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Paroles d'Actu

14 juin 2021

Paroles d'Actu : les dix premières années

Paroles d’Actu aura dix ans le 15 juin. Dix ans d’une aventure sur laquelle j’aimerais revenir, aujourd’hui, dans le cadre d’un texte plus personnel qu’à l’accoutumée. Ces textes-là ne sont pas forcément ceux que je préfère écrire, ce sont plutôt les invités que j’aime à mettre en avant, mais allons-y, j’espère que ça ne sera pas trop laborieux.

L’idée de départ en 2011, ce fut, partant de pas grand chose, d’utiliser les possibilités inouïes d’Internet, et d’exploiter ma curiosité pour créer un média. Contacter des gens, en n’étant pas d’un milieu « à réseau », s’imprégner d’une thématique et en extraire des questions, si possible pertinentes. Apprendre quelque chose, à chaque fois, et peut-être, faire un peu avancer le schmilblick de la démarche d’intelligence, en apportant une connaissance, ou une pierre à un débat.

Dix ans après, quel bilan est-ce que j’en tire ? 380 articles, 618 000 visiteurs pour plus de 11 000 pages vues chaque mois depuis le début de l’année, un référencement comme source Google News ? Tout cela, oui. Mais surtout, la rencontre, « virtuelle » pour la plupart, physique parfois, avec des dizaines de personnes passionnées, passionnantes, souvent les deux, et d’univers très différents. Je salue ici, un à un par la pensée, l’ensemble des invités qui ont accepté de m’accorder un peu de leur temps pour répondre à mes questions, plusieurs fois pour certains. Je ne citerai, vous le comprendrez, qu’une poignée de noms, ceux qui hélas ne sont plus parmi nous : Gilles Verlant, Michel Dinet, Micheline Dax, Alain De Greef, Charles Aznavour, Georges Sarre, Faby. Je pense à eux, et je pense à Fariba Adelkhah, chercheuse emprisonnée de longs mois durant par le régime iranien. J’adresse aussi mes salutations chaleureuses à celles et ceux qui, face à ce travail, m’ont témoigné leur intérêt, leur bienveillance, ou qui simplement ont lu sans faire de bruit. Et là, j’ai une pensée pour mon père, qui m’encouragea dans cette démarche qui lui était étrangère, pour Maxime Scherrer parti bien trop tôt, pour l’ami Bob Sloan, et peut-être pour d’autres que je ne connais pas.

Il y a dix ans, je ne lisais pas beaucoup de livres. Je peux même dire que j’en lisais très peu. Depuis les débuts du site, j’ai découvert les services presse : parfois on m’a proposé des ouvrages, parfois je les ai sollicités. Ces lectures fort variées, et tous mes achats à côté, m’ont beaucoup appris, et d’abord à aimer lire. Je me suis amusé, dans la perspective de cet article, à réunir pour une photo, une grande partie (la table n’était pas extensible à l’infini) de mes livres reçus en SP, et qui ont donné lieu pour la plupart (pas tous) à un article, à une interview. Une belle occasion de remercier ces éditeurs, tous les attaché(e)s de presse qui font un beau travail, et d’inciter encore qui me lira ici à lire des livres, et à encourager ce secteur véritablement essentiel.

 

Paroles d'Actu 10 ans

  

Le bilan que je tire de cette aventure est largement positif : j’ai reçu des marques d’estime qui m’ont fait chaud au coeur, et niveau estime de soi je partais de loin ; j’ai grandi, pris (un peu) confiance en moi depuis dix ans, et cette activité y a contribué. J’ai fait de très belles et parfois inattendues rencontres grâce à Paroles d’Actu. Et, forcément, quelques vraies déceptions humaines, mais moins, et rien de surprenant : ainsi va la vie.

Et là, à ce moment de la rédaction, je me dis : mais eux, que j’ai interrogés, qui m’ont fait des confidences, ou bien qui m’ont lu, que savent-ils de moi ? Il est légitime que j’y réponde, quitte à me confier un peu moi aussi. Nicolas donc, 36 ans au compteur, issu de et vivant toujours dans le sud-lyonnais. J’ai fait des études en éco et en droit (avec un goût particulier pour l’anglais, langue et civilisations) et suis diplômé (Master 2) de l’université Lumière-Lyon-II (2008). Mon parcours pro n’a jusqu’à présent pas été très synchro avec mes études ou même mes centres d’intérêt (anglais donc, histoire et civilisations, économie et politique), et j’ai passé l’essentiel de ces années comme petit poisson dans un entrepôt logistique frais, pour un gros distributeur. De ces jobs formateurs, mais dans lesquels il ne faut pas trop espérer se distinguer parce qu’on n’y est souvent qu’un matricule. À ce jour j’y travaille toujours. Pas grand chose à voir avec Paroles d’Actu, me direz-vous. Un passe-temps très prenant, une bouffée d’air frais. Un hobby, sur lequel je ne gagne évidemment pas d’argent. Mais... Je souhaite me rapprocher, pour un emploi, de tout ce que je fais avec le site (rédaction, prises de contact, communication, recherche ou associatif), ou de thématiques qui me tiennent à coeur (la mémoire, la cause francophone...) mais je suis plus doué pour vanter les mérites des autres que pour me « vendre » moi-même, et on touche ici, encore, à la question de la confiance en soi qui chez moi, dans mon processus particulier de développement, n’est pas réglée. Je reconnais que, dans l’idéal, mon idéal, j’aurais aimé que quelqu’un, lisant ce que je fais, un article parmi tant, se dise : « Il fait des choses pas mal ce Nicolas, si je lui proposais quelque chose ? » Mais je suis redescendu sur Terre, et ai bien compris que c’était à moi de me faire violence, d’aller de l’avant et au-devant des autres, non pas pour leur parler d’eux, mais un peu de moi. Je veux être optimiste mais si ce que je fais intéresse quelqu’un, ça peut m’intéresser aussi, genre vraiment. ;-)

Quelle que soit la suite, j’aurai toujours ce goût du contact et de la rencontre, que j’exploite avec plaisir pour Paroles d’Actu. Et sur cette activité-ci, j’entends ne pas renoncer à ma liberté.

À toutes et tous, merci pour votre fidélité, et pour votre bonté envers moi. N’hésitez pas à poster vos petits commentaires en bas de cet article, à exprimer ce qui vous fait apprécier le blog !

Nicolas, le 14 juin 2021

 

Paroles d'Actu

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26 mai 2021

Jean-Daniel Belfond (l'Archipel) : « Pour favoriser la lecture, étendons le pass culture à toutes les classes d'âge ! »

Alors que, crise Covid oblige, on a réévalué, classé même, les activités économiques selon leur utilité pour la société, les libraires, après s’être battus pour faire valoir la leur, ont à raison obtenu gain de cause : ils ont désormais le statut de commerces essentiels. J’ai la joie, pour commenter cette actu, et surtout, placer la lecture au coeur, de recevoir Jean-Daniel Belfond, fondateur et directeur des éditions l’Archipel, pour une interview inédite. Je l’en remercie et en profite pour saluer Christel Bonneau, qui a rendu cet échange possible, sa collègue Sarah qui m’a aiguillé vers elle, ainsi que Frédéric Quinonero, auteur régulièrement publié par l’Archipel et fidèle de Paroles d’Actu. Lisez, lisez encore, et vous verrez qu’à force, vous aimerez ça ! ;-) Exclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Jean-Daniel Belfond: « Pour favoriser la lecture,

étendons le pass culture à toutes les classes d'âge ! »

Jean-Daniel Belfond

Jean-Daniel Belfond. Photo : Jenna de Rosnay.

 

Jean-Daniel Belfond bonjour. Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a fait aimer les livres, et conduit à devenir éditeur ?

Fils d’éditeur, j’ai baigné dans le monde du livre depuis l’enfance, et croisé beaucoup d’écrivains.

J’ai travaillé trois ans aux éditions Belfond, à partir de 1988, pour apprendre les bases du métier, avant de créer en 1991 les éditions de l’Archipel, peu après que mes parents ont vendu leur entreprise au Groupe Masson. Belfond est du reste l’un des labels du Groupe Editis que nous avons rejoint en 2019.

 

L'Archipel

 

Quelle est l’histoire de l’Archipel, maison que vous avez fondée en 1991 ? Comment définiriez-vous son identité, quels traits communs au-delà d’une diversité revendiquée (« un archipel de collections, un archipel de livres »), et cette réponse sur l’identité serait-elle la même qu’il y a trente ans ?

Une maison d’édition c’est en effet à mes yeux un archipel de collections, une collection, un archipel de livres. Après le navire-amiral généraliste l’Archipel (fiction, essais, récits, biographies, guides…), j’ai donc créé au fil des années trois autres labels pour publier des livres visant des publics spécifiques : Écriture (1992) : romans et essais littéraires ; Presses du Châtelet (1995) : religion, spiritualité, bien-être ; Archipoche (2005) : ouvrages grand public au format poche, et Archidoc : ouvrages de référence au format poche. Une diversité en effet revendiquée avec un constant souci de qualité éditoriale, même pour les livre destinés à un large public. De nouveaux thèmes et collections sont apparus, mais l’esprit des débuts a perduré. Je m’interroge toujours avant la signature d’un contrat sur la conformité du livre aux thèmes intéressant l’Archipel, à notre capacité à lancer le livre et à le publier dans un contexte médiatique favorable.

 

Au départ, l’idée de cette interview m’est venue de la lecture de Promets-moi, papa, l’ouvrage touchant de Joe Biden. Le texte date de 2017 mais il est apparu en France, sous vos couleurs, cette année, après son investiture comme président des États-Unis. Joli coup : vous nous en racontez les coulisses ?

Un partie du travail de l’éditeur est de se propulser à neuf ou dix-huit mois de distance et de  se dire : lorsque nous publierons ce livre, serons-nous pertinents ? En l’occurrence, j’ai recherché les écrits du candidat démocrate parus en anglais ; nous avons acquis en juillet les droits de ce récit émouvant du challenger de Donald Trump, ainsi que ceux des mémoires de son épouse Jill Biden. C’était un pari, mais raisonnable : j’étais convaincu que Trump serait battu à la présidentielle.

 

Promets-moi papa

Promets-moi, papa, de Joe Biden (l’Archipel, mars 2021).

 

En quoi le métier d’éditeur, votre métier, a-t-il changé en trente ans ? Sur quels points son exercice est-il plus aisé, ou au contraire plus compliqué ?

Le métier n’a pas vraiment changé. Il y a d’un côté la nécessité d’avoir une entreprise bien gérée, en d’autres termes de publier des livres bien édités, bien soutenus par le distributeur et susceptibles d’intéresser un public assez large. De l’autre le désir d’accompagner des auteurs au fil des années et, si possible, d’élargir leur lectorat. Il y a toujours le plaisir de la découverte d’un texte qu’on voudra défendre, faire connaître. Ce qui a changé hélas c’est la baisse des mises en place et des ventes moyennes au titre, d’où la nécessité impérieuse de bien choisir les livres, bien les traduire, ou les peaufiner s’il s’agit d’ouvrages de commande d’auteurs français. Une chose est certaine : la qualité « paie ». Hier indépendant et aujourd’hui filiale d’Editis, le deuxième groupe français d’édition, nous n’hésitons pas à différer la parution d’un livre qui n’est pas au point sur le fond ou la forme ; voire à renoncer à publier (la chose est rare) si on n’arrive pas à un niveau de qualité qui nous satisfasse. J’ai toujours souhaité que le logo Archipel sur un livre soit garant pour l‘acheteur d’un bon niveau de qualité éditoriale.

 

« Une chose est certaine : en matière

d’édition, la qualité "paie". »

 

Comment avez-vous vécu, personnellement et sur le plan professionnel (je pense à vos éditions et au secteur du Livre en général), la crise Covid-19 et toutes ses retombées ? Quelles leçons en tirerez-vous ?

Une grande tristesse, en 2020, de voir souffrir le réseau des librairies, qui sont nos partenaires et sans qui nous n’existerions pas. Ensuite, on n’imaginait pas que l’entreprise continuerait à être aussi performante en télétravail, chose qu’on n’avait jamais expérimentée. C’est un métier qui se prête bien au travail à distance. Nous sommes dix personnes dans l’entreprise et bien sûr heureux de se retrouver en présentiel deux jours par semaine pour confronter nos points de vue sur les maquettes de couverture, les actions marketing... Mais sinon, nous sommes tous connectés, tous solidaires, disponibles pour échanger en visio. La crise aura changé, dans mon cas, à 180° mon sentiment sur le travail à distance.

 

Il y a un an, vous disiez pour Papier Culture l’importance, à votre sens, d’ « inciter les enfants à lire pour leur donner le goût de la chose imprimée ». Quelles idées, à l’ère du presque-tout-numérique, pour favoriser cela, au-delà de l’éducation, des initiatives individuelles ? Comment les maisons d’édition peuvent-elles, à leur échelle, y contribuer ?

Le covid de la lecture s’attrape dès 3 ou 4 ans, dès ce jour où on a le droit d’apporter à la maison un livre pris dans la bibliothèque de la classe. Ce covid-là n’a pas besoin de vaccin : il se diffuse dans le cerveau et génère des endorphines en la présence d’un livre, qu’il soit au format papier ou sur un écran. Tout ce qui peut être fait pour inculquer à l’enfant l’idée que lire est un plaisir doit l’être. Une idée : étendre le pass culture à toutes les classes d’âge, pas seulement aux ados de 18 ans. Il y a ce terrible no man’s land des 13-18 ans où les garçons, davantage que les filles, se détournent du livre, pour la facilité : l’absorption d’images sur les écrans. Pour promouvoir la propagation du covid de la lecture à cette tranche d’âge, une idée toute simple : encourager au collège la lecture d’un roman par mois, et la fourniture au professeur d’un résumé, dès la 6e. Attention : il faut proposer aux élèves des livres captivants. Ils resteront dans leur esprit toute leur vie, comme les pierres fondatrices d’un édifice. Un mal incurable et un formidable incitatif à en lire d’autres.

 

Êtes-vous vous-même un « gros » lecteur ? 100% papier, ou bien panachez-vous un peu avec du numérique ?

Durant l’année, je lis essentiellement « utile » : les manuscrits d’auteurs que l’on va publier, ou qu’on pourrait publier. Je lis sur écran les textes en anglais. Comme j’annote les textes en français, il est plus agréable et commode de disposer d’un manuscrit papier. En vacances, j’emporte les textes d’auteurs que j’aime pour leur talent de plume : Balzac, François Nourissier, Jérôme Garcin, Frédéric Beigbeder…

 

Quels sont les livres qui vous ont le plus marqué, ceux que vous aimeriez inciter à découvrir ou redécouvrir ?

En trente ans d’édition, on a publié quelques romans hors du commun : L’Orgue juif, de Ludwig Winder (1993), K-Pax, de Gene Brewer (1995), Histoire de la poupée, d’Emile Brami (2000), À deux pas de nulle part, de Michel Embareck (2002), La Corde, de Stefan aus dem Siepen (2014). Ces auteurs n’ont pas à ce jour rencontré le succès public ; ce sont peut-être leurs romans qui resteront, dans cinquante ans, parmi les quelque trois mille titres parus dans notre groupe.

 

L'orgue juif

L’Orgue juif, de Ludwig Winder (Écriture, 1993).

 

Vous avez ainsi publié, en tout, quelque 3000 ouvrages. Et l’écriture ? C’est quelque chose qui vous chatouille, qui vous tente, ou pas plus que ça ?

Les auteurs ont horreur, et c’est normal, des éditeurs qui publient des livres. On devient tout à coup des rivaux alors qu’on est là pour les accompagner. Je n’ai écrit qu’un récit sur la chanteuse Barbara, en 2000. Bien sûr, j’aime écrire, et j’écrirai sans doute plus tard, quand je ne serais plus éditeur.

 

Barbara JD Belfond

Barbara, l’ensorceleuse, de Jean-Daniel Belfond (Christian Pirot Éditions, 2000)

 

Interview : 24 mai 2021.

 

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28 avril 2021

Thierry Lentz : "En vainquant Napoléon, Londres s'est offert un siècle de domination mondiale"

Dans une semaine très exactement, les Français et d’autres, au-delà de nos frontières, au-delà même des mers, se souviendront que, deux cent ans plus tôt, disparaissait sur un caillou perdu dans l’Atlantique sud, un homme qui, pour l’avoir longtemps dominée, aurait pu mourir en maître de l’Europe continentale. Un personnage tellement grand qu’on en écrirait bientôt la légende.

Pour ce dernier article d’une « trilogie bicentenaire » qui n’était pas forcément prévue au départ, j’ai la grande joie, après Éric Teyssier (Napoléon et l’histoire) et Charles Éloi-Vial (les Cent-Jours), de recevoir une nouvelle fois M. Thierry Lentz, un des plus fins connaisseurs de l’épopée et de l’époque napoléoniennes (il dirige également la Fondation Napoléon depuis plus de vingt ans).

Je remercie chaleureusement M. Lentz d’avoir accepté de m’accorder cet entretien, traitant principalement du combat implacable que se livrèrent Napoléon, qui aspirait à l’hégémonie continentale, et l’Angleterre, déjà maîtresse des mers. À la fin on le sait, Britannia rules, Britannia rules the waves. Une autre légende, forgée celle-ci par des vainqueurs. Une autre histoire... Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - SPÉCIAL BICENTENAIRE NAPOLÉON

Thierry Lentz: « En vainquant Napoléon,

Londres s’est offert un siècle de domination mondiale... »

Pour Napoléon

Pour Napoléon, Éditions Perrin, 2021.

 

Certains réflexes claniques du Corse Bonaparte (népotisme, etc...) ont-ils contribué à la perte de Napoléon?

