Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles d'Actu
23 août 2015

« Une année dans les coulisses de la diplomatie internationale », par Claude-Henry Dinand

Claude-Henry Dinand, jeune étudiant de Sciences Po, vient de passer une année aux États-Unis dans le cadre de son cursus. Il a eu l’opportunité, de Washington à New-York, d’approcher certains cercles de pouvoir majeurs. Et d’avoir, vu de l’ONU, une appréciation de la place véritable de la France dans le concert des nations. Loin de chez lui et de ses proches, loin du pays, il a vécu, en janvier dernier, les attentats de Paris avec un océan d’écart. Je lui ai demandé d’écrire un texte dans lequel il raconterait cette expérience personnelle : ce qui l’a marqué, ce qu’il a appris au cours de ce séjour. En plus de son texte, il m’a transmis, à ma demande, quelques unes des photos qu’il a prises sur place. Je le remercie de cette collaboration. Une exclusivité Paroles d'Actu, par Nicolas Roche.

 

Photo 4 Moi Presidence francaise UN 

« Présidence de la France au Conseil de Sécurité des Nations unies, mars 2015 »

 

« Agissez comme s’il était impossible d’échouer » Après un an passé dans les arcanes de la diplomatie internationale, cette conception du grand Winston Churchill fait désormais partie intégrante de mon credo. La vie d’un homme est faite d’expériences qui le façonnent, le forgent, lui procurent les moyens nécessaires pour découvrir sa voie et la suivre malgré les épreuves. L’année 2014 – 2015 aura partie de celles-ci pour l’étudiant de Sciences Po que je suis. En rejoignant cette filière qui tend à s’instaurer comme norme et voie d’excellence dans l’esprit de beaucoup de jeunes, j’étais, pour ma part, animé à l’origine par un idéal, un objectif qui pourrait paraître désuet pour beaucoup de citoyens d’aujourd’hui : celui de servir mon pays. J’ai eu ainsi la chance d’avoir cet honneur pendant presque un an en effectuant ma mobilité professionnelle aux États-Unis, aux côtés des acteurs de la communauté internationale.

Septembre 2014, la France « de Voltaire et de Saint Louis »1 que j’incarnais allait avoir l’occasion de vivre des moments uniques dans la vie d’un homme. Ayant dépassé la vingtaine depuis peu, j’allais avoir le privilège de travailler dans la plus grande représentation diplomatique de notre république : l’ambassade de France aux États-Unis, située à Washington D.C. À peine étais-je sorti de l’aéroport que la rêve était devenu réalité : les drapeaux américains flottant sur leur hampe, les autoroutes avec leurs flux continus de voitures de marques americaine ou asiatique, les camions avec leurs imposantes remorques, les trottoirs avec leurs agrégats de boîtes aux lettres, pancartes ou autres feux de signalisation. À la manière de Claude Nougaro en 1989, je peux dire que « dès l’aérogare j’ai senti le choc » ; dès cet instant, j’ai compris qu’aux États-Unis tout allait être plus grand.

 

Photo 1 UN Headquarters 

« Le siège des Nations unies, vu depuis la Seconde Avenue »

 

Véritable pôle de refléxion et de décision en matières de politique nationale et de questions internationales, la capitale américaine allait me livrer, au fil des mois, quelques uns de ses nombreux secrets sur les coulisses de notre monde. Cette immersion en plein dans l’univers de House of Cards et de Scandal, par le biais du prisme de l’analyse en politique spatiale - pour le compte du CNES, l’agence spatiale française -, m’a donné l’opportunité de vivre autant d’expériences que les auditions au Congrès américain sur les questions de politique spatiale, les cocktails et réceptions dans les ambassades ou les conférences dans les think tanks. Chacune de mes rencontres avec des acteurs d’influence - de Charles Bolden, administrateur de la NASA à Christine Lagarde, directrice du FMI - m’auront convaincu de l’importance de la France et de son rayonnement sur la scène internationale.

Ce constat, bien loin de s’imposer comme une évidence lorsque l’on se limite à l’approche stato-centrée du territoire national, n’en fut que renforcé lorsque mes pérégrinations m’ont mené de Washington à New York. Nouvelle expérience, mon séjour de quelques mois au cœur de la « Grosse Pomme » m’aura en effet permis de me rendre compte de la place centrale qu’occupe la France au sein de l’Organisation des Nations unies. Travaillant pour la Mission permanente de la France à l’ONU, j’ai ainsi eu l’occasion d’observer son rôle prépondérant autant que sa force d’influence dans les instances diplomatiques que sont l’Assemblée générale et le Conseil de Sécurité. Membre fondateur, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de la plus grande des organisations internationales, la France jouit d’un statut privilégié au sein de la communauté d’États membres - ils sont cent quatre-vingt-treize à ce jour. Les séances passées au Conseil de Sécurité, les rencontres et échanges avec les diplomates au cours des workshops et tables rondes organisées par les think tanks m’ont ainsi démontré que notre pays demeure plus que jamais une puissance à part entière dans le système international.

 

Photo 2 Vue depuis la Mission 

« Vue sur Manhattan, depuis la Mission permanente de la France auprès des Nations unies »

 

À l’heure du bilan et des premières conclusions de cette année, le souhait de m’engager pour la France, pour l’aider à conserver et renforcer cette image et cette notoriété auprès de la communauté internationale, ne s’en trouve que renforcé. À l’heure du bilan, certains souvenirs aussi reviennent, plus intenses que d’autres, plus douloureux également. 7 janvier 2015... Je n’oublierai jamais cette journée. En ouvrant l’œil le matin, une notification RTL sur mon iPhone : attentat à Charlie Hebdo. La France venait de vivre son 11 septembre, ce même 9/11 dont j’avais vécu le treizième anniversaire quelques jours à peine après mon arrivée à Washington D.C. Vivre une telle épreuve alors qu’un océan me séparait de la mère patrie a constitué la période la plus difficile de mon expatriation. L’incompréhension, la colère, l’angoisse pour mes proches restés en France, mes parents ayant repris leur avion pour Paris ce même jour, l’impuissance de l’éloignement... : un mélange de sensations indéfinissables s’entrechoquait en moi. Chanter La Marseillaise aux côtés de mes collègues, le 8 janvier, et marcher au premier rang du cortège aux côtés de l’Ambassadeur et de la directrice du FMI, avec la communauté française des expatriés, pour porter le deuil national, auront alors à cette période été autant source d’apaisement que de renforcement de ce que le député Marc Fraysse qualifie, dans son ouvrage éponyme, de cette « fierté d’être français ».

À l’heure du bilan, c’est avant tout sur une note d’espoir que je souhaite conclure. Au cours de cette année, j’ai eu l’occasion de voir la puissance de la France à l’international, mais aussi la force de l’unité, du rassemblement, de la cohésion nationale face aux attentats de Charlie Hebdo. Certains, peut-être à juste titre, l’auront considérée comme éphémère. Or, pour ma part, j’ai pu constater notre grandeur, celle de la France, notre France, qui a plus que jamais sa carte à jouer dans le jeu des relations internationales. De même, au cours de cette année, j’ai eu l’occasion de réaliser la force et le rôle que l’on représente, nous la jeunesse, pour notre pays, pour construire son avenir en portant les valeurs de la République française. Être le témoin des avancées de nombreux projets ambitieux, comme le Parlement des Étudiants ou l’Avenir Jeune, m’aura fermement convaincu du devoir qu’est celui de tout jeune : s’engager pour son pays.

Aujourd’hui, après une telle année, je fais partie de ceux qui considèrent, comme Théodore Roosevelt, qu’« il n’y a pas de vent contraire pour celui qui sait où il va ». En provincial sorti tout droit de l’Angoulême décrite dans les Illusions perdues de Balzac, rien ne me destinait à une telle immersion au cœur de la diplomatie internationale. Cette réalité fait désormais partie de mon vécu, de mon passé et, je l’espère, de mon avenir. Chacun a ses rêves, chacun a les moyens de les réaliser. L’avenir de notre pays se construit aujourd’hui. Oser. Perséverer. Proposer. Se projeter. C’est ce que j’ai fait pendant un an, sans me décourager, car comme le disait si justement Oscar Wilde : « le seul véritable échec, c’est lorsqu’on abandonne ».

 

Photo 3 Maison Blanche 

« La façade Nord de la Maison Blanche, vue depuis Pennsylvania Avenue »

 

Citation extraite du discours en date du 8 janvier 2015 de l'ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud, en hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo.

« Une année dans les coulisses de la diplomatie internationale »,

par Claude-Henry Dinand, le 7 août 2015

 

Une réaction, un commentaire ?

Suivez Paroles d’Actu via Facebook et Twitter... MERCI !

Publicité
Publicité
12 août 2015

Jean-Vincent Brisset : ’Lutter contre le terrorisme suppose la mise à plat de tous les circuits financiers’

J’ai le privilège de recevoir aujourd’hui dans les colonnes de Paroles d’Actu un grand connaisseur des affaires de défense et de relations internationales. Général de brigade aérienne en retraite, Jean-Vincent Brisset est depuis 2001 directeur de recherches à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS). Il a accepté rapidement de donner suite à ma sollicitation, ce dont j’entends ici le remercier.

Il est question, dans cet entretien, de quelques uns des points chauds de l’actualité du moment : les rapports entre la France et la Russie ; les tensions entre la Chine et le Japon ; le casse-tête Daesh et la problématique de la nébuleuse terroriste, de plus en plus globalisée. Ses réponses me sont parvenues le 12 août, quatre jours après l’envoi de mes questions. Une lecture très enrichissante pour qui aurait le désir d’appréhender un petit peu mieux les réalités de notre monde. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Jean-Vincent Brisset : « Une lutte efficace contre le terrorisme

suppose la mise à plat de tous les circuits financiers »

 

Jean-Vincent Brisset

 

Paroles d'Actu : Bonjour Jean-Vincent Brisset. Vous avez exprimé à plusieurs reprises, ces derniers jours, disons, votre désapprobation quant à la manière dont l’affaire des Mistral initialement destinés à la Russie a été conduite par Paris. Est-ce que, de votre point de vue, s’agissant notamment des intérêts géopolitiques et économiques de notre pays, la diplomatie française est, pour parler trivialement, « à côté de la plaque » sur la question de la Russie ? Quelles relations avons-nous vocation à entretenir avec Moscou ; avec Kiev ?

 

Jean-Vincent Brisset : La diplomatie française a choisi de ne pas livrer les Mistral en se basant sur des sanctions contre la Russie justifiées par des violations du droit international. Il aurait pourtant été possible de procéder à cette livraison, en affirmant l’indépendance de la France sur ce dossier et en profitant du créneau ouvert par la conclusion des accords de Minsk II. En ne le faisant pas, Paris s’est délibérément placé en position de dépendance vis-à-vis des États-Unis et a, une fois de plus, affadi l’image du pays sur la scène internationale.

 

Plus globalement, le soutien sans restriction au régime ukrainien, dont il est nécessaire de rappeler qu’il est issu d’un coup d’État, méconnaît la présence au sein des instances dirigeantes de personnages qui, en d’autres circonstances, seraient infréquentables. On se souvient de la vertueuse indignation de l’Europe après l’élection de Jörg Haider en Autriche. Les unités combattantes non régulières qui secondent, et parfois précèdent, les forces de Kiev sont souvent aussi peu recommandables. Le fait de considérer que les seules vraies frontières de l’Ukraine sont celles de 1954 et qu’elles ne sont pas discutables relève davantage du dogmatisme que d’une analyse simple de l’histoire d’une nation dont la géométrie a beaucoup varié au cours des siècles. De son côté, la Russie, en pleine phase de reconstruction nationale et de tentative de retour à la puissance passée, a utilisé des méthodes qui ont attiré la stigmatisation.

 

Pour aller plus loin, deux questions se posent. La première est celle de l’intérêt de la France (et de l’Europe) à intégrer l’Ukraine dans l’Union et, allant plus loin, dans un dispositif militaire. Quel serait le bénéfice, sachant que ce pays ne remplit pratiquement aucun des critères permettant une telle adhésion ? La seconde est celle de la relation avec la Russie. L’Europe de l’Atlantique à l’Oural est tout aussi irréaliste que celle de l’Ukraine membre de l’UE. Mais, sans aller jusqu’à une union, la mise en place de bonnes relations avec Moscou, basées sur la confiance, la vision à long terme et la complémentarité ne pourrait qu’être bénéficiaire pour l’Europe et lui permettraient de bénéficier d’un contrepoids vis à vis des États-Unis. On constate d’ailleurs, jour après jour, que les sanctions décidées contre la Russie pénalisent surtout les Européens, à un tel point qu’on en vient à se demander si les seuls bénéficiaires ne sont pas les États-Unis.

 

PdA : Les pulsions nationalistes qui, de temps à autre, paraissent s’exprimer dans la Russie de Poutine sont sans doute, pour partie, la marque du sursaut d’orgueil d’un grand peuple qui, après avoir été une superpuissance mondiale incontestée, a connu le démembrement de son empire, vécu le chaos intérieur et subi, au-dehors, des humiliations souvent favorisées par l’inconséquence de certaines prises de position occidentales. Ceci dit, ne nourrissez-vous pas quelques préoccupations quant aux mouvements qui sous-tendent la rhétorique du Kremlin ? La Russie ne risque-t-elle pas de tendre à redevenir, à l’instar de Washington, une puissance potentiellement déstabilisatrice des équilibres régionaux ?

 

J.-V.B. : La Russie, c’est certain, aspire à redevenir une très grande puissance dans tous les domaines. En dehors de toute considération de déstabilisation, c’est déjà cette volonté qui inquiète. Ceux qui, aux États-Unis, font tout pour que ces aspirations n’aboutissent pas imaginent un vaste ensemble où une Russie forte pourrait s’appuyer à la fois sur une Europe forte et indépendante et sur ses partenaires des BRICS (le club des grandes puissances émergentes qui comprend, outre la Russie, le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ndlr). Ce qui se traduirait bien sûr par un affaiblissement relatif de la position des États-Unis.

 

« L’OTAN verse au moins autant

dans la provocation que Moscou »

 

Pour en revenir à la déstabilisation, il est évident que l’exemple donné en Ukraine, dans le cadre du soutien aux rebelles du Donbass, plaide contre Moscou. Certains pays ayant autrefois appartenu au Pacte de Varsovie agitent régulièrement l’épouvantail, soutenus en cela par les plus bellicistes de l’OTAN. À ce jour, pourtant, les mouvements de troupes se font plutôt de l’Ouest vers l’Est que dans l’autre sens. Là aussi, Moscou balance entre le laisser-faire et la tentation de réagir. Les missions aériennes qui, régulièrement, s’enfoncent au cœur de pays de l’OTAN en écornant leurs espaces aériens sont avant tout des démonstrations assez impressionnantes d’une vraie capacité opérationnelle dont on disait, il y a encore peu, qu’elle avait disparu à la dissolution de l’armée soviétique. Cependant, en faire une provocation relève bien plus de la communication, laquelle oublie de signaler que les avions de l’OTAN effectuent tout aussi régulièrement des missions symétriques.

