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Paroles d'Actu

18 janvier 2021

« Ma présidence de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe », par J.-C. Mignon

Suite au décès de l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) le 2 décembre dernier, j’ai offert à Pierre-Yves Le Borgn, contributeur fidèle de Paroles d’Actu, une tribune pour s’exprimer sur la vie et le parcours de celui avec lequel il partageait de nombreuses valeurs, et un inaltérable engagement européen. Après réflexion, l’ancien député des Français de l’étranger (2012-2017) m’a répondu qu’il avait quelqu’un à me suggérer pour l’exercice : « Jean-Claude Mignon, l’ancien président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, député LR de Seine-et-Marne depuis près de 30 ans. Un ami, ayant travaillé avec Valéry Giscard d’Estaing à l’Assemblée, et aussi avec son fils Louis. » Profil intéressant : aussitôt proposé, aussitôt contacté.

 

JC Mignon et PY Le Borgn'

Jean-Claude Mignon et Pierre-Yves Le Borgn’, à Sarajevo.

 

L’échange avec M. Mignon fut, d’emblée, agréable et fructueux. Le texte qu’il m’a soumis évoquait VGE en des termes tout autant respectueux (« Je garde le souvenir d’un grand homme d’État, affable et très courtois avec ses jeunes collègues impressionnés par sa stature et ses connaissances ») et affectueux (« Le Président Valéry Giscard d’Estaing et moi sommes nés un 2 février, pas de la même année comme il ne manquait pas de me le rappeler, et dans l’hémicycle ou en réunion de la Commission des Affaires étrangères, c’est avec plaisir et respect que je lui souhaitais son anniversaire ce qui me valait en retour un aimable petit mot manuscrit me souhaitant réciproquement le mien »). Il y était beaucoup question, aussi, d’Europe, et notamment de ce Conseil de l’Europe si méconnu, et de son assemblée, qu’il présida entre 2012 et 2014, et dont il souhaitait qu’elle rende un hommage solennel au leader défunt.

J’ai recontacté M. Mignon pour lui suggérer d’enrichir un peu son texte afin, précisément, de mettre en lumière, de par son expérience, l’action du Conseil de l’Europe et de son assemblée parlementaire. La nouvelle version qui m’est parvenue un mois après est un article bien différent, et fort éclairant quant à un outil important dont disposent les Européens (47 États membres, contre 27 pour l’Union européenne) pour promouvoir, sur l’ensemble du continent et toutes ses zones de voisinage, la paix et les droits de l’Homme. Je remercie Pierre-Yves Le Borgn, sans qui cet article n’aurait pas vu le jour. Et je remercie M. Mignon pour la confiance qu’il m’a accordée, pour ses engagements, et tous les combats menés. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

« Ma présidence de l’Assemblée parle-

mentaire du Conseil de l’Europe »

Jean-Claude Mignon

par Jean-Claude Mignon, le 13 janvier 2021

 

 

L’AVENIR DU CONSEIL DE L’EUROPE À LA LUMIÈRE

DE SES SOIXANTE-DOUZE ANNÉES D’EXPÉRIENCE

 

Plus ancienne organisation paneuropéenne, le Conseil de l’Europe est en même temps la plus méconnue. La richesse et la diversité des politiques menées par le Conseil de l’Europe sont exceptionnels. Les travaux menés par son Assemblée parlementaire sont exemplaires malgré sa faible exposition médiatique, notamment en France, qui l’enferme dans une certaine obscurité.

La France, État du siège, est assez indifférente à cette organisation, dont elle devrait au minimum reconnaître l’intérêt économique : 2000 emplois à Strasbourg, 47 ambassades, etc…

 

LE RÔLE MOTEUR DE L’ASSEMBLÉE

PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE

On oublie trop souvent le rôle moteur joué par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) dans la conception de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH), ou plus récemment dans celle tendant à criminaliser la contrefaçon des médicaments ou dans le domaine de la bioéthique, parmi beaucoup d’autres exemples.

On oublie le rôle historique qu’elle a joué dans la réunification de l’Europe dans les années 1990 en créant en particulier le statut d’invité spécial pour les nouvelles démocraties d’Europe centrale.

De même, méconnaît-on souvent le rôle qu’elle joue dans l’élection des juges à la Cour européenne des Droits de l’Homme. Rôle direct de choix, mais aussi indirect d’élaboration de critères additionnels de sélection, ains l’exigence qu’il y ait au moins un représentant du "sexe sous-représenté" dans chaque liste de trois candidats pour un poste de juge.

L’observation des élections est également une mission importante de l’APCE. Il n’y a en effet pas de démocratie sans élections honnêtes. Cette action est complétée par celle de la Commission de Venise, autre organe du Conseil de l’Europe qui apporte son expertise technique aux États parties en matière de règles constitutionnelles ou électorales.

Pour autant, le Conseil de l’Europe a été créé en 1949 et il se doit de s’adapter aux exigences contemporaines. Il doit être encore plus performant, plus lisible et plus cohérent.

L’Assemblée parlementaire est un lieu privilégié d’expression de la diplomatie parlementaire. Tout d’abord parce qu’elle permet à des parlementaires de 47 États membres de discuter de manière informelle, même quand de lourds différents les séparent, ainsi les Chypriotes grecs et les Turcs. L’exercice atteint parfois ses limites lorsqu’il concerne les États du Caucase. Cette diplomatie parlementaire s’est traduite notamment par l’octroi du statut de "Partenaire pour la démocratie" au Parlement marocain, au Conseil national palestinien, et aux Parlements de Jordanie et du Kirghiztan. Le simple fait de participer à la vie parlementaire de l’APCE ne peut qu’encourager à aller vers plus de démocratie.

 

LE CONSEIL DE L’EUROPE PEUT REDONNER

TOUT SON SENS À L’IDÉE EUROPÉENNE

Alors que l’idée européenne ne cesse de reculer dans l’opinion, le Conseil de l’Europe peut redonner un sens à l’idée fondamentale, celle d’un destin commun des peuples de ce continent, de l’Atlantique à l’Oural, tant il est vrai que l’Union européenne, de par ses lourdes responsabilités économiques et financières, a parfois perdu de vue les valeurs qui la fondent.

La défense des droits de l’Homme et la promotion de la démocratie et de l’État de droit, valeurs qui sont au centre de l’action du Conseil de l’Europe ne sont-elles pas à l’origine de la construction européenne, alors que l’Europe, engluée dans une crise économique et monétaire dont elle ne voit pas la fin, semble les avoir reléguées au second plan ? N’est-ce pas, d’ailleurs, à ce titre, que le Conseil de l’Europe apparaît être ce supplément d’âme dont l’Europe a besoin pour redonner du sens à un projet dont les peuples européens se détachent ?

Le choix d’établir une Charte des Droits fondamentaux au fronton des traités européens a été en quelque sorte une première réponse à ce déficit de sens dont souffre actuellement l’Union européenne. Ces valeurs se trouvaient déjà, néanmoins, au cœur de la construction de l’Europe des droits de l’Homme, gravées dans le marbre de la Convention européenne des Droits de l’Homme, dont la Cour européenne des droits de l’Homme assure le respect.

Aussi la future adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme, rendue juridiquement possible par la ratification du Traité de Lisbonne, ne marque-t-elle pas, dès lors, le début d’une nouvelle ère, porteuse pour le citoyen européen d’un meilleur respect de ses droits ?

 

« L’adhésion de l’UE à la Convention européenne

des droits de l’Homme ne serait-elle pas l’achèvement

de la construction de l’Europe de la paix, de la prospérité

et de la protection des droits de l’Homme ? »

 

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ne sont-ils pas en effet, les deux fils d’un même rêve de prospérité, de solidarité et d’humanité ? Le rêve des pères de l’Europe n’est-il pas, enfin, en train de prendre corps sous nos yeux ? L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme ne serait-elle pas, en effet, l’achèvement de la construction de cette Europe de la paix, de la prospérité et de la protection des droits de l’Homme dont les pères fondateurs osaient à peine caresser la réalisation de leurs vœux ?

 

VERS UNE UNION PLUS ÉTENDUE ENTRE L’EUROPE DE

L’ÉCONOMIE ET L’EUROPE DES DROITS DE L’HOMME

Le Conseil de l’Europe est plus que jamais indispensable à l’Union européenne car il est bien l’incarnation du sens du projet européen dont elle a cruellement besoin pour répondre à la désaffection actuelle des peuples à son endroit.

