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Paroles d'Actu
28 novembre 2023

Marie-Paule Belle : « Je ne pourrais pas être plus moi-même que maintenant »

Il y a une petite dizaine d’années (2011 plus précisément), quand j’ai commencé à lancer Paroles d’Actu, au départ il était beaucoup question d’actu lourde, ou en tout cas de choses pas franchement fun : actu internationale, politique... Par la suite j’ai eu envie de varier, de parler un peu plus de culture, alors que la mienne (26 ans à l’époque) était encore en pleine formation. La patte Paroles d’Actu, la mienne, ça n’est pas de faire de la critique, mais de faire de donner la parole aux gens, via des interviews. Par Facebook notamment, j’ai contacté des gens proches du milieu du spectacle et, d’amis d’amis en amis d’amis, de fils en aiguilles, j’ai fait de chouettes rencontres "virtuelles" (pas au sens "artificiel" mais "à distance"). Parmi elles, Marie-Paule Belle. Son nom me parlait, assez vaguement je dois dire. Je me suis renseigné, et comme j’ai appris qu’elle venait de sortir un nouvel album, ReBelle, je lui ai proposé une interview, elle accepta, ce fut fait via un échange de mails (le résultat est à retrouver ici).

Durant ses récents soucis de santé j’ai continué de prendre des nouvelles. Fidèle à l’image que je m’étais fait d’elle, elle était combative, positive. Puis la belle surprise : un nouvel album allait sortir. Après avoir pu écouter Un soir entre mille, bel opus tendre et nostalgique, son plus personnel, il y a une dizaine de jours, je lui ai proposé une nouvelle interview. Nous la fîmes dans la foulée, cette fois par téléphone : 1h10 d’échange agréable humainement parlant et à bien des égards inspirant. J’ai choisi de le retranscrire tel qu’il a été, comme on l’a dit, pour en faire ressortir, ressentir le ton et l’esprit. J’espère que vous apprécierez cette lecture, que j’ai voulu agrémenter largement d’extraits visuels et surtout audio, pour découvrir l’album de 2023 et redécouvrir le répertoire de Marie-Paule Belle.

Marie-Paule Belle, c’est plus de 50 ans de carrière, et sa carrière, ça va bien au-delà de La Parisienne. Pour évoquer ses premières années, j’ai voulu, un peu comme un bonus, donner la parole à Matthieu Moulin, directeur artistique chez Marianne Mélodie, qui a notamment édité un joli CD rassemblant ses premiers titres. J’ai proposé à M. Moulin, qui a déjà parlé sur Paroles d’Actu du compositeur Pierre Porte et du regretté Marcel Amont, d’évoquer en quelques mots la chanteuse. Passé/présent, on passera de l’un à l’autre en permanence dans cet article, sans oublier le futur, qu’elle attend avec impatience, parce qu’en janvier elle retrouve la scène qu’elle aime plus que tout. Merci à Véronique Séard, son attachée de presse. Merci à Matthieu Moulin pour son texte inédit. Merci à vous Marie-Paule, au plaisir de vous rencontrer enfin "en vrai" ! Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

 

la première partie : Matthieu Moulin

La vie est faite de rencontres, lesquelles donnent naissance à des projets et mon premier rendez-vous avec Marie Paule Belle reste gravé dans ma mémoire tant je fus ému par la gentillesse, la disponibilité et la simplicité de la Dame. Alors que nous parlions de tout à fait autre chose, je lui ai proposé de réaliser une compilation CD réunissant ses premiers disques enregistrés avant La Parisienne de 1976. Elle accepta immédiatement, enthousiaste et ravie de voir ce premier répertoire réhabilité, d’autant que la demande du public était là, lui-même impatient de pouvoir réentendre les prémices de son parcours musical dans un confort d’écoute digne de ce nom.

En redécouvrant ces chansons de Marie Paule Belle, tendres, nostalgiques, graves parfois, vous êtes immédiatement séduit par un univers teinté d’émotions dans lequel l’interprète met beaucoup de son cœur. Avec une grande pudeur. Tout comme son dernier album qui me bouleverse tant il est personnel, intime, vrai.

Entre celui de 1968 et celui de 2023, des dizaines de chefs-d’œuvre sont nés, chansons superbes, mélodies sublimes, qui ont accompagné nos vies. Quel disque choisir parmi tant de merveilles ? Je répondrais simplement : prenez le premier qui vient, n’importe lequel, car il sera forcément très bien.

Merci chère Marie Paule Belle pour votre talent, votre générosité, votre élégance . Nous qui aimons la chanson et les idoles, sommes fiers d’être de vos amis. Et comme j’aime à le dire et à le redire, jamais une Artiste n’aura aussi bien porté son nom.

Avec tendresse.

Matthieu Moulin, directeur artistique du label Marianne Mélodie

le 28 novembre 2023

 

MPB Premières années

Le CD, édité par Marianne Mélodie

 

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Marie-Paule Belle : « Je ne pourrais pas

être plus moi-même que maintenant... »

Un soir entre mille

Un soir entre mille

 

Marie-Paule Belle, l’interview

 

Bonjour Marie-Paule Belle. Déjà j’ai envie de vous demander : comment allez-vous ?

Mieux, comme vous pouvez l’entendre. Après mes soucis de santé, ça va mieux. J’ai retrouvé un peu d’énergie...

 

Je vous envoie mes bonnes pensées en tout cas...

Votre actualité c’est la sortie de votre nouvel album, Un soir entre mille. Douze années ont passé depuis le précédent, ReBelle, pas mal d’eau qui a coulé sous les ponts, je pense en particulier à la mort de votre chère Françoise Mallet-Joris en 2016... Dans quel état d’esprit avez-vous composé ce disque, qui sonne beaucoup plus nostalgique, mélancolique peut-être, que le précédent ?

C’est exact. Il est vrai que la mort de Françoise m’a beaucoup affectée. Le fait que cet album soit plus mélancolique est dû aussi, je pense, à l’environnement qui est assez anxiogène, et même tragique. On n’a quelquefois pas les idées légères et sautillantes pour écrires des chansons plus légères... Depuis douze ans effectivement il s’est passé pas mal de choses, la crise des Gilets jaunes, la pandémie, la mort de Françoise, et des tas de choses qui ne rendent pas très joyeux... J’ai mis dans cet album des chansons qui me représentaient dans cet état d’esprit, et je peux dire que c’est mon album le plus personnel. D’ailleurs j’y ai écrit moi-même beaucoup plus de textes que d’habitude.

