse fout le camp » : elle est avec « Il n’y a pas d’amour heureux » de ces grandes chansons que Françoise a sublimées, car elle porte en elle la mélancolie qu’elles véhiculent.
« Soleil », car elle est la première chanson d’elle que j’ai entendue quand j’étais petit garçon. Je la trouvais d’une beauté et d’une douceur remarquables.
« L’amitié » : une des plus belles chansons jamais écrites sur ce thème, je ne me lasse pas de l’entendre.
Et il y a beaucoup d’autres pépites dans son répertoire…
PdA : Michel Berger est très présent dans votre liste de cinq chansons, Emma. Nous commémorerons bientôt les 25 ans de sa disparition, bien trop prématurée. J’aimerais vous inviter à nous parler un peu de lui. Est-ce qu’il compte parmi les gens, les artistes qui vous inspirent vraiment ? Qui d’autre, à part lui, et Françoise Hardy ?
E.S. : En effet, Michel Berger compte parmi les artistes qui m’inspirent et que j’ai beaucoup écouté. J’apprécie beaucoup sa sensibilité, ses mélodies, sa délicatesse, son élégance aérienne et profonde à la fois…
Illustration : RFI Musique.
J’ai aussi beaucoup écouté, dans le désordre, Brel, la Callas, Barbara, Ella Fitzgerald, Vinicius de Moraes, Tom Jobim, Mozart, beaucoup d’influences variées donc pour ne citer qu’eux parmi ceux qui ne sont plus tout jeunes ou plus de ce monde !
PdA : Une époque, une image à retenir de Françoise Hardy ?
« Une » Françoise Hardy ?
E.S. : Les années 1960, Courrèges, son allure sublime et élégante, une icône !
« Dans les années 60, elle triomphait
dans toute l’Europe et elle était une des rares
vedettes françaises à être aimée des Anglais... »
F.Q. : Cette époque magique où elle était à la fois une pop star dans le monde entier et l’incarnation de la femme française, habillée par Courrèges. Contrairement aux idées reçues, elle a beaucoup chanté sur scène à cette période, elle était reçue comme un chef d’État en Afrique du Sud, au Brésil… Elle triomphait en Italie, en Espagne, dans toute l’Europe. Et elle était une des rares vedettes françaises à être aimée des Anglais – elle a chanté à quatre reprises au Savoy, ce qui est exceptionnel pour une artiste française.
PdA : Comment qualifierais-tu, Frédéric, sa relation devenue légendaire avec Jacques Dutronc ? Que t’inspire-t-elle ?
Hardy, Dutronc...
F.Q. : Elle a formé avec Dutronc un couple mythique, comme Johnny et Sylvie, et tellement atypique ! Je comprends qu’on puisse être séduit par un personnage comme Jacques Dutronc. Je trouve leur fin de parcours exceptionnelle, et Françoise admirable de s’être sacrifiée pour son bonheur à lui. C’est un bel acte d’amour que peu de gens sont capables d’accomplir.
Crédits photo : Mano.
PdA : La question "regards croisés" : un mot, l’un(e) sur l’autre, sur son parcours et son travail ?
"Regards croisés"
E.S. : J’avoue ne pas avoir encore lu le livre de Frédéric mais il est déjà dans ma valise pour mes vacances en Sardaigne cet été ! Mais je connais d’autres biographies écrites par Frédéric, que j’avais lues avec plaisir ! Je souhaite à Frédéric un très beau succès avec sa biographie de Françoise Hardy.
F.Q. : Je connais peu le parcours d’Emma, que j’ai découverte avec son album de reprises de Françoise. Je vais pouvoir désormais m’y intéresser de plus près. J’ai beaucoup aimé son album « Messages personnels », justement parce qu’elle s’est approprié les chansons. Elle a choisi des titres souvent peu repris, comme « Rêver le nez en l’air », qui est une réussite. Il y a une belle pureté chez cette artiste. Elle a su aborder le répertoire de Françoise avec simplicité et élégance. Je lui souhaite une longue route.
PdA : « Tant de belles choses », tu la citais Frédéric, c’est une chanson très récente de Françoise Hardy, émouvante et adressée à son fils. "Tant de belles choses", l’expression est jolie et parlante. Qu’est-ce qu’elle vous inspire à tous les deux, quand vous pensez à la chanson, à ce qu’il y a derrière, à Françoise Hardy et à la vie... ?
« Tant de belles choses »
E.S. : « Tant de belles choses », en effet, c’est une chanson superbe et si émouvante, sur la transmission, l’amour entre les parents et les enfants. C’est également la teneur de ce que je souhaiterais dire à mon fils, sur le fait de profiter et d’être à la hauteur de cette vie qui nous est offerte…
« Son texte le plus beau, le plus spirituel... »
F.Q. : Elle fait partie de mes chansons préférées. Sur un thème délicat, celui d’une mort prochaine, elle livre son texte le plus beau, le plus spirituel. Elle exprime sa croyance en l’éternité de l’esprit et de l’âme, ce en quoi je crois également. C’est une chanson consolatrice pour exprimer la force des sentiments, qui nous survivent. Françoise l’a écrite après avoir appris qu’elle souffrait d’un lymphome. C’est un message d’amour à son fils.
PdA : Quel serait si vous en aviez un le "message personnel" que vous aimeriez adresser à Françoise Hardy, qui lira peut-être cet article, cette double interview ?
Message personnel à F. Hardy ?
F.Q. : Je le lui dirai en privé si elle fait la démarche de me contacter ‑ elle a mes coordonnées. Nous partageons nombre de points communs, si l’on exclut la politique (rires), nous pourrions bien nous entendre.
« Je serais ravie de pouvoir inviter Françoise Hardy
à chanter un duo ensemble ! »
E.S. : Je serais ravie de pouvoir inviter Françoise Hardy à chanter un duo ensemble !
PdA : Trois mots, adjectifs ou pas d’ailleurs, pour la qualifier ?
Françoise Hardy en 3 mots ?
F.Q. : L’élégance, la franchise, la mélancolie.
E.S. : Elégance, pop, intemporelle.
PdA : Lors d’une interview précédente Frédéric, tu me faisais part d’une certaine lassitude, par rapport au métier d’auteur, à la difficulté d’en vivre... et tu évoquais l’idée de chercher un autre job plus stable en parallèle. Où en es-tu par rapport à cela ? Es-tu plus "secure", plus optimiste par rapport à ce métier ?
Du métier d’auteur.
F.Q. : J’en suis au même point. À une différence près, qui n’est pas négligeable : j’ai le sentiment qu’on reconnaît davantage mes qualités d’auteur. Pas seulement dans le fond, mais aussi dans la forme. Et j’en suis content.
PdA : Tu as consacré plusieurs ouvrages à Johnny Hallyday, que tu avais qualifié lors de notre interview citée à l’instant de « frère » que tu n’avais pas eu. Il se bat aujourd’hui courageusement (comme, certes, bien des malades) contre cette saleté qu’on appelle cancer, et remonte même sur scène en ce moment. Comment l’observes-tu dans cette séquence de sa vie, toi qui la (et le !) connais si bien ?
Johnny face à la maladie...
« J’ai du mal à imaginer la vie sans Johnny... »
F.Q. : Je suis très inquiet, bien sûr. Je ne peux m’empêcher de penser à Piaf et aux derniers temps de sa vie, l’époque des tournées suicide. En même temps, la scène ne peut lui être que bénéfique. Alors, courage à lui ! J’ai du mal à imaginer la vie sans Johnny. Toute ma vie a été marquée par ses chansons. Je ne voudrais pas avoir à lui dire adieu.
Johnny, la vie en rock (l’Archipel, 2014)
PdA : Quels sont tes projets, tes envies pour la suite ? Frédéric, une nouvelle bio en perspective ou des désirs de bio ? Quid, peut-être, d’écrits de fiction ? Et vous Emma ? Que peut-on vous souhaiter ?
Des projets, des envies ?
F.Q. : Je suis ouvert à tous projets, à condition d’avoir la possibilité de les mener à bien. Aujourd’hui, concernant la biographie, je pense avoir franchi un cap (voir réponse à une question précédente) et j’aspire à un travail en complicité avec un artiste. J’ai envie d’aventures humaines. Nous y réfléchissons, mon éditeur et moi. En attendant, je travaille sur un nouveau livre (une biographie) destiné à un nouvel éditeur. J’espère que le résultat sera à la hauteur de mes attentes.
E.S. : Je travaille sur un nouvel album de compositions originales, qui aura une couleur plus pop justement.
Pour la suite, je serais heureuse de réussir à trouver un plus large écho auprès du public, aussi bien pour l’album « Messages personnels » que pour mes prochains albums… et je serais très heureuse d’échanger avec vous à l’occasion d’un prochain album depuis les coulisses de l’Olympia !
Un dernier mot ?
Frédéric Quinonero
À suivre…
Emma Solal
Merci beaucoup à vous Nicolas pour cette interview!