 

PdA : Interrogé en septembre 2014 par un journaliste d’Atlantico au sujet du groupuscule terroriste qu’on appelle désormais communément « Daesh », vous avez préféré à la notion d’« État islamique » celle, alors plus proche de la réalité de terrain, de « légion islamique ». Où en est-on, onze mois après ? L’organisation « État islamique » est-elle, de facto, en passe d’en devenir un (si tel n’est déjà le cas) ?

 

J.-V.B. : Comme je l’avais dit en 2014, le refus de considérer l’« État islamique » (ou d’utiliser la prononciation arabe de son acronyme) comme un État - au sens dÉtat-nation - vient de ce que cette dernière appellation répond à des critères assez universellement admis. L’organisation qui se baptise « État islamique » ne répond pas à ces critères. Pas de gouvernement identifiable, pas de base législative, pas de territoire… En quelques mois, l’E.I. n’a pas réussi à atteindre le but qu’il s’était fixé : mettre en place des institutions répondant à ces critères.

 

Les derniers développements des opérations semblent conduire vers une évolution assez caractéristique. Les territoires contrôlés il y a encore quelques mois sont de moins en moins contigus et les opérations militaires classiques et frontales sont de plus en plus remplacées par des attentats suicide. La volonté de s’exporter ou, plutôt, d’exporter d’abord le terrorisme et accessoirement un certain fondamentalisme, vers l’Afghanistan et encore plus loin en Asie et en Afrique, plaide en faveur de l’appellation de « mouvement » plus que de celle d’« État ».

 

PdA : L’accord qui a été conclu à la mi-juillet à propos du nucléaire iranien rendra à Téhéran de son poids et de sa capacité d’influence dans la région. N’est-il pas à craindre que, dans un contexte de tensions communautaires exacerbées, une part croissante des Sunnites de Syrie et d’Irak assistant au renforcement du « croissant chiite » soit tentée de se soumettre au règne et à la règle de Daesh ?

 

J.-V.B. : Cet accord comporte un volet sur le nucléaire, mais il a surtout pour conséquence de permettre à l’Iran de sortir de l’enfermement auquel une partie de la communauté internationale, sous la pression d’un intense lobbying, l’avait soumis. Entre la volonté prosélyte qui, il ne faut pas en douter, ne s’est pas éteinte et l’espoir de redevenir un pays fréquentable, respectable et ouvert au monde, les divisions perdurent certainement au sein même du pouvoir iranien. Pour le moment, les tenants d’une certaine ouverture sont aux commandes, mais ils doivent déjà faire des concessions. Ils seront soutenus par la classe dirigeante tant que celle-ci considérera que les concessions faites sont payantes et que les autres parties prenantes aux accords ne trahissent pas la confiance qu’elle leur a faite.

 

De leur côté, les adversaires de cet accord feront tout pour que la population iranienne soit persuadée qu’elle a été trompée. Pour cela, ils multiplieront les « révélations » et les provocations pour provoquer un retour, sinon de sanctions effectives, du moins de menaces. Si cela conduit à un retour de la radicalisation de Téhéran et à la reprise des vieux discours sans que la remontée en puissance de l’Iran ne soit remise en cause, les Sunnites de Syrie et d’Irak pourraient se sentir à nouveau menacés et se retourner vers un « bouclier » sunnite qui pourrait être l’État islamique, mais aussi bien certains mouvements à peine moins extrémistes.

 

PdA : Quelle évolution entrevoyez-vous à l’horizon de cinq années s’agissant d’une question que vous connaissez particulièrement bien, celle des relations entre les deux grandes puissances est-asiatiques rivales que sont la Chine et le Japon ?

 

J.-V.B. : Les rapports actuels entre la Chine et le Japon sont en grande partie gouvernés par deux faits. Le premier est, au niveau des opinions publiques et des inconscients, l’animosité entre Japonais et Chinois. Fruit de siècles de conflits et de rancœurs, elle perdure. Le gouvernement chinois ne fait rien pour l’apaiser et l’attise même parfois quand il est en difficulté, le « Japan bashing » étant l’une des choses qui marche le mieux pour ressouder l’opinion publique chinoise derrière ses dirigeants. De leur côté, les dirigeants japonais doivent composer avec une population qui regrette de plus en plus ouvertement que la défaite de 1945 ait condamné le pays à tenir une place de second rang sur la scène internationale. Le Premier Ministre actuel a été élu sur un programme de « renforcement » et peut donc se permettre à la fois des actions en profondeur sur le plan de la remise à niveau de l’outil militaire et des démonstrations symboliques, comme les traditionnels hommages rendus à d’anciens combattants dont certains ont été des criminels contre l’humanité. Mais, à côté de ces motifs de discorde, la Chine et le Japon sont condamnés à s’entendre parce que leurs économies sont fortement interdépendantes, de l’ordre de 300 milliards de dollars par an.

 

Les rivalités sur les Senkaku (des îles sous contrôle japonais revendiquées par le gouvernement de Pékin, ndlr) avaient dégradé les relations en 2013 et 2014. Les flux commerciaux, le tourisme les investissements avaient nettement baissé. La rencontre Xi-Abe de novembre 2014, longuement préparée des deux côtés, a fait baisser la tension pour quelques temps. Toutefois, le récent projet (juillet 2015) de modification des doctrines de défense du Japon provoque de nouvelles réactions violentes de Pékin. Alors que depuis 1945 la défense japonaise se limitait strictement à de l’autodéfense individuelle du territoire, Abe voudrait la faire passer à une auto défense collective, lui permettant d’intervenir au profit d’alliés ou des intérêts japonais hors du territoire national. Dans le même temps, les forces japonaises se dotent ou vont se doter de nouveaux matériels plus axés vers le combat loin de leurs bases. Les forces chinoises ne sont pas en reste, avec, chaque année depuis quinze ans, le plus fort, dans le monde, des taux d’accroissement annuel des budgets de défense.

 

« Une implosion de la Chine n’est pas à exclure »

 

À l’horizon de cinq années, il est difficile d’imaginer un conflit frontal et délibéré entre les deux puissances. Par contre, comme en Mer de Chine du Sud, un incident n’est jamais à exclure. Un incident qui pourrait dégénérer rapidement s’il provoquait un nombre relativement important de victimes ou si des moyens lourds étaient impliqués, directement ou indirectement. On peut aussi craindre, sans doute à un peu plus long terme, l’implosion d’une Chine dont l’économie trop dépendante du monde extérieur est terriblement fragile et inégalitaire. Outre les retombées économiques et sociologiques sur le reste du monde, une telle implosion pourrait donner aux dirigeants l’envie de ressouder le pays dans une aventure nationaliste (le « coup des Malouines ») qui pourrait prendre la forme d’une attaque du Japon et/ou d’une reconquête de Taïwan.

 

PdA : Vous « pratiquez » et « pensez », Jean-Vincent Brisset, les sujets de défense et de sécurité depuis de nombreuses années. Qu’est-ce qui vous inquiète réellement dans le monde d’aujourd’hui ; dans sa trajectoire telle qu’on peut l’envisager ?

 

J.-V.B. : Sur le plan de la défense et de la sécurité, le premier danger auquel on pense est celui lié au fondamentalisme islamique, mais aussi à tout ce qui lui est périphérique, c’est-à-dire une éventuelle confrontation de grande ampleur entre les tendances antagonistes à l’intérieur de l’Islam. On voit déjà l’État islamique tenter de s’exporter, alors que l’on sait qu’il y a des centaines de millions de musulmans en dehors du croissant qui s’étend du Maroc à l’Iran et que certaines communautés sont sensibles, tant en Afrique subsaharienne qu’en Asie.

 

Mais plus que les conflits directement liés à une certaine vision de l’Islam, je crains les « spin-off » des groupes terroristes « idéologico-religieux » et leurs dérives vers le très grand banditisme. Les frontières entre les mouvements prêchant une « foi » et les exactions telles que piraterie, culture et trafic de drogue, prises d’otages à but lucratif et autres contrebandes de pétrole sont de moins en moins nettes. Les réponses données actuellement sont essentiellement militaires, sans doute parce que, c’est ce qui demande le moins de courage aux politiques et qui gêne le moins les groupes de pression. Même si elles sont encore soutenues par les opinions publiques, ces réponses sont devenues totalement utopiques.

 

On ne contrôle pas trois millions de km² de Sahel avec quelques milliers d’hommes et quelques avions. Ceci est d’autant plus vrai que les combattants des démocraties, c’est leur honneur mais c’est surtout leur faiblesse, ont des possibilités d’action très limitées par rapport à des adversaires qui - eux - ont dans leur boîte à outils toute la panoplie de la terreur. Une bonne partie de la solution consisterait à détruire les circuits financiers qui alimentent et récompensent les adversaires. Contrairement à l’envoi de troupes, cela demande beaucoup de courage politique et provoquerait certainement des cataclysmes internes dans beaucoup de pays. Il faudrait aussi que cette mise à plat des circuits financiers soit imposée à tous les pays. On imagine la difficulté de l’affaire.

 

Une réaction, un commentaire ?

 

Vous pouvez retrouver Jean-Vincent Brisset...

21 mai 2015

"Programmes d'histoire : Le choc des mots, le poids de l'erreur", par Pierre Branda

La réforme annoncée du collège n’en finit pas de susciter des débats, souvent passionnés ; de soulever des inquiétudes, parfois vives. Plusieurs questions sont en cause : l’avenir des classes bilangues, le devenir de l’enseignement du latin et du grec, le nouveau cadrage des programmes d’histoire, notamment... Dans ce contexte, et sur ce dernier point en particulier, j’ai souhaité donner une tribune à M. Pierre Branda, historien et chef du service « patrimoine » de la Fondation Napoléon (M. Branda a déjà participé au blog : il y a deux mois, il avait accepté de répondre à mes questions portant sur quelques aspects économiques et financiers de la gestion par Bonaparte des affaires de l’État). Je le remercie vivement pour la qualité de son texte, qui m’est parvenu le 21 mai ; et dont je ne doute pas qu’il constituera une pièce de grand intérêt pour alimenter les débats, les réflexions de chacun. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

 

« Programmes d’histoire : Le choc des mots, le poids de l’erreur »

par Pierre Branda, historien et chef du pôle « patrimoine » de la Fondation Napoléon

 

La sémantique peut parfois se révéler amusante. On a beaucoup glosé sur les perles de ce que certains ont appelé la « novlangue » dans les projets de programmes pour le collège récemment rendus publics par le Conseil supérieur des programmes. Dans leur jargon, la piscine est devenue un « milieu aquatique standardisé » et le terrain de football, un « milieu » lui aussi « standardisé ». On aime aussi cette définition de l’art plastique : « Explorer différentes modalités de représentation par des mediums et techniques variés pour jouer des écarts et des effets produits à des fins expressives ». On n’ose envisager cette recherche linguistique comme une simple illustration d’une forme aboutie de pédanterie moderne. Elle est à plusieurs égards fortement signifiante. Elle prouve le soin voire l’obstination qu’ont mis les rédacteurs de ces textes à vouloir redéfinir des concepts que l’on croyait pourtant bien connaître. On ne s’étonnera pas du reste du mauvais traitement réservé par ailleurs au latin et au grec, matrices essentielles de notre langue, quand celle-ci est à ce point malmenée. En histoire, on pouvait s’attendre au pire. Et le pire est survenu. Si le langage est moins abscons pour ce qui concerne l’histoire, la sémantique est revanche pernicieuse.

 

Rappelons d’abord que l’enseignement de cette discipline s’articule entre sous-thèmes obligatoires, imprimés en caractère gras dans les textes du Conseil, et optionnels, publiés eux en caractère neutre. Evidemment, l’œil se focalise sur les premiers, ce qui est du reste l’effet recherché. Le premier thème proposé pour la classe de cinquième s’intitule « La Méditerranée, un monde d’échanges et de cultures » avec pour sujet d’étude obligatoire « L’Islam, débuts, expansion, sociétés et cultures ». Les mots choisis sont plutôt neutres et l’approche imposée semble essentiellement culturelle et sociétale. C’est un point de vue, au fond pas plus critiquable qu’un autre. Il devient cependant suspect quand on lit la suite. Comme second thème, l’élève est amené à étudier « Société, Église et pouvoir politique dans l’Occident chrétien XIe – XVe siècle », comprendre le Moyen-âge, avec pour point d’orgue « La construction du Royaume de France et l’affirmation du pouvoir royal ». Sans la moindre nuance, religion et politique sont donc liés par l’association des mots Église, pouvoir politique, chrétienté, royaume et à nouveau pouvoir. L’Occident apparaît ici comme une civilisation soumise à une chrétienté complice du pouvoir royal. L’approche peut se défendre mais reconnaissons qu’elle est plus engagée que la précédente. Comme si la religion de Mahomet n’avait pas été elle aussi une alliée déclarée des potentats locaux. Continuons avec la Renaissance et les périodes qui suivent, du moins ce qui en tient lieu. Le thème suivant paraît d’emblée plus séduisant : « XVème – XVIIème siècles : nouveaux mondes, nouvelles idées ». L’Occident serait-il sur le chemin du progrès ? L’enthousiasme retombe immédiatement quand nos yeux sont attirés pas le sous-thème en gras : « L’émergence du roi absolu ». On comprend l’idée, la France commence le XVIIIème siècle corseté par un roi tout puissant. Drôle de « nouveau monde ».

 

En principe, devrait suivre le siècle des Lumières. Voltaire et Rousseau vont-ils enfin faire briller la civilisation ? La réponse est donnée à l’intérieur du thème « L’Europe et le Monde XVIIe – XIXe siècle ». Voici le premier passage obligé : « Un monde dominé par l’Europe : empires coloniaux, échanges commerciaux et traites négrières ». Doit-on désormais désigner le XVIIIème siècle comme le siècle des Ténèbres ? Un élève pourrait à priori le penser. Le second sous-thème obligatoire « La Révolution française et l’Empire » rappelle néanmoins, une fois n’est pas coutume, nos anciens manuels d’histoire. Ne nous réjouissons pas trop vite. L’enseignant n’aura guère de temps pour le traiter, à peine deux ou trois heures à la fin du premier trimestre. Ajoutons qu’en primaire, Napoléon Ier comme Napoléon III sont totalement occultés. Le risque d’un « Napoléon ? Connais pas ! » est donc bien réel parmi les jeunes générations. Ensuite, pour le XIXe, deux sujets uniques doivent être traités : « L’industrialisation : économie, société et culture » et « Conquêtes et sociétés coloniales ». Privilégier le colonialisme et l’industrialisation au siècle de Victor Hugo n’est sans doute pas innocent. À la lecture du premier thème, on songe déjà aux gueules noires de Germinal si chères à Zola. Quand au second, il reprend l’idée de domination européenne déjà soulignée plus haut. Ainsi, aux dominations religieuses et absolutistes succèdent ainsi d’autres formes d’exploitations, celles-ci capitalistiques et universalistes. Toujours aucun progrès décidément sous le ciel européen. Le troisième trimestre de la classe de quatrième débute par la consolidation de la République. Comment pourrait-on l’oublier ? Puis l’année se termine par l’exposé de « La Première Guerre mondiale et les violences de guerre (inclus le génocide des Arméniens) ». La Première Guerre mondiale connut certes des horreurs sans nom mais pourquoi n’envisager que ce seul lien ? Le premier conflit mondial est ainsi réduit à sa seule dimension sanglante. En outre, la précision entre parenthèses concernant le génocide des Arméniens sonne faux. Cet « inclus » est même presque blessant tant il fait penser à un devoir de mémoire hâtivement placé.