Nous pourrions avoir la chance irremplaçable, grâce au processus d’adhésion, de renforcer nos liens avec le Parlement européen. Cette adhésion ne sera pas sans embûches. Les difficultés techniques, en particulier, le risque de jurisprudence divergente des deux cours, celle de Luxembourg et celle de Strasbourg, ne sont souvent que la face cachée d’une mauvaise grâce politique qu’il faudra lever.

L’optimisme doit être de mise. La construction de l’Europe du droit et le projet communautaire ont nécessité une forte dose de propension à l’idéal sans laquelle les deux organisations que sont le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ne seraient pas nées. Ce ne sont pas ces quelques obstacles qui sauraient nous faire reculer maintenant que la voie se dessine vers une possible union plus étroite entre l’Europe économique et celle des droits de l’Homme.

La coopération entre ces deux institutions, renforcée par ces synergies nouvelles, ne saurait, néanmoins, se limiter à la construction d’une Europe du droit renforcée.

Le Conseil de l’Europe a clairement établi une politique de coopération envers toutes les démocraties émergentes. Coopération qui ne se limite pas au nouveau statut de "partenaire pour la démocratie", mais également à la possibilité d’adhérer à des organes du Conseil de l’Europe tels que la Commission de Venise dont la mission est d’assurer un conseil en matière constitutionnelle. L’Union européenne pourrait bénéfiquement profiter de cette nouvelle politique de voisinage.

La question du droit des femmes n’est-elle pas une question fondamentale pour nos démocraties ? À ce titre, ne paraît-il pas opportun de développer des partenariats pour que l’égalité entre les femmes et les hommes soit partout effective ? Favoriser la démocratie dans son voisinage immédiat ne peut en tout cas que constituer une priorité pour l’Europe.

Malgré une réussite apparente, la protection des droits de l’Homme reste plus que jamais d’actualité. Les difficultés engendrées par la crise économique et financière ne se manifestent pas uniquement à travers les sirènes du nationalisme et du protectionnisme mais également parfois par un recul de la protection de ces droits élémentaires.

 

MA PRÉSIDENCE DE L’ASSEMBLÉE

PARLEMENTAIRE (2012 - 2014)

 

Dés mon élection, le 23 janvier 2012, j’ai indiqué que mon action s’articulerait autour de trois grands axes :

  • Donner toute sa place à notre assemblée parlementaire dans l’architecture européenne et internationale, en particulier en s’appliquant à ce que l’APCE et l’Union Européenne aient de vraies relations fondées sur le souci de réaliser des objectifs communs et en resserrant les liens avec les organisations parlementaires régionales.

  • Contribuer à créer un climat de confiance en Europe qui soit propice à la résolution des situations de crise, des conflits gelés et plus généralement au développement de relations constructives entre les États membres du Conseil de l’Europe. La diplomatie parlementaire est le meilleur instrument dont dispose l’APCE pour atteindre ces objectifs.

  • Rendre l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe plus "collective", plus participative et plus visible.

 
Le bilan de mon action s’inscrit donc autour de ces trois axes majeurs.
 

I - DONNER TOUTE SA PLACE À L’APCE SUR LE CONTINENT

EUROPÉEN ET DANS L’ARCHITECTURE INTERNATIONALE.

Donner toute sa place à l’APCE dans l’architecture européenne et internationale, c’est avant toute chose promouvoir nos outils auprès de nos partenaires internationaux, par exemple la Commission de Venise, afin de dégager des synergies et lancer des initiatives communes pour répondre aux défis auxquels l’Europe des 47 doit faire face.

Naturellement, je me suis concentré en premier lieu sur le développement de vraies relations de partenariat avec l’Union européenne, basées sur la complémentarité et l’harmonisation de nos positions politiques sur les dossiers clés. En même temps, je me suis efforcé de resserrer les liens de coopération avec les organisations internationales, notamment celles à vocation régionale.

Parallèlement, j’ai souhaité nouer des contacts solides et réguliers avec les 0rganisations non-gouvernementales internationales en général, et en particulier Human Rights Watch et Amnesty International.

 

AVOIR DE VRAIES RELATIONS AVEC L’UNION EUROPÉENNE

À l’occasion de mes nombreuses rencontres avec le président du Parlement européen, les présidents des groupes politiques, le président de la commission des Affaires étrangères, ainsi que les présidents des délégations nationales du Parlement européen, mon objectif était de comprendre la vision de nos collègues du Parlement européen, afin de mieux l’intégrer dans l’approche paneuropéenne de la coopération qui est celle du Conseil de l’Europe, et préparer au mieux mes visites sur le terrain dans nos 47 États membres.

J’ai aussi développé une relation de partenariat avec la Commission européenne, et plus particulièrement avec le commissaire européen en charge de la politique de voisinage et de l’élargissement.

 

DÉVELOPPER DES RELATIONS DE COOPÉRATION

AVEC LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES

AVEC L’ONU

J’ai rencontré à trois reprises, à New-York et à Strasbourg, le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-Moon. Nous avons, à ces occasions, exprimé notre attachement à l’existence d’un partenariat fort entre le Conseil de l’Europe et les organes de l’ONU dans la protection et la promotion des droits de l’Homme universels, dans la gestion des crises et dans la recherche de la paix, en particulier sur les conflits gelés. Nous avons également souligné tous deux notre attachement à la défense des droits des femmes, sujet également abordé avec Mme Michelle Bachelet, secrétaire générale adjointe des Nations Unies chargée de l’égalité et de l’autonomisation des femmes.

 

JC Mignon avec Ban Ki-moon

 

Lors de chaque rencontre avec le secrétaire général des Nations unies, j’ai fait la promotion des campagnes du Conseil de l’Europe, à savoir la campagne "UN sur CINQ" du Conseil de l’Europe pour combattre la violence sexuelle à l’égard des enfants, ou encore la dimension parlementaire de la campagne visant à combattre la violence à l’égard des femmes. Mes interlocuteurs onusiens étaient unanimes pour saluer l’APCE comme un allié important dans la promotion de nos valeurs communes.

J’ai prôné une coopération renforcée sur des sujets d’intérêts communs et la recherche de synergies, afin de renforcer l’impact de nos organisations sur le terrain.

J’ai particulièrement salué la procédure d’examen périodique universel du respect des droits de l’Homme de l’ensemble des États membres des Nations Unies, conduite par le Conseil des droits de l’Homme, et souligné la nécessité d’une plus grande complémentarité entre les différentes procédures de suivi du Conseil de l’Europe et des Nations unies. Ces procédures existantes au niveau des Nations unies ont ainsi pu être adaptées et mise en place dans le cadre des procédures de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

J’ai également soutenu la proposition du haut-commissaire aux droits de l’Homme de créer une base de données communes, afin de "mutualiser" la jurisprudence en matière de droits de l’Homme des institutions des Nations Unies et du Conseil de l’Europe, ceci pour renforcer notre coopération afin d’assurer une meilleure cohérence d’approche entre les organes de monitoring thématiques du Conseil de l’Europe et des Nations unies.

 
AVEC L’ORGANISATION POUR LA SÉCURITÉ ET LA COOPÉRATION EN EUROPE (OSCE)

À l’occasion de la 21ème session annuelle de l’assemblée parlementaire de l’OSCE, j’ai eu l’occasion d’insister sur l’évidente complémentarité des deux assemblées en ce qui concerne l’observation des élections et la résolution des conflits gelés.

J’ai aussi invité nos partenaires à rechercher des synergies communes pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés dans la région du voisinage sud : la situation des réfugiés, nombreux, qui arrivent dans des conditions très précaires sur les côtes de la Méditerranée, les conséquences de la guerre en Syrie, les transformations démocratiques dans le sud de la Méditerranée et le Proche-Orient.

 

AVEC L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DE LA COMMUNAUTÉ DES ÉTATS INDÉPENDANTS (CEI)

Pour la première fois, un président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a rencontré le bureau de l’Assemblée interparlementaire (AIP) de la CEI, composé des présidents des parlements membres, à l’occasion de sa session plénière qui s’est tenue à Saint-Pétersbourg du 10 au 12 avril 2013.