 

Pays natal

 

Il y a une chanson sur mon père, une chanson sur ma mère, une chanson sur la rencontre avec Françoise, une chanson sur mes deux frères, dont j’ai fait un seul, une autre sur la solitude dont le texte est de Serge Lama (il me l’a écrite pendant la pandémie, on était chacun isolé de son côté)... Beaucoup de choses assez nostalgiques donc. Avec aussi des textes de Françoise et de Michel Grisolia (ses deux paroliers historiques, ndlr) que j’avais en réserve - j’en ai encore d’autres - qui correspondent à l’actualité d’aujourd’hui, comme Pays natal, où c’est un immigré qui parle. Elle était écrite depuis longtemps, mais je crois que c’était le moment de la sortir. D’ailleurs, Souad Massi la chante depuis plusieurs années. Elle l’a enregistrée sur un album et on l’a chantée ensemble au Café de la Danse, à l’époque où elle avait découvert la chanson et où elle avait voulu l’adapter à un climat musical oriental, alors que Françoise pensait plus à l’époque à des émigrés venus des pays de l’est. C’est arrivé par hasard, il se trouve que nous avions le même preneur de son : elle a entendu la chanson et elle l’a voulue. Il y a aussi un texte de Michel Grisolia qui a pas mal d’années maintenant et qui dit qu’on ne communique plus que par écrans interposés, c’est tout à fait d’actualité, donc j’ai voulu la mettre sur l’album également. Alors forcément, qui dit actualité dit album un peu plus nostalgique que les précédents...

 

Se dire oui, se dire non

 

Même si on y trouve aussi des petits moments de fantaisie, comme on aime entendre chez vous...

Oui ! (Elle sourit) Amour et allergies, ça c’est complètement décalé.

 

Vive le sport

 

Vive le sport, aussi !

On était écroulées de rire avec Isabelle Mayereau (sa co-autrice depuis quelques années, ndlr) quand on a fait ça. C’était pendant le confinement, et on entendait toute la journée : "Oh, je ne peux plus aller à la piscine", "Oh, je ne peux plus aller à la salle de sport", etc..., et ça nous faisait rire, parce que nous on ne faisait pas vraiment de sport. Et on a commencé à associer des prénoms à des sports. Ça nous a amusées pendant des heures. J’ai dans mes carnets de brouillon des pages pleines avec des noms associés à des sports ! (Rires)

 

Vous avez en tout cas pas mal anticipé sur certaines de mes questions, mais je vais quand même les poser. Vous l’avez dit, c’est la première fois que vous signez de votre plume, avec vos mots, autant de textes. Parfois on a effleuré votre vie mais c’est souvent d’autres plumes qui s’y collaient. Il faut faire violence à une forme de pudeur pour faire ça ? On se dit quoi, maintenant j’ai envie de me dévoiler ?

C’est-à-dire que c’est le moment ou jamais, parce que je ne vais plus pouvoir chanter très très longtemps. Tant que j’ai l’énergie, la voix, surtout la fringale de chanter, cette envie absolue d’être sur scène, après tous ces rendez-vous manqués avec le public qui a eu la gentillesse de m’attendre et qui a été très patient... C’est la troisième fois que je remettais mes 50 ans de scène, à cause de la pandémie, puis de mes ennuis de santé. Maintenant j’ai envie de retrouver le public, et oui de me livrer. Je me suis dit que si je ne le faisais pas maintenant, je ne le ferais jamais. De temps en temps je livrais un de mes textes sur un album, comme la chanson Il n’y a jamais de hasard, ou Une autre lumière que j’avais écrite après la mort de Barbara. Ou encore Sans pouvoir se dire au revoir, après une rupture...

 

Il n’y a jamais de hasard

 

Je pense que les autres, mêmes si ce sont de très bons écrivains, de très bons paroliers comme j’ai eu la chance d’avoir, ne peuvent pas complètement dire les choses que je ressens. Alors je les dis avec mes mots à moi. Je dois dire d’ailleurs que souvent, le fait d’avoir de très bons paroliers m’a bloquée dans ma propre expression. Quand j’ai des personnes qui écrivent si bien, et avec des textes qui collent si bien à ce que je veux dire, ça n’est pas la peine que j’essaie derrière... Aujourd’hui Françoise et Michel, mes auteurs vraiment privilégiés, ne sont plus là. Il reste Isabelle Mayereau, qui me connaît très bien depuis des années. J’écris pas mal avec elle, mais sinon je me dis qu’il faut que je m’y mette vraiment moi-même, c’est ce que j’ai fait.

 

C’est compliqué... ?

Oui c’est un peu compliqué parce que ce n’est pas mon mode d’expression premier. Moi c’est d’abord par la musique que je m’exprime. Je dois travailler un peu plus. J’ai par exemple sorti Avec toi je riais souvent, une chanson que j’avais depuis plus de 40 ans, que j’avais écrite après la mort de ma mère. Jusque là je n’avais pas voulu la sortir parce que je la trouvais trop personnelle...

 

Avec toi je riais souvent

 

Justement, ma question n’est pas tant sur la difficulté technique pour écrire, votre écriture est évidemment très bonne, mais c’est plus sur ce que ça suppose en matière de pudeur, quand on veut présenter ses mots à un public...

Oui... C’est vrai que j’ai hésité. Je me disais que là, je me livrais vraiment... Mais je peux dire malgré tout que je n’ai pas un mode d’écriture littéraire, j’écris avec des mots du quotidien. Je privilégie l’émotion au style littéraire. À partir de là, je trouve que c’est forcément moins bien écrit que les textes sublimes que j’ai eu la chance de chanter, comme Berlin des années vingt ou L’Enfant et la mouche, ou d’autres grands classiques de mon répertoire. Même des chansons amusantes comme La Parisienne, qui sont très bien écrites et en même temps populaires. Je pense aussi à Où est-ce qu’on les enterre ? : c’est décalé, très bien écrit, et en même temps tout le monde peut la ressentir, parce que tout le monde a pu se poser cette question. Moi je me sens un peu handicapée dans la mesure où il faut que j’aie ressenti, vécu les choses avant de pouvoir les écrire. Je sais difficilement écrire sur l’imaginaire.

 

Où est-ce qu’on les enterre ?

 

Très bien. Il est question justement dans les textes de cet album, vous avez évoqué tout cela, des amours disparues, de l’enfance et de l’adolescence aussi, avec une évocation de votre maman on l’a dit, de ces lieux que vous aimiez (Au bois de buis), de votre père médecin qui entendait votre piano dans son stéthoscope (Il écoutait le coeur des gens)...

