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Paroles d'Actu
16 juin 2016

« Nations constitutives du Royaume-Uni : positions et perspectives en cas de Brexit », par Edwige Camp-Piétrain

Le 23 juin, dans une semaine donc, les Britanniques seront appelés aux urnes pour se prononcer sur une question cruciale dont l’issue, qui fait déjà largement l’objet de spéculations, aura à l’évidence des retombées bien au-delà des frontières du Royaume : faut-il rester membre de l’Union européenne ou bien la quitter ?

J’ai souhaité proposer à Mme Edwige Camp-Piétrain, professeur des Universités (elle est actuellement en poste à Valenciennes) spécialiste des questions de dévolution et d’indépendantismes au sein du Royaume-Uni, de nous livrer son sentiment quant à la manière dont chacune des nations constitutives du pays va aborder ce référendum et réagir à son résultat - trop incertain à cette heure pour qu’un pronostic clair puisse être établi même si, on peut l’imaginer, une certaine peur de l’inconnu entretenue à dessein fera peut-être basculer la majorité dans le camp du maintien, in extremis.

Je remercie Mme Camp-Piétrain, qui avait déjà richement éclairé les lecteurs de Paroles d’Actu sur l’affaire du référendum écossais en septembre 2014, pour son texte très instructif et qui a été élaboré, donc, autour de la thématique suivante, posée le 8 juin : « Angleterre, Écosse, pays de Galles, Irlande du Nord : positions et perspectives en cas de Brexit ». Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

« Angleterre, Écosse, pays de Galles,

Irlande du Nord : positions et perspectives

en cas de Brexit »

par Edwige Camp-Piétrain, professeur des Universités (u. de Valenciennes)

UK EU flags

Source de lillustration : http://www.express.co.uk

 

« Ce sont surtout les Anglais qui veulent quitter l’UE »

Le 23 juin, les Britanniques vont se prononcer par voie référendaire sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Si les critiques à l’égard des institutions européennes sont fréquentes, la volonté de quitter l’UE est nettement plus répandue en Angleterre que dans les trois autres nations, pays de Galles et, surtout, Écosse et Irlande du Nord.

Ainsi, les principaux thèmes de la campagne référendaire ne sont pas perçus de la même manière dans les différentes nations.

S’agissant de l’immigration en provenance de l’UE, ce sont surtout les Anglais qui veulent la limiter, tandis que les Écossais ont tendance à la juger plus favorablement. Les Irlandais du Nord craignent le retour d’une frontière avec la République d’Irlande.

En ce qui concerne l’économie, si nombre d’Anglais pensent pouvoir se libérer des contraintes réglementaires européennes, les habitants des autres nations préfèrent mettre en avant les avantages économiques et sociaux liés à l’adhésion. Quant à la souveraineté, une forte proportion d’Anglais entend la recouvrer en s’affranchissant du joug bruxellois. Les autres nations sont habituées à la partager entre les institutions britanniques historiques, les institutions européennes depuis 1973, et les institutions décentralisées créées à Edimbourg, Cardiff et Belfast en 1999.

« En cas de Brexit, les positions

indépendantistes seraient renforcées »

Ces divergences d’appréciation pourraient se traduire dans les urnes lors du référendum, seuls les Anglais se prononçant en faveur d’une sortie de l’UE. Cependant, étant donné le poids démographique de l’Angleterre, cette décision s’imposerait au reste du Royaume-Uni. Nombre d’indépendantistes écossais ont déjà affirmé qu’une telle situation pourrait justifier un second référendum sur l’indépendance de l’Écosse. Certains nationalistes en Irlande du Nord ont évoqué un référendum visant à réunifier l’Irlande, ce qui pourrait raviver les tensions communautaires en Ulster. Le vote du 23 juin pourrait donc avoir des répercussions sur l’unité du Royaume-Uni.

par Edwige Camp-Piétrain, le 16 juin 2016

 

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13 mai 2016

François Delpla : « Hitler avait tout misé sur une victoire éclair... »

L’historien François Delpla s’est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans dans l’étude de la Seconde Guerre mondiale et du nazisme. Dans son dernier ouvrage en date, Hitler : propos intimes et politiques, paru en deux tomes chez Nouveau Monde éditions (le premier en janvier, le second à la fin de l’année), il s’attache à traduire, analyser et contextualiser une somme impressionnante de propos et mots du Führer. Il a accepté avec enthousiasme - je l’en remercie chaleureusement - de se prêter pour Paroles d’Actu au jeu des questions-réponses que je lui ai soumis pour un grand format autour d’une thématique, « Questions d’histoire : Hitler ». Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

QUESTIONS D’HISTOIRE : HITLER

« Hitler avait tout misé sur une

victoire éclair contre la France »

Interview de François Delpla

Q. : 12/05 ; R. : 13/05.

Propos

Propos intimes et politiques : 1941-1942 (Nouveau Monde éditions, 2016)

 

L’Allemagne aurait-elle regardé Adolf Hitler comme un « grand » homme d’État (à l’image d’un Frédéric ou d’un Bismarck) s’il avait disparu juste après les « accords » de Munich ?

Oui… mais à plusieurs conditions, difficiles à réunir. Il aurait fallu...

- que l’Allemagne consolide et conserve les progrès qu’il lui avait fait faire, quant à son rang international ;

- que la prétendue question juive soit résolue dans le sens d’un retour au statu quo juridique (les juifs déjà partis ne seraient sans doute pas revenus en masse, mais au moins ceux qui restaient, ou arrivaient pour quelque raison que ce soit, auraient retrouvé des droits identiques à ceux des non-juifs, seule situation acceptable au XXème siècle) ;

- que la succession de Hitler débouche, non sur une guerre de revanche, mais sur une stabilisation de la situation internationale.

Dans ces conditions, il pouvait se produire ce que Churchill appelait de ses vœux, notamment dans un article du 17 septembre 1937 :

« En plusieurs occasions j’ai appelé publiquement à ce que le Führer de l’Allemagne devienne maintenant le Hitler de la paix. Quand un homme mène une lutte désespérée, il se peut que ses dents grincent et que ses yeux lancent des éclairs. La colère et la haine soutiennent le courage du lutteur. Mais le succès devrait amener un adoucissement et un apaisement sur le visage et, en corrigeant l’humeur pour l’adapter aux circonstances nouvelles, préserver par la tolérance et la bonne volonté ce qui a été acquis par la lutte. »

On aurait considéré l’idéologie nazie comme un échafaudage temporaire, propre à tendre les forces de la nation derrière un pouvoir autoritaire le temps de rétablir son rang. On aurait pu aussi attribuer les folles imprécations de Mein Kampf à des tâtonnements de jeunesse, et considérer que les réalités avaient peu à peu poli l’auteur en lui inspirant des attitudes raisonnables. La crise des Sudètes n’était qu’une répétition générale avant de frapper les trois coups un an plus tard contre la Pologne, dans des conditions militaires et diplomatiques grandement améliorées : cette réalité aurait risqué de rester inconnue longtemps, et même toujours. Seuls de rares historiens auraient creusé la question, et de l’idéologie nazie, et de la stratégie que le décès de Hitler avait tuée dans l’œuf. Il n’est pas sûr qu’ils aient diagnostiqué que ce décès avait sauvé in extremis l’humanité d’une immense catastrophe, dont le scénario de 1945 n’était que la version la plus douce, grâce à la ténacité de Churchill au moment de la chute de la France.

Dans un exercice d’histoire contre-factuelle, ce scénario aurait été, lui, parfaitement impensable ! Aucun passionné d’uchronie n’aurait eu l’audace d’imaginer que l’histoire aurait produit le même jour, c’est-à-dire le 10 mai 1940, le poison et l’antidote, l’offensive de Hitler contre la France et la venue de Churchill au pouvoir. Mais encore une fois, qui se serait posé la question d’une éventuelle application de Mein Kampf si le Diable avait rappelé l’auteur à lui en octobre 1938 ?

 

Un statu quo diplomatique favorable à une perpétuation (et donc à un renforcement) funeste de l’État et de la société nazis se serait-il imposé si, dans l’hypothèse précédemment citée, le successeur d’Hitler à la tête du Reich avait opté pour une attitude de modération au-dehors ? (je précise ma pensée : si le successeur d’Hitler avait choisi de ne pas envahir la Pologne en 1939 ou s’il avait obtenu une satisfaction relative sur la question de Dantzig, les démocraties auraient-elles bougé contre l’Allemagne nazie ?)

Le nazisme n’est pas une nouvelle conception des rapports sociaux ou politiques à l’intérieur des frontières d’un pays, c’est un mouvement tendu vers la guerre et vers un rééquilibrage des relations entre puissances, obtenu par surprise avant que quiconque ait compris où Berlin voulait en venir. Alors de deux choses l’une : ou bien Hitler avait prévu sa succession et laissé des instructions précises à quelqu’un qui à l’époque ne pouvait être que Göring, ou bien, ce que je crois, il se jugeait indispensable et, parmi ses paris, figurait en bonne place celui de la prolongation de son existence. Göring ne partageait pas son obsession antisémite (ce qui n’excuse pas sa complicité dans la Shoah, tout au contraire) et, livré à lui-même, il n’aurait pas su quoi faire dans ce domaine. De même, il avait peu de liens avec le mouvement SS et n’aurait guère su se servir de cet instrument, mis au point par Hitler et Himmler en une décennie de rencontres fréquentes.

Et que faire encore du culot de Hitler dans le mensonge, avec son cortège de demi-aveux ? C’est l’oeuvre d’un artiste et d’un seul, par exemple quand, cinq mois après que vous l’avez enterré, il prononce le stupéfiant discours du 30 janvier 1939. Il sait alors qu’il va faire la guerre et il accuse les Juifs de s’apprêter à la déclencher, ce qui leur vaudra, dit-il, un châtiment terrible. Cependant, celui-ci est présenté sous une forme édulcorée : ils disparaîtront de l’Europe, ce qui avec un peu de bonne volonté (et les autres gouvernements n’en manquent pas) peut encore à la rigueur passer pour un projet d’expulsion et non de massacre.

Non, vraiment, nul ne pourrait former suffisamment bien un disciple pour obtenir de lui un dosage aussi millimétré de la violence, et verbale et physique. Oui, j’augure très mal de la destinée du navire si on fait disparaître le capitaine au moment que vous dites !

Les événements de 1945 peuvent ici nous guider : tout se dissipe comme un rêve, les SS s’effacent sans retour malgré leurs tentatives minables de devenir des « loups-garous » menant la vie dure aux Alliés. Il reste suffisamment de bourgeois conservateurs pour prendre les rênes en endiguant le peuple, d’ailleurs abasourdi, et, un peu plus tard, réhabiliter la Wehrmacht sous l’égide de l’OTAN. Fin 1938 c’aurait été plutôt l’inverse, l’armée prenant le pouvoir le temps qu’une classe politique se reforme dans les hautes sphères. Certes, en 1945, une catastrophe militaire a quelque peu aidé à la dissipation du rêve, mais la disparition de Hitler juste avant sa guerre aurait joué le même rôle.

C’est d’ailleurs une des clés de son succès : personne ne voyait clair dans son jeu en Allemagne ni ailleurs, tant il voulait de choses à la fois. Il fallait beaucoup de maîtrise pour slalomer au jour le jour en définissant des priorités, lui seul avait cette maîtrise… et l’un de ses plus grands talents était de dissimuler le sien ! Notamment sous un discours violent qui le rendait peu suspect de finesse et de retenue.

 

Que sait-on de la manière dont Hitler considérait les deux personnalités suivantes : Winston Churchill ; Charles de Gaulle ? Portait-il quelque estime à ceux de ses ennemis résolus qui étaient prêts à mourir pour la défense de leur patrie et de leurs valeurs ?

Oui et non. Il admirerait volontiers Churchill dans l’absolu, mais il vit dans le relatif ! Et Churchill est avant tout celui qui le frustre d’un triomphe très bien parti, donc il ne saurait être qu’une « putain des Juifs ». Pour de Gaulle c’est très différent ; il le voit sans doute d’abord comme un aventurier qui joue la carte anglaise, puis progressivement il admire sa capacité de survie et son talent pour rassembler son peuple. Cela débouche sur un texte extraordinaire, une lettre signée Himmler mais portant la griffe hitlérienne, adressée à de Gaulle en avril 1945. Elle affirme que l’ambition du Général de faire pièce à la fois aux Américains et aux Soviétiques a pour condition première de réalisation la réconciliation franco-allemande et que « Himmler » est prêt à négocier la chose. L’artiste n’est pas mort ! Il est très en forme au contraire, à la veille de son suicide, malgré sa déchéance physique. De Gaulle évidemment ne répond pas… mais publie la chose, hélas partiellement (et sa famille n’a pas été en mesure de me dire où était l’original), en 1959 dans le dernier tome de ses mémoires, en prélude à ses rencontres avec Adenauer !

 

Hitler

Hitler (Grasset, 1999)

 

L’Allemagne nazie, comme l’empire napoléonien, a joué et perdu gros contre l’immense Ours russe. Dans quelle mesure l’échec final de l’Opération Barbarossa tient-il à des erreurs d’appréciation et de stratégie imputables à Hitler ?

Tout le monde convient bon gré mal gré que Hitler n’a pas commis beaucoup d’erreurs avant l’été de 1940, mis à part le putsch raté de 1923, dont il a tiré intelligemment les leçons. Quand on veut dénigrer son intelligence, ou ses compétences militaires, on est obligé de se rabattre sur des événements postérieurs à la campagne de France. Il aurait en particulier sous-estimé la puissance russe, ou l’américaine… ou, au diable l’avarice, les deux. Ce sont d’ailleurs ses succès de la première année de guerre, que cette littérature attribue volontiers à la chance, qui l’auraient grisé et lui auraient donné l’audace d’écouter de moins en moins les experts militaires.