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« Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique des obscurantistes », par Dimitri Casali
L’oeuvre de Dimitri Casali, historien, essayiste auteur de nombreux publications traitant de l’histoire de France, est tout entière empreinte de l’idée suivante : il faut s’attacher à transmettre un récit dont le peuple puisse être fier, il en va de la cohésion nationale, elle-même fonction du respect que devraient inspirer le pays et son passé, de la foi que ce passé devrait insuffler dans l’avenir. Cette position, celle des tenants de ce que l’on appelle le « récit national », est controversée, parce qu’on la soupçonne régulièrement de trop mettre l’accent sur la lumière, d’occulter le moins glorieux - quand tant d’autres se complaisent à dessein dans le travers opposé. Nous ne trancherons pas ici ce débat. Mais, sept mois après sa première tribune dans Paroles d’Actu, j’ai souhaité à l’occasion de l’élection présidentielle approchant lui offrir un espace de tribune libre ayant rapport au scrutin. Sa production, qui coïncide avec la sortie récente de son dernier ouvrage en date (La longue montée de l’ignorance, éd. First), "tape" plus large et plus profond que la présidentielle : « Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique des obscurantistes ». La culture et ses lignes de front... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche
La longue montée de l’ignorance, éd. First
« Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique
des obscurantistes »
par Dimitri Casali, le 15 avril 2017
Un nouveau plafond de verre est en train de voir le jour. Il concerne tous ceux qui veulent déconstruire notre héritage. Faire table rase de nos racines historiques, voilà bien un projet totalitaire. L’ignorance a toujours été un outil des dictateurs pour asservir les peuples. Mais si les tenants de la table rase sont omniprésents dans les médias ils se font ravageurs sur le Net et en particulier sur Wikipédia. C’est à un vrai plafond que va se heurter la nouvelle génération : celui du réel, car dans les classements internationaux notre école et nos universités n’en finissent pas de chuter. Comment ne pas s’en inquiéter ? Car la culture est aussi ce qui redonne de la force et de l’espoir, ce qui permet de se sentir rattaché à son pays. Là où le « vivre ensemble » ne propose pour relier les individus que le vide de la théorie, la culture générale rassemble les individus, car elle leur permet de se sentir reliés les uns aux autres à travers une histoire commune. Que l’histoire de France ait été faite par tant de nouveaux arrivants qui vouaient un culte à la culture, la littérature, l’histoire françaises n’est pas un hasard.
Grâce à la science, l’homme a cru en la certitude que la connaissance le sortirait des ténèbres. Or, malgré les découvertes scientifiques majeures, l’obscurité est plus que jamais présente à ses côtés. Aujourd’hui, il y a une peur viscérale de la régression, du déclassement, de la déchéance même. La croyance fondamentale dans le progrès, ou même dans le retour des cycles crise/développement, ne fonctionne plus et cela nous oriente vers des solutions radicales. Les actes terroristes au nom des religions en sont l’expression la plus violente. On peut se rendre compte de la montée de l’ignorance et du déclin intellectuel et moral qu’elle entraîne de multiples façons : en regardant la télé, en écoutant la radio, en surfant sur Internet, d’où suintent de partout l’idéologie du relativisme où tout se vaut, le laisser-aller, l’abandon, le reniement, l’habitude de se vautrer dans la détestation de tout ce qui est beau et grand. Nous descendons toujours plus bas dans la déchéance médiatico-politique.
« Pourquoi voit-on si peu de savants
à la télévision ? »
La médiocrité des débats politiques télévisés et des propos politiques ou culturels en est la preuve. Cette plongée dans le néant d’idées, dans l’ivresse narcissique, dans la violence sectaire, dans le culte de l’anecdotique n’est rien d’autre que le reflet du vide absolu de nos dirigeants actuels. Et l’on pourrait se demander pourquoi nous voyons si peu de savants à la télévision. On en voyait dans les grandes émissions comme « Apostrophes », « Bouillon de culture », « Le Grand Échiquier » pour ne citer qu’elles. Les vrais savants sont ceux qui connaissent les limites de leur savoir, c’est-à-dire l’infini de leur ignorance… d’où sans doute une grande modestie et une aversion pour les projecteurs.
Tout cela est d’une infinie gravité, car cela reflète l’abêtissement de notre société, conséquence d’un long déclin de l’intelligence, de l’ouverture d’esprit, de l’esprit critique. L’éducation et la culture à travers les médias devraient être le grand dessein du futur, le but ultime, le vrai miracle qui pourrait avoir, avec un énorme investissement financier, un réel effet. Elles seraient les seuls antidotes à la prise en main par des intégristes religieux ou médiatiques transmettant leurs transes à des foules assommées par la misère et abruties par l’ignorance. Lorsque le journaliste Jean-Michel Apathie déclare que son rêve est de « raser le château de Versailles », on reste dans la même logique, une logique négationniste qui vise à détruire tout ce qui nous a précédés, à détruire nos racines. Le 9 novembre 2016 sur la chaîne de télévision Public Sénat, invité de l’émission « On va plus loin », il explique doctement : « L’esprit politique français est fabriqué par le souvenir de Louis XIV, de Napoléon et du général de Gaulle, quand on fait de la politique en France, madame, c’est pour renverser le monde, moi si un jour je suis élu président de la République, savez-vous quelle est la première mesure que je prendrai ? Je raserai le château de Versailles […]. Ce serait ma mesure numéro un, pour que nous n’allions pas là-bas en pèlerinage cultiver la grandeur de la France. » Voici un bel exemple de crétinisation, d’ignorance contre laquelle il nous faut nous mobiliser, surtout quand il est fourni par un journaliste qui intervient dans les chaînes et radios publiques. Rien n’exige que l’entrée dans l’ère postmoderne se fasse par la trahison des héritages les plus nobles et des idéaux les plus élevés.
« Faire ses devoirs ne consiste plus à chercher
dans des livres mais à taper des mots-clés »
Pourtant en ce début de XXIe siècle, jamais nous n’avons été aussi connectés, avec une quantité d’informations qui semble illimitée. La connaissance semble partout, à portée de clic. Ainsi, Internet a changé la scolarité des élèves. De nos jours, faire ses devoirs ne consiste pas à chercher dans des livres des informations pour pouvoir répondre à des questions, mais à taper des mots-clés dans des moteurs de recherche. Autant dire que cette méthode ne favorise ni la réflexion personnelle ni la mémoire. Sans compter que les "sources" consultées par les élèves ne sont pas nécessairement fiables, y compris l’incontournable encyclopédie en ligne Wikipédia.
Wikipédia offre un parfait exemple de la façon dont Internet organise la connaissance du point de vue problématique de la popularité. Si la population est constituée, comme le disait Stuart Mills et avant lui Platon, d’une majorité de sots et d’une minorité de sages, la notion même de savoir collectif n’est pas sans poser un problème. De fait, Internet a ouvert la voie à la culture de l’amateur, si omniprésente que par contrecoup, l’expertise et le savoir perdent du terrain. Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer des Simpsons, contre un peu moins de la moitié au Homère de l’Odyssée...
« Sur les réseaux sociaux, une sorte d’état de nature
proche de celui que décrivait Hobbes »
Force est de constater que quinze ans après son lancement, l’encyclopédie en ligne est omniprésente. Google et Wikipédia sont étroitement liés puisqu’en règle générale le moteur de recherche renvoie en premier résultat à l’article de l’encyclopédie en ligne. Or, Wikipédia est par définition bourrée de demi-vérités et d’erreurs. Selon les mécanismes de la e-réputation, l’internaute prend d’autant plus de poids qu’il partage, discute, écrit et commente beaucoup. Que ce soit sur Wikipédia, parmi ses followers actuels et potentiels, sur Twitter ou au sein de son réseau d’"amis" sur Facebook, le plus actif est systématiquement plus respecté, plus écouté. Il en résulte une sorte d’état de nature proche de celui décrit par le philosophe Hobbes, où les plus bavards imposent leur loi et où des sujets futiles qui passionnent les internautes l’emportent sur des sujets ardus. Ainsi Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer des Simpsons, contre un peu moins de la moitié au Homère de l’Odyssée... L’article consacré à Star Wars est plus long que celui sur la guerre en Irak et celui consacré au général français Gallieni – accusé notamment d’avoir été un massacreur à Madagascar (avec des chiffres à l’appui totalement faux), est un monceau de désinformations... Enfin la notice de l’homme politique André Tardieu, trois fois président du Conseil dans la période 1929-1932 le décrit comme un affairiste crypto-fasciste...
« Sur l’histoire et la politique, Wikipedia est un lieu
où se jouent des guerres idéologiques »
Ce qui est problématique, c’est que de plus en plus de journalistes se contentent de recopier par paresse les informations qu’ils trouvent sur Wikipédia, sans vérifier les sources. En réalité, les domaines où Wikipédia compte très peu d’erreurs sont les domaines scientifiques pointus, où les intervenants sont en grande majorité des spécialistes. Les autres domaines, comme l’histoire ou la politique, sont souvent l’objet de guerres idéologiques. Les contre-vérités se glissent d’autant plus facilement que l’anonymat du web permet de faire intervenir un ou des contributeurs à sa place. Mais la principale plaie de l’encyclopédie en ligne sont les affabulateurs, ceux qui s’amusent à insérer des erreurs. Rappelons que Wikipédia est contrôlée par des "patrouilleurs" bénévoles volontaires qui peuvent être n’importe qui, spécialiste ou non. Ils ne peuvent donc évidemment pas tout vérifier et n’ont pas la science infuse. Quant à la "neutralité" de Wikipédia, elle est jour après jour totalement remise en cause. Ainsi, il y a deux mois j’en ai même fait la triste expérience avec des attaques particulièrement odieuses et diffamatoires puisque sur ma notice Wikipédia il était carrément écrit : « Dimitri Casali ennemi de la démocratie… ». J’ai dû remuer ciel et terre pour faire supprimer cette ignominie. Cette encyclopédie en ligne à laquelle tout le monde a accès et peut raconter n’importe quoi devient un véritable péril. C’est devenu une sorte de Big Brother. Bientôt, les gens vont s’auto-censurer pour éviter de se retrouver dans ma situation où mes détracteurs viennent impunément contrefaire la vérité à mon sujet...
