Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles d'Actu
emmanuel macron
5 mai 2017

« Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire) », par François Durpaire

Voici deux ans qu’avec son acolyte Farid BoudjellalFrançois Durpaire se fait peur - peur communicative - à imaginer ce que serait la France d’après une hypothétique élection de Marine Le Pen à la présidence de la République. L’intrigue du premier tome de La Présidente (Les Arènes, 2015), le théâtre de lélément perturbateur qui déclenche tout, c’est donc cette élection de 2017, ce fameux scrutin qu’on est en train de vivre en direct, et en vrai.

Dans la réalité, il semblerait que la perspective d’une victoire de la présidente du Front national cette année s’éloigne, et sa (mauvaise) performance lors du débat d’entre deux tours n’a pas aidé à inverser cette tendance. C’est bien vers un succès du candidat dEn Marche, Emmanuel Macron, qu’on s’achemine désormais. Mais il sera le choix par défaut d’un grand nombre de ses électeurs de second tour et très vite, dès le 8 mai, la coalition fort hétérogène qui l’aura porté au pouvoir s’évaporera ; resteront dans la perspective des législatives du mois suivant de nombreuses inconnues, moult points à éclaircir et pierres d’achoppement et, s’agissant du président-élu, une charge écrasante, et une responsabilité singulière : écouter, entendre, comprendre.

J’ai souhaité interroger François Durpaire, que les téléspectateurs connaissent bien pour ses fréquentes interventions sur la politique américaine, sur quelques points essentiels dans la perspective de ce second tour. Nous nous sommes mis d’accord en ce sens au soir du 23 avril, première des grandes soirées électorales de cette année qui en comptera beaucoup. Je le remercie d’avoir une nouvelle fois accepté de répondre à ma sollicitation. Il y a eu une interview en décembre, une autre en avril ; celle-ci se retrouve chapeautée dun titre qui sonne comme une mise en garde de la part de cet homme dengagements : « Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire) ». Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

Macron Le Pen 

Source de l’illustration : ouest-france.fr

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Pourquoi Macron ne peut plus perdre

(et pourquoi il ne faut pas le dire) »

par François Durpaire

Q. : 23/04/17 ; R. : 05/05/17.

 

Paroles d’Actu : Quels sentiments, quels enseignements les résultats de ce premier tour d’élection présidentielle vous inspirent-ils ?

François Durpaire : Je ne sais pas qui gagnera dimanche, mais je sais qui n’a pas perdu : ce scrutin a confirmé la poussée des idées du Front national. Avec 7 643 276 voix dès le premier tour, Marine Le Pen est arrivée en tête dans 18 mille communes, 48 départements, 213 circonscriptions, et dans l’Outre-mer. Ne l’oublions pas quand nous analyserons les résultats du vote. Il y a des tendances qui relèvent du temps long : en six ans, Marine Le Pen a assuré au parti une progression continue.

 

PdA : Emmanuel Macron, inconnu il y a encore trois ans, a viré en tête de la présidentielle sans parti établi mais avec, disons, une bienveillance assez marquée de la part des médias. Dans quelle mesure le parallèle avec le Barack Obama de 2008 est-il pertinent ?

« On ne peut pas tout à fait comparer

Emmanuel Macron à Obama »

F.D. : Il y a la jeunesse et l’émergence soudaine qui peuvent faire penser à un « Obama français ». Mais l’enthousiasme autour du candidat n’est pas de la même nature qu’en 2008. L’origine de Barack Obama en a fait une élection historique. Ne l’oublions pas : si Emmanuel Macron gagne dimanche, il devra sa victoire à fois à son positionnement politique, qui aura facilité un bon report de voix entre les deux tours face à une candidate d’extrême droite, et à des concours de circonstances : élimination de la droite du fait de l’affaire Fillon et de la division de la gauche. Cela n’enlève en rien ses qualités personnelles, mais cela ne peut pas être comparé à Obama.

 

PdA : La présidentielle est l’élection mère en France. D’elle procède quasiment systématiquement l’élection législative, tenue un mois après, et il n’y a pas de scrutins midterms nationaux...

F.D. : Je pense comme vous que l’ordre des deux élections présidentialise notre régime, et subalternise notre Parlement. Et je le regrette.

 

PdA : Est-ce qu’à titre personnel vous ne trouvez pas gênant ce système du winner takes all qui fait qu’une qualification pour le deuxième tour, forcément à deux, puisse se jouer à quelques dizaines de milliers de voix ? Macron avec 24%, Le Pen avec 21,3 au second tour... Fillon avec 20% et Mélenchon 19,6% rayés de la carte. Est-ce qu’un de nos problèmes de fond, je rebondis sur notre réflexion précédente, ça n’est pas précisément que ce soit cette présidentielle, et non les législatives, notre élection mère ?

« Un Macron élu devra être humble au regard

des résultats du premier tour... sinon il s’exposera

à une revanche politique des minorités du 23 avril »

F.D. : J’ai entendu Emmanuel Macron rappeler le fonctionnement institutionnel, et le fait de devoir choisir entre deux candidats après le premier tour. Il faut pourtant se garder de tout arrogance (je ne parle pas de personnalité mais bien de politique...). La vérité institutionnelle n’est pas la vérité démocratique qui prévoit également le respect des minorités, surtout quand votre majorité est faible (avec un vote utile dès le premier tour) et que la somme des minorités (filloniste, mélenchoniste, hamoniste etc.) est nettement supérieure à votre propre score. Si Macron ne comprend pas cela, on pourrait assister à une revanche politique des « minorités de premier tour » lors des élections législatives du 11 juin.

 

PdA : Tous les sondages d’après premier tour ont prédit une victoire d’Emmanuel Macron, sur des rapports d’à peu près 60-40. Dans votre série d’anticipation La Présidente, Marine Le Pen est élue à l’Élysée dès 2017. En quoi la réalité qui est en train de s’écrire sous nos yeux vous semble-t-elle différer de ce que vous aviez imaginé ?

F.D. : Il y a quelques heures, j’étais encore dans un état d’esprit similaire à celui qui m’a fait écrire la BD. J’ai même écrit en début de semaine une tribune pour le journal Libération intitulé « Pourquoi Marine Le Pen peut gagner (et pourquoi il faut le dire) ». Aujourd’hui, je dirai plus : « Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire...) ». Je m’explique... D’abord, entre temps, il y a eu la catastrophe industrielle du débat, que je qualifierai presque de faute professionnelle pour Marine Le Pen. Ensuite, je maintiens la parenthèse pour signifier que les citoyens doivent rester éveillés, vigilants et concernés par le vote. Si tout le monde se dit que tout est joué, nous pourrions avoir un taux d’abstention record qui pourrait réserver des surprises en termes d’écart entre les candidats. Ce sont les citoyens qui votent, pas les sondages !

 

La Présidente

Couverture de La Présidente, le tome 1. Éd. Les Arènes, 2015.

 

PdA : Ne pensez-vous pas que l’on néglige un peu la capacité qu’aura eu le Front national de dépeindre le candidat d’En Marche comme l’homme du "système" par excellence (le consensus "libre-échangiste", "européiste" et "mondialiste"), point qui rencontre de manière diffuse un écho certain auprès de franges nombreuses de la population qui ne se reconnaissent pas et se sentent perdues dans le monde tel qu’on l’a façonné ? Est-ce qu’il n’y a pas au fond, non sur le résultat final mais à la marge du score (qui pourrait être plus serré qu’on ne le dit comme vous le suggérez), un espèce d’"effet Trump" à imaginer à la faveur de Marine Le Pen ?