Une observation plus attentive montre qu’il avait tout misé, précisément, sur ce mois de mai 40 où la France aurait dû signer la paix peu après la percée de Sedan, alléchée par des conditions « généreuses », et où l’Angleterre elle-même, faisant ses comptes, aurait pris le chemin de la négociation. Churchill trouble ce scénario, tout d’abord en retenant Reynaud sur la pente de l’armistice et en obligeant l’Allemagne à s’enfoncer en France (au risque de fâcher les États-Unis), puis en ne signant pas lui-même la paix et en se maintenant au pouvoir, après l’armistice français. Entre le 22 juin, date de cet armistice, et le 3 juillet, Hitler attend avec confiance que la classe dominante anglaise congédie Churchill quand se produisent les événements de Mers el-Kébir, qui sont pour lui un tocsin ou, déjà, un glas : Churchill a réussi une performance de type nazi - faire couler un sang innocent - et il obtient les félicitations, non seulement des Communes, mais de Roosevelt ! C’est la « Juiverie » qui s’organise, en vue d’une guerre d’usure pour laquelle l’Allemagne n’est absolument pas préparée… non parce que Hitler a fait n’importe quoi, mais parce qu’il a tenté la seule opération qui pouvait permettre la reprise de l’expansion allemande après le coup d’arrêt de 1918 : une victoire éclair sur la France, qu’une planète stupéfaite aurait bien été obligée d’entériner.

Toutes les « erreurs » découlent de l’échec, d’extrême justesse, de cette manœuvre. Après il faut bien l’assumer, la guerre longue, en tentant de provoquer des occasions de la terminer… et l’idée d’un Barbarossa liquidant la Russie en trois mois n’est, vue sous cet angle, pas sotte du tout. Mais là encore Churchill sera à la parade, par son discours du 22 juin 1941 qui sidère Staline avant de le sauver.

 

Question liée, souvent posée : Hitler a-t-il été, pour ce que l’on en sait, manifestement « sain d’esprit » s’agissant de chacune des grandes décisions stratégiques qui lui sont dues ?

Réponse liée : sa manie des paris ne s’explique que par sa folie, dont la croyance en une mission à lui donnée par la Providence est l’un des deux grands fantasmes, l’autre étant la certitude d’un cancer juif en train de tuer l’humanité.

 

Comment recevez-vous ces rumeurs régulièrement resservies selon lesquelles Hitler ne se serait pas suicidé en avril 1945 mais aurait fui en Amérique latine ? De manière plus générale : l’historien sérieux que vous êtes prête-t-il quelque attention critique aux théories des uns et des autres, y compris les plus farfelues, ou bien tendez-vous à les balayer d’un revers de manche ?

Je balaye ! Hitler était un adepte du tout ou rien : triomphe ou suicide, depuis le début. Survivre en s’échappant puis vivre traqué et reclus, très peu pour lui !

 

La situation de crises plurielles, identitaires notamment, que connaît l’Europe actuellement vous paraît-elle de nature à favoriser, si l’on n’y prend garde, la poussée des mouvements de droite extrême au cœur de nos systèmes démocratiques ? Est-ce que de ce point de vue, vous avez le sentiment qu’on se retrouve potentiellement au début des années 30 pour tel ou tel point de l’espace Europe ?

Le nazisme ne pouvait survivre et ne peut revivre. Le procès de Nuremberg, malgré ses défauts, a joué et joue ici un rôle majeur. Cependant, comme ledit nazisme n’a pas été encore vraiment analysé et digéré, il continue de pourrir l’ambiance. Il a notamment beaucoup contribué à faire raisonner les humains en termes binaires et ce, à l’échelle mondiale. Un ennemi sournois, sur le modèle du Juif vu par Hitler, menace les honnêtes gens partout dans le monde. Pour Staline et les siens ce sera le trotskysme puis le titisme maniés par la Gestapo puis la CIA, pour l’Amérique de la guerre froide le communisme tapi derrière la moindre grève et la plus petite révolte coloniale, pour Bush junior l’islamisme et pour Ben Laden Bush junior… je vous laisse prolonger les courbes !

Un bon signe de l’influence hitlérienne est l’ironie avec laquelle on parle de l’ONU, tout comme on dénigrait la SDN dans les années 30 et plus tard. On oublie que c’est Hitler en personne qui a tué celle-ci, en la traitant d’entreprise juive, en la quittant et en méprisant son autorité. Les autres grandes puissances n’étaient que des complices de l’assassin, en acceptant ce verdict et en régressant de l’affirmation d’une discipline collective vers des négociations au cas par cas… comme celle de Munich.

Aujourd’hui, c’est une gendarmerie internationale qui manque le plus, dans le cadre d’une ONU à qui on donne enfin les moyens d’agir, en rendant ses résolutions contraignantes pour les États, petits et grands. Moyennant quoi les accords seraient infiniment mieux suivis d’effet. Et faute de quoi chacun fait sa petite loi, ses petits états d’urgence, ses petites déchéances de nationalité et ses gros cadeaux aux partis xénophobes.

 

Quelles sont, à ce jour, les zones d’ombre qu’il conviendrait encore d’éclaircir s’agissant d’Adolf Hitler ?

Tout ! Le nazisme est un sujet vierge, au sens propre : disons que s’il y a sept voiles, on en a enlevé un ou deux ! Attention, cela ne veut pas dire que les millions de pages écrites aient été inutiles. Mais pour l’instant il s’agit d’une banque de données, et il urge de les ordonner.

 

Où vous situez-vous par rapport au concept de « devoir de mémoire » ?

Si cela reste entre nous, je vous dirais que je trouve lexpression horriblement contre-productive, malgré les intentions sans doute louables de la plupart de ceux qui lemploient. Le devoir que je prêche est le devoir d'histoire. L'historien est tenu davoir mauvais esprit ! Il faut faire connaître et surtout comprendre le passé avec ses lumières et ses ombres, chaque fois que cela peut éclairer les choix daujourd'hui. Non seulement en ce qui concerne les périodes un peu reculées, mais les derniers temps : ainsi par exemple un dossier sérieux sur les origines de la dette publique grecque et ses profiteurs jusquaujourd'hui assainirait immédiatement latmosphère autour de cette question. Dune façon plus générale, la déliquescence des institutions européennes requiert impérieusement des notions précises sur les erreurs et les paresses, anciennes et récentes, de leurs constructeurs. Lamnésie des médias est désolante mais rien ne sert de se lamenter, il faut agir, et faire généreusement don aux journalistes surmenés dune profondeur temporelle.

Tenez, un dernier exemple, qui nous ramènera à la période nazie : un philosophe académicien sémeut de lélection du maire travailliste de Londres en se demandant si Churchill, auquel il voue « une admiration sans bornes », aurait ses chances à Londres aujourd'hui, puisquil nétait pas le fils d'un prolétaire immigré et musulman. Je lui réponds sur un réseau social :

« Churchill aurait-il ses chances dans l'Angleterre daujourdhui ? Pour la mairie de Londres, sans doute pas, mais de son temps non plus ! Mais l'imprécateur semble ignorer que son plus proche équivalent, socialement parlant, est à Downing street. David Cameron est en effet larrière-petit neveu de Duff Cooper, issu de la haute et le seul ministre vraiment churchillien des terribles semaines de mai-juin 40. Le fantasme du "Grand remplacement" entraîne quelques esprits pourtant un peu éduqués à anticiper une forêt là où il n'y a pour l'instant que quelques arbres, même pas un bosquet ! »

 

Parlez-nous de vos projets, François Delpla ?

L’édition des Propos de Hitler, qui va m’occuper jusqu’en septembre, a été décidée brusquement pour accompagner la sortie de Mein Kampf et a interrompu un livre en cours intitulé Hitler et Pétain. Un sujet particulièrement vierge ! Un Paxton, par exemple, l’a à peine effleuré. Barbara Lambauer, dans sa thèse sur Abetz, a livré force matériaux, mais n’y a vu que par intermittence et de façon décousue les impulsions données par le chef, et n’a pas soupçonné qu’il pût manipuler son représentant. Il y a énormément à dire aussi sur le remplacement progressif des militaires par les SS dans toutes sortes de fonctions au sein des forces allemandes d’occupation. Et les SS, c’est Hitler : encore un tabou, ou tout au plus une vérité qu’on veut bien reconnaître sans en tirer les conséquences. En matière de persécution des juifs, j’espère arriver à dépasser la querelle du Vichy protecteur et du Vichy persécuteur en montrant que là aussi l’occupant décide, en fonction d’une masse de paramètres dont le dosage varie souvent.

Ensuite ? Je pense que le prochain sujet viendra, comme d’habitude, chemin faisant, en fonction des nouvelles questions et des nouvelles sources. Depuis peu je participe sur Facebook à des débats qui ont vocation à déboucher sur une structure associative, afin de stimuler les découvertes.

 

François Delpla

Crédit photo : Paolo Verzone

 

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24 avril 2016

Gregor Trumel : « La Louisiane a vocation à être le fer de lance de la francophonie aux Etats-Unis »

Au début de cette année d’élection(s) aux États-Unis, j’ai eu envie, sans en savoir trop du « qui », du « quand » ou du « comment »de consacrer quelques articles à ce pays, objet de fascination depuis toujours. La première publication Paroles dActu de 2016, ce fut une interview de la politologue franco-américaine Nicole Bacharan. Pour le présent article, c’est le Consul général de France à la Nouvelle-Orléans (Louisiane), Grégor Trumel, qui a accepté de répondre à ma sollicitation. Je len remercie, ainsi que Meagen Moreland-Taliancich, attachée de communication auprès du consulat général. Les réponses aux questions posées me sont parvenues sous la forme de fichiers audio, la seconde interrogeant le premier. Chacun de ces fichiers est inclus à larticle, qui est constitué des retranscriptions écrites que jen ai faites et des photos sélectionnées et commentées par Grégor Trumel. Parmi les thèmes abordés : un bilan de laprès-Katrina, un regard sur la cession par Bonaparte de la Louisiane aux États-Unis, quelques bons conseils culturels, touristiques et gastro et, fil rouge de cet entretien, létat de la francophonie sur ces terres anciennement françaises. Enjoy... pardon... bonne lecture ! ;-) Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« La Louisiane a vocation à être le fer de lance

de la francophonie aux États-Unis »

Interview de Grégor Trumel

Q. : 17/02 ; R. : 12/04.

Gregor Trumel

 

Paroles dActu : Bonjour Grégor Trumel, merci de m’accorder cet entretien pour Paroles d’Actu. J’aimerais pour cette première question vous demander, évidemment en votre qualité de Consul général de France à La Nouvelle-Orléans, de nous raconter ce qu’ont été vos premiers contacts « physiques » avec les États-Unis de manière générale ; avec la Louisiane en particulier ?

   >>> AUDIO <<<

Grégor Trumel : Merci de m’accorder cet interview, je suis toujours très heureux de m’exprimer sur la Louisiane, un État que je chéris et où j’aime servir chaque jour. J’étais venu pour la première fois aux États-Unis en 1992, j’avais dix-sept ans. J’étais encore au lycée et mes parents avaient organisé un voyage fantastique dans l’ouest des États-Unis (Californie, Utah, Nevada, et je crois un peu du Nouveau-Mexique). C’était vraiment fantastique ; c’était mon premier contact, et je n’oublierai jamais ce voyage. J’avais bien sûr envie de retourner aux États-Unis ensuite, et j’y suis allé plusieurs fois après, une fois que je suis devenu diplomate (à New-York et à Washington en particulier). J’ai toujours été fasciné par les États-Unis, par la culture américaine et, bien entendu, ce qu’elle incarne.

 

S’agissant de la Louisiane, j’y suis arrivé pour la première fois pour prendre mes fonctions, en août 2014. C’était vraiment un vœu très cher pour moi de venir en poste à La Nouvelle-Orléans et en Louisiane, et j’étais vraiment très fier et très heureux d’être nommé Consul général par le président de la République. Mes premiers contacts ont évidemment été à La Nouvelle-Orléans, et j’ai bien sûr été fasciné par la beauté de la ville, par sa richesse architecturale et culturelle. Également par les gens : leur accueil, leur chaleur, leur gentillesse, leur politesse et, très sincèrement, leur grande francophilie. Très vite après mon arrivée, je ne suis pas resté à La Nouvelle-Orléans, je suis allé à Lafayette, à Arnaudville, dans le pays cajun. Puis j’ai « rayonné », pendant la première année, partout en Louisiane. Évidemment, la culture, on en parle, la musique me fascine mais également les paysages qui sont fantastiques et absolument uniques. Donc, vraiment, c’était un vieux rêve de venir ici et je ne pensais pas réaliser ce rêve aussi tôt et aussi jeune !

 

Gérard Araud

« Lundi le 22 février 2016, l’Ambassadeur de France aux États-Unis, Monsieur Gérard Araud, a fait sa première visite officielle en Louisiane. Au cours de ce voyage, l’Ambassadeur a souligné le succès de l’éducation française dans l’État, ainsi que le dynamisme des partenariats économiques entre la France et la Louisiane. L’Ambassadeur a également mis l’accent sur les progrès effectués par La Nouvelle-Orléans depuis l’ouragan Katrina. »

 

PdA : Il y a dix ans et demi, en août 2005, La Nouvelle-Orléans était frappée de plein fouet par Katrina, ouragan cataclysmique de sinistre mémoire. Quelle est la situation aujourd’hui : la ville a-t-elle peu ou prou réussi à « panser ses plaies » et la vie à reprendre ses droits dans chacun des quartiers ? quelles sont les décisions, les mesures qui ont été prises pour s’assurer que, face à un nouvel épisode météorologique similaire, les conséquences sur la ville et les populations ne puissent égaler celles de Katrina ?