Oui, ça c’est une véritable phrase qu’il m’a dite. Avec Michel Grisolia, on s’est connus quand on avait neuf ans. Il venait souvent à la maison, il côtoyait mon père, et il a entendu ces phrases-là. Il a très bien su traduire un climat, ce manque du père que j’ai ressenti quand j’étais enfant. J’ai eu cette chance, qu’il vive ce que j’ai vécu. Je pense que je n’aurais pas pu l’écrire moi de cette façon, mais je me suis bien souvenue de cette phrase-là...

 

Il écoutait le coeur des gens

 

Vous évoquez aussi ces frères qui font un seul et qui n’ont peut-être pas eu une vie aussi folklo que leur sœur (Petit frère). Les bilans, vous en avez déjà fait dans des livres. C’est plus difficile de les coucher, de les dire en chanson ?

Je n’ai pas vraiment pensé au bilan. Il se trouve que ça peut paraître en être un, mais j’ai dit ce que je ressentais dans un moment d’urgence. Je me suis dit à un moment donné que ma voix allait changer, avec l’âge la voix change et sur cet album la mienne est plus grave. J’ai dû baisser certaines tonalités, c’est normal, c’est physique, le larynx change et donc on change de tonalité. J’ai observé certains chanteurs, et j’ai trouvé que je les admirais moins que par le passé, parce qu’ils ne chantent plus forcément très juste, ou avec la voix qui chevrote trop. Si je me sens amoindrie, moins pétillante dans l’humour, que j’ai moins d’énergie, que je suis moins intérieure dans mes chansons, je me dis que je ne voudrais pas me montrer comme ça au public. Je me range à l’avis de Serge Lama qui a décidé d’arrêter de chanter, parce qu’il ne veut pas chanter assis : je le comprends très bien.

Le jour où je sentirai que je n’aurai pas l’énergie, le physique pour chanter sur scène, j’arrêterais. On peut donc parler d’un sentiment d’urgence. Je veux dire ce que je peux encore dire. J’essaie de le dire bien et de le partager. Vous savez, la plupart de mon public a mon âge, certains m’ont même vu débuter. Il faut que je me dépêche, pour eux aussi. Pendant le confinement, je postais tous les jours une chanson différente que je jouais au piano, j’ai eu à ce moment-là la chance d’avoir un public qui s’est élargi. Certains jeunes m’ont découverte. Je me souviens d’une phrase d’un môme de 14 ans qui m’a dit : "Madame, je ne vous connaissais pas, mais je te kiffe !" C’est touchant et ça m’émeut beaucoup. J’ai plusieurs générations dans mon public. J’ai donc envie de dire encore quelques chansons, pendant que je le peux encore...

 

Mais à supposer qu’un jour vous ne puissiez plus monter sur scène, rien ne vous empêcherait de continuer à écrire, jouer de la musique, et faire des albums avec de nouvelles chansons ?

Oui je l’ai toujours fait, et je ne pourrais pas vivre sans. Vous savez, j’ai des tas et des tas de chansons, de musiques dans mon ordinateur, dans mes brouillons, etc... Personne ne les connaîtra jamais : pour en mettre quinze sur un album il faut en faire cinquante, enfin en ce qui me concerne. Beaucoup de choses disparaissent après...

 

Justement, on parlait des textes intimes, dont celui sur votre maman que vous avez chanté plus de quarante ans après. Est-ce qu’il y a des textes que vous avez et dont vous vous dites, non celui là vraiment je ne peux pas le chanter, parce que trop intime ?

Des bouts de textes oui, que je n’ai même pas essayé de continuer à écrire. Parce que ça partait trop dans l’intime. Un peu comme une lettre que je pouvais adresser à quelqu’un. Donc je n’ai pas continué. C’est comme quand j’ai écrit mon livre qui raconte mon histoire avec Françoise Mallet-Joris, j’ai trié les lettres, j’ai mis des extraits de lettres émouvantes, des extraits de lettres amusantes, mais ce qui était très intime je ne l’ai évidemment pas publié. J’ai cette réserve pour préserver mon jardin secret.

 

Bien sûr. Racontez-nous un peu comment s’est fabriqué cet objet, de l’idée d’origine jusqu’au pressage final ? Avez-vous toujours été sûre d’en venir à bout ?

Pas du tout puisque j’ai mis quatre ans pour le faire. Vous savez, je l’ai enregistré fin 2019. Je devais le sortir en 2020. Il y a eu les confinements. J’étais aussi secouée par la mort de Françoise, il y a donc eu des moments où j’ai été un peu en attente. Après j’ai eu mes ennuis de santé... Et pour vous dire la vérité, je n’ai pas de réticence à le faire : tous les labels m’ont jetée. Je ne voulais pas m’autoproduire, mais j’ai dû le faire parce que personne n’en voulait. On me disait que je ne faisais pas partie du format actuel, que pour faire partie de certains labels il fallait faire de la musique urbaine, ou de la musique pop, ou du rap. Comme moi je chante des chansons avec des mélodies très classiques, des textes qui racontent des histoires ou qui me racontent moi, et en plus accompagnée en piano-voix ! Il y a des critiques de grands journaux qui ont même décidé qu’ils ne chroniqueraient pas ce qui se fait en piano-voix. Et une chanteuse des années 70, qui a 77 ans, pour eux ça ne rapporte pas d’argent, donc ça n’est même pas la peine d’y penser...

Si je veux encore exister, je ne peux le faire que si je m’autoproduis. J’ai eu la chance d’être très aidée par la SACEM et l’Académie des Beaux-Arts. Sans eux, cet album n’existerait pas, parce qu’ils m’ont donné des avances et que j’ai pu tout régler. Il a fallu s’occuper du mastering, du graphisme, donner des bons à tirer, etc... toutes ces choses dont je n’avais jamais eu à m’occuper en cinquante ans de carrière. Si je ne le faisais pas, je n’existerais plus. C’est ça ou rien.

 

Donc vous avez été d’autant plus heureuse, après, d’avoir mis la touche finale à cet album...

Oui, et j’ai pu décider de tout : pour la pochette, c’est un dessinateur, Olivier Coulon, qui pour me faire plaisir m’avait envoyé par les réseaux sociaux cette magnifique aquarelle. Et comme c’est un album intemporel, avec des chansons qui ont des décennies, ça a été bien de choisir ce dessin. Tout s’est bien imbriqué au dernier moment, donc ça veut dire que c’était le moment de le faire...