« L’erreur fatale de Marine Le Pen aura été

de refuser de s’ériger en candidate de la droite ;

elle aurait dû à certains égards être

une héritière de la campagne de Fillon »

F.D. : Attention à la comparaison. Car la spécificité française tient à cette idée de report de voix, que Marine Le Pen précisément n’a pas su maîtriser. Trump pouvait camper sur ses positions, en surmobilisant son électorat. Il a même pu gagner avec une minorité de voix ! Mais le système français impose aux deux candidats d’élargir leur électorat du premier au second tour. Et c’est l’erreur stratégique majeure de Marine Le Pen, de méconnaître les conséquences politiques de cette spécificité institutionnelle (du scrutin à deux tours). Au lieu de s’adresser à son électorat, élargi d’un électorat de gauche en colère, elle aurait dû essayer d’apparaître comme la candidate de la droite face à l’ancien ministre de François Hollande. Or, en dénonçant sans cesse le libéralisme de son adversaire, elle lui a presque offert l’électorat filloniste avide de réformes. Et je ne parle pas de cette incroyable erreur lorsqu’elle a fini par dire « Macron-Fillon, c’est pareil ! ». Elle n’aurait pu gagner – précisément – qu’en montrant qu’elle était sur un certain nombre de points une héritière de la campagne de Fillon, capable de porter les espoirs de son électorat.

 

PdA : On peut considérer que, sauf accident majeur, Emmanuel Macron accédera à l’Élysée à la mi-mai. Mais s’agissant des législatives, qui interviendront un mois après la présidentielle, pour le coup on est dans le flou total. Pensez-vous que l’on va s’acheminer vers l’émergence véritable d’une troisième force parlementaire, force centrale procédant de l’élection de Macron (les électeurs feraient le choix de la cohérence), ou bien vers une espèce de situation ubuesque pour la Cinquième version quinquennat, un divided government  à l’américaine parce que les partis traditionnels (et notamment LR) retrouveraient du poil de la bête, reprendraient leurs droits à l’Assemblée ?

F.D. : Je pense qu’il faut déjà avoir en tête, pour penser la politique, le propos de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

La grande question est l’ampleur de cette recomposition, de cette transformation. Qu’est-ce qui va véritablement disparaître ? Qu’est-ce qui va naître ? Qu’est-ce qui va renaître sous une autre forme ?

« "Républicains" contre "Démocrates", on pourrait

fort bien assister à une américanisation

de la vie politique française »

Je vous propose d’analyser la chose à partir d’un constat : quelle est force politique qui est sortie la plus affaiblie du premier tour ? Il s’agit du parti socialiste, avec un peu plus de 6% des voix. En considérant cela, on peut imaginer que se reconstituent quatre forces. Un « parti démocrate » qui serait la majorité présidentielle et qui se nourrirait de visages nouveaux et des ruines de l’ancien parti socialiste. Face à lui, les Républicains limiteraient selon moi les dégâts suite à l’élimination du premier tour. Dans la terminologie, on assisterait à une américanisation de la vie politique française – « démocrates » face à « républicains », américanisation entamée par l’importation des primaires.

À gauche du parti démocrate, une force constituée à partir des Insoumis et de l’aile gauche de l’ex-PS.

A droite du parti républicain, tout dépend du score de Marine Le Pen dimanche prochain. S’il apparaît comme amoindri du fait de l’erreur stratégique lors du débat télévisée, cela pourrait conduire sur un conflit entre les deux têtes de l’hydre anti-mondialiste. Le « nationalisme populiste » de Marine Le Pen et Florian Philippot – mixte d’extrême droite et d’extrême gauche – pourrait être concurrencé par le « nationalisme conservateur » de Marion Maréchal Le Pen – mixte d’extrême droite et de droite traditionnelle. Avec toutes les alliances possibles avec LR au niveau local notamment.

 

PdA : Le 7 mai, le choc sera frontal entre deux visions bien distinctes. Si Macron est élu, il incarnera et aura derrière lui peu ou prou l’ensemble des tenants du consensus évoqué plus haut. Une espèce de synthèse ultime entre progressisme et libéralisme - c’est en tout cas ce qui est affiché. Mais est-ce qu’il n’y a pas là, précisément, le risque qu’en cas d’échec, l’alternative, la seule alternative soit, le coup d’après, le Front national, version soft avec Marine Le Pen ou version hard avec Marion Maréchal ? Une alternative qui cette fois aurait des chances de passer parce qu’on aurait essayé tout le reste ?

F.D. : Je suis d’accord avec vous sur le fait que « faire barrage » ou construire des digues ne suffira bientôt plus. Il faut rendre plus performantes nos politiques publiques.

« La clé pour la suite, c’est d’abord

l’amélioration de la qualité de vie des citoyens »

Il ne faut pas avoir un raisonnement cynique. Le problème principal, ce sont les conditions de vie au quotidien des citoyens. Ce sont ces conditions qui amènent au danger démocratique d’avoir un parti d’extrême droite à la tête du pouvoir. N’oublions pas que parmi ceux qui gagnent seulement 1500 euros par mois, Marine Le Pen n’a pas fait 20% mais bien 30% des voix au premier tour ! Donc il faut souhaiter que la nouvelle majorité réussisse, non pas d’abord pour éviter l’élection de l’extrême droite la prochaine fois, mais pour que les citoyens aillent mieux.

 

PdA : Dans le troisième tome de La Présidente, chroniqué récemment sur Paroles d’Actu, Marion Maréchal est contrainte de céder son fauteuil présidentiel à Emmanuel Macron, allié à Christiane Taubira, tandem auquel vous prêtez des intentions de rénovation profonde du système institutionnel et démocratique. On a déjà abordé quelque peu le sujet plus haut, mais au-delà du débat sur le régime (semi-présidentiel contre présidentiel ou parlementaire) quelles sont à votre avis les réformes les plus nécessaires sur ce front des institutions et de la démocratie ? Que faire pour que soit abaissée la crise du politique et de la représentativité dans notre pays ?

« Face à la "frontière", mantra des

nationalistes, on pourrait mobiliser

autour de l’idée centrale de "formation" »

F.D. : J’ai été frappé par le fait qu’on peut résumer d’un mot la solution proposée par les nationalistes, de Trump à Le Pen : « Les frontières ! ». En revanche, face à eux, il y a une difficulté à comprendre le programme de leurs adversaires. Certes, parce que la voie de la complexité est toujours plus dure à emprunter. Mais je crois qu’ils gagneraient à mobiliser autour d’une idée également identifiable. Pour ma part, je pense à « la formation ». Pouvoir se former toute au long de sa vie est la seule solution pour que chacun trouve sa place au sein de toutes les sociétés dans lesquels il aura à vivre (dans le temps et dans l’espace).

 

PdA : Cette question-là, elle est pour le citoyen François Durpaire, plus que pour l’analyste. Quel message avez-vous envie d’adresser à ceux de nos lecteurs qui seraient, à l’heure où ils nous liraient, des électeurs indécis pour le second tour ?

F.D. : Comme le dirait Kant, « agis comme si ton action pouvait être universalisable ».

 

François Durpaire

Crédits photo : Seb Jawo.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

Publicité
Publicité
4 mai 2017

« Macron ou Le Pen, la laïcité est perdante », par Fatiha Boudjahlat

Fatiha Boudjahlat, enseignante, militante au Mouvement républicain et citoyen (MRC) et auteure de Féminisme, tolérance, racisme, culture : Le grand détournement, essai à paraître aux éditions le Cerf, s’est imposée en quelques mois parmi les contributeurs les plus fidèles de Paroles d’Actu. Trois tribunes lui ont été accordées jusquà présent avec en toile de fond lélection présidentielle : « L'identité républicaine, la plus universelle des singularités » (janvier), « Le retour de la IIIe République » (mi-avril) et « Macron, le rêve américain et la simulation du partage » (écrite juste après le premier tour). Comme pour les trois mousquetaires, voici un quatrième texte, le dernier avant l’ultime round de l’élection - il date de quelques heures après le grand  pugi... débat à deux. Sur un des thèmes qui lui sont chers, très chers : la laïcité, valeur cardinale. Merci Fatiha ! Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Débat

Illustration : Europe 1

 

« Macron ou Le Pen,

la laïcité est perdante. »

par Fatiha Boudjahlat, le 4 mai 2017

On se souvient de la punchline que Clinton infligea à George Bush Père lors de sa première candidature : « It’s the economy stupid ». Cette campagne présidentielle montre au contraire que tout ne se réduit pas à l’économie. La laïcité, le rapport à la Nation, au communautarisme, la lutte contre l’islamisme, s’avèrent déterminants pour le vote du dimanche 7 Mai. Emmanuel Macron et Marine Le Pen, tous deux fans de Jeanne d’Arc, n’ont ni l’un ni l’autre un rapport sain à la laïcité.