   >>> AUDIO <<<

G.T. : Oui, en effet, Katrina a été un véritable cataclysme, une tragédie humaine qui, comme le dit le maire de La Nouvelle-Orléans lui-même, n’est pas « seulement » une catastrophe climatique mais une catastrophe due à l’Homme. Il y a eu 1.800 morts en Louisiane, largement à La Nouvelle-Orléans, et c’est vraiment un traumatisme. D’ailleurs, les habitants de La Nouvelle-Orléans, quand ils s’expriment, disent toujours, « Avant Katrina », « Après Katrina »... C’est vraiment devenu un repère dans le temps. Cela signifie aussi qu’il y avait vraiment un « avant-Katrina » à La Nouvelle-Orléans comme il y a aujourd’hui un « après-Katrina ». C’est évidemment une tragédie qui a touché une grande part de la population ; ce fut également un traumatisme pour les personnes qui ont été évacuées  - un million de personnes évacuées, ce qui est tout de même inouï, inédit dans l’histoire des États-Unis et, je dirais même quasiment, dans l’histoire récente du monde occidental.

 

Aujourd’hui, La Nouvelle-Orléans est sur une pente ascendante. D’abord, la ville et les autorités de l’État ont pris beaucoup de mesures pour éviter qu’une telle catastrophe ne se répète. On est à peu près sûr qu’un ouragan fort comme Katrina, ou même encore plus fort que Katrina, va arriver, c’est une question de temps – on est en Louisiane, dans une zone subtropicale. En revanche, le système de crise, de « crisis management » comme on dit, a été énormément amélioré. Le consulat général est en contact, évidemment pour la sécurité de la communauté française en particulier, très régulièrement avec eux. C’est très moderne, très bien fait  : ces gens sont de grands professionnels qui travaillent en lien avec toutes les institutions de la sécurité et qui pourront intervenir dans la sécurité civile, y compris avec Bâton-Rouge, au niveau donc de l’État. Les digues ont été renforcées, des écluses ont été construites, et il y a une prise de conscience, en effet, que La Nouvelle-Orléans est une ville vulnérable sur le plan climatique.

 

La ville aujourd’hui a donc changé, c’était aussi une époque où la Ville a failli. La question de la disparition de la ville a même été posée. À l’époque, son existence-même à cet endroit, entre le lac Pontchartrain et le fleuve Mississippi a été questionnée. Aujourd’hui, La Nouvelle-Orléans a pris conscience de la richesse de sa culture, de son caractère unique, du fait qu’elle est une ville de classe mondiale, une ville extrêmement connue, qui a un rôle culturel très important à jouer dans le monde, un rôle qui dépasse largement son poids économique et sa population. Un rôle mondial. Ça a donc été un électrochoc. Aujourd’hui la ville est sur une pente ascendante sur le plan économique, sur le plan culturel. La population ré-augmente à nouveau, beaucoup de gens viennent s’installer ici, même s’il faut bien reconnaître que tout le monde n’est pas revenu à La Nouvelle-Orléans. Il y a des catégories de population, notamment parmi les plus fragilisées, les plus pauvres, qui ne sont pas revenues à La Nouvelle-Orléans. C’est un enjeu pour la ville de faire revenir les néo-orléanais, pour qu’ils puissent prendre part à la reconstruction de la ville et regagner leur communauté aux côtés des nouveaux habitants qui viennent ici parce qu’ils comprennent que c’est un magnifique art de vivre, un endroit superbe pour s’épanouir, faire des affaires... et vivre.

 

GT avec Mitch Landrieu

« Le consulat général a activement participé aux commémorations des dix ans de l’ouragan Katrina. Le maire Mitch Landrieu avait prévu pour cette semaine de commémorations des moments forts de souvenir, mais aussi des débats, des rencontres publiques, des évènements au cœur de la ville. Le Consul général de France a eu le grand honneur de prononcer un discours de réponse au maire, sur l’engagement de la communauté internationale dans la reconstruction de la ville. »

 

PdA : Quelles sont, en 2016, les traces qui demeurent du passage et de l’influence françaises sur, respectivement : 1/ l’immense territoire qui constitua naguère la grande Louisiane française ; 2/ l’actuel État de Louisiane ; 3/ La Nouvelle-Orléans ?

   >>> AUDIO <<<

G.T. : Je vous parlerai surtout de la Louisiane, puisque je suis compétent pour la Louisiane. Je me suis évidemment déplacé en-dehors de la Louisiane, j’ai vu en effet des noms français partout, que ce soit dans le Mississippi, en Alabama... tout le long en fait de la vallée du Mississippi. Je ne suis jamais allé dans le Minnesota mais, même dans la région des Grands Lacs et dans le nord-ouest des États-Unis, il y a des villes avec des noms français.

 

Pour la Louisiane, je peux vous dire que l’héritage français est vraiment omniprésent. Les noms des villes, les noms des gens, le nombre de francophones, très élevé – on l’estime à entre 200 et 250 000 personnes, en particulier dans le pays dit « cajun », l’Acadiana... Évidemment, on retrouve aussi dans l’art de vivre le goût pour la gastronomie, le goût pour les bons restaurants... et Mardi-Gras, qui quand même est une tradition qui vient de la France. En passant par la Caraïbe, il faut le reconnaître. Mais française, ne serait-ce que par son nom, nom français. Je dirais aussi, bien entendu, l’architecture... L’héritage français est vraiment partout, je pense aux écoles - 5.000 élèves dans des écoles françaises, 30 écoles en immersion françaises, des dizaines de professeurs qui viennent travailler ici, enseigner dans les écoles...

 

Anne Hidalgo

« Du 29 mars au 1er avril 2015, la Louisiane a accueilli la conférence annuelle de l’Association internationale des maires francophones (AIMF), qui se tenait pour la première fois aux Etats-Unis. Mme Anne Hidalgo, maire de Paris et présidente de l’AIMF, a présidé cette réunion. Le 30 mars, la délégation des maires de l’AIMF a participé à une soirée organisée en leur honneur au "Nunu Arts and Culture Collective" à Arnaudville. »

 

À La Nouvelle-Orléans, ne serait-ce que, c’est vrai, le nom des rues : « Bordeaux Street », « Rue Toulouse », « Rue Chartres », le quartier du « Marigny »... vraiment le français est partout. Je pense qu’il y a un bon pourcentage, peut-être un tiers, des Louisianais et des habitants de La Nouvelle-Orléans qui ont un nom français ou qui déclarent avoir un ancêtre français. Et c’est vraiment une fierté ici, et c’est aussi une très forte affection pour la France et la culture française. Une affection réciproque puisque nous avons en France énormément d’intérêt et d’affection pour la Louisiane, et il n’y a pas une semaine sans qu’il y ait à la Nouvelle-Orléans ou en Louisiane une équipe de journalistes ou de télévision française qui vient pour faire un reportage ou préparer un article.

 

PdA : Trois questions qui touchent à l’Histoire :

 

Quel regard portez-vous sur la décision de cession par Napoléon Bonaparte de la Louisiane française aux États-Unis en 1803 ? Vous prenez-vous, parfois, à imaginer ce qui serait advenu par la suite si cette vente n’avait eu lieu ?

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G.T. : On dit toujours, « avec des si on peut mettre Paris en bouteille », ou que, si le nez de Cléopâtre avait été différent, la face du monde en eût été changée... Bon, évidemment, votre question, j’y ai moi-même réfléchi souvent. Napoléon Bonaparte est ici un véritable héros, une figure adorée. Il y a la rue Napoléon à La Nouvelle-Orléans, la Napoleon House dans le Vieux carré... c’est vraiment un personnage très, très connu. En même temps, la relation est ambiguë puisque c’est lui qui a vendu la Louisiane aux États-Unis, donc certains se demandent en effet si c’était une bonne décision et si aujourd’hui les grands États-Unis ne parleraient pas français si Napoléon n’avait pas vendu la Louisiane.

 

En réalité c’était une décision à mon avis difficilement évitable. La France avait beaucoup de mal à peupler la Louisiane. Il y avait trop peu d’émigrés français en Louisiane alors que les colonies britanniques attiraient beaucoup plus de colons et de pionniers britanniques. On peut donc se demander si cette colonie eût été durable et soutenable sur le long terme. Et puis, d’après ce que j’ai lu, c’était aussi une colonie assez coûteuse, qui n’était pas encore très rentable. Or Napoléon, comme  on le sait, finançait les guerres en Europe. Donc, finalement, Napoléon a vendu la Louisiane. Il n’y a pas eu d’effusion de sang, il n’y a pas eu de mort, ni de guerre. Peut-être cette appropriation de la Louisiane par les États-Unis serait-elle intervenue plus tard, on ne sait pas à quel prix. Et puis aujourd’hui, finalement, on garde une forte tradition française, une grande culture française aux États-Unis à travers la Louisiane. Et comme j’aime à dire en français, « La Louisiane est the francophone hub of the United States ». Il reste un magnifique héritage. Il est difficile pour moi de remettre en cause la décision du grand empereur des Français Napoléon Bonaparte.

 

PdA : Un siècle et demi après la Guerre de Sécession et cinquante années à peine après la disparition de la question des droits civiques en tant qu’objet de débats et oppositions passionnés, la Louisiane est-elle aujourd’hui une terre plus apaisée sur le front du « vivre ensemble » ?

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G.T. : Je suis un diplomate français aux États-Unis, je n’ai pas à m’exprimer sur la politique intérieure ou la situation politique du pays dans lequel je réside, ça ne se fait pas, ce n’est pas de coutume. Je ne m’exprimerai donc pas en particulier sur cette question. Juste pour vous dire qu’en Louisiane, ce que je constate, c’est que les populations, les différentes communautés, qu’elles soient blanches ou afro-américaines, font des choses ensemble, vivent ensemble, vont aux concerts ensemble... C’est assez évident par exemple à travers la musique ou à travers les festivals, c’est mélangé. Je ne veux pas, et je ne souhaite pas, comparer avec d’autres États du sud des États-Unis que je ne connais pas et sur lesquels je ne suis pas compétent pour m’exprimer. Ce que je peux constater, c’est qu’en Louisiane, les gens sortent ensemble, vivent ensemble. C’est une richesse. On parle de melting pot pour les États-Unis, en Louisiane on parle de « gombo », le gombo étant cette soupe spécifique et traditionnelle de Louisiane. La culture louisianaise est vraiment une culture diverse : d’origine française, afro-américaine, espagnole, caraïbe, amérindienne... avec des influences néerlandaise, allemande, britannique bien entendu, et c’est un État du sud. C’est donc une culture très riche et c’est cette diversité qui fait toute la richesse de la culture louisianaise.

 

PdA : Si vous deviez sélectionner, disons, trois personnalités historiques que vous respectez et qui vous inspirent particulièrement, côté français puis côté américain ?

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G.T. : Alors, côté français, je pense d’abord à celui qui a découvert vraiment la Louisiane et qui l’a baptisée, Robert Cavelier de La Salle. Un explorateur un peu fou et qui d’ailleurs a fini par mourir en recherchant à nouveau la Louisiane sur les côtes du Texas. C’est vraiment un personnage fascinant, qui venait de Rouen, comme mon père, en plus. Évidemment, je pense au général de Gaulle, qui a incarné la France dans les moments les plus difficiles, et qui est venu à la Nouvelle-Orléans où il a laissé un très grand souvenir. Son nom d’ailleurs est celui d’un boulevard de la ville. Et puis un de mes écrivains favoris, un homme que j’admire beaucoup, puisqu’il conciliait qualité littéraire à qualités d’artiste et d’engagement, André Malraux, qui est un modèle absolu pour moi et qui figure dans mon panthéon.

 

Côté américain, je me permettrai d’en donner quatre. D’abord, j’admire Martin Luther King, il s’est battu pour l’égalité et les droits civiques, sans violence, et j’ai visité le musée des Droits civiques à Memphis et je vous recommande d’y aller. Ce n’est pas en Louisiane mais c’est vraiment, absolument fascinant. Je pense au président Franklin Delano Roosevelt, qui a dirigé les États-Unis dans des moments si difficiles, la grande crise des années 30 et, ensuite, la Deuxième Guerre mondiale. Il était un très grand président, avec des idées économiques très avancées puisqu’il est le premier à avoir lancé le New Deal. Il est vraiment l’un des pères, en réalité, de la politique moderne. Permettez-moi de citer un auteur du sud, un des auteurs qui m’ont fait venir et donné envie de venir dans le sud des États-Unis, William Faulkner, qui, bien que de Oxford, Mississippi, a résidé dans sa jeunesse à la Nouvelle-Orléans où il a écrit quelques nouvelles absolument délicieuses, dont Croquis de La Nouvelle-Orléans que je recommande (aux éditions Gallimard). Et puis, enfin, je citerai un grand Américain, a true American, un grand musicien que j’adore et qui me touche beaucoup, Johnny Cash. Ses paroles sont fortes, sombres ; sa musique somptueuse, si américaine et si universelle, me bouleverse.

 

PdA : Qu’est-ce qui caractérise les populations françaises qui vivent dans les territoires dont vous avez la charge, si tant est que l’on puisse en extraire des traits communs ?

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G.T. : Les Français de Louisiane sont de plus en plus nombreux. Si je devais les caractériser, je dirais que ce sont des Français assez jeunes. Beaucoup sont venus via l’enseignement et l’éducation. Ce sont des Français très intégrés dans la société américaine et dans la communauté louisianaise. Beaucoup de couples mixtes, ils vivent donc à l’heure française et américaine. Ils sont dynamiques, souvent informels, entreprenants... bref, ce sont des Français d’Amérique.

 

PdA : La culture française contemporaine (littérature, musique, cinéma...) réussit-elle à percer dans ces régions - j’entends, évidemment, auprès de non-francophones ? Quelques exemples qui vous viendraient à l’esprit ?

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G.T. : La Louisiane, donc, a beaucoup d’« accroches » culturelles avec la France. Mais c’est vraiment qu’il n’est pas évident pour des artistes français – musiciens, cinéastes, écrivains... - d’être diffusés ici en Louisiane. Cependant, nous faisons de notre mieux au consulat général pour aider et promouvoir la culture et les artistes français ainsi que les industries culturelles françaises. D’abord, il y a beaucoup de films qui se tournent en Louisiane, donc quelques films, feuilletons, reportages français se sont tournés en Louisiane. Bertrand Tavernier avait fait un magnifique film, Dans la brume électrique, tourné en Nouvelle-Ibérie. Et puis il y a des festivals : le Festival du film français de la Nouvelle-Orléans rencontre beaucoup de succès. La musique ; dans les festivals, il y a des groupes français qui viennent jouer. Nous avons par exemple des groupes antillais qui viendront jouer prochainement au Festival international de Louisiane à Lafayette, puisque la Louisiane est aussi en partie un membre de l’espace créole – disons, caraïbe francophone. Et nous faisons venir également des écrivains dans les universités, etc. Mais il est vrai que nous avons du pain sur la planche pour que des milliers de Louisianais achètent des disques ou lisent des livres français...