« Nos ancêtres, c’est nous dans le passé,
nos descendants nous dans l’avenir...
il convient de ne pas l’oublier »
Malgré cela nous devons continuer à nous battre pour nos valeurs et repères. Notre pays ne pourra résister longtemps aux assauts quotidiens des médias, des contempteurs de la pensée unique, des 80% des journalistes ignares et du gauchisme culturel tout puissant. Ce maelström communicationnel entretient la montée du multiculturalisme, du communautarisme et d’un altermondialisme désintégrant notre identité culturelle qui nous rappelait le génie de la civilisation française. Je vais vous avouer ma grande faute que l’on me reproche chaque jour : c’est d’avoir voulu rester fidèle à la mémoire de nos pères et à notre "Grande Nation", comme on l’appelait au XIXème siècle, qu’ils avaient su bâtir. Car nos ancêtres, c’est nous dans le passé, nos descendants, c’est nous dans l’avenir... Je fais donc le vœu que des plus jeunes m’entendent et prennent enfin le relais.
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Marjorie Philibert: « J'ai voulu raconter l'aventure du couple, cette odyssée à la fois bouleversante et banale »
Marjorie Philibert est journaliste, parisienne, la trentaine. Fine observatrice de son époque, comme elle l’est de ses contemporains, elle nous livre un premier roman, Presque ensemble (éd. JC Lattès, 2017), écrit avec style et qui se lit avec aisance, un ouvrage d’une grande richesse narrative et sociologique. La vie de couple et les aventures, les plans de carrière confrontés à la réalité des parcours, les illusions et les déceptions, les espoirs et les désillusions, la quête de sens aussi... Un livre satisfaisant et prometteur, qui mérite réellement qu’on lui donne une chance : il interpelle, interroge, chamboule... bref il "parlera" à beaucoup de gens ... pas simplement aux trentenaires. Merci, Marjorie Philibert, pour cette interview, ces échanges. Merci également à Bruno Birolli, pour avoir initié cette rencontre, créé cette opportunité sans laquelle cet article n’aurait sans doute jamais existé... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Marjorie Philibert: « J’ai voulu raconter
l’aventure du couple, cette odyssée
à la fois bouleversante et banale »
Q. : 26/02/17 ; R. : 28/03/17
Presque ensemble, éd. JC Lattès, 2017.
Marjorie Philibert bonjour. Quelques mots, pour débuter cet échange, pour nous parler un peu de vous, de votre parcours ?
J’ai été attirée très jeune par la littérature. J’ai toujours énormément lu et ai suivi des classes préparatoires littéraires, puis j’ai obtenu une maîtrise de lettres. Cependant je n’avais aucun attrait pour l’enseignement. C’est ce qui m’a conduit à choisir le journalisme et la presse écrite. Cependant l’envie d’écrire de manière plus personnelle et de raconter des histoires était toujours là et en 2015, j’ai commencé la rédaction de Presque ensemble.
Quelle est l’histoire de votre rapport à la littérature de fiction ? Vos émotions littéraires ? Vos références absolues ?
J’ai toujours lu beaucoup et surtout de tout : BD, récits d’aventure, polars, SF, et bien sûr, littérature classique. Je crois que l’essentiel est de suivre ses envies de lecteur, de ne pas suivre les modes qui voudraient qu’on ait absolument lu tel ou tel romancier contemporain. Aujourd’hui je continue à lire de tout, beaucoup de classiques, de récits de voyage, de théâtre, et assez peu de nouveautés.
« Les Choses de Perec sont pour moi
un chef d’œuvre »
Mes auteurs cultes ? En vrac : Montherlant, Céline, Simenon, Perec, Houellebecq. Ces deux derniers m’ont beaucoup inspirée pour Presque ensemble. Les Choses de Perec sont pour moi un chef d’œuvre, un récit très court, d’une sécheresse et d’une beauté radicale. Dans ce livre Perec tend vers l’abstraction la plus totale, ce qui pour moi est la qualité ultime, comme Flaubert qui voulait faire un livre « sur rien » . Les personnages des Choses sont à peine en chair et en os, ce sont quasiment des archétypes, et pourtant ils arrivent à nous émouvoir. Ce qui à mes yeux rapproche ce roman de la poésie pure.
On me parle également beaucoup de Houellebecq s’agissant de Presque ensemble, pour sa vision sombre de la société occidentale. Il est vrai que j’ai écrit un roman pessimiste, où les personnages subissent leur époque et son absence d’espoir, comme chez Houellebecq. Cependant Houellebecq ne parle pas tellement du couple, il parle plutôt des rapports entre hommes et femmes, ou plutôt de leur échec. J’ai voulu raconter l’aventure du couple, du début jusqu’à la fin, cette odyssée à la fois bouleversante et banale, cette bulle qui nous abrite pendant que les années défilent. En ce sens c’est un livre sur le temps qui passe.
Quand et comment l’idée de ce premier roman, Presque ensemble, vous est-elle venue ? J’aimerais que vous nous racontiez un peu tout ça, comme vous l’avez vécu en tant que primo-romancière : la confection de l’intrigue, la conception du squelette, l’écriture et ses codes à respecter, les moments éventuels d’euphorie, de découragement profond ? Les pensées type "Non quand même, je peux pas écrire ça... oh ?" Et puis cette idée de le publier ou non, les démarches, avec tout ce que ça suppose, de publier un roman...
Je me rappelle très bien du jour où je me suis dit : « Je veux écrire un roman ». C’était un jour d’octobre 2015 et je me suis mise à chercher une histoire. J’ai un tempérament qui fait que je peux mettre très longtemps avant de décider une chose, plusieurs années même, mais une fois que j’ai pris une décision, je suis sûre d’aller au bout. J’ai donc fait une première tentative avec une idée qui m’était venue mais je me suis arrêtée au bout de quelques chapitres car je n’entendais pas ma « voix » d’écrivain. Je trouvais que mon texte sonnait faux, ne me ressemblait pas. Je me suis alors demandée : qu’est-ce que tu veux écrire exactement ? L’idée de Presque ensemble m’est venue alors que j’étais en voyage de presse à Las Vegas. J’étais dans ma chambre d’hôtel au 26ème étage. Il y avait des grandes baies vitrées qui donnaient sur la ville. Le fait de regarder l’activité aussi folle d’une ville comme Las Vegas derrière une vitre, sans le son, m’a plongée dans une atmosphère étrange, comme si je regardais la réalité de façon distanciée. Freud dit que c’est d’ailleurs le propre du névrosé que de regarder la vie avec la sensation d’être derrière une vitre. Toujours est-il que cet état a été propice à l’inspiration puisque j’ai eu l’idée de la première scène le jour même. J’ai eu l’image de la rencontre entre Nicolas et Victoire dans un bar le soir de la finale de la Coupe du Monde de 1998, et j’ai écrit les premières pages là-bas.
De retour en France, j’ai continué à écrire, chapitre après chapitre. Je sentais que je tenais le fil de quelque chose qui était important pour moi, et que je ne voulais pas lâcher. La pire des choses pour un écrivain - et sa plus grande peur - c’est d’abandonner. Or je sentais qu’il y avait quelque chose en moi qui voulait que je termine cette histoire, même si elle n’était pas facile à écrire. J’avais en tête un modèle de construction précisément inspiré de Perec : l’histoire d’un jeune couple, de la fin du 20eme siècle jusqu’au début du 21ème siècle.
J’ai mis un an à terminer ce roman car en parallèle j’écrivais un autre livre, de journaliste cette fois, en collaboration avec l’historien Fabrice d’Almeida qui est paru en octobre 2016, Sur les traces des serial killers (éd. de La Martinière). Je travaillais sur ce livre la journée et sur mon roman les soirs et les week-ends.
« Au bout d’un an d’écriture en solitaire, j’ai traversé
une période de doute... j’ai eu besoin
d’un regard extérieur, celui d’un éditeur »
En octobre 2016 je n’étais pas entièrement satisfaite du résultat mais j’ai envoyé mon manuscrit à plusieurs éditeurs car au bout d’un an d’écriture solitaire je traversais une phase de doute. J’avais envie de reprendre le manuscrit mais j’avais besoin de mener ce travail sous le regard d’un éditeur. Après plusieurs refus je suis partie en décembre en Malaisie, assez démoralisée. J’étais à Penang, une ville charmante aux bâtiments coloniaux anglais décrépits, lorsque Laurent Laffont, le directeur des éditions Lattès, m’a appelée pour me dire qu’ils acceptaient de publier mon manuscrit. Bien sûr, ça a été une grande joie. Je suis rentrée à Paris en mars et mon éditrice Anne-Sophie Stefanini m’a proposé une publication en janvier 2017. Comme j’avais un peu de temps devant moi j’ai commencé à retravailler certains passages dont je n’étais pas très contente, puis au fur et à mesure je me suis replongée dans le texte et je l’ai énormément réecrit. J’ai aussi rajouté une centaine de pages, ce qui fait qu’à la fin je me suis demandée si l’éditeur accepterait toujours de le publier ! Heureusement ça été le cas. Je pense que j’ai beaucoup gagné en force entre la première et la deuxième version. La première était plus sèche, en ce sens plus influencée par Perec, et pouvait à ce titre être perçue comme un exercice de style, un « à la manière de ». Dans la deuxième version j’ai donné plus de place au lyrisme, à la poésie du quotidien, qui rendait l’histoire plus vibrante.