À cette occasion j’ai participé à une conférence organisée par l’APCE et l’AIP de la CEI sur le thème "Le rôle des organisations parlementaires dans la construction d’une Europe sans clivages".

J’ai tenu une rencontre bilatérale avec Mme Valentina Matvienko, présidente du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie et, également présidente de l’AIP-CEI, notamment pour discuter des différents aspects de la coopération entre l’APCE et le Conseil de la Fédération. Dans une déclaration faite conjointement avec Mme Valentina Matvienko à l’issue de la conférence, nous avons salué la coopération entre nos deux assemblées parlementaires, qui constitue un excellent exemple de diplomatie parlementaire. Parmi d’autres choses, nous avons également salué le fait que des consultations régulières soient désormais organisées entre les chefs des missions d’observation des élections de l’AIP-CEI et de l’APCE pour permettre des échanges de vues sur la campagne électorale et sur le déroulement du processus électoral.

En marge de la conférence, j’ai pu avoir des réunions bilatérales avec les présidents des parlements du Kirghizistan et du Kazakhstan, afin de faire le point sur l’état de la coopération avec ces deux parlements. J’ai également eu une réunion informelle avec la délégation du parlement du Bélarus qui participait à la conférence conjointe. J’ai souligné l’importance d’un dialogue, tout en précisant que tout avancement sur ce chemin n’était possible que si les autorités du Bélarus s’engageaient à respecter nos valeurs et nos standards.

Première retombée concrète de cette rencontre informelle : l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a été invitée à participer à Minsk à une réunion sur le thème "Religion et peine de mort".

 

AVEC LE CONSEIL NORDIQUE

À Oslo, le 4 avril 2013, j’ai eu un premier contact avec la présidente du Conseil nordique afin d’engager des actions concrètes pour dynamiser notre coopération.

Nous avons évoqué l’extrême importance du changement climatique du point de vue de l’environnement et de l’économie mondiale. Ainsi, l’ouverture à la navigation du passage du Nord-Est est de nature à réduire considérablement les temps de transport et donc à bouleverser l’économie mondiale. De même, il est évident que l’Artique est une région potentiellement extrêmement riche en ressources naturelles et que l’impact de leur exploitation sur l’environnement peut être fondamental. Sur toutes ces questions, le Conseil nordique possède une expertise de première main, très utile pour l’APCE dans ses travaux sur la question du changement climatique et du développement durable.

 

AVEC L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DE LA COOPÉRATION ÉCONOMIQUE DE LA MER NOIRE

A l’occasion de sa 41ème assemblée générale à Sofia, j’ai pu intervenir devant cette assemblée parlementaire et mettre l’accent sur l’intérêt d’une coopération entre nos deux assemblées, ainsi que sur la coopération dans le domaine culturel, ou la résolution des conflits gelés.

 

II - UNE DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE ACTIVE

À l’origine, en 1949, le Conseil de l’Europe avait été créé pour assurer la paix sur notre continent, pour que les horreurs de la Seconde Guerre mondiale ne se reproduisent plus jamais. Il me semble donc qu’essayer d’apporter notre contribution à la résolution des conflits gelés - en appui de la diplomatie intergouvernementale et en concertation étroite avec celle-ci - relève de l’essence même de notre mission.

En même temps, une des missions principales du Conseil de l’Europe et de son assemblée est d’apporter à nos États membres un soutien et une expertise précieuse dans le processus de mise en œuvre des standards qui sont les nôtres, tout particulièrement au moment où nos États membres doivent faire face à des situations institutionnelles et politiques compliquées. Par conséquent, il est de notre devoir d’essayer, par la voie du dialogue, de trouver ensemble avec les autorités, ainsi qu’avec toutes les forces politiques, les solutions les plus adaptées au contexte local. C’est ce que j’ai essayé de faire à l’occasion de mes nombreux déplacements sur le terrain, souvent avec la précieuse assistance de mes collègues présidents des groupes politiques et rapporteurs de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Par ailleurs, je me suis efforcé de poursuivre et valoriser les travaux de l’APCE dans la région de notre voisinage Sud de la Méditerranée et au Proche-Orient, afin de promouvoir un engagement politique avec les États concernés et apporter un soutien à tous ceux qui partagent les valeurs qui sont les nôtres et aspirent à adhérer aux standards développés au sein du Conseil de l’Europe.

De manière générale, au-delà de toute situation critique, je me suis efforcé d’entretenir un dialogue régulier avec tous les États membres et de poursuivre la politique de voisinage dynamique de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

 

LES CONFLITS GELÉS

Alors que le Conseil de l’Europe a été fondé pour garantir la paix et les droits de l’Homme en Europe, alors que le mur de Berlin est tombé en 1989, il m’est insupportable que des situations aussi inacceptables perdurent dans une relative indifférence...

 

LA TRANSNISTRIE

Je me suis rendu à trois reprises à Chisinau et à Tiraspol, en avril et décembre 2012, ainsi qu’en septembre 2013. Lors de mes déplacements, j’ai fait en sorte de rencontrer les autorités de facto de cette région de Transnistrie. À chaque reprise, mon souci a été, sans interférer d’aucune manière avec les travaux du groupe "5 + 2", de faciliter par la diplomatie parlementaire le développement des relations entre les deux parties. C’est pour cette raison que mes déplacements en Transnistrie ont été organisés dans le cadre de mes visites de travail en République de Moldavie, lors desquelles j’ai rencontré à Chisinau les autorités du Pays, les représentants de toutes les forces politiques, la Mission de l’OSCE ainsi que les représentants de la communauté internationale.

Mon objectif était de contribuer à relancer un dialogue entre les élus des deux rives du Dniestr, en utilisant la plateforme de l’APCE. Mes discussions m’ont convaincu qu’il y avait une opportunité devant nous, notamment, grâce aux efforts de la présidence ukrainienne de l’OSCE.

 

LE CONFLIT DU HAUT-KARABAKH

Je me suis naturellement attaché à apporter ma contribution à la résolution de ce conflit en organisant tout d’abord, sous mon égide, des rencontres régulières entre les présidents des délégations azérie et arménienne. Lors de la session de juin 2013, j’ai pu, pour la première fois depuis l’adhésion de leurs pays au Conseil de l’Europe, réunir les deux délégations parlementaires.

Je tiens à féliciter tout particulièrement les deux présidents des délégations concernées, ainsi que tous les membres de leurs délégations respectives, de leur attitude constructive et de leur ouverture au dialogue. Bien évidemment, de nombreux désaccords existaient encore entre les délégations et certaines questions sensibles suscitaient beaucoup d’émotion. Cependant, le fait que les membres des deux délégations aient accepté d’évoquer ces questions, de manière ouverte et courtoise, démontrait leur souhait d’avancer malgré les divergences d’opinions.

La principale conclusion de cette rencontre : l’accord des deux délégations de se rencontrer de nouveau en marge des prochaines parties de session de l’APCE. Ainsi notre assemblée aurait pu apporter sa contribution au rétablissement du climat de confiance et de dialogue entre les élus d’Arménie et d’Azerbaïdjan, nécessaires pour avancer dans la recherche d’une solution pacifique au conflit du Haut-Karabakh...

Par ailleurs, je me suis rendu en Arménie et en Azerbaïdjan en mai 2013. À cette occasion, j’ai rappelé à tous mes interlocuteurs que la présidence arménienne du Comité des ministres du Conseil de l’Europe (16 mai - 14 novembre 2013), suivie en mai 2014, de la présidence azérie, devait représenter une chance pour la paix entre ces deux États membres. L’année 2013 marquant en outre le cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée, qui a scellé la réconciliation entre l’Allemagne et la France, exemple à suivre pour ces deux pays du Caucase du sud...

J’avais bien précisé qu’il n’entrait aucunement dans mes intentions de concurrencer de quelque manière que ce soit le groupe de Minsk de l’OSCE, avec qui j’entretenais un contact régulier, mais simplement d’accompagner son action au niveau parlementaire.

 

« Je reste convaincu qu’avec de la persévérance

et en privilégiant le dialogue, nous aurions pu trouver

une solution pacifique au conflit dramatiquement

meurtrier du Haut-Karabagh. »

 

J’ai quitté mes fonctions de président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 27 janvier 2014, avec beaucoup de regrets, estimant qu’une période de deux années est beaucoup trop brève pour mettre en place une politique dynamique et active à la tête d’une telle organisation. Je reste convaincu qu’avec de la persévérance et en privilégiant le dialogue, nous aurions pu trouver une solution pacifique à ce conflit dramatiquement meurtrier.