 

PdA : De manière plus générale, parvenez-vous à rester optimiste quant aux perspectives de la francophonie sur le territoire des États-Unis ?

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G.T. : Oui, absolument. Les États-Unis, où l’on parle évidemment l’anglais, langue mondiale et langue de la mondialisation, ont un avantage dans leur développement, notamment économique, pour leur influence politique et culturelle, à travers leur culture et leur langue. Cependant, les Américains se rendent compte que le bilinguisme est vraiment un atout et quand on pense au pense au bilinguisme aux États-Unis, on pense au bilinguisme franco-anglais en Louisiane, et clairement la Louisiane a un rôle à jouer comme fer de lance de la francophonie aux États-Unis. Nous travaillons beaucoup dans ce domaine, en aidant les écoles et en promouvant notre langue et en aidant ceux qui veulent faire revivre, renforcer la francophonie louisianaise. C’est clairement une de nos priorités culturelles. On considère que le français en Louisiane, c’est 13 000 emplois, le commerce entre la France et la Louisiane 3 milliards de dollars par an dans les deux sens, donc quelque chose d’important. Comme on dit en bon français  : « French culture is fuel for growth in Louisiana ».

 

École élémentaire de Rougon

« Intervention aux côtés du Gouverneur John Bel Edwards, du Lieutenant-Gouverneur Billy Nungesser, du Surintendant pour l’Education John White et de nombreux parlementaires et personnalités officielles au lancement d’un nouveau programme en immersion à l’école élémentaire de Rougon, dans la paroisse de Pointe Coupée (vendredi 15 avril 2016). »

 

PdA : Je lis dans votre bio que vous êtes passionné de musique de Louisiane (ce qui tombe bien) et notamment de morceaux de types  « cajun, Zydeco, rythm ‘n blues ». Voulez-vous nous citer quelques titres et noms d’artistes pour nous inviter à les découvrir ?

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G.T. : Franchement, c’est vraiment sincère : ça fait des années que j’aime la musique cajun, Zydeco de la Louisiane, c’est vraiment une des raisons qui font que j’ai postulé pour être consul général en Louisiane. Il y a les classiques, disons les anciens et les nouveaux. Je peux vous dire en tout cas que cette culture musicale est une des raisons du dynamisme de la francophonie en Louisiane et de la popularité de la culture française en Louisiane, à travers la musique et donc la fête, les festivals etc. Côté cajun je ne peux évidemment que vous recommander d’écouter les disques de Zachary Richard bien entendu, ils sont excellents. Zachary est un bon ami qui est extrêmement actif pour la francophonie et pour la défense de l’environnement. Il publie des disques fantastiques, toujours inspirés et magnifiques. Je vous recommande par exemple son album Le Fou, qu’il a sorti il y a deux ou trois ans et qui est absolument somptueux. Il y a aussi des jeunes groupes fantastiques comme par exemple Lost Bayou RamblersFeufollet, Bonsoir Catin, des groupes qui innovent avec de la musique cajun à laquelle ils injectent du punk rock, de la pop, de la folk... vraiment fantastique. Pour le Zydeco, vous avez Cédric Watson, un jeune qui est vraiment très, très doué. Bruce Sunpie Barnes, lui aussi extrêmement doué. Et puis, pour le rythm ‘n blues, moi je préfère les classiques : j’adore par exemple Professor Longhair. Ou aussi, plus dans le funk, Doctor John. Toujours aussi bon...

 

PdA : Je souhaiterais, pour cette dernière question, vous proposer de jouer, l’espace d’un instant, le rôle de « guide de luxe » auprès de ceux de nos lecteurs qui, lisant cet article, aimeraient s’en inspirer pour leur séjour à venir dans le sud des États-Unis : quelle « journée idéale » à La Nouvelle-Orléans nous suggéreriez-vous (visites et restaurants compris) ?

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G.T. : Déjà, si vous venez à La Nouvelle-Orléans, vous serez parmi les milliers de chanceux qui, tous les ans, viennent visiter La Nouvelle-Orléans, puisqu’on considère qu’il y a 90 000 Français qui viennent visiter la ville et le sud de la Louisiane tous les ans. Encore plus de Canadiens, beaucoup d’Anglais, Allemands, Espagnols, etc. Je crois que La Nouvelle-Orléans est la deuxième ville la plus touristique des États-Unis. N’hésitez pas à rester une bonne semaine, puisqu’il y a beaucoup de choses à faire, et c’est toujours bien de sortir de La Nouvelle-Orléans. Alors, il faut évidemment visiter le Vieux Carré, absolument magnifique. Il y a de très bons restaurants. Vous pouvez aller au Tableau. Vous pouvez aller chez Muriel. Vous pouvez aller à Bayona. Chez Compère Lapin, délicieux restaurant créole. Il faut aussi aller voir le Garden District et ses magnifiques demeures, la Mousse espagnole, les arbres somptueux qui font une galerie au-dessus de la rue Prytania, par exemple, où vous trouverez la résidence du consul général. Je vous conseille d’aller voir le Mississippi sur la promenade Moonwalk, juste au bord du Mississippi en face de Jackson Square. Vous pouvez aussi visiter le quartier un peu moins touristique et aussi très joli du Marigny, les quartiers en rénovation qui se développent comme Trémé, Bywater... Franchement, je vous recommande d’aller visiter les bords du lac Pontchartrain, d’aller faire un tour au City Park, d’aller voir de magnifiques œuvres d’art au musée Noma. Vraiment énormément de choses à faire. Et n’oubliez pas de louer une voiture, d’aller vous promener dans les bayous, d’aller à Lafayette, à la Nouvelle Ibérie, à Arnaudville... vous trouverez des artistes innovants. Vous trouverez à Pont-Beaux (Breaux Bridge en anglais) une musique authentique, une cuisine authentique, et ce sens incroyable de l’hospitalité, et la chaleur humaine des Louisianais...

 

Meagen Moreland-Taliancich

Meagen Moreland-Taliancich, attachée de communication au consulat général de France en Louisiane.

 

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19 avril 2016

Pierre Branda : « Attachons-nous à redécouvrir la "vraie" Joséphine ! »

Pierre Branda est historien, auteur de riches ouvrages qui touchent aux époques consulat-empire et directeur du patrimoine de la Fondation Napoléon. Sa dernière étude en date, il a souhaité la consacrer à celle qu’on appelle communément Joséphine de Beauharnais, madame Bonaparte, qui fut auprès de Napoléon consulesse puis impératrice des Français (1804-1809). Un des personnages les plus romanesques et attachants de notre histoire, sans doute aussi un des plus caricaturés : c’est précisément à cela que Pierre Branda a souhaité s’attaquer, s’attachant à questionner les idées reçues, à enquêter et apporter de nouvelles pistes de réflexion sur la base d’éléments de recherche inédits. Le résultat, c’est ce Joséphine : Le paradoxe du cygne, paru aux éditions Perrin (janvier 2016). Une biographie qui se lit avec plaisir et fourmille d’informations permettant de mieux appréhender le parcours complexe de cette femme hors du commun. À découvrir ici, l’interview que M. Branda a bien voulu m’accorder - ce dont je le remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

Pierre Branda: « Attachons-nous

à redécouvrir la "vraie" Joséphine ! »

 

Joséphine

Joséphine, le paradoxe du cygne, par Pierre Branda. Éd. Perrin, janvier 2016.

 

Paroles d'Actu : Pierre Branda, bonjour, et merci de m’accorder ce nouvel entretien pour Paroles d’Actu. Autour, cette fois, à l’occasion de la parution de Joséphine : le paradoxe du cygne (Perrin), de la figure ô combien romanesque de celle qui, consulesse puis impératrice, tint au côté de Bonaparte puis Napoléon, le titre de première dame de France durant certaines des années les plus chargées de l’histoire de notre pays. Pourquoi avoir voulu écrire sur Joséphine de Beauharnais (un nom qui d’ailleurs n’était pas le sien) ?

 

Pierre Branda : Oui en effet, Joséphine de Beauharnais est un nom qu’elle n’a jamais porté. Ce nom a été inventé par la Restauration pour éviter de l’appeler Joséphine Bonaparte ou seulement Joséphine, ce qui aurait rappelé son rang d’impératrice. On préféra alors accoler le prénom sous lequel elle était connu et que lui avait donné Napoléon au nom de son premier mari.

 

Cet ouvrage est venu d’une insatisfaction à chaque portrait que je pouvais lire d’elle. Je ne pouvais croire que Napoléon Bonaparte, qui se liait difficilement, - on lui connaît peu de véritables amis ou amours - ait pu s’enticher aussi longtemps d’une femme évanescente, frivole et pour tout dire sans consistance. L’enquête que j’ai menée m’a conduit à reconsidérer bien des légendes et j’espère mettre en évidence les préjugés dont elle a souffert.

 

PdA : On est frappé, peu après sa rencontre avec Bonaparte, de l’attachement très fort que le jeune général, parti pour l’Italie, témoigne à sa femme, de six ans son aînée. C’est particulièrement flagrant lors de leurs échanges de lettres, et très bien retranscrit dans votre ouvrage. On le sent fou amoureux comme un adolescent et, au moins tout autant, très possessif envers elle ; cette dernière paraît, disons, un peu plus accoutumée aux affres du cœur. Que représente Joséphine pour Napoléon durant les premiers mois de leur relation ? Peut-on dire qu’elle contribue alors à le faire grandir sentimentalement parlant, peut-être à le « former », à le « forger » ?

 

P.B. : Je ne dirais pas cela. Cette image est facile et sans doute fausse. Napoléon est à un moment particulier de sa vie. Il est sous le coup d’une rupture sentimentale avec Désirée Clary mais aussi d’un éloignement de Joseph. Ce dernier a d’ailleurs fait en sorte qu’il ne puisse pas épouser Désirée. En octobre 1795, quand il rencontre Joséphine, il s’éloigne de son clan pour la première fois de sa vie pour adopter une nouvelle famille, celle des Beauharnais. En homme pressé, il apprécie en quelque sorte d’entrer dans une famille toute faite avec Joséphine et ses deux enfants, Eugène et Hortense. Sentimentalement, il est possédé par un véritable délire amoureux qui du reste avait commencé avec Désirée, et qui va se concentrer sur sa nouvelle conquête. Cela tient donc plus à son caractère excessif qu’au charme de Joséphine. Quant à elle, autant possessive et jalouse que lui, elle apprécie certainement d’avoir cet homme jeune à ses pieds. C’est pour elle une première ! Avant Napoléon, les hommes la fuyaient, tel son premier mari, à cause de sa « tyrannie domestique ».

 

PdA : Vous évoquez dans votre livre un point fort méconnu (et d’une importance capitale quand on connaît la suite de l’histoire) : Joséphine aurait assez rapidement été enceinte de Bonaparte. Mais l’empressement appuyé de celui-ci, alors en poste en Italie, à la retrouver auprès de lui aurait contribué, sans doute, par le voyage occasionné, à ce qu’elle tombe malade et fasse une fausse couche. Une fausse couche qui n’a probablement pas pesé pour rien dans son incapacité future à porter des enfants...

 

P.B. : Il semble planer comme une étrange fatalité autour de Joséphine. Dès qu’elle s’élève, le sol se dérobe sous ses pieds comme en témoigne sa séparation douloureuse avec Alexandre de Beauharnais puis son emprisonnement aux Carmes sous la Terreur. En 1796, elle a la chance d’épouser l’homme le plus prometteur du siècle et elle ne pourra jamais avoir d’enfants de lui. J’évoque en effet dans le livre une nouvelle hypothèse à propos de sa stérilité, une fausse couche qui se serait ensuite infecté. Les conséquences allaient être difficiles ensuite pour le couple. Joséphine allait devoir lutter pour se maintenir.

 

PdA : Une constante que l’on retrouve tout au long de l’histoire : l’hostilité du clan Bonaparte à l’égard de Joséphine et souvent, par extension, des Beauharnais. La famille de sang de Napoléon (certes prise ici comme un ensemble) craint de voir le pouvoir et une partie du « patrimoine familial » lui échapper tandis que le premier personnage de l’État multiplie les marques d’affection et de confiance envers, notamment, les enfants de son épouse, Comment considérez-vous les Bonaparte sur ce point en particulier : sont-ils manifestement injustes, pour ne pas dire mesquins ?

 

P.B. : Ils peuvent l’être mais ils n’ont surtout jamais compris que Napoléon se servait des Beauharnais pour leur échapper. Pour éviter que son clan ne l’étouffe, il prenait sans doute un malin plaisir à décerner titres et honneurs à Joséphine et à ses enfants. Napoléon pratiquait à l’excès parfois le diviser pour régner, d’où cette attitude. De leur côté, les Bonaparte restaient persuadés que Napoléon était sous l’emprise de cette «  diablesse» de Joséphine. Partant, ils la détesteront longtemps, militant sans cesse pour le divorce.

 

PdA : Nous l’évoquions il y a un instant : le pouvoir, bientôt, va (re)devenir héréditaire. Ce qui ne va pas manquer de poser, de façon de plus en plus appuyée au fil du temps, la question de l’incapacité du couple régnant à enfanter un héritier. Vous suggérez dans votre ouvrage que Joséphine, sentant le « coup venir », n’aurait pas été totalement insensible aux appels des milieux royalistes qui l’invitaient à pousser auprès de son époux l’idée d’une restauration qui eût maintenu ce dernier au centre de l’action gouvernementale mais déplacé l’affaire de la succession. Cette angoisse est prégnante chez elle, depuis longtemps ?