Presque ensemble nous propose de suivre, sur une grosse quinzaine d’années, le parcours d’amour et de vie de deux personnages, Nicolas et Victoire, qui se sont rencontrés vous le disiez dans un bar à Paris le 12 juillet 1998, jour fameux de ce 3-0 face au Brésil après lequel, dixit le regretté Thierry Roland, on pouvait « mourir tranquille ».
Je lis peu de romans, j’ai beaucoup aimé le vôtre : il est bourré d’humain pour le meilleur et pour le moins glorieux, de tous les questionnements qu’on peut se poser et que nos générations se posent. Quelques illusions, et souvent pas mal de désillusions, mais des désillusions qui n’étonnent pas tant que ça, parce qu’on n’est plus tout à fait dupes. On s’identifie à eux (parfois beaucoup), à leurs joies, à leurs galères du quotidien. On se voit à travers eux revivre ce qu’on a vécu, dans le privé ou dans l’actu. Aucun trentenaire, pour ne parler que d’eux, de nous, ne sera indifférent à cette lecture je pense. Qu’est-ce qu’il y a de vous dans ce livre, Marjorie Philibert ? Jusqu’à quel point n’est-il pas autobiographique ?
Je ne savais pas que Thierry Roland avait dit ça, si j’avais su je l’aurais mis en exergue du livre ! Plus sérieusement, de dire qu’après la victoire des Bleus on peut mourir tranquille, ça résume bien l’euphorie un peu irréelle qui régnait à ce moment-là. Comme un doux sentiment de victoire qui flottait, et que le pays n’avait plus de problèmes. Mais comme vous le dites, les désillusions des personnages n’étonnent pas tant que ça le lecteur parce qu’on vit dans une époque sans illusions. J’ai mis bien sûr beaucoup de choses de moi, précisément cette désillusion, qui est autant le propre de l’époque que celle de la jeunesse, du moment où on confronte ses rêves d’adolescent à la réalité de la vie d’adulte. Les désillusions sont même un passage obligé dans les romans d’apprentissage du 19ème siècle, de Balzac à Stendhal, et la leçon de ces grands romanciers réalistes est que pour pouvoir survivre dans une société qui voit la naissance de l’industrialisation et l’accélération du capitalisme, il faut faire le deuil de certains de ses idéaux. C’est ce qu’illustrent les personnages des Illusions perdues, Lucien de Rubempré qui s’aliène pour atteindre la reconnaissance sociale parisienne et son double David Séchart qui choisit de mener une vie dans l’ombre, loin du tumulte du monde mais paisible à Angoulême.
« La désillusion de Victoire et Nicolas est surtout
générationnelle : les interdits et les idéaux
de l’époque de leurs parents ont disparu »
La désillusion de Nicolas et Victoire est cependant autre. Il y a bien sûr le constat que le monde du travail n’est pas tel qu’on l’imaginait, que les études qu’on a menées n’ont pas grand rapport avec leur débouché final et que le travail qu’on peut trouver (car les opportunités ne sont pas si nombreuses) n’a pas grand sens. Il y a aussi la désillusion du couple, mais pas tant que ça : ils mènent une vie modeste dans leur deux-pièces rue de la Glacière, mais précisément pour cette raison, ils arrivent au début de leur histoire à se ménager des moments de bonheur à travers des choses simples comme partir en week-end ou prendre un chat. Mais il y a surtout une désillusion générationnelle que subissent beaucoup de trentenaires, qui si on peut dire est propre à un changement d’époque, à savoir que leurs parents les ont élevés en fonction d’idéaux largement influencés par 68, et que le temps que leurs enfants arrivent à l’âge adulte ces idéaux ont disparu. Les parents de Victoire l’ont ainsi élevée dans une grande permissivité sexuelle, en l’encourageant à l’adolescence à avoir des expériences qui l’épanouiraient, or pour la génération de Victoire la liberté sexuelle est un acquis, il n’y a plus rien à conquérir, on est plutôt passés à une ère où la relation humaine est menacée par la valorisation du consumérisme sexuel. Ce qui fait que lorsqu’elle vit ses premières expériences extra-conjugales, celles-ci n’ont pas le frisson de l’interdit, mais la renvoient plutôt face à un vide existentiel, du fait de la facilité et de la banalité de la chose.
« Notre génération n’a pas connu de guerre, mais
elle subit des changements extrêmement
rapides et perturbants... »
Ce livre n’est pas autobiographique au sens où je n’ai pas eu une si longue expérience du couple et de la cohabitation, j’ai plutôt voulu fuir ce modèle. Par contre j’ai vécu cette perte des idéaux, ce sentiment dont mes personnages ne sont pas forcément conscients, celui de faire partie d’un monde en train de disparaître, en raison de l’accélération de l’économie de marché, de la mondialisation à marche forcée qui se répercute directement sur nos vies. Ainsi entre le moment où j’ai commencé mes études de journalisme en 2004 et aujourd’hui, j’ai vu un nombre grandissant de plans sociaux, de licenciements, de journaux qui mettaient la clef sous la porte. J’ai le sentiment d’avoir appris un métier qui est en train de se terminer (ou comme certains journalistes disent pudiquement de « se transformer »). Nous sommes une génération qui certes n’a pas connu de guerre, qui a la chance de bénéficier des progrès de la technologie mais qui subit pourtant des changements extrêmement rapides et perturbants.
Quels sentiments vous inspirent Victoire, Nicolas, ces deux personnages que vous avez vraiment réussi, je trouve, à rendre touchants, attachants, bref vivants ? Imaginons que vous puissiez, à un moment du récit, n’importe lequel, vous changer en personnage du livre pour prévenir ou conseiller telle ou tel, changer le cours des choses, quel moment, et que feriez-vous ?
« On est beaucoup plus l’héritier de l’histoire
de ses parents qu’on ne l’imagine »
Quand j’ai commencé l’écriture du roman, Victoire et Nicolas étaient un peu la quintessence de tout ce que je détestais dans la vie (les pauvres). Ils étaient à mes yeux, lâches, passifs, ordinaires, sans panache, purs produits d’une époque d’où l’insolence comme moteur artistique et social a disparu. Puis au fur et à mesure, je me suis mise à m’attacher à eux. Le temps passé ensemble, je suppose. J’ai compris qu’ils n’avaient pas forcément eu le choix, et que qu’on le veuille ou non, on est beaucoup plus l’héritier de l’histoire de ses parents qu’on ne l’imagine. Et puis, l’attachement qu’ils éprouvent l’un pour l’autre les sauve en quelque sorte. À la fin Victoire fait le bilan de leur vie et se rend compte que la somme de toutes les banalités vécues ensemble a malgré tout constitué une vraie histoire d’amour, une histoire de quinze ans, qui aura été, à l’un et à l’autre, la plus importante de leur vie.
« Elle se rallongea sur son lit et repensa à sa vie avec lui, en une énigme obsédante. Il y avait eu leur rencontre. Il y avait eu le cinéma. Il y avait eu les milliers d’heures passées côté à côte à dormir, faire le ménage ou regarder la télévision, dont ils ne se souviendraient jamais. Il y avait eu tout ce temps à tourner en rond, toutes ces journées où ils auraient pu se dispenser de vivre. Il y avait eu Ptolémée. Il y avait eu l’appartement, les voisins, les sorties, les vacances. Il y avait eu les gens et les villes. Il y avait eu tout ce qu’il y avait partout. À présent, elle s’en rendait compte, leur histoire avait été la principale aventure de leur vie. »
Dans ce roman, on voit notre monde tel qu’il est, pas forcément des plus réjouissants : la place croissante de l’individualisme, pour ne pas dire des égoïsmes, d’un matérialisme sans âme, avec très peu finalement de visées « plus grandes que soi » comme disent les Anglo-saxons. Est-ce qu’il est plus ou moins difficile de s’y épanouir qu’à d’autres époques, pour vous ? On parle beaucoup du manque de transcendance de nos jours, vous en pensez quoi ?
« On se moque volontiers des déclinistes... mais
n’oublions pas que Houellebecq reste
l’écrivain français le plus lu à l’étranger... »
Les Anglo-Saxons ont en effet une expression, « Bigger than life » que j’adore, et qui s’applique à tout, au fait de prendre l’Eurostar comme à celui de changer de couleur de cheveux. De fait les Anglais sont excellents pour pointer l’écart entre la mesquinerie du quotidien et nos rêves de grandeur, alors que nous Français avons parfois un peu de mal avec l’autodérision. Effectivement l’époque actuelle me donne le sentiment d’une absence de légèreté, d’insolence. Je suis consciente des limites du « C’était mieux avant » : nos parents ont connu effectivement les Trente Glorieuses qui furent une période exceptionnelle de croissance, mais la génération de nos grands-parents a vécu deux guerres mondiales, ce que personne ne voudrait revivre. Cependant je me sens assez proche du constat de Zweig qui datait le déclin de la société occidentale de 1914. L’Europe a connu une apogée - intellectuelle, artistique, politique - et un rayonnement sans précédent au début du siècle et en un sens la Première guerre mondiale a marqué le début du déclin. Nous ne faisons que poursuivre ce déclin. Aujourd’hui on se moque volontiers des déclinistes qui seraient des sortes de néo-réacs nostalgiques. Mais l’écrivain français le plus lu à l’étranger reste quand même Houellebecq, qui a construit son oeuvre autour de cette vision.