« Sur la laïcité, le FN n’a entamé

son virage républicain qu’en apparence...

et dans une visée électoraliste »

Le FN a réalisé un rapt de la laïcité, qui n’est pas dû à la fille, mais au père. Lors d’un discours prononcé au Bourget en novembre 2006, Jean-Marie Le Pen déclarait : « Ils ont cassé l’égalité républicaine. Ils ont cassé l’égalité par l’abandon de la laïcité, seul principe capable de maintenir le "vivre ensemble", malgré nos diversités ancestrales ou récentes, par la frontière bien marquée entre la sphère publique et la sphère privée... Laïcité abandonnée par clientélisme communautaire, cette sordide soumission aux lobbies et autres minorités qui a récemment donné une loi liberticide de plus. Laïcité abandonnée par la mise en avant permanente et arrogante d’origines ethniques souvent mythifiées, au détriment des valeurs communes. Ces valeurs communes unificatrices qui faisaient de la France un pays de diversité et de fraternité où le Breton, comme l’Auvergnat, l’Antillais comme le Savoyard étaient à la fois fiers de leur région ou contrée d’origine. »* Le parti du culte à Jeanne d’Arc en tant que combattante de la foi et de la royauté française, défend à présent ce qu’il méprisait naguère : il a entamé son virage ‘républicain’, en apparence et dans une visée électoraliste. C’est un détournement massif. Le FN est dans une laïcité à géométrie variable, douce avec les chrétiens, dure avec les autres religions du Livre et en particulier, l’islam.

* Vie publique, les discours dans l’actualité.

« L’extrême-droite n’est pas laïque,

elle est anti-islam et lie cette religion

à une ethnie envahissante »

Dans une interview donnée au magazine hebdomadaire Famille Chrétienne*, Marine Le Pen offre un exemple de cette laïcité à géométrie variable : « Je souhaite une laïcité renforcée, parce que je suis une pragmatique : aujourd’hui, la France est confrontée à la montée du fondamentalisme islamiste. Celui-ci se sert de l’argument de la liberté pour en réalité diffuser son idéologie. (...) Pour bloquer ce fondamentalisme islamiste, cela nécessite quelques sacrifices pour les autres religions, notamment pour nos compatriotes de confession juive, en renonçant au port de la kippa dans l’espace public. » Marine Le Pen et l’extrême-droite ne trouvent rien à redire aux revendications des catholiques intégristes. Ses préconisations sont en infraction avec les lois et les jurisprudences européennes et internationales qui posent comme principe la liberté de manifester ses croyances religieuses. On peut être contre le voilement mais aussi, pour prendre la formule Macronienne, « en même temps » être contre son interdiction totale par la loi, qui ne pourra de toute façon jamais être obtenue. Ce ‘renforcement’ concernerait aussi la communauté juive appelée à faire des efforts… de discrétion. À la question, dont la formulation est contestable, du journaliste « Le christianisme et l’islam doivent-ils être traités de manière identique au nom de la laïcité ? Pourquoi faire payer au christianisme les difficultés posées par l’islam ? », Marine Le Pen répond : « Pourquoi se créer des inquiétudes, alors que l’intégralité de l’inquiétude devrait être concentrée sur la montée en puissance du fondamentalisme islamiste, dont, il faut bien le dire, les chrétiens et les juifs peuvent être en particulier des victimes directes. » L’extrême-droite n’est pas laïque, elle est anti-islam et lie cette religion à une ethnie envahissante. La sémantique du FN a changé au sein du Rassemblement Bleu Marine, auteur d’un rapt des mots et des symboles de la République, alors même que la députée frontiste Marion Maréchal-Le Pen s’est dite appartenir à une génération « un peu saoulée par les valeurs de la République » et pour qui « la République ne prime pas sur la France »**. Cette conception de la laïcité portée par le FN n’a rien de républicain. La brutalité des promesses de Marine Le Pen ont peu à voir avec l’autorité dont ses électeurs l’investissent. Son interview valide les thèses indigénistes, qui seraient les grands gagnants de l’élection de Le Pen. Dans l’ouvrage Fatima moins bien notée que Marianne***, François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils affirment que « la laïcité est pour certains politiques devenue un instrument d’agression des minorités ». La laïcité est fustigée comme « conquérante », « extensive », c’est « une laïcité de conquête coloniale », et on repense au vocabulaire de safari employé par Macron : « chasse » et « traque »… La « neutralité laïque servant de paravent aux discriminations »****.

* Certains catholiques aiment se faire peur, article mis en ligne le 8 mars 2017.

** Article éponyme du Point, mis en ligne le 27 avril 2016.

*** Éditions de l’Aube, janvier 2016.

**** Pour une critique complète du livre : http://la-sociale.viabloga.com/news/fatima-moins-bien-notee-que-marianne-cette-nouvelle-sociologie-contre-la-science-et-contre-l-intelligence

« Emmanuel Macron a créé le cadre sémantique,

presque jurisprudentiel, permettant toutes

les revendications communautaristes »

Emmanuel Macron n’est pas plus exemplaire. On se rappelle  son interview par Jean-François Kahn sur la laïcité* qui avait suscité un émoi légitime. Ce n’est pas une maladresse, mais l’expression tranquille de sa pensée empreinte de libéralisme politique. Rappelons cette série d’actes : l’hommage qu’il a rendu à Jeanne d’Arc, son pèlerinage au Puy du Fou aux côtés du désormais frontiste de Villiers, ses rencontres avec des représentants religieux. Il déclarait : « Quand certains réclament des menus dans les écoles sans aucun accommodement et veulent que tous les enfants mangent du porc, ils pratiquent une laïcité revancharde dangereuse ». La laïcité deviendrait dangereuse parce qu’elle serait ‘revancharde’ à l’encontre de l’islam et des Arabes. Avec une alternative qu’il ose poser sans nuance et sans honnêteté : dans les écoles de notre pays, il y aurait soit des menus confessionnels, soit le porc serait obligatoire. Le site de son mouvement « En Marche », à la rubrique laïcité, il y a quelques mois, affichait le même vocabulaire agressif, parlant de « chasse au foulard dans les universités », de « traque dans les sorties scolaires » de « celles et ceux qui peuvent avoir des signes religieux ». Interrogé sur l’islam en France par Jean-François Kahn, Emmanuel Macron répond : « Et qu’on demande à des gens d’être des musulmans modérés ! Demanderait-on à des catholiques d’être modérés ? Non ! On demande à des gens de faire ce qu’ils veulent avec la religion pour eux-mêmes et d’être dans un rapport de respect absolu avec les règles de la République. (…) Dans le champ public, je ne leur demande qu’une seule chose : qu’ils respectent absolument les règles. Le rapport religieux renvoie à la transcendance et, dans ce rapport-là, je ne demande pas aux gens d’être modérés, ce n’est pas mon affaire. Dans sa conscience profonde, je pense qu’un catholique pratiquant peut considérer que les lois de la religion dépassent les lois de la République  ». Avec comme final cette envolée lyrique : « La République est ce lieu magique qui permet à des gens de vivre dans l’intensité de leur religion ». S’il devient légitime que les pratiquants considèrent que les « lois de la religion dépassent les lois de la République », c’est que la loi qui devrait s’appliquer à tous peut être subordonnée aux préceptes religieux d’une communauté et de ses leaders. Même si E. Macron précise qu’il s’agit des convictions personnelles des croyants, ceux-ci ne manqueront pas de vouloir mettre leurs actes en conformité avec leurs convictions profondes, et un candidat à l’élection présidentielle leur en aura donné quitus en validant la primauté des normes religieuses particulières, donc communautaristes, sur le Droit qui s’applique sur l’ensemble du territoire. Emmanuel Macron évoque avec une joie toute évangélique « l’intensité » de la pratique religieuse. C’est un élément de langage derrière lequel les extrémistes s’abritent quand on les renvoie à leurs pratiques rétrogrades : il ne s’agirait en fait que d’orthodoxie. Interrogé par Ali Baddou sur son refus de serrer la main des femmes**, le président-fondateur de l’ONG religieuse Baraka City s’était justifié en donnant l’exemple des juifs orthodoxes qui s’en abstenaient tout autant. Il se décrivait lui et sa pratique religieuse comme « orthodoxes ». On rejettera une pratique religieuse radicale, rétrograde, obscurantiste, mais si elle n’est qu’orthodoxe, nous ne nous y opposerons plus, notamment parce qu’une telle pratique se présente comme conforme au dogme, et que la critiquer reviendrait à s’en prendre au dogme. Les extrémistes, dont nous avalisons la stratégie en adoptant leurs éléments de langage, pourront maintenant dire qu’ils ne font que vivre « dans l’intensité » de leur foi. Emmanuel Macron a créé le cadre sémantique, presque jurisprudentiel, permettant toutes les revendications communautaristes. Il a même pris le contre-pied de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne*** qui a expliqué dans un renvoi préjudiciel qu’une entreprise était tout à fait dans son droit en interdisant dans son règlement intérieur le port du foulard dans certains cas, comme celui de la mise en contact avec les clients. Ce fut une grande victoire pour celles et ceux attachés à la laïcité et opposés à la banalisation du voilement comme pratique ordinaire de l’islam. Emmanuel Macron lui, a préféré évoquer ces femmes en foulard empêchées de travailler. Quant à l’UOIF, qu’il a encore prétendu ne pas connaître lors du débat face à Marine Le Pen, lui qui connaît tant de choses, on ne peut s’étonner de son refus de rejeter le soutien que cette organisation islamiste lui apporte, elle ne fait en effet que « vivre dans l’intensité de sa foi ». Cette formule se referme comme un piège et banalise toutes les radicalités.