 

P.B. : La possessive Joséphine n’acceptera jamais de perdre « son » Napoléon. Ce dernier dira que quant il ouvrait la porte de sa berline à l’aube, il trouvait son épouse « avec tout son attirail ». Pour le suivre, elle s’était sûrement levée à quatre heures du matin. Alors la perspective de le voir couronné l’a sûrement inquiétée. N’allait-il pas s’éloigner d’elle au final ? Son pressentiment allait hélas pour elle se vérifier.

 

PdA : Joséphine est populaire, très populaire même, vous le démontrez à de nombreuses reprises : outre le charme évident qu’elle dégage, il émane d’elle une espèce de bienveillance naturelle qui paraît par ricochet contribuer à adoucir l’image de Bonaparte. Comment la perçoit-on au sein du peuple ? En quoi est-elle un atout pour la monarchie impériale ?

 

P.B. : Joséphine possédait une empathie certaine. Femme de réseaux, elle sait écouter puis rendre service. Depuis son premier mariage, elle tisse sa toile, n’adoptant aucun parti mais en les fréquentant tous. Elle apportera à Napoléon ses mille et une relations. Ensuite, elle apparaît rassurante et pour le nouveau régime, c’est un atout certain. Napoléon pouvait inquiéter de par son allure martiale ; en apparaissant à ses côtés, Joséphine lissait son image. Vénus en contrepoint de Mars en somme. L’image est ancienne mais efficace. 

 

PdA : Vous le rappelez très bien, Joséphine essaiera de faire entendre sa voix, sa sensibilité sur, notamment, l’exécution du duc d’Enghien, prélude à l’instauration de l’empire - sans succès. S’est-elle fendue, pour ce que l’on sait, de conseils, de recommandations sur des points notables d’affaires d’État auprès de Bonaparte / de Napoléon ? A-t-elle eu une influence sur certains de ces points ?

 

P.B. : Il est difficile de dire quelle part lui attribuer dans telle ou telle décision. Napoléon était très peu influençable. En outre, il le dira à Sainte-Hélène, elle ne lui demanda jamais rien directement. Peut être usa-t-elle de malice, elle qui connaissait toutes les nuances de son ombrageux caractère, pour le faire plier ? En tout cas, une chose est maintenant certaine. En ce qui concerne le rétablissement de l’esclavage dont on l’a accusée d’avoir décidé Napoléon, elle n’y est pour rien. En 1802, au moment où la France recouvre ses colonies, elle écrit à sa mère pour la prier de vendre l’habitation familiale. On a connu colon plus acharné !

 

PdA : Considérez-vous, même si on fait appel ici à quelque chose d’impalpable, que Napoléon a perdu sa « bonne étoile » et, peut-être, « perdu pied » après sa séparation d’avec l’impératrice Joséphine en 1809 ?

 

P.B. : Même si cela y ressemble, ce serait bien réducteur de considérer les choses ainsi. La répudiation de Joséphine reste avant tout une décision politique qui constituera l’une des erreurs du règne. Napoléon voulait que sa dynastie s’allie aux plus prestigieuses familles d’Europe. Il choisira d’ailleurs la fille de l’empereur d’Autriche. Pour successeur, il pouvait parfaitement choisir l’un des enfants issus du mariage entre son frère Louis et la fille de Joséphine, Hortense. Cette union célébrée en 1802 et qui tournera au désastre avait d’ailleurs été manigancée par Joséphine et Napoléon pour se perpétuer d’une autre façon.

 

PdA : L’affection manifeste qui continue de les lier après ne peut que toucher le lecteur. Comment qualifieriez-vous leurs rapports, à ces deux-là, finalement ? Au-delà de l’amour, une estime, peut-être une admiration profonde de part et d’autre ?

 

P.B. : Plus qu’une simple affection ou de l’estime à mon avis. Ces deux géants de l’histoire avaient tous deux une incroyable confiance en eux. Ils étaient certes complémentaires presque jusqu’à la caricature mais ils se ressemblaient aussi étonnamment. Ils étaient ambitieux, jaloux, possessifs, peu rancuniers et leurs histoires personnelles se recoupent en de nombreux points. Joséphine était vraiment l’alter ego de Napoléon. Peut-être voyaient-ils en l’autre comme une part d’eux-mêmes ? Je pense que leur lien très fort, de l’amour sans doute, était comme un jeu de miroirs dans lequel ils continuaient d’une certaine manière à s’admirer.

 

PdA : J’ai dû faire des choix pour mes questions, occultant, forcément, des pans entiers de l’histoire de Joséphine. Ce que l’on retient du portrait que vous en faites, c’est réellement qu’elle fut un personnage attachant, forcément touchant et tragique à bien des égards. Quelle est l’image que vous vous êtes forgée de Joséphine à la suite des recherches que vous avez conduites pour l’écriture de ce livre ? En quoi est-elle différente de celle que vous pouviez en avoir avant ?

 

P.B. : Je ne soupçonnais pas une telle force de caractère et son ambition forcenée. Elle m’a vraiment étonnée et j’espère avoir vraiment levé le voile sur cette femme attachante et troublante comme vous le soulignez. Je forme le vœu qu’on la redécouvre dans toute l’étendue de sa personnalité et qu’on cesse de ne voir en elle qu’une femme superficielle seulement intéressée par ses centaines de robes ou chaussures.

 

PdA : Un dernier mot ?

 

P.B. : Vive la nouvelle Joséphine !

Q. : 19/03/16 ; R. : 17/04/16.

 

Pierre Branda

 

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Vous pouvez retrouver les ouvrages de Pierre Branda...

23 mars 2016

« Garder l'espoir face au terrorisme... », par Guillaume Lasconjarias

Attentats de Bruxelles

L’aéroport de Bruxelles, le 22 mars 2016. Crédit : capture d’écran/Twitter.

 

Elles paraissent de moins en moins irréelles, ces images de quartiers de capitales européennes transformés en un éclair - plutôt, en un souffle - en zones de guerre. Le plus terrible, c’est peut-être que nous commençons à nous y habituer, à intégrer désormais dans un coin de nos têtes les scénarios-catastrophes comme des hypothèses plausibles. Comme un réveil, un réveil brutal. Paris, janvier 2015. Paris, novembre 2015. Bruxelles, donc, mars 2016. Dix ans après Madrid (2004) et Londres (2005), trois tragiques illustrations en quinze mois à peine d’un terrorisme de masse en plein cœur d’une Europe occidentale qui, longtemps, s’est un peu crue préservée des turpitudes du monde. Faut-il apprendre à vivre avec ces menaces ? Comment agir pour les désamorcer et, surtout, traiter les racines du mal ?

Le 22 mars, quelques heures après les attentats bruxellois, et cinq mois après notre interview d’octobre (qui mériterait certainement d’être lue ou relue), j’ai souhaité inviter M. Guillaume Lasconjarias, chercheur au sein du Collège de défense de l’OTAN, à nous livrer à titre personnel l’état de ses réflexions quant à ces questions qu’aujourd’hui tout le monde se pose. Je le remercie de s’être prêté à l’exercice. Un document à découvrir... et à méditer. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Garder l’espoir face au terrorisme...

par Guillaume Lasconjarias, le 23 mars 2016

 

Hier, mardi 22 mars 2016, au cours d'une matinée tragique, la Belgique a été frappée par une série d’attaques coordonnées et meurtrières. Au-delà du pays, c'est l’Europe qui a été touchée par ces actes monstrueux dans une de ses capitales – et pas n’importe laquelle, Bruxelles, centre des institutions de l’Union Européenne et capitale de l’Europe, mais aussi quartier-général de l’Alliance atlantique. D’abord prudentes, les autorités belges ont confirmé la piste terroriste, et l’État islamique a bientôt revendiqué ces frappes. Encore une fois, les drapeaux ont été mis en berne sur les bâtiments, et le drapeau belge a été projeté en signe de solidarité sur les façades des monuments les plus symboliques de Paris, Berlin ou Rome. Sur Twitter et sur Facebook, le hashtag « #JeSuisBruxelles » s’est répandu, signe d’une émotion perceptible. Devant l'horreur, comment ne pas céder à la colère et à la peur ? Alors que l’enquête débute, la première réaction est d'abord de protéger une population sous le choc. Comme à Paris après le Bataclan, forces policières et unités militaires quadrillent le terrain et patrouillent tandis que les responsables politiques prêchent pour un renforcement de la coopération européenne. Mais dans le même temps, comment ne pas s'interroger sur les faillites du renseignement, comment ne pas céder à la tentation d'identifier les coupables mais aussi de chercher des responsables, bref se donner l'impression faussement réconfortante d'agir ?

Dans ces conditions, comment prétendre à vouloir prendre du recul ? Et pourtant, comment ne pas s’interroger sur ce qui devient une nouvelle normalité, une menace qui n’est plus seulement planante mais une réalité tangible ? Sommes-nous donc condamnés à vivre dans l’ère du terrorisme de masse ? Les Européens sont-ils prêts à faire face à ce que le Premier ministre italien Renzi appelle « une menace globale mais où les tueurs [« killers »] sont aussi des locaux » c’est-à-dire qu’ils appartiennent à nos sociétés [Note 1] ? Et bien entendu, sommes-nous prêts à y faire face, à nous en défendre et à prendre des mesures qu’on prétendra efficaces, quitte à troquer nos libertés contre plus de sécurité ? Le débat n’est pas neuf, mais il mérite peut-être d’être abordé sous un angle légèrement différent.

Souvent, la première préoccupation du chercheur ou de l’universitaire, surtout confronté à une notion aussi complexe que le « terrorisme », est de circonscrire l’objet et de donner une définition. Mais voilà : il n’existe pas de définition du terrorisme. Ou plutôt, il en existe plusieurs : les États, les organisations internationales possèdent chacun une idée de ce qu’est le terrorisme, en insistant sur les dimensions techniques – les faits et la typologie des actes – et sur les aspects légaux – l’illégalité de l’emploi d’une force indiscriminée et souvent aveugle. Dans un ouvrage qui vient à point nommé, l’historienne Jenny Raflik s’y essaye et rappelle que derrière l’étymologie (la terreur et la peur), il y a l’émotion et que derrière l’émotion, il y a une subjectivité : « le terroriste des uns pourrait aussi bien être le résistant des autres » [Note 2]La condamnation de l’acte et de celui qui le commet n’est donc pas universelle, il existe des appréciations selon les camps et la panoplie des moyens dont ils disposent pour accomplir leurs objectifs politiques ou idéologiques. Le terrorisme pénètre dans le champ de la morale, de la cause juste : par un renversement observé, les terroristes deviennent des martyrs, et les victimes sont en fait des coupables. L’acte, de quelque nature qu’il soit - fusillade, bombe, assassinat… - devient l’expression du faible contre le fort, un moyen de fragiliser des sociétés et des gouvernements en frappant n’importe qui, n’importe où et n’importe quand. Certainement, la première réaction face à cette brutalité est la sidération. Puis la peur, puis l’incompréhension, puis la colère, dans un kaléidoscope d’émotions – encore – qui se succèdent.

Viennent alors les nécessaires ajustements et la question lancinante de l’adaptation ou de la réponse à la menace : y sommes-nous préparés ? Peut-on y être préparé ? Plutôt que d’accuser l’inhérente fragilité des démocraties libérales face à la terreur, il est loisible de réfléchir à des cas particuliers et peut-être, de s’interroger sur la façon dont on peut, sans trahir ses valeurs, résister. L’atout de l’historien peut être de trouver des similitudes et des réponses dans un passé plus ou moins récent ; on songe aux comparaisons possibles avec la façon dont nos mêmes sociétés démocratiques ont, dans les années 1960 et 1970, puis dans la dernière décennie, fait l’expérience du terrorisme – qu’il soit rouge (la bande à Baader ou la RAF en Allemagne, les Brigate Rosse en Italie), noir (par des groupes d’extrême-droite néo-fascistes aussi en Italie) ou jihadiste. On peut s’inspirer de la capacité d’Israël à résister et à conserver les attributs d’une démocratie représentative dans un environnement volatil. Sans doute y a-t-il, dans ces cas, matière à tirer parti pour non seulement comprendre, mais aussi bâtir une véritable stratégie de résilience.

Pourtant, dans l’agitation médiatique, le premier besoin semble l’action, la prise de décision symboliques – on se souvient du débat sur la déchéance de nationalité – accompagnant des mesures sécuritaires – le déploiement des forces armées sur le territoire et en ville en étant l’expression manifeste. Sans contester le bien-fondé de ces choix, il faut sans doute chercher d’autres réponses  sur le long terme. Affirmer que nous sommes en guerre contre le terrorisme n’apaise en rien : au contraire, cela renvoie à des images d’« axe du mal » (Axis of evil), de « guerre mondiale contre le terrorisme » (Global War on Terror) qui n’ont au final eu qu’un succès très limité. À l’inverse, se résigner à l’idée de vivre avec cette épée de Damoclès n’est guère plus défendable. On peut et l’on doit songer à des stratégies qui permettront dans le long terme de lutter autant contre les actes que contre les raisons qui justifient le terrorisme : un éditorial paru ce jour, au lendemain des attaques, invite à aller visiter Molenbeek, ce quartier défavorisé de Bruxelles, pour mieux comprendre le terreau sur lequel pousse le terrorisme qui frappe nos sociétés ouvertes [Note 3].

C’est sans doute logiquement ce que les sciences humaines, la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, le droit, les humanités en général, doivent faire : aider à comprendre, à expliquer – et non à justifier. Elles doivent servir à apporter des réponses qui ne peuvent être seulement techniques. Elles doivent mettre en avant que les fractures sociales, politiques, et religieuses, peuvent être dépassées, et peut-être résolues. Elles doivent rappeler que si ce combat est une lutte pour des valeurs, ces valeurs doivent continuer à être portées haut sans « faire payer à la liberté les frais d’une sécurité menteuse » [Note 4]Au contraire, accepter de combattre pour nos valeurs et vaincre par nos valeurs [Note 5], sans transiger, mais sans céder à la peur de l’enfermement, du repli sur soi et de la défiance généralisée.