Partir à l’autre bout du monde pour fuir un quotidien qui oppresse et qui use, tout plaquer de ces habitudes et de cette routine sans but pour se sentir utile "ailleurs" (et, donc, de préférence "loin"), comme le fait Nicolas à la fin du récit, c’est quelque chose qui vous chatouille ?
« À défaut de grandeur, Nicolas trouve dans
l’humanitaire à l’étranger un dépassement de la
petitesse qui le guettait s’il était resté à Paris »
C’est quelque chose que j’ai commencé à mettre en place il y a quatre ans, quand j’étais à la fois insatisfaite de mon métier de journaliste et de ma vie à Paris. Tous les hivers, je pars quelques mois en Asie du Sud-Est, où j’emmène mon travail, puisqu’aujourd’hui je vis essentiellement de mes livres. Mais c’est un exil de confort, et non comme Nicolas pour trouver un sens à ma vie. D’ailleurs, Nicolas, (qui devient de plus en plus lucide au fil des années) perd rapidement ses illusions sur l’humanitaire en arrivant aux Philippines. Cependant je n’aimerais pas partir définitivement, car je suis attachée à Paris, à la France, à sa vie intellectuelle et culturelle et moi qui ai grandi à l’étranger en raison d’un père diplomate, je ressens le besoin d’avoir un « port d’attache ». Mais disons que la tentation du bout du monde peut être d’autant plus forte que la société est de plus en plus dure et offre de moins en moins, précisément, de sens. Ce que Nicolas découvre aux Philippines c’est l’éternel choc de l’Occidental arrivant en Asie : une sorte d’indifférence souriante aux tracas de l’individu, un prix négligeable accordé à la vie humaine, qui permet parfois de relativiser certaines choses. À défaut de grandeur, il y trouve du moins un dépassement de la petitesse qui le guettait s’il était resté à Paris. Victoire, elle, veut transcender sa condition en faisant un enfant seule, en enterrant le rêve du couple, ce qui est un choix fait par de plus en plus de jeunes femmes aujourd’hui.
Lors d’une interview que vous avez donnée au mag Twenty au mois de janvier, on vous a demandé ce que serait pour vous la liberté aujourd’hui. Moi j’ai envie que vous me disiez ce qu’est à ce stade de votre parcours votre conception du "bonheur". Est-ce que l’idée que vous vous en faites est très différente de la vôtre il y a dix ou quinze ans ?
« Ma conception du bonheur ? Préserver
cet équilibre entre voyage et écriture... »
Ma conception est évidemment très personnelle. Le bonheur serait de continuer la vie qui est la mienne, où j’ai trouvé une sorte d’équilibre entre voyager et écrire. Qui sont certainement les deux choses que je préfère dans la vie.
C’est quoi vos projets, vos rêves pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?
Du bonheur, de l’amour et des ventes !
Un message pour quelqu’un, n’importe qui ?
J’ai dédié ce livre à ma grand-mère qui aura 97 ans en avril car c’est une femme exceptionnelle qui m’a appris à affronter la vie.
Un dernier mot ?
« Quand t'as vingt et un ans, la vie est nette comme une carte routière. C'est seulement quand t'arrives à vingt-cinq que tu commences à soupçonner que tu tenais la carte à l'envers... et à quarante que t'en as la certitude. Quand t'atteins les soixante, alors là, crois-moi, t'es définitivement largué. »
Stephen King
LA QUESTION EN + (Q. : 30/03- R. : 03/04)
Nabilla Benattia, starlette du néant qui voit se former autour d’elle, au salon du Livre, une cohue de badauds et de journalistes, attroupement que ne connaîtront jamais des centaines, des milliers d’auteurs ayant pourtant plus certainement contribué à la culture avec un grand "C"... en tant qu’auteur(e ?), en tant qu’observatrice de notre société, ça vous inspire quoi ? Et-ce que, véritablement, ça dit quelque chose de notre époque ?
« La célébrité ne contribue pas à la valorisation
de l’art mais à celle de l’argent »
D’abord je crois que pour un auteur il n’y a rien de pire que de se dire qu’on contribue à la culture avec un grand "C". Je déteste les majuscules, pour moi ça renverrait plutôt au "C" de connerie... Un auteur ne doit pas avant tout chercher à faire partie des institutions, pour citer un génie absolu qui était Roland Topor, un artiste c’est toujours celui qui marche à côté des plates-bandes, qui cherche les papiers gras sur la pelouse. Et un jour brusquement ou au contraire lentement, quelques personnes commencent à trouver que les papiers gras, c’est formidable. C’est alors qu’un attroupement de badauds et de journalistes comme vous dites se forme et qu’on commence à décréter que seuls les papiers gras ont de la valeur et que par exemple le type qui regarde les choses depuis un toit, par exemple, n’a pas d’importance. Jusqu’au jour où tout le monde veut monter sur un toit... etc etc.
Voilà pour résumer ce que je pense du rapport de l’auteur à la célébrité, à savoir qu’il faut être conscient qu’elle ne fait que contribuer non pas à la valorisation de l’art mais à celle de l’argent. Parfois les deux se croisent et c’est tant mieux, sauf que la célébrité des uns, même quand elle est méritée, vient toujours constituer un obstacle à celle de ceux qui arrivent après, parce qu’on attend d’eux qu’ils rentrent dans des cases, qu’ils délivrent non pas quelque chose de nouveau, mais quelque chose qui ressemble à ce qu’on connaît déjà parce que c’est rassurant. Quant à Nabilla, se comparer à elle n’a pas grand sens dans la mesure où elle attire évidemment au salon du Livre un autre public, qui ne lit pas forcément et que ses ventes ne retirent rien par exemple, à celles des auteurs des éditions de Minuit. Sans compter que certains littérateurs n’ont pas nécessairement beaucoup plus d’intellect qu’elle, sans avoir ses attributs physiques...
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Florian Bunoust-Becques : "La culture, un art made in France"
À la suite de conversations que nous avons eues autour de sujets divers et variés, politiques ou non, j'ai eu envie d'inviter Florian Bunoust-Becques, étudiant, jeune citoyen engagé dans la "vie de la cité", à écrire pour Paroles d'Actu un texte, une sorte de tribune portant sur une thématique dont je savais qu'elle lui importait et qu'elle était fortement susceptible de l'inspirer : la culture. Sa réponse m'est parvenue le 15 décembre. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
PAROLES D'ACTU - LA PAROLE À...
Florian BUNOUST-BECQUES: « La culture,
un art 'made in France' »
Crédits photo : Xavier Santagata.
Elle est le reflet de nos songes, ceux de nos jours opaques et de nos soleils quotidiens. Si la musique « adoucit les mœurs », la culture est le reflet de nos pensées obscures et de nos joies. L'art canalise les sens, il concentre l'instant d'émotion en une matérialisation abstraite. Décoder l'art, c'est vouloir pénétrer dans l'intimité de l'artiste. Se faire le psychiatre de Picasso, Lamartine, ou Mozart... Vaste ambition. Art et culture sont indissociables et complémentaires. C'est un monde parallèle qui sommeille. Des vieilles pierres aux collages plastiques, la démarche solitaire vers la culture ne doit pas être considérée comme une fatalité. Au contraire.
À l'heure où notre quotidien est tourné vers l'individualisme des modes d'expression et de communication, chacun détient ses propres sources d'accès au savoir. Une société qui tend vers un matérialisme exacerbé. Soit. Acceptons-le ou refusons-le, mais ne combattons pas la démarche personnelle qui consiste, un jour ou l'autre, à franchir la porte de l'un de nos 1 200 musées, à vouloir visiter une bibliothèque ou une exposition. Chercher à pousser, par des moyens maladroits, le citoyen vers des lieux concentriques est une erreur. Encourager l'accès à des lieux de rencontres et d'échanges est, je crois, préférable. C'est d'ailleurs, à mes yeux, la solution qui permettra de développer davantage l'éveil culturel, et notamment chez les plus jeunes.
En France, contrairement aux idées reçues, et malgré un contexte économique difficile, le nombre de visiteurs des lieux touristiques et culturels a augmenté de manière significative (il s’établissait à 62 millions en 2013). Si les étrangers sont friands de la culture et du patrimoine hexagonaux, les Français eux-mêmes tendent à s'intéresser davantage à leur propre richesse culturelle. Ils sont même de plus en plus nombreux, depuis quelques années, à privilégier les séjours français par rapport aux destinations européennes. Un repli sur soi, diront certains, un choix économique et aussi... patriotique pour d'autres. Le succès du « Puy du Fou », en Vendée, classé meilleur parc au monde par le Thea Classic Award 2012, a récompensé un projet qui a su mettre en scène l’histoire par une approche ludique et familiale ; rien de mieux pour séduire petits et grands. Quoi qu'il en soit, la France attire. la France rapporte : la valeur ajoutée directement liée au tourisme était estimée, en janvier 2014, à 57,8 milliards d'euros - soit 3,2% du PIB.