* Mis en ligne le 1er octobre 2016.

** Ancienne émission dominicale de Canal +, en date du 24 Janvier 2016.

*** http://curia.europa.eu/…/applica…/pdf/2017-03/cp170030fr.pdf

« Aucun des deux candidats ne défend

une vision de la laïcité conforme à celle des

républicains dignes de ce nom »

Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont une vision de la laïcité opposée en apparence. Mais à la vision multiculturaliste et communautariste de Macron répond la vision identitaire de Marine Le Pen : c’est toujours une conception de la Nation atomisée en segments ethniques, loin de celle à laquelle sont attachés les républicains : un corps politique indivisible. Quel que soit le vainqueur, la laïcité sans adjectif est perdante, ceux qui y sont attachés n’avaient d’ailleurs  guère de représentant durant cette campagne. C’est une drôle de défaite...

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

Elle est auteure de l’essai à paraître (aux éd. du Cerf) :

"Féminisme, tolérance, racisme, culture : Le grand détournement".

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

4 mai 2017

« La science-fiction, viatique pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) », par Jérôme Maucourant

Alors qu’au lendemain du débat qui a opposé les deux finalistes de l’élection présidentielle tout désormais nous donne à croire qu’Emmanuel Macron sera le prochain président de la République, je vous invite vivement à découvrir la contribution qui suit. Son auteur est Jérôme Maucourant, il est chercheur en sciences économiques et enseignant. Ce texte, né dune invitation que je lui ai soumise il y a une dizaine de jours, est exigeant mais riche et enrichissant. Ce regard porté sur le scrutin, sur les forces en présence, visibles et sous-jacentes, le tout utilement mis en perspective, est âpre et sans concession. À la fin, le message est clair, mais avec une infinité de nuance, parce que rien nest simple ou évident nen déplaise à ceux qui ont la leçon de morale - républicaine, forcément - facile : oui, il faut voter pour « Nicole Thibodeaux ». Mais pas un chèque en blanc. « Exigeons du Prince en cours d’élection qu’il donne un signal clair qu’il n’abusera pas du pouvoir. (...) Demandons-lui qu’il existe vraiment et qu’il ne soit pas cet androïde incarnant [cette froide abstraction quon a tous pris lhabitude dappeler] "le système" ». Merci à vous, Jérôme Maucourant, et merci à la fidèle Fatiha Boudjahlat pour sa précieuse intermédiation. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

The Simulacra

Illustration : http://www.flickriver.com

 

« La science-fiction, viatique

pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) »*

par Jérôme Maucourant, le 3 mai 2017

Une prophétie américaine

Philip K. Dick fut rendu célèbre, juste avant sa mort, grâce à une remarquable adaptation cinématographique de l’un de ses romans : Blade Runner. Il est également l’auteur de Simulacres (The Simulacra, 1964), autre œuvre de science-fiction d’une redoutable pertinence pour penser notre monde contemporain. Pas simplement parce qu’on y voit le dernier psychanalyste en exercice : notre monde n’est-il pas celui où la quête de soi a cédé le pas à la recherche de simples techniques efficaces d’influence sur soi comme sur autrui ? Dans ce monde sans âme existe un Président : un androïde, en réalité. La first Lady, Nicole Thibodeaux, exerce la réalité du pouvoir et ne connaît pas l’usure du temps car elle est remplacée par des actrices lorsque le vieillissement fait son œuvre. Plus encore, les partis républicain et démocrate ne font plus qu’un, et la puissance des firmes est telle qu’elles en viennent à contrôler la politique et à s’immiscer de façon suffocante dans l’intériorité de chacun. Et l’odeur du nazisme imprègne ce monde de bien des façons…

« Philip K. Dick avait en son temps parfaitement

saisi le système de simulacres propre au capitalisme

post-totalitaire de la consommation de masse »

Plus de cinquante années après son achèvement, ce texte touffu - mais fort riche - se révèle une anticipation de notre brûlante actualité : Dick avait parfaitement saisi le système de simulacres, économiques comme politiques, propre au capitalisme post-totalitaire de la consommation de masse. Les vies politiques, en France ou aux États-Unis, s’inscrivent dans un paradigme dont nous voyons, jour après jour, l’actualisation de toutes les virtualités. La vérité était chose rare dans l’univers de Simulacres : Trump n’a fait que célébrer, de la façon la plus grotesque qui soit, cette vérité de l’absence de vérité et cette autre vérité que tout est permis. Comme Monsieur Jourdain, Trump fait donc du Nietzsche sans le savoir**. Il nous dévoile un monde de faux semblants, et c’est bien pour cela qu’il attise le ressentiment d’un certaine bourgeoisie intellectuelle-libérale, tellement à l’aise dans ce monde, avide du monopole de la critique et, bien sûr, libérée de tout souci de la vérité depuis bien longtemps***

* Je remercie Nicolas Roche de m’avoir donné l’idée de ce texte qui justifie le bien-fondé de cette pétition « Pas de chèque en blanc pour Emmanuel Macron ».

** « Non, ceux-ci sont loin d’être des esprits libres, car ils croient encore à la vérité... Lorsque les Croisés se heurtèrent en Orient sur cet invincible ordre des Assassins, sur cet ordre des esprits libres par excellence, dont les affiliés de grades inférieurs vivaient dans une obéissance telle que jamais ordre monastique n’en connut de pareille, ils obtinrent ,je ne sais par quelle voie, quelques indications sur le fameux symbole, sur ce principe essentiel dont la connaissance était réservée aux dignitaires supérieurs, seuls dépositaires de cet ultime secret : "Rien n’est vrai, tout est permis"... ». Voir Frédéric Nietzsche, La Généalogie de la Morale, 1887.