 

L’élève de troisième débute son année par les années 30 et la Seconde Guerre mondiale. Deux nouveaux sous-thèmes sont abordés : « L’Europe entre démocratie et régimes totalitaires » puis « La Seconde Guerre mondiale ; génocides des Juifs et des Tziganes ; déportations et univers concentrationnaires ». Un premier trimestre chargé donc et nécessairement démonstratif à propos des abominables crimes contre l’humanité qui furent commis. S’il faut combattre l’obsession malsaine du « détail » que certains répètent en boucle et les révisionnistes de tous poils, doit-on pour autant reléguer au second plan ceux qui se sont dressés contre la barbarie ? Quid de la Résistance ? Quid de l’appel du 18 juin ? Le chant des partisans est-il condamné à retourner à la clandestinité ? Dira-t-on seulement que grâce à de nombreux Français, comme l’a rappelé récemment Serge Klarsfeld, deux tiers des Juifs ont été sauvés dans l’hexagone ? Relisons à nouveau les mots mis et évidence dans ces propositions de programme et relatifs à l’histoire européenne : domination, traites, roi absolu, pouvoir, industrialisation, conquêtes, guerres, violences et enfin génocides. Cette lecture est à la fois fausse et injuste. À force de n’insister que sur les abominations de nos ancêtres, quel avenir construit-on ? Si la jeunesse est amenée à mieux connaître Hitler que Napoléon, que peut-elle en penser ? À l’heure où il nous faut intégrer de plus en plus de jeunes esprits venus d’ailleurs dans la communauté nationale, comment les intégrer sur de telles bases ? Ce serait peut être faire injure aux travaux des historiens contemporains que de revenir sans changer une virgule au roman national d’autrefois. Non, le vase de Soissons ne fut jamais brisé et oui, nos ancêtres étaient si peu gaulois. Mais pour autant, faut-il déconstruire jusqu’à l’écœurement ce qui fut un ferment d’unité nationale ? Ce serait une grave erreur. Une erreur de civilisation même.

 

Pierre Branda

 

Une réaction, un commentaire ?

 

Vous pouvez retrouver Pierre Branda...

19 mai 2015

Regards sur l'état du monde... et de la société française : printemps 2015

Fin mars, fidèle à mon habitude d’inviter de jeunes citoyens engagés en politique à s’exprimer sur des questions d’actualité, j’ai proposé à cinq d’entre eux, de familles de pensée différentes, de coucher sur papier numérique un texte imprégné de leur sensibilité propre autour de la thématique suivante : « Regards sur létat du monde (et de la société française) ». À la date de cette publication, le 19 mai, quatre textes m’étaient parvenus. J’entends renouveler cet exercice régulièrement, avec des panels de contributeurs à chaque fois différents. Le prochain sera un peu moins masculin. Merci à vous, Benoit, Arthur, Vincent, Arnaud, pour vos textes qui, tous, méritent lecture. Pour ce premier numéro de Regards sur l’état du monde... et de la société française, jai pris pour illustration une image d’actualité : une photo du site antique de Palmyre, menacé d’extinction par les tristes sires qui portent l’étendard du soi-disant État islamique. 19 mai 2015. Ainsi va le monde... Une exclusivité Paroles d’ActuPar Nicolas Roche.

 

Regards sur l’état du monde...

et de la société française

Palmyre

Illustration : Joseph Eid/AFP

 

 

Parler de la situation de la France et du monde aujourd’hui, c’est bien souvent dépeindre des souffrances, des renoncements, notre déclin. Et pourtant !

Mon statut de jeune entrepreneur me fait rencontrer chaque jour des hommes et des femmes qui créent ou développent leurs entreprises et essaient dans chaque situation qui pourrait survenir de retirer un maximum de positif. Agir pour ne pas subir. C’est cet optimisme qui m’entoure dans l’entrepreneuriat que j’ai décidé d’adopter aussi dans mon combat politique et de transmettre.

Si, fin février 2015, le nombre de chômeurs s’élevait à 5 561 000, toutes catégories confondues, la France est, après les États-Unis, le pays où se créent le plus de start-ups dans le monde, le pays où le taux de start-ups ayant atteint le seuil de rentabilité sur cinq ans avoisine les 80%, le pays où sera réalisé, bientôt, le plus grand incubateur au monde !

Si l’économie française souffre et subit des turbulences, elle est surtout en train de se métamorphoser : la « destruction créatrice » chère à Schumpeter est en marche ! Le rôle du politique ne doit pas être alors de freiner cette entrée de notre pays dans une nouvelle ère technologique, industrielle et sociétale mais de l’encourager. La reconversion, si elle est douloureuse, est nécessaire et plutôt que de maintenir sous perfusion des activités, que l’État investisse massivement dans la recherche et le développement ou la formation professionnelle serait plus bénéfique à mes yeux. Comme le disait le Général de Gaulle dans un discours du 14 juin 1960 : « On peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ? Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. »

Il n’y a pas que l’économie qui évolue, la société française elle-même change aussi. Et s’il faut accompagner ce changement, il faut cependant prendre garde à ne pas faire disparaître toutes les structures. L’Homme a besoin de cadres pour se construire et se développer et il en existe deux pour moi : le cadre familial et le cadre national.

Si tous deux sont menacés en France, ils seraient pourtant simples à remettre en place par quiconque aurait un peu de courage politique : réaffirmer que chaque être humain doit savoir d’où il vient pour savoir où il va et en tenir compte lorsque l’on légifère, redonner la fierté d’être français par les programmes scolaires mais aussi par la mise en œuvre d’un grand projet national.

Pour mener à bien tous ces changements et combats, j’ai remarqué, dans mes rencontres de terrain chaque jour, que je pouvais compter sur les jeunes. Les jeunes, loin de se désintéresser de la politique, ont leur mot à dire. En 2007, 67 % des 18-30 ans se disaient intéressés par la campagne présidentielle et, en 2014, ils étaient tout de même 83% à déclarer suivre régulièrement l'actualité politique. Si les jeunes s’abstiennent, ils sont donc loin d’être dépolitisés.

Si je n’ai pas peur pour la démocratie française, il est temps pourtant pour les partis politiques de se remettre en cause s’ils ne veulent pas disparaître et être remplacés par de nouvelles structures. La mise en place et la multiplication des primaires au sein des partis, que ce soit pour le candidat aux élections présidentielles ou pour les candidats aux élections communales, est un exemple. Il faut plus de transparence, de démocratie, d’écoute et, ne vous inquiétez pas, les partis l’ont bien compris. Les jeunes d’ailleurs engagés au sein de ces partis commencent à faire bouger les lignes.

Parler de la France amène naturellement à parler aussi de la situation mondiale. Le monde doit relever aujourd’hui trois enjeux : le problème du terrorisme, la question environnementale et la gestion des flux migratoires. Et là encore je suis optimiste ! 

La communauté internationale, si je regrette son inaction et sa lenteur face à la barbarie terroriste, ne pourra pas se permettre de ne pas intervenir si elle ne veut pas que l’ensemble des pays du globe et notamment les pays occidentaux soient touchés à leur tour massivement. Il en est de même pour la question environnementale. Quant à la gestion des flux migratoires, il est temps d’aider les pays du Sud à se développer, cela est dans notre intérêt comme dans le leur. Le monde ne peut pas être stable si 50% de la population mondiale regarde les 50% autre profiter des richesses et ne pas les redistribuer. Nous avons su inventer la redistribution au sein d’un État, pourquoi ne pas le faire à l’échelle planétaire.

J’ai d’ailleurs de grands espoirs pour un continent comme l’Afrique ! L’Afrique dispose d’une jeunesse éduquée, de ressources importantes; elle est un marché en pleine expansion. Tout le monde en prend conscience et en particulier aujourd’hui les entreprises asiatiques. Elle ne sera pas laissée sur le banc de touche de la prospérité économique au 21ème siècle si elle s’affirme et sait tirer profit de l’attrait qu’elle représente.

Il ne s’agit pas de nier les souffrances et les difficultés qu’il peut y avoir aujourd’hui mais les solutions pour sortir de ce marasme existent. Alors plutôt que de commenter, agissons, ayons du courage et surtout, soyons optimistes, on a toujours raison d’avoir foi en la France !

 

Benoit Vergeot

 « Restons positifs ! »

par Benoit Vergeot, le 8 avril 2015

 

 

 

Parce qu’il faut bien un mot pour commencer un article, j'en prendrai un : terrorisme. Relativement à la mode depuis un certain temps. Seulement, qu'est ce que le terrorisme ? En voila un concept large, sans définition précise mais pourtant omniprésent dans le discours médiatico-politique. Le terrorisme serait aujourd'hui compris avant tout comme l'usage de la force, de manière illégale et non conventionnelle, afin de générer un sentiment de peur sur une population ciblée et porter ainsi certaines revendications, peu importent ces revendications ou la personne qui emploie ces méthodes (cela peut être une organisation, un État, etc.)

Dès lors, comment entendre ce discours bien pensant et politiquement correct de la “nécessaire” et “inévitable” “guerre contre le terrorisme” ?

Comment peut on penser faire la guerre à un concept, qui plus est aussi large et peu précisément définissable ? Le terrorisme est un mode d'action. Il nest pas porteur en soi d'une identité, si ce n'est la lâcheté de ceux qui s'attaquent à des populations ou des personnes sans défense dans le but d'atteindre un objectif qui leur est supérieur. Il nest pas non plus en soi porteur de revendications, si ce nest celles de refuser de sinscrire dans la légalité pour porter ses revendications.

Alors que l’on parle depuis plusieurs mois et années d'un terrorisme “islamiste”, il faudrait rappeler qu'en France, depuis les années 2000, l’immense majorité des attentats a été perpétrée par des nationalistes, corses et basques, qui représentent près de 78% des attentats perpétrés sur le territoire national depuis lan 2000. Est-ce à ce nationalisme que lon prétend faire la « guerre » ?

Les incantations répétées à mener une guerre contre le terrorisme ont un but politique très clair, pour ne pas dire politicien. Si certains pensent sincèrement, et naïvement, que cest une « guerre » dont nous avons besoin, la majorité du personnel politique qui sinscrit dans ce flot dincantations perpétuelles ont conscience de la portée belliciste de leurs propos. Ainsi, pour faire un parallèle avec lactualité, quand Christian Estrosi se prend dune envolée contre lislamo-fascisme et la guerre quil faudrait lui mener, il ne fait rien d'autre que crier avec les loups, prêts s’il le faut à déclencher une guerre civile dans le pays. Car, quest-ce dautre quune proposition ouverte de guerre civile ?

Dans lHistoire, les grandes tirades sur la guerre contre le terrorisme ont souvent ajouté de la confusion et de la destruction plutôt que constitué de véritables solutions à des problèmes bien réels. Pour ne pas évoquer un exemple qui est largement connu de tous (la stupidité de Bush, des néo-conservateurs états-uniens et de leurs quelques caniches européens dans les interventions en Afghanistan et en Irak), je parlerai de la situation qua traversée un pays que je connais bien : le Pérou.

Dans les années 80, puis dans les années 90, le pays a connu une vague de violence interne, initiée dans les Andes péruviennes par un groupe, le Sentier lumineux, rapidement classé sur la liste des organisations terroristes. À maints égards, ce mouvement, qui nest absolument pas assimilable aux guérillas qui se sont développées en Amérique latine à la même époque, utilisait largement des méthodes terroristes. En réponse à cette violence, les gouvernements péruviens qui se sont succédé ont déployé des solutions de répression aveugle, facilitées par un état de racisme ambiant qui imprégnait la classe politique à lencontre des populations andines. Lapogée de cette violence d'État fut atteinte sous le gouvernement Fujimori, qui utilisa la répression systématique comme mode de légitimation de son gouvernement.

Seulement, alors que le président en question roulait des mécaniques et que larmée employait des techniques anti-subversives extrêmement violentes à l'encontre des populations « suspectes », un groupe de renseignement créé bien avant l'arrivée au pouvoir de Alberto Fujimori infiltrait et démantelait les principaux réseaux dirigeants du Sentier lumineux. La dénommée « Opération victoire » procédait ainsi à l'arrestation du chef du mouvement, Abimael Guzmán, le 12 septembre 1992 alors que le-dit « sauveur de la nation », Alberto Fujimori, sen était allé à la pêche, preuve sil en fallait de son absence totale dimplication dans ce qui fut lun des événements les plus décisifs dans l'élimination de la violence du Sentier lumineux. Plus tard, la Commission de la Vérité de la Réconciliation admettra, après plusieurs années d’enquête, après avoir recueilli plusieurs milliers de témoignages, que lattitude des gouvernements successifs avait aggravé de manière considérable le conflit.

Quest ce que j’entends démontrer par cet exemple ?

Simplement que lefficacité des politiques destinées à éliminer la violence exercée par des « groupes terroristes » est souvent inversement proportionnelle aux grandes incantations politiciennes et aux déclarations de guerre. Déclarer faire la « guerre » au terrorisme est aussi inefficace quirresponsable. Inefficace parce que ce n’est pas avec les techniques de guerre que lon met un terme aux actions terroristes. Irresponsable parce que ces déclarations nont comme seule et unique conséquence quune aggravation du problème qui est posé.

Ainsi, les véritables laxistes en terme de politique de sécurité sont ces marabouts de la solution sécuritaire. Rouler des mécaniques, appeler à faire la guerre, renforcer des mesures de répression sans aucune compréhension des phénomènes que lon a en face de soi est autant une preuve de stupidité intellectuelle que de lâcheté face à ceux que lon prétend « combattre ».

Dans le contexte actuel, le pays ne peut se passer d'un véritable débat sur les méthodes à adopter pour relever ensemble la situation. Une chose est certaine : cela ne passera pas par lutilisation dune procédure accélérée dans l'examen au Parlement de la prochaine loi de renseignement, ni par l'utilisation de vocables bellicistes qui sont le comble de lirresponsabilité et sacrifient la sécurité des Français sur lautel de la compétition politique.