Pour favoriser cette démarche, plusieurs moyens s'offrent à nous, ou plutôt à ceux qui ont les pouvoirs d'engager ces grandes dynamiques : les pouvoirs publics. N’en déplaise à Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, la politique culturelle engagée depuis de nombreuses années consiste à promouvoir les artistes modernes, au détriment de notre patrimoine historique. Dans ce domaine, c'est la part belle faite aux contemporains face aux érudits du classicisme, relégués au second rang, non faute de public, mais, ai-je envie de dire, par idéologie. Un constat que partage Ben Lewis, critique d'art et réalisateur britannique : « Je ne dis pas que l'art contemporain n'est pas de l’art. Je dis que c'est du mauvais art. Britannique et témoin direct de l'émergence de la scène anglaise, je connais nombre des artistes qui ont fait de l'art contemporain ce phénomène financier, émotionnel et envahissant. » On est saisi par ce contraste aisément perceptible entre, d'un côté, le financement d'expositions mettant à l'honneur un artiste, parfois pour plusieurs millions d'euros - bien souvent, des caprices de riches mécènes -, alors qu'au même moment, nombreuses sont les fondations, associations, galeries d'art, théâtres et compagnies artistiques qui crient famine et errent à la recherche de la moindre subvention, de quelques milliers d'euros. Oui, la politique culturelle entretient aujourd'hui un fossé extraordinaire d'inégalités des dotations et des financements de l’État et des donateurs privés. Un État qui, au même moment, tente de passer en force sur le régime des intermittents du spectacle. Un non-sens loin d'être profitable à l'image des artistes et des acteurs culturels en France. Un secteur qui, pour information, génère près de 670 000 emplois directs et contribue sept fois plus au PIB que l’industrie automobile.
Si la dynamique ne vient pas d'en haut, elle doit venir de la base. L'échelle locale est actuellement la plus active et généreuse dans la promotion culturelle. Communes et collectivités locales ont pris depuis plusieurs années le relais de l’État sur ce sujet, notamment par la promotion et le financement de nombreux festivals, salons et fêtes thématiques associant patrimoine et terroir - du "Made in France" local apprécié à la fois par les autochtones et par les nombreux touristes de passage chez nous. Les milieux associatifs sont aujourd'hui de puissants relais, mais aussi développeurs de culture. Ce sont plusieurs dizaines de milliers de personnes qui participent à la vie des 25 000 associations culturelles qui se créent chaque année. Une tendance en sursis, compte tenu des coupes budgétaires et de la baisse des dotations envers les collectivités. De l'argent en moins qu'il va falloir économiser ailleurs. La culture en première ligne, dans l’ombre de la précarité.
La culture n'est pas uniquement - et ce depuis longtemps - le monopole des toiles, sculptures, concerts... Elle est un mode de vie, une trace du passé et la figure de l'avenir. Elle est cette sève qui coule dans les veines d’un pays. La culture, c'est le rapprochement de la terre aux racines, à l'attachement spirituel et philosophique de l'homme avec un grand « h ». Ce qui est visible et imperceptible. Ce que, parfois, seul l'imaginaire peut transcrire… La culture vient nourrir l'art, celui du quotidien comme des grandes manifestations populaires. L'un se faisant le reflet de l’autre. Miroir chronophage de ces artistes, les « beaux-arts » ont tendance à devenir la transgression du vrai et du réel. Irriguée par des empreintes fortes, la culture française nourrit une passion dévorante pour certains, un regard dubitatif pour d’autres. Cette culture séculaire où sont brocardés, à coups de jugements tutélaires ou prohibitifs, tel ou tel témoignage de l'histoire et du temps. Une idée partagée avant l'heure par André Malraux dans La Métamorphose de Dieu : « L'œuvre surgit dans son temps et de son temps, mais elle devient œuvre d’art par ce qui lui échappe. » Autant dire que les occasions de promotion de la culture sont multiples, même si le contexte actuel n'est malheureusement pas toujours enclin à tirer celle-ci vers les sommets auxquels elle pourrait prétendre. Là où l'art s'exprime, la communauté bat son plein, les idées naissent, foisonnent et fusionnent, les projets se concrétisent, et la France s'épanouit.
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Marie-Brigitte Andrei : "Un peu d'ambition et d'imagination..." pour le Grand Écran
David contre Goliath. Un homme seul face à un géant. L'éternel combat du faible contre le puissant. La légende biblique, maintes fois reprise par la culture populaire, voit au final David - l'outsider ultime, celui qui, au départ, n'avait aucune chance - l'emporter. Trois films au moins sont dédiés à ce mythe, dont un en préparation. Mais l'histoire qui suit, ça n'est pas du cinéma... Ou plutôt si, d'une certaine façon... Dans cet avatar moderne du conte, c'est la culture qui affronte l'intransigeance d'une certaine logique financière. Nous sommes à Paris, dans le 13è arrondissement. C'est l'histoire du Grand Écran Italie, complexe abritant, comme son nom l'indique, un immense écran panoramique. Un projet d'urbanisme culturel datant de la fin des années 80. Les ambitions sont grandes, à l'époque, pour cette salle de projection, prévue pour devenir en parallèle une grande salle de spectacles en tous genres. La conception du bâtiment est confiée au Japonais Kenzō Tange, auteur notamment du fameux mémorial pour la Paix d'Hiroshima. Sa gestion sera assurée par Gaumont et soumise à un cahier des charges très élaboré. L'avenir semble radieux pour le Grand Écran...
Aujourd'hui, la salle est fermée. Si le bâtiment est toujours debout, il ne le doit qu'à l'engagement déterminé d'une poignée (grandissante !) d'amoureux du lieu. Ils reprochent à l’exploitant (EuroPalaces, qui a pris la suite de Gaumont) de n'avoir pas respecté le cahier des charges. Et le tiennent pour responsable, du fait d'une programmation jugée paresseuse, des résultats financiers décevants du complexe. Sans l'obstination de l'association "Sauvons le Grand Écran", l'endroit serait aujourd'hui occupé par des magasins. Ou par un multiplexe. Une oeuvre architecturale, un haut lieu de culture parisien auraient été rayés de la carte. Rencontre avec Madame Marie-Brigitte Andrei, la présidente de l'Association. Elle a eu la gentillesse d'accepter d'évoquer pour Paroles d'Actu son combat, toujours en cours. Et ce Grand Écran, si cher à son coeur... Merci Madame, bon courage, et tous mes voeux... David triomphera-t-il une nouvelle fois de Goliath ? ... Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Phil Defer. EXCLU
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU
MARIE-BRIGITTE
ANDREI
Présidente de l'Association "Sauvons le Grand Écran"
"Un peu d'ambition et d'imagination..."
pour le Grand Écran
(Photos fournies et commentées à ma demande par Madame Marie-Brigitte Andrei)
Q : 25/07/12
R : 23/10/12
Paroles d'Actu : Pourriez-vous, Madame Andrei, vous présenter en quelques phrases ?
Marie-Brigitte Andrei : Bonjour, je m’appelle Marie-Brigitte Andrei. Je suis comédienne de profession et présidente de l’association "Sauvons le Grand Ecran" que j’ai créée en 2005. Cette association, relayant "le cri de tous les spectateurs indignés par la fermeture" *, rassemble les opposants au projet de destruction du complexe audiovisuel GRAND ÉCRAN (Paris 13ème), et a engagé des recours contentieux contre les décisions autorisant la transformation de cette superbe salle en magasins !
* RÉACTIONS à la fermeture et SOUTIENS à la pétition pour la sauvegarde du Grand Écran
PdA : Parlez-nous de ce cinéma. Que pouvait-on y voir, et pourquoi est-il si spécial à vos yeux ?
M.-B.A. : Comme son nom l’indique, le GRAND ÉCRAN, c’est d’abord un immense écran panoramique de 243 m2, aussi grand qu’un terrain de tennis ! A l’origine le plus grand écran d’Europe (et toujours le plus grand de Paris), il est symbolisé par l’immense rectangle incurvé de verre et de métal sur la façade de l’immeuble "Grand Ecran" dominant la place d’Italie.
C’est aussi l'aboutissement d'un projet d'urbanisme à vocation culturelle conçu à la fin des années 80 par le Maire de Paris de l’époque, Jacques CHIRAC, avec l’ambition de doter le sud-est francilien d’un complexe audiovisuel polyvalent de tout premier ordre « unique dans Paris » *. Conçu par l’un des plus grands architectes du XXème siècle, le japonais Kenzo TANGE, il abrite en effet une grande salle de 650 places comportant une scène de 300 m2, plus vaste que celle de la Comédie-Française, des loges équipées, un monte-charge prévu pour l’acheminement de décors, un emplacement réservé pour l’aménagement d’une fosse d’orchestre...
Sa gestion ayant été confiée à GAUMONT, on peut toutefois regretter que cette salle « à vocation locale, régionale et nationale » * ait été exploitée presqu’exclusivement comme un cinéma (de 1992 à 2005). Malgré une programmation de plus en plus médiocre dans les dernières années, le Gaumont Grand Écran Italie a néanmoins vu passer nombre de films originaux ou à grand spectacle de qualité.
* Conférence de presse de Jacques Chirac du 6/10/86
L’entrée du Grand Écran se situe au bas de l’immeuble "Grand Ecran" réalisé par le grand architecte japonais Kenzō Tange (place d’Italie, Paris 13°).
PdA : En quoi diriez-vous qu'un cinéma comme le Grand Ecran Italie possède un "supplément d'âme" par rapport à un multiplexe ?