 

Un pas de plus

 

Parmi les chansons, vous en avez parlé, il y en a deux qui sont engagées, ou qui parlent en tout cas de notre époque : sur l’immigration (Pays natal), et sur la déshumanisation de nos sociétés où beaucoup passe par les écrans (Se dire oui, se dire non). Dans l’album précédent vous dénonciez les violences conjugales (Assez) et chantiez un texte tendre sur l’homosexualité (Celles qui aiment elles). Sur le précédent encore, Un pas de plus sur l’enthanasie. En 2004, bien avant pas mal de monde. Quand on chante ce genre de chanson, on se dit qu’on veut partager ce qui nous tient à cœur ou mieux, faire bouger les lignes ?

À propos de Un pas de plus, c’est un sujet dont on avait beaucoup discuté avec Françoise. On a connu une personne qui souffrait vraiment, et c’est vrai que la question se pose à ce moment-là... J’ai horreur du terme "engagé", mais disons que, quand je chante quelque chose dans lequel il y a une idée, c’est que je ne peux pas faire autrement que d’en parler parce que ce sont des choses qui me bouleversent. Donc j’ai envie de les dire par la chanson. Quand j’étais plus jeune je me suis beaucoup engagée, j’ai défilé dans les rues, je bougeais beaucoup plus... Je n’étais pas une militante à proprement parler, mais je m’exprimais plus en-dehors des chansons. Maintenant je ne m’exprime que dans les chansons. De toute façon, comme je fatigue plus vite, je fais moins de sit-in dans les rues comme j’ai pu faire, par exemple lors du procès de Gisèle Halimi pour la soutenir à Bobigny, ou pour soutenir la loi sur l’avortement de Simone Veil...

Maintenant ce que j’ai à dire je le dis dans les chansons, ceux qui comprennent tant mieux, ceux qui ne comprennent pas tant pis... Il y a souvent plusieurs lectures. Des images, et derrière les images, des idées... Moi j’aime tous les modes d’expression. Des choses décalées et saugrenues comme dans Amour et allergies, ça ne veut rien dire, c’est loufoque, Vive le sport pareil... Même chose quand j’avais sorti L’Œuf ou Nosferatu, des choses comme ça... J’aime ce côté fou que Françoise et Grigri (le surnom qu’elle donnait à Michel Grisolia, ndlr) avaient beaucoup, alors que moi j’ai moins d’imagination. Comme je l’ai dit je peux parler plus facilement de ce que j’ai vécu.

 

L’Enfant et la mouche

 

Il y avait aussi, s’agissant des chansons de société, ce très beau texte sur la violence ordinaire et l’indifférence, L’Enfant et la mouche...

Oui, elle était de Françoise et de Michel Grisolia. J’aimais beaucoup cette chanson sur l’indifférence.

 

L’indifférence, la cruauté "ordinaire"...

C’est sûr que celle-ci est complètement d’actualité malheureusement...

 

La Parisienne

 

Votre chanson La Parisienne vous colle à la peau. Vous m’aviez dit en 2014 qu’elle était votre "carte d’identité". C’est une bénédiction sans doute d’avoir à son actif un tel succès populaire, qui a fait sourire et fait toujours sourire les gens. Mais quand on vous associe à ce point à ce titre, alors que vous en avez des tas, souriants ou pas, qui méritent d’être écoutés (La petite écriture grise, L’enfant et la mouche, Les petits dieux de la maison ou encore tiens L’Œuf), est-ce que ça n’est pas un poil frustrant. Est-ce que vous n’auriez pas envie de dire aussi au public qui vous connaît un peu : écoutez aussi celles-ci ?

(Rires) Bien sûr que c’est frustrant... mais c’est aussi un cadeau du ciel. Si je devais n’être venue sur Terre que pour donner un sourire aux gens, ce serait une belle image. Souvent les gens ne me reconnaissent pas physiquement parce que, quand j’étais jeune, j’avais beaucoup de cheveux très frisés, avec l’âge ils sont devenus raides et mous. Ils mettent un temps à me reconnaître, mais si j’entonne des notes de la chanson (elle chantonne la musique du refrain, ndlr) ils ont un sourire, c’est très agréable. Mais c’est vrai que, les chansons que vous avez citées, je les chante pour mes 50 ans de scène, du 4 au 14 janvier à Passy, parce que voulais chanter aussi des chansons qui étaient sur mon premier album et d’autres qui sont sur le dernier, un peu comme un parcours. Je ne peux évidemment pas toutes les mettre. C’est cornélien, le choix des chansons : j’ai fait vingt-sept ordres de chansons, en en enlevant une, en en mettant une autre, etc...

Le choix a été très difficile. J’y ai inclus des chansons que je ne chantais plus depuis longtemps, j’en ai retiré certaines que je chantais, et il y en a que je n’ai pas pu mettre... Il y aura forcément des personnes qui seront frustrées, parce que je ne chanterai pas dans le prochain tour Patins à roulettes ou Berlin des années vingt, mais je rechante La petite écriture grise, L’Œuf... Je choisis des chansons qui vont faire des ruptures. Dans un tour de chant il faut tenir 1h30 sans lasser les gens, toujours les surprendre. Je mélange les chansons loufoques, graves, tendres ou mélancoliques. Ce tour de chant me ressemblera. Et je crois que je ne pourrais pas être plus moi-même que maintenant.

 

Trans Europ Express

 

Et dans ce tour de chant, la chanson vraiment obligatoire, c’est donc La Parisienne ?

Oui. Deux obligatoires : La Parisienne, et Quand nous serons amis. J’ai rajouté des chansons du premier album que les gens aiment beaucoup, comme Wolfgang et moi ou Trans Europ Express : il n’y a plus de locomotives à vapeur, mais ça fait partir les gens en voyage autrement. C’est bien aussi...

 

Justement, la question est peut-être un peu dure, cruelle, mais si vous pouviez faire votre propre sélection de 5, 6 ou 7 chansons de Marie-Paule Belle à faire découvrir, vos préférées parmi toutes, ce serait lesquelles ?