Il est vraiment regrettable qu’au terme de leurs mandats les anciens présidents de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne puissent plus poursuivre leurs actions auprès de leurs successeurs. Un secrétaire général du Conseil de l’Europe et un secrétaire général de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne sont pas limités en nombre de mandats successifs qu’ils peuvent exercés, contrairement aux Élus qui ne sont pas autorisés à assumer plus de deux années la présidence de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe !

 

LA GEORGIE

Je me suis rendu en Géorgie en mai 2013. Là également, j’ai appelé de mes vœux une résolution pacifique des conflits d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, en mettant l’accent sur les conséquences humanitaires, en particulier les personnes déplacées, compétence première de l’APCE.

 

UNE ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE RÉACTIVE

Même si l’APCE ne se réunit en séance plénière que quatre fois par an, l’actualité exige des réponses immédiates. Il est donc important que les organes de cette assemblée, président, comité présidentiel, bureau, puissent réagir aux situations institutionnelles et politiques difficiles dans nos États membres, afin de leur apporter le soutien politique approprié et de s’assurer que les standards de notre organisation soient respectés. Je mentionne ci-après quelques exemples de réactions rapides de notre assemblée à des développements politiques dans nos États membres qui ont eu lieu au cours des deux années durant lesquelles j’ai présidé l’APCE :

- La crise politique en Roumanie de 2012

- La Grèce et la difficile et douloureuse question des migrants et des réfugiés

- L’Ukraine et l’indépendance de la justice

- La Serbie et le Kosovo

- L’ex-république yougoslave de Macédoine aujourd’hui enfin dotée d’un nom : la Macédoine du Nord

- La Bulgarie et les indispensables réformes nécessaires

 

POURSUIVRE UNE POLITIQUE DE VOISINAGE DYNAMIQUE

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a déjà accordé le statut de "partenaire pour la démocratie" au parlement du royaume du Maroc, au Conseil national de la Palestine, et aux parlements de la Jordanie et du Kirghizstan. Le Canada, Israël, le Mexique et le Vatican ont le statut d’observateurs. Cela démontre l’intérêt que nos voisins, et bien au-delà, portent à nos standards. Le Conseil de l’Europe et son assemblée doivent continuer une politique d’ouverture et d’engagement dans nos régions de voisinage afin de répondre de façon adéquate aux défis du XXIème siècle.

Dans ce contexte, j’ai effectué une visite officielle en Tunisie, du 28 au 31 octobre 2012, conjointement avec le président du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et le président de la Commission de Venise. Suite à ma visite, le président de l’Assemblée constituante de Tunisie est venu à Strasbourg s’exprimer devant notre Assemblée.

J’ai également effectué une visite officielle au Maroc du 5 au 7 décembre 2012. Lors des rencontres avec les présidents des deux chambres, j’ai salué la coopération exemplaire du parlement marocain et de l’APCE. Nous avons aussi discuté de l’éventuelle contribution de l’APCE à la résolution du conflit du Sahara occidental.

J’ai effectué une visite officielle en Algérie du 17 au 19 juin 2013. J’ai notamment invité mes interlocuteurs à intensifier leurs relations avec les différents organes du Conseil de l’Europe et à réfléchir à l’intérêt que pourrait présenter pour eux le statut de "partenaire pour la démocratie". J’ai salué l’engagement de l’Algérie en faveur de l’égalité des sexes. Nous avons également abordé la situation en Syrie, en Libye ainsi qu’au Sahara occidental.

Dans un contexte plus général, c’est avec une conscience aiguë de l’importance de ce qui se passe au sud de la Méditerranée, qui nous concerne tous, que j’ai soutenu cette politique de voisinage et ai notamment participé, en novembre 2013, au Forum de Lisbonne organisé par le Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe. À cette occasion, j’ai souligné notre rôle en tant que représentants de la plus ancienne organisation paneuropéenne, et rappelé que nous avions vocation à mettre notre expertise au service des États du sud de la Méditerranée, en prenant en compte les spécificités de chacun.

Par ailleurs, je suis convaincu que la politique de voisinage du Conseil de l’Europe ne doit pas se limiter au sud de la Méditerranée. Je pense en particulier à nos relations avec nos partenaires à l’Est.

En janvier 2013, c’est dans cet esprit que j’ai eu une rencontre de travail très fructueuse avec M. l’ambassadeur de Chine en France pour évoquer de possibles rapprochements entre l’Assemblée nationale populaire de la Chine et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe comme je l’avais déjà préconisé dans un Rapport que j’avais présenté en 2008.

 

« Notre organisation compte aujourd’hui parmi

ses membres tous les États européens, sauf un : le Bélarus.

Je suis convaincu que le Bélarus a vocation à faire partie

de notre projet paneuropéen. »

 

Notre organisation compte aujourd’hui parmi ses membres tous les États européens, sauf un : le Bélarus. Je suis convaincu que le Bélarus est un État européen qui a vocation à faire partie de notre projet paneuropéen. Par conséquent il est essentiel de dialoguer avec le Bélarus, en posant clairement nos exigences en termes de droits de l’Homme et de démocratie.

J’ai rencontré à plusieurs reprises le vice-président du parlement du Bélarus, ainsi que les parlementaires biélorusses participant aux réunions de la commission des affaires politiques et de la démocratie de l’APCE. Mon objectif était de persuader les autorités de s’engager sur la voie du rapprochement avec le Conseil de l’Europe, en prenant des mesures concrètes, comme par exemple la mise en place d’un moratoire sur la peine de mort et de coopérer pleinement avec l’APCE.

Compte tenu de l’importance des droits de l’Homme pour le Conseil de l’Europe et le Vatican, le Saint-Siège étant d’ailleurs observateur auprès de l’Organisation, il m’a semblé aller de soi d’essayer de renforcer les liens entre nous, afin de partager en particulier nos réflexions sur ces problématiques.

Je me réjouis de l’audience privée que le pape François m’a accordée le 11 octobre 2013 à Rome. À cette occasion, j’ai beaucoup insisté sur l’humanisme et les droits de l’Homme. Nous avons également abordé la question de la situation des migrants et des réfugiés. J’ai aussi invité le Saint-Père à venir s’exprimer devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ce qu’il fit le 25 novembre 2014.

 

JC Mignon et le pape

 

RENFORCER LA COOPÉRATION AVEC TOUS LES ÉTATS MEMBRES

Même si j’ai privilégié certaines destinations en fonction de mes priorités, je me suis efforcé de me rendre dans pratiquement tous les États membres du Conseil de l’Europe.

Le 22 janvier 2018, le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, M. Michele Nicoletti, m’a officiellement remis mon diplôme de président honoraire de cette assemblée.

 

CONCLUSION

 
En conclusion, je dirai que beaucoup d’initiatives ont été engagées durant mon mandat et que certaines ont porté leurs fruits. Je pense en particulier aux mesures tendant à associer plus étroitement les parlementaires au fonctionnement de leur assemblée, car celle-ci est bien LEUR assemblée, ainsi qu’aux efforts déployés en vue de la participation plus étroite des présidents de commission et des présidents de délégation nationale au processus de décision. Il est impératif de poursuivre dans ce sens.

En même temps, j’ai la conviction qu’ensemble - rapporteurs, leaders des groupes politiques et présidents des commissions, ainsi que chaque membre de l’APCE - nous sommes parvenus à rendre notre assemblée plus présente et plus pertinente en termes politiques sur le terrain, en réponse à de nombreux défis auxquels notre organisation est confrontée : le renforcement de notre système paneuropéen de protection des droits de l’Homme, la situation des migrants et des réfugiés, les situations institutionnelles et politiques sensibles auxquelles nos États membres doivent faire face.

Nos relations avec l’Union européenne demeurent à la fois un sujet de satisfaction et d’insatisfaction : des progrès ont été enregistrés, en particulier avec le commissaire européen pour le voisinage. Néanmoins il reste beaucoup à faire, afin de créer des véritables synergies entre les projets du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Je suis persuadé que les fondements de ce processus ont été posés et j’espère que la poursuite de ce rapprochement conduira, au fur et à mesure, les deux grandes organisations européennes à coopérer efficacement pour la réalisation de leurs objectifs communs au niveau paneuropéen.