 

Note 1 Matteo Renzi, dans la Repubblica du 22 mars 2016, “Minaccia globale, ma i killer sono anche locali

Note 2 Jenny Raflik, Terrorisme et mondialisation. Approches historiques, Paris, Gallimard, 2016, p.  16.

Note 3 Giles Merritt, “FRANKLY SPEAKING - After the Brussels attacks: Meeting fire with fire isn’t the answer”, Friends Of Europe

Note 4 Selon une critique faite par Pressenssé et Pouget des « lois scélérates » dans la France de la fin du XIXe siècle (cité par J. Raflik, op. cit., p.  302)

Note 5 Selon la belle expression employée par le chef d’état-major de l’armée de terre dans un article du Figaro le 21 mars 2016.

 

Guillaume Lasconjarias

 

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22 mars 2016

« Samouraïs : au-delà des mythes », par Julien Peltier

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une pensée attristée, en ce 22 mars, pour le peuple belge, pour les victimes directes et indirectes des attentats lâches et aveugles perpétrés ce jour en plein cœur de la ville de Bruxelles...

Julien Peltier est un passionné, spécialiste du Japon et en particulier de lhistoire militaire de ce pays. Son dernier ouvrage en date, Samouraïs : 10 destins incroyables, paraîtra dès le 7 avril prochain aux éditions Prisma. Il a accepté d’évoquer cette sortie en avant-première pour Paroles d’Actu ; surtout, de nous gratifier d’un texte inédit, écrit spécialement pour le blog, une composition passionnante à propos de la mythologie qui entoure l’univers des samouraïs. Qu’il en soit, ici, remercié : la lecture de ce récit ne pourra qu’inciter ceux que la thématique intéresserait à se procurer son livre. S’agissant de Paroles d’Actu, je vous invite également à lire ou relire linterview de Bruno Birolli publiée en décembre dernier, car les deux articles se complètent bienUne exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

Partie I : l’article

Samouraïs : au-delà des mythes

par Julien Peltier (29 février 2016)

Champion des valeurs chevaleresques nippones pour les uns, incarnation d’un militarisme singulièrement meurtrier pour les  autres, le samouraï continue de fasciner et d’interroger. Guerrier emblématique de l’archipel, il se confond avec le citoyen japonais moderne, se cuisine à toutes les sauces, s’affiche en devanture des librairies sous les oripeaux les plus improbables, guidant ici les futurs corporate warriors frais émoulus des écoles de commerce, ouvrant là les portes du développement personnel. À l’instar de son cousin, le preux chevalier de nos chansons de geste, le samouraï charrie dans son sillage un fatras d’idées reçues et d’images d’Épinal tout droit sorties des belles pages du roman national. Il faut dire que les dirigeants politiques du Japon, qui entendent bien se mettre au diapason des grandes puissances à la fin du XIXe siècle, s’emploient à bâtir un récit capable de faire pièce aux modèles européens, et où le fécond imaginaire qui se déploie autour du samouraï occupe une place de choix. La nécessité de remettre la société sur le pied de guerre afin de se tailler un empire colonial s’inscrit dans ce prolongement en invoquant les figures martiales d’un passé plus ou moins fraîchement révolu. Quant aux généraux fascisants qui tiennent le haut du pavé durant les années 1930 et jusqu’à l’issue funeste de la Seconde Guerre mondiale, ils n’auront qu’à s’inscrire dans les pas de leurs prédécesseurs, érigeant le samouraï et son code d’honneur prétendument inflexible en idéal de sacrifice auquel tout jeune homme nippon se doit d’aspirer sans réserve.

Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis que les cendres d’Hiroshima et Nagasaki ont cessé de rougeoyer. Le regard que nous portons n’a pourtant guère évolué. Or, sans prétendre à se livrer à une analyse historique, il n’est qu’à jeter un bref coup d’œil au parcours de quelques-uns des personnages les plus chers au cœur des Japonais pour que les masques tombent.

 

Kusunoki Masashige, champion de l’empereur… et dindon de la farce

Gardant l’entrée de l’esplanade qui conduit au palais impérial à Tôkyô, la statue de Kusunoki Masashige, héros médiéval situé à mi-chemin entre Robin des bois et Du Guesclin, domine de toute sa hauteur les badauds. Champion de l’empereur à l’orée des années 1330, Masashige aide le souverain à rétablir son autorité politique sur les guerriers, qui ont fondé leur propre gouvernement parallèle, aux ordres du shôgun, un siècle et demi plus tôt. Cette restauration fait cependant long feu, et le brave Masashige est tué à la tête des armées impériales au cours d’une bataille qu’il savait perdue d’avance. Vous avez dit « fidélité » ? Le vainqueur du jour, habitué des voltefaces et trahisons, avait servi le shogunat dans un premier temps, se déclarant ensuite opportunément en faveur de la cause impériale, avant de s’en aller finalement ferrailler pour son propre compte. Et ce en l’espace de trois brèves années ! Bien loin de s’attirer l’opprobre, le félon rallierait à lui la majorité des samouraïs, et fonderait l’une des dynasties shogunales les plus pérennes – les Ashikaga – qui donnerait à Kyôto deux de ses plus remarquables monuments : les pavillons d’Or et d’Argent. Le cas n’a d’ailleurs rien d’isolé. L’issue de la guerre de Genpei, qui avait conduit à l’avènement du premier shôgun en 1192, s’était en partie jouée sur la traîtrise d’un général. Dans le même registre, le fondateur du régime Tokugawa remporterait en octobre 1600 la bataille de Sekigahara grâce à l’aide décisive d’un jeune capitaine passé à l’ennemi.

 

Kusunoki Masashige 

Statue équestre de Kusonoki Masashige, Tokyo. Source : Scubasteve51387, DeviantArt.

 

Quant au malheureux Masashige, il sombre dans l’oubli durant plus de cinq siècles. Ce n’est en effet qu’à la fin du XIXe siècle, lorsque l’archipel se trouve de nouveau confronté à un contexte politique comparable, que le héros de la première restauration devient un parangon de la loyauté la plus indéfectible, conforme au mythe du samouraï alors en voie de cristallisation. Les exemples abondent, qui démontrent que la fidélité aveugle tant vantée ne fut guère plus qu’un vœu pieu, au mieux une exhortation faite aux échelons subalternes de la classe militaire, et dont les seigneurs et maîtres s’estimaient, ici comme ailleurs et en d’autres temps, exonérés de tout devoir.

 

Miyamoto Musashi, du bretteur au best-seller

Si Kusunoki Masashige est un personnage particulièrement populaire au Japon, aucun samouraï ne peut se targuer d’avoir atteint le degré de notoriété internationale auquel culmine le légendaire Miyamoto Musashi, idole de générations d’écoliers. Fin connaisseur du pays du Soleil-Levant, Edwin Reischauer écrit d’ailleurs que l’insulaire aime à se considérer comme un « Musashi moderne », guerrier et poète sensible aux plaisirs simples, chevalier errant, combattant invincible en communion permanente avec les éléments naturels. C’est oublier que ce portrait flatteur se fonde avant tout sur une fiction romanesque. En effet, l’écrivain Yoshikawa Eiji publie à la veille de la Seconde Guerre mondiale un feuilleton appelé à connaître un succès retentissant, et intitulé La Pierre et le Sabre. L’auteur y réinterprète le parcours de l’illustre duelliste, parant son héros de toutes les vertus. Il s’autorise cependant quelque licence avec la vérité historique, d’autant que si le principal intéressé a bien laissé une œuvre testamentaire, la plupart des commentateurs en sont toujours réduits à le croire sur parole. Faut-il prêter foi au jugement que Musashi porte sur sa propre personne, alors même qu’il rappelle lui-même avoir cherché à se faire valoir auprès d’un suzerain susceptible de l’embaucher ? Si sa technique était aussi irréprochable et supérieure qu’il le prétendait, pourquoi a-t-il échoué, par deux fois, à devenir le maître d’armes de la maison Tokugawa ? Et que penser de son duel le plus célèbre ? S’il s’est déroulé loyalement, comment expliquer que les contemporains des protagonistes aient rebaptisé le théâtre du combat en hommage au vaincu ? Pour être anecdotiques, ces zones d’ombre incitent à la distance. Or, rien ne permet de conclure que Miyamoto Musashi, qui était animé d’une ambition si dévorante qu’il n’hésita pas à abattre un enfant pour se tirer d’un mauvais pas et asseoir sa victoire, partageait quelque trait de caractère avec le personnage attachant dépeint par Yoshikawa.

 

Miyamoto Musashi, Vagabond

Miyamoto Musashi tel que représenté dans le manga Vagabond de Takehiko Inoue. Source : Zabimaru-Manga.

 

Là encore, le mythe a supplanté la réalité, nourrissant un imaginaire dont la fonction était alors, précisément, de favoriser l’identification entre les jeunes japonais et ce guerrier idéalisé, devenu outil d’endoctrinement chargé d’assurer la militarisation du pays. Nul besoin de s’attarder sur les dérives qui résultèrent de ce culte martial…

 

Saigô Takamori, le dernier samouraï, Hollywood et le roman national

En 2003, le réalisateur américain Edward Zwick porte à l’écran la fin tragique du « dernier samouraï », aux côtés d’un Tom Cruise qui brandit pour l’occasion le redoutable sabre du guerrier japonais. La fresque hollywoodienne s’efforce de restituer l’atmosphère troublée de la restauration Meiji, qui marquera la chute du système dominé par les samouraïs. Elle s’inspire très librement du personnage de Saigô Takamori, qui périt bien sous les balles de la toute jeune armée impériale en 1877. La comparaison s’arrête là, car le quotidien des paysans du Satsuma, région d’où Takamori était originaire, était à cent lieues de l’osmose, idyllique et bucolique, entre classes sociales décrite dans le film. Le fief comptait en effet au nombre des plus pauvres, au moins en partie du fait de la très forte proportion locale de samouraïs à nourrir, alors même qu’en principe, interdiction formelle avait été faite aux guerriers de cultiver la terre. Durant ses tournées de magistrat itinérant, Takamori se désole d’ailleurs des conditions de vie abjectes dans lesquelles croupissent les couches les plus humbles. Souvent présenté comme un ardent défenseur de la tradition nippone, Takamori n’en est par autant un technophobe répugnant à user de méthodes modernes jugées déloyales. Il fut même du reste l’un des principaux artisans de la formation des troupes qui allaient causer sa perte, et veilla à pourvoir les rebelles sous son commandement des armes à feu dont il avait pu se rendre maître. Si le colosse de Kagoshima imaginait sans doute un destin moins funeste pour ses confrères samouraïs, il regardait l’avenir avec une certaine lucidité. Ironie du sort, le projet d’annexion de la Corée, qui avait semé la zizanie au sein du gouvernement oligarchique de Meiji et conduit à une nouvelle disgrâce du « dernier samouraï », serait finalement mis à exécution quelques décennies après sa mort au champ d’honneur.

 

Saigo Takamori

Saigô Takamori. Source : Kinsei Meishi Shashin vol.1.

 

Entre temps, Saigô Takamori serait passé du statut d’infâme renégat à celui de victime expiatoire du nouveau Japon. Plutôt que de se féliciter d’avoir enfin jeté à bas le joug des samouraïs, le jeune État en manque de repères chercherait au contraire à les réhabiliter afin d’en faire les hérauts guerriers d’une nation désormais conquérante.

 

La voie de son maître

Ce que nous croyons savoir de l’univers mental des samouraïs, et la remarque vaut pour les Japonais, s’appuie pour bonne part sur le fantasme du Bushidô, le fameux « Code du Guerrier ». Or, il s’agit d’une construction relativement récente, en tout cas postérieure aux temps les plus mouvementés, aux périodes durant lesquelles le climat de violence endémique pouvait justifier la domination politique des guerriers. Le terme même n’est forgé qu’au XVIIe siècle, par les adeptes d’un courant de pensée patronné par le shogunat des Tokugawa. Autant qu’un guide moral et spirituel, le Bushidô est ainsi une arme idéologique. Il puise d’ailleurs à deux sources  principales : d’une part un ensemble assez décousu de prescriptions, jusqu’alors essentiellement transmises de manière orale et remontant à l’antique kyûba no michi, « la voie de l’arc et du cheval » ; et d’autre part l’ultra-conservatisme du néoconfucianisme, doctrine d’origine chinoise qui prône le respect scrupuleux d’une hiérarchie sociale perçue comme idéale. Soucieux d’enraciner leur pouvoir et d’éviter tout retour à l’anarchie des « Royaumes combattants », les Tokugawa adoptent et adaptent cette philosophie, en prenant soin de redonner aux guerriers, leurs premiers obligés, la place de choix qu’ils ne détenaient aucunement chez Confucius. Qu’importe, le tour est joué, et garantira la pérennité du régime pour deux siècles de plus.

 

Confortés dans leur mission de bergers et protecteurs du peuple, les samouraïs deviendront pour la plupart de zélés fonctionnaires, portant toutefois le sabre en toute occasion. Il en restera toujours quelques-uns pour trancher dans le vif un débat houleux, ou venger dans le sang un ombrageux honneur froissé. Reste qu’au fil des âges, davantage que l’observance consciencieuse d’une éthique admirable, s’il est un dénominateur commun entre les personnages émergeant des chroniques, celui-ci réside dans la volonté farouche de défendre ses intérêts. En cela, « celui qui sert », étymologie du mot samouraï, était fidèle à la loi universelle, et n’aura pas démenti Oscar Wilde lorsque le facétieux Irlandais ironisait de la sorte : « Appuyez-vous sur vos principes, ils finiront bien par céder »…

 

Samouraïs

Samouraïs : 10 destins incroyables, disponible dès le 7 avril aux éditions Prisma.

 

Partie II : les questions

D’où vous vient cet intérêt marqué que vous portez au monde asiatique en général et au Japon en particulier ?