 

A

 « “Guerre” contre le terrorisme ? »

par Arthur Morenas, le 29 avril 2015

 

 

 

Notre génération a peu de repères. Elle nen voit pas la nécessité. La paix, la mondialisation, la crise et, paradoxalement, un certain individualisme fractionnent la société en petits égoïsmes préoccupés par leur futur proche, mais pas vraiment concerné par leur devenir commun. 

Les troubles contemporains, aux causes complexes et aux conséquences imprévisibles, entretiennent en effet un climat absurde dans lequel la survie individuelle prime. 

Le mal-être est flou, persistant, usant. Des forces sopposent à chaque être humain sans que celui-ci soit capable de les comprendre, donc de les affronter. Le terrorisme international, la finance dérégulée, la crise écologique sont autant de menaces auxquels lHumanité nencore jamais eu à lutter. Comment, dailleurs, faire face à un ennemi invisible ? À la fois sourds, aveugles mais paniqués, nous attendons que le salut vienne à nouveau dun Grand Homme qui montrera la voie.

Par le passé, les combats que livraient les Hommes étaient primaires : un adversaire clairement identifié, des impacts directs, un duel manichéen. La victoire ne nécessitait quun courage particulier, ce qui était à la fois terriblement exigeant et diaboliquement simple.

Ces conditions ont favorisé pendant des siècles lémergence de Grands Hommes. Les guerres, les discriminations raciales, les colonisations ont fait naître des De Gaulle, des Mandela ou des Gandhi. 

Pour deux raisons, ce nest plus d'actualité.

D'abord, parce que ces personnages ont été statufiés, figés dans un au-delà a priori inatteignable pour le commun des mortels. La déification des Grands Hommes empêche leurs semblables de comprendre que leurs actes étaient à la portée du moindre individu, quils étaient des exemples avant d'être exemplaires (ce quils n'étaient jamais totalement).

Ensuite, parce que la globalisation des problèmes auxquels les Hommes font face aujourdhui n'exige quune réponse collective. Toute initiative individuelle est désormais imperceptible, quand elle nest pas tuée dans l’œuf. Les mouvements de foule, de soutien ou dindignation nont plus de leaders – Je suis Charlie et les Anonymous en témoignent. Au lieu de venir den haut, les changements doivent donc émerger de la base. Lopinion publique remplace désormais lHomme providentiel. La contestation est devenue anarchique.

Cette reconnaissance de l'intelligence collective découle, on le comprend aisément, du pouvoir attribué au citoyen par ses rôles délecteur et de consommateur. Chaque individu étant un faiseur de rois politiques et commerciaux, les responsables des deux branches ne reconnaissent alors comme légitimes que les critiques portées par un certain nombre de leurs clients.

Il devient donc de plus en plus difficile de protester dans un système qui pousse à la survie individualiste mais ne reconnaît que la contestation collective. 

On peut comprendre que notre génération vive ainsi avec une perception inutile de la révolte dont découle un complexe dinfériorité vis à vis des Grands Hommes du passé, capables de prouesses aujourdhui irréalisables.

Mais, au contraire, il me semble essentiel de rappeler que nous détenons tous une part de Grand Homme. Il y a, même dans la personne isolée, la plus misérable – ou qui s'imagine l'être – de quoi améliorer le monde. Au lieu d'attendre la personnification de notre salut, nous devons chacun et chacune dentre nous faire appel à ce que nous avons de meilleur et mettre collectivement à profit ces forces individuelles.

En cela, jappelle tous les lecteurs de ce billet à donner un peu de leur temps et de leur énergie à une activité publique. Les possibilités ne manquent pas : parti politique, association, service civique, volontariat, etc.

Si nous ne sommes pas à la hauteur des Grands Hommes du passé que nous admirons tant, prenons au moins notre part dans laction collective. Alors, ensemble, nous serons les Grands Peuples de demain.

 

V

 « Des Grands Hommes aux Grands Peuples »

par Vincent Fleury, le 9 mai 2015

 

 

 

Qui ose prétendre que l’idee de nation est ringarde ? Tant de personnes se sont battues, tant d’êtres humains sont morts pour que survive la leur.

On a souvent, dans nos sociétés modernes, une impression culpabilisatrice lorsque l’on défend l'idée du patriotisme, en dehors de toute notion politique. On discute avec des amis, des connaissances, des membres de notre famille : un certain nombre nie la nécessité de la nation.

Alors certes, la nation ne fait plus rêver : il est devenu loin, le temps où, de la Révolution jusqu’à De Gaulle, on se sentait appartenir à une grande nation, une et indivisible. La notion de fraternité, notamment, a disparu : en même temps qu’au sommet on prône un universalisme inavoué, on détruit des liens forts, millénaires presque - ceux-là même qui faisaient notre unité.

Presque étrangers les uns des autres, les nationaux d’un même pays sont parfois devenus étrangers à eux-même : on doit renier notre appartenance nationale, puisque l’on doit se fondre dans une masse mondialisée, sous la coupe de l'universalisme, dénuée de toutes les valeurs que l’on a mis tant de temps à mettre en place : la liberté, l’égalité et la fraternité en font partie.

Les acquis révolutionnaires, et les acquis sociaux de ces dernières décennies se voient fondre au sein d'un régime juridique de plus en plus large, qui nie les particularismes nationaux : pourquoi, par exemple, la France devrait-elle payer de lourdes amendes lorsqu’une de ses lois n’est pas la même que celle voulue par l'Union européenne ? Quel serait, également, le SMIC européen que tous nous promettent, sans - évidemment - nous en donner le montant ?

Plus que jamais, ces acquis sociaux sont en danger; plus que jamais, nous devons avoir foi en notre nation, nous devons faire en sorte qu’elle (re)devienne protectrice pour nos concitoyens : aucun de nos dirigeants ne devrait pouvoir rompre avec cet objectif.

Il y a là la condition sine qua non d’une société internationale qui fonctionne correctement. Nous devons respecter notre nation, mais également celle des autres. Jaurès disait que c'est le bien de ceux qui ont tout perdu. En d’autres termes, nous devons reconnaître à ceux qui nous entourent le droit d’être fiers de leur patrie.

Mais certains liens, il est vrai, dépassent l'idée de nation ou de patrie. C'est le cas de la langue, par exemple. Si les Anglais l’ont déjà compris, la France doit également sauter le pas et recréer du liens avec les autres pays francophones. Nous pouvons trouver, en Asie, en Afrique, aux Amériques, des amis solides qui parlent notre langue mais que le gouvernement traite actuellement comme des États lambda. C’est vraiment dommage.

Il est donc possible de repenser notre monde, d'apporter un nouveau souffle patriote et pacifique. Nous devons dire haut et fort qu’on peut être fier de son pays sans faire la guerre ! L'avenir de notre monde sera, je l’espère, le patriotisme.

 

A

« La nation comme avenir de notre monde »

par Arnaud de Rigné, le 17 mai 2015

 

 

Une réaction, un commentaire ?

 Suivez Paroles d'Actu via Facebook et Twitter... MERCI !

20 avril 2015

Pascal Cyr : "N'en déplaise aux Britanniques, ce fut Blücher qui vainquit à Waterloo"

   Le 18 juin prochain marquera, outre le 75ème anniversaire du fameux cri de ralliement que lança, depuis Londres, le général de Gaulle aux forces françaises désireuses de continuer la lutte contre l’Allemagne nazie, le bicentenaire d’une bataille épique, tragique et fondatrice d’un nouvel ordre européen - donc mondial. Revenu au pouvoir après un périple appelé à s’inscrire à jamais parmi les pages les plus romanesques de lhistoire nationale, Napoléon comprit fort bien que les couronnes européennes qui l’avaient combattu sans relâche des années durant n’étaient en rien disposées à le tolérer sur le trône à peine restauré d’un des leurs; qu’il ne pouvait être des plans tout juste conçus à Vienne d’une Europe de l’équilibre et de la conservation. LEmpereur connaissait l’état de fatigue de la France; il savait que, face à une ultime coalition des mers et du continent contre lui, il n’avait aucune chance de l’emporter. Son seul espoir : jouer contre la montre. Des victoires rapides et décisives contre des armées pas encore réunies pour pallier une infériorité numéraire criante. Après, il pourrait négocier. L’Autriche et la Russie ne seraient pas prêtes avant plusieurs semaines. Restaient les Prussiens et les Anglais, toujours les Anglais... La confrontation décisive se tiendra à Waterloo, en terre belge, le 18 juin 1815...

   La thèse de doctorat de M. Pascal Cyr, intitulée Waterloo : origines et enjeux, a été publiée en 2011 aux éditions LHarmattan. Le 4 mai, son nouvel ouvrage, Grouchy est-il responsable de la défaite ? sortira en librairie (éd. Lemme edit). Début février, je lui ai demandé s’il accepterait d’écrire un article inédit pour le blog. Au départ, l’idée était d’évoquer la place de Waterloo, qui marque la fin de la prépondérance française en Europe, dans la psyché nationale. Puis nous avons convenu d’une alternative mutuellement considérée comme étant plus intéressante : une chronique mise en perspective de la prise de la Haye-Sainte, un point capital - et méconnu - de la bataille, qu’il a relativement peu traité dans son livre. Son texte, dont j’espère qu’il agira comme un trailer pour son ouvrage, m’est parvenu le 19 avril. Il est passionnant pour qui s’intéresse à la tactique et à lhistoire militaires, à l’Histoire tout court. Et aux grandes tragédies. Merci mille fois, M. Cyr, pour cette contribution d’exception. Une exclusivité Paroles dActu. Par Nicolas Roche.

 

PAROLES DACTU - LA PAROLE À...

Pascal Cyr : « N’en déplaise aux Britanniques,

ce fut Blücher qui vainquit à Waterloo »

 

Waterloo

 

« La Haye-Sainte, là où la bataille de Waterloo aurait pu être gagnée »

par M. Pascal Cyr, docteur en Histoire et enseignant

 

Au matin du 18 juin, dans son quartier général du Caillou, Napoléon établit son plan de bataille. Très simple comme toujours, il explique à ses subordonnés qu’il compte percer au centre. Mais pour forcer Wellington à dégarnir le centre de son dispositif, il compte effectuer une diversion sur la gauche où se situe la ferme fortifiée de Hougoumont. À ces mots, [le maréchal] Soult reste dubitatif. Il connaît bien le Mont-Saint-Jean puisqu’il s’est battu au même endroit en 1794. Mais à l’époque, si l’armée française l’avait pris d’assaut et repoussé les Autrichiens, il sait que les soldats anglais sont d’une tout autre trempe. Comme il réitère ses observations à Napoléon, celui-ci s’emporte et lui rétorque : « Parce que vous avez été battu par Wellington, vous le regardez comme un grand général. Et, moi, je vous dis que Wellington est un mauvais général, que les Anglais sont de mauvaises troupes, et ce sera l’affaire d’un déjeuner. » Si Napoléon sous-estime grandement les qualités professionnelles de l’ennemi, il en est de même de la position qu’il a choisie. Wellington s’est retranché derrière le plateau du Mont-Saint-Jean. Son dispositif de défense repose sur trois fermes fortifiées : Hougoumont, sur la gauche, Papelotte, sur la droite et la Haye-Sainte, au centre. Quelques minutes plus tard, alors que Napoléon donne ses instructions, le général Reille, commandant du 2e corps d’armée et Jérôme Bonaparte, le frère de l’empereur, entrent au QG du Caillou. Napoléon se retourne vers le premier afin de lui demander son avis sur l’armée anglaise. Vétéran des guerres d’Espagne, Reille connaît lui aussi la solidité des soldats anglais.

 

« Bien posté comme Wellington sait le faire, et attaqué de front, je regarde l’infanterie anglaise comme inexpugnable en raison de sa ténacité calme et de la supériorité de son tir. Avant de l’aborder à la baïonnette, on peut s’attendre que la moitié des assaillants sera abattue. Mais l’armée anglaise est moins agile, moins souple, moins manœuvrière que la nôtre. Si l’on ne peut vaincre par une attaque directe, on peut le faire par des manœuvres. »

 

Mais Napoléon ne fait pas attention aux observations de Reille et de Soult. À 11 h 30, il lance les hostilités. La grande batterie, composée de 80 canons, ouvre le feu sur les positions anglaises. Le général Reille lance ses troupes contre Hougoumont. Très vite, le boisé qui couvre la position anglaise est conquis. Or, Jérôme Bonaparte, qui commande la 6e division, décide de lancer ses troupes à l’assaut de la ferme. En ce sens, il désobéit aux ordres du général Reille. Depuis les hauteurs des murs et derrière les meurtrières qu’ils y ont préalablement percées, les Anglais ripostent furieusement. Les pertes sont lourdes. Après deux assauts, Jérôme comprend qu’il ne lui sera pas possible d’emporter la position. Même si le général Foy s’empare du verger sur la droite, même si Hougoumont est bombardée et incendiée, les Anglais ne cèdent pas. De son côté, Wellington n’a pas mordu à l’hameçon tendu par Napoléon. Il reste sur ses positions.

 

  1. Premier assaut contre la Haye-Sainte

 

À 13 h 30, Napoléon lance le corps de Drouet-d’Erlon à l’attaque. Formés en phalange, les hommes marchent vers le centre anglais. Seule la brigade du général Quiot est légèrement détachée de la phalange afin de se porter sur la gauche vers la ferme de la Haye-Sainte. C’est la première unité qui entre au contact de l’ennemi. Comme à Hougoumont, la ferme est fortifiée. Il aurait fallu battre en brèche les murailles or, Napoléon et l’état-major ont opté pour un bombardement des lignes anglaises. Par conséquent, Quiot et ses hommes se butent à la résistance opiniâtre de la King’s German Legion commandée par le major Baring. Malgré la grêle de projectiles qui s’abat sur eux, les hommes de Quiot tiennent bon et repoussent les compagnies allemandes qui sont en position dans le verger situé devant la ferme. Entre-temps, un bataillon de la brigade contourne le bâtiment principal, escalade le mur du potager et déloge les défenseurs qui battent en retraite vers les dépendances. Depuis sa position à l’ouest de la route de Bruxelles, Wellington constate que les Français entourent la ferme. Il comprend la réelle possibilité de voir cette position clef tomber entre leurs mains. Inquiet pour l’ensemble de son dispositif de défense, il ordonne au général Ompteda d’envoyer un autre bataillon de la K.G.L au major Baring afin qu’il puisse repousser les assaillants.