S’agissant des conflits gelés, ma préoccupation constante a été de renouer le dialogue entre les différentes parties. Durant ces deux années nous avons réussi à favoriser la confiance mutuelle entre les différentes parties et de ce point de vue je suis certain que nous réaliserons d’autres avancées.. Même s’il est évident que nous souhaitons tous des progrès rapides, nous savons pertinemment qu’il faut donner du temps au temps afin d’avancer pas à pas.

Je suis convaincu que nous avons emprunté la bonne voie.

  

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9 janvier 2021

François Delpla : « Bormann fut un facteur d'unité et non de division au sein du pouvoir hitlérien »

L’historien François Delpla, spécialiste de Hitler et du nazisme, commence à être bien connu des lecteurs de Paroles d’Actu, pour avoir répondu à plusieurs reprises à mes questions et, ce faisant, enrichi mes connaissances (et je l’espère, celles d’autres) sur l’âge sombre et le temps complexe de l’Allemagne du Troisième Reich (1933-1945). Les lectures qu’il défend des évènements, s’agissant du rôle que tenait le Führer au coeur du dispositif décisionnel du régime, ou encore de la planification plus ou moins précoce de l’extérmination des Juifs d’Europe (la sinistre Solution finale, ou Endlösung), ne font pas l’unanimité, et cela est sain : ces discussions s’inscrivent dans le cadre de débats riches et constructifs entre historiens, sur la base de recherches qui font avancer le savoir collectif sur un passé compliqué. Cet entretien, réalisé entre la toute fin de décembre, et début janvier, tourne principalement autour de l’ouvrage le plus récent de M. Delpla, Martin Bormann : Homme de confiance d’Hitler (Nouveau Monde, octobre 2020). Je vous en souhaite bonne lecture, et que cela apporte des pièces pour nourrir davantage encore les débats ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

François Delpla: « Bormann fut un facteur d’unité

et non de division au sein du pouvoir hitlérien... »

Martin Bormann

Martin Bormann : Homme de confiance d’Hitler (Nouveau Monde, octobre 2020).

 

Bonjour François Delpla. Comme son sous-titre le laisse deviner, dans votre récent ouvrage Martin Bormann : Homme de confiance d’Hitler (Nouveau Monde, octobre 2020), vous balayez par la démonstration la thèse dépeignant Martin Bormann - qui à la fin du régime était le patron du parti nazi et secrétaire particulier du Führer - comme le "mauvais génie" de Hitler pour le rétablir à sa place de serviteur dévoué d’un maître toujours aux commandes.

Pourquoi était-il nécessaire à vos yeux de rétablir cette vérité sur Bormann, et qu’est-ce qui pour vous la rend inattaquable ?

la vérité sur Bormann

Martin Bormann a été odieusement calomnié. Je mesure ce que cette affirmation peut avoir d’étrange, et Paroles d’Actu devra s’attendre à deux ou trois protestations indignées. Mais justement. Il est temps d’en finir avec une facilité qui vient de fêter ses cent ans  : sur le nazisme et ses principaux dirigeants on peut tout dire, du moment que c’est péjoratif. Tant qu’on en reste là, l’histoire patiente à la porte. Elle a le droit et le devoir de dire que Bormann a été calomnié, et l’a été odieusement, si c’est vrai. Mais je vous rassure tout de suite. C’était tout de même un fieffé criminel.

Après de solides études d’histoire avec quelques-uns des meilleurs maîtres, j’ai pris le chemin, c’est le cas de le dire, des écoliers et n’ai replongé dans la marmite de la recherche que vers 1990 en répudiant, au contact des papiers du général Doumenc (troisième personnage de l’armée française pendant le premier semestre de 1940), les explications «  franco-françaises  » de la défaite.

J’ai troqué celles-ci (qui ont encore occupé le devant de la scène, et même le milieu et le derrière, en 2020) au profit d’un examen de la stratégie allemande, et du constat de son caractère peu résistible. Ce qui m’a amené tout doucement, de livre en livre, en presque une décennie, à la découverte des qualités de chef de Hitler et de son intelligence - sans perdre de vue les délires auxquels il s’abandonnait.

En me lançant, à l’initiative de mon éditeur, dans la biographie de Bormann, j’ai découvert, à ma surprise, qu’il y avait là un verrou et qu’en le débarrassant de la rouille pour faire jouer le mécanisme on pouvait et comprendre, et abolir, une cause majeure du retard de l’humanité à percevoir son plus grand trublion du XXème siècle comme le contraire d’un médiocre.

Au départ, une réalité que cette recherche ne remet pas en cause  : Bormann, qui était avec Hitler lui-même l’un des rares dirigeants nazis issus du système scolaire sans le moindre diplôme et sans avoir jamais franchi la porte d’une université, avait fait carrière dans l’appareil nazi depuis les emplois les plus humbles - coursier et secrétaire dactylographe - jusqu’à devenir dans bien des domaines le bras droit du chef de l’État et une sorte de premier ministre de fait. Ce que je conteste, c’est qu’il ait été animé d’une soif inextinguible de pouvoir, et qu’il ait calomnié sans cesse et sans vergogne aux oreilles de Hitler les autres dirigeants, pour prendre leur place ou au moins leur chiper des missions. Or c’est cette image-là qui avait prévalu au lendemain de la guerre, du fait des survivants de cet appareil auxquels on demandait des comptes.

 

« À Nuremberg, les accusés eurent soin d’épargner

au maximum le Führer, pour ne pas s’accabler eux-mêmes

d’avoir cru en ce chef. Cela conduisait mécaniquement

à charger la barque dautres et notamment Bormann. »

 

Les juges de Nuremberg et d’ailleurs avaient bien du mal à voir clair dans les arcanes du gouvernement du Troisième Reich et d’ailleurs ne s’en souciaient guère, puisque leur mission consistait avant tout à établir des fautes individuelles. «  L’accusé a-t-il prêté la main à telle exaction  ?  » était la question principale, bien plus que le mécanisme ayant conduit à la commettre. Dans le box, sur 22 accusés présents, seuls Göring et Keitel avaient fréquenté de près le centre du pouvoir (si on met à part le quasi-mutique Rudolf Hess) et tous profitaient de la mort, confirmée ou non, de Hitler, de Goebbels, de Himmler et de Bormann pour charger ces quatre personnes du poids de leurs propres fautes. Tous avaient soin cependant, au sein de ce quatuor, d’épargner au maximum le Führer, pour ne pas s’accabler eux-mêmes d’avoir cru en ce chef. Cela conduisait mécaniquement à charger la barque des trois autres.

Cependant, si beaucoup d’actes et de propos de Himmler et de Goebbels avaient été en pleine lumière et si leurs pouvoirs, à la tête respectivement des SS et de la propagande, étaient clairement délimités, le cas de Bormann était bien différent. Aucun média nazi n’avait jamais mis son rôle en exergue, son visage même était peu connu et tout restait à découvrir. Officiellement il était le second de Hess à la tête du Parti nazi depuis 1933 puis son successeur à partir du 12 mai 1941, avant de recevoir en sus le titre de «  secrétaire du Führer  » le 12 avril 1943. Or le rôle du Parti était mal connu, son fonctionnement plus encore et le fait que Hitler se dote sur la fin d’un secrétaire restait à expliquer. Tout ce flou était propice à des légendes. Celle d’un Bormann arriviste, rêvant même à la fin de succéder à son maître, se donna libre cours. Et plus encore celle d’un «  mauvais génie  », qui aurait inspiré et conduit les actions les plus abjectes du régime.

Hitler et Goebbels s’étaient suicidés. Le cyanure avait abrégé les jours de Himmler… et ceux de Bormann, dans une tentative peu convaincue de fuir Berlin en traversant les lignes soviétiques, mais les rares témoignages à ce sujet ne semblaient pas décisifs. On pouvait soupçonner les informateurs de protéger une fuite réussie. Et la réputation qu’on était en train de faire à Bormann s’ajustait à merveille avec l’idée d’une évasion soigneusement planifiée vers une sûre retraite, par exemple en Amérique latine. Là, le secrétaire aurait réellement succédé au Führer à la tête d’un «  Quatrième Reich  » intriguant pour reprendre le pouvoir en Allemagne. Des journalistes compétents comme William Stevenson et Ladislas Farago n’hésitaient pas à investir leur crédit dans des livres fourmillant de détails sur les refuges de ces nostalgiques, leurs menées et leurs espoirs.