*** Son slogan pourrait être celui-ci  : tout n’est que relatif. Sauf cet énoncé…

Hermann Goering voyage dans le temps

L’affaire Mehdi Meklat – du nom de celui qui a envoyé des dizaines de milliers de tweets antisémites et homophobes – illustre parfaitement cette tendance d’une certaine bourgeoise à admirer le lumpenprolétariat. Celui-ci ose, en effet, ouvertement, s’asseoir sur toute forme de règles morales. Tout ce que le Haut-Paris compte de ces très intellectuels jouisseurs transgressifs connaissait parfaitement l’identité de l’auteur à la une de ses magazines ; et d’ailleurs, même après que cela fut connu, France-Culture se bornait à dire que tout cela était fort « complexe »*... Comment cette fraction de l’intelligentsia peut-elle décemment en appeler à la lutte contre le fascisme par un vote Macron le 7 mai 2017, alors qu’elle ne cesse de chérir ce qu’elle désigne par « fascisme » par ailleurs ? D’ailleurs, ces intérêts établis de la sphère culturelle ont assurément oublié que c’est probablement la complexité de Jean-Marie Le Pen qui permet de comprendre son négationnisme ! Mais, deux poids, deux mesures : le père Le Pen n’est pas un « indigène de la République » … Que le lecteur n’oublie pas aussi que, dans un admirable rituel d’inversion, c’est une supposée « fachosphère » qui serait coupable d’une cabale visant Meklat, jeune prodige supposé et déjà publié par le Seuil… Qui ne voit que ce reniement de la morale la plus élémentaire, cette négation de la common decency chère à Orwell, peut nourrir un désir réactif d’ordre qui conduit à bien des dérives ?

« Macron personnifie une politique

post-moderne qui fait bon marché

systématiquement de la vérité » 

Or, notre très probable président, Emmanuel Macron, incarne-t-il une parole de vérité et de courage qui irait à l’encontre de ces tendances néfastes de notre temps ? Il semble que non et qu’il personnifie au contraire une politique post-moderne qui fait bon marché systématiquement de la vérité. Il ne s’agit plus d’user de la ruse, chose naturelle en politique, mais de dire tout et son contraire. Comme vouloir combattre le multiculturalisme et nier simultanément l’existence d’une culture française. Anti- et pro-communautaristes peuvent ainsi se réjouir. Plus encore, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, Macron se découvre, en premier lieu, curieusement, « patriote », thème jamais abordé jusque là. Comme ce mot est un fétiche de Marine le Pen, il se l’approprie sans vergogne pour mieux la qualifier de « nationaliste ». Mais, comment être patriote et nier la culture d’un peuple ? Expliquez cela aux Algériens et Irlandais : ils ne comprendront pas. Personne, à dire vrai, ayant quelque bonne foi en cette affaire ne peut comprendre les mots vides de Macron.

* Xavier de La Porte, « Mehdi Meklat : Internet est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes », La Vie numérique, le 21.02.2017 : « Oui, peut-être… Il y a sans doute chez Mehdi Meklat une complexité qui nous échappe, et lui échappe aussi. Mais voilà, qui d’autre que lui peut le savoir, à condition que lui-même le sache ? Une seule chose est certaine dans cette histoire : avec sa capacité de mémorisation, avec les possibilités qu’il offre de jouer avec les identités, avec ce qu’il permet de cette parole mi-privée mi-publique, avec le sentiment d’impunité qu’offre cette parole, Internet est un lieu compliqué. Mais c’est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes ». URL : https://www.franceculture.fr/emissions/la-vie-numerique/mehdi-meklat-internet-est-un-lieu-encore-plus-complique-pour-les-gens

Ne pas nommer l’ennemi ou la politique de la crainte

Il se découvre aussi, immédiatement après sa révélation patriotique, un grand penchant anti-terroriste. Fort bien. Mais c’est en 2012, avant que tant de grands crimes ne suivent, que Mohamed Merah a assassiné des enfants juifs parce juifs, premier crime de ce genre depuis 1945. Comment peut-on découvrir, ainsi, en une soirée électorale, un tel problème ? N’a-t-il pas déclaré ainsi : « Je ne vais pas inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit »* ? Pour un ancien ministre, candidat depuis quelque temps déjà, la découverte de cette réalité sociale et de l’échec de la politique conduite par le gouvernement auquel il a appartenu est, pour le moins, inquiétante.

Il est encore plus inquiétant de refuser de désigner l’ennemi, ses dispositifs mentaux et matériels, autant de devoirs essentiels du vrai politique. Or, épousant la lâcheté d’un certain libéralisme multiculturel, Macron refuse toute critique sérieuse de l’islamisme (ou islam politique) par peur de critiquer l’islam lui-même ; cette équivalence entre islam et islamisme est d’ailleurs l’inadmissible dogme fondateur de l’idéologie totalitaire des Frères Musulmans. Ne pas combattre ouvertement l’islamisme est une grave faute morale et politique, car l’existence même d’une telle matrice idéologique permet que s’installe chez certains esprits l’idée que le passage à l’acte terroriste est légitime. Alors que l’État social est une réalité en  France, que tant de migrants veulent la rejoindre, que nous sommes loin de la situation de l’Irak détruit par les Anglo-Britanniques ou d’Alep anéantie par les Russes, c’est la « société française » que Macron fustige ! L’Express a ainsi rapporté, rappelons-nous**, que, selon le possible président, « la société française doit assumer une "part de responsabilité" dans le "terreau" sur lequel le djihadisme a pu prospérer. Il a notamment évoqué une disparition de l’idéal républicain de mobilité sociale ». Les morts du Bataclan auraient-ils donc quelque part de responsabilité dans cet assassinat de masse qui les a frappés ?

« Qui ne voit les gages de politiquement correct

adressés par Macron aux ténors d’une bourgeoisie

communautaire émergente ? »

Qui ne voit les gages de politiquement correct adressés ici par Macron aux ténors d’une bourgeoisie communautaire émergente***, jalouse de son capital victimaire ? C’est pourquoi il est une d’indulgence étonnante comme en témoigne son attitude**** face aux comportements communautaristes présents dans son mouvement*****. Faut-il rappeler qu’il n’y a pas d’islamisme modéré ? La logique intellectuelle du CCIF – « frériste » - s’inspire de penseurs comme Sayyed Qotb dont on peut dire le dogme en quelques mots avec un célèbre penseur marxiste arabe : « L’islam, selon Qotb, et avec lui tous les fondamentalistes serait différent et spécifique parce qu’il ne sépare pas le domaine religieux (la croyance) de celui du social (l’organisation du pouvoir de la  famille, de la vie économique »******. Il n’existe pas quelque chose comme un totalitarisme « modéré » avec des expressions parfois « radicales ». Le totalitarisme religieux (islamisme à la Hassan al-Banna, Sayyed Qotb et Tariq Ramadan) ou racial (nazisme) est un totalitarisme. On ne peut transiger avec lui : on doit le combattre.

Sans doute, moins que les questions politiques, la question économique ne se prête pas à autant de manœuvres visant à divertir l’attention de l’électeur. Longtemps, on a reproché à Macron de ne pas avoir un programme : c’était là une injustice affreuse. Car, notre probable président a toujours fait de la soumission aux normes de l’Union européenne l’essentiel de ses préoccupations. Bien sûr, le mot de soumission - comme acceptation de l’hégémonie du capital allemand et imitation d’un modèle de domination pour les autres classes dominantes de l’Europe - n’est pas mis en avant. Il s’agit plutôt, comme on le fait depuis trente ans,  d’affirmer qu’il faut adapter les Français frileux et arriérés aux « grands vents » de la mondialisation et de « construire l’Europe » etc. Comme si les inégalités n’avaient pas explosé, comme si Trump et Poutine n’étaient pas aux commandes …

* Sur RTL, rapporté par France Télévisions, le 21/04/2017.

** Le 23 novembre 2015, selon L’Express, publié le 23/11/2015.

*** Dont une expression associative est le Collectif contre l'Islamophobie en France (CCIF).

**** A propos de la récente affaire Saou : « C’est un type bien. C’est un type très bien, Mohamed. Et c’est pour ça que je ne l’ai pas viré », dit-il selon l’échange diffusé sur le Facebook Live de la station de radio. Tout juste le candidat admet-il « un ou deux trucs un peu plus radicaux. C’est ça qui est compliqué. » Voir LeFigaro.fr, « Macron qualifie de "type bien" son ex-référent accusé d’accointances avec le CCIF », le 15/04/2017.