L’argument « clanique » a été utilisé notamment par les royalistes, Louis XVIII en tête, pour dévaloriser la politique familiale de Napoléon. Il est vrai qu’il a sans doute exagéré sur ce point, en confiant des trônes importants pour son système à ses frères les plus jeunes et incapables, Louis et Jérôme. Sans doute les traditions corses ont-elles joué. Ceci étant dit, l’essaimage des Bonaparte en Europe n’est comparable à celui des Habsbourg ou des Bourbons, voire par la mainmise de certaines familles dans la monarchie d’ancien régime, comme les Colbert sous Louis XIV. On le voit, corse ou non, le tropisme familial a toujours joué… et joue encore aujourd’hui.

 

« Sans doute a-t-il exagéré, en confiant

des trônes importants pour son système à ses frères

les plus jeunes et incapables. »

 

Napoléon a-t-il perdu pied après Tilsit, comme enivré à son apogée?

Après Tilsit et la victoire sur la Russie, Napoléon avait une grande liberté de choix pour la suite. Il pouvait, par exemple, se reposer et peaufiner son système européen. Sans doute, avec un peu de patience, l’Angleterre aurait-elle fini par négocier, la tentative avortée de 1806, qui avait capoté largement par la faute de Napoléon, le prouve. Mais alors qu’il avait assuré la prépondérance française sur le Continent, l’empereur des Français ne s’en contenta pas. L’occasion était trop belle, sa puissance trop grande pour qu’il ne continue pas à s’en servir. Il fit alors de mauvais choix, comme la prise de contrôle de l’Espagne - inutile tant ce pays était un satellite de la France - et l’absence de souplesse dans ses relations avec la Russie alliée. Une sorte d’engrenage, ignoré mais implacable, avait été mis en route.

 

« Napoléon n’a pas su se contenter de la prépondérance

française qu’il avait réalisée en Europe.

Il fit alors de mauvais choix... »

 

The Plumb-pudding in danger

Une des plus célèbres caricatures du temps de Napoléon, réalisée par l’artiste britannique

James Gillray en 1805. À gauche, le Premier ministre britannique Pitt Le Jeune, à droite

l’empereur des Français. Le partage du monde n’aura pas lieu...

 

Une grande paix de compromis aurait-elle pu être atteignable entre Français et Britanniques autour de 1807, une position prépondérante - pas forcément hégémonique, un pacte entre puissances s’en serait assuré - en Europe pour les uns, le contrôle des mers et l’accès aux marchés continentaux pour les autres?

L’ennemi le plus acharné de Napoléon s’avéra être l’Angleterre, libérée de la menace d’invasion suite à la destruction de la flotte franco-espagnole à la bataille de Trafalgar (octobre 1805). Après avoir sciemment fait capoter des négociations (été 1806) afin de poursuivre sa marche en avant de dicter « sa » paix en position de domination absolue du continent, Napoléon décida de la vaincre par là où, selon les Français, elle pêchait : ses finances et son commerce. La réputation de la « perfide Albion » était de vivre à crédit et de ne dépendre que de ses exportations. L’analyse était exacte dans ses grandes lignes mais la fragilité du système anglais comme les conséquences que pouvait avoir à court terme un dérèglement de ce système furent surévaluées. Côté anglais, la détermination était plus forte que les dérèglements. Albion finançait les guerres des autres, contournait souvent le Blocus continental et employait tous les moyens pour faire taire son peuple. Seul le temps aurait pu aboutir à un compromis. Napoléon ne se le donna pas, d’autant plus que la guerre que lui imposa l’Autriche en 1809 ne fit qu’accroître son sentiment d’invincibilité.

 

« Napoléon a surévalué la fragilité du système

socio-économique de son rival britannique. »

 

Tout bien pesé, la victoire du Royaume-Uni dans cette guerre des systèmes et sa domination du XIXème siècle a-t-elle constitué un préjudice évident, palpable quant au développement ultérieur de la France?

Napoléon fut vaincu à Waterloo, désastre militaire aux conséquences politiques et économiques immenses. Avec le second traité de Paris (20 novembre 1815) et les garanties prises par les vainqueurs durant le congrès de Vienne (qui s’était achevé en juin), l’ « équilibre européen » fut restauré presque dans sa configuration de 1789, à ceci près que la France était ramenée au niveau d’une puissance moyenne soumise à la surveillance de ses grands vainqueurs, Autriche, Prusse, Russie, Angleterre. Au niveau mondial, le gagnant principal était indubitablement cette dernière. Elle avait obtenu à peu près tout ce qu’elle souhaitait. Le commerce pouvait reprendre sur des routes maritimes contrôlées par elle et un marché européen libéré. Bien évidemment, Albion ne s’était mise à la tête d’une « croisade » de libération que pour la galerie. Grande importatrice de matières premières, déjà usine de transformation du monde et exportatrice de produits manufacturés, elle pouvait à nouveau s’approvisionner sans obstacle et inonder les marchés. Que ses élites aient toujours allégué un alibi « moral », libéral et pacifique, n’empêche pas de constater qu’en défendant « l’équilibre européen », elles protégeaient surtout un déséquilibre commercial en leur faveur. En ce sens, leur projet n’était pas moins hégémonique que celui de Napoléon, mais elles usaient de moyens d’une autre nature. Sans autres visées territoriales que l’occupation des carrefours commerciaux (Héligoland, Malte, îles Ioniennes, Cap de Bonne-Espérance, Mascareignes, …), elles visaient avant tout au contrôle des échanges et à l’élimination d’un concurrent trop puissant. Au large, la fragilisation des colonies françaises et hollandaises des Antilles, de l’océan Indien et du Pacifique était assurée. Que l’on y ajoute une indépendance des places financières et des tarifs douaniers raisonnables, et tout serait à nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Bien calée dans son île inexpugnable, l’Angleterre avait su se montrer patiente, endurante et prodigue avec ses alliés. Elle pouvait désormais rentabiliser l’investissement consenti pendant vingt ans et dominer le monde pour un long siècle.

 

« En défendant "l’équilibre européen",

les élites anglaises protégeaient surtout

un déséquilibre commercial en leur faveur. »

 

Interview : fin avril 2021.

 

Thierry Lentz 2021

 

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19 avril 2021

Benjamin Boutin : « Le combat de la francophonie, c'est celui du plurilinguisme »

L’article qui suit va me permettre d’aborder une fois de plus (voir, sur ce blog, les interviews avec Grégor Trumel, Valéry Freland et Fabrice Jaumont) une thématique qui me tient à coeur: la francophonie, ou le français en tant que richesse partagée, et sa vitalité dans le monde. Benjamin Boutin est entre autres (nombreuses) activités, le dynamique président-fondateur de l’association Francophonie sans frontières. Il a accepté de répondre à mes questions, je l’en remercie, ainsi que pour cette cause honorable qu’il défendUne exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Benjamin Boutin: « Le combat de la fran-

cophonie, c’est celui du plurilinguisme. »

Benjamin Boutin, avec Ousmane Drabo

Une photo de Benjamin Boutin sur le plateau de RFI avec le journaliste Ousmane Drabo.

 

Bonjour Benjamin Boutin. Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a donné envie de vous engager pour la promotion de la cause francophone ?

pourquoi la cause francophone ?

À l’école, j’avais une prédilection pour les langues, notamment pour le français ; j’étais passionné par l’histoire, l’instruction civique et la géographie. J’eus la chance de voyager durant mon adolescence dans une vingtaine de pays et outre-mer. Cela forgea mon goût pour la rencontre des cultures et les échanges internationaux. 

En 2012, j’intégrai le master 2 Diplomatie et négociations stratégiques de l’Université Paris-Sud Saclay, dont le thème principal était la francophonie. Le parrain de ce master réunissant des étudiants et des professeurs de 23 nationalités n’était autre qu’Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie, ancien Président de la République du Sénégal. J’eus le grand honneur de le rencontrer en 2013.

Alors que je m’impliquais déjà au sein d’une association de jeunes francophones qui plaidait pour la diversité linguistique et culturelle dans les organisations internationales, je publiai mon premier article sur la francophonie dans La Tribune le 10 juillet 2013 et devins responsable des Débats francophones internationaux à la Conférence Olivaint, une association française de débat public et d’art oratoire.

À l’automne 2014, après avoir vécu en France et en Belgique, j’effectuai un stage à l’Assemblée nationale du Québec. On me confia le suivi des dossiers internationaux relatifs à la francophonie pour le compte du Chef de l’Opposition officielle. En 2015, j’intégrai l’École nationale d’administration publique (ENAP) du Québec, où je rencontrai des jeunes chefs de file, certains originaires de pays africains et caribéens francophones et plurilingue. Je deviens vice-président de l’Association étudiante de l’ENAP et fis de la francophonie ma priorité.

La même année, je partis enseigner en Haïti, pays partiellement francophone trop souvent résumé au seul fait qu’il est économiquement l’un des moins avancés de la planète. En 2015 également, je co-organisai une mission d’étude à New-York, à la rencontre de responsables d’organisations internationales. Une prise de parole à la Représentation permanente de la Francophonie auprès des Nations Unies me permit d’annoncer la tenue d’un colloque sur la francophonie que je préparai déjà depuis plusieurs mois.

 

« La francophonie est pour moi, un espace

de liberté, de création, d’entrepreneuriat, d’innovation... »

 

Ce colloque international, intitulé « Quelle stratégie pour l’avenir de la francophone ? », eut lieu le 9 mars 2016 à Montréal, en présence d’une centaine de personnes et d’une trentaine d’intervenants de haut niveau. À cette occasion, nous présentâmes avec Marie-Astrid Berry le projet pilote de Francophonie sans frontières (FSF). Depuis, je n’ai cessé de m’impliquer pour la francophonie. Elle est pour moi un espace de liberté, de création, d’entrepreneuriat, d’innovation. Elle représente surtout une voie d’accès à des millions d’êtres humains avec qui je peux échanger, grâce à notre langue partagée.

 

Que retenez-vous de votre expérience comme enseignant en Haïti ? En quoi cette aventure a-t-elle été différente, par exemple, de ce temps pendant lequel vous avez enseigné à Paris ?

enseigner à Haïti, et ailleurs

Enseigner à une cinquantaine de jeunes Haïtiens prometteurs au Centre d’études diplomatiques et internationales (CEDI) me sensibilisa aux richesses culturelles et spirituelles de ce pays. En Haïti, l’éducation ouvre véritablement une fenêtre d’espoir sur un futur plus prospère et apaisé. Comme l’écrivait Benjamin Disraeli (Premier ministre britannique de la fin du XIXè siècle, ndlr), de l’éducation de son peuple dépend le destin d’un pays.

Haïti est en proie aux difficultés. Les crises se succèdent. Malgré tout, je place beaucoup d’espoirs en la jeunesse. Celle, la plus éduquée, à laquelle j’ai eu affaire, est tentée par l’émigration. J’ai voulu transmettre à mes étudiants non seulement des connaissances sur le développement économique, la prospective, la géopolitique et la coopération, mais aussi les inciter à valoriser les atouts de leur pays et à préserver son patrimoine culturel et naturel inestimable.

Enseigner à Paris est une expérience différente mais non moins enrichissante. Depuis quelques années, je donne des conférences et des cours sur la francophonie, la diplomatie culturelle, la géopolitique, l’influence... Je compléterais volontiers cette offre par un cours de géoéconomie. Je suis aussi très attentif à l’évolution des technologies dans nos sociétés et dans nos vies.

 

« Mon rôle d’enseignant, je le conçois comme celui d’un

passeur de connaissance, voire d’un mentor. »

 

Mon rôle d’enseignant, je le conçois comme celui d’un passeur de connaissance, mais aussi comme celui d’un tuteur voire d’un mentor pour aider les jeunes à exprimer le meilleur d’eux-mêmes et à devenir d’honnêtes femmes et d’honnêtes hommes. Ce désir découle de l’instruction humaniste que j’ai moi-même reçue.

 

Quel regard portez-vous sur l’état de la francophonie dans le monde ? Est-elle, en 2021, stable, en déclin, ou plutôt en expansion ?

l’état de la francophonie

Son existence a une valeur propre qui ne dépend pas, selon moi, de sa variabilité. L’important est que la francophonie existe et rayonne dans le respect des autres aires linguistiques et culturelles. L’enjeu majeur est d’éviter la sur-représentation d’une seule langue dans les échanges internationaux. Le combat de la francophonie, c’est celui du plurilinguisme, qui nous permet d’exprimer les spécificités de nos cultures, de nos traditions, de nos idéaux dans toutes leurs nuances.

En 2021, la francophonie a comme atout d’être portée par le dynamisme démographique de nombreux pays, d’être représentée sur les cinq continents et d’être bien structurée en associations, en universités et en institutions. Cela lui donne un avantage.

Mais il manque encore quelques briques pour conforter la présence des langues françaises (oui il y en a plusieurs) dans les sphères économiques, médiatiques, numériques, artistiques, scientifiques : par exemple la structuration de filières économiques mutualisées, le développement et l’accessibilité d’une offre culturelle - notamment audiovisuelle - attractive, la mise en place d’une banque francophone d’investissement, etc.

 

« L’avenir de la francophonie est conditionné

à notre capacité à former et à mobiliser

un grand nombre d’enseignants. »

 

Sans être exhaustif, l’avenir de la francophonie est conditionné à notre capacité à former et à mobiliser un grand nombre d’enseignants. La demande éducative est forte, notamment en Afrique. Y répondre doit être la priorité des priorités des instances de coopération francophones.

 

Concernant le Québec et du Canada que vous connaissez bien : la langue française s’y développe-elle, y compris au-delà de ses espaces traditionnels ?

le français au Québec et au Canada

La francophonie québécoise et la francophonie canadienne sont deux réalités imbriquées et interdépendantes. Le Québec abrite une société majoritairement francophone, où les droits de la minorité anglophone sont garantis. J’aimerais que ce soit réciproque au sein du Canada majoritairement anglophone. Or, je constate et déplore des coupes budgétaires dans les services rendus en français, ainsi qu’un manque d’ambition pour assurer une éducation réellement bilingue, d’un océan à l’autre. Le bilinguisme français-anglais doit être un critère absolu pour la sélection des immigrants et pour l’accès aux emplois publics. En premier lieu, les ministres, les parlementaires et les hauts fonctionnaires doivent donner l’exemple.

Et n’oublions pas non plus les langues et les cultures autochtones qui doivent être respectées et valorisées, dans l’ensemble du Canada.

 

Comment défendre et promouvoir le français dans d’ex-pays de l’empire colonial français notamment, en évitant l’écueil du néocolonialisme ?

francophonie et liberté des peuples

Les politiques de ces pays dépendent de leurs peuples souverains. C’est à eux d’investir à la fois dans des programmes éducatifs, culturels, économiques, scientifiques et autres ainsi que dans les organisations internationales francophones crées par les pères de l’indépendance (Senghor, Bourguiba, Diori, Sihanouk…) s’ils considèrent, comme leurs grands aïeux, que le français et le plurilinguisme sont de formidables outils de connaissance, de prospérité, de dialogue interculturel et de paix.

L’élan de la francophonie dépend fortement de la volonté des sociétés civiles organisées en associations, en coopératives, en syndicats et en conseils économiques, sociaux et environnementaux. Ces forces vives peuvent et doivent lancer des initiatives pour la francophonie, comme le fait Francophonie sans frontières, et inciter leurs gouvernements à développer des programmes pour stimuler la francophonie locale, régionale, nationale et internationale.

 

« En Europe, le français est la deuxième langue

la plus parlée et la plus apprise. »

 

Je rappelle aussi que la francophonie n’est pas seulement constituée de pays issus de l’ancien empire colonial français ou belge. Un certain nombre d’États qui n’ont jamais subi cette colonisation choisissent le français comme langue d’enseignement, de culture, de tourisme, d’affaires… En Europe, par exemple, le français est la deuxième langue la plus parlée et la plus apprise. En Amérique latine et même aux États-Unis, la francophonie est attractive parce qu’elle est synonyme de mieux-être, de culture et d’art de vivre. Apprendre cette langue confère des atouts dans tous les domaines, y compris dans la sphère professionnelle.

 

La diversité culturelle et les échanges entre les cultures sont des concepts nobles, qui vous parlent. Quel rôle pour le français, et quels atouts jouer en la matière ?

de la diversité culturelle

La diversité culturelle et les échanges entre les cultures constituent l’une des sources de mon bonheur. Et le mot n’est pas trop fort. À ce titre, la langue française représente un pont de compréhension et de coopération extraordinaire ; mais celui ou celle qui la pratique doit être animé par un esprit d’ouverture et d’accueil. La langue française, seule, n’est pas une baguette magique. Et comme toutes les langues, elle peut être utilisée à bon ou mauvais escient. C’est la raison pour laquelle le mouvement francophone doit être, à mon sens, animé par l’éthique, ce chemin de réflexion et d’action vers la juste décision, qui commence par la considération pour autrui et pour sa culture.

 

De fait, l’espace francophone est extrêmement divers : pourquoi cette richesse collective-là n’est-elle pas davantage mise en avant, notamment auprès du grand public ? Que faire pour rendre la francophonie populaire comme peut l’être, par exemple, l’anglais du Commonwealth ?

et le grand public ?

Le Commonwealth est une organisation politique centralisée autour du monarque britannique en exercice. Bien que je le respecte et que je trouve plusieurs de ses initiatives positives, ce n’est pas ma conception d’une francophonie multipolaire et décentralisée.

Faire connaître la francophonie au grand public et notamment aux jeunes, développer l’engagement et le sentiment d’appartenance à cette communauté de langue et de destin, c’est précisément ce à quoi je m’emploie depuis mes jeunes années. Et c’est aussi la raison pour laquelle nous avons fondé avec Marie-Astrid Berry Francophonie sans frontières (FSF), l’association des francophones engagés.

Nous offrons avec FSF un espace de coopération, disponible à l’ensemble des francophones et des francophiles volontaires qui adhèrent à notre mission et à notre charte éthique élaborée avec notre partenaire principal, René Villemure Ethicien.