Ces fables ne contribuaient pas médiocrement à faire apparaître le Troisième Reich comme une pétaudière de cadres préoccupés avant tout de leurs personnes et de leurs fiefs, sous un monarque distant, ne descendant de son Olympe bavarois que pour arbitrer les querelles, de préférence en faveur du plus cruel… et ici l’ambitieux et maléfique Bormann occupait naturellement le premier rang.

Pourquoi suis-je certain que rien de tout cela n’est vrai  ? Tout d’abord en raison de trente années, ou presque, d’observation des mécanismes de ce régime (tant au centre que dans nombre de périphéries), et de la personnalité de son chef. La concentration du projecteur sur Bormann ne fait que le confirmer  : si cet homme grimpe autant dans la hiérarchie, c’est qu’il se rend indispensable, non par les leviers qu’il prendrait en mains mais par une obéissance exacte à son maître, et par son aptitude à convertir en actes une parole qu’il recueille méthodiquement.

 

Comment qualifier la relation entre Hitler et Bormann, en fin de période (notamment par rapport à celle de Hitler avec Rudolf Hess, le prédécesseur de Bormann), et que dire des rapports entre les autres figures importantes du régime et Bormann  ?

Hitler, Bormann, et les autres...

Tout d’abord il faut dissiper la légende selon laquelle il aurait «  contrôlé l’accès au Führer  ». Hitler décidait lui-même de ses rencontres et n’aurait pas supporté qu’un subalterne en décidât pour lui. Il arrivait en revanche que, pour le protéger, Bormann fît mine de barrer sa porte, de sa propre initiative, à quelqu’un que Hitler ne voulait pas voir ou dont il souhaitait espacer les visites.

Il tout aussi erroné de croire qu’il calomniait ses collègues pour les discréditer dans l’esprit du chef et s’élever à leurs dépens. Il apparaît au contraire honnête dans ses rapports à ses supérieurs Hess et Hitler et, vis-à-vis de ses égaux, nanti d’un bon esprit d’équipe, ferme sur ses positions mais diplomate et disposé à faire des compromis, pour éviter que l’action ne s’enlise.

Grâce au miracle de la survie du journal de Goebbels et aux index de ses 29 volumes, on peut suivre en détail sa relation avec lui. Ils ne sont pas toujours d’accord, mais Goebbels, s’il a parfois des craintes, loue en définitive sa loyauté.

Ses rapports avec Himmler aussi semblent bons. Il est, comme lui, associé à Hitler pour des coups tordus et cela ne semble pas susciter de jalousies. Le bruit court, vers la fin, d’un soulèvement en préparation des SS contre le Parti (donc de Himmler contre Bormann) mais cela aussi semble un coup monté (notamment à l’adresse de l’étranger, aux yeux duquel le nazisme a toujours joué à se montrer divisé).

Quant à la relation de Hitler avec Bormann, elle ne cesse d’être celle d’un maître à un serviteur, qui attend docilement les ordres et accepte de ne pas tout savoir ni tout contrôler. De ce point de vue, le titre de «  secrétaire du Führer  », attribué en 1943, a pu induire en erreur, aussi bien des contemporains que des historiens. Il est destiné à renforcer l’autorité du messager qui transmet les ordres et les avis du chef, mais ne signifie nullement que le subordonné partage tous ses secrets.

 

Que retenez-vous, après cette étude sur Bormann et tous vos travaux, de la manière dont le pouvoir était organisé territorialement (notamment via les gauleiters), à quel degré de contrôle les agents locaux étaient-ils soumis par le gouvernement et le parti, et disposaient-ils de marges de manœuvre significatives ?

le Parti et les territoires

La question est complexe, et son historiographie encore très lacunaire. Le livre explore surtout la façon dont Hitler, via Bormann, dirigeait ses gauleiters (les chefs régionaux du Parti national-socialiste). Pour l’éclairer, il tire un grand parti du sort de deux d’entre eux, Joseph Wagner et Carl Röver. Ces «  vieux combattants  » (alte Kämpfer) connaissent une brusque disgrâce à six mois d’intervalle, lors de l’aggravation de la situation militaire causée par le piétinement en Russie et l’entrée en guerre, prévisible puis effective, des États-Unis.

Wagner, un cadre très en vue du nazisme, à la fois gauleiter de deux régions éloignées et titulaire de fonctions nationales, a le tort de rester catholique et de le laisser apparaître. Hitler le déchoit de ses fonctions devant les gauleiters assemblés à l’occasion des festivités des 8 et 9 novembre, date majeure du calendrier nazi, puis lui refuse la parole et le chasse de la réunion, où Bormann avait ouvert les hostilités en lisant une lettre de l’épouse de Wagner. Il finira assassiné dans les dernières semaines de la guerre.

Röver, lui, ne règne que sur son Gau de Weser-Ems, mais se pique de politologie et rédige un long mémoire prônant, pour faire face aux difficultés qui s’annoncent, une décentralisation du Parti… alors que Hitler, comme on vient de le voir, ne songe qu’à renforcer l’obéissance inconditionnelle à sa personne. Röver est brusquement invité par Bormann à se soigner et, amené quasiment de force dans un hôpital berlinois, décède au bout de deux jours des soins de Karl Brandt, le principal spécialiste du crime médical nazi, le 15 mai 1942.

Citons enfin la réunion du 24 février 1945, où les gauleiters sont convoqués à Berlin et s’y rendent tous, sauf deux dont les capitales sont cernées par l’Armée rouge, pour entendre des prêches jusqu’auboutistes de Bormann et surtout de Hitler.

 

Question liée à la précédente, un thème intéressant de votre livre : jusqu’à quel point les corps constitués dans l’Allemagne du Troisième Reich ont-ils été nazifiés ?

nazification, jusqu’à quel point ?

Sur cette question, le livre de Martin Broszat Der Staat Hitlers, publié en 1969 et abondamment réédité sans le moindre changement, y compris dans sa tardive traduction française (1985), continue d’orienter les esprits malgré ses limites, notamment sur le rôle de Bormann  ; cet ouvrage et beaucoup d’autres reposent sur le préjugé d’une «  polycratie  » nazie, un terme forgé par le politologue Franz Neumann, réfugié aux États-Unis, en 1942.

Guère moindre est l’influence d’un autre émigré, Ernst Fraenkel, qui avait fait paraître en 1941 The Dual State, aux États-Unis également. Neumann repère quatre centres de pouvoir (l’armée, l’administration, le patronat et les nazis) censés passer entre eux des contrats dans une relative anarchie. Fraenkel ne distingue que deux instances, l’État traditionnel qui conserve ses routines et le pouvoir nazi qui y niche comme un coucou en imposant de temps à autre ses lubies, notamment par l’intermédiaire des SS.

Les deux auteurs, et Broszat qui en quelque sorte les synthétise, tout en apportant force précisions grâce à sa connaissance des archives, sous-estiment le talent de Hitler et son jeu… qu’une concentration du regard sur son «  secrétaire  », avant comme après l’octroi officiel de ce titre, permet de mieux appréhender. La persistance de l’Etat traditionnel n’est qu’une apparence, et l’influence nazie s’y fait sentir immédiatement lors de la période de «  mise au pas  » (Gleichschaltung) du premier semestre 1933. Le Parti, dirigé par Hess que Bormann seconde à partir de juillet, et auquel il succède en mai 1941, joue un rôle essentiel dans l’activité législative, ce qui lui donne ses entrées dans tous les ministères. Bormann finit par y installer des fonctionnaires dépendant de lui seul, chargés de lui rendre compte de ce qui s’y passe et de transmettre ses consignes.

