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Paroles d'Actu
28 août 2018

Alain Pigeard : « La Confédération du Rhin n'a jamais eu d'autre vocation que de servir les plans de Napoléon »

J’ai eu la joie de pouvoir lire, récemment, L’Allemagne de Napoléon : La Confédération du Rhin (1806-1813), un ouvrage d’une grande richesse autour d’un chapitre de l’histoire napoléonienne qui, bien que d’importance majeure, a été relativement peu étudié par les spécialistes, et demeure largement obscur pour le grand public. M. Alain Pigeard, historien spécialiste du Consulat et du Premier Empire, a dédié à cette construction française - à la fois par l’intimidation et par la persuasion - d’une tierce Allemagne (entendre : ni autrichienne ni prussienne) une étude très fouillée (Éditions de la Bisquine, 2013), nous présentant par moult détails chacun des États composant cette Confédération du Rhin. Je le remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions et vous engage, chers lecteurs, à vous intéresser à ce livre et aux travaux, passés et à venir de cet historien qui est aussi un authentique passionné. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 13/08/18 ; R. : 20/08/18.

Alain Pigeard: « La Confédération du Rhin n’a jamais eu

d’autre vocation que de servir les plans de Napoléon. »

L'Allemagne de Napoléon

L’Allemagne de Napoléon : La Confédération du Rhin (1806-1813), Éd. de la Bisquine, 2013.

 

Alain Pigeard bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu, autour de votre ouvrage L’Allemagne de Napoléon : La Confédération du Rhin (1806-1813), publié aux Éditions de La Bisquine en 2013. Voulez-vous nous parler un peu de vous et de votre parcours ? D’où vous vient ce goût prononcé pour l’Histoire en général, et pour l’épopée bonaparto-napoléonienne en particulier ?

Difficile de parler de soi. Je suis passionné d’histoire depuis ma petite enfance. J’ai découvert Napoléon chez des amis de mes parents dans le Jura (j’avais deux ans) en regardant une très grande statue de Napoléon. Depuis cet homme ne m’a plus jamais quitté !

 

Le livre qui nous intéresse aujourd’hui, c’est une présentation riche de l’architecture d’ensemble, et surtout de chacun des États constituant la Confédération du Rhin. Pourquoi avoir voulu consacrer une étude à ce sujet précis ? Diriez-vous qu’il a été, jusqu’à présent, sous-étudié ? Et comment avez-vous convaincu M. Jean Tulard, un des plus éminents spécialistes de cette époque, de vous préfacer cet ouvrage ?

J’ai beaucoup voyagé en Allemagne (y compris pour mon service militaire), et je me suis rendu compte qu’il n’existait rien en langue française sur le sujet ! J’ai donc décidé d’écrire ce livre pour combler cette lacune. Jean Tulard était heureux de le préfacer car il savait qu’il n’y avait rien sur ce sujet et pour lui c’est le meilleur de mes livres...

 

Où sont les sentiments francophiles dans l’espace de la future Confédération du Rhin avant et au moment de la Révolution ? Où est-on progressiste, et où est-on conservateur en ces temps troublés ?

Certaines régions allemandes seront favorables à la Révolution, notamment celles qui sont proches de la France. D’autres, hostiles (le Mecklembourg notamment). La Prusse restant à part.

 

Trouve-t-on dans cet espace des zones clairement définies comme étant d’influence autrichienne ? prussienne ? voire, française ? britannique ? russe ?

La zone d’influence autrichienne est surtout la Bavière, qui a été en partie annexée à l’Autriche à la fin de l’Empire. Le Hanovre a toujours été proche de l’Angleterre. Le Mecklembourg était proche de la Russie pour des questions dynastiques et de mariage. Les États rhénans seront plus proches de la France. La Prusse va quant à elle étendre son influence sur l’Allemagne du nord puis, après 1870, sur toute l’Allemagne.

 

La Confédération du Rhin en tant qu’organisation a-t-elle été généralement imposée par les Français, ou bien a-t-elle été véritablement consentie par certains princes allemands ? Quid des populations : des fractures nettes quant aux sentiments des opinions, ici ou là, sont-elles perceptibles ?

Jusqu’en 1806 (décret de création), les souverains sont libres d’adhérer. Après cette date, ils entreront en partie par obligation dans la Confédération, mais ils la quitteront tous à la fin de 1813, surtout après Leipzig. Pour les populations, le sentiment d’appartenance à une entité linguistique a été un facteur d’union et d’appartenance. Mais on percevait bien que les intérêts de la France n’étaient pas les mêmes que ceux des populations germaniques.