 

Les Allemands descendent la pente par la gauche et chassent les hommes de Quiot du potager. Ils poursuivent plus en avant afin de s’avancer vers le verger. C’est à ce moment qu’ils sont chargés par les cuirassiers du général Travers détaché du corps de Milhaud par l’Empereur afin de soutenir l’infanterie. Sabrés par la cavalerie, les soldats allemands doivent battre en retraite et rejoindre le plateau. Du même souffle, les cuirassiers les poursuivent jusqu’au bord de ce même plateau et sabrent les tirailleurs de la brigade du général Kielmansegge. Malgré cette belle action des cuirassiers de Travers, la Haye-Sainte reste aux mains des troupes de Wellington. Certes, le duc a fait décimer un bataillon, mais il a réussi à gagner du temps, ce qui manque le plus à Napoléon. Pendant que la brigade Quiot se bat autour de la Haye-Sainte, le corps d’armée de Drouet d’Erlon marche aux cris de « Vive l’Empereur » vers les positions anglaises. Leurs batteries ripostent et provoquent des pertes sensibles dans les rangs français. Néanmoins, les artilleurs anglais ne peuvent ajuster le tir de façon précise puisque les canons français opèrent eux-mêmes un tir de contrebatterie.

 

Mais les évènements commencent à mal tourner. Si Drouet d’Erlon progresse, les rangs qui composent sa phalange s’emmêlent et la confusion s’installe. Alors que les troupes de Picton résistent, Wellington lance la cavalerie qui attaque les Français par les flancs. Devant l’impossibilité de se former en carré, c’est la débandade. Les cavaliers poursuivent les fuyards jusqu’à la grande batterie, mais Napoléon fait intervenir les lanciers et la cavalerie anglaise, notamment les Scots Greys et les Life Guard, est presque décimée. Tout doit être recommencé. La situation est d’autant plus critique que les Prussiens sont signalés sur la droite, à Chapelle-Saint-Lambert.

 

  1. Deuxième assaut et prise de la Haye-Sainte

 

Alors que la brigade Quiot est toujours engagée devant la Haye-Sainte, la grande batterie intensifie le rythme de son tir sur les positions anglaises. À ce moment, les choses semblent mal tourner pour Wellington. Les blessés et les morts s’accumulent, les caissons de munitions se vident et de nombreux fuyards gagnent la forêt de Soignes par la route de Bruxelles. Afin de soustraire son armée aux tirs dévastateurs de l’artillerie française, Wellington ordonne à ses officiers de la faire reculer de cent pas. De l’autre côté de la plaine, alors qu’il observe le mouvement de repli de l’armée anglaise, Ney croit que Wellington se retire. Il estime que le temps est venu de lancer une charge de cavalerie. C’est à ce moment que survient l’un des épisodes les plus curieux de la bataille de Waterloo, car la question qui demeure consiste à savoir si l’Empereur était informé des intentions de Ney.

 

Selon le général Delort, l’aide de camp du maréchal s’est rendu auprès du général Farine pour lui ordonner de mettre ses deux régiments en marche. C’est alors que Delort intervient pour faire stopper le mouvement : « Nous n’avons d’ordre à recevoir que du comte Milhaud. » Très irrité de ne pas voir les cuirassiers se mettre en marche, Ney se rend lui-même auprès du général Delort et lui ordonne à nouveau de se mettre en marche. Delort objecte que cette manœuvre est prématurée et fort imprudente. Ney lui répond qu’il s’agit des ordres de l’Empereur. Suivies des lanciers rouges et des chasseurs à cheval de la Garde, les deux divisions de cuirassiers, soit 6000 cavaliers environ, partent au grand trot vers les lignes anglaises. Bien que l’Empereur ait eu l’intention de faire exécuter une charge de cavalerie pour briser définitivement l’armée anglaise, il n’a pas donné l’ordre à Ney de s’exécuter, mais contrairement à ce que certains disent, il est impossible que le déploiement d’une telle masse de cavaleries se soit effectué à son insu. Donc, même si l’initiative vient de Ney, Napoléon l’a sans doute approuvée puisqu’il n’a pas tenté de l’arrêter. Tout indique qu’ils ont tous deux sous-estimé la position de Wellington, car, dans le mémorial, Napoléon sous-entend que Murat aurait très certainement pu enfoncer les carrés anglais, ce qui jette le discrédit sur le maréchal Ney.

 

« Je ne me crus pas assez puissant pour l’y maintenir, et pourtant il nous eût valu peut-être la victoire; car que nous fallait-il dans certains moments de la journée ? Enfoncer trois ou quatre carrés anglais; or Murat était admirable pour une telle besogne; il était précisément l’homme de la chose; jamais à la tête d’une cavalerie on ne vit quelqu’un de plus déterminé, de plus brave, d’aussi brillant. »

 

Ney s’élance à la tête de la cavalerie dont les escadrons sont disposés en échelon, les cuirassiers à droite, les chasseurs et les chevau-légers à gauche. Il va tenter de percer le front ennemi entre le chemin d’Ohain et la ferme d’Hougoumont. Depuis les hauteurs qui dominent la plaine, les Anglais ne s’inquiètent pas outre mesure. Ils savent que la cavalerie française, sans appui de l’infanterie, n’a que très peu de chance d’entamer des bataillons qui n’ont pas encore été ébranlés. Wellington fait intervenir ses réserves et toutes les batteries pointent sur les cuirassiers considérablement ralentis par les terres grasses et détrempées. À ce moment, plus de vingt bataillons forment deux lignes de carré qui se positionnent en échiquier. Alors que Ney fait accélérer le mouvement, les canons anglais augmentent la cadence de tir. Alternant les tirs de shrapnels, de boulets ramés, de boulets ronds et de paquets de mitraille, les artilleurs anglais creusent des brèches béantes à l’intérieur des escadrons français. Sans se soucier des pertes, Ney et ses cavaliers réussissent à aborder les canons anglais et à sabrer les canonniers. L’artillerie se tait, mais les cuirassiers font maintenant face aux carrés. Disposés sur trois rangs, ne laissant aucune ouverture, les Anglais ouvrent le feu. Les balles frappent et ricochent sur les cuirasses, ce qui rappelle, selon les témoins de l’époque, le bruit de la grêle qui ricoche sur la tôle. Mais en dépit de leur vaillance et de leur rage de vaincre, les cavaliers français ne sont pas en mesure d’enfoncer les lignes anglaises. L’élan initial étant passé, ils doivent se contenter de tourbillonner autour des carrés afin d’y chercher une ouverture. Entre 15 h et 17 h, Ney a fait attaquer le plateau à quatre reprises sans obtenir d’autres résultats que de faire massacrer ses cavaliers.

 

De par son impétuosité à vouloir percer les lignes anglaises, Ney a oublié l’objectif principal, la ferme de la Haye-Sainte. Obéissant aux ordres de Napoléon, après avoir fait décimer sa cavalerie, le fougueux maréchal repart en avant et entraîne avec lui le 13e léger de la division Donzelot ainsi qu’un détachement du 1er régiment du génie qui se lance contre la ferme. À l’abri derrière les murs, à l’aide des meurtrières, les hommes du major Baring tirent sans discontinuer sur les assaillants. En quelques minutes, plus de soixante-dix Français tombent sous leurs feux. Les corps s’entassent en tas au pied du mur est. Sans échelles, les soldats de Donzelot grimpent sur les morts pour escalader l’obstacle. Depuis le sommet du mur, ils fusillent les chasseurs de Baring qui sont dans la cour tandis que d’autres se hissent sur le toit de la grange. Au même moment, de l’autre côté de la ferme, un détachement français s’attaque à la porte principale qui cède sous les coups de hache des soldats. Ceux-ci pénètrent dans la cour et acculent les Allemands aux bâtiments. Sans munitions, ceux-ci chargent à l’arme blanche.

 

Avec quarante-deux soldats, Baring réussit à s’extirper de la ferme pour rejoindre le plateau du Mont-Saint-Jean. Profitant de l’avantage, Ney fait établir une batterie à cheval sur un monticule près de la Haye-Sainte et d’un même élan, il dépêche un régiment à côté de la sablonnière toujours défendue par le 95e régiment anglais. Sous le feu de la batterie et des restes des divisions Allix, Donzelot et Marcognet, les hommes du 95e doivent abandonner leurs positions. À l’autre extrémité du champ de bataille, Durutte et ses hommes reviennent à la charge et repousse les Nassauviens du Prince de Saxe-Weimar. La ferme de Papelotte est de nouveau assiégée.

 

Dès lors, après la conquête de la Haye-Sainte vers 18 h, la ligne anglaise menace de s’effondrer. Les divisions sont rendues à l’état de brigades, et les brigades à l’état de compagnies. Sur le centre gauche de la ligne anglaise, les brigades Kempt, Pack, Lambert, Best et Winke tiennent toujours, mais Wellington n’a plus de réserve à lancer dans la bataille. Faute de servants et de pièces en état, l’artillerie ne tire presque plus tandis que les fuyards abandonnent le champ de bataille par centaines. Quant à la cavalerie, elle n’est guère mieux lotie que celle des Français, ses pertes sont énormes et ses chevaux sont fourbus.

 

Les officiers accourent auprès de Wellington afin de lui demander des ordres, mais ne sachant trop quoi faire, il se contente d’ordonner aux troupes de mourir sur place. S’il voit les Prussiens débouler sur le champ de bataille en direction de Plancenoit, ceux-ci n’arrivent pas à percer le flanc droit de l’armée française, ce qui n’atténue en rien son état d’anxiété de plus en plus persistant. De son côté, voyant la ligne anglaise vaciller, Ney réclame le soutien de l’infanterie pour donner le coup de grâce. Lorsqu’il reçoit le message porté par le colonel Heymes, Napoléon s’écrie : « Des troupes ! Où veut-il que j’en prenne ? Voulez-vous que j’en fasse ? » Or, Napoléon dispose toujours des bataillons de la Vieille Garde en réserve, mais sans cavalerie pour les appuyer, il hésite avant d’engager l’élite de l’armée. De plus, les soldats de Bülow mettent davantage de pression du côté de Plancenoit. Il lui faut d’abord stabiliser la droite avant de tenter un nouvel assaut.

 

  1. Les Anglais reprennent la Haye-Sainte

 

Avec des éléments de la Jeune Garde et de la Vieille Garde commandées par le général Duhesme, Napoléon réussit à contenir les Prussiens à Plancenoit. À 19 h, il en profite pour lancer la Garde contre Wellington afin de porter le coup décisif. Empruntant la même route que la cavalerie deux heures plus tôt, les Grognards marchent sur un sol labouré et encombré de cavaliers et de chevaux morts. Leur progression s’en retrouve par conséquent ralentie, ce qui permet à Wellington de gagner du temps afin de ramener au centre tous les bataillons qui lui restent. Alors que les grognards progressent avec assurance vers le sommet du plateau, Wellington donne l’ordre de passer à la contre-offensive. Sous les tirs anglais, les divisions Allix, Donzelot et Marcognet, du moins ce qui en reste, perdent pied et se retirent vers la Haye-Sainte. Appuyée par l’artillerie de la grande batterie, la Garde, enveloppée par la fumée, entreprend l’ascension du versant. Lorsqu’ils apparaissent au sommet du plateau, les grognards sont happés par un violent tir de mitraille.

 

Afin de faire face, ils se déploient en échelon et culbutent deux bataillons de Brunswick ainsi que les 30e et 73e régiments de la brigade du général Halkett, lui-même blessé en tentant de rallier ses hommes. Ce sera le seul succès de la Garde, car dès cet instant, elle tombe sur la brigade du général Maitland, alors embusqué dans les blés. Lorsque les grognards surgissent au sommet de la crête, Wellington, qui se tient près de Maitland, lui donne l’ordre d’ouvrir le feu. Aussitôt, près de trois cents hommes sont fauchés par les balles. Au même moment, lord Saltoum, lieutenant-colonel du 1er Foot Guard, ordonne à ses hommes d’attaquer à la baïonnette. Mais les grognards n’abandonnent pas le terrain aussi facilement. Ils reculent pied à pied vers le verger d’Hougoumont. C’est à ce moment que le 3e chasseur de la Garde reçoit le renfort de l’unique bataillon du 4e chasseur alors en position sur la gauche. Cette intervention permet au 3e chasseur de se soustraire au feu des hommes de Maitland. Les bataillons se reforment et les grognards reviennent à l’assaut. Mais, saisissant l’instant décisif, le lieutenant-colonel Colborne arrive à propos avec le 52e en soutien. Formés en potence avec la brigade Maitland, ils tirent sur les flancs du 3e chasseur et les chargent à la baïonnette.

 

Wellington fait soutenir Colborne par le 95e Rifles. Accablés de toutes parts, les chasseurs doivent revenir en arrière. Le duc profite de ce moment afin de déstabiliser la Garde et l’empêcher de reformer ses rangs. Il ordonne à la brigade du général Adam ainsi qu’à la cavalerie de Vandeleur de soutenir Halkett. Au moment où les grognards amorcent un nouveau mouvement de repli, le cri fatidique circule d’un bout à l’autre du champ de bataille : « La Garde recule ! » Tous savent que la bataille est perdue, car de gauche à droite, le mouvement de recul gagne toute la ligne de front. À la vue des troupes de Ziethen au lieu de celles de Grouchy, les soldats s’estiment trahis, c’est le sauve-qui-peut général. L’infanterie de Reille bat en retraite et abandonne ses positions près d’Hougoumont. Au même moment, la Haye-Sainte est abandonnée. Elle est reprise par les Anglais vers 20 h.

 

L'assaut de la Haye-Sainte

L'assaut de la Haye-Sainte, par Richard Knotel

 

  1. Conclusion

 

Sous la pression des Prussiens et de ce qui reste de l’armée anglaise, l’armée française s’effondre. C’est la déroute. Napoléon quitte le champ de bataille vers 21 h 15. Dans la précipitation, ses bagages seront pris. Il laisse sur le terrain 7000 morts, 18 000 blessés et 7000 prisonniers. Devant l’ampleur du désastre, la Chambre des représentants, conduite par Fouché, demande son abdication. Il s’exécute le 22 juin.

 

Au cours de cette journée où les erreurs se sont enchaînées, Napoléon, lors de la prise de la Haye-Sainte vers 18 h tenait la victoire du bout des doigts. Les Anglais étaient sur le point de céder. À cette heure, Wellington sait que si les Prussiens n’arrivent pas en masse sur le champ de bataille, il devra ordonner la retraite. Les officiers et les hommes de troupe sont démoralisés, les fuyards se multiplient dans la forêt de Soignes, sa cavalerie est presque décimée et son artillerie, sans pièces et sans servants, est réduite au silence. Il suffisait à Napoléon de donner le coup de grâce. Mais, comme une bouffée d’oxygène, Blücher est arrivé sur le champ de bataille. Napoléon a dû parer à cette menace du côté de Plancenoit. Un temps précieux perdu par l’empereur que Wellington a mis à profit afin de renforcer son centre. Lorsque la Garde attaque les Anglais vers 19 h, progressant entre La Haye-Sainte et Hougoumont, il est trop tard. Il n’est plus possible de percer. Ainsi, quoi qu’en disent certains auteurs britanniques, Blücher a sauvé l’armée anglaise de la défaite et par conséquent, il est le véritable vainqueur de la bataille de Waterloo.