Si la personne ne me connaissait pas du tout, bien sûr je mettrais La Parisienne. Comme je vous l’ai déjà dit c’est ma carte d’identité. Les chansons que je préfère de mon répertoire ne sont jamais passées en radio, et je les ai très peu chantées sur scène. Ce sont des chansons dont j’aime la musique, et je suis encore étonnée d’avoir trouvé ces musiques-là. Comme si elles venaient d’ailleurs et que ça n’était pas moi qui les avait composées. Je pense par exemple à une chanson que j’aime beaucoup et qui s’appelle Beauté de banlieue, avec une mélodie qui revient dans la chanson mais jamais dans la même tonalité... J’étais très fière d’avoir fait cette mélodie, on ne se rend pas compte du changement de tonalité par rapport aux harmonies de passage que j’ai faites. Quand je ressens quelque chose de joli mélodiquement et harmoniquement, en tant que musicienne c’est ce que j’aime le plus évidemment.

 

 

Beauté de banlieue

 

Au niveau des textes, c’est sûr que Berlin des années vingt ou L’Enfant et la mouche sont magnifiques, La petite écriture grise aussi. D’autant plus que ce sont souvent des histoires vraies. La petite écriture grise, c’était l’histoire d’une pharmacienne qu’on voyait passer de temps en temps, elle habitait un petit village à côté de celui où nous avions une maison en commun avec Françoise et Michel Grisolia et où nous composions. Cette dame on la voyait, un jour on ne l’a plus vue, et on a découvert son journal intime... Donc ça rappelle des souvenirs intenses et des images personnelles. C’est aussi cela que j’aime beaucoup.

 

La petite écriture grise

 

Patins à roulettes, j’aime beaucoup le texte parce qu’il survole une vie. Et à l’époque j’aimais bien ce genre de musique. En tout cas mes goûts ne sont pas toujours ceux du public, et certainement pas ceux des radios.

 

Quand nous serons amis

 

Merci de les avoir partagés en tout cas. Parlez-moi un peu de votre relation avec Serge Lama, votre vieux complice qui vous a écrit une belle chanson sur la solitude, L’Ombre de son chien ? Vous deux c’est une vraie amitié amoureuse non ? Quand nous serons amis chantée en duo il y a quelques années, ça vous allait bien...

(Rires) Oui... Nous tournions énormément ensemble à sa grande époque, celle de Je suis malade, où il chantait dans des chapiteaux de 8000 places, plus de 12000 aux arènes de Béziers, etc... On était tout le temps ensemble, beaucoup plus à tourner, à l’hôtel, que chez soi. C’était une complicité très forte, un amour platonique vous avez raison. Cette amitié amoureuse, Françoise l’a très bien décrite dans la chanson Celui, que Serge dit être "sa chanson". Il m’avait demandé en 2018 de faire sa première partie à l’Olympia, j’avais accepté et le 11 février, jour de son anniversaire, j’avais demandé aux musiciens de chanter "Bon anniversaire", et ensuite c’est lui qui m’a surprise parce qu’il m’a entraînée dans les coulisses et m’a demandé de lui chanter sa chanson. Moi je ne l’avais pas chantée depuis 35 ans, je ne savais pas trop, je lui ai dit que je ne savais plus les paroles... Il m’a entraînée sur scène, il avait fait imprimer le texte ! Il m’a demandé de chanter, mais je ne savais même pas dans quelle tonalité puisque ma voix avait baissé. J’ai improvisé une tonalité, les accords sont venus tout seuls, et il m’a tenu les paroles, derrière mon dos, pendant que je chantais. C’est un souvenir que je n’oublierai jamais...

 

Celui, le 11 février 2018

 

C’est une amitié amoureuse qui continue. Nous venons de participer à un reportage d’interviews croisées avec des photos pour Paris Match. C’est toujours très intense : quand on se téléphone ça dure des heures, on s’envoie beaucoup de SMS aussi. Il est comme mon grand frère, et il a été mon Pygmalion parce que, sortant de L’Écluse où il y avait 80 personnes, je me suis retrouvée propulsée dans ses tournées auprès d’un public immense.

J’ai ce créneau un peu "bâtard" dans la chanson française qui fait qu’on ne sait pas trop où me caser parce que j’ai à la fois un public très populaire avec Les petits patelins, La Biaiseuse, La Parisienne, etc... et en même temps un public assez intello parce que Françoise Mallet-Joris était vice-présidente de l’académie Goncourt et qu’elle était un écrivain réputé, quelqu’un de très érudit. Donc voilà, je suis un peu entre les deux... Dans mes spectacles, on alterne entre chanson difficile et plus légère...

 

C’est bien de varier les émotions !

Oui... Vous savez, moi je suis plus une artiste de scène que de studio. J’y suis plus à l’aise, j’y ai fait mes premiers pas, et appris sur le tas, aux cabarets L’Écluse et L’Échelle de Jacob. C’est là que j’ai appris mon métier, que j’ai appris comment répondre à une salle, comment s’adapter à tel ou tel public, différent chaque soir... C’est ce qui est formidable, partager des émotions que chacun s’approprie par rapport à son propre vécu. On partage des émotions nostalgiques et tendres, des ruptures d’amour, des rires, des pleurs quelquefois avec Les petits dieux de la maison, parce que tout le monde a perdu un être cher dans sa vie... Après, chacun repart avec ses images à soi dans la tête. C’est comme le théâtre, c’est éphémère, sauf si on fait un live et qu’on vous filme ce jour-là. Sinon, le lendemain ce sera encore autre chose... Mais c’est bien que le souvenir soit assez fort pour durer longtemps, que l’émotion soit partagée, et qu’elle soit forte.

 

Les petits dieux de la maison

 

Belle réponse. S’agissant de Serge Lama justement, de L’Ombre de son chien, cette chanson touchante et tendre qu’il vous a écrite sur la solitude, je m’interroge sur le jugement qu’on peut un peu rapidement porter sur lui aussi. Est-ce que vous pensez qu’on le considère à sa juste valeur, qu’on n’a pas un peu trop tendance à le réduire à Femme, femme, femme ou aux P’tites femmes de Pigalle ?

Je suis tout à fait d’accord avec vous. C’est un manque d’approfondissement de son œuvre. Pour moi, D’aventures en aventures, c’est un chef d’œuvre, Le Quinze juillet à cinq heures aussi, j’aime beaucoup Les Glycines, etc... Il a écrit des choses magnifiques, Serge. Il écrit depuis qu’il est ado. Souvent, ce qui est le plus connu n’est pas forcément le meilleur. Quelquefois on est prisonnier d’une image. Lui c’est Femme, femme, femme, ou à l’époque, Superman. Il en était un peu malheureux parce qu’on l’a considéré souvent comme macho. Et c’est vrai qu’il avait un côté macho qui parfois m’agaçait, moi qui étais féministe, mais ça n’empêchait pas notre grande complicité. En même temps il a énormément de féminité en lui, c’est ce que j’aime en lui et chez les hommes en général, quand il y a à la fois du masculin et du féminin.