 

Que faites-vous concrètement pour promouvoir la langue française, et quel bilan tirez-vous de votre action en la matière jusqu’à présent ?

actions concrètes

Notre association internationale fait feu de tout bois, avec des moyens qui sont pour le moment assez limités. Nous pourrions faire plus avec davantage de moyens. Mais la vision que nous proposons d’une francophonie joyeuse, intergénérationnelle, ouverte, amicale, favorisant les synergies et les projets, est extrêmement attirante.

Concrètement, nous structurons des équipes et des modes d’action, nous mettons en place des systèmes d’échange, d’adhésion, de communication et de formation pour créer une culture associative commune.

 

« La magie du monde associatif permet d’imaginer

et de réaliser des projets, si on y investit suffisamment

de réflexion, d’énergie et de cœur... »

 

Nous organisons différents types d’événements comme Les Matins francophones et Les Coulisses de la francophonie. C’est cela la magie du monde associatif : être libre d’imaginer et de réaliser des projets, si on y investit suffisamment de réflexion, d’énergie et de cœur.

Nous intervenons également dans le milieu scolaire et universitaire, nous organisons des colloques et des conférences en ligne, nous organisons une école d’été et nous diffusions une émission de radio, La Voix de la diversité.

Nous coopérons aussi avec d’autres associations et institutions mais aussi avec des entreprises désireuses de s’engager pour la francophonie comme l’Hôtel Château Laurier à Québec, un établissement « franco-responsable ».

Francophonie sans frontières est une aventure toujours en mouvement. Notre organisation non-gouvernementale mériterait davantage de soutien, parce qu’elle a vocation à perdurer afin de créer des liens durables pour la francophonie. C’est sa raison d’être.

 

Je note que, parmi vos sources d’inspiration majeures, il y a le grand poète et écrivain Léopold Sédar Senghor. Quels ouvrages, de lui et d’autres, auriez-vous envie de recommander, aussi bien à des non francophones qu’à des francophones d’ailleurs, pour s’imprégner à la fois de la beauté des lettres et de la diversité culturelle de ceux qui parlent notre langue ?

Senghor et les auteurs francophones

De Senghor, j’apprécie autant la poésie que les discours, deux genres qui expriment les multiples facettes du poète-président sénégalais et français, enraciné et universel, pragmatique et spirituel.

Pour en savoir plus sur Senghor, je vous conseille la lecture d’un livre écrit de sa main intitulé Ce que je crois (Grasset) ainsi que du livre de Jean-Michel Djian, Léopold Sédar Senghor. Genèse d’un imaginaire francophone, paru chez Gallimard.

La Voix de la diversité, l’émission de radio de FSF, diffusera bientôt une série de chroniques consacrée à Senghor, présentées par l’agrégé de Lettres classiques Anthony Glaise, à qui j’ai confié la responsabilité de coordonner l’Année Senghor de Francophonie sans frontières. 2021 marque en effet les vingt ans de la disparition de Senghor. Nous soulignerons son héritage francophone humaniste lors d’un colloque à Paris et d’une grande conférence à Dakar.

 

 

« En ce 400e anniversaire de la naissance de

Jean de La Fontaine, relisons avec joie ses fables

et ses contes, empreints de sagesse et d’irrévérence. »

 

La beauté des lettres françaises et la diversité culturelle de la francophonie sont infinies. Il m’est difficile de recommander un livre en particulier. Mais puisqu’il faut se prêter à l’exercice, je conseille aux francophiles la lecture du Dictionnaire amoureux de l’Esprit français de Metin Arditi (Plon Grasset) ou encore le roman d’une jeune auteure franco-mauricienne de talent, Caroline Laurent, intitulé Rivage de la Colère (Escales). Et puis, en ce 400e anniversaire de la naissance de Jean de La Fontaine, relisons avec joie ses fables et ses contes, empreints de sagesse et d’irrévérence.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Je continuerai d’être là où j’estime être utile par mes initiatives, mon expertise et mes valeurs. La francophonie mobilise beaucoup de mon temps actuellement ; néanmoins, j’ai d’autres dossiers à faire avancer.

En plus de mon engagement social, j’ai sur le feu plusieurs projets de création. J’ai notamment deux projets d’écriture bien avancés, qui pourraient voir le jour avec le concours d’une éditrice ou un éditeur.

On n’arrive jamais à rien sans l’aide de personnes de bonne volonté qui regardent à peu près dans la même direction que soi. J’ai beaucoup d’envies et d’idées. J’aime créer, fédérer, transmettre et donner le meilleur de moi-même. Mais il y a aussi une part d’inconnu et de hasard dans la destinée. Je l’accepte et je vous dirais même que je l’accueille.

 

Un dernier mot ?

… pour vous remercier de votre attention.

Interview : mi-avril 2021.

 

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16 avril 2021

Jean-Eric Perrin : « Angèle est, dans sa musique, une photographie exacte de la génération qu'elle représente »

Aux origines de cet article, il y eut un coup de coeur. Tardif, mais un gros coup de coeur. Je crois qu’il est venu de la découverte par un ami que je salue ici, de Ta reine, puis de ce clip :

 

C’est faux peut-être mais au plus je ris
Au plus j’te donne tort
De pas vouloir m’aimer

 

Bref, j’ai découvert Angèle. Talent d’interprétation (timbre et intonations très caractéristiques), à l’écriture (légère mais profonde) et à la compo (des années de piano derrière elle), charme énorme (pourquoi le nier) et une bonne dose d’humour (la touche belge ?). Autant le dire, il y aura peut-être un léger manque d’objectivité dans cet article, et un nombre de vidéos un peu élevé mais tant pis, j’assume (je voulais inclure chacune d’elles, et j’ai eu la flemme de choisir, et encore j’ai dû sacrifier La Thune et Je veux tes yeux).

Jean-Éric Perrin, écrivain et journaliste qui a écrit énormément de choses sur la musique (mais pas que) vient de signer une bio de Miss Van Laeken, aux éditions L’Archipel. Un ouvrage intéressant qui raconte le parcours de vie de la chanteuse, décortique son premier album Brol et explore les thèmes qui lui sont chers, et tous les à-côtés (l’image, le côté business) qu’elle partage avec les artistes de sa génération, amplement ancrés dans les réseaux et l’auto-production.

Merci à l’auteur d’avoir accepté de répondre à mes questions. Et à l’éditeur, une fois de plus. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Jean-Éric Perrin: « Angèle est,

dans sa langue et ses thèmes, une photographie

exacte de la génération quelle représente. »

Angèle

Angèle, Pop féminisme (LArchipel, avril 2021).

Entretien daté du 15 avril.

 

Jean-Éric Perrin bonjour. Comment avez-vous découvert Angèle, et pourquoi avoir choisi de lui consacrer un livre ?

Je l’ai découverte comme tout le monde, à travers ses premières chansons et ses clips malins. Son succès phénoménal et le fait qu’elle soit devenue « phénomène de société » justifiait de lui consacrer un livre, même si sa carrière est « jeune ».

 

 

En plus d’être jolie, drôle dans ses clips et douée dans ses interprétations, Angèle est loin d’être sotte et, on l’oublie souvent, elle est auteure de ses textes, et compositrice, avec pas mal d’années de piano derrière elle. Étudier Angèle, c’est aussi une histoire de « codes à casser » ?

Si ces « codes » subsistent encore, il serait temps de la pulvériser une fois pour toutes. Nous avons une génération brillante de jeunes artistes qui sont auteures, compositrices, interprètes, parfois productrices (comme Angèle) : avec Clara Luciani, Suzane, Pomme, et quantité d’autres. La pop est féminine en 2021.

 

Il est pas mal question d’autres artistes belges dans votre ouvrage, et notamment l’exemple brillant de Stromae. Est-ce qu’il y a une touche belge particulière, et comment la définir par rapport à la France ?

Peut-être en raison de leur proximité avec l’Angleterre, mais les Belges ont toujours été à la pointe du rock et de la pop. En tout cas depuis les années 80. Le pays est petit, mais riche, la preuve, avec Stromae et Angèle, nous avons les deux plus gros vendeurs francophones depuis des années.

 

 

Le sous-titre de votre livre, « Pop féminisme », fait écho aux messages portés par Angèle, féministe donc - et féminine -, notamment bien sûr dans Balance ton quoi. À l’heure des suites de #MeToo, elle compte parmi les figures médiatiques (Adèle Haenel côté ciné, Clara Luciani pour le rock, Pomme pour la folk) qui incarnent ces combats. Qu’est-ce que tout cela vous inspire ? Cette génération-là va-t-elle pouvoir les faire bouger, les lignes ?

Les mouvements #MeToo, #TimesUp et autres ont eu un impact considérable, et fédéré à travers le monde un mouvement salvateur, légitime, et attendu depuis si longtemps... Angèle se défend d’en être une porte-drapeau, mais le message de ses chansons est de toute évidence important parce qu’elle le porte vers un public dont une bonne partie est très jeune, et donc en pleine élaboration de ses futurs choix et attitudes envers ces sujets. Elle ne fera pas bouger le lignes de façon frontale, mais le fera certainement de façon durable, la génération qui a grandi avec Balance ton quoi ou Ta Reine va forcément assimiler cette façon de voir et de se comporter, que l’on soit une fille, un garçon, ou tout autre définition.

 

 

Vous le rappelez bien dans votre livre, Angèle, c’est un role model, la grande sœur idéale pour les jeunes filles, les préados et les adolescentes. Ses thèmes sont plus larges, comme son public : histoires de cœur, d’acceptation de la différence, railleries sur la prééminence des réseaux sociaux, du poids de l’image dans nos sociétés... En quoi est-ce qu’elle vous « parle » à vous Jean-Éric Perrin ?

Il est vrai que ça peut paraître étrange de la part d’un sexagénaire de trouver un écho personnel dans les mots d’une chanteuse de 24 ans, mais d’abord je suis un sexagénaire qui n’a jamais dépassé les 17 ans. Ensuite en tant qu’analyste de la société à travers la musique populaire, je trouve dans sa langue et dans ses thèmes une photographie exacte de la génération qu’elle représente, et à ce titre je trouve son travail passionnant. Et puis j’adore ses chansons.

 

Vous pratiquez et côtoyez des artistes depuis pas mal d’années. Est-ce qu’à votre avis, ceux d’aujourd’hui, et notamment Angèle, très protégée dans un cocon et control freak assumée, calculent trop leur image, et verrouillent trop leur communication ?

Nous sommes à une époque où les artistes-marionnettes, ça a assez duré. Il y a eu des chefs d’oeuvre, certes, mais en 2021, pour exister, et pour durer, les artistes sont obligés d’en passer par ce contrôle total.

 

On connaît tous la pression
Tu t’sens comme la reine du monde
Mais c’est qu’une impression
Les gens t’aiment pas pour de vrai
Tout le monde te trouve génial alors que t’as rien fait
Tout est devenu flou
Un peu trop fou, pour moi
Tout est devenu flou
Et j’en ai peur, la suite on verra

 

Dans ses interviews, que vous reproduisez à bon escient, Angèle fait montre d’une humilité qui trahit, parfois, un manque de confiance en elle, et peut-être une vraie maturité. Elle est consciente de l’anormalité de ce qui lui arrive, d’une forme d’illégitimité par rapport à d’autres artistes qui n’auront jamais des publics larges comme les siens après une vie complète de scène. Est-ce qu’il y a chez elle, et peut-être chez les artistes de sa génération (lien avec la question précédente), un excès de sérieux, un manque de candeur ?

Angèle a vécu en deux ans ce que la plupart des artistes ne vivront jamais dans toute leur carrière. Ca peut perturber, interroger, susciter des questions, des doutes. Je pense qu’avec le temps, cette question d’illégitimité s’amenuisera. Le deuxième album sera crucial dans cette démarche.

 

 

Justement, pour avoir étudié et vu grandir pas mal de groupes et artistes, c’est quoi les écueils à éviter et les exigences à avoir pour un deuxième album réussi quand on est à ce point attendue au tournant ?

Il n’y a pas de règle. Après un tel succès, il est évident qu’un deuxième album se vend toujours moins. L’important est de garder une ligne en proposant de nouvelles choses, pas de reprendre les recettes du premier. Si l’album garde une vraie valeur artistique, les critiques seront bonnes, et la fan base rassurée.

 

Vous évoquez dans votre ouvrage le risque de voir disparaître, à terme, les maisons de disque traditionnelles, pointant la grande professionnalisation des jeunes artistes, et ces réseaux dont ils savent très bien se servir pour se lancer, s’auto-produire, communiquer et se vendre. Qu’est-ce que ça donnerait, demain, un monde sans majors ?

Cette disparition progressive des majors me semble inéluctable. Même si elle n’est pas pour demain. Mais une future réorganisation du système des maisons de disques va forcément se produire. Les gros artistes internationaux ont un pouvoir de les court-circuiter, ce qu’ont fait Drake ou Taylor Swift. L’indépendance d’Angèle, à cet égard, est un exemple à suivre.

 

 

Angèle, en trois adjectifs ?

Créative, maligne, puissante.

 

Si vous pouviez lui adresser un message, là ?

J’espère juste qu’elle aimera le livre que je lui consacre.

 

Quels sont vos gros coups de cœur musicaux du moment à partager avec nous, parmi les artistes déjà connus mais surtout, ceux qui ne le sont pas encore ?

Pas de grosses découvertes récentes, mais plutôt des confirmations. En rock, j’écoute en boucle les nouveaux albums de Western Machine et de Mustang. En pop, L’Impératrice et La Femme confirment leur talent. Comme la pop, le rap du moment est féminin, avec Lala & Ce et, encore une Belge, Lous & The Yakusas qui est géniale.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Je ne les dévoile jamais à l’avance, mais j’ai un autre livre terminé, pour septembre, et des projets en route.

 

Un dernier mot ?

Le « Pop féminisme » est en marche, et c’est la meilleure nouvelle d’une période par ailleurs épuisante.

 

Jean-Eric Perrin

 

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Et une dernière pour la route.

Le spleen n'est plus à la mode, c'est pas compliqué d'être heureux...

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13 avril 2021

Charles Eloi-Vial: « Les Cent-Jours, une catastrophe mais aussi une période charnière... »

Charles Éloi-Vial est conservateur au service des manuscrits à la Bibliothèque nationale de France, il est aussi historien. Il a notamment consacré plusieurs ouvrages à la période napoléonienne, dont une biographie de l’impératrice Marie-Louise (Perrin, 2017), et très récemment une Histoire des Cent-Jours (Perrin, 2021), ce moment si important dans l’épopée de Bonaparte, de l’exil forcé sur l’île d’Elbe jusqu’à celui, définitif, sur Sainte-Hélène, en passant par le « vol de l’Aigle », la fuite des Bourbons et l’ultime défaite de Waterloo. Un livre passionnant, très documenté avec de nombreux témoignages d’époque qui contribuent à rendre le récit vivant (il le fait tirer, avec pertinence, jusqu’au Traité de Paris de novembre 1815), comme un document d’actu, d’une actu vieille de 206 ans (mais pas dénuée pour autant de résonances modernes). Je vous recommande la lecture de cet ouvrage et remercie l’auteur pour l’interview, la deuxième, qu’il m’a accordée. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - SPÉCIAL BICENTENAIRE NAPOLÉON

Charles Éloi-Vial: « Les Cent-Jours,

une catastrophe mais aussi une période charnière

pour la naissance de notre monde actuel... »

Histoire des Cent-Jours

Histoire des Cent-Jours, Éditions Perrin, 2021.

 

Son exil forcé sur l’île d’Elbe a-t-il conféré de la sagesse à Napoléon ? Revenu au pouvoir, entendait-il sincèrement, à votre avis, apporter calme et une plus grande liberté au pays, et si on le lui avait permis, appliquer une diplomatie pacifique à l’extérieur ?

les intentions de Napoléon

Napoléon a passé dix mois à Elbe, et il en est revenu reposé mais certainement pas assagi, comme le montre cette « évasion » spectaculaire et son débarquement le 1er mars à Golfe-Juan. Son retour au pouvoir est justifié par une rhétorique plutôt tortueuse, où il met en avant sa légitimité face à « l’usurpation » bourbonienne, pose en défenseur des intérêts de la France face aux rois de l’Europe et à l’Angleterre ennemie et affirme vouloir sauver la liberté et l’égalité héritées de 1789. Il doit marcher sur une ligne de crête, en promettant à la fois la paix aux Français encore excédés des dernières guerres de l’Empire et aux autres monarques, tout en galvanisant ses anciens soldats en leur rappelant les souvenirs de leurs glorieuses conquêtes.

Entre des sujets pacifiques à qui il promet une monarchie constitutionnelle et une armée rêvant de repartir au combat, dans un contexte diplomatique explosif, la question de ce que désire réellement Napoléon n’a en réalité aucune importance. Il a sans doute quitté l’île d’Elbe avec un discours justifiant son retour soigneusement préparé, un itinéraire planifié jusqu’à Grenoble, Lyon et enfin Paris, mais sans savoir ce qu’il ferait une fois revenu au pouvoir. Et de fait, il est emporté dans une spirale infernale qui le mène vers la guerre, qui le condamne à mentir en annonçant sans cesse la signature d’une paix imminente, et il applique finalement une politique qui ne contente personne et déçoit tout le monde, ses grognards comme les paysans, les grands et petits notables et les libéraux comme Benjamin Constant qui auraient été prêts à se rallier à lui si son projet avait été sincère et cohérent.