C’est ma passion pour les samouraïs qui m’a conduit à élargir mon champ de vision, d’abord par souci de mieux comprendre le contexte historique, politique mais aussi culturel et géographique dans lequel s’inscrivent les sept siècles de domination de l’archipel par la classe guerrière. On ne peut appréhender les singularités de l’histoire du Japon sans aborder celle de la Chine, elle-même influencée par ses voisins coréens, mongols, vietnamiens, voire centre-asiatiques.

 

Pourquoi avoir choisi d’écrire ce nouvel ouvrage sur l’univers des samouraïs ? Qu’est-ce qui les rend si remarquables, si singuliers à vos yeux ?

Avec une telle longévité, une telle diversité de parcours parmi les personnages, le sujet me semble inépuisable. Et puis, l’extraordinaire rayonnement de la culture populaire nippone invite à interroger ses fondements, parmi lesquels figure en bonne place un « roman national » dont les samouraïs persistent à compter au nombre des principaux protagonistes. Leur influence continue ainsi de s’exercer.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Repartir en voyage dès que mes deux enfants seront en âge de nous le permettre ! Je brûle d’impatience de parcourir les sentiers de haute Asie à leurs côtés. Mais avant cela, j’espère publier prochainement un conte, qui semble avoir enfin trouvé un éditeur. Il ne me reste qu’à croiser les doigts.

 

Julien Peltier

 

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4 mars 2016

Jean-Clément Martin : « Robespierre était un pragmatique, il n'a pas théorisé la Terreur »

Jean-Clément Martin est un des spécialistes les plus éminents de la période ô combien troublée de la Révolution française (entendue ici comme s’achevant à l’avènement de Bonaparte à la tête du pays). Professeur émérite à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne et ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF), M. Martin a notamment composé une Nouvelle Histoire de la Révolution française (Perrin, 2012) qui fait référence et, tout récemment, une biographie de l’« Incorruptible », Robespierre, la fabrication d’un monstre (Perrin, 2016). Il a accepté, sur la base de ce dernier élément bibliographique, de répondre à mes questions, ce dont je le remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Robespierre était un pragmatique,

il n’a pas théorisé la Terreur »

Interview de Jean-Clément Martin

Q. : 01/03 ; R. : 03/03

 

Robespierre 

Robespierre, la fabrication d'un monstre, aux éd. Perrin.

 

Paroles d’Actu : Dans quelle mesure peut-on dire, s’agissant de Maximilien Robespierre, que les idéaux des Lumières, ceux de son temps, ont contribué à le construire en tant qu’homme et en tant que citoyen ?

 

Jean-Clément Martin : Qui pourra assurer que les idees des Lumières ont façonné les personnalités de la Révolution ? Et quelles Lumières d’ailleurs ? La polémique liée au dernier livre de Jonathan Israël (Les Lumières radicales, aux éd. Amsterdam, ndlr) rappelle que les définitions mêmes des Lumières sont imprécises, et on sait bien que des révolutionnaires comme Marat ne peuvent pas être rattachés simplement aux courants des Lumières. Robespierre, comme de très nombreux autres députés de 1789, a reçu une éducation classique qu’il a partagée aussi bien avec de futurs partisans comme avec de futurs  opposants. En outre, il est manifestement lié à un horizon chrétien réformateur par ses parents et leurs relations arrageoises. Vouloir expliquer la Révolution par l’héritage des Lumières est une habitude de pensée qui n’explique rien.

 

PdA : 1792 : la France déclare la guerre « au roi de Bohême et de Hongrie » - en fait à la Maison d’Autriche. Robespierre compte parmi les rares révolutionnaires avancés à s’opposer à cette aventure extérieure, pourquoi ?

 

J.-C.M. : Lorsque la France déclare la guerre au roi de Bohême et de Hongrie - mais aussi au roi de Prusse - l’élection du nouvel empereur n’est pas encore faite, ce qui explique la formule précise employée à raison par les députés. Robespierre est initialement favorable à la guerre, ce qui est régulièrement oublié. Il se rallie ensuite, au bout de quelques semaines à cette position, dénonçant le risque de la prise de pouvoir par un général victorieux. Il demeure cependant très isolé, étant en butte aux critiques de la majorité des députés et de l’opinion publique. Ce refus, qui le distingue des Girondins jusqu’à la fin de 1792, est abandonné lorsqu’il se rallie de fait à la guerre contre les Anglais tout en affirmant son rejet de la guerre de conquête. Il soutient l’offensive contre la Vendée longtemps avant de prendre ses distances, au début de 1794.

 

PdA : Quelle est, au-dehors et au-dedans, la situation de la France de la Révolution à l’heure où sont instaurées les premières mesures de ce qui, pris tout ensemble, restera dans les mémoires sous l’appellation de « Terreur » ?

 

J.-C.M. : La « Terreur » n’a jamais été un « système » avant que les thermidoriens n’assurent que Robespierre en aurait été l’inspirateur et le chef. Il n’y eut jamais de loi instaurant la Terreur. Il y eut bien des mesures qui mirent en place un état d’exception (tribunal révolutionnaire, loi des suspects, etc.), ceci en réponse aux demandes formulées par les sans-culottes et pour faire face aux menaces sur les frontières et devant les insurrections « fédéralistes » et vendéenne. Ces mesures doivent être lues comme le moyen de contrôler les surenchères politiques et d’empêcher le retour des massacres, comme ceux de septembre. Il y eut là une politique, éventuellement cynique, pour faire la « part du feu » en laissant les individus les plus violents accomplir des gestes atroces servant cependant à l’établissement de la révolution. Il convient de rappeler que la guerre mobilise à peu près 600 000 hommes à ce moment et que cette guerre ne peut se conclure que par la victoire ou la disparition du régime révolutionnaire.

 

PdA : Est-ce que le régime de la Terreur tel qu’il a été pratiqué a participé de manière décisive à, pour faire simple et certainement grossier au vu des crimes commis par ailleurs, faire triompher ou en tout cas préserver la France issue de la Révolution face aux forces de la Réaction ?

 

J.-C.M. : Vous comprendrez que je ne peux pas vous répondre. Il n’y eut jamais de « régime de terreur », pas plus qu’il n’y eut d’unité des révolutionnaires. Les violences les plus grandes de 1793 sont liées aux concurrences entre députés de la Convention et sans-culottes, celle du printemps de 1794 sont elles liées aux rivalités entre membres des comités ! Il est aussi illusoire de penser que la « réaction » ait organisé la lutte contre la Révolution. Une fois ceci posé, il est cependant évident que les exigences de la guerre ont pesé sur le contrôle imposé et surtout sur l’emploi des sans-culottes dans les armées envoyées en Vendée. Les crimes de guerre commis alors ont été permis par cette situation compliquée.

 

PdA : La Terreur pose-t-elle, comme l’affirment certains auteurs, une partie des fondations des régimes totalitaires du XXème siècle ?

 

J.-C.M. : Je laisse ce genre d’imputations à ceux qui pensent la Terreur en adoptant les inventions thermidoriennes sans les confronter à la réalité des faits. Il conviendrait aussi de ne pas voir la révolution française comme la seule révolution violente, comme il est souvent dit.

 

PdA : Quelle image vous êtes-vous forgée de Robespierre finalement ? Quelle perception avez-vous de sa personne, de ses actions et des traces qu’il a laissées derrière lui ?

 

J.-C.M. : Je ne me suis pas forgé d’image de Robespierre et je n’ai pas eu la prétention de donner un portrait psychologique. J’ai voulu replacer Robespierre en son temps, le comparer avec ses pairs et ses rivaux. Il s’agit d’un homme « ordinaire » qui a incarné peu à peu une ligne politique, parfois involontairement, parfois même en étant isolé - notamment lorsqu’il réclame la mort du roi sans jugement. Après l’été 1793 il devient dans la Convention l’un des représentants de la gauche révolutionnaire, meme s’il est conduit à envoyer les sans-culottes à la guillotine. Il suit ainsi une ligne politique pragmatique en fonction des luttes internes entre conventionnels. Après le printemps 1794, il inspire beaucoup d’inquiétude à ses pairs qui le voient comme un dictateur potentiel. Ceci explique que Thermidor se réalise en fixant l’image de Robespierre comme un « tyran » et un « monstre ». Il ne s’agit pas de penser qu’il a été « responsable » de sa trajectoire et de l’image qu’il a laissée.

 

Jean-Clément Martin

Source : éd. Vendémiaire.

 

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28 février 2016

« Plus que du sport, un parcours initiatique », par Mahyar Monshipour-Kermani

Mahyar Monshipour compte parmi les athlètes qui ont le plus marqué le public français ces dernières années ; il est à coup sûr un des boxeurs « tricolores » les plus titrés (il fut champion du monde dans la catégorie de poids super-coqs de la WBA de 2003 à 2006). Dix ans presque jour pour jour après son dernier combat, perdu face au thaïlandais Somsak Sithchatchawal mais qui est entré dans la légende du sport (il fut désigné « combat de l’année » 2006 par le prestigieux magazine Ring), il a accepté à ma demande (datée du 25 février) d’évoquer pour Paroles d’Actu dans un texte inédit et très personnel son sport, la boxe, et son parcours - je l’en remercie de nouveau ici. Un focus que j’ai souhaité sur un parcours hors du commun, authentiquement « inspirant » et sur un sport, la boxe donc, qui n’a certainement que peu d’égaux en matières d’école, dexpérience de vie. Un article qu’à titre personnel je spécial-dédicace à l’ami Lucas. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

« Plus que du sport, un parcours initiatique. »

par Mahyar Monshipour-Kermani, le 27 février 2016

Pratiquer la boxe, ce n’est pas « simplement » faire du sport. C’est être plus « homme » que les autres hommes. C’est vivre ce que d’autres ne font que rêver, fantasmer. C’est se mettre à nu : montrer au grand jour ses forces et ses faiblesses.

Boxer, c’est créer un environnement qui n’existe plus, celui du danger imminent, omniprésent et réel, que seuls les soldats, sur les zones de conflits, connaissent.

Être sur le ring, ce carré de lumière mal nommé, entre quatre cordes qui te lacèrent le dos si tu as le malheur d’être dominé, avec tes deux poings gantés, face à ceux - les poings - de l’adversaire qui te font croire qu’ils sont inoffensifs, et la gomme dans la bouche, gomme que tu serres pour faire passer la douleur...

Être sur le ring, c’est être dans la ligne de mire des poings de l’adversaire, et du jugement, des regards des spectateurs qui, eux, incapables de monter sur le ring, pourtant, te jugent.

Je voulais être l’un d’eux, gladiateurs du monde moderne ; l’un de ceux, virils, sans peur, qui comme un Hercule, saurait éblouir le monde, de son courage et de sa force.

Je voulais être un homme, et le chemin le plus court, ce fut le ring.

À dix-sept ans ans, en Terminale au lycée d’excellence Camille Guérin à Poitiers, je parcourais le trajet séparant le lycée de l’appartement de ma tante - qui eut ma responsabilité de l’âge de dix ans jusqu’à ma majorité - à moto, emmené par Thibaud, cet enseignant d’E.P.S. unique et hors du commun. Pour m’entraîner à la boxe... dans le salon de son appartement H.L.M, aménagé en dojo et qui jouxtait celui que nous habitions.

Eh oui, mes premiers entraînements se sont déroulés underground et en cachette de ma tante, jusqu’à ce que Thibaud me dise, « On arrête les bêtises : tu vas t’inscrire au club ».

À l’heure de cette annonce dans le cadre familial, ce fut la fin du monde : celui construit dans l’imaginaire de ma tante - qui avait endossé la lourde responsabilité de m’accueillir - et de mon père. Elle m’a dit, « Tu vas finir éboueur, Mahyar. Tu te débrouilles avec ton père... » Ce père qui, appelé alors qu’il était installé aux Pays-Bas, me raccrocha « au poing ». Ce père qui, en juillet 2003, lorsque je devins champion du Monde professionnel de boxe, m’enlaça avec fierté.

Juillet 2003. Le déclic, ce fut en janvier 1993. Les dix années et six mois qui me séparèrent de la reconnaissance de la France, qui tout entière vécut ma cause comme la sienne, ont été jalonnées de joies - nombreuses -, de souffrances - il y en a eu, très certainement - et de manques - matériels et affectifs.

Il en restera de merveilleux souvenirs de rencontres. Avec Philippe Mouroux, directeur de cabinet du président du Conseil général de la Vienne d’alors, Monsieur René Monory. Avec Mohammed Bennama, le technicien blagnacais qui me permit de gravir tous les échelons de la hiérarchie pugilistique, et avec qui j’ai parcouru neuf ans de ma vie d’homme. Je pense, enfin, à la rencontre de ma femme, Hanan, mère de mon unique enfant, Shirine. Je ne l’aurais probablement jamais rencontrée... si je n’avais pas perdu mon septième championnat du Monde, un certain 18 mars 2006.

Aujourd’hui, à part des souvenirs, il ne reste plus rien de cette vie passée. Rien ? J’exagère : mon nom, ma fille, et la fierté que je sens dans ses yeux lorsqu’elle me dit, « Papa, tu étais le plus fort du monde entier ? »...

 

MMK avec sa fille Shirine

M. Monshipour-Kermani avec sa fille Shirine. Photo : MMK. 

 

 

Album photo composé et commenté par Mahyar Monshipour-Kermani...

 

MMK par Harcourt

Shooting MMK. Photo : Harcourt.

 

MMK à Bam

À Bam, Iran, en janvier 2003. Photo : Alain de Montignac.

 

MMK lors d'un tournoi de boxe en Russie

Tournoi de boxe en Russie. Photo : MMK.

 

MMK avec Mohammed Bennama

Avec Mohammed Bennama, mon entraîneur. Photo : MMK.

 

MMK avec B

Avec Bouchaïb Chaddi et Michel Acheghane, entraîneurs de boxe et parmi mes meilleurs amis. Photo : MMK.

 

MMK avec Didier Botella

Avec Didier Botella, président-fondateur du Blagnac boxing club. Photo : MMK.