Serge a une sensibilité extrêmement féminine. Il a écrit de très belles phrases. Certains de ses textes sont plus travaillés que d’autres, il le reconnaît d’ailleurs, mais il a une sensibilité qui m’émeut beaucoup... Sous ses dehors un peu rentre-dedans il est excessivement pudique. Il a beaucoup souffert, pendant des années, après son accident. Je sais qu’il avait mal quand on se voyait durant nos tournées ensemble, mais il passait dessus, il ne s’est jamais plaint et était toujours de bonne humeur. Parfois un peu trop, on lui a souvent reproché son rire tonitruant, mais c’était une défense. Je le connais très, très bien, et je peux vous dire qu’il n’a pas la place qu’il mérite dans la chanson et dans le métier. On lui a donné une Victoire d’honneur mais c’est arrivé vraiment tard... Il est vraiment un grand auteur de chanson.

 

L’Ombre de son chien

 

Il faut que chacun se fasse sa propre idée en écoutant les chansons.

Oui, il sort d’ailleurs un coffret qui contient de nombreux enregistrements, avec même des chansons inédites qu’il n’a jamais sorties. Je pense qu’on découvrira dans le lot des textes très intéressants...

 

Vous avez dédié un beau livre à Françoise Mallet-Joris, Comme si tu étais toujours là. Vous avez confié lors d’une interview avoir le rituel de prier avant d’entrer sur scène. Vous croyez qu’après nous, on retrouve ceux qu’on aime et qui nous ont aimés ?

Oui, mais pas sous la forme de personnalités. Je crois que, de la même façon qu’un océan est fait d’une multitude de gouttes d’eau, on retrouvera après la mort les personnes qu’on a aimées sous la forme d’un amour absolu et non individuel. C’est en tout cas mon opinion. Je pense qu’on ne peut absolument pas imaginer ou concevoir la dimension spirituelle qu’on découvrira à ce moment-là. Moi je pense que j’ai encore des choses à dire et des choses à faire, sinon je serais partie. J’espère juste ne pas souffrir, je connais bien, je ne veux pas vivre ça... Mais le moment venu j’aspire beaucoup à connaître cet état de spiritualité, d’amour absolu, j’y crois beaucoup, c’est ma foi à moi. Pour certains c’est une utopie complète, mais ça aide à vivre, avec moins de peur.

 

Comme si tu étais toujours là

 

Je vous le souhaite en tout cas. Il y a le temps pour ça mais, qu’est-ce que vous auriez envie qu’on écrive sur vous après vous ?

(Elle hésite) Vous savez, les gens ne font que passer. Une fois qu’ils sont partis on les oublie assez vite... Je pense qu’on n’écrira rien, ou bien si on écrit quelque chose...

 

Vous êtes humble là.

Non... Il y a des personnes qui ont été très connues de leur vivant, assez cultes même, et qu’on a rapidement oubliées. On retiendra peut-être La Parisienne, et encore, ce sera daté. Si on se souvient de moi, on dira peut-être que je chantais de jolies chansons qui racontent des histoires. Pour continuer l’enfance : quand on est petit on nous raconte des histoires, moi j’espère en raconter pour les grands...

 

 

C’est déjà chouette ! (Elle rit) Nous évoquions il y a un instant votre amitié avec Serge Lama. Parfois on revoit les images de ces shows des années 70, les Carpentier etc.

Oh oui ça c’était sympa...

 

La complicité entre les artistes était réelle ?

Oui...

 

En-dehors de Lama, avez-vous eu de vraies relations amicales avec certains artistes ?

Avec William Sheller. Une relation intense, avec un partage, une admiration au niveau de la musique. Au début j’étais fascinée par les nouvelles techniques, quand on a commencé à découvrir la musique sur ordinateur, j’utilisais un Atari, je faisais de petites maquettes à la maison, etc... William est venu à la maison, il a découvert ça et a été emballé. Après il s’est mis à composer complètement là-dessus. Il est un grand compositeur de musique classique et en même temps contemporaine. Il a fait des choses sublimes. Il m’a donné des cours, j’allais chez lui, il me montrait comment découvrir la musique autrement, comment l’écouter autrement... J’ai appris beaucoup de choses grâce à lui. Et on a fait des fêtes ensemble, on chantait des vieilles chansons... Il me faisait découvrir des morceaux classiques, comme par exemple les musiques que Schubert jouait dans les bordels. Moi comme je ne lis pas la musique, je fais toujours tout d’oreille, parce que je n’ai pas travaillé quand j’étais petite. On jouait à quatre mains, pour les copains, il me criait les accords. On a beaucoup de complicité, beaucoup de souvenirs ensemble.

Sinon, à l’époque, quand j’étais dans la lumière, on avait un emploi du temps très, très précis, on ne faisait que passer sur les plateaux, on n’avait pas le temps d’aller les uns chez les autres, de partager des choses. Mais on était copains, heureux de se retrouver. On n’avait pas quinze attachés de presse derrière. Pour les Carpentier, on faisait des chansons spécialement pour le show, et on allait en studio spécialement pour enregistrer une chanson qu’on avait travaillée pendant des jours. En plus c’était en direct. Je me souviens d’une chanson que j’ai faite en complicité avec Sylvie Vartan... On faisait des rencontres qu’on ne pouvait pas avoir ailleurs. On avait du plaisir à chanter, à partager. On ne pensait pas qu’au pognon... On y pensait bien sûr, mais c’était surtout le plaisir de partager, de s’amuser. Je n’ai pas l’impression qu’on retrouve vraiment ça aujourd’hui. Et il y avait je le redis beaucoup plus de direct que maintenant, donc il y avait quand même une pression... Il n’y a plus trop cette magie du direct. Quand vous faites un Grand Échiquier qui dure trois heures en direct je vous assure que vous êtes concentré, on n’a pas trop le droit de se planter...

 

J’ai tant attendu

 

Au mois de janvier vous allez retrouver la scène et votre public. J’ai envie de vous demander combien il vous a manqué ? Vous allez leur dire quoi : j’ai tant attendu, attendu, attendu ?

(Rires) Non, celle là je ne la chanterai pas, mais j’aime beaucoup cette chanson. C’est vrai que j’ai énormément attendu, et qu’il n’y a que ça qui m’a fait tenir... Le fait de me projeter visuellement. Dans mon imaginaire j’ai projeté ces retrouvailles. Pendant mon absence j’ai eu la chance d’avoir des témoignages d’amour incroyables. Je me suis sentie complètement poussée, n’ayant pas le droit de me laisser aller, alors j’ai fait comme si je n’étais pas malade. Maintenant je le suis moins !