 

« La question n’est pas tant de savoir s’il comptait

réussir ou non, mais plutôt de déterminer s’il était

devenu inconscient, ou simplement suicidaire… »

 

Son idée première était sans doute de tenter de restaurer l’Empire tel qu’il avait existé jusqu’en 1814, rêve qui était en réalité parfaitement impossible tant les oppositions étaient fortes, mais qu’il continua à nourrir même après l’humiliation de Waterloo. Sa seconde intention, en revenant en France, était probablement de tenter un baroud d’honneur, de retrouver sa gloire militaire et de marquer la postérité par un coup d’éclat. La question n’est pas tant de savoir s’il comptait réussir ou non, mais plutôt de déterminer s’il était devenu inconscient, ou simplement suicidaire…

 

La guerre nouvelle provoquée par les quatre grands vainqueurs de 1814 pour anéantir l’empire restauré était-elle inéluctable ? Certaines puissances, de premier ou de second ordre, se seraient-elles accommodées du retour d’un Napoléon assagi ?

l’Europe en face

Du point de vue du Congrès de Vienne, l’entente avec Napoléon est impossible. Depuis la fin de 1813, le tsar Alexandre et le prince-régent en étaient convaincus, de même que les souverains allemands qui avaient secoué le joug français, ou encore le prince héritier de Suède, Bernadotte. L’Autriche avait un peu louvoyé avant de se résigner à la guerre à outrance à partir de mars 1814. Certes, la perspective de l’accord final esquissé à Vienne avait probablement déçu certains souverains, tels Murat ou le roi de Saxe, jugés trop proches du vaincu, ou encore le roi de Prusse qui nourrissait d’importants appétits territoriaux. Par ailleurs, Napoléon était peut-être regretté dans quelques-unes de ses anciennes conquêtes, en Italie du Nord notamment, ou même dans quelques secteurs de Belgique ou de la rive gauche du Rhin, mais personne n’envisageait plus de s’entendre avec lui, à l’exception du royaume de Naples où régnaient encore Caroline et Murat.

 

« Pour le dire franchement, depuis 1814,

plus personne ne veut entendre parler de Napoléon,

son nom est devenu synonyme de guerre... »

 

Pour le dire franchement, depuis 1814, plus personne ne veut entendre parler de lui, son nom est devenu synonyme de guerre, et c’est bien contre lui que les Alliés vont reprendre les armes, et non contre la France. Napoléon a fait une grande erreur de calcul en estimant qu’il parviendrait à émouvoir son beau-père l’empereur d’Autriche ou à ramener à la raison son «ami» Alexandre. Après son retour de l’île d’Elbe, il a très vite compris que la diplomatie ne mènerait à rien, tout en continuant à promettre la paix aux Français pendant plusieurs semaines, avant de leur présenter le conflit à venir comme une guerre-éclair purement défensive. La déception de ceux qui l’avaient accueillis à bras ouverts est parfaitement perceptible dans les archives, tandis que le refus de négocier de l’Europe peut s’étudier par les papiers officiels et surtout par les quelques documents concernant la diplomatie secrète menée par Talleyrand et Fouché.

 

Les Bourbons, au premier rang desquels Louis XVIII, et son frère le futur Charles X, ont-ils appris de l’échec de la première Restauration, et de l’élan conféré par leur propre impopularité à l’Aigle en vol ?

chez les Bourbons, l’électrochoc

Les Bourbons et leurs partisans, qu’il s’agisse des royalistes « constitutionnels » et modérés regroupés autour de Louis XVIII ou des « ultras » réactionnaires partisans du comte d’Artois, ont beaucoup appris des Cent-Jours. Ils ont pris conscience de leurs erreurs de 1814, de l’impopularité dans laquelle ils avaient rapidement sombré, ce qui les pousse à travailler ce que l’on appelait pas encore la « communication politique ». Ils ont aussi tiré les conséquences des quelques imperfections de la Charte, qui est légèrement retouchée à la fin de l’été 1815. Comme le montre aussi l’activité intense de la Chambre dite « introuvable » où siège une majorité ultra, les royalistes ont aussi reçu un cours accéléré de parlementarisme, et compris qu’il leur faudrait faire triompher leurs idées par les urnes, et imposer leurs projets par des lois. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de se dire que les Cent-Jours bénéficient en premier lieu au modéré Louis XVIII, mais aussi aux royalistes les plus virulents, qui ont pris conscience des évolutions advenues en France depuis 1789, et compris qu’ils ne pourraient arriver et se maintenir au pouvoir qu’en apprivoisant les formes de la Révolution.

 

Tout bien pesé (bilan des pertes, réduction de la France après le Traité de Paris, renforcement de la suprématie britannique et de la puissance d’une Prusse installée à nos portes, mais aussi modération de la politique des Bourbons et émergence d’un imaginaire glorieux qui marque encore aujourd’hui), l’épisode des Cent-Jours fut-il, pour vous, une catastrophe sans nuance, ou bien sur la balance, les choses sont-elles plus contrastées ?

les Cent-Jours, un bilan

En histoire, tout est affaire de nuances et de perspectives, de sources et de critique, bien plus que de jugements de valeur. La question de savoir si les Cent-Jours ont été bons ou mauvais est donc compliquée à démêler. À court et moyen terme, tous les contemporains s’accordent pour considérer les Cent-Jours comme une catastrophe. Le pays est déchiré et au bord de la guerre civile en juillet 1815, l’occupation étrangère est très violente, le territoire national rapetissé et les caisses de l’État ruinées par une monstrueuse indemnité de guerre. La France était déjà exsangue en 1814, elle sort des Cent-Jours à genoux, et complètement discréditée au plan international.

Dans une telle situation, Louis XVIII, qui a tout fait pour limiter les dégâts, a forcément bénéficié d’un élan de popularité qui profita à toute sa famille et qui donna aux Bourbons un peu plus de dix années de répit. Il faudra vraiment attendre 1826 ou 1827 pour que les erreurs de Charles X fassent oublier son frère, disparu en 1824, et les Français ne se sont soulevés contre leur roi qu’en 1830. Les Cent-Jours ont été un événement d’une telle violence que le pays a été mis au repos forcé pendant quinze années, ce qui a été forcément salutaire après plus de deux décennies de guerres révolutionnaires puis impériales.

Si l’on se place sur le plan politique, les Cent-Jours ont accéléré la formation des partis de droite comme de gauche, qui n’existaient encore qu’à l’état embryonnaire en 1814, permettant ainsi la mise en place de la vie politique au sens contemporain du terme, avec ses nuances et ses clivages.

 

« Les Cent-Jours ont contribué à faire naître

la légende napoléonienne, essentielle plus tard

à l’avènement de Napoléon III... »

 

En ce qui concerne les imaginaires enfin, les Cent-Jours, réinterprétés par le Mémorial de Sainte-Hélène comme un grand moment de défense des valeurs libérales face à l’ultracisme, permettant de faire naître la légende napoléonienne et facilitant plus tard sa récupération politique par Napoléon III. Les Cent-Jours sont une catastrophe économique, diplomatique, militaire et politique, effectivement, mais aussi une période charnière pour la naissance de notre monde actuel.

Interview : début avril 2021.

 

Charles Éloi-Vial

Charles Éloi-Vial. Illustration : France Info.

 

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11 avril 2021

Eric Teyssier : « Lorsque l'on déboulonne les statues, on ne tarde jamais à faire tomber des têtes »

Le 5 mai prochain sera commémorée, à l’occasion de son bicentenaire (1821), la disparition à Sainte-Hélène, lieu de son exil forcé, de Napoléon Ier à l’âge de 51 ans. Pour évoquer, une fois de plus sur Paroles d’Actu la figure de l’empereur et ces pages si importantes de notre histoire, j’ai la joie de recevoir l’historien et romancier Éric Teyssier, auteur notamment du roman Napoléon est revenu !, chroniqué sur notre site en 2018 et réédité en poche en 2020. Un entretien axé sur l’Histoire qui entend rééquilibrer un peu les arguments, à l’heure où les promoteurs de la cancel culture reçoivent, sans doute, un écho excessif. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Napoléon est revenu poche

Napoléon est revenu !, réédité en poche, 2020.

 

INTERVIEW EXCLUSIVE, 8-10 AVRIL 2021

Éric Teyssier: « Lorsque l’on déboulon-

ne les statues, on ne tarde jamais

à faire tomber des têtes... »

  

Comment avez-vous « rencontré » Napoléon, et pourquoi est-il important dans votre vie ?

Du plus loin que je me souvienne j’ai toujours aimé et admiré Napoléon, et des années d’études n’ont rien changé à l’affaire. Ma grand-mère maternelle, qui adorait l’histoire de France et Napoléon, y est sans doute pour quelque chose. À 14 ans, elle m’a fait visiter Paris pour la première fois et je suis allé «  le voir  » aux Invalides avec elle. Le 2 décembre, le 5 mai et le 15 août ne sont pas des dates comme les autres pour moi, elles me rattachent au souvenir de son épopée. Il est important dans ma vie car il demeure un modèle du fait de sa volonté implacable et de son génie. L’Empereur constitue aussi un modèle de ce que l’Homme peut accomplir de grand dans une vie.  C’est ce qui m’a conduit aussi à faire de la reconstitution napoléonienne (association Le Chant du départ) et à écrire mon premier roman (Napoléon est revenu), dans lequel je livre une image très personnelle de l’Empereur.

 

En étant aussi objectif que possible, et sans rien occulter des polémiques du moment (rétablissement de l’esclavage, accusations de misogynie) : quels reproches peut-on légitimement lui faire, et qu’est-ce qu’on lui doit ?

Vaste question...

 

« Misogyne ? Ce n’est pas Napoléon

qui l’était, mais toute la société. »

 

Un mot sur les accusations les plus courantes que l’on entend aujourd’hui. Il serait misogyne. Mais ce terme ne veut rien dire à cette époque. Ce n’est pas Napoléon qui l’était, mais toute la société. Faut-il rappeler que les mentalités de 1800 ne sont pas celles de 2021 ? Pourquoi Napoléon aurait-il eu les mêmes pensées que nous à l’encontre de tous ses contemporains ? Connaissons-nous quelqu’un qui aurait aujourd’hui les pensées de l’an 2240 ? Rappelons que la Révolution n’a pas réellement changé le statut des femmes en leur faveur. Elles n’avaient pas plus le droit de vote sous Robespierre que sous Bonaparte. Certes, la Terreur a cependant reconnu aux femmes le droit d’être guillotinées comme les hommes, à commencer par Olympe de Gouge. Comme progrès vers l’égalité on peut faire mieux. Par ailleurs, Napoléon pérennise le droit au divorce en donnant lui-même l’exemple.

 

« Tous les pays européens pratiquaient l’esclavage

en 1802. Bonaparte l’a rétabli non par racisme

mais pour se rapprocher du cadre commun. »

 

Il y a aussi la question de l’esclavage qu’il a rétabli dans certaines îles (mais pas toutes) où la Révolution l’avait aboli. Jusqu’en 1802, Bonaparte n’était pas favorable à ce rétablissement. S’il finit par s’y résoudre en 1802 c’est dans le contexte de la paix d’Amiens. En 1802, la France est en paix pour la première fois depuis dix ans. Tous les pays européens, Grande-Bretagne en tête sont esclavagistes et craignent une contagion de l’exemple français. C’est donc pour se rapprocher du cadre commun et non pas pour un quelconque racisme que Bonaparte a rétabli l’esclavage. De plus, lors de son retour en 1815, il interdit la traite négrière ce qui constitue à court terme à la fin de l’esclavage qui est abolie en 1848 par la France. Condamner Napoléon à l’oubli pour ces raisons anachroniques revient à condamner toute les sociétés de cette époque et donc notre histoire. C’est sans doute le véritable but de ceux qui ne veulent pas célébrer le bicentenaire de l’empereur des Français.

En dehors de tout anachronisme militant, on peut reprocher, ou regretter, deux décisions qui relèvent bien de ses choix. La guerre d’Espagne, constitue la seule guerre qu’il aurait pu éviter. Elle fut dramatique. La campagne de Russie est un peu différente quant aux responsabilités qui sont plus partagées, mais c’est sa plus grande erreur stratégique. Celle qui lui fut fatale...

 

« On lui doit d’avoir pacifié un pays déchiré

par dix ans de révolution, en conservant

ce que celle-ci avait de meilleur. »

 

Ce qu’on lui doit... Tant de choses…. Avoir imposé plusieurs fois la paix par la victoire en mettant notamment fin (traités de Campo Formio et de Lunéville avec l’Autriche et paix d’Amiens avec la Grande-Bretagne) à une guerre provoquée par la Révolution. Rappelons que lorsque la France déclare la guerre à l’Europe en 1792, Napoléon a 21 ans et il est lieutenant. L’accusation d’avoir «  aimé la guerre  » ne tient donc pas. Il a hérité des guerres de la Révolution entretenues par l’Angleterre. On lui doit aussi d’avoir balayé, sans un coup de feu, le Directoire. Ce régime étroitement censitaire était corrompu jusqu’à la moelle. Il est invraisemblable de voir que certains politiques font semblant de confondre ce marécage avec la république. Ce que Bonaparte a balayé c’est un régime ou seuls les 30 000 citoyens les plus riches avaient le droit de vote sur une population de 30 millions d’habitants. Si c’est cela leur république, c’est inquiétant, tout en relevant d’une certaine logique au regard de la situation actuelle où les élites semblent de plus en plus éloignées du peuple. On lui doit aussi d’avoir pacifié un pays déchiré par dix ans de révolution, en conservant ce qu’elle avait de meilleur. Son œuvre législative a également fondé la France contemporaine mais plus que tout il a montré ce que la France et les Français peuvent accomplir lorsqu'ils sont unis et rassemblés derrière un chef digne de ce nom.

 

La cancel culture, très en vogue, est au déboulonnage des statues qui ne correspondent plus aux critères de beauté actuels, sans remise en contexte aucune. Qu’est-ce que ça dit de notre époque ?

« Juger nos ancêtres avec nos critères contemporains

relève d’une sinistre stupidité. »

Cela nous dit que notre époque est malade d’inculture et dominée par une dictature de l’émotion et des minorités. C’est aussi très inquiétant, car lorsque l’on déboulonne les statues on ne tarde jamais à faire tomber des têtes. À force de niveler par le bas on en arrive aussi à s'agenouiller devant ceux qui hurlent le plus fort, même s'ils ne sont qu'une poignée. La cancel culture a pour but l’effacement nos mémoires et notre histoire. Le but ultime étant de faire de notre passé table rase pour bâtir à la place un système totalitaire où toute évocation d’un passé non conforme aux dictats du moment sera exclue. Inutile de dire que ça ne passera pas par moi et que je fais tout pour m’y opposer en tant qu’historien. Juger nos ancêtres avec nos critères contemporains relève d'une sinistre stupidité. Cela voudrait dire que les principes de notre époque sont parfaits et que les valeurs passées seraient toutes condamnables. Certains veulent aussi nous convaincre d’avoir honte de notre Histoire. Quand ils affirment cela, ils se gardent bien d’accepter le débat car ils connaissent trop la minceur de leurs arguments. Personnellement, je dis (comme ma grand-mère), que nous pouvons être fiers de ceux qui nous ont précédé et qui ont bâti notre héritage. Plutôt que de le salir en hurlant avec les loups, il nous appartient de le défendre bec et ongle. Je comprends que pour certains l'histoire de notre pays soit insupportable. Heureusement, ils sont libres d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Qu’ils aillent interroger l’histoire d’autres contrées qui seraient exemplaires à leurs yeux et qui n’auraient rien à se reprocher. Nous ne sommes pas en URSS, on ne retient personne.

 

Quand vous considérez le rapport qu’ont les Français à leur histoire globalement, ça a plutôt tendance à vous rassurer, ou à vous inquiéter ?

« Pour certains, seuls comptent la dénonciation,

l’anathème et le manichéisme, toutes choses étrangères

à l’Histoire qui doit être fondée sur le débat,

la confrontation des sources et des points de vue. »

Une majorité de Français aime leur histoire. Ils lisent des livres, regardent des documentaires, assistent à des spectacles historiques. C’est très rassurant. Pourtant l’Histoire n’a jamais été aussi mal enseignée, mais c’est justement parce que la nature a horreur du vide que le public va chercher ailleurs ce que l’École ne transmet plus comme avant. Les incertitudes du présent et de l’avenir y sont pour quelque chose aussi. On recherche dans notre histoire les exemples de nos ancêtres qui font encore sens aujourd’hui et qui nous encouragent à aller de l’avant. Alors il y a bien sûr ceux qui font profession de cracher sur le passé, de juger, de dénigrer et de condamner l’Histoire. Mais qui sont-ils pour s’ériger en procureurs ? Qu’ont-ils accompli d’exemplaire ? Quand on les écoute on comprend très vite qu’ils ne connaissent pas l’Histoire. Pour eux seuls comptent la dénonciation, l’anathème et le manichéisme, toutes choses étrangères à l’Histoire qui doit être fondée sur le débat, la confrontation des sources et des points de vue. Ces mémoricides sont inquiétants, non pas par leur nombre mais par les tribunes qu’on leur accorde et les micros qu’on leur tend avec complaisance. Sans cela, ils retourneraient très vite au néant dont ils procèdent car ils n’ont au fond que l’importance que certains médias leur donnent.

 

Entre d’un côté la contrition permanente qui conduit à la haine de soi, de l’autre l’inculcation idéologique d’un roman national biaisé, quel « bon » enseignement de l’histoire pour la construction d’une nation apaisée et qui puisse regarder de l’avant ?