 

« Bormann a joué un rôle très actif dans une prise en main

beaucoup plus étroite des corps judiciaires par le Parti,

notamment à partir de l’enlisement à l’Est. »

 

Je développe l’exemple du ministère de la Justice, dont les magistrats jouissent d’une liberté relative, tout en devant appliquer les lois nouvelles, jusqu’au printemps de 1942. Cependant, un appareil parallèle est institué le 1er juillet 1934, soit au cours même de la peu légale Nuit des Longs couteaux, avec le «  tribunal du peuple  » (Volksgerichtshof), confié à des nazis endurcis, dont Otto Georg Thierack. Le ministre non nazi, Gürtner, décédé au début de 1941, n’était pas encore remplacé quand Hitler, désertant brièvement son quartier-général de la Wolfsschanze, vint à Berlin, le 26 avril 1942, pour annoncer au Reichstag son espoir de liquider en une campagne la résistance soviétique, dans un discours où les questions judiciaires tenaient une place prépondérante et qui précédait l’octroi par acclamations, à l’orateur, de «  pleins pouvoirs  » dans ce domaine. Le processus trouve son aboutissement à la fin de juillet quand Thierack vient à la Wolfsschanze recevoir des mains de Hitler la succession de Gürtner et de copieuses instructions, en un monologue que Bormann consigne pieusement. Le «  chef de la chancellerie du Parti  » (titre officiel de Bormann depuis la disparition de Hess) va dans les mois suivants seconder activement le nouveau ministre, en actionnant les rouages du Parti, dans une prise en main beaucoup plus étroite des corps judiciaires, en vue des jours difficiles qui s’annoncent. Je mets notamment en lumière l’Abgabeaktion, une opération lancée à la fin de 1942 et encore très peu connue. Elle consiste à transférer des délinquants de droit commun condamnés à de lourdes peines de prison dans le système concentrationnaire, pour les tuer «  par le travail  ». Bormann joue dans ce processus un rôle très actif, notamment par l’intermédiaire d’un de ses principaux collaborateurs, Herbert Klemm, qu’il a en quelque sorte prêté à Thierack, lequel en fait un secrétaire d’État.

 

Dans quelle mesure Martin Bormann s’est-il rendu objectivement indispensable du point de vue de Hitler et de l’État nazi, à partir de la guerre ?

Bormann, cheville ouvrière ?

Ce fut progressif. Il reste d’abord le second de Hess, tout en jouant sans doute un rôle spécifique dans le démarrage du programme d’euthanasie arrêté en octobre 1939, du fait de sa familiarité avec les médecins SS. Il accompagne aussi Hitler dans ses QG et sert là, probablement, d’interface avec Hess. Son rôle augmente après la campagne de France puisque, grâce à Churchill, la guerre ne s’arrête pas, au grand dam du Führer. On peut penser que Hess se spécialise dans la recherche d’une entente avec le Royaume-Uni, passant par le renversement de Winston, et notamment dans la préparation pratique de son vol vers l’Écosse. Même s’il sauve les apparences et si ses absences passent inaperçues, il délaisse au moins un peu ses fonctions dans le Parti. Mais l’ascension fulgurante de Bormann date bel et bien de son envol, puisque nous savons par Goebbels, gauleiter lui-même, que sa nomination comme successeur de Hess surprend, et qu’on pense qu’il aura du mal à s’imposer. S’il n’en est rien, le fait qu’il recueille les propos de Hitler presque au début de la campagne de Russie, soit six semaines après sa nomination, joue probablement un rôle fondamental. Il se présente comme le porte-voix du Führer, ce qui ne peut qu’enchanter ce dernier et rendre prudents les contradicteurs.

 

Un autre élément, aspect clé chez Bormann et son épouse Gerda : leur hostilité très vive envers les valeurs du christianisme, celui-ci passant pour une dégénérescence de la virilité occidentale telle que connue en Grèce ou dans la Rome antiques. Bormann semble plus obsédé par cette idée que par l’antisémitisme forcené de Hitler, et il sera très actif dans la mise en place de politiques totalement dénuées de compassion, notamment vous le rappelez lors de l’élimination des handicapés. Cela m’inspire deux questions :

Combien pesait l’anti-christianisme dans la doctrine de l’Allemagne nazie ?

anti-christianisme

Il pesait d’un poids énorme dans la doctrine d’une part (professant l’existence d’un dieu et d’un au-delà inconnaissables, qui se manifestaient essentiellement par l’aide de la Providence à l’entreprise hitlérienne  !) et dans les projets «  pour après la victoire  », où il se serait agi d’asphyxier financièrement les Églises pour laisser le christianisme vivoter jusqu’à son extinction naturelle. En attendant, on menait de front vaille que vaille deux politiques contradictoires  : retirer au clergé toute influence et ne pas provoquer frontalement les croyants, afin d’orienter toutes les énergies vers la réalisation des buts, en particulier militaires, du régime.

 

L’antisémistisme criminel des nazis (et notamment des hauts dignitaires) a-t-il été, pour une part significative, un suivisme envers les délires d’un chef réputé infaillible plutôt qu’une conviction largement partagée ?

antisémitisme

Le Juif vu comme un parasite nuisible infiltré dans l’humanité et n’ayant rien à voir avec elle, tel est le fantasme personnel au nom duquel Hitler a guidé des milliers de bras assassins et des millions de personnes qui contribuaient à acheminer leurs victimes. Les bourreaux et leurs pourvoyeurs pouvaient être antisémites ou non. Aucun n’aurait probablement eu de lui-même l’idée qu’il fallait purger entièrement la terre de ce prétendu fléau, mais Hitler et ses principaux collaborateurs dans ce secteur excellaient à enrôler des êtres en jouant sur leurs propres croyances. La confection de circuits où les gens participaient plus ou moins consciemment à une partie du processus de meurtre sans pouvoir aisément s’y dérober, ou sans même en avoir l’idée, était au moins aussi importante que l’endoctrinement.

 

Sans surprise quand on connaît vos travaux, vous présentez Hitler comme le maître du jeu, jusqu’à l’extrême fin de sa vie et du régime. Suprêmement habile, il aura su dominer les Hommes et provoquer les évènements, manier les signaux contradictoires et jouer des apparences de divisions pour mieux endormir les adversaires et les ennemis. Pour vous, fondamentalement, c’est vraiment l’avènement, et surtout le maintien au pouvoir de Churchill, le seul caillou (et quel caillou) dans les bottes dont il croyait être chaussé par la « Providence » ?

Churchill, l’obstacle décisif ?

Vous m’avez compris  ! Tout le monde convient que l’Allemagne souffrait en 1939 d’énormes lacunes, au point que le déclenchement par elle d’une guerre européenne était une téméraire folie, mais on se divise sur la suite. Pour la majorité des observateurs, comme on le constate tous les dix ans lors des anniversaires en chiffres ronds de 1940 et encore en cette année 2020, le triomphe de la Wehrmacht sur l’armée française résulte à la fois, en proportions variables selon les auteurs, des carences de la défense et de la chance insolente des assaillants. La solution esquissée par John Lukacs en 1990 - Hitler a formidablement bien joué et a failli gagner, ne se heurtant qu’à Churchill et à son aptitude à maintenir l’Angleterre en guerre jusqu’à ce que d’autres puissances se ressaisissent - n’est pas ignorée, mais reste beaucoup moins courue.

 

« Avant 1940, Hitler, dans une partie de poker

risquée, qui aurait pu réussir, a joué

de main de maître avec trois marionnettes,

Chamberlain, Daladier, puis Staline... »

 

Hitler, lorsqu’en 1938 il entame la dernière étape de sa marche à la guerre, joue avec deux marionnettes nommées respectivement Chamberlain et Daladier. Il les inquiète, mais les déroute suffisamment pour qu’elles estiment que la guerre n’est pas inévitable, et qu’il importe, pour l’éviter, de le calmer et de ne pas le provoquer, plutôt que de le dissuader par des préparatifs cohérents, notamment en matière diplomatique, et des avertissements concrets. C’est ainsi que Paris et Londres laissent échapper l’alliance soviétique, vainement prônée par Churchill, alors que Hitler fait de Staline sa troisième marionnette, en le neutralisant par un pacte quelques jours avant d’attaquer la Pologne. Ce faisant, il rend celle-ci indéfendable à partir de la seule frontière française – à moins qu’une réplique foudroyante s’abatte sur la ligne Siegfried ainsi qu’un orage de bombes sur la Ruhr  : Hitler en prend le risque en sachant qu’il est faible, tant il a empêché ses deux marionnettes occidentales de percevoir, et son intention ferme d’attaquer, et sa capacité de neutraliser au dernier moment le joueur soviétique. Il lui reste à faire croire, pendant la « drôle de guerre », que son inaction est le fruit d’un désarroi (devant le fait qu’à son amère surprise Londres et Paris lui aient déclaré la guerre), alors qu’elle s’explique par la préparation méticuleuse d’un coup d’assommoir contre la seule France, à travers le couloir du Benelux.