M.-B.A. : Sa disposition en gradins conçue pour assurer le meilleur confort visuel possible, son acoustique spécialement étudiée, son écran géant donnant au public l’impression d’être immergé dans l’action, sa scène en avancée offrant une vraie proximité avec les artistes ou les équipes venues présenter leurs films (sans compter son accessibilité idéale pour les handicapés) en faisaient un espace unique, à mille lieues des usines à pop-corn !
Célèbre pour ses longues files d’attente, cette salle "mythique", "en avance sur son époque" * a laissé des souvenirs inoubliables aux spectateurs, qui la décrivent également comme "un endroit magique, somptueux, gratifiant", "un magnifique outil cinématographique et culturel", un "temple de l’image et du son" … ou encore "un espace de culture, de rencontre et de vie", "un élément très important de la vie du 13ème"… *
Le rayonnement du Grand Écran s’étendait d’ailleurs bien au-delà du 13èmearrondissement : de nombreux témoignages attestent qu’on s’y pressait depuis des kilomètres à la ronde.
PdA : Une question un peu personnelle, alors que nous abordons la question de l'éventuelle démolition du Grand Écran. Voudriez-vous nous conter quelques moments "magiques" que vous avez pu vivre, ou que d'autres ont vécus, dans cette salle ?
M.-B.A. : Avec le spectacle laser à chaque début de séance, les sorties au GRAND ÉCRAN en famille ou entre amis étaient pour moi - comme pour beaucoup de spectateurs - une véritable fête. Ceux-ci témoignent de l’expérience "unique", "émouvante", "magique" vécue dans cette salle, évoquant notamment "des sensations exceptionnelles jamais retrouvées ailleurs" *.
Je me souviens de l’émotion tangible lors de la projection du film "Titanic", ou de la sensation d’être au cœur du cosmos pour "La Guerre des Etoiles". Je garde également un excellent souvenir des avant-premières organisées par l’Association CINE13 - dédiée à la promotion du cinéma français et européen - et tout spécialement du film danois "Festen" (sans oublier "Les Apprentis" de Pierre Salvadori, "Conte d'été" d'Eric Rohmer, "Beaumarchais l'insolent" d'Edouard Molinaro … et bien d’autres). Ces séances, précédées de court-métrages, étaient toujours suivies de débats avec les équipes du film.
* RÉACTIONS à la fermeture et SOUTIENS à la pétition pour la sauvegarde du Grand Écran
PdA : Quel regard portez-vous, plus généralement, sur l'industrie du cinéma, de l'"entertainment" aujourd'hui ?
M.-B.A. : Il est regrettable que l’exploitation cinématographique - comme bien d’autres domaines - semble désormais dominée par la seule loi du marché, condamnant la plupart des films au succès immédiat sans leur laisser toujours le temps de trouver leur public.
De fait, après avoir délaissé la plupart des activités prévues par la VILLE DE PARIS pour rentabiliser le GRAND ÉCRAN, ses propriétaires (la société EUROPALACES, qui regroupe les salles PATHÉ et GAUMONT depuis 2001) prétendent que la salle n’est plus adaptée à la rapidité du "turnover" imposé par l’industrie du cinéma. Comme si cet équipement exceptionnel devait être géré comme n’importe quel cinéma de quartier (ce qu’ils ont fait) ou multiplexe (ce qu’ils ont prévu de faire), ce qui est le meilleur moyen de le couler !
Et en effet, selon les spectateurs : "EuroPalaces a laissé mourir cette salle", pourtant plébiscitée par le public et par les professionnels*, et dont ils attribuent "la baisse de fréquentation (...) à une programmation paresseuse et inadaptée". Sa fermeture est vécue comme un "sabotage", un "sabordage", un "gaspillage terrible", une "pure hérésie", une "atteinte au patrimoine culturel parisien". **
Il suffirait pourtant d’un peu d’ambition et d’imagination pour renouer avec le succès : la grande salle avec son écran géant convient tout spécialement aux films spectaculaires ou aux grands documentaires comme "Océan", "Home" ou "La Terre vue du Ciel". Les deux autres petites salles (« aux qualités de projection exceptionnelles » dixit GAUMONT) sont plutôt adaptées aux films intimistes ou d’art & essai. Sans compter les multiples possibilités de diversification que permet la polyvalence du complexe, dont la disparition programmée est d’autant plus absurde que « l’arrivée de nouveaux étudiants sur la rive gauche justifierait à elle seule un équipement de grande qualité. » (La Gazette du 13ème)
* Des avant-premières et projections techniques s'y déroulaient régulièrement, Luc BESSON la privilégiait pour visionner les rushes de ses films, de même DISNEY pour ses sorties…
** RÉACTIONS à la fermeture et SOUTIENS à la pétition pour la sauvegarde du Grand Écran
PdA : Êtes-vous confiante quant à l'issue de cette bataille ? Quels sont les derniers éléments du dossier ?
M.-B.A. : Lorsqu’en février 2005, le Maire du 13ème arrondissement déclarait publiquement sur France 3 Île-de-France qu’il s’opposerait« par tous les moyens juridiques et politiques à la transformation en magasins de ces salles », nous étions loin de nous douter que nous allions nous retrouver seuls dans cette bataille qui dure maintenant depuis plus de 7 ans !
En effet, en dépit de ses engagements solennels, Serge BLISKO se prononçait peu après en faveur des commerces et donnait un avis favorable aux permis de démolir et de construire ! À ce jour la salle ne doit donc sa survie qu’aux recours juridictionnels et à l’action militante de notre (petite) association, qui a contrecarré le projet d’EUROPALACES de vendre le complexe audiovisuel au centre commercial Italie2 !
En septembre 2011, l’actuel Maire du 13ème a annoncé le nouveau projet de PATHÉ de faire du GRAND ÉCRAN un multiplexe de 10 petites salles *. Nous n’avons rien à priori contre l’installation d’un multiplexe, à la seule condition qu’il ne se fasse à la place du GRAND ÉCRAN, mais plutôt sur le vaste terrain disponible à proximité immédiate avenue d’Italie, appartenant à la VILLE DE PARIS et qui fait déjà l'objet d'un projet d'extension du centre commercial - solution que nous avons suggérée au maire, ainsi qu’au gestionnaire du centre (HAMMERSON) et à EUROPALACES :
Croquis du futur projet d’extension du centre Italie2 sur l’actuelle esplanade avenue d’Italie.
À ce jour, même si le complexe a été vidé de ses fauteuils et de son matériel de projection (devenu de toutes façons obsolète avec le passage au numérique), on peut déjà considérer comme une première et formidable victoire d’avoir réussi jusqu’ici à éviter sa démolition. Et un second succès l'abandon du projet de magasins et la reconnaissance implicite de la vocation culturelle de l'édifice. Mais en aucun cas nous ne pouvons accepter ce projet de multiplexe qui implique également la destruction de la grande salle ! On voit mal en effet ce que les Parisiens gagneraient au remplacement d'une salle prestigieuse qui attirait des spectateurs de toute l'Île-de-France et au-delà, par une banale "usine à films" destinée avant tout à un public de proximité.
Rappelons que dans le combat de David contre Goliath - auquel on nous compare parfois - c’est finalement David qui gagne ! Et notre association continuera à se battre pour obtenir la protection du Grand Écran auprès des services chargés de la culture et du patrimoine.
* de 90 à 160 fauteuils chacune, pour un investissement de 10 à 12 millions d’euros
J’aime bien cette photo de la salle qui découvre sa disposition en gradins, son immense scène et son écran panoramique géant.
PdA : À quoi ressemblerait, notamment en termes de programmation, d'événements, le Grand Ecran Italie ré-ouvert, dans votre idéal ?
M.-B.A. : Tout était déjà prévu dans le cahier des charges établi par la VILLE DE PARIS en 1988 - remanié en 1991 - qui incluait le cinéma, le spectacle vivant, les concerts, ou encore la diffusion de grands évènements culturels ou sportifs. Le développement des nouvelles technologies accrédite aujourd’hui cette vision, avec notamment les retransmissions en direct d’opéras désormais programmées dans les salles GAUMONT ou UGC.
Outre les films d’exclusivité, le cahier des charges voté par le CONSEIL DE PARIS imposait des obligations de programmation telles que des « festivals à thème, nuits du cinéma » appréciées du public, ou encore des « congrès, conventions, manifestations, assemblées générales de sociétés... ». Toutes choses abandonnées par EUROPALACES et qui auraient pourtant accru la rentabilité de la salle ! Le directeur du nouveau complexe qui vient d’ouvrir à Paris Porte des Lilas, considère d’ailleurs ce type de diversification indispensable à la survie de ses salles (voir : On reparle du Grand Écran).
Aujourd’hui où tout un chacun a accès à une multitude d’images sur des écrans de plus en plus petits, qu’est-ce qui peut mieux rétablir la magie du cinéma qu’une projection sur très grand écran ? Utilisée à sa juste valeur, la salle pourrait notamment "s'imposer comme un cinéma d'art et de modernité" *, et, à l’image du GRAND REX, retrouver un second souffle avec une programmation riche et diversifiée. C’est d’ailleurs la tendance en Asie où des grandes salles sont remises en valeur avec succès.
* RÉACTIONS à la fermeture et SOUTIENS à la pétition pour la sauvegarde du Grand Écran
PdA : Si vous souhaitez adresser un message à quelqu'un, c'est ici, c'est maintenant...