« Comme sous la IIIe République, il faut

que l’Histoire que l’on enseigne à l’école

serve à rassembler plutôt qu’à diviser. »

Il y a belle lurette qu’on « n’inculque » plus un quelconque roman national mais plutôt une « haine de soi » et une repentance officielle et systémique. Le « bon » enseignement serait d’en finir définitivement avec cette repentance. Le passé est tel qu’il est et vouloir l’instrumentaliser en désignant des coupables ne peut mener qu’à la guerre civile, ce qui semble le but objectif de certains. La Troisième République était anticléricale mais dans ses écoles elle présentait Jeanne d’Arc comme une héroïne exemplaire et Saint Louis comme un grand roi. Elle était antimonarchique mais elle considérait Richelieu, Louis XIV et Napoléon comme de grands Français. Tout cela contribuait à unir les Français au-delà de leurs différences autour d’un héritage commun. C’est cela construire une nation apaisée. Après, il est toujours possible de soupeser les mérites et les erreurs des uns et des autres mais sans cet esprit de procès permanent et d’épuration qui finit par devenir écœurant à la longue. Comme sous la IIIe République, il faut que l’Histoire que l’on enseigne à l’école serve à rassembler plutôt qu’à diviser. Contrairement à ce que l’on entend tous les jours, il faut faire une histoire sans a priori idéologique contemporain. Cela ne veut pas dire effacer ce que le passé a de négatif mais il faut toujours analyser chaque période, chaque évènement par rapport à son contexte historique en se posant la question : « Aurions nous fait mieux à leur place dans leur situation ? »

  

Quels enseignement tirer de l’épopée napoléonienne, et que peut-on en retenir en 2021 ?

On ne peut pas détacher l’épopée napoléonienne de la Révolution, ni de la France d’Ancien Régime. Napoléon a réussi à faire la synthèse de ce que ces deux systèmes totalement opposés pouvaient avoir de meilleur, en assumant tout de « Clovis au Comité de Salut public ». Napoléon était un Romain de l’Antiquité, car il était pragmatique. La France de 1799 était en plein chaos quand il « ramasse » le pouvoir en 1799. En l’espace de quatre ans, il a profondément réformé le pays, réconcilié les Français et rendu sa prospérité à la France. Il nous montre ce que les Français peuvent faire quand ils sont réellement gouvernés. La crise que nous traversons montre comme en 1799, ou en 1940, la faillite d’élites coupées des réalités. L’épopée napoléonienne nous enseigne qu’il ne faut jamais désespérer de ce « cher et vieux pays » comme disait le général de Gaulle.

 

Quels hommages devraient à votre avis lui être rendus à l’occasion du bicentenaire de son décès, en particulier au niveau de la République, de l’État ?

« Arrêtons de prostituer le passé en faveur de telle

ou telle idéologie du temps présent ! »

Je dirais, le moins possible. Les politiques ont trop tendance à s’accaparer le passé à travers des commémorations officielles où ils ne célèbrent souvent que leur propre impuissance à entrainer le pays vers l’avenir. Que l’on arrête de prostituer le passé en faveur de telle ou telle idéologie du temps présent. Comme les autres, elles seront vite balayées par le vent de l’Histoire. Napoléon sera toujours là lorsque les polémiques stériles auront été oubliées depuis longtemps. Qu’on laisse donc ceux qui ont un réel attachement à l’empereur le célébrer comme ils l’entendent. On s’apercevra alors que les Français seront nombreux à vouloir rendre hommage à celui qui fut le plus illustre de leurs compatriotes.

 

Un dernier mot ?

Vive l’Empereur !

 

Eric Teyssier

Photo : Christel Champ.

 

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29 mars 2021

Frédéric Quinonero : « Dutronc se cache plus qu'il ne se montre, même au cinéma... »

En ces temps où l’actu n’est pas très joyeuse, et même carrément déprimante, toute plage d’évasion est bonne à prendre. Et quand il y a du rire, ou même du sourire à la clé, bingo ! La lecture de la nouvelle bio signée Frédéric QuinoneroJacques Dutronc, l’insolent (L’Archipel, mars 2021) procure son lot de moments souriants, parce que Dutronc, grand artiste de la chanson et du cinéma et homme complexe, est aussi doué d’un humour parfois grinçant mais qui souvent fait mouche. Quand on lui demande pourquoi il tient à tourner avec le réalisateur Wim Wenders, il répond : « Parce que j’ai vu les films de Gérard Jugnot, c’est moins bien. » Cette bio, riche et rigoureuse, nous fait suivre les traces d’un faux dilettante, d’un vrai timide un peu rebelle, un peu anar ; une « vieille canaille » qu’on aime bien et dont on aime savoir qu’elle est encore parmi nous, quelque part en Corse. 😉 Entretien, et confidences touchantes. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero: « Dutronc se cache plus

qu’il ne se montre, même au cinéma... »

Jacques Dutronc

Entretien daté du 26 mars ; première mise en ligne sur le blog le 27 mars.

 

Frédéric Quinonero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions faisant suite à la sortie de ton nouvel ouvrage,  Jacques Dutronc, l’insolent  (L’Archipel, mars 2021). Quelques années après ton livre sur Françoise Hardy, écrire une bio de Dutronc, ça sonnait pour toi comme une évidence ?

pourquoi Dutronc ?

Oui et non. Dutronc était une évidence, car il fait partie de mon panthéon personnel. Il est du pays de mon enfance. Je me suis souvenu en écrivant qu’il faisait la «  une  » du premier Salut les copains que mes parents m’avaient acheté au début des années 70. Il m’intimidait un peu, comme je l’explique en avant-propos. Il fallait que je me lance.

 

Le livre s’ouvre sur une préface sympathique écrite par Thomas Dutronc, et surtout est parsemé de témoignages riches et parfois très profonds de la part de Françoise Hardy. Le contact avec eux deux pour ce livre s’est-il établi facilement  ?

histoire de famille

Oui. Ce sont des gens simples, directs, généreux. Qualités rares dans ce milieu. Pour la petite anecdote, c’est à la faveur d’une chanson d’Antoine Élie, La Rose et l’Armure, que j’ai entamé une conversation à distance avec Françoise Hardy. Il y a un an et demi, cette chanson (et son CD tout entier) tournait en boucle chez moi et dans ma voiture. La première fois que je l’ai entendue, j’ai aussitôt pensé à Françoise. Je me suis dit que c’était exactement le style de chanson qu’elle devait adorer. Ne sachant pas comment l’aborder par courriel, ce fut le prétexte idéal. Le merveilleux, l’étrange, c’est que je ne savais pas que La Rose et l’Armure tournait aussi en boucle chez elle. Parmi les centaines voire les milliers de chansons qui sortent chaque année, j’avais pile choisi son coup de cœur du moment ! Nous en étions tous deux stupéfaits. Cette conversation commencée grâce à Antoine Élie a abouti à ce beau témoignage dans ma biographie de Jacques Dutronc. Dommage qu’on se soit bêtement loupés lorsque j’écrivais mon livre sur elle… La préface de Thomas est arrivée au dernier moment, comme la cerise sur la chantilly. Il a demandé à lire mon texte, je le lui ai fait imprimer et envoyer en Corse pendant le deuxième confinement. Il me faisait part de ses impressions tout au long de sa lecture. Ça lui a fait du bien, je crois, en ces temps troublés, de s’immerger dans la vie de ses parents et de ses grands-parents. Il m’a dit des choses très belles qui m’ont beaucoup touché.

 

Dutronc débute son parcours d’artiste comme guitariste. Chanteur, il le devient un peu par hasard. Il y en aura eu beaucoup, des hasards, ou quand même pas mal de volonté, de plans dans sa carrière ?

par hasard ?

Tout lui est arrivé par hasard, la chanson comme le cinéma. De même, il a eu la chance de trouver aussi, sans trop le chercher, l’amour de toute une vie. C’est un homme qui a eu beaucoup de chance. Mais la chance il faut savoir l’inspirer et l’utiliser, elle est souvent associée au talent. Planifier  ? Ce n’est pas trop son genre. Il a plutôt tendance à laisser venir. Quand il s’engage sur un projet, cependant, il le fait sérieusement.

 

De sa collaboration avec l’auteur Jacques Lanzmann est né l’essentiel de ses succès musicaux, principalement entre 1966 (Et moi, et moi, et moiLes CactusLes Play-boys) et 1972 (Le Petit Jardin), en passant par Il est cinq heures, Paris s’éveille et L’Opportuniste (1968). Qu’est-ce qui les a réunis, et qu’est-ce qui, en dépit des brouilles, les  unissait, ces deux-là ?

les deux Jacques

On ne sait jamais précisément pourquoi l’alchimie prend dans un duo artistique… Le fait est qu’elle a été parfaite entre les deux Jacques, présentés l’un à l’autre par l’entremise de Jean-Marie Périer et de son patron Daniel Filipacchi. À l’origine, un autre Jacques, Wolfsohn, directeur artistique chez Vogue, cherchait un chanteur capable de concurrencer Antoine, qui venait d’être lancé par un autre grand producteur de la maison Vogue, Christian Fechner, qu’il détestait cordialement. Il fallait aussi un auteur qui sache capter l’esprit de son temps. Et ce fut l’union sacrée. La voix et la musique de l’un, ajoutées à son allure et sa personnalité, ont fusionné à merveille avec les mots de l’autre. De quel côté penche la balance  ? Dans un duo, chacun veut souvent tirer la couverture à soi, d’où les fâcheries. Qu’importe. Leurs chansons, pour la plupart, ont fait mieux que s’inscrire avec succès dans une époque, elles ont traversé le temps. Et leurs noms demeurent historiquement associés.

 

Avec Gainsbourg, il y a eu de la création musicale mais surtout, ils étaient potes ?

Gainsbourg & moi

Ils se sont d’abord détestés. C’est Françoise Hardy qui les a rapprochés. Et ils sont devenus les meilleurs amis du monde. Enfin, ils étaient surtout potes de beuverie. Ils aimaient finir la nuit dans les postes de police, buvant des coups avec les flics. Deux grands gamins ensemble  ! Cependant, au niveau création musicale, même s’il y eut quelques fulgurances musicales, la mystérieuse alchimie qui fait le succès ne fonctionnait pas.

 
 
Tes titres préférés parmi toutes les chansons de Dutronc, particulièrement parmi les moins connues ?

playlist dutronienne

Paris s’éveille est pour moi l’une des plus grandes chansons du patrimoine français  ! J’ai beaucoup dansé sur La Fille du père Noël. Enfant, j’adorais L’Hôtesse de l’air et L’Arsène. De la période Gainsbourg, je retiens surtout L’Hymne à l’amour (moi l’nœud). J’ai un faible pour Entrez, m’sieur, dans l’Humanité. Dans les moins connues, j’invite à découvrir La Pianiste dans une boîte à Gand, à l’ambiance jazz. Parmi les curiosités, je recommande L’âne est au four et le bœuf est cuit, qui avait heurté en son temps quelques bons paroissiens.

 

Il est cinq heures, Paris s'éveille (Live au Casino de Paris 1992).

La préférée des deux contributeurs de cet article. Avec la flûte magique ! 😍

 

À partir d’un film fait avec l’ami Jean-Marie Périer, au début des années 1970, son parcours est de plus en plus axé ciné. A-t-il trouvé dans cet exercice-là (faire l’acteur) un nouveau type de challenge qui peut-être, l’implique davantage ? Peut-être, celui où il s’épanouit le plus ?

l’acteur

S’il mésestime la chanson («  un métier d’escroc  », dit-il), Jacques Dutronc considère le cinéma comme un art majeur, ce qui lui pose problème lorsque Jean-Marie Périer insiste pour lui faire franchir le pas. Par respect, il préfère être spectateur qu’acteur. Il a tort, et va le prouver. Car il a une vraie nature d’acteur. Un charisme de dingue, une aura particulière. Il lui suffit d’«  être  », de s’approprier un personnage, d’en restituer les émotions. Tout en sobriété. L’air de rien. Ce n’est pas si simple. Et ça demande plus de sérieux et d’engagement qu’on ne croit. S’y épanouit-il  ? Sûrement. Le métier d’acteur va bien aux timides, il leur permet de mieux se cacher derrière un personnage. Dutronc se cache plus qu’il ne se montre. Même au cinéma. Jouer la comédie a des vertus thérapeutiques. À condition d’être en confiance, de faire les bons choix. Si l’on prête attention à la filmographie de Jacques Dutronc, on remarque qu’il a tourné avec les plus grands cinéastes de son temps, de Zulawski à Pialat, en passant par Lelouch, Deville ou Sautet. Truffaut, Wenders et Spielberg ont rêvé de lui pour un film. Dutronc n’est pas si dilettante qu’on se le figure.

 

Quels films avec Dutronc mériteraient, à ton avis, d’être découverts ou redécouverts ?

filmo sélective

Son talent dramatique est révélé par Andrzej Zulawski dans L’important c’est d’aimer. Incontournable dans la carrière d’acteur de Dutronc, tout comme Van Gogh, qu’il incarne au sens strict du terme – César du meilleur acteur en 1992. Pour retrouver sa beauté renversante, il faut le revoir dans Le Bon et les Méchants de Lelouch, Violette et François de Rouffio ou Sale rêveur de son ami Jean-Marie Périer. Je le préfère sensible et émouvant dans C’est la vie, de Jean-Pierre Améris, où il forme avec Sandrine Bonnaire un irrésistible couple de cinéma. Parmi les films à (re)découvrir, Malevil est une curiosité dans le genre des films de science-fiction. Et si l’on revoit l’excellent Merci pour le chocolat, c’est surtout pour Isabelle Huppert, machiavélique à souhait, et le génie de Claude Chabrol, avec qui Jacques Dutronc avait lié amitié.

 

Comment décrire sa relation iconique et en même temps, très atypique, avec Françoise Hardy ? Au fond, ces deux-là ne sont-ils pas avant tout, bien qu’aussi différents qu’on peut l’être, les meilleurs amis du monde ?

Françoise et Jacques

Ils le sont devenus. Jacques Dutronc a eu la chance de tomber sur une épouse aimante et surtout patiente. D’autres seraient parties depuis longtemps. Françoise Hardy a fait de ses longues heures à attendre son amour toute son œuvre artistique. Elle avoue aujourd’hui que Dutronc est l’homme de sa vie et considère qu’elle aussi a eu beaucoup de chance de l’avoir rencontré. Ils ne se sont jamais autant parlés que depuis ces dernières années. Ils sont désormais des confidents et éprouvent une tendresse infinie l’un pour l’autre. «  Aimer l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’on voudrait qu’il soit  », tel est l’amour absolu selon Françoise Hardy.

 

Bon et finalement, Dutronc, ce Corse d’adoption qui a si bien chanté la capitale, il aime plus Paris ?

On court partout ça l'ennuie ! 😉

 

Alors, finalement, après avoir mené cette enquête, c’est qui, Jacques Dutronc ? Agaçant parfois, souvent attachant, ok. «  Insolent  », soit, anticonformiste,  est-ce qu’il l’est vraiment ? Qu’est-ce qui, chez lui, est carapace à l’image de ses fameuses lunettes noires, et quelle est sa vérité ?

Je laisse le soin aux lecteurs de s’en faire une idée. De mon côté, je vais tout relire et je réponds après (rires).

 

 
 
Trois adjectifs, pour le qualifier ?

Insolent, caustique, attachant.

 

Entre 2014 et juillet 2017, Dutronc a formé un trio mythique avec deux potes, Johnny et Eddy, connus à l’époque bénie du Golf-Drouot. Ces trois-là, inutile de le rappeler ici, ont chacun réalisé un parcours superbe, chacun dans son style, et chacun à sa manière. Est-ce qu’ils partageaient tous trois une conception du show-biz propre à leur époque (On veut des légendes) et qui ferait défaut aux artistes d’aujourd’hui ?

Vieilles Canailles

Aujourd’hui, la communication et le marketing sont devenus des composantes plus importantes que les qualités artistiques  ! Pour toucher un artiste, il faut passer par une armée de managers et de conseillers en image. Le show-biz est représentatif de son époque. On ne mise plus désormais sur la durée, on ne considère que l’instant. Il faut que ça rapporte. Les chanteurs ont perdu la faculté de faire rêver. Le temps des idoles est révolu. Les gamins préfèrent les footballeurs. Johnny, Eddy et Jacques ont connu le temps béni où tout était à créer et à rêver. Les choses se faisaient encore de façon artisanale. Avec fraîcheur, spontanéité et insolence. L’avenir était permis.

 

De 2014 à 2017, on a eu trois légendes...

 

Parmi les témoignages les plus intéressants de ton livre, il y a, avec ceux de Françoise, toutes les confidences que t’a faites le photographe légendaire de  Salut les copains, Jean-Marie Périer. Lui aura été, comme un fil rouge dans ces parcours 60s que tu as suivis, depuis tes débuts de biographe : Johnny bien sûr, Sylvie, Sheila, Jane, Françoise et Jacques... N’est-il pas lui aussi, définitivement, un acteur essentiel de ces années-là ?

Périer, l’ami, l’âme des 60s à la française ?

Tout à fait. Il est à peu près du même âge que les chanteurs que tu cites et faisait partie de la «  bande  ». Pour officialiser l’union de Françoise et Jacques, c’est à lui qu’on fait appel. De même, il est le témoin du mariage de Sylvie et Johnny, qu’il accompagne en voyage de noces  !... Je ne pense pas qu’il ait photographié Jane, cependant. C’est plutôt Tony Frank qui était le photographe attitré du couple Birkin/Gainsbourg… Ayant beaucoup écrit sur les idoles de cette époque, j’ai souvent interviewé Jean-Marie Périer. Pour me parler de son ami Jacquot, il a voulu que je le rejoigne dans sa retraite aveyronnaise et m’a fait découvrir une auberge à la lisière du Lot où l’on déguste une cuisine du terroir absolument divine  !... Je n’ai rencontré que de belles personnes, au cours de l’écriture de ce livre.