 

La scène vous fera du bien.

Oui, il n’y a que le public qui me donne de l’énergie...

 

Comment avez-vous construit ce spectacle ? L’équipe mais aussi la setlist ?

J’ai fait vingt-sept ordres de tour de chant. Il y aura un clin d’œil parce que je vais chanter en entrée J’ai la clef dont la première phrase est : "C’est vrai que j’étais un peu en retard" (Rire). C’est vrai que j’étais un peu en retard... mais les hommes aiment bien les femmes en retard. Je vais ensuite chanter des chansons de mes premiers albums, puis faire intervenir des chansons de mon nouvel album. J’aime garder des surprises pour les gens qui se dérangent pour venir me voir sur scène, j’ai toujours fait ça. Il y a des chansons qui ne seront pas enregistrées, qui ne seront sur aucun album, sauf s’il y a un live qui est enregistré. J’avais fait ça il y a quelques années avec une chanson sur une femme qui était amoureuse d’un Japonais, avec une musique un peu japonaise, c’était drôle, avec des jeux de mots. Mais elle n’est sur aucun album, il n’y a que ceux qui sont venus qui la connaissent. Là ce sera pareil, il y aura des "bonus" pour eux. La tournée est en train de se construire, ensuite j’irai promener ce spectacle un peu partout... Après vingt-sept ordres, je crois que maintenant je tiens le bon.

 

Et ce sera du piano-voix, ou vous aurez des musiciens avec vous ?

Non ce sera du piano-voix. Je me rends compte que je m’exprime tout à fait différemment. C’est William Sheller qui m’a incité à venir au piano-voix. J’ai chanté pendant vingt-cinq ans avec des musiciens, de deux à sept, avec de très grands talents comme Serge Perathoner, Roland Romanelli, Jean Shultheis. J’ai chanté dans des fêtes très populaires, y compris des 14-Juillet, au milieu des pétards et des feux d’artifice. À un moment donné j’en ai eu un peu marre, j’ai voulu qu’on écoute un peu mieux mes paroles. À ce moment-là je n’ai plus chanté que dans des théâtres. En piano-voix. William Sheller m’avait bien dit que le climat était, évidemment, très différent. Il m’a dit cette phrase : "Tu auras la plus grande trouille, et la plus grande liberté de ta vie". Et c’est la vérité. Je peux m’arrêter au milieu d’une chanson, je peux ralentir le tempo comme je veux, faire une réflexion si le public s’exprime... C’est un dialogue qui me ramène aux sources du cabaret, si vous voulez. C’est comme ça qu’on s’exprimait, dans les petits cabarets de chanson de la Rive Gauche.

 

Très bien... Et à ce propos, quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui, comme moi, adorerait savoir jouer du piano ?

(Rires) Je sais qu’il y a maintenant des tuto sur Internet, je ne sais pas si c’est très valable... Je crois qu’on peut à tout âge commencer. Il n’y a pas d’âge, à partir du moment où on a la passion et la volonté. Je pense que c’est plus facile quand on est enfant, au niveau de la souplesse des doigts, de l’apprentissage, de la facilité, etc... Mais si on a une rigueur dans le travail, qu’on s’y met un peu tous les jours... Après, il faut avoir un piano chez soi, je dis bien un piano, pas un clavier, parce que le clavier a un toucher qui est complètement différent. Si on commence à apprendre avec un toucher mou comme ça, sans aucun exercice du doigts, on apprend mal dès le début. Mais pour faire des accompagnements de chanson c’est bien. Il y a aussi des méthodes d’apprentissage du piano qui se sont modernisées, des choses visuelles, avec des couleurs ou des numéros. Moi je ne connais pas tout ça, j’ai appris d’une façon très classique, je n’ai d’ailleurs jamais voulu apprendre le solfège parce que ça m’embêtait. Maintenant je le paie. Mais je n’ai que du plaisir.

J’avais un professeur particulier de piano Je n’ai jamais fait le conservatoire ou ce genre d’étude, ce qui au début a été un très grand complexe, mais après j’ai compris que c’était bien aussi parce que j’étais libre. Je fais comme je sens. Parfois on est surpris soi-même parce qu’on trouve. Moi je suis plus une mélodiste qu’une compositrice. Le mot compositeur, pour moi il faut le mériter. Il faut savoir écrire la musique sur une table, connaître les lois de l’harmonie, le contrepoint tout ça je ne connais pas du tout... Je trouve des mélodies comme ça, elles me viennent de je ne sais où, et je les transmets. Je suis un réceptacle. Quand une mélodie me vient, n’importe où, n’importe quand, je la note sur mon dictaphone et j’essaie de la ressortir. Donc je dirais qu’il faut avoir la passion, y ajouter du travail, régulier, mais surtout prendre du plaisir. Ma mère disait à mon prof de piano : surtout ne la grondez jamais, même si elle ne travaille pas. Elle avait connu ces difficultés. Quand elle étudiait par exemple les passages du pouce sur le clavier, on lui mettait une gomme sur le dessus de la main. Si, au moment du passage de pouce, la gomme tombait, elle prenait des coups de règle sur les doigts. Elle avait beaucoup souffert de ces méthodes rigides et barbares et avait dit ensuite : je veux que ma fille ne prenne que du plaisir avec la musique et avec son instrument. Que ce soit toujours une joie. Et ça a toujours été une joie. Et c’est vraiment du plaisir, d’ailleurs j’ai très peu travaillé. J’ai fait onze ans de piano classique, et au bout de onze ans je transformais Chopin en jazz et Beethoven en rock’n’roll. C’était l’époque de la découverte des Beatles. Dès que je rentrais du lycée, je me mettais au piano, je chantais avec les copains, et c’est là que mon père sortait de son cabinet de consultation avec le stéthoscope aux oreilles en me disant : moins fort le piano parce que j’écoute le cœur des gens et il y a ton piano dedans...

 

Beau conseil en tout cas de la part de votre mère...

Oui, j’ai toujours eu du plaisir. J’ai toujours eu un piano dans ma maison. Et une maison dans laquelle il n’y a pas de piano est pour moi une maison morte.

 

Vous avez le même depuis des années ?

Ah non. J’en ai eu onze.

 

Parce qu’un piano ça s’abîme ?