M.-B.A. : Depuis des années nous demandons aux pouvoirs publics (VILLE DE PARIS, RÉGION ILE-DE-FRANCE, MINISTÈRE DE LA CULTURE) :
- De PROTÉGER le GRAND ÉCRAN à titre d’équipement culturel. Mais il doit être également classé au titre du patrimoine : en effet l’immeuble « Grand Écran » est le seul édifice construit à Paris par Kenzo TANGE (lauréat en 1987 du prix Pritzker, équivalent du Nobel en architecture) et l’unique témoin dans la capitale de l’architecture monumentale japonaise de la seconde moitié du XXème siècle. Il contribue donc à la richesse et à la diversité architecturale de Paris et ne doit en aucun cas être détruit ni mutilé.
- D’organiser la plus large concertation possible entre les pouvoirs publics, les candidats-repreneurs (il y en a), les associations, les experts, les élus... en vue de la réouverture.
Enfin, si un multiplexe doit absolument voir le jour place d’Italie, nous demandons qu’il soit réalisé à proximité du GRAND ÉCRAN, et non pas à sa place.
De plus, aujourd’hui où il est admis que la culture favorise le développement économique *, se priver d’un équipement au si fort pouvoir d’attraction est une pure aberration économique dans la perspective du Grand Paris. Il est donc plus que jamais urgent que les décideurs s’impliquent pour la préservation de cette salle déclarée « d’intérêt général » par le Conseil de Paris, plutôt que de l’abandonner au bon vouloir des grands groupes privés.
* « La culture est un formidable levier économique vecteur de croissance et d’attractivité internationale … L’investissement culturel génère des revenus multipliés » (Christophe GIRARD, ex-adjoint au maire de Paris chargé de la culture - Le petit livre rouge de la Culture).
« Je souhaite faire de la culture la réponse de la France à la crise économique » (Nicolas SARKOZY - février 2009)
PdA : Quels sont, en résumé, vos meilleurs arguments pour obtenir gain de cause ? Pourquoi ré-ouvrir le Grand Ecran Italie ? Cette question est une tribune, une tribune pour convaincre !
M.-B.A. : Les raisons de conserver une telle salle sont multiples. Parmi elles :
- La nécessité de ne pas accentuer le déséquilibre existant entre le nord et le sud de Paris en termes d’équipements culturels. La plupart sont situés au nord ou à proximité de la Seine : les trois opéras (Garnier, Bastille, Opéra-Comique), la Comédie-Française, la majorité des théâtres et des musées, la future Philharmonie… En comparaison le sud-est parisien fait figure de quasi désert culturel * avec une seule grande salle : le GRAND ÉCRAN, et c’est justement celle-ci qu’on décide de rayer de la carte !
- Alors qu’au nord de la capitale on transforme des espaces industriels et commerciaux en haut-lieux de la culture (les Abattoirs de la Villette devenus les Cités des Sciences et de la Musique, les entrepôts des Pompes Funèbres convertis en "Cent Quatre" rue d’Aubervilliers, les Ateliers Berthier transformés en relais du Théâtre de l’Odéon…), au sud on ambitionne de faire exactement le contraire en détruisant un fleuron du patrimoine pour en faire un espace commercial !
- La VILLE DE PARIS avait fait du GRAND ÉCRAN le support d’une mission de service public culturel interrompue illégalement, notamment parce que le Conseil de Paris n’a même pas été consulté sur sa suppression !
Pour ces diverses raisons et toutes celles invoquées précédemment cette salle doit être impérativement sauvegardée, et ré-ouverte au public.
* Avec une population supérieure à celle de Brest ou Grenoble le 13ème arrondissement équivaut à lui tout seul à la 12ème ville de France (voir Dossier). Pourtant sa plus grande salle en activité (le Théâtre 13) ne fait que 250 places !
Celle-ci donne une bonne idée de son ampleur, avec un aperçu des cabines de projection au fond.
PdA : La dernière question. En fait, plutôt une tribune, totalement libre celle-ci. Pour vous permettre de conclure l'interview comme il vous plaira. Vous pouvez approfondir un ou plusieurs points, lancer un appel, ou aborder tout autre sujet.
M.-B.A. : Pour les défenseurs de la salle, le plus choquant, c’est d’avoir à subir les diktats d’une logique purement financière de rentabilité à tout prix, sans que l’avis de la population ne soit jamais pris en compte (voir Référendum Zurban).
Mais le comble c’est d’avoir à combattre un acte de pur vandalisme à l’encontre du patrimoine, décidé avec le soutien des autorités chargées de le défendre ! À croire que sauf rares exceptions la classe politique s’est convertie à l’idéologie du profit à tout prix, ou qu’elle a abdiqué son pouvoir entre des mains occultes. Il est en effet frappant de constater que le destin de cet équipement issu d’une volonté politique se joue dans la plus grande opacité et en l’absence de toute concertation.
Dans ce climat d’omerta - qui suscitait déjà les questions des journalistes en 2005 - tout est fait pour décourager la mobilisation, y compris nous faire passer pour des opposants politiques à l’actuelle majorité municipale ! Mais le Grand Ecran n’étant ni de droite ni de gauche, notre association - ouverte à tous - est totalement indépendante de tout parti politique.
Face à l’obstruction généralisée, nous ne pouvons compter que sur nos propres forces. Si vous êtes sensible à notre combat, signez et faites circuler la pétition, exprimez-vous en laissant votre commentaire, aidez-nous à diffuser l’information par mail ou par tracts... Et pour quelques euros adhérez à l’association * : nous avons besoin de votre soutien pour faire face à nos importants frais de justice. Sans compter les pénalités que la VILLE DE PARIS nous inflige en remerciement des actions que nous menons pour défendre son propre patrimoine !
N’oublions pas que les petits ruisseaux font les grandes rivières, et que plus nous serons nombreux plus nous surmonterons rapidement ce mur du silence et du mépris !
* la cotisation de base est à 10 €
La question en +... (25/10)
PdA : Vous l'avez rappelé, Jacques Chirac, maire de Paris à l'époque, a joué un rôle moteur dans l'édification du Grand Écran. Il a fait part à plusieurs reprises de son enthousiasme pour le projet. À partir de 2004-2005, le complexe est menacé de disparition. Jacques Chirac est alors président de la République... Avez-vous essayé de le contacter pour tenter d'obtenir un soutien de sa part ? Y compris après 2007 ? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
M.-B.A. : (28/10) Dès l’annonce de la fermeture en 2005 nous avons bien sûr contacté en priorité :
- La Mairie du 13ème puis la Mairie de Paris,
- Jacques Chirac, ancien Maire de Paris et initiateur du Grand Écran.
Suite à la Lettre Ouverte adressée au Président de la République en juin 2005 (voir la réponse de l’Élysée), j’ai été personnellement reçue en septembre 2005 au MINISTÈRE DE LA CULTURE par Madame Marie-Claude ARBAUDIE, conseillère technique pour le cinéma, en présence de Monsieur HURARD, directeur du CNC * : le compte-rendu de ce rendez-vous, ainsi que les réponses du Ministre de la Culture aux questions écrites de Madame Nicole BORVO, sénatrice du 13ème, vous confirmeront l’absence totale d’intérêt manifesté par le Ministère pour ce dossier !
Le plus curieux c’est que les arguments avancés par la VILLE DE PARIS et le MINISTÈRE DE LA CULTURE pour justifier la disparition du GRAND ÉCRAN sont strictement calqués sur ceux d’EUROPALACES : par exemple, dans son communiqué du 27 juin 2005, la Ville affirme que la salle a perdu 50% de sa fréquentation sur la seule année 2004, ce qui est complètement faux ! (voir : La vérité sur les arguments invoqués pour justifier la destruction du GEI). Il est pour le moins étonnant qu'une donnée de cette importance n'ait fait l'objet d'aucune vérification sérieuse, et qu'aucune étude n'ait été effectuée sur la faisabilité du premier pôle d'attraction du 13ème arrondissement ! (Et que dire de l'ignorance dans laquelle le Comité d'Entreprise a été tenu de la Convention passée avec la Ville de Paris, toujours en vigueur à l'époque, avant d'autoriser la fermeture !)
(voir aussi :
- "Courriers & Communiqués 2005-2006 des riverains, élus et associations"
- "Des élus de tous bords soutiennent le Grand Écran")
Depuis cette époque, nous n’avons cessé d’interpeller à ce sujet le Maire de Paris, ainsi que tous les ministres de la Culture successifs !
Précisons que le projet de destruction de la salle a été maintenu malgré les milliers de SIGNATAIRES à la pétition pour la sauvegarde du GRAND ÉCRAN, incluant deux anciens Ministres de la Culture (Jack LANG et Jacques TOUBON) ainsi que des artistes et personnalités de tous bords. Mais étrangement depuis, toutes nos demandes de protection, ainsi que les propositions des candidats-repreneurs, sont restées lettre morte !
* Centre National de la Cinématographie
Cette banderole symbolise notre combat pour la sauvegarde de cette magnifique salle qui fait partie du patrimoine des Parisiens.
Voir aussi sur le site : GALERIE-PHOTOS
Merci encore, chère Marie-Brigitte Andrei. Bravo pour votre combat, bon courage ! Puisse cet échange vous aider à recueillir de nouveaux soutiens...
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Le site de l'Association Sauvons le Grand Écran
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Modifications mineures (introduction, photo, liens...) : 25/10/12
"La question en +", modifications mineures : 30/10/12
Modifications mineures : 02/11, 05/11, 06/11, 11/11, 16/11 (dont intro. mess. com.), 22/11, 10/01, 12/01, 05/04 (liens)