 

Je crois savoir que tes projets à venir, consisteront, notamment, en une bio (attendue !) de Serge Lama, et en un nouvel ouvrage sur Julien Doré. D’autres envies, d’autres thèmes ou pourquoi pas, des envies d’ailleurs ?

projets

Je voudrais pouvoir écrire des choses plus personnelles. J’ai des bouts de textes qui traînent dans les tiroirs, des romans inachevés… Et, de façon moins impérieuse, une biographie de temps en temps. Sur un sujet choisi. Il me faudrait trouver une autre activité qui me le permette. J’aimerais qu’on fasse appel à moi pour certaines de mes compétences, pour mes connaissances sur la chanson française, par exemple… En attendant, j’espère que ma façon d’écrire et la bienveillance avec laquelle j’aborde les biographies vont finir par trouver un écho dans ce milieu. Les compliments de Thomas Dutronc me le laissent croire.

 

Un dernier mot ?

Une boutade dutronienne  ? «  « J’ai arrêté de croire au Père Noël le jour où, dans une galerie marchande, il m’a demandé un autographe. »

 

Frédéric Quinonero 2021

 

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22 mars 2021

Sébastien Mirek, anesthésiste-réanimateur : « En 2020, nous avons tous été obligés de nous réinventer... »

La semaine dernière, le 17 mars plus précisément, nous nous souvenions qu’un an auparavant débutait en France un confinement général de deux mois pour cause de coronavirus. Pas de ces anniversaires qu’on commémore avec plaisir. Pour tous, celui-ci avait plutôt un goût amer : un an après, un autre confinement national a eu lieu à l’automne, d’autres ont été et seront peut-être encore décrétés localement, et depuis des mois un couvre-feu est instauré. Surtout, depuis un an, le bilan humain de la pandémie est lourd : plus de 92.000 décès en France, plus de 2,7 millons à l’échelle du monde.

En première ligne pour lutter contre la COVID-19, toujours, les soignants, et en particulier, en dernier ressort, le plus critique, celles et ceux qui s’affairent dans les services de réanimation, là où la mort est une issue probable, là où on peut encore l’empêcher. J’ai la chance, une fois de plus, de vous proposer aujourd’hui une interview-bilan avec un médecin anesthésiste-réanimateur, le docteur Sébastien Mirek, qui officie au CHU Dijon Bourgogne. Je le remercie pour ses réponses, et pour les photos faites par ses soins et qu’il m’a transmises. Une exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Sébastien Mirek: « En 2020, nous avons

tous été obligés de nous réinventer... »

 

Sébastien Mirek

En direct du bloc opératoire des urgences du CHU, en préparation avec les équipements

de protection individuelle pour accueillir un patient COVID.

 

Bonjour Sébastien Mirek. Pourquoi avez-vous choisi de faire médecine, et comment en êtes-vous arrivé à la réanimation ?

Tout d’abord un grand merci de me donner l’opportunité de partager mon vécu et ressenti de terrain sur la crise sanitaire que nous traversons depuis maintenant plus d’un an.

J’ai toujours voulu faire médecine, déjà depuis mon enfance. Je voulais sauver des vies. C’était un peu comme un rêve qui est devenu réalité. Mes parents et ma famille m’ont beaucoup aidé pour cela. Ils m’ont transmis ces valeurs d’être au service des autres. Je leur dois beaucoup, si ce n’est tout.

Originaire du Creusot en Saône-et-Loire, je suis issu d’une famille modeste, qui a immigré de Pologne. Très fier de ma famille et de mes origines, je me devais de travailler pour rendre fiers mes proches.

J’ai commencé médecine en 2000, à la faculté de médecine de Dijon. J’ai été interne en anesthésie-réanimation à Dijon, docteur en médecine spécialisé en anesthésie-réanimation en 2012, et maintenant praticien hospitalier au CHU de Dijon Bourgogne. Je suis passionné par mon métier, par ma spécialité, que je défends.

 

« Ce qui me plaît le plus, c’est l’imprévu, le non

programmé, l’urgence grave. C’est là

où je me sens le plus utile, le plus compétent. »

 

J’alterne mon activité clinique entre le bloc des urgences, la réanimation traumatologique et neurochirurgicale et des gardes au SAMU 21. Ce qui me plaît le plus, c’est l’imprévu, le non programmé, l’urgence grave. C’est là où je me sens le plus utile, le plus compétent. Notre métier d’anesthésiste-réanimateur n’est pas de souhaiter que les patients viennent nous voir mais de tout faire en ayant anticipé la prise en charge, quand les patients viennent nous voir après un accident de la route par exemple. Prévoir l’imprévu, pas toujours facile, mais tellement passionnant et motivant. Je suis aussi médecin réserviste capitaine dans le service santé des armées et spécialisé dans la médecine tactique et la médecine en situations sanitaires exceptionnelles.

J’exerce aussi une partie de mon activité en enseignement, auprès des collègues et des autres professionnels de santé sur le centre de simulation en santé du CHU, USEEM. Nous entraînons les professionnels sur des simulateurs de haute technologie mimant la physiologie humaine sur des situations critiques potentiellement graves. Avec toujours le même objectif  : «  jamais la première fois sur le patient  ». En s’entraînant en situation réelle, on est meilleur quand la situation clinique se présente au bloc opératoire ou en réanimation en urgence vitale. Ce type de formation en simulation est inspiré des pilotes de ligne. Vous monteriez, vous dans un avion dont le pilote ne s’est pas entraîné sur un simulateur de vol avant  ?

 

Simulateur USEEM CHU Dijon

Simulateur haute-fidélité HAL® Gaumard au centre

de simulation USEEM CHU Dijon Bourgogne.

 

Pourquoi avoir choisi la spécialité d’anesthésie-réanimation ?

La réponse est simple, c’est la plus belle des spécialités  ! Je ne regrette pas du tout mon choix. Et s’il était à refaire, je choisirais cette même spécialité.

Pouvoir à la fois faire mon métier d’anesthésiste-réanimateur au bloc opératoire sur des patients graves, et enchaîner avec la prise en charge de ces patients en réanimation avec la casquette réanimateur-anesthésiste : une vraie polyvalence permettant une prise en charge dans la globalité, et aussi une vraie complémentarité.

Comme je le dis plus haut, j’ai toujours voulu faire médecin pour aider les gens. Au début de mes études, j’étais très intéressé par la chirurgie réparatrice maxillo-faciale. J’ai fait un super stage en chirurgie maxillo-faciale, où les collègues avaient reconstruit le visage d’un patient suite à un traumatisme ballistique. C’est ensuite, en faisant mon stage en réanimation chirurgicale en 4e année de médecine, que j’ai vraiment eu le coup de foudre pour l’anesthésie-réanimation. Ce sont des rencontres avec des collègues qui m’ont donné cette envie. Un de ces collègues d’ailleurs était à ce moment-là interne, et il a été à l’origine de cette passion. Il a été mon directeur de thèse de médecine que j’ai faite sur les polytraumatismes et les traumatisés crâniens graves. Il se reconnaîtra. C’est aujourd’hui mon collègue en réanimation traumatologique. Je crois peu au hasard mais beaucoup au destin.

 

Racontez-nous votre expérience de cette année passée, soit depuis avant le premier confinement (mi-mars 2020) ?

Cette année 2020 aura été une année ou nous avons toutes et tous été obligés de nous réinventer, et tout particulièrement au niveau de notre système de santé. Nous sommes sortis de notre zone de confort pour pouvoir continuer à faire notre métier, avec comme objectif d’apporter les meilleurs soins à tous les patients que nous devrions prendre en charge, COVID ou non-COVID. J’ai fait ce choix de carrière à l’hôpital public, de surcroît universitaire et j’en suis fier. Je suis fier de notre système de santé qui a su trouver les ressources nécessaires pour pouvoir faire face à cette crise d’ampleur internationale face à un virus émergent, dont nous ne connaissions pas grand-chose en ce début d’année dernière. Malgré cela, nous avons su à titre collectif nous organiser, modifier nos procédures, parfois plusieurs fois par jour, modifier nos parcours de prise en charge, jusqu’à modifier nos locaux en créant des lits de réanimations éphémères dans nos salles de réveil du bloc opératoire, recevant normalement des patients en post-opératoire d’une chirurgie. Oui, nous avons dû sortir de cette zone de confort, mais nous avons apporté des soins de qualité à l’ensemble des patients qui devaient en avoir. C’est collectivement que nous avons pu réaliser cela. Notre hôpital à rayonnement régional est un hôpital de recours pour bon nombre de pathologies au niveau de notre territoire sanitaire régional. Nous avons réorganisé nos réseaux et mis en place des collaborations fortes avec les autres établissements publics, mais aussi privés, pour notamment mettre en place de la chirurgie délocalisée dans ces établissements.

Distinguons la première de la seconde vague.

 

« Depuis un an, la société a les yeux

rivés sur nos métiers. Je pense qu’il y aura

un avant et un après-COVID. »

 

Au cours du premier confinement, nous savions peu de choses sur la COVID-19. La société a été comme sidérée par l’annonce de ce confinement total, et il y avait une énergie incroyable collective. À titre personnel, je n’ai absolument pas vécu le confinement comme la population l’a vécu, et je pense que cela a été le cas d’un certain nombre de collègues. Nous avons fait notre travail de médecin anesthésiste-réanimateur, en passant plus de temps à l’hôpital, sans réelle déconnexion. L’énergie transmise par la population nous a permis encore plus de nous dépasser. Le revers de la médaille est que tous les regards étaient tournés vers nos réanimations, comme si tout notre pays découvrait notre métier et nos techniques de prise en charge que nous faisions déjà avant l’épidémie. Je pense notamment à la mise en décubitus ventral d’un patient en détresse respiratoire. Quelle stupeur de voir ces images de patients en décubitus ventral sur les chaînes d’information en continu, avec de soi-disant experts médicaux expliquer tout et son contraire sur cette technique que nous pratiquions déjà avant la COVID. Je ne reviens pas sur les différentes polémiques des traitements contre le virus. À ce moment-là, je me suis dit que la société avait les yeux rivés sur nous et qu’il y aurait un avant et un après-COVID. Notre pratique de la réanimation, et même de la médecine au sens large, ne sera plus vraiment la même après cette pandémie.

Pour ce qui est de la seconde vague, le ressenti a été totalement différent. Toujours de l’énergie collective qui permet d’avancer mais beaucoup de fatigue et un sentiment de lassitude des professionnels de santé. Quand arriverons-nous à sortir de cette épidémie  ? Après combien de vagues  ? Ce sont les questions sous-tendues, tout à fait légitimes que nous entendons. Avec une difficulté supplémentaire qui est le sentiment de défiance d’une partie de la population face à cette épidémie et face aux décisions prises par le gouvernement.

Notre objectif en tant que réanimateurs est de tout faire pour le patient ne vienne pas en réanimation. On vient en réanimation, quand on a une pathologie grave avec une ou plusieurs défaillances d’organes. Le pronostic vital est en jeu. Nous entendons tout faire pour prévenir les contaminations, pour que les personnes ne se contaminent pas et de ce fait, ne fassent pas de formes graves de la COVID-19. Il est là notre objectif. C’est là qu’interviennent toutes les mesures barrières (masques, lavage des mains, distanciation physique), et les mesures de confinement permettent de diminuer la circulation du virus en diminuant les interactions sociales.

Un point de mon activité de ces derniers mois sur lequel je souhaite revenir est ma participation dans la formation des professionnels. Une formation indispensable face à un virus émergent, afin de pouvoir protéger les professionnels de santé des contaminations, et aussi en formant des équipes de soignants à la prise en charge en réanimation dans le cadre de la réserve sanitaire et devant le besoin accru en matière de soins. Nous avons formé plus de 700 apprenants sur le territoire et nous sommes encore en train de déployer ces formations innovantes en simulation in situ, directement dans les services de soins critiques dans les établissements publics et privés. C’est en s’entraînant et répétant, en situation réelle, que nous gérerons mieux la crise si celle-ci se produit.

 

Quelle est la situation sur le front de la COVID-19 aujourd’hui ? Partagez-vous, pour ce qui concerne la région de Dijon, et pour ce qui concerne le pays tout entier, les inquiétudes de vos confrères ?

Je le redis encore une fois. La COVID n’est pas une «  grippette  » comme certains le disaient et continuent de le faire croire. Nous faisons face à une pandémie mondiale liée à ce coronavirus qui est une pathologie grave, qui n’épargne personne, encore plus avec l’apparition des différents variants plus contagieux. Ce n’est que collectivement que nous réussirons à nous en sortir. Nous avons eu une année 2020 plus que particulière. Qui aurait pu penser, prédire que nous aurions dû faire face à une pandémie mondiale liée à un virus émergent, la COVID-19 (ou son nom scientifique, le SARS-CoV-2) ? Prédire, anticiper, gérer le risque et la complication avant qu’ils ne se produisent est pourtant bien mon métier de médecin anesthésiste-réanimateur. Et pourtant, nous avons dû totalement nous réorganiser pour pouvoir faire face à cette épidémie, qui a changé bien des repères dans nos vies personnelles et professionnelles.

Nous, soignants, agents de service hospitalier, aides-soignants, infirmiers, psychologues, kinésithérapeutes, médecins et toutes les corps de métier de nos hôpitaux publics et privés, nous avons fait notre travail comme beaucoup d’autres professions et nous continuerons à le faire. Je suis fier de notre système de santé, même si nous pouvons toujours faire mieux, être meilleurs. Collectivement, nous pouvons en être fiers et nous devons nous soutenir les uns les autres.

Nous devons aussi faire confiance au monde médical et scientifique, mais aussi à nos dirigeants et notre gouvernement. Notre rôle est de transmettre l’information et surtout la bonne information car depuis un an, nous avons fait face à une vague d’infox en tous genres qui a brouillé totalement la parole publique.

 

Réa SSPI éphémère 1

Salle de surveillance post-interventionnelle transformée en réanimation SSPI éphémère.

Réa SSPI éphémère 2

 

Quelles leçons tirer, collectivement, et quelles leçons tirez-vous à titre personnel de cette éprouvante séquence Covid-19 ? En quoi vous aura-t-elle transformé ?

Nous avons beaucoup appris sur ce virus en un an, nous apprenons encore. Nous avons traversé une période difficile qui n’est malheureusement pas terminée, mais nous devons continuer à faire face ensemble, et tenir ensemble. Au niveau des soignants, nous ne sommes pas des héros comme on a essayé de nous le faire croire lors du premier confinement, juste des citoyens engagés et passionnés au service des autres. Je ne vous cache pas que cet élan de solidarité à notre égard nous a boostés et a permis de nous réinventer encore plus, mais nous savions aussi que cette phase serait éphémère et que le retour à l’état de base n’en serait que plus dur.

Cette période nous aura toutes et tous changés et bouleversés dans nos habitudes, nos croyances, nos vies. Nous ne l’oublierons jamais.

Pour finir avec ces quelques pensées et ressentis retranscrits brièvement, je voudrais vous faire un rappel des gestes de prévention. Le meilleur moyen de ne pas être hospitalisé dans mon service de réanimation est bien de ne pas se faire contaminer. Rappelons tout de même qu’un séjour en réanimation n’est jamais anodin et signe une gravité importante engageant le pronostic vital. Continuons de respecter les gestes barrières : distanciation sociale de 2 mètres avec l’apparition de nouveaux variants ; lavages répétés des mains à la solution hydroalcoolique si possible, à défaut au savon ; port du masque en respectant les règles de mise en place et changement toutes les 4 heures ; aérer les pièces en respectant la règle des 6 personnes à table dans votre cercle de personnes que vous côtoyez ; installer l’application Tous Anti-Covid, indispensable dans la stratégie de « tester, tracer, isoler ». Un dernier point rapide concerne la vaccination, un formidable espoir contre la COVID, résultat d’une mobilisation extraordinaire de toute la communauté scientifique internationale. Lorsque ce sera votre tour, faites-vous vacciner selon le schéma vaccinal proposé. Nous avons cette grande chance par rapport à il y a un an, d’avoir maintenant des vaccins disponibles, profitons-en...

   

Un dernier mot ?

Espérance.

Continuons d’avoir confiance en l’avenir et restons optimistes malgré cette phase troublée.

Nous y arriverons collectivement. Nous tiendrons ensemble. Prenez soin de vous...

 

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25 janvier 2021

Eloge de la chanson populaire, avec Arsène (N'oubliez pas les paroles)

Peu de gens sans doute se souviendront de 2020, marquée d’une pierre noire par la pandémie de Covid-19, avec nostalgie : l’année passée, les articles Paroles d’Actu, comme ceux du monde entier, auront d’ailleurs été largement empreints de cette lourdeur. Dans ce contexte, j’ai souhaité donner la parole à quelqu’un qui lui, peut affirmer sans offenser quiconque qu’il a vécu une année 2020 formidable : Arsène, jeune Rouennais de 22 ans, a compté ces derniers mois parmi les grands Maestros de N’oubliez pas les paroles, le jeu musical que présente Nagui sur France 2. Vainqueur du tournoi des Masters de novembre après un parcours remarqué au printemps dernier, il a été une des révélations de l’année télé, côté candidats. L’échange qui suit a été réalisé entre le début du mois de décembre et la mi-janvier : c’est une rencontre, au meilleur sens du terme, avec un jeune homme ayant vécu, grâce à son travail, une aventure rare qui aura transformé son existence. Merci à toi, Arsène, pour la confiance que tu m’as accordée, et pour toutes ces confidences. Bon vent (normand évidemment) ! Une exclusivité Paroles d’Actu, plus légère donc. ;-) Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

Éloge de la chanson populaire,

avec

Arsène

(Noubliez pas les paroles)

 

Arsène NOPLP

 

Bonjour Arsène et merci d’avoir accepté cet interview pour Paroles d’Actu. On va parler dans un instant de l’émission qui t’a fait connaître, mais avant cela, qu’aurais-tu envie que nos lecteurs sachent de toi ?

Bonjour, je m’appelle Arsène, j’ai 22 ans et je suis Rouennais. Je fais des études d’histoire à l’université de Rouen, ville où j’ai toujours vécu. Je suis actuellement en Master 2.