 

MMK Famille

En famille. Photo : MMK.

 

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8 février 2016

Barthélémy Courmont : « L'arme nucléaire est l'assurance-vie du régime nord-coréen »

Barthélémy Courmont est directeur de recherche à l’IRIS et maître de conférences à l’Université catholique de Lille. Également rédacteur en chef de la revue Monde chinois, nouvelle Asie, il compte parmi les meilleurs experts sur les questions touchant notamment aux affaires stratégiques d’Asie et du Pacifique et au nucléaire militaire. Près de deux ans et demi après notre première interview, qui avait pour thème central le bombardement atomique dHiroshima (août 1945), il a accepté, dans un contexte d’intensification des tensions liées au programme nucléaire nord-coréen, de répondre une nouvelle fois à mes questions - ce dont je le remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« L’arme nucléaire est l’assurance-vie

du régime nord-coréen »

Interview de Barthélémy Courmont

Q. : 03/02 ; R. : 07/02

 

Corée du Nord

Revue militaire à Pyongyang. Photo : David Guttenfelder/AP.

 

Paroles d’Actu : Barthélémy Courmont, bonjour. Pyongyang a prétendu début janvier avoir procédé avec succès à un essai de bombe à hydrogène. Une affirmation qui a été accueillie avec scepticisme par bon nombre d’observateurs. Est-ce qu’à votre avis, pour ce qui concerne en tout cas la maîtrise de la technologie en question, la Corée du Nord est devenue - ou est en passe de devenir - une « puissance thermonucléaire »  ?

 

Barthélémy Courmont : De nombreuses interrogations entourent ce quatrième essai nord-coréen, dont la faible puissance n’indique pas que la Corée du Nord soit en mesure de maitriser la puissance de la bombe à hydrogène. Il y a donc un décalage entre l’annonce officielle de cet essai, et les doutes qui persistent sur le fait qu’il puisse être de la même nature que les trois précédents. Cependant, il ne faut pas non plus écarter la possibilité que la Corée du Nord soit en mesure, ou proche, d’effectuer des essais de bombes à hydrogène, et il faut se souvenir qu’à l’occasion des trois premiers essais, en 2006, 2009 et 2013, la communauté internationale avait déjà émis des doutes sur l’authenticité des essais. Il s’agit là d’un des éléments de la stratégie nucléaire de Pyongyang, qui consiste à semer le doute sur ses réelles capacités, et pratique ainsi une stratégie de dissuasion qui ne repose pas tant sur la réalité d’un arsenal (difficile de savoir si, au-delà des essais, la Corée du Nord est capable de constituer un arsenal nucléaire) que sur un effet d’annonce rendu possible par l’opacité du régime et les difficultés à vérifier. En ce sens, et en dépit des doutes, nous sommes dans l’obligation de croire Pyongyang sur ses capacités nucléaires, ou alors de prendre le risque de sous-estimer ses capacités.

 

PdA : Que sait-on, à l’heure où des voix s’élèvent dans la région pour exhorter Pyongyang à renoncer à un tir d’essai de fusée (qui a finalement eu lieu le 7 février, ndlr), de l’avancée des connaissances et capacités du régime en matière de balistique ?

 

B.C. : Les capacités balistiques de la Corée du Nord, que le tir d’une fusée (sans doute un missile) début février n’a fait que confirmer, sont avérées depuis plusieurs années. De nombreux tests ont été effectués, et à plusieurs reprises des missiles nord-coréens se sont abîmés dans l’océan Pacifique après avoir survolé l’archipel japonais. Cela signifie que les missiles balistiques nord-coréens sont capables de frapper n’importe quelle cible au Japon, et donc en Corée du Sud. Là encore, il y a un décalage entre ce que Pyongyang affirme, et les doutes sur ses capacités. Le régime nord-coréen prétend ainsi être en capacité de frapper des villes de la côte ouest des États-Unis, ce qui semble peu probable. Mais nous ne disposons pas d’information suffisamment fiable permettant d’écarter tout doute.

 

PdA : Peut-on affirmer avec certitude, aujourd’hui, que tel ou tel État « nucléarisé » ou acteur non-étatique a contribué de manière décisive à l’acquisition par la Corée du Nord de la technologie nucléaire militaire et de ses indispensables à-côtés ?

 

B.C. : Les capacités nucléaires de la Corée du Nord sont essentiellement le résultat de ses propres programmes, ainsi que de l’enrichissement de l’uranium sur le site de Yongbyon. Si la participation d’ingénieurs soviétiques, et peut-être chinois, n’est pas à exclure, il ne faut sous-estimer la capacité de ce pays à avoir accompli un programme indigène, sans une influence décisive d’une puissance étrangère. La technologie soviétique a évidemment été à l’origine des capacités balistiques, qui sont dérivées de missiles scud autrefois vendus ou offerts par Moscou. La Corée du Nord est cependant parvenue à faire évoluer ces missiles scud, et même à mettre au point ses propres missiles, ce qui indique un savoir-faire réel en la matière, au point que Pyongyang est devenu un acteur de la prolifération balistique, comme l’ont indiqué l’identification de plusieurs filières au début des années 2000.

 

PdA : Dispose-t-on d’éléments tangibles qui nous permettraient de constater sans ambiguïté qu’une Corée du Nord authentiquement « nucléarisée » sur le plan militaire représenterait un péril inédit par rapport aux autres puissances atomiques ? Cette question-ci est liée, au fond : le régime que dirige  Kim Jong-un est-il « rationnel » dans sa conduite des affaires internationales, dans sa gestion des risques/gains potentiels ?

 

B.C. : C’est une question essentielle, qui en appelle une autre : le dossier nucléaire nord-coréen doit-il encore être traité comme un enjeu de prolifération, ou plutôt comme un sujet de dissuasion ? Ainsi, à quoi sert l’arme nucléaire pour Pyongyang ? Il s’agit essentiellement d’une arme défensive, utilisée dans un but politique très simple mais essentiel : la survie du régime. Cette stratégie sur le fil est périlleuse, mais elle est rationnelle en ce qu’elle permet à Pyongyang de se maintenir en position de force dans les négociations avec ses voisins et les États-Unis. En ce sens, les capacités nucléaires de la Corée du Nord, réelles ou supposées, sont une garantie et une arme à un coût relativement faible, là où des capacités conventionnelles ne feraient pas le poids face à ses adversaires désignés, que ce soit la Corée du Sud, le Japon ou les États-Unis. Pour comprendre la stratégie de la Corée du Nord, il est indispensable de tenir compte de cet élément, de même qu’il semble désormais plus approprié de traiter de cette question comme d’un problème de dissuasion plus que de prolifération (ce qui ne doit pas bien sûr supposer une acceptation de la Corée du Nord comme puissance nucléaire).

 

PdA : Le Pakistan, détenteur de l’unique « bombe islamique », vous paraît-il devoir s’inscrire, de fait, au cœur des enjeux liés à la recrudescence des tensions confessionnelles au sein du monde islamique ?

 

B.C. : Franchement non. La bombe pakistanaise s’inscrit dans la rivalité avec l’Inde, et rappelons à ce titre que les deux pays ont conduit leurs essais à quelques semaines d’intervalle, au printemps 1998. On sait aujourd’hui que le Pakistan a profité d’une collaboration avec la Corée du Nord pour mettre au point sa bombe, mais aussi que la filière du Docteur Khan, le père de la bombe pakistanaise, pouvait alimenter des liens avec des réseaux islamistes. Cependant, le Pakistan n’a jamais offert ou vendu sa bombe à une autre puissance, qu’elle soit dans le monde musulman ou non, et n’a pas non plus profité de son statut de puissance nucléaire, même non reconnue par le Traité de non-prolifération (TNP), pour se positionner comme chef de file d’un courant transnational confessionnel, que ni les pays arabes ni l’Iran ne cautionneraient de toute façon. Le programme nucléaire pakistanais était, dès ses origines, inscrit dans une logique régionale, et sert une stratégie de dissuasion exclusivement tournée vers l’Inde.

 

Barthélémy Courmont

 

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5 février 2016

« Réflexions autour du principe de laïcité », par Gaëtan Dussausaye

On prête à André Malraux d’avoir annoncé un 21ème siècle « religieux ». Nul ne sait de quoi demain sera fait, encore moins après-demain, mais une chose paraît acquise : on n’a probablement jamais autant parlé de religion dans le débat public depuis cent ans que durant les quinze dernières années, marquées par l’accroissement des manifestations violentes de fondamentalisme religieux et, à l’intérieur de nos sociétés, des tiraillements entre ce qui relève de la religion et ce qui n’a pas à en relever. J’ai souhaité inviter Gaëtan Dussausaye, qui est depuis 2014 directeur national du Front national de la Jeunesse (FNJ), à nous livrer l’état de ses réflexions et sentiments de citoyen s’agissant de l’actualité d’un principe tellement ancré dans l’imaginaire républicain que beaucoup l’intégreraient volontiers à la devise nationale : le principe de laïcité. Une exclusivité Paroles d’Actu (Q. : 21/01 ; R. : 04/02). Par Nicolas Roche.

 

« L’État chez lui, l’Église chez elle. » Victor Hugo.

Prendre une télécommande. Allumer la télévision. Zapper sur quelques chaînes. Tomber sur l’intervention d’un Premier ministre de la République française sur une émission de divertissement. La regarder. Entièrement. Prendre la télécommande. Éteindre la télévision. Et avoir cette étrange sensation que jamais dans une nation, un pays, une société laïcs, le « religieux » n’avait pris autant d’importance et d’emprise sur le discours politique, sur le discours public.

Une semaine après, même impression. La ministre de l’Éducation nationale, de passage à Canal +, côtoie sur le plateau un activiste religieux, et doit répondre des positions polémiques de ce dernier.

Depuis quand le politique doit-il nommer, commenter, se positionner face au religieux ? Qu’a-t-on fait de l’article 2 de la Loi du 9 décembre 1905 qui dispose que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » ? Le politique respecte-t-il ce texte d’ordre et d’équilibre lorsque le Premier ministre mentionne et reconnaît successivement les communautés musulmanes, juives, chrétiennes, bouddhistes, évangélistes, et même athées ? Que fait le gouvernement de ce fondement républicain qu’est la laïcité, quand son ministre de l’Intérieur rassure les chrétiens quand une église brûle, rassure les musulmans quand une mosquée est dégradée, alors que ce sont les Français, les Français tout court qui devraient être rassurés face à l’explosion des tensions communautaires dans notre pays ?

Suite aux événements douloureux de 2015, la considération des aspirations spirituelles et religieuses de chacun s’est imposée à la base de toute analyse et de toute parole politique. Certains ont ainsi cru bon pour la France, bon pour le « vivre-ensemble des citoyens », de devoir s’adresser aux particularités de chacun, et ainsi de donner des gages non pas à l’ensemble mais aux sous-ensembles. Le Français, citoyen et national, ne semble plus suffire au discours politique. L’on ne s’adresse plus désormais à l’individu en tant que citoyen français ; l’on s’adresse au citoyen français et musulman, et juif, et chrétien, et athée, etc… Comme si l’identité, notre identité, cette définition de ce que nous sommes, cette définition qui a vocation à nous unifier en un seul sujet qu’est le peuple, devait alors trouver son essence dans la somme d’une pluralité de sous-identités, d’une pluralité de sous-communautés.

En agissant de la sorte, certains politiques vont - peut-être involontairement, concédons-leur ce point - à l’encontre de la citoyenneté, seule unité dans laquelle chacun d’entre nous devrait se reconnaître. En agissant de la sorte, ces mêmes politiques ne jouent aucunement la carte de l’apaisement mais encouragent, développent encore davantage le repli sur « soi », le cloisonnement de l’individu dans un de ces multiples sous-ensembles, et par conséquent la méfiance puis le rejet de celui qui n’en est pas.

Ainsi le délitement de l’identité nationale et donc citoyenne, provoqué par la considération politique et publique d’une répartition des êtres dans ces sous-ensembles, est et sera à la source de conflits déjà existants, et de conflits à venir au sein même de notre société.

Aux politiques, alors, de rappeler et de marteler que notre société, notre identité sont fondamentalement protégées de la discorde par la laïcité. Aux politiques de réclamer aux chefs de culte, aux orateurs religieux de savoir s’abstenir de s’introduire dans le débat public et politique, et de maintenir la nécessaire séparation de l’espace public des citoyens et de l’espace privé des individus. Là n’est pas la place de la religion, d’aucune religion. « L’État chez lui, l’Église chez elle ! ». Aux politiques de faire valoir la laïcité dans son essence même et non pas, comme l’entendent ses détracteurs, soit une arme portée à l’encontre de l’existence des religions.

Aux politiques, donc, de rappeler cette formidable définition de la laïcité du philosophe Henri Peña-Ruiz : « La laïcité consiste à faire du peuple tout entier, sans privilège ni discrimination, la référence de la communauté politique. Celle-ci mérite dès lors son nom de République, bien commun à tous. Le clergé d’une religion particulière n’est pas contesté, tant qu’il se contente d’administrer les choses de la foi pour ceux qui lui reconnaissent librement un tel rôle. Mais dès qu’il entend exercer un pouvoir sur l’ensemble des êtres humains, et capter à son profit la puissance publique, il fait violence à ceux qui ont d’autres options spirituelles. ».

Il en va de l’unité des citoyens, de l’unité de la Nation, seules garantes de tranquillité et de sérénité pour les générations à venir, qui n’ont pas à subir ce que nous, jeunes, vivons au quotidien : la tentation du repli communautaire religieux, mirage d’une stabilité à court terme dans un environnement de plus en plus amputé de ses repères, de ses racines, de ses valeurs communes, et d’un projet collectif et unitaire pour l’avenir national.

Osons croire en ce qui nous unit, la laïcité, la citoyenneté, la Nation.

Gaëtan Dussausaye.

  

Gaëtan Dussausaye

Gaëtan Dussausaye est depuis 2014 directeur national du Front national de la Jeunesse.

 

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