 

Le Royaume de Westphalie, construction nouvelle née d’une recomposition d’espaces allemands, a été conçu par Napoléon comme un îlot progressiste devant projeter, auprès des populations et gouvernants allemands, un modèle de gouvernement libéral. Son frère Jérôme fut placé à la tête de cet État. Comment regarde-t-on, au-dedans comme au-dehors, cette entité nouvelle, et le fait d’avoir placé un Bonaparte à sa direction ? Le Royaume de Westphalie, ça aurait pu fonctionner dans la durée ?

La Westphalie n’a pas de frontières naturelles et il n’y a pas un sentiment d’appartenance comme en Bavière, en Saxe, au Wurtemberg. De plus, Jérôme n’avait pas les qualités pour gouverner... Il était plus porté sur le faste et les femmes.

 

Vous le montrez très bien dans votre ouvrage : beaucoup, beaucoup de personnages sont acteurs de cette histoire de la Confédération du Rhin. Quelques figures à retenir particulièrement ?

Parmi les plus importants, Dalberg, prince primat de la Confédération du Rhin, et le souverain hessois, très attachés à la France. Pour l’anecdote, les princes de Salm refuseront de servir contre la France en 1914 et se battront contre les Russes. Ils savaient ce qu’ils devaient à Napoléon et à la France.

 

Les revers militaires de la Grande Armée, en Russie et ailleurs, et le reflux général français, ont-ils rendu inéluctables la dislocation de la Confédération du Rhin, et le "retournement" de bon nombres d’Allemands ? Ou bien, cette histoire-là a-t-elle, elle aussi, été plus nuancée ?

La campagne de Russie est un des facteurs majeurs d’abandon des Allemands vis-à-vis de Napoléon. À partir de 1813, les alliances se brisent et les abandons à la Confédération se multiplient.

 

Lors d’une interview qu’il m’avait accordée en 2013, Thierry Lentz, historien et directeur de la Fondation Napoléon, avait défendu cette idée à laquelle il avait beaucoup réfléchi : Napoléon n’a jamais conçu sérieusement la Confédération du Rhin autrement que comme une entité vassale, un pourvoyeur de troupes sans s’en soucier véritablement comme partenaire (sur ses préoccupations commerciales notamment). Êtes-vous d’accord avec cela ? Napoléon a-t-il, par manque de vision politique, ou peut-être parce qu’il n’a pas eu le temps de penser une organisation de temps de paix, raté une occasion de construire, en la parrainant, une tierce Allemagne qui ne soit ni autrichienne ni prussienne, ce qui eût pu annuler pour longtemps les dangers venus d’outre-Rhin ?

Il est évident que la Confédération du Rhin était pour Napoléon une sorte de "glacis protecteur " (idem pour la Pologne). Des pays alliés qui fournissaient des troupes aux armées de Napoléon. Les souverains allemands n’étant en place que pour exécuter les ordres de l’Empereur. L’histoire va se répéter. Ce sera d’ailleurs la même chose après 1870, où toute l’Allemagne sera sous le joug prussien !

 

///

ARCHIVE: Thierry Lentz sur la Confédération du Rhin, in Paroles d’Actu, 28 décembre 2013...

Napoléon manqua avec les États allemands une alliance stratégique, en raison d’une sorte de préjugé qui voulait que la France soit plus forte contre l’Autriche ou la Prusse si l’Allemagne restait divisée. Mais ce qui était vrai en un temps où aucune force n’était en mesure de fédérer la « tierce Allemagne », l’était moins lorsque la France dominait à ce point l’Europe. Napoléon aurait pu créer puis soutenir une entité politique solide dans la partie sud de l’espace germanique, avec les États les plus ouverts à l’influence française : Bavière, Bade, Wurtemberg, les deux Hesse, voire la Saxe. Il eût fallu pour cela assigner des buts finis au système napoléonien et avoir une vision de l’Europe future. Napoléon n’avait pas clairement cette vision et c’est pourquoi il ne s’éloigna pas des traditions diplomatiques, alors même que les États qui auraient pu constituer le socle d’un accord de grande ampleur ne demandaient qu’à se rapprocher de lui.

Leur premier objectif était de se débarrasser du Saint-Empire, ressenti comme un obstacle à leur indépendance. Mais l’empereur ne sut pas approfondir les rapprochements franco-allemands. Il voulut seulement les mettre au service de ses propres desseins. Le renoncement à la couronne impériale par François d’Autriche (1806) permit pourtant une redistribution des cartes : Vienne était exclue de l’Allemagne, avec la complicité des États moyens. C’est alors que Napoléon tenta d’organiser la coopération au sein de la Confédération du Rhin créée par le traité du 12 juillet 1806. Elle compta une quarantaine d’adhérents autour de la France. L’empereur en était le « protecteur ». Les premiers fruits de l’accord furent récoltés sur le terrain de la guerre franco-prussienne (1806) et de la paix de Tilsit (1807) : après avoir confiné l’Autriche au sud, l’empereur des Français rejeta la Prusse vers le nord.