***** Ces dires rapportés par le Figaro sont fiables : il n’y a pas d’exagération relativement à la vidéo disponible. Quoi qu’on pense du Figaro par ailleurs... L’extrême-droite islamiste, incarnée par le CCIF et ses satellites, bénéficie encore ici de la « complexité » de la situation. Complexité alléguée dont ne bénéficie pas l’extrême droite traditionnelle ni ceux qui se refusent à signer un chèque en blanc à Macron  pour le second tour ne la présidentielle : ceux-là sont considérés comme moralement condamnables, comme Jean-Luc Mélenchon, et non pas comme politiquement discutables. Cette moralisation du débat public et ce « deux poids, deux mesures » systématique a quelque chose de proprement intolérable.

****** Samir Amin, La déconnexion – comment sortir du système mondial, Paris, La découverte, 1986.

L’arrivée de Thorstein Veblen

« La fonction de protection, propre

millénaire du pouvoir, doit-elle être

effacée de la discussion politique ? »

L’autre problème – étroitement lié aux précédents -, c’est-à-dire la « subordination de l’industrie à la finance », pour reprendre un mot du grand économiste et sociologue américain, Thorstein Veblen*, n’est jamais posé par Macron. Ses actes, lorsqu’il était ministre, laissent présager plutôt un dédain de l’économie matérielle**, alors qu’elle doit être la fin de la politique économique, la finance n’étant qu’un moyen. Tout se passe comme si il suffisait de faire en sorte que les marchés soient les plus souples possibles, qu’aucune entrave ne leur soit  opposée pour que chacun puisse goûter des dividendes de la liberté capitaliste. Pourtant, la crise de 2008 a eu lieu ! Doit-on également occulter les dégâts causés par une concurrence inique portant sur les règles (environnementales, fiscales, sociales), et non pas sur les seuls biens et services ? Comme si la fonction de protection*** – propre millénaire du pouvoir – devait être effacée de la discussion politique. Il est certes évident que les intérêts établis (de plus en plus héréditaires) de notre société ne veulent pas d’obstacle à leur démesure…

* Sur cet auteur : http://thorstein.veblen.free.fr.

** « Tant pis si ce grand ministre de l’Économie a vendu deux aéroports, notamment celui de Toulouse-Blagnac, stratégique puisque Airbus y a une partie de ses usines. Et tant pis s’il l’a bradé pour une rentrée d’argent rapide et facile, à un riche Chinois qui depuis est en fuite parce qu’il est poursuivi par la justice de son pays. Comment imaginer que pour faire rentrer de l’argent, il ne vendra pas les bijoux de famille, puisqu’il n’a qu’un attachement vague à la France, lui qui incarne la mondialisation et ce qu’elle porte de dilution des identités nationales. Non, il incarne la réussite. » Voir Fatiha Boudjahlat, « Macron, le rêve américain et la simulation du partage », le 24 avril 2017.

*** Voir du regretté Philippe Cohen, Protéger ou disparaître. Les élites face à la montée des insécurités, Gallimard, 1999.

Peut-on raisonnablement voter pour Macron ?

Dans de telles conditions, voter en faveur de Macron serait pure déraison, si n’existait, en face de lui, une candidate effectivement redoutable, Marine Le Pen. Non que le Front national soit fasciste* : c’est plus un avatar de cet inquiétant mouvement de fond des sociétés occidentales qui a permis à des Trump, Orban etc. d’accéder au pouvoir. Parler de façon inconsidérée du fascisme, comme certains parlent de génocide à tout propos (souvent les mêmes), ne fait que démobiliser les consciences et banalise des événements comme la Shoah. En vidant les mots de leur sens, on produit le contraire de ce qui est attendu. Le problème est plutôt que Marine Le Pen ne soit pas républicaine au sens de la tradition française du républicanisme. Celle-ci se fonde sur la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, ce qui interdit de mépriser autant l’un que l’autre. Et c’est pourquoi les transferts de souveraineté faisant éclater l’identité toute française entre citoyenneté et nationalité** vont contre l’esprit de notre république, c’est pourquoi la doctrine de la « préférence nationale » mutile son âme. Il n’est point besoin d’agiter l’épouvantail du fascisme.

Il ne s’agit nullement donc de nier la légitimité de l’organisation politique d’un peuple singulier sous la forme de la nation et le droit de ce peuple à organiser la venue d’autres hommes sur son territoire. Mais, dès que des hommes vivent ou travaillent dans le territoire de la République, ils bénéficient d’une égale dignité (qui n’existe pas nécessairement dans leur pays d’origine, d’où leur arrivée). C’est notamment vrai dans le cadre du travail : comment penser de façon républicaine que les droits sociaux attachés aux travailleurs puissent varier selon l’origine de ceux-ci, sinon à nier leur égale dignité ? On mesure l’extraordinaire responsabilité de ceux qui, détruisant le cadre de la souveraineté nationale, favorisent le recours à un parti qui prétend la défendre… On objectera que bien des « républiques » (en Turquie, en Iran etc.) font des discriminations selon l’origine et qu’un même mouvement s’enclenche en Europe. Disons que, d’un point de vue français, ce sont des États, et non des républiques, et que dans certains cas, ces États ont un régime économique et un système politique qui les rapprochent, effectivement, du vieux fascisme européen. Raison de plus pour les combattre ouvertement, notamment sous le drapeau de la laïcité, ce que ne fait pas Macron.

« Ce n’est pas tant le racisme que le sentiment

d’une confiscation de la démocratie

qui alimente le vote FN »

Comment alors s’assurer que le Pen ne soit pas élue ? Il suffit d’entendre la rue, qui ne veut redonner un blanc-seing à un président élu comme le fut Jacques Chirac en 2002, et donc de s’engager à former un gouvernement d’union nationale qui autorise, sur certains points, la consultation du peuple par voie référendaire. Notamment pour faire évoluer le système de représentation afin que ne se reproduise plus jamais une situation où, avec 17 % des inscrits au premier tour, l’on puisse aisément gouverner la Nation toute entière en empêchant tout débat de fond. Le fait de refuser, par avance, toute discussion sur ce point au nom d’un supposé danger fasciste, c’est exciter les citoyens à manifester leur colère en votant Le Pen en raison de ce sentiment de dépossession monstrueux qui ne peut que justement les saisir. Ce n’est donc pas par racisme que, fondamentalement, tant de citoyens se sentent autorisés à un tel vote mais parce que la démocratie leur est confisquée.

Macron peut accéder au pouvoir, les cosouverains doivent même lui donner ce mandat ; mais, il ne doit pas abuser de ce pouvoir. Malheureusement, il ne donne aucun signe de renoncer par avance à cet abus que lui permet cette situation extraordinaire. Tous ceux qui estiment normal de ne pas exiger de Macron quelque engagement de la nature de ceux que nous évoquons, qui nous pressent de se fier à sa seule personne comme le réclame le vénérable maire de Lyon, ne font que favoriser un vote de protestation. Jamais le libéralisme n’a justifié autant de distance par rapport à l’exigence démocratique : persévérer ainsi, c’est construire les fondements d’une apocalypse en 2022.