 

 

Il y a deux semaines, tu remportais le tournoi des Masters de N’oubliez pas les paroles. Comment as-tu vécu cette victoire ?

Je suis extrêmement fier de ma victoire aux Masters. Je me permets de le dire parce que j’ai énormément travaillé pour y arriver. Bien sûr, j’ai aussi eu de la chance, et forcément il y a une part de chance, dont certains de mes concurrents ont pu manquer.

 

« J’ai beaucoup travaillé pour préparer les Masters,

je suis très content que ça ait payé,

au-delà même de mes espérances. »

 

Je n’ai pas du tout relâché mes efforts depuis mes passages télé d’avril. J’ai continué à me préparer pour les Masters tout l’été et toute la rentrée, plusieurs heures par jour. Et je suis très content que ça ait payé, au-delà même de mes espérances : j’avais l’espoir d’arriver en demi-finales et de gagner un peu d’argent, j’ai gagné les Masters et 112.000€ (le record de gains pour des Masters). Je ne pouvais pas rêver mieux.

 

Cette victoire a-t-elle une saveur particulière par rapport à ton parcours dans le jeu ?

J’étais forcément un peu déçu d’avoir perdu en avril. Je ne reviendrai pas sur les polémiques autour des conditions de ma défaite, ça n’a pas lieu d’être ici, mais je pense que tous les Maestros, quels que soient leurs gains, sont déçus de perdre, et les Masters peuvent être une occasion de montrer qu’on est encore là, dans le jeu, et c’est plutôt bien.

 

J’ai lu que tu avais pas mal écouté Nostalgie notamment, et évidemment révisé beaucoup de chansons, avec l’humilité de dire qu’en tant qu’étudiant, c’était plus facile pour toi de dégager du temps pour cela. Mais quand même, ça a supposé une vraie discipline non ? Quelle organisation, et combien d’heures passées à mémoriser des chansons ?

Oui, cela demande pas mal de méthode, d’organisation et de temps. Ma méthode d’apprentissage s’est affinée. J’ai gagné en méthode depuis que j’ai commencé à apprendre des chansons. En tout, ça m’a pris un peu plus d’un an et demi.

J’ai commencé à apprendre des chansons par coeur une par une juste après mon deuxième casting, en 2018 (je n’avais pas été retenu). Pas mal de titres très connus comme Double je de Christophe Willem, L’Aziza de Daniel Balavoine, ou Que je t’aime de Johnny... J’ai appris à peu près 150 tubes incontournables pour, le jour où je passerais à l’émission, être assuré de marquer quelques points.

Je me suis rendu compte au fur et à mesure que j’apprenais bien, que ça restait gravé dans ma mémoire. Et je redoutais un peu de faire un score très bas dans l’émission, quelques points puis repartir. Donc je me suis dit qu’il me fallait apprendre un maximum de chansons pour réduire ce risque. Je ne pensais même pas forcément à gagner de l’argent, à ce moment-là, encore moins à devenir Maestro.

Pendant un peu plus d’un an, j’ai continué à apprendre des chansons, et c’est devenu comme une gymnastique cérébrale que j’aimais bien.

J’avais une méthode assez précise. Je téléchargeais toutes les chansons qui tombaient dans le jeu et que je ne connaissais pas. C’était, un jour sur deux, apprentissage et révisions. Le jour "apprentissage", j’écoutais deux ou trois fois la chanson que je voulais apprendre, pas plus, ensuite j’écoutais d’autres chansons que je voulais apprendre. Le lendemain, je révisais aléatoirement quelques chansons de la playlist que j’étais censé connaître. Puis je réécoutais deux ou trois fois celles écoutées l’avant-veille. Je trouvais que c’était plus efficace que d’écouter trente fois une même chanson en une journée. De cette façon, la chanson fait son chemin dans notre cerveau et s’ancre dans notre mémoire de manière presque indolore. Je voyais la liste de mes chansons apprises grossir, c’était gratifiant et encourageant.

Lors de mes premiers tournages, je suis ainsi arrivé avec 900 chansons en tête. Ca a représenté beaucoup de travail. Un an avant mes tournages, j’y passais une demi-heure à trois quarts d’heure par jour, et dans les dernières semaines avant, je ne faisais quasiment que ça de mes journées. Aujourd’hui, je connais environ 1150 chansons.

 

 

Pas mal en effet ! Qu’est-ce qui est plus compliqué, devoir apprendre des dates historiques, ou bien des paroles de chansons ? Est-ce que le fait que celles-ci soient en rythme et en musique aide aussi à la mémorisation ?

Ce n’est pas vraiment la même chose. J’ai appris quelques dates historiques à l’école ou au collège, à l’époque où on nous demande d’apprendre des dates par coeur. Aujourd’hui, quand on est à l’université, ces choses sont ancrées et on ne nous demande plus vraiment d’apprendre par coeur, sauf pour les examens de fin d’année.

 

« Ce qui m’a aidé à apprendre des chansons,

c’est surtout que j’adore ça. »

 

Ce qui m’a aidé à apprendre des chansons, c’est surtout que j’adore ça. J’écoute beaucoup de chansons depuis très longtemps. Je suis un fan de variété française. J’écoute beaucoup de CD, la radio, et j’ai une platine vinyle. J’ai donc acquis une culture musicale de base, donc avant d’apprendre des chansons pour l’émission, sans vraiment chercher à l’acquérir. Donc je n’ai pas vécu cela comme l’apprentissage d’un cours d’histoire ou d’une poésie.

 

Quels conseils donnerais-tu à une personne, jeune ou moins jeune d’ailleurs, qui aurait envie de se frotter sérieusement à ce jeu, qui d’ailleurs est très populaire ?

Je peux renvoyer cette personne aux conseils que je viens de te donner. Une méthode plutôt indolore. Mais évidemment, ça dépendra du temps dont elle pourra disposer.

Ce qui aide, c’est simplement aimer ça. Pour moi, au bout d’un moment, ça devenait presque une drogue. Quand je me levais le matin, j’allais faire ma balade de deux heures dans la forêt ou sur les quais de Seine à Rouen, avec mes écouteurs dans les oreilles, et j’écoutais des chansons, beaucoup de chansons. Ces apprentissages sont liés pour moi à de bons moments.

Il faut aussi être conscient qu’il y a une grosse part de chance. Le fait d’apprendre des chansons ne fait que réduire la part de la chance et augmenter celle du mérite. On peut très bien avoir appris 1500 chansons et ne tomber que sur des titres qu’on ne connaît pas. Avec, aussi, le risque de perdre ses moyens sur une chanson, de bafouiller, ce qui était vraiment mon cauchemar, surtout sur une chanson que je connaissais. J’aurais travaillé des mois pour rien.

Pour diminuer ce risque de perdre ses moyens, je conseille aux candidats de multiplier les karaokés en public (quand c’est possible !) en évitant de regarder les paroles sur le prompteur, pour se tester. En tout cas il faut y consacrer beaucoup de temps et de travail.

 

Il y a trois ans tout juste, on apprenait la disparition de Johnny Hallyday (question posée le 5 décembre 2020, ndlr). Est-ce qu’il fait partie de ces artistes que tu aimes et qui t’inspirent ? Et quels sont-ils, ces artistes qui ont pour toi une place particulière ?

Johnny Hallyday j’aime bien, sans plus. C’est évidemment un monstre sacré de la variété et du rock en France, une légende du fait de sa puissance vocale, de son allure, de sa beauté physique, de son charisme, de sa longévité et de sa capacité à traverser les époques et les modes. On a tendance à l’oublier, mais il a aussi connu de petits creux notamment à la fin des années 70 et dans les années 2000.

J’aime beaucoup de chansons de lui mais je ne le classerais pas parmi mes chanteurs favoris. J’ai été marqué par plusieurs chanteurs, durant des périodes successives de ma vie.

À une époque, j’aimais beaucoup Joe Dassin. Il chantait des hymnes populaires qui étaient aussi des titres de qualité, des hymnes populaires, intelligents et émouvants.

J’aime beaucoup Claude François pour sa capacité à traverser, lui aussi, les modes et les époques. Ses derniers titres disco, Alexandrie, Alexandra et Magnolias for ever sont vraiment de qualité, même les spécialistes le disent. Les orchestrations sont très recherchées, bref ce sont de bonnes chansons.

Quand j’étais ado j’aimais aussi beaucoup Hervé Vilard et Sheila, des chanteurs populaires sans prétention qu’on dénigre un peu aujourd’hui mais que j’aime bien.

Mon chanteur favori, c’est Michel Sardou. Pour moi, le plus grand chanteur français derrière Johnny, et avant Jean-Jacques Goldman. Le trio de tête.

 

« Je rêverais d’avoir la voix de Michel Sardou. »

 

Les textes de Sardou sont intelligents, les mélodies composées pour lui sont toutes très belles, et il a une voix exceptionnelle que j’aimerais bien avoir, mais je peux toujours rêver (il est ténor et je ne suis pas ténor donc ce rêve-là je peux l’enterrer). Sardou c’est le chanteur “tout court”. Il n’est ni le chanteur “rock” comme Johnny, ni le chanteur “auteur-compositeur” à la Goldman, ni le chanteur à minettes comme Patrick Juvet, ni le chanteur jazz comme Michel Jonasz, etc... C’est ça que j’aime bien. Il ne cherche pas à être spécialement original. Il fait de la chanson.

Tous ces artistes que je viens de citer, qui ont eu leur heure de gloire dans les années 70-80, ont eu cette particularité de faire des chansons populaires, des tubes qui étaient des chansons de qualité. Aujourd’hui, je trouve que c’est un peu soit l’un soit l’autre. Les chanteurs de qualité ont une audience limitée, et les chanteurs qui sont dans les tops des ventes sont moins bons à mon avis.

 

C’est quoi tes quelques chansons préférées, celle que tu connais depuis longtemps sans avoir eu à les apprendre et que tu chantes, pour le coup, pour le plaisir ?

Je vais t’en citer cinq, dont une en anglais. Je pense que c’est un bon choix. Ce sont vraiment des chansons que j’aime spontanément, et que je n’ai pas eu besoin comme tu l’as dit de les “travailler” spécialement pour l’émission.

La première, une des chansons que j’ai le plus écoutées dans ma vie, et en tout cas dans mon adolescence, c’est Nous (1979) de Hervé Vilard. Elle a été un énorme tube quand elle est sortie, mais, comme beaucoup de chansons de cette époque-là (je pense à Reviens, à Rêveries de Hervé Vilard, ou à certains titres de Sheila), injustement oubliée ensuite parce que très peu diffusée en radio. Même sur Nostalgie !

 

« Ado, j’étais un peu groupie

du Hervé Vilard des années 70. »

 

J’aime beaucoup Hervé Vilard. Quand j’étais ado, j’étais un peu groupie du Hervé Vilard des années 70, je le trouvais beau, bien coiffé (je rêvais d’avoir sa coupe de cheveux). Si j’avais été chanteur, il était celui que j’aurais aimé être à l’époque. Nous, c’est un peu la chanson qui a lancé sa deuxième partie de carrière, parce qu’il était déjà connu dans les années 60 avec Capri c’est fini ou encore Mourir ou vivre. Nous, c’est un slow qui parle d’une rupture amoureuse, un très beau texte de Claude Lemesle (qui a écrit notamment pour Sardou, Reggiani, Joe Dassin...) sur une mélodie de Toto Cutugno. Pour moi ce texte est vraiment poétique. Certaines mauvaises langues diront que c’est de la poésie un peu facile, “grand public”, mais c’est de la belle poésie. “C’est un cri arraché au ciel, Un rayon qui manque au soleil”. Moi ça me parle, et ça fait un ensemble assez poignant.

La deuxième, ce serait Marie-Jeanne, de Michel Sardou, en 1990. Son dernier gros tube (il en connaîtra un autre dans les années 2000 avec La rivière de notre enfance, en duo avec Garou). Cette chanson aussi est un peu oubliée aujourd’hui, parce qu’il est rare qu’elle sorte quand on demande à quelqu’un de citer trois ou quatre chansons de Sardou. Elle contient un peu tout ce que j’aime dans la chanson française, et chez Sardou en particulier : d’abord ce rythme assez dansant (j’aime la variété rythmée) même si on ne danserait pas forcément sur cette chanson, cette alliance d’une mélodie planante (notamment sur le refrain) avec une orchestration très rythmée (guitares électriques, basses, synthé, boîte à rythmes...). J’aime aussi la belle voix puissante de Michel Sardou, et ce texte sur un ton désabusé, sur le temps qui passe : “Les Marie-Laure, Les Marie-Jeanne, Dans la fumée de ma gitane, Que sont nos amours devenues ?”. Il dresse un portrait un peu acide de toutes ces femmes qui ont eu des rêves d’enfance qui ne se sont pas réalisés. Ce ton désabusé correspond assez à mon caractère.

La troisième, Elle m’oublie de Johnny Hallyday (1978). Encore une fois, un tube de Johnny mais pas son plus gros tube, pas celui qu’on citerait en premier. C’est aussi un des premiers grands succès écrits par Didier Barbelivien qui a écrit énormément de succès dans les années 70 et surtout 80, dont On va s’aimer, Méditerranéenne, etc... Ce que j’aime dans ce texte, c’est que ce sont des paroles très simples, où le narrateur imagine ce que devient une fille qu’il a connue et aimée. Il imagine qu’elle l’oublie, avec, dans les couplets, une succession de détails du quotidien écrits très simplement et qui sont assez parlants : “Demain matin, bien sûr, elle arrive à Paris, Elle retrouve les rues, ses parents, ses amis, Je lui donne trois semaines pour tomber amoureuse, Et devant son miroir, elle est déjà heureuse, elle m’oublie”. On y pense forcément quand on est dans cette situation, celle d’une rupture, ou quand on songe à quelqu’un qui s’est détaché de soi.

 

 

La quatrième, Fais-moi une place de Julien Clerc (1990). C’est la moins mal lotie des quatre déjà citées, elle a bien traversé le temps et reste très connue. Julien Clerc a composé la mélodie, et le texte est signé Françoise Hardy. Comme beaucoup de chansons de Julien Clerc, elle est très mélodieuse, et le texte colle parfaitement à la voix de l’interprète, avec son fameux vibrato. La chanson s’inscrit dans un album (“Fais-moi une place”) que je trouve très bon (bien que je ne sois pas critique), avec beaucoup de belles chansons, des mélodies un peu planantes (je pense notamment à Le verrou, à Petit Joseph ou à Le chiendent).

La cinquième, c’est une chanson en anglais mais chantée par une chanteuse française, c’est Spacer de Sheila. Avant ma période Hervé Vilard, je me suis beaucoup intéressé à la carrière de Sheila, vers mes 11 à 13 ans. J’aimais ses chansons, j’ai emprunté son best of à la médiathèque et je soûlais mes parents avec elle en partant en vacances (rires). Ce qui m’a fasciné chez Sheila, c’est sa carrière, un peu comme un conte de fées. Elle a eu une carrière très longue, même si elle est un peu dénigrée aujourd’hui parce qu’elle fait partie de ces chanteuses, comme Mireille Mathieu, Nana Mouskouri ou Michèle Torr, qu’on considère comme étant un peu “gnangnan”. Moi j’aime bien. Ce sont des chansons populaires, qui pour certaines ont peut-être un peu mal vieilli, mais avec des refrains accrocheurs, qui restent en tête, et qui sont pour la plupart bien écrites.

 

« J’aime Sheila, qu’on considère comme étant un peu

"gnangnan" aujourd’hui. Ce qui me passionne dans

sa carrière, c’est qu’elle a épousé toutes les modes. »

 

Ce qui me passionne c’est que, dans sa carrière, Sheila a épousé toutes les modes. D’abord sa carrière yéyé, avec ses couettes, puis sa coiffure bouffante, son espèce de “casque” avec son kilt, ses petits chemisiers... Ensuite, les années 70 avec ses cheveux longs, la période avec Ringo, ses costumes moulants à paillettes, ses combinaisons pattes d’éléphant, et des chansons qui se rapprochaient de plus en plus de la vague disco. Vague qu’elle embrasse clairement avec cette chanson donc, Spacer. Un nouveau départ pour elle, parce qu’elle était un peu coincée dans son registre de chansons un peu mièvres pour mères de famille des années 70. Elle part aux États-Unis et y rencontre, je crois, le producteur du groupe Chic, qui va lui faire cette chanson qui aura été un tube là-bas. Elle ne passe plus beaucoup en radio mais elle a permis de découvrir un nouveau visage de Sheila, peut-être un peu plus dans le vent. J’aime sa mélodie qui paraît tellement évidente et “tubesque”, cette belle intro au piano... J’ai beaucoup écouté ce vinyle !

 

Que retiendras-tu de cette expérience télé, je pense au contact avec Nagui, les équipes du jeu et aux coulisses en général ? La télé, ça t’attire ?

Je vais essayer de répondre à deux questions que me posent assez souvent les gens qui me connaissent, ou même ceux que je croise dans la rue  : 1/ il est sympa Nagui  ? 2/ c’est pas un milieu de requins, la télé  ?

Est-ce que Nagui est sympa  ? J’aurais du mal à répondre, parce que je connais assez peu. Ce n’est pas du tout un reproche que je lui fais, la plupart des Maestros sont aussi dans mon cas. C’est un homme très occupé. La plupart de nos interactions avec lui se font sur le plateau, devant les caméras. Il vient nous saluer avant qu’on arrive sur le plateau, mais on enchaîne tout de suite après sur l’émission. Il cherche la spontanéité, à nous découvrir et est sincèrement curieux des gens sur le plateau. Mais ensuite, il passe vite à autre chose. Encore une fois ce n’est pas un reproche  : tout s’enchaîne très vite, il doit s’intéresser aux candidats suivants, qu’on soit Maestro ou pas d’ailleurs. Il ne reste pas en coulisses avec nous pour boire un verre ou manger avec nous, et forcément ne peut pas être très disponible.