 

Pascal Cyr

Photo : Marianne Deschênes

 

Une réaction, un commentaire ?

 

Vous pouvez retrouver Pascal Cyr...

Publicité
Publicité
30 mars 2015

Pierre Branda : "Avant Bonaparte, l'État empruntait à 40%"

   Écrire pour Paroles d'Actu, c’est d’abord une histoire de rencontres. Enrichissantes, toujours, et parfois franchement agréables. Ce fut le cas s’agissant de celle dont il est question aujourd’hui. Mais commençons... par un petit retour en arrière. J’ai réalisé et publié, avant le présent article, trois interviews relatives aux deux Bonaparte qui dirigèrent la France, au tout début et dans le troisième quart du dix-neuvième siècle (voir : les entretiens avec Thierry Lentz, en décembre 2013 et septembre 2014 ; celui avec Éric Anceau en septembre 2014). Ces publications, j’ai essayé, comme pour toutes les autres, de les faire découvrir à des personnes qu’elles étaient à mon avis susceptibles d’intéresser - Facebook est fort pratique pour cet exercice.

   La voie des amis d’amis sur le célèbre réseau social m’a conduit - heureux atterrissage ! - sur la page d’un certain Pierre Branda. Je ne le connaissais pas mais ai vite compris qu’il était historien. Je me suis renseigné sur ses écrits ; ai découvert qu’il est notamment l’auteur d’un ouvrage intitulé Le prix de la gloire : Napoléon et l’argent (Fayard, 2007). Je l’ai aussitôt contacté (20 mars) pour lui proposer de lui soumettre par mail quelques questions touchant aux finances de la France, époques consulat et Empire. Le 21 mars, je lui envoyai mes questions ; ses réponses me sont parvenues le 29. Je tiens à le remercier de nouveau ici pour la générosité et lextrême courtoisie quil m’a témoignées. Pour ses réponses, passionnantes et dont la lecture vous donnera je l’espère envie à vous aussi de vous procurer son ouvrage. Et de continuer à suivre ses travaux. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

Pierre Branda : « Avant Bonaparte,

l’État empruntait à 40% »

 

Le prix de la gloire

Éd. Fayard (2007)

 

Paroles d'Actu : Bonjour Pierre Branda. S’il est un héritage qu’on ne conteste guère à Bonaparte, Premier Consul puis empereur, c’est celui d’avoir restauré ordre et autorité de l’État en France après de longues années de troubles. Cette affirmation vaut-elle pour les grands équilibres structurels des finances et des budgets de la nation, cette question majeure qui a contribué à faire chuter la monarchie et à ôter de leur crédibilité aux premiers gouvernements nés de la Révolution ?

 

Pierre Branda : La période consulaire est en effet un moment d’exception dans l’histoire de France. Elle l’est tout autant et peut être davantage sur le plan financier. La plaie de finances avait condamné l’Ancien Régime et la Révolution n’avait fait qu’empirer les choses. Si Bonaparte ne donnait pas à la France une véritable organisation fiscale, son régime se serait effondré comme les autres avant lui. L’État empruntait alors au taux usuraire de 40 % par an ! On était dans un état de faillite quasi-permanent. Deux ans après sa prise de pouvoir, la France équilibrait ses finances publiques au million près. Quelles furent les recettes de ce « miracle » ? Elles tiennent en trois mots : volonté, ordre et centralisation. Aucun impôt nouveau ne fut instauré. En revanche l’organisation de la collecte de l’impôt fut profondément transformée. Confiées aux administrations municipales, l’établissement des rôles d’impôt accusait trois ans de retard.

 

Pour mettre fin à cette impéritie, le Premier Consul créa un mois après son installation au pouvoir une administration fiscale centralisée et à la hiérarchie pyramidale, ancêtre de notre Direction générale des impôts. Ce que l’on a appelé parfois l’ « armée fiscale » de Bonaparte réalisa un travail formidable permettant au régime de survivre. Les années suivantes, les règles de la perception furent également changées si bien que progressivement l’administration des finances publiques passa entièrement dans les mains de l’État. À partir de 1807, les agents du ministère des Finances arpentèrent la France pour créer un cadastre général dans le but de rendre l’impôt foncier le plus juste possible. Napoléon souhaitait un système fiscal efficace mais refusait l’arbitraire. À l’évidence, il perpétuait là l’idéal révolutionnaire. Ajoutons que le régime rendait exactement compte de l’emploi qu’il faisait de l’argent collecté. Ce souci de transparence sans être totalement nouveau visait à établir un réel lien de confiance entre le pouvoir et les Français.

 

PdA : Sait-on estimer les bénéfices engrangés par les expéditions militaires victorieuses et conquêtes de Napoléon ? Quelle est la part de fantasme dans le cliché somme toute assez répandu du « trésor de guerre » motivant - pour partie - et supportant d’incessantes fuites en avant ?

 

P.B. : Avec toutes les réserves qu’il convient, des estimations sont possibles. Compte tenu du désordre inhérent à la guerre, elles restent bien sûr imprécises. Néanmoins, des chiffres existent, notamment ceux qui étaient présentés régulièrement à l’empereur. Quand on connaît son souci du détail, ils ne pouvaient être totalement faux. En les étudiant, on constate que Napoléon tenta d’appliquer systématiquement et avec méthode le vieux principe « la guerre paie la guerre ». Une fois armées et équipées aux frais du Trésor public, les armées napoléoniennes devaient en effet vivre aux dépens des pays traversés, qu’ils soient alliés ou ennemis. Le pillage n’était pas la règle mais les prélèvements effectués pouvaient heurter les peuples. Grâce à ce système, Napoléon finança une petite moitié de ses dépenses de guerre.

 

Les premières campagnes avec leur cortège de victoires furent « profitables » mais celles d’Espagne et de Russie ne purent s’autofinancer. Aussi, au fil des années, la pression fiscale s’accentua irrésistiblement. Les taxes sur le tabac, l’alcool et le sel, dénommées alors « droits réunis », furent réintroduites, ce qui eut un coût politique pour Napoléon. Dans les campagnes, on criait : « À bas la conscription, à bas les droits réunis ! » Dans le même temps, en Europe, d’autres taxes notamment douanières renforcèrent les sentiments anti-français. La pression fiscale de l’époque (entre 10 et 15 % du revenu national) n’a toutefois rien de comparable à la nôtre (plus de 46 % en 2014). À croire que l’on s’habitue à l’impôt.

 

PdA : L’Angleterre, « âme des coalitions » anti-napoléoniennes, en fut également, de loin, le financeur numéro un. La tâche fut titanesque mais sa détermination ne faiblit pas : elle savait ce que lui eût coûté une fermeture complète des marchés continentaux ; avait conscience du péril qu’une victoire française en Russie aurait signifié pour elle. Par quels mécanismes Londres a-t-elle pu dégager d’aussi colossaux moyens ? La réponse à cette question - celle, au fond, du « carburant » de la « cavalerie de Saint George » - aurait-elle quoi que ce soit de comparable avec celle touchant aux efforts que devrait consentir, bien des années plus tard, un lointain successeur de Pitt, Winston Churchill, dans sa lutte contre le péril nazi dans les années 1940 ?

 

P.B. : À tous points de vue, l’effort anglais fut considérable, comme si le pays se sentait en danger de mort. Pitt le jeune et ses successeurs multiplièrent les impôts par trois, par quatre et même par dix. Ils créèrent l’impôt sur le revenu qui n’existait nulle part ailleurs et empruntèrent également des sommes incroyables. J’ai pu calculer que leur endettement représentait quatre à cinq fois tout l’or qui existait alors dans le monde. Ils ont atteint là des niveaux comparables à ceux des grands conflits mondiaux du XXe siècle. Un seul mécanisme explique leur réussite : la confiance. La finance mondiale se réfugia en Angleterre et la place de Londres devint la première de la planète. Avec cette manne, le cabinet anglais put financer toutes les coalitions, développer et entretenir la première flotte de guerre et dépêcher un corps expéditionnaire au Portugal et en Espagne commandé par un certain duc de Wellington.

 

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, Churchill fit preuve de la même détermination que ses lointains prédécesseurs. Comme eux, il était résolu à l’emporter quel qu’en soit le coût. Financièrement, New-York avait cependant supplanté Londres depuis longtemps. Ceux qui disposaient des leviers financiers les plus importants n’étaient plus les Anglais mais les Américains. Leur entrée dans le second conflit mondial après Pearl Harbor fit à l’évidence basculer le cours de la guerre.

 

PdA : Dans quel état les finances publiques d’une France vaincue et exsangue se trouvent-elles en 1814-15, soit, à l’aube de la Restauration ?

 

P.B. : Le trou financier fut jugé énorme par les successeurs de Napoléon. Politiquement, ils y avaient tout intérêt. La réalité était tout autre. Le régime napoléonien laissa un déficit équivalent à une année de recettes fiscales. Il résultait essentiellement de l’invasion du territoire national. C’était certes important mais pas insurmontable surtout après vingt ans de guerre. Peu de belligérants peuvent se vanter d’un tel bilan. Napoléon était presque obsédé par l’équilibre des comptes. Force est de constater que son obstination fut couronnée de succès. Le problème fut différent après Waterloo. Pour nous punir, les Alliés nous infligèrent d’importantes contributions de guerre. Les Cent-jours peuvent ainsi être vus comme les Cent-jours les plus chers de l’histoire de France. Néanmoins, la seconde Restauration réussit à s’acquitter de cette dette assez facilement grâce à un indéniable retour de la confiance. Le crédit public moderne était né.

 

PdA : Napoléon fut un enfant des Lumières mais aussi d’une tradition étatique française bien ancrée. Sa vision très administrative de l’économie, fort éloignée des conceptions britanniques sur cette question, a-t-elle, de votre point de vue, contribué, d’une manière ou d’une autre, à le perdre - et l’Empire avec lui - dans cette lutte sans merci entre deux titans, deux systèmes ?

 

P.B. : Le système napoléonien de finances n’a pas démérité, loin de là. L’Empire britannique fut le plus fort, c’est certain. L’explosion de leur dette et l’incroyable développement de leur papier monnaie constituèrent des phénomènes tout à fait nouveaux et même inattendus. L’économie britannique et surtout sa monnaie entrèrent à ce moment-là en terre inconnue. Aucun pays n’avait pu auparavant s’affranchir ne serait-ce que partiellement de l’étalon-or ou argent. En 1797, malgré un certain fléchissement, la livre papier accomplit ce « miracle » sans que personne n’en comprenne alors vraiment les mécanismes.

 

Dans le même temps, la France venait d’échouer avec son papier monnaie, l’assignat. Ce papier d’État imprimé à foison et déconnecté de l’activité économique fut un échec cuisant, plongeant l’économie française dans une récession d’une rare ampleur. Sous l’Empire, les billets de la Banque de France furent mieux appréciés mais leur nombre resta modéré. Compte tenu du lourd héritage des régimes précédents, Napoléon ne pouvait guère aller plus loin et copier le modèle anglais. Ajoutons que tous les banquiers ou presque pariaient sur le dynamisme économique anglais. Ils étaient persuadés que, quelle que soit l’issue de la guerre, l’Angleterre restait le pays le plus attractif. Contre cette réalité, Napoléon ne pouvait rien. Une décennie de paix aurait sans doute pu changer le cours des choses mais on ne refait pas l’histoire.

 

PdA : J’ai souhaité axer cette interview autour de questions économiques et financières époques consulat et Empire, étant entendu que vous leur avez consacré un ouvrage qui fait référence, Le prix de la gloire : Napoléon et l’argent (Fayard, 2007). J’aimerais tout de même rappeler, à ce stade de notre entretien, que vous avez écrit bien d’autres livres sur Bonaparte, dont vous êtes un spécialiste éminent. Et vous inviter à évoquer pour nous les points le concernant que vous souhaiteriez porter à notre connaissance - ou à notre bon souvenir ?

 

P.B. : Oui, je vous remercie. Je me suis intéressé aussi à la Maison de l’empereur, cette institution plutôt méconnue qui l’entourait et le servait. Aidé par le dépouillement de nombreuses archives, j’ai pu découvrir un homme parfois différent, ce qui m’a conduit ensuite à développer de nombreux aspects de sa personnalité dans Les secrets de Napoléon (éd. La Librairie Vuibert, 2014). Plus récemment encore, j’ai étudié son séjour à l’île d’Elbe et surtout les motivations de son retour dans un ouvrage intitulé La guerre secrète de Napoléon (éd. Perrin, 2014). J’ai voulu comprendre comment cet homme qui venait de tout perdre, son empire, sa famille, son entourage, avait pu renaître à l’histoire de manière aussi flamboyante. Une nouvelle fois, il sut faire face au danger et prendre ses adversaires de court.

 

PdA : Voulez-vous nous entretenir de vos projets, Pierre Branda ?

 

P.B. : Je termine actuellement une biographie de l’impératrice Joséphine. Une femme fascinante mais au total méconnue tant la légende a pris le pas sur la réalité dans son cas. Avant d’entreprendre ce travail, je n’imaginais pas à quel point et j’en ai été même le premiers surpris. En s’attachant à retracer exactement son histoire, on découvre une femme complexe, forte et ambitieuse. Loin des poncifs habituels, son histoire est encore plus incroyable.

 

PdA : Un dernier mot ?

 

P.B. : Dans l’épopée napoléonienne, la réalité est encore plus enthousiasmante que la fiction !

 

Pierre Branda

 

Une réaction, un commentaire ?

 

Vous pouvez retrouver Pierre Branda...

26 mars 2015

Michel Goya : "Combattre Assad nourrirait la lutte contre Daesh"

   Le 19 mars, Daesh revendiquait l’attaque meurtrière contre le musée du Bardo, à Tunis (21 victimes). Le lendemain, plus de 130 personnes perdaient la vie lors d’attentats perpétrés par le groupe d’al-Baghdadi à Sanaa, la capitale du Yémen. La Tunisie, au centre du Maghreb ; le Yémen, à l’extrême-sud de la péninsule arabique : deux localités fort éloignées du cœur de cible traditionnel de l’organisation terroriste (les terres sunnites dIrak et de Syrie). Un constat, amer : s’agissant de Daesh, de sa force d’attraction et de sa capacité de nuisance, plus grave, des racines du mal qui font pour elle office de carburant, rien, absolument rien n’est réglé.