* On ne peut à tort et à travers qualifier de néofascistes ces nouvelles formes politiques. Le fascisme doit être pensé avec des matériaux historiques rigoureux, qu’on peut trouver par exemple dans les Essais de Karl Polanyi (Seuil, 2008 ; inspiré par ces thèses, voir Jérôme Maucourant, « Le nazisme comme fascisme radical », Augustin Giovannoni, Jacques Guilhaumou, Histoire et subjectivation, Kimé, pp.197-218, 2008). Un des facteurs essentiels du fascisme est la non-reconnaissance des élections démocratiques (qu’elles soient politiques ou syndicales) et la dictature économique des propriétaires des moyens de productions. C’est pourquoi le nazisme a impliqué une privatisation de la politique économique du Troisième Reich (comme l’a suggéré Nobert Frei dans L’État hitlérien et la société allemande - 1933-1945, Le Seuil, 1994). La planification nazie était l’expression même d’un pouvoir de classe. L’entreprise, à l’image de la “communauté nationale”, est dirigée par un “Führer” qui n’est rien d’autre que l’ancien patron. Or, le capitalisme ne veut plus, pour l’essentiel, perpétuer sa domination par ce genre de procédés qui impliquait les camps et la terreur au quotidien. L’actuelle mondialisation est bien plus efficace, à cet égard, outre qu’elle est porteuse de profits bien plus amples et aisés à obtenir que par un recentrage de l’économie sur un cadre national ou même continental. Nul hasard donc à ce que la colère contre le système socio-économique se nourrisse du mépris du verdict des urnes… Orban et (Marine) Le Pen ne n’inscrivent pas dans le sillage de Hitler, dont Polanyi nous rapporte ces propos : « la démocratie en politique et le communisme en économie sont fondés sur des principes analogues ». Beaux paradoxes de notre temps ! Enfin, le fascisme comme le nazisme, qui était un fascisme radical, se proposait de créer un homme nouveau. Karl Polanyi précisait ce point en commentant la signification d’une institution fasciste : les corporations. Elles brouillaient la distinction entre l’économique et la politique au seul profit de l’économie de la façon suivante : «  [Les corporations] se transforment en dépositaires de presque tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires qui relevaient auparavant de l’État politique. L’organisation effective de la vie sociale repose sur un fondement professionnel. La représentation est accordée à la fonction économique : elle devient alors technique et impersonnelle. Ni les idées ni les valeurs ni le nombre des êtres humains concernés ne trouvent d’expression dans ce cadre. Un tel ordre ne peut exister sur la base de la conscience humaine telle que nous la connaissons. La période de transition vers un autre type de conscience est nécessairement longue. Hitler parle en termes de générations pour donner une idée de sa durée. » (Essais de Karl Polanyi, op. cit., p. 394).

** Voir Claude Nicolet, Histoire, Nation, République, Paris, Odile Jacob, 2000.

Déjouer le jeu des simulacres politiques en dépit d’un nécessaire vote Macron

L’antisémitisme, qui s’est développé sur fond d’une mondialisation libérale, s’est infiltré comme jamais à gauche, comme le montre l’affaire Meklat. Le communautarisme – lié fondamentalement à cet antisémitisme - ne semble pas constituer un problème pour Macron. Comme l’illustre la belle métaphore des voyages dans le temps d’Hermann Goering à la rencontre de Nicole Thibodeaux, la question nazie, cette maladie de la modernité, demeure irrésolue. Dick avait aussi bien anticipé cette constitution d’un parti unique de la pensée unique : Macron se veut ainsi le chef du parti du « progrès », d’une gauche et d’une droite réunifiées sous sa férule. Le parti du « progrès » - dans sa terminologie - s’oppose aux conservateurs de tous ordres : peu lui importe que, parmi ses conservateurs, nombreux sont ceux qui veulent conserver la nature, une certaine idée de la société, de l’école, et que, pour eux, à la différence de Macron, le but est tout et le mouvement n’est rien.

« Oui, il faut voter pour Nicole Thibodeaux...

mais pas sans garantie ! »

Faut-il voter pour Nicole Thibodeaux, allégorie d’un pouvoir politique se vidant de sa substance aux profits de puissants intérêts privés ? Oui. Mais, de grâce, cessons de faire la leçon de morale à ceux qui craignent légitimement la possibilité d’un terrible abus de pouvoir. Exigeons du Prince en cours d’élection qu’il donne un signal clair qu’il n’abusera pas du pouvoir. Bref, demandons-lui qu’il existe vraiment et qu’il ne soit pas cet androïde incarnant le « système » ; selon ce terme si curieusement « populiste »* qu’il emploie, comme Marine Le Pen… En général, ceux qui ne posent pas cette question essentielle favorisent le contraire de ce qu’ils souhaitent. Mais certains, parmi eux, nous le savons, se réjouissent, en réalité, de cette aubaine qui permettra à l’Union européenne de continuer à défaire la République.

Il nous faut voter pour Nicole Thibodeaux : Dick, au secours !

* Selon l’AFP, 16/11/2016, « Emmanuel Macron a levé mercredi à Bobigny le faux suspense en annonçant sa candidature "irrévocable" à l’élection présidentielle, en opposition au "système", compliquant encore les projets de son parrain en politique, François Hollande ». URL : http://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-candidat-a-l-election-presidentielle-16-11-2016-2083431_20.php

 

Jérôme Maucourant

Jérôme Maucourant est chercheur associé

en sciences économiques (délégation CNRS au lab. HiSoMA).

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

24 avril 2017

« Macron, le rêve américain et la simulation du partage », par Fatiha Boudjahlat

Emmanuel Macron, candidat porté par le mouvement En Marche !, totalement inconnu du public il y a trois ans, a réussi le tour de force de se positionner hier soir à la première place de l’élection présidentielle. Il sera opposé lors du second tour à la présidente du Front national Marine Le Pen, donc, de facto, au vu des forces en présence, de la « machine en marche », il sera le prochain président de la République - n’est-ce pas d’ailleurs un vainqueur sans partage qu’il nous a donné à observer aux dernières heures de ce dimanche ? Fatiha Boudjahlat, enseignante et militante au Mouvement républicain et citoyen (MRC), a choisi de consacrer à M. Macron l’espace de tribune libre que je lui ai proposé au lendemain de ce premier tour. Il y a onze jours, dans ces mêmes colonnes, elle prédisait un « retour à la IIIème République »... Je la remercie pour cette fidélité, une fois de plus. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

E

Illustration : francetvinfo.fr

 

« Macron, le rêve américain

et la simulation du partage »

par Fatiha Boudjahlat, le 24 avril 2017

Une de mes élèves m’a expliqué que son père avait voté pour Macron parce que celui-ci avait présenté des mesures en faveur des ouvriers. Vraiment ? Cela m’avait échappé… Pourquoi ce vote en faveur de Macron  ? Outre les fans-de-l’idole, les européistes et les hyper angoissés du vote utile anti-FN du premier tour, Macron a aussi attiré le vote des couches populaires.

Cela me rappelle un documentaire dans lequel un journaliste interrogeait une femme noire d’un milieu très modeste qui avait voté pour Rudolph Giuliani, soit contre ses intérêts de classe. J’ai été très marquée par sa réponse : « Je voulais voter pour celui qui allait gagner ». Elle voulait être, elle la perdante de l’économie et de la société, du côté des vainqueurs, des puissants. Elle n’a pas voté pour un programme, mais pour l’homme en lui-même. Pas sa personnalité, non, le côté winner.

« Le vote Macron revient un peu à goûter

à sa réussite... par procuration »

N’est ce pas ce qui séduit aussi chez Macron ? Son côté chanceux, l’impression de baraka qu’il véhicule, sa ‘gagne’ ? Ceci ajouté au vide de sa personnalité et de son programme… permet à chacun d’y projeter ce qui l’arrange. Il est assez vide et assez magnifique pour que les perdants de la mondialisation lui accordent leurs suffrages, par lesquels ils goûteront un peu à cette réussite.

« Il n’a aucune colonne doctrinaire solide :

il est son propre programme »

Et tant pis s’il est entouré de félons ou de personnes mues par la rancune, comme l’ex-président de la Région Île-de-France, Huchon. Tant pis si ce dangereux rebelle n’a en fait accompli que la carrière des honneurs classiques: Sciences-Po, ENA… puis un petit tour dans la banque, qui est juste de la haute-fonction publique au service d’intérêts privés. Tant pis s’il ne cesse de se contredire, défendant ici la laïcité qu’il présente comme revancharde ailleurs, ou encore lorsqu’il évoque ces multitudes de cultures qui font la France tout en disant s’opposer au multiculturalisme et alors même qu’il n’y a pas de culture française. Tant pis si dans sa bouche la colonisation, présentée par lui comme bénéfique avant, devient un crime contre l’humanité après, pour rétrograder en « crime contre l’humain » dernièrement. On ne lui en tient pas rigueur. Il est magnifique, avec son fameux « en même temps », qui prouve qu’il n’a pas de colonne doctrinaire solide, il est son propre programme.