Non ça ne s’abîme pas. Il a fallu à un moment que je vende mon Steinway. J’en ai acheté un autre. Ensuite, j’ai acheté un piano hybride, je pouvais jouer au casque sans assommer mes voisins. Dans les onze, je compte mon piano d’enfance qui était un piano d’étude, un piano droit quand j’ai quitté Nice. Quand j’ai changé de maison j’ai pris un autre piano, un piano droit que j’ai ensuite donné à mon frère, etc. J’ai passé ma vie à avoir des claviers différents (rires).

 

Qui aimez-vous dans la scène musicale actuelle ?

J’aime les voix qui sont un peu rauques, graves. Il n’y a personne que j’aime inconditionnellement, ou pour les textes, ou pour la musique, ou pour la voix, ou pour l’interprétation. J’aime les textes chez certains, la musique chez d’autres, le phrasé, la voix chez d’autres. En général j’aime bien les chanteuses étrangères à voix dans le jazz. J’ai des goûts très classiques. Au niveau de l’interprétation, du partage avec le public, je me suis arrêtée en France à Maurane qui pour moi était une voix extraordinaire, avec un talent fou. Il y a aujourd’hui des personnes qui ont un univers particulier, et qui à mon avis feront un chemin avancé, je pense à Zaho de Sagazan, qui a une voix grave et une personnalité. Juliette Armanet est une grande musicienne qui s’accompagne très bien au piano, je la préfère en piano-voix.

Moi j’aime les chansons qu’on écoute. Les chansons pop où on danse, c’est moins mon truc. Clara Luciani fait de belles choses, mais ce genre de rythmique me parle moins. Mon idole de toujours c’est Ella Pitzgerald. Elle est unique et personne ne chantera jamais comme elle. Ce sont des voix comme ça... Céline Dion chante très bien techniquement, elle a un charisme fou mais ses textes m’emballent moins... Il y a une petite qui parle avec des mots adolescents et qui a une jolie voix, Emma Peters. Souvent je vais voir sur YouTube et je regarde un peu ce qui sort, mais je n’ai pas d’élan fulgurant pour un chanteur ou une chanteuse. Le rap, le slam, le raggamuffin, tout ce qui est parlé et musique urbaine m’intéresse moins parce que je suis une musicienne qui est vraiment à fond pour la mélodie. Je trouve qu’il y a moins de mélodie aujourd’hui. Je regarde souvent The Voice, il y a de la technique, avec de très belles voix, mais on a l’impression qu’il n’y a plus vraiment de charisme, de présence sur scène. Comme si les chanteurs et les chanteuses étaient moins habités par leurs textes, comme si, le texte changeant, ce serait la même chose. Je n’aime pas non plus cette habitude de déformer la mélodie, surtout quand la personne a pour retour un compliment, "oh, vous vous réappropriez très bien cette chanson", simplement parce qu’elle va mettre des notes qui tournent autour de la note droite, ou faire des variantes. Moi ça m’horripile, une mélodie c’est une mélodie, si on la change la chanson n’est plus la même.

 

Et on ne se l’approprie pas pour autant.

On peut s’approprier une chanson en la phrasant différemment ou en l’exprimant avec émotion.

 

Et s’agissant des artistes du passé, de la France, Barbara reste toujours votre étoile ?

Bien sûr. Barbara. Brel. Sheller, qui n’est pas du passé, qui est toujours là... Il y a des chansons qui m’ont donné beaucoup d’émotion, comme les premières chansons de Jonasz par exemple. Je voulais te dire que je t’attends, je trouve ça sublime... Ferré évidemment, Avec le temps, un chef d’œuvre absolu, peut-être la plus grande chanson qu’on ait écrite... Tout y est si magnifiquement bien dit. Après, derrière, on peut écouter le silence...

 

Un message pour quelqu’un, n’importe qui, à l’occasion de cette interview ?

Le message que je pourrais dire c’est d’aimer la vie et l’instant présent. De profiter de la vie, de l’instant présent, des petites choses qu’on ne sait pas toujours regarder. C’est au moment où on ne les a plus qu’on se dit, c’était bien, à ce moment là je n’ai pas assez profité... Je ne sais plus qui disait ça, mais c’est tellement vrai : il faut savoir aimer ce que l’on possède. C’est une chance, surtout aujourd’hui où c’est tellement une catastrophe quand on allume sa télé, quand on écoute autour de soi... Le climat est anxiogène, il faut profiter des petites choses, manger un bon fruit, regarder pousser les fleurs... Il faut profiter des gens qu’on aime, essayer de les voir le plus possible, leur dire surtout qu’on les aime. Il y a des gens qui sont très pudiques et qui ne peuvent pas le dire, alors ils s’expriment par l’action. Quand on est malade, on voit ceux qui parlent et qui ne font rien, et on voit ceux qui font et qui ne parlent pas. On peut faire un tri des choses et des gens. Il faut savoir se poser un peu et de ce point de vue le confinement a eu du bon. Beaucoup de gens ont changé de vie et ont commencé à profiter. Il ne faut pas se laisser conduire par la vie mais conduire sa vie...

 

En guise de message c’est une belle philosophie que vous partagez...

C’est difficile à vivre et à faire, moi par exemple j’étais beaucoup dans le passé, dans l’avenir, et très peu dans l’instant présent. Maintenant j’essaie d’être de plus en plus dans l’instant présent.

 

On va parler un petit peu de l’avenir quand même. Vos projets et surtout, vos envies Marie-Paule Belle ? Envie d’un album après celui-ci ?

J’en ai déjà un qui est presque prêt. Quand j’ai fait celui-ci j’ai enregistré beaucoup plus de chansons que je n’en ai mis sur cet album. J’en ai déjà une dizaine. Mais comme je l’ai dit, même si j’arrêtais de chanter, je n’arrêterais jamais de faire des chansons, parce que c’est ma vie et que j’adore ça. Quand on fait des chansons avec Isabelle Mayereau, ce sont des parties de rire extraordinaires, même quand on écrit des chansons tristes. C’est magique. Et on continue les jeux d’enfants. Moi j’ai commencé à faire des chansons comme un jeu d’enfant : au lieu de jouer aux jeux d’enfant classiques, moi je faisais petite des chansons avec Michel Grisolia. C’est comme si je continuais à jouer, comme une enfant.

 

Jolie façon de conclure. Est-ce que vous avez un dernier mot ?

Merci beaucoup... pour ce moment particulier.

Entretien réalisé le 16 novembre 2023.

 

MPB spectacle

 

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