   Le 19 mars, peu avant de prendre connaissance d’un article mentionnant la revendication de l’attentat du Bardo, et cinq mois après la mise en ligne de notre première interview, jenvoyai trois nouvelles questions à M. Michel Goya, docteur en histoire et écrivain militaire de renom (outre ses nombreuses parutions physiques, il alimente régulièrement son blog que je vous invite à parcourir, La Voie de l'épée). Ses réponses, érudites et très éclairantes sur une situation bien sombre, me sont parvenues le 25 mars. Une fois de plus, je l’en remercie. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

Michel Goya : « Combattre Assad

nourrirait la lutte contre Daesh »

 

ISIS

Source : lungchuak.com (septembre 2014)

 

Paroles d'Actu : Bonjour, Michel Goya. On ne compte plus les atrocités, les crimes contre l’humanité et la culture perpétrés par l’État islamique. Les armées gouvernementales et coalisées semblent en mesure de reprendre l’initiative, ici ou là, mais, dans le même temps, l’organisation paraît confirmer son assise sur des portions vastes de l’Irak et de la Syrie. Que sait-on de la manière dont les populations sunnites de ces terres reçoivent et perçoivent ce groupe, dont on sait qu’il a pu prospérer du fait des postures pro-chiites à l’excès de l’ancien gouvernement irakien ? L’EI est-il en passe de réussir à se constituer, par le clientélisme sectaire dont il sait faire preuve, par la terreur qu’il fait régner auprès de qui s’oppose à lui, une assise populaire pouvant préfigurer la formation d’un État-nation ?

 

Michel Goya : Bonjour. Rappelons pour commencer une évidence. Daesh, comme tous les groupes armés, fonctionne par adhésions individuelles et allégeances collectives. Sa première force provient du désarroi de la population sunnite, syrienne et irakienne, persécutée par les régimes chiite ou alaouite de Bagdad et de Damas mais aussi menacée par les Kurdes. Cette communauté sunnite a besoin de protecteurs et parmi tous les groupes disparates qui sont apparus, Daesh est celui qui est visiblement le plus organisé et le plus puissant, accessoirement un des rares qui apparaisse aussi comme honnête. Bien plus que l’idéologie, c’est cette force, manifeste surtout depuis la prise spectaculaire de Mossoul (en juin 2014, ndlr), et cette capacité de protection qui ont séduit. À partir de là, c’est un cercle positif qui s’est mis en place pour lui, le succès attirant les allégeances qui elles-mêmes ont favorisé le succès.

 

L’Organisation État islamique (OEI) a bénéficié également du vide politique régional et des contradictions ou faiblesses de ses ennemis. Assad est un allié objectif de l’OEI, qui lui permet de s’afficher comme un rempart contre le terrorisme alors qu’il ne la combat pas. Il préfère la laisser prospérer à l’encontre de celles qu’il combat réellement. L’OEI ne s’y pas trompée qui effectivement ne combat non plus guère le régime de Damas. Le gouvernement irakien s’est perdu dans son sectarisme et apparaît désormais dans les provinces sunnites comme une puissance étrangère et hostile soutenue par l’Iran. Le Kurdistan et les organisations kurdes comme le Parti de l’Union démocratique (PYD) apparaissent de leurs côtés comme des rivaux dans la maîtrise de ressources locales, mais ce sont aussi des rivaux voire des ennemis de Bagdad et d’Ankara. Hostile aux groupes kurdes mais aussi à Assad, la Turquie a été très bienveillante vis-à-vis de Daesh tandis que les États et riches particuliers du Golfe, souvent concurrents entre eux, se sentant menacés par le développement du « Croissant chiite » et favorisant le radicalisme ont fini par aider aussi, au moins indirectement, à l’établissement du l’OEI.

 

L’OEI a ainsi pu relativement facilement s’imposer dans une grande partie des provinces sunnites avec maintenant la possibilité de s’y installer suffisamment durablement pour, à la manière d’un véritable État, s’y procurer des ressources endogènes durables, par l’endoctrinement des jeunes dans les écoles par exemple. Il est donc urgent d’enrayer cette dynamique mais, pour l’instant, la Coalition manque trop de volonté et de cohérence pour cela.

 

PdA : Au début du mois de mars, l’organisation terroriste nigériane Boko Haram, elle aussi de sinistre notoriété, prêtait officiellement allégeance à l’État islamique et à son chef, le calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi. La réalisation d’un califat appliquant à la lettre une lecture ultra-rigoriste de l’Islam compte parmi les objectifs communs à bon nombre de groupes de ce type, partout dans le monde. Faut-il redouter une généralisation de ces hommages portant soumission à l’EI et, de fait, front commun ? Quid d’Al-Qaïda : est-il réaliste d’imaginer al-Zaouahiri ou certains de ses agents locaux prêter allégeance à al-Baghdadi ?

 

M.G. : Il y a effectivement une concurrence entre les deux grandes organisations, à la manière de deux grandes entreprises se disputant un marché. Cette concurrence n’est pas nouvelle en réalité. La ligne du groupe d’Abou Moussab al-Zarquaoui, devenu après de nombreuses hésitations la filière irakienne d’Al-Qaïda avant de devenir l’État islamique en Irak en 2006, tranchait déjà avec celle de Ben-Laden et surtout d’al-Zaouahiri. Le fait est qu’Al-Qaïda a perdu de son aura depuis la mort de Ben Laden en 2011 et un certain nombre d’échecs. L’OEI, par ailleurs beaucoup moins regardante sur les adhésions, est désormais l’étoile montante. L’allégeance de Boko Haram, au-delà du monde arabe donc, et de plusieurs groupes en Afrique du nord ou au Yemen témoignent de cette influence croissante. À la manière de l’URSS et de l’internationale communiste, il y a, et c’est nouveau, conjonction d’un territoire et d’un réseau, et alors même que l’expansion territoriale en Irak et en Syrie marque le pas, celle du réseau semble s’accélérer. On peut imaginer des conversions de groupes affiliés à Al-Qaïda ou des scissions internes. Si la marginalisation d’al-Zaouahiri, qui n’a pas le charisme de son prédécesseur, est peut être concevable, sa conversion paraît en revanche très peu probable. Cette expansion de l’OEI est une preuve par ailleurs de la faible efficacité, voire de la contre-productivité de la stratégie appliquée par la Coalition. Les allégeances se sont multipliées depuis la début de la campagne aérienne en août 2014.

 

Pour autant, les deux organisations rivales peuvent coopérer sur le terrain et plus on s’éloigne du centre de l’action et plus les frontières sont poreuses, pour preuve les actes terroristes du 7 au 9 janvier à Paris, perpétrés par des individus coopérant entre eux et se réclamant simultanément des deux obédiences.

 

PdA : La victoire surprise du Likoud lors des législatives israéliennes du 17 mars annonce une continuation de la politique d’intransigeance de Benyamin Nétanyahou vis-à-vis de la question de l’État palestinien. Voilà qui vient compléter un tableau qui, pour l’heure en tout cas, ne prête guère à l’optimisme quant à l’avenir de la région. Quel regard portez-vous, précisément, sur ce tableau ? « What’s next ? », diraient les Américains : avez-vous quelques intimes convictions ou, en tout cas, des craintes ou - pourquoi pas - des espoirs bien ancrés sur cette question ?

 

M.G. : La situation ne porte effectivement pas à l’optimisme. Plus de vingt ans après l’espoir des accords d’Oslo, la situation des territoires palestiniens paraît bloquée pour de longues années, les principaux protagonistes semblant finalement s’en satisfaire, prisonniers par ailleurs de processus politiques internes qui empêchent des ruptures courageuses. À moins d’évolutions internes profondes dans la société israélienne et une pression forte de la communauté internationale, des États-Unis, en premier lieu, on ne voit pas comment cela pourrait changer.

 

Le retour à la paix en Syrie et en Irak paraît encore plus problématique. La clé réside sans doute dans la sécurité de la population sunnite locale. Cela peut passer par la création d’un nouvel État, un Sunnistan, dont il faut espérer et tout faire pour qu’il ne soit pas aussi un Djihadistan. Cela peut passer, et ce serait sans doute préférable, par la transformation radicale des régimes de Damas et de Bagdad en systèmes réellement pluralistes et ouverts. Il est de bon ton de critiquer l’intervention occidentale contre Kadhafi. Je pense que c’est surtout la gestion ou la non-gestion de l’après Kadhafi qu’il faut critiquer. La non-intervention en Syrie a abouti finalement à une situation bien pire. Peut-être n’avons-nous saisi l’occasion, lorsqu’il était temps, d’aider militairement une rébellion syrienne qui n’était pas encore radicalisée. Il n’est peut-être pas encore trop tard et l’action contre l’OEI n’exclut pas la lutte contre Assad. Je pense même qu’elles se nourriraient l’une, l’autre. C’est peut-être la première priorité, la seconde étant d’empêcher à tout prix la prise de contrôle de l’État irakien par les partis chiites soutenus par l’Iran. On aurait pu y penser avant du côté américain car il n’y a guère de surprise dans cette évolution depuis 2004. En résumé, la solution est d’abord politique avant d’être militaire, sinon la disproportion immense des forces entre l’OEI et la Coalition aurait permis de résoudre le problème depuis longtemps.

 

Michel Goya

 

Une réaction, un commentaire ?

 

Vous pouvez retrouver Michel Goya...

10 mars 2015

Jean Besson : "Tout doit être tenté pour sauver ERAI"

   Il y a deux ans, j'invitai M. Pierre-Jean Baillot, directeur général adjoint de l'association de développement économique Entreprise Rhône-Alpes International (ERAI), à nous présenter les activités de cette structure d'exception et à partager avec les lecteurs de Paroles d'Actu quelques unes de ses convictions fortes quant à la capacité de la France à réussir dans la mondialisation. En ce mois de mars 2015, ERAI, dont les finances dépendent largement de subsides versées par le Conseil régional rhônalpin, affiche des perspectives singulièrement dégradées depuis le rejet par une alliance composite d'élus de sa dernière subvention en date.

   Sa disparition est désormais devenue une hypothèse hautement plausible. C'est dans ces conditions, étant entendu - et assumé - que je tiens en haute estime ce que font ERAI, son président Daniel Gouffé et ses équipes, que j'ai proposé à M. Jean Besson, sénateur honoraire, administrateur de l'association et ex-vice-président de la Région, d'écrire une tribune pour le blog sur cette question précise. En 2012, il m'avait déjà accordé une première interview. Cette dernière contribution, passionnée et résolument engagée, m'est parvenue ce jour, le 10 mars 2015. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil DeferEXCLU

 

PAROLES D'ACTU - LA PAROLE À...

Jean Besson: « Tout doit être tenté

pour sauver ERAI »

 

Jean Besson

 

« Mort annoncée d'ERAI : Du gâchis »

 

   Gâchis. C'est le mot qui me vient pour qualifier la situation. Les élus qui ont rejeté le financement d'ERAI portent une lourde responsabilité. Ont-ils mesuré les conséquences de leur vote et de cette alliance contre nature, UMP-EELV-FN ? Et pourtant ERAI ne fait pas de politique, son parti c'est l'entreprise. Créé par Alain Mérieux sous la présidence du regretté Charles Béraudier, cet outil performant à l'international que beaucoup de Régions nous envient, a été soutenu et développé sous toutes les majorités qui se sont succédées à la Région.

   Alors oui, c'est du gâchis : 126 collaborateurs sacrifiés, des femmes et des hommes d'un grand professionnalisme. Des centaines d'entreprises rhônalpines lâchées dans la nature avec l'arrêt des contrats et la fermeture des antennes qui les hébergent à travers le monde. À l'heure où tout doit être fait pour développer notre commerce extérieur, c'est un message particulièrement négatif qui est envoyé aux investisseurs et aux PME-PMI qui ont plus que jamais besoin d'exporter.

   Comme l'a dit le Président (PS du Conseil régional de Rhône-Alpes, ndlr) Jean-Jack Queyranne, ces élus régionaux ont pris une décision grave qui met un terme brutal à un savoir-faire de plus de vingt ans.

   Mais aujourd'hui il faut rester encore optimiste et parler d'avenir. Tout doit être tenté pour assurer la survie de cet outil. En tant qu'ancien vice-président de la Région chargé des affaires européennes et de l'international, membre du conseil d'administration d'ERAI, je ne peux me résoudre à cette disparition.

   Les acteurs de bonne volonté doivent se mettre autour de la table et trouver des solutions pour continuer l'accompagnement des entreprises à l'export. Soyons-en convaincus, avec la fusion des Régions Rhône-Alpes et Auvergne, demain, les besoins seront encore plus grands.

 

Une réaction, un commentaire ?

Suivez Paroles d'Actu via Facebook et Twitter... MERCI !

30 décembre 2014

Jean-Christian Petitfils : "Le sursaut de l'aristocratie fut le moteur premier de la Révolution"

Pour cette dernière publication de l'année, c'est un invité de choix qui a accepté de répondre à ma sollicitation : l'historien de renom Jean-Christian Petitfils, auteur de nombreuses biographies - de rois de France, notamment - de référence. La thématique du jour : la Révolution, 225 ans après 1789. Je remercie M. Petitfils pour la bienveillance qu'il a manifestée envers ce projet ; pour sa générosité, dont témoignent les réponses qu'il a apportées à mes trois questions. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

QUESTIONS D'HISTOIRE - PAROLES D'ACTU

Jean-Christian PETITFILS

 

« Le sursaut de l'aristocratie fut

le moteur premier de la Révolution »

 

Le Serment du Jeu de paume

Le serment du Jeu de Paume le 20 juin 1789

(Jacques-Louis David)

 

Q. : 17/12/14 ; R. : 29/12/14

  

Paroles d'Actu : Bonjour, Jean-Christian Petitfils. La Charte « octroyée » par Louis XVIII en 1814 maintient, dans une large mesure, les acquis de la Révolution, l'égalité civile notamment. La Révolution a éclaté vingt-cinq ans plus tôt en partie parce que Louis XVI, attaché à d'anciennes traditions du royaume, avait rendu de leurs prérogatives - et de leur capacité d'opposition - aux privilégiés. S'ensuivit, face aux difficultés financières aiguës de l'État, face à l'immobilisme né de la restauration de ces corps intermédiaires, la convocation des états généraux - assemblée qui allait rapidement sur la question de sa représentativité, ou plutôt de sa non-représentativité, se rebiffer...

Louis XIV, marqué au fer du souvenir de la Fronde, avait en son temps installé, affermi le pouvoir personnel du roi, qui était souvent, jusqu'alors, menacé, par les reliquats puissants de la société féodale. L'erreur majeure des rois de France n'a-t-elle pas été, avant 1789, de n'avoir pas joué la carte de la représentation nationale, populaire face à une société de classes ? Une telle évolution eût-elle été possible, sérieusement envisageable ?