 

 

J’ai toujours trouvé l’ambiance en coulisses très bonne, que ce soit avec les Maestros ou avec les candidats «  normaux  » (quand j’étais un candidat  «  normal  »). C’est vraiment très bon enfant. On est tous préparés, briefés, en petits groupes. La production, les équipes de casting, etc... font tout pour nous chouchouter. On nous explique comment ça va se passer, comment se placer sur le plateau, comment être avec Nagui, etc... On nous maquille, on nous coiffe, on choisit nos vêtements avec la costumière. Il y a de quoi manger et de quoi boire. Quand arrivent les tournages, on attend notre tour, juste derrière le plateau. On voit Nagui et le candidat de dos, on chante en même temps que lui, on apprend à se connaître avec les autres, on compare nos connaissances musicales... J’ai de très bons souvenirs de cette ambiance, qui aide à relâcher la pression avant de monter sur le plateau. Et tout cela centré autour de la chanson française, qui nous rassemble tous.

 

« Me verrais-je faire de la télé  ? Je ne suis pas sûr. »

 

De très bons souvenirs donc. Pour autant, est-ce que je ferais de la télé  ? Je ne suis pas sûr. Il y a des gens qui me trouvent décontracté sur le plateau, mais c’est normal, on est des candidats, mis en valeur par Nagui qui nous pose des question et cherche à faire ressortir le meilleur de nous-mêmes. S’il sent un embarras, il passe à autre chose, etc. Je ne sais pas si je serais à l’aise à travailler vraiment à la télé.

 

Est-ce que ce goût de la chanson et de la musique, que tu as démontré émission après émission, te donne envie (et peut-être est-ce déjà un projet) de te créer ton propre univers musical ? D’ailleurs, est-ce que tu écris un peu, et est-ce que tu joues de la musique ?

Je peux dire qu’un de mes rêves plus ou moins assumés et précis serait d’être chanteur, mais uniquement chanteur à succès (rires), je ne me vois pas galérer pendant 15 ans dans des petites salles. Comme dans Le chanteur de Balavoine, si je pouvais faire des tubes, gagner des thunes, ce serait bien  !

J’ai commencé à écrire des chansons pour la première fois quand j’avais 15 ans. J’en faisais une de temps en temps, c’était pas terrible, vraiment, mais j’essayais de m’inspirer de toutes les chansons que j’aimais bien. J’ai plus ou moins laissé tomber par la suite, puis j’ai acquis des livres de conseils pour écrire des chansons, dont L’art d’écrire une chanson de Claude Lemesle, auteur à succès que j’ai cité tout à l’heure. J’ai lu ce livre, regardé des vidéos de conseils sur internet, etc...

 

« Au niveau des textes que j’écris, il y a encore

du chemin à faire, mais je constate que

je m’améliore, que ça devient potable. »

 

En tout, j’ai dû écrire, depuis le début, une vingtaine de chansons. Sur ces vingt, quatre ou cinq doivent être correctes. Mais je remarque que, j’ai beau en écrire peu, c’est vraiment un exercice auquel on ne peut que progresser. Au départ, je faisais des trucs d’ado assez nazes, mais au fur et à mesure que j’en écrivais, j’évitais des lourdeurs, je tournais mieux mes phrases, et je constate que je ne fais que m’améliorer. Il y a encore du chemin, mais ça commence à devenir potable, si on imagine certains textes avec de vraies mélodies.

Ces projets se précisent un peu. Après mes diffusions d’avril, j’ai été contacté par un studio d’enregistrement dans l’est de la France tenu par une des Maestros, Johanna. Elle m’a contacté, avec son associé, pour me proposer de me faire un titre sur mesure (paroles, musique, éventuellement un clip) gratuitement, parce que ça leur fait de la publicité de faire une chanson pour un Maestro. À plus forte raison maintenant que j’ai gagné les Masters. J’ai accepté, mais je leur ai dit que j’avais envie d’écrire les paroles, parce qu’il y a certains textes dont je suis satisfait. À leur charge de trouver une mélodie et des arrangements. Je leur ai envoyé un texte, dont je tiens la teneur secrète pour le moment, mais je ferai un peu de pub au moment de sa sortie. Ils planchent actuellement sur l’accompagnement, sur la base de pistes que je leur ai données concernant le style que j’aimerais. J’ai écouté plusieurs de leurs chansons et je suis sûr que ce qu’ils me proposeront va donner quelque chose de bien.

Écrire une chanson, c’est vraiment un exercice difficile. C’est assez ingrat parce qu’on peut passer des heures pour pondre une ou deux lignes à peu près potables. Parfois on ne trouve rien du tout, que des trucs nuls, des rimes faciles, des choses mièvres ou au contraire beaucoup trop sophistiquées pour que ce soit bien. Et de temps en temps, presque sur un malentendu, on tombe sur une strophe bien, un couplet inspiré. Beaucoup d’auteurs le disent. Je ne prétends pas du tout être Georges Brassens pour l’instant, mais je sais qu’il passait des journées entières à rayer, à retoucher, à recommencer des textes... C’est un petit chemin de croix, mais quand on y arrive, on est content. Je ne relâche donc pas mes efforts  ! Et peut-être que ça donnera quelque chose de bien à l’avenir.

 

Quel regard portes-tu sur cette année si particulière pour tous qui s’achève ? Est-ce qu’elle t’aura changé, toi, cette année 2020 ? Peut-être renforcé dans ta confiance en toi, et affiné tes perspectives d’avenir ?

Cette année 2020 a évidemment été bonne et même très bonne pour moi.

Déjà, financièrement parlant, avec l’argent que j’ai gagné de mes émissions d’avril et des Masters... Partir dans la vie, à 22 ans, avec plus de 300.000€ sur le compte en banque, c’est une très belle chance. Je pense acheter de l’immobilier, des maisons ou des appartements (j’ai déjà commencé à faire des visites), à les louer et à toucher les loyers. Je pourrais presque déjà en vivre. Être rentier, moi ça ne me dérangerait pas, de passer ma vie à lire des livres, à regarder des films et à me promener en forêt tout en touchant quasiment un salaire. Mais ça ne sera sans doute pas le cas, il faut de l’ambition, ou en tout cas d’exigence pour soi-même. Vouloir se réaliser en quelque chose, et ne pas vivre uniquement sur les fruits d’un travail passé (quelle que soit la taille des fruits).

Il y a aussi l’aspect fierté personnelle. Je sais que ça ne se voit pas beaucoup quand je passe à l’émission, mais je n’ai pas une grande confiance en moi. Sans trop rentrer dans des détails psy (je n’ai pas été maltraité par la vie, mes parents gagnent bien leur vie et j’ai toujours été chouchouté et protégé), disons que j’avais envie d’accomplir une grande chose. J’avais essayé de rentrer à Sciences Po après mon bac, j’avais fait une prépa pendant un an et n’avais pas été pris, ça avait été un assez gros choc parce que jusqu’alors je réussissais tout ce que j’entreprenais. Quand on est jeune, on côtoie d’autres jeunes qui semblent meilleurs que soi, avec plus d’argent, maîtrisant plus d’activités, avec davantage de projets et d’enthousiasme, un plus grand succès dans leurs relations sentimentales... Et parfois j’ai pu souffrir de cette comparaison avec d’autres, ayant un regard très sévère sur moi-même.

 

« J’ai souvent manqué de confiance en moi.

Ca va mieux, depuis l’émission... »

 

C’est sûr que, depuis le 1er avril 2020, date de ma première émission, ça va mieux, et j’en suis très heureux, parce que je sais que j’aurais été malheureux si j’avais perdu à ce moment-là. Comme un coup en plus, l’échec supplémentaire. Là ça va bien, et même très bien. J’ai un regard beaucoup plus bienveillant sur moi-même, quasiment un sentiment de plénitude parce que ça, ce défi, j’ai le sentiment de l’avoir réussi et même bien réussi. Je souhaite à n’importe qui de prouver ce qu’il peut donner après plusieurs années d’efforts acharnés (bon, ok, ça fait un peu protestant capitaliste, le rêve américain, mais ça reste vrai). Être récompensé des fruits de son travail, c’est juste merveilleux.

 

 

Est-ce que tu ambitionnes, ce serait en tout cas une des suites logiques de ton M2 en Histoire, d’enseigner l’histoire-géo, ou bien te verrais-tu davantage faire de la recherche historique ?

Comme j’ai pu te le dire, je suis en M2 Recherche en Histoire et je fais un mémoire sur un parti politique français. Ces études n’ont pas de débouché, à part enchaîner sur un doctorat, passer l’agrégation ou le Capes, mais ce n’est pas ce que je prévois de faire. Je ferai sans doute un autre master, plus professionnalisant. Je ne sais pas encore trop dans quoi, mais peut-être plus dans les sciences politiques au sens large. Et à voir, si je démarre bien dans une carrière musicale, je pourrais peut-être me contenter de cette carrière musicale. On verra bien. J’aurai en tout cas les revenus de mes loyers qui compléteront très avantageusement mes revenus musicaux, sachant que les revenus d’artistes sont souvent précaires.

L’année prochaine, je prendrai peut-être une année une année sabbatique pour réfléchir à ce que je veux faire, voyager un peu et mettre sur les rails mes investissements immobiliers.

 

Cette question, je la posais pas mal il y a quelques années, un peu moins maintenant mais je ne peux pas ne pas la poser à un étudiant en Histoire. Un savant un peu fou qu’on appellera Doc’ vient de mettre au point une machine à voyager dans le temps et l’espace. Tu as droit à un seul voyage, de 24h ou perpétuel si affinités. Où et quand irais-tu te promener ?

J’aimerais bien être transporté, toujours en France, mais en ces temps où la France était puissante et glorieuse. Le problème, c’est que ces époques ne coïncident que rarement avec des moments où il faisait bon vivre. Au temps de Louis XIV, la France était première en Europe mais il y avait beaucoup de guerres, les gens avaient faim et froid... Napoléon Ier, idem, la France dominait l’Europe entière et avait repoussé ses frontières, mais c’était la guerre tout le temps, on avait donc pas mal de chances de mourir sur un champ de bataille. Disons que la puissance et la gloire ne sont pas de tout repos.

Il y a eu des périodes où les dirigeants donnaient aux Français le sentiment qu’on était une grande puissance, tout en ménageant la paix et la prospérité. Je pense notamment au Second Empire, qui me fascine. J’aime ces temps où il y a un règne assez long, avec un homme à poigne (c’est mon côté bonapartiste), un Napoléon Ier, un Napoléon III ou un De Gaulle. La France a été rayonnante pendant le Second Empire, sur les plans culturel et économique. La France a peut-être été la première puissance économique mondiale à cette époque. Et elle ne remportait pas alors particulièrement de victoires militaires, mais au moins, il y avait la prospérité, avec un empereur qui a régné longtemps et avait une fibre sociale très prononcée. Sans doute croyait-il sincèrement en la démocratie, même si bien sûr il ne l’a pas vraiment appliquée.

 

« Pourquoi choisir ? J’aime Hervé Vilard,

et j’aime la bombe atomique ! »

- - -

« J’ai une nostalgie pour les années De Gaulle,

Pompidou, début Giscard... La dernière période

où la France fut grande... »

 

Je pense aussi aux années De Gaulle et Pompidou, et au début des années Giscard. La dernière période où la France fut grande. Avant le déclin. Là, je livre totalement et sans fard le réac qui est en moi, je ne cherche même plus à le cacher (rires). De Gaulle, ce sont des institutions politiques fortes, avec un président fort qui fait finalement la synthèse entre notre histoire monarchique et nos institutions républicaines. Je pense que c’est à ce moment-là que la France a trouvé son équilibre. C’est aussi la période de la bombe atomique, et de la France puissance motrice de l’Europe. Il ne s’agissait pas vraiment du couple franco-allemand, mais plutôt du jockey français et du cheval allemand, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. C’est aussi l’époque où on avait 5% de croissance par an, où on voyait les ouvriers passer leurs vacances sur la Côte-d’Azur, où Hervé Vilard sortait son premier 45 tours, tout comme Sheila. L’époque où on pouvait être prof de lycée et avoir une maison de vacances en Savoie, un bateau à la Rochelle et un appartement dans le XVIè, et c’était normal  !

Pompidou c’était pareil, il était sur la même lancée. J’ai une affection particulière pour lui.

 

Et avec tout ça, est-ce que tu te sens malgré tout bien dans tes baskets à notre époque ?

Je serais tenté de te dire que moi, mon époque fétiche, ce sont les années 70-80, en tout cas sur le plan musical. Je pense aussi à tout ce qui est vestimentaire, aux voitures, etc... Mais le problème c’est que, si je vivais à cette époque-là, je n’aimerais pas non plus mon époque, et je voudrais plutôt retourner dans les années 50. C’est sans fin, c’est mon dandysme inné qui fait que je me reconnais plutôt dans des temps qu’on considérerait aujourd’hui comme ringards. Me transporter dans une autre époque, ça ne suffirait pas. Donc finalement je ne suis pas si mal dans la mienne.

 

« Ce qui me gêne le plus aujourd’hui, c’est le poli-

tiquement correct, la bien-pensance ambiante... »

 

Ce qui me gêne le plus aujourd’hui, et là c’est encore un peu ma petite fibre de réac’ qui parle, c’est le politiquement correct, la bien-pensance ambiante qui fait qu’on ne peut plus dire grand chose, comme si la société n’était plus qu’une juxtaposition de communautés toutes plus fragiles, plus meurtries et plus nobles les unes que les autres, que ce soient les communautés ethniques, religieuses, sexuelles... Tout ce qui n’est pas mâle blanc, 40 ans, Français de souche, catho et hétéro... Comme si on était dans un univers de naphtaline, où tout le monde est ultra-susceptible, où tout le monde est en sucre en fait. C’est tout juste si on ose imiter Joe Dassin à la télé, parce que c’est méchant pour les gens qui louchent...

Bon, j’exagère peut-être un peu  : je dois avoir l’honnêteté de reconnaître que dans mon quotidien, on est quand même libres. Je me plains pas, on n’est quand même pas en Union soviétique, ou en pleine Révolution culturelle. Mais quand même, on sent comme une lame de fond qui vient des États-Unis qui est de plus en plus présente, dans les médias, dans les universités, et chez les gens en général. De plus en plus d’écriture inclusive, de précautions sémantiques pour ne pas choquer tel ou tel segment de la population... Voilà ce qui me chagrine le plus dans notre époque. Mais à part ça, ça va  !

 

Pour cette question, sans doute me diras-tu que tu prendras une troisième voie, qui sera la tienne, mais allez, pour le fun, à choisir, plutôt Arsène Lupin, ou Arsène Wenger ?

C’est rigolo parce que je pense vraiment que le prénom qu’on nous donne participe à nous forger une personnalité. Arsène, c’est un peu le nom du dandy gentleman et il paraît que ça me correspond assez bien. Comme par hasard, les deux autres Arsène que je connais, ceux que tu as cités, sont aussi des messieurs assez élégants. Je ne connais absolument rien au foot, mais Arsène Wenger est grand, élancé, fin et élégant, et on dit parfois que j’ai ces qualificatifs  ! Arsène Lupin, évidemment, c’est le dandy gentleman par excellence. C’est aussi une étiquette à laquelle les gens m’associent assez bien. Je ne ferai donc pas de choix entre les deux. ;-)

 

 

Quelques mots pour nous donner envie, après le confinement bien sûr, de visiter ta ville de Rouen à l’occasion ? Parce que bosser dans le tourisme, ça peut très bien être une de tes perspectives d’avenir. ;-)

Je pense que Rouen est la plus belle ville du monde. Et non, je ne suis pas du tout partial en disant cela. (Rires) Bon, évidemment j’exagère...

J’aime vraiment beaucoup ma ville, depuis toujours, et je m’en rends compte de plus en plus. Je prends de plus en plus conscience de la beauté de cette ville, de ses atouts, de son caractère agréable. C’est une ville moyenne, assez normale de la grande banlieue de Paris, un peu comme Orléans, Troyes, Reims, Amiens, Tours ou Le Mans. Je pense que de toutes ces villes, Rouen est peut-être la plus indépendante, la moins «  vassale  » de Paris. C’est une ville portuaire et presque maritime, avec ses marées, ses mouettes, son port céréalier, un des premiers d’Europe...

Rouen est une ville plutôt grande mais qui a tous les avantages d’une ville moyenne à taille humaine. Son centre est très réduit, on peut aller d’un point à un autre à pied sans problème. C’est une ville médiévale, avec des rues à pans de bois qui font la notoriété de la ville. Elle a été en partie détruite durant la Seconde Guerre mondiale. Une partie, notamment sur les quais de Seine, est constituée d’îlots d’immeubles de trois ou quatre étages reconstruits de manière assez harmonieuse.

 

« Pour moi, la cathédrale de Rouen

est la plus belle du monde. »

 

Le clou de la ville, ça reste sa cathédrale, que j’adore. Pour moi, c’est la plus belle du monde. C’est la plus grande de France (151 mètres, par sa flèche). Elle a même été, pendant quelques années, le plus haut monument du monde – fait injustement oublié  ! -, dépassée je crois dans les années 1880 par la cathédrale de Cologne. Elle est élancée, racée, élégante... un peu comme moi  ! (Rires)

Rouen vaut le détour, vraiment  !

 

Cathédrale de Rouen by Arsène

La cathédrale de Rouen, par Arsène himself !

 

Un dernier mot ?

Je te remercie, parce que c’est rare qu’un site d’articles assez sérieux (sujets d’actu, culturels et historiques) s’intéresse à un candidat d’émission de divertissement. C’est une belle initiative qui va un peu à l’encontre du snobisme culturel. Ça montre ton ouverture d’esprit, ta curiosité, et j’ai apprécié cet échange.

 

Arsène perso

 

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