Tant pis si ce grand ministre de l’Économie a vendu deux aéroports, notamment celui de Toulouse-Blagnac, stratégique puisque Airbus y a une partie de ses usines. Et tant pis s’il l’a bradé pour une rentrée d’argent rapide et facile, à un riche Chinois qui depuis est en fuite parce qu’il est poursuivi par la justice de son pays. Comment imaginer que pour faire rentrer de l’argent, il ne vendra pas les bijoux de famille, puisqu’il n’a qu’un attachement vague à la France, lui qui incarne la mondialisation et ce qu’elle porte de dilution des identités nationales. Non, il incarne la réussite.

« Macron est un candidat américain : il use

des codes et méthodes des campagnes

américaines... sans les maîtriser vraiment »

Il est un candidat américain, il incarne le rêve américain et c’est une première en France. D’où cette mise en récit stupéfiante sur sa réussite républicaine qui lui a permis de devenir ministre et de s’enrichir avant. Ses méthodes, sa campagne furent américaines. Il a tenté d’en adopter le code linguistique avec le public address, sans en avoir les capacités vocales ou en maîtriser vraiment la forme : « La culture américaine penche en politique vers le pouvoir amical mais ferme du public address, l’art de s’exprimer en public - un président américain est une machine à faire des discours - combiné avec une version de debate, à savoir conversation, qui n’a rien à voir avec ce que nous appelons la conversation, qui est une technique de simulation du partage. »* Ne serait-ce pas la clef du succès électoral de Macron ? Cette « simulation du partage » de sa réussite ? De sa chance ? De son destin de presque petit poucet ?

* P.J Salazar, Paroles Armées. Lemieux éditeur, 2015.

« Et pourtant il faudra voter pour lui...

un choix contraint, qui n’éblouit que les naïfs

et ne séduit que les cyniques... »

Et pourtant, il faudra voter pour lui. Parce que l’alternative est pire. Parce que l’alternative n’appartient pas au repère orthonormé de tout républicain intègre. Mais c’est un choix contraint. Qui n’éblouit que les naïfs et ne séduit que les cyniques.

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

26 novembre 2015

« Manque-t-il un roi à la France ? » par Jean-Christian Petitfils

« Il manque un roi à la France » : la formule d’Emmanuel Macron, ministre volontiers iconoclaste de l’Économie dans l’actuel gouvernement socialiste (Le 1 hebdo, 8 juillet 2015), n’a pas manqué de faire réagir. Sans doute aurait-elle mérité de susciter davantage de débats, tant il est vrai qu’elle pointe une réalité - le déficit d’incarnation au sommet de l’État - prégnante au cœur de nos institutions (le président de la République, premier des représentants de la nation sur le papier, est aussi l’acteur numéro un de la vie politique ; élu au suffrage universel direct, il émerge de mécanismes partisans et demeure dans les faits, de plus en plus, l’homme d’un camp - sous entendu : « face à l’autre camp/homme »).

À la mi-octobre, j’ai souhaité proposer à M. Jean-Christian Petitfils, historien populaire de renom (une nouvelle édition de son Louis XVI de référence vient de sortir chez Perrin, en même temps que Lauzun, biographie du célèbre courtisan de Louis XIV, chez Tempus/Perrin), de composer autour du thème que nous venons de poser sa propre partition. Je le remercie d’avoir une fois de plus - il avait déjà répondu à des questions pour Paroles d’Actu en décembre 2014 - accepté de se prêter au jeu, pour notre plus grand plaisir. Un document éclairant en plus d’être passionnant. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Jean-Christian Petitfils 

 

« Manque-t-il un roi à la France ? »

par Jean-Christian Petitfils, le 25 novembre 2015

 

Qu’un ministre de la République en fonction - et qui plus est, l’un des plus importants -, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique depuis août 2014, ait pu affirmer qu’il manquait « un roi à la France » et que « la démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même » peut paraître étonnant assurément (Le 1 hebdo du 8 juillet 2015). Cependant, en privé, bien des hommes politiques de gauche comme de droite le rejoignent sur le fait qu’il manque à la tête de l’État une figure impartiale – un « pouvoir neutre », comme disait Benjamin Constant - capable de représenter la France dans son unité et sa continuité. Ils s’accommoderaient très bien d’une monarchie parlementaire, comme en Grande-Bretagne, en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas ou dans les pays scandinaves. Mais, en politique, il ne suffit pas de rêver pour transformer en réalité ce qui est aujourd’hui de l’ordre de la chimère.

La France a connu une histoire très différente de ses voisins. Le roi y est mort trois fois. La première fois, le 10 août 1792, lorsqu’une petite minorité de sans-culottes parisiens, de sectionnaires et de fédérés (les Marseillais venus à Paris en chantant le « Chant de guerre de l’armée du Rhin », qui devint ainsi La Marseillaise) s’est emparée des Tuileries et a renversé la monarchie constitutionnelle issue de la Constitution de 1791. Comme chacun sait, dans la turbulence des événements, la Révolution fut conduite à la proclamation de la République, à instruire le procès de Louis XVI et à le faire décapiter le 21 janvier 1793, lors d’une cérémonie publique assimilable à un découronnement sanglant. Ce ne fut pas seulement le roi constitutionnel qui fut alors exécuté sur la place de la Révolution (actuelle place de la Concorde), mais le roi Très-Chrétien, l’Oint du Seigneur, héritier de la longue dynastie des Capétiens ayant reçu l’onction du sacre (le fait qu’on ait appelé Louis XVI « Louis Capet » est éloquent à cet égard).

La seconde fois, ce fut le 2 août 1830, lorsque Charles X, retiré à Rambouillet après la Révolution de Juillet, abdiqua.

La troisième et dernière fois, ce fut à l’automne de 1873. Alors que la restauration paraissait sur le point d’aboutir – la majorité appartenait aux royalistes à l’assemblée -, le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, crispé dans une attitude contre-révolutionnaire, réaffirma son attachement au drapeau blanc et rejeta le drapeau tricolore qui aurait fait de lui, selon ses propres termes, « le roi légitime de la Révolution ». Son lointain cousin Juan Carlos, de la branche espagnole de la maison de Bourbon, n’a pas eu de tels scrupules lorsqu’il prêta serment en 1975 au Movimiento Nacional franquiste, tout en préparant secrètement le retour à la démocratie… « Paris vaut bien une messe », avait dit Henri IV ! Le dernier rendez-vous de la monarchie et de l’histoire de France fut ainsi raté, stupidement. L’Histoire ne repasse pas les plats.

Si l’Action française a pu devenir un mouvement royaliste relativement attractif entre les deux guerres, ce fut en raison de la faiblesse congénitale de la IIIe République, de son système parlementaire instable et des scandales à répétition qui avaient terni son image. Mais elle fut loin de s’imposer ou de dominer la droite.

Le régime de la Ve République a changé la donne avec l’instauration d’un parlementarisme rationalisé, l’élection au suffrage universel du président de la République. Certes, tout n’est pas parfait dans l’actuel système constitutionnel, et ses défauts se sont aggravés avec le référendum du 24 septembre 2000 instaurant le quinquennat : le président n’est plus que le chef d’un parti majoritaire, soignant sa clientèle en vue de sa prochaine réélection plutôt que l’homme de la Nation au-dessus des partis, comme l’avait voulu Charles de Gaulle. Mais cette monarchie républicaine à laquelle les Français sont très attachés, particulièrement à l’élection du président au suffrage universel, a détruit, semble-t-il à jamais, le principe même de la monarchie héréditaire.

En attendant une très hypothétique restauration monarchique, contentons-nous de défendre notre belle cathédrale pluriséculaire qu’est la France, aujourd’hui si douloureusement assaillie. Qu’on le veuille ou non, « la République une et indivisible, comme le disait Charles Péguy, c’est notre royaume de France. »

 

Une réaction, un commentaire ?

Et vous, pensez-vous qu’il manque un roi à la France ?

Suivez Paroles d’Actu via Facebook et Twitter...

Publicité
Publicité
<< < 1 2
Paroles d'Actu
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 056 834
Publicité