 

Jean-Christian Petitfils : La Charte constitutionnelle de 1814, « octroyée » par Louis XVIII, était une tentative, comme dit son préambule, de « renouer la chaîne des temps que de funestes écarts avaient interrompue ». Tout en acceptant les grands principes d’égalité civile et de liberté d’opinion, proclamés par la Révolution, la Restauration instituait une monarchie équilibrée, avec un pouvoir royal limité et une représentation du pays, chargée de voter les lois, au moyen d’une Chambre des pairs et d’une Chambre des députés, cette dernière désignée par le suffrage censitaire. En réalité, le régime revenait sur un événement majeur survenu dès le début de la Révolution, en juin-juillet 1789 : l’accaparement par les états généraux de la souveraineté nationale et, de ce fait, des pouvoirs législatif et constituant. De là avait surgi une nouvelle légitimité, sur laquelle il était bien difficile de revenir vingt-cinq ans plus tard. En tout cas, la monarchie rénovée n’eut pas le temps de s’ancrer dans le pays, et le régime fut emporté par suite des erreurs de Charles X, dernier petit-fils de Louis XV.

 

La monarchie d’Ancien Régime pouvait-elle installer un régime représentatif, comme l’avait fait l’Angleterre en 1688, avec la « Glorious Revolution » ? On observera que les Anglais s’épargnèrent de poser la question de la souveraineté et se contentèrent de limiter les prérogatives du trône par un contre-pouvoir de nature aristocratique. Aujourd’hui encore, la souveraineté pleine et entière appartient à la reine s’exprimant au milieu des conseillers du « Parliament ». Pure fiction sans doute, mais qui garde sa force symbolique et sa puissance stabilisatrice. Les habitants du Royaume-Uni sont à la fois sujets de Sa Gracieuse Majesté et citoyens de la démocratie la plus tolérante du monde. L’évolution institutionnelle s’est faite en douceur à partir du XVIIIe siècle.

 

Il en est allé autrement en France, pour au moins deux raisons. D’abord, le refus obstiné des Bourbons de s’appuyer sur une représentation de la nation (fût-elle différente de l’archaïque système corporatif des états généraux, réunis, pour la dernière fois avant 1789, sous la régence de Marie de Médicis en 1614). Ensuite, l’incapacité de la noblesse française à limiter la puissance royale, tout en contenant l’effervescence populaire. La noblesse, en effet, n’avait ni la richesse terrienne et commerciale de la Gentry anglaise, ni sa position dans la société. À la fin du règne de Louis XIV, ses effectifs étaient tombés, du fait de la Guerre de Succession d’Espagne, de 200 000 personnes à 130 000. Sous le règne de Louis XV, pas plus les anoblissements que les usurpations de noblesse ne furent suffisants pour combler les rangs du second ordre. Au contraire, au moment où une bourgeoisie industrieuse aspirait à s’y intégrer, on assiste à son repli identitaire. C’est certainement cette réaction aristocratique qui fut le moteur premier de la Révolution, qui commence en 1787 et non en 1789.

 

PdA : La tentative de fuite de Louis XVI, au mois de juin 1791, encouragée en partie par la violence de certaines factions révolutionnaires, contribuera à précipiter, dans leur déroulé tragique, les événements à suivre : l'entrée en guerre de la France contre l'Autriche et les couronnes européennes, la chute de la monarchie, l'exécution du roi déchu.

Quelle image, quels sentiments l'historien que vous êtes prête-t-il à l'homme, au souverain que fut Louis XVI ? A-t-il sincèrement été, bon an mal an, prêt à endosser, pour lui et la suite de sa dynastie, le costume du monarque constitutionnel ?

 

J.-C.P. : Louis XVI était un roi réformateur. Les historiens ne l’ont pas suffisamment souligné. Bien avant 1789, il avait pris conscience de la nécessité de transformer les institutions, en introduisant une fiscalité plus égalitaire et une représentation des administrés par la généralisation des assemblées provinciales, en pays d’états comme en pays d’élections. Les projets de Turgot, de Calonne et même ceux moins audacieux de Mgr de Loménie de Brienne se heurtèrent à l’obstruction systématique des ordres privilégiés et des parlements.

 

Après la fin de l’absolutisme et les tragiques journées d’octobre 1789, qui virent le retour du roi à Paris, Louis XVI a tenté de s’accommoder de la Révolution. Son discours du 4 février 1790 devant l’Assemblée nationale était, à mon avis, sincère. Il souhaitait trouver un terrain d’entente avec les parlementaires. Même après Varennes, il chercha la voie de la conciliation en jurant fidélité à la Constitution le 14 septembre 1791 : s’il n’en approuvait pas toutes les dispositions, il demeurait persuadé qu’avec le temps on en corrigerait les erreurs. En attendant, il les respectera scrupuleusement, se contentant d’exercer les prérogatives qui lui avaient été concédées, comme le droit de veto suspensif. Mais, la nouvelle assemblée, la Législative, nettement plus à gauche que la Constituante, sabota le système, s’acharnant à humilier le roi et à restreindre ses pouvoirs. Elle sera finalement balayée comme la monarchie constitutionnelle par le coup de force du 10 août 1792, préparé et déclenché par les sans-culottes.

 

PdA : Avançons dans le temps... Si l'on regarde son histoire, il apparaît que la France a mis longtemps avant de trouver, puis de stabiliser le régime dans lequel les valeurs issues de sa Révolution allaient, sur la durée, s'incarner. À quel moment positionneriez-vous l'installation de la République en tant qu'organisation stabilisée, légitimée pour de bon aux yeux du plus grand nombre ?

 

J.-C.P. : On peut estimer que le régime républicain ne se stabilise vraiment qu’après la Première Guerre mondiale, lorsque les catholiques, qui avaient combattu dans les tranchées avec les autres Français, mais qui s’étaient tenus à l’écart jusque-là de la République anticléricale, se rallièrent massivement aux institutions avec la Chambre Bleue horizon. Ultérieurement, le pays traversa sans doute de graves tensions, notamment lors du 6 février 1934 ou de l’arrivée au pouvoir du Front populaire, mais à aucun moment l’idée d’un retour à la monarchie ne parut sérieuse. De ce point de vue, la Révolution était close, le régime de Vichy n’étant qu’une tragique parenthèse.

 

Jean-Christian Petitfils

 

Une réaction, un commentaire ?

 

Vous pouvez retrouver Jean-Christian Petitfils...

 

26 novembre 2014

André La Rocque : "Le Suicide français de Zemmour, un livre d'espérance"

Sur le site du Bréviaire des Patriotes, auquel il collabore régulièrement, André La Rocque, 20 ans, se présente comme un « jeune patriote français, étudiant républicain réactionnaire amoureux de notre patrimoine culturel ». Je lui ai demandé d'écrire pour Paroles d'Actu un texte non contraint exprimant le ressenti, les réflexions que lui ont inspirés ses lectures attentives du Suicide français d'Éric Zemmour (Éd. Albin Michel). Je le remercie d'avoir accepté de se prêter au jeu. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

PAROLES D'ACTU - LA PAROLE À...

André LA ROCQUE « Le Suicide français

de Zemmour, un livre d'espérance »

 

   À coup sûr, les historiens du futur feront un cas d'école de l'épisode abracadabrantesque qui a touché la France en ces jours d'automne. Injures, réquisitoires malhonnêtes et bande de ridicules se sont courus après. Que s'est-il passé ? Un penseur réac' a rédigé de sa main un recueil s'opposant, non sans talent, à la pensée tout autant bienséante que mortifère qui gouverne une époque gangrenée, profondément malade.

   Chacun en France s'attendait évidemment à ces cuistreries de rebellocrates, s'attendait à ce que l'on cisaille un tel livre façon Petit Journal. Naturellement, il fallait faire croire que le poil à gratter qui s'était glissé dans leur chemise repassée ne tracassait pas plus que ça. Le pire, c'est que, plus on en faisait, plus Le Suicide français se vendait. Comme des petits pains. Le serpent se mordait la queue. Il se la mord encore.

   Si Monsieur Zemmour a fait peur à tant de monde, si on l'a tant invité - en vue de le démolir -, c'est certainement parce que sa critique du capitalisme contemporain est, à ce jour, la plus adéquate. N'en déplaise aux plus puristes des marxistes, il y'a bien « des » capitalismes, selon les ans. On parle d'un système qui ne cesse de digérer les oppositions qu'on lui soumet. Rappelons qu'il tire un immense profit des ventes de papiers anticapitalistes. Mais l'essentiel réside ailleurs.

   Le capital a le pouvoir ravageur de se remodeler, de s'adapter pour semer ses contradicteurs les plus féroces. À la fin du XIXème siècle, les prolétaires, pétris de culture marxiste, avaient pris conscience de leur intérêt de classe; les capitalistes ont finement confondu les intérêts ouvriers avec les leurs. De sorte qu'en cas d'effondrement du système, tout le monde a des acquis à perdre. En mai 68, c'est une critique "artistique" qui a pris le pas dans la confrontation au système : « Vais-je perdre ma vie à la gagner ? », « Dois-je me résoudre à pourrir au sein de ma civilisation ? ». Comme toujours, la critique de la société de consommation est passée à la trappe. On se demande si, en ce cas, là n'était pas son destin congénital. Le capitalisme moderne a parfaitement su monnayer les idéaux de liberté, a offert Paris-Plage à ceux qui en demandaient une sous les pavés. Il a joyeusement piétiné les frontières nationales, dont il devait s'extraire, pour son grand bonheur, imposer l'insécurité de l'emploi, et tant d'autres maux... C'est cela aussi, la liberté, cruelle et oppressante. [1]

   Ils ont gagné, ils gagnent, les richards : ils réduisent le monde entier à un simple magasin mondial dans lequel les hommes, apatrides et asexués, finissent parfaitement corvéables et consommateurs débridés, démunis de tout complexe civilisationnel. On ne disposerait plus, en leur projet nihiliste, de la moindre attache traditionnelle, serions des êtres remplaçables, simples individus nés on ne sait trop où pour on ne sait trop quoi. Une atomisation générale. Le merveilleux portrait zemmourien de l'ancien patron de Renault, Louis Schweitzer, fortuné sans morale, mondialiste convaincu en faits et en pensées, engagé à SOS Racisme, transcrit un idéal-type du monde dans lequel nous vivons.

   L'illustre philosophe Jean-Jacques Rousseau a si justement écrit, « Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d'aimer ses voisins. » [2] On admire les flux lorsque l'on vit dans les aéroports; la race sédentaire les maudit car elle vit sur des racines. Seuls les naïfs seront étonnés que la caste médiatico-politique ait préféré passer du temps d'antenne sur la prétendue réhabilitation de Vichy - sur laquelle on ne s’appesantira pas -, plutôt que pour cette critique, mère de toutes les autres.

   Il s'agit de comprendre que le système se rit des internationalistes de tout poil, de l'esprit de Woodstock. La pensée forte de Marx s'arrête ici devant toute application positive : elle constitue la négation même du politique. Toute interprétation de Marx est, de fait, hautement contestable. Dans sa vision le capitalisme prépare son lit de mort, et l'Homme, être tranquille, patiente à son chevet. Il apparaît que changer la réalité que nous connaissons contraint à l'action. C'est de raison que la réaction s'impose comme le seul recours : il ne saurait y avoir de justice sociale en l'absence d'un État providence, autonome et stratège. Et il n'y a, de nos jours, de patriotisme véritable que dans la réaction.

   L'Histoire, la tradition, la nation... Tant d'êtres que les amis du grand marché veulent voir s'éteindre, au profit d'une fantasmagorique citoyenneté du monde. C'est à ces êtres martyrs qu'il convient de se raccrocher, pour que jamais la culture de l'oubli ne puisse nous rogner, ce jusqu'au cœur de ce que nous portons. C'est aux négateurs de la mémoire et de l'âme que nous devons répondre, à ceux qui jouissent d'une conception bien insultante de l'humanité. Il faut le clamer : en vitupérant contre les racistes, les ennemis de la cause du peuple, les barons de la peur, ils ne font que renvoyer leur propre visage sur leurs contradicteurs.

   Je suis convaincu que ce n'est pas le brillant historien auteur de Mélancolie Française et de ce bel essai qui me contredira. Son rapport passionnel avec le roman national a de quoi nous inspirer. Mais, au-delà de l'historien, Éric Zemmour a le mérite évident de ramener la réalité en termes de classes et de dynamiques, plutôt qu'aux termes de cas singuliers et de relativisme permanent. Il est cet homme au cœur "vieille France" qui, comme tant de Français, ne peux endurer davantage le mépris constant des plateaux télé. Il est de sa génération, témoin de l'installation et de l'enracinement d'une idéologie. Ce droit-de-l'hommisme, qui a conquis et enlaidi les faits sociaux majeurs de notre civilisation : la politique, la chanson, l'art en général, la justice, le football...

   C'est bien l'histoire d'une revanche sur le roman national qui est entre nos mains, d'une revanche sur l'idéal républicain comme sur la France éternelle. Tout y passe : la course folle vers l'Union oligarchique européenne, le féminisme et l'antiracisme forcenés et obligatoires, le « libertarisme » prosélyte, la haine de soi, le triomphe du marché, BHL, Coluche, Lilian Thuram... Il est louable qu'il ait abordé les problèmes ainsi : on retient bien mieux l'emblématique que le pompeux. On en ressent peu à peu la médiocrité qui nous est parvenue aujourd'hui.

   « L'optimiste est un imbécile heureux. Le pessimiste est un imbécile malheureux. » écrivait feu Georges Bernanos. [3] Tous attestent que le journaliste Zemmour souffre de la seconde tare. D'aucuns brocardent le constat pathologique qui coule de ces pages, la névrose qui pousserait les Français au suicide. Mais, comme l'a relevé si justement Jean-Marie Le Méné sur Radio Courtoisie, il « déconstruit les déconstructeurs » [4], et, par conséquent, deux négations ne pouvant former qu'un positif, c'est un livre d'espérance.

   Ce récit est un voyage dans les abysses de la modernité; il n'est sous aucun prétexte en opposition avec le Roman de Jeanne d'Arc de Philippe de Villiers. Il doit soulever le cœur de chaque être français afin que renaisse, brille à nouveau et de mille éclats la France d'antan, la France véritable, la France de Clovis à Rousseau, la France comme phare des nations. Pour qu'elle soit prête à accueillir ce nouveau Bonaparte que ce peuple mérite et appelle de toute son âme. Une idée si épurée peut très bien se passer des corps intermédiaires qui ne cessent de la souiller.

 

1   Pour poursuivre cette critique utopiste du capitalisme moderne, nous conseillons vivement l'ouvrage duquel est inspiré largement cet écrit : BOLTANSKI Luc, CHIAPELLO Ève, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, 843p.

2   L’Émile ou De L’Éducation (Livre premier), Paris, The Hague Chez Jean Néaulme, 1762.

3   Les grands cimetières sous la lune, Paris, Éditions du Seuil (1997), 1938.

4   RADIO COURTOISIE. « Entretien avec Éric Zemmour ». 12 Octobre 2014

 

Une réaction, un commentaire ?

Suivez Paroles d'Actu via Facebook et Twitter... MERCI !

Publicité
Publicité
<< < 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 > >>
Paroles d'Actu
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 056 693
Publicité