Un espace politique et géographique s’ouvrait. Il aurait fallu l’occuper et en renforcer les composantes. On put le croire avec cette Confédération, dont le texte fondateur prévoyait des institutions politiques communes : l’archevêque de Mayence, Dalberg, fut désigné prince-primat et président d’un « collège des rois », d’une diète confédérale qui aurait dû s’assembler à Mayence… mais ne fut jamais réunie. La Confédération du Rhin ne fut qu’un outil militaire, permettant certes aux alliés de se protéger les uns les autres mais servant surtout à appuyer les projets napoléoniens : il y eut environ 125 000 Allemands dans la Grande Armée de 1812. L’historien Michel Kerautret a pertinemment comparé ce montage à l’Otan. Les autres domaines de coopération restèrent du ressort des relations bilatérales, ce qui avec l’empereur des Français était synonyme de dialogue entre fort et faible.

Finalement, Napoléon se servit surtout de la Confédération du Rhin pour maintenir la division de l’Allemagne, désormais sous autorité française, et non tenter une « union » politique autour de la France. La dureté des règles du Blocus continental, le favoritisme commercial, les tentatives d’imposer des solutions juridiques et administratives auxquelles toutes les élites allemandes n’étaient pas favorables, le mépris manifesté aux princes confédérés n’étaient sans doute pas de bonne politique pour souder la tierce Allemagne à la France. L’effondrement de l’Allemagne « napoléonienne » en 1813, le retour à l’incertaine bascule entre l’Autriche et la Prusse allaient s’avérer à long terme une calamité pour le continent. En ayant sanctionné aussi durement la Prusse après 1806 et en ayant manqué l’Allemagne, Napoléon en porte une part de responsabilité.

///

 

Quelle postérité pour la Confédération du Rhin ? Pour le Royaume de Westphalie et les principes qu’il était censé porter ? Qu’a-t-on retenu et gardé de Napoléon dans cette Allemagne-là ?

De nombreux États se sont inspirés des réformes napoléoniennes (Westpahlie, Anhalt, Bavière, Bade, Hesse), comme par exemple le Code civil, l’organisation administrative, les Universités, etc.

 

Napoléon au faîte de sa gloire a mis à mort l’antique Saint-Empire romain germanique, que dominait l’Autriche, mais qui était tout de même bâti de manière à assurer certains équilibres en Allemagne. Est-ce que son bilan en Allemagne, ce n’est pas, finalement, une destruction de ces équilibres, au profit de l’Autriche mais surtout d’une Prusse avide de grandir et autrement plus aventureuse que son voisin du sud ? L’Allemagne n’est-elle pas plus dangereuse après Napoléon ?

Le Saint-Empire était une institution totalement sclérosée en 1806 et qui avait près de 1000 ans d’âge ! Son système électoral était devenu obsolète et la bataille d’Austerlitz va le renverser. Napoléon a sous-estimé la Prusse après sa déroute de 1806-1807. Elle va se mobiliser et présenter une armée plus moderne en 1813.

 

Quelles sont à votre sens les pistes de travail qui mériteraient d’être explorées pour mieux comprendre encore l’époque napoléonienne ?

Elles sont très nombreuses : il n’a a pas grand chose sur Haïti, sur certains personnes (on peut penser à une biographie de Brune, de Mortier...), et de nombreux civils. La période est si importante que beaucoup de choses seraient à publier.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

J’ai une seconde édition du Dictionnaire de la Grande Armée à paraître en 2019. La première édition date de 2002 et depuis, les bicentenaires ont apporté un lot de publications important. À paraître également à la même période, une biographie de Pauline Bonaparte. N’oublions pas également la quatrième édition du Guide touristique napoléonien... La "Bible" pour voyager quand on s’intéresse à cette époque.

 

Un dernier mot ?

Ce livre sur l’Allemagne a été présenté dans la presse d’une manière généreuse. C’est actuellement le seul ouvrage sur ce sujet publié en langue française et citant les trente-neuf États qui formèrent la Confédération du Rhin.

Au sujet de l’Allemagne, il est intéressant de noter que dans la Rhénanie, après l’Empire, se créèrent de nombreuses sociétés d’anciens soldats de Napoléon dont les monuments existent encore de nos jours. La notoriété de Napoléon est également très grande dans le monde de la reconstitution, et nombreux sont les Allemands qui enfilent avec fierté l’uniforme (souvent français) de l’époque napoléonienne ! En 2006, il y eut des milliers de personnes acclamant Napoléon à cheval suivi de son état-major (l’Américain Mark Schneider jouait le rôle de l’Empereur). Le cortège passant sous la porte de Brandenbourg, comme en 1806... Étonnant.

 

Alain Pigeard

 

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