Au passage, j’exhume dans le livre une preuve qu’au début de 1939 Hitler avait évoqué devant Bormann la perspective d’une guerre européenne à l’automne. C’est un signe de la confiance qu’il lui faisait déjà, car il ne l’avait sans doute pas dit à beaucoup de dirigeants nazis.

 

Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas eu de concertation politique et militaire entre le Troisième Reich et l’Empire du Japon, au vu des conséquences, pour le sort final de l’Allemagne nazie, de l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Axe après Pearl Harbor ? Je suis votre raisonnement : la seule chance qu’avait Hitler de gagner la guerre après le maintien de Churchill, c’était de dominer rapidement le continent en abattant la puissance soviétique. Une Amérique déterminée dans la bataille, dès décembre 1941, c’était une lutte singulièrement compliquée...

Hitler et l’Empire du Japon

Dans l’été de 1941, Hitler, déjà mortellement angoissé par la maintien du Royaume-Uni dans la guerre, place tout son espoir et toute sa mise dans un effort pour vaincre l’Union soviétique avant l’hiver. Il a essayé, dans les semaines précédant et suivant le déclenchement de l’opération Barbarossa, de convaincre les Japonais d’attaquer l’URSS en Sibérie mais s’est heurté à un refus obstiné. Il doit se rabattre sur l’espoir que les Nippons contribuent à la chute de Churchill en lui prenant des bastions asiatiques comme Hong-Kong et Singapour. Il ne les pousse pas à s’en prendre aux États-Unis, surtout par un défi d’une grande importance psychologique (pour cabrer l’opinion américaine) et d’un faible rendement stratégique, comme un raid surprise sur Pearl Harbor. Mais ensuite le vin est tiré, il faut le boire et il peut encore nourrir l’espoir que le Japon donne assez de fil à retordre aux États-Unis pour retarder leurs débarquements à travers l’Atlantique.

 

Votre longue évocation du vol de Hess vers le Royaume-Uni, et avec lui, votre certitude d’un soutien (voire d’une initiative) de Hitler dans cette démarche et d’autres envers les ennemis occidentaux (jeu de Göring, lettre adressée soi-disant à De Gaulle par Himmler...) laisse penser que, maniant habilement la menace de l’anticommunisme, le gourou nazi était prêt à des compromis. Faut-il comprendre que finalement, il se préoccupait un peu de l’avenir et qu’il ne fallait pas prendre au pied de la lettre ses mots fameux selon lesquels, vaincu, le peuple allemand ne méritait pas de survivre ? Misait-il, comme vous le suggérez, sur une réémergence posthume des idéaux nationaux-socialistes ?

Hitler, la défaite et la postérité

Les deux postulats fous de Hitler sont sa vision raciale de l’histoire comme un combat entre Juifs et Aryens et sa croyance en une Providence qui l’a désigné et le guide pour y mettre bon ordre, par une victoire définitive des Aryens. Devant la défaite, sa réaction est double. D’une part il n’est pas question de maudire la Providence. S’il perd, c’est qu’elle en a décidé et compte reprendre un jour l’ouvrage avec un autre, pour le conduire à bon port. Loué soit son saint nom  ! Cependant, la résurrection ne peut advenir que si le nazisme a combattu jusqu’au bout, en refusant de s’incliner comme le Reich précédent l’avait fait en 1918. Mais en même temps il faut bien vivre et les tentatives de briser la coalition adverse, récurrentes depuis 1942, redoublent de plus belle en 1945.

 

« Le jusqu’auboutisme nazi, apparent et même

spectaculaire, se double de la préservation, à travers

le désastre, d’un grand potentiel scientifique et éco-

nomique, permettant l’hibernation de la puissance

allemande sous un protectorat américain. »

 

Le jusqu’auboutisme nazi, apparent et même spectaculaire, se double de la préservation, à travers le désastre, d’un grand potentiel scientifique et économique, permettant l’hibernation de la puissance allemande sous un protectorat américain. Le fait de confier à Albert Speer une politique de «  terre brûlée  » en sachant qu’il y est opposé, et en le laissant la saboter, est un signe sûr de ce double jeu. En même temps, si on pouvait sauver quelque chose du nazisme, notamment à la faveur de désaccords Est-Ouest qui surviendraient assez tôt, ce serait bon à prendre  : c’est la seule interprétation disponible du fait que des hommes comme Himmler et Göring soient à la fois déclarés traîtres et laissés en vie.

Quant à Bormann, il fait, et Hitler lui confie, ce qu’il sait faire  : être le héraut sincère de la lutte jusqu’au bout et orchestrer la répression de ceux qui faiblissent et parlent de se rendre. Il ne comprend rien à la mise en scène finale d’une apocalypse berlinoise où Hitler s’immole en prétendant lutter contre la marée rouge et il espère envers et contre tout le convaincre de quitter Berlin pour Berchtesgaden. D’où l’absence totale d’une préparation de sa fuite solitaire, et le fiasco rapide de celle-ci.

 

Hitler aurait-il reçu l’opération Paperclip (qui consista en l’embauche par les États-Unis de près de 1.500 scientifiques allemands issus du complexe militaro-industriel de l’Allemagne nazie pour lutter contre l’URSS) comme une forme de succès posthume ?

l’opération Paperclip

Il aurait vu cela avec des sentiments mitigés, content que ça serve aux Aryens (pas par anticommunisme, plutôt par anti « asiatisme » !), mais déçu que l’Allemagne en profite peu.

 

La thèse de Bormann « mauvais génie » de Hitler a été diffusée parce que reprise par les nazis jugés à Nuremberg et d’autres témoins ayant ou non survécu au Troisième Reich. Ces gens qui attribuaient les pires dérives à d’autres que Hitler cherchaient en partie à se laver les mains, mais n’ont-ils pas été nombreux au fond, à croire jusqu’au bout dans l’infaillibilité de leur guide, tombé parce que mal conseillé plutôt que mal inspiré ?

l’aura du guide

Je le disais plus haut  : les anciens nazis en général, et les accusés de Nuremberg en particulier, chargeaient les dirigeants morts tout en épargnant Hitler au maximum. La thèse du guide mal conseillé et d’un nazisme noble et pur jusqu’à une certaine date, mais dégénérant ensuite sous l’influence de criminels et d’arrivistes, faisait florès, même si ses propres promoteurs n’en étaient pas tout à fait dupes, comme le prouve par exemple le suicide, en 1949, de Walter Buch, le beau-père de Bormann, adversaire de toujours de la criminalité nazie et brouillé avec son gendre pour cette raison, mais sentant bien qu’en présidant jusqu’au bout le tribunal interne du Parti, il était irrémédiablement compromis.

 

Dans quelle mesure cette étude sur Bormann vous a-t-elle conforté dans votre conviction d’une domination hitlérienne sans partage sur l’Allemagne du Troisième Reich ? Et qu’est-ce qui, à votre avis, devrait dans votre démonstration convaincre de manière décisive les historiens partisans de la thèse d’une « polycratie nazie » qu’ils font fausse route ?

autocratie nazie

Tout simplement, en prenant le contrepied des idées reçues, on découvre à quel point les divergences entre les personnalités dirigeantes étaient artificiellement exagérées, pour mieux ménager des effets de surprise, et à quel point Hitler gardait la possibilité d’intervenir dans tous les domaines. En faisant de Bormann non pas un facteur de division mais d’unité, on comprend beaucoup mieux les succès offensifs de ce gouvernement, puis sa capacité d’encaisser les coups. Il faudrait d’ailleurs aussi approfondir le rôle d’un autre dirigeant, un nazi tardif et assez tiède mais d’autant plus soumis, et s’entendant fort bien avec Bormann, Hans Lammers. Portant le titre de chef de la chancellerie du Reich, c’était une sorte de directeur de cabinet de Hitler et son interface avec tous les ministères. Il expédiait en quelque sorte les affaires ordinaires, Hess et Bormann puis Bormann seul se chargeant des questions les plus délicates. Quant aux meurtres ordonnés par Hitler, confiés au départ aux SS, Bormann en assume une part croissante, sans pour autant se brouiller avec Himmler. Nous avons vu ce qu’il en était pour le gauleiter Röver. Je documente aussi sa part dans le suicide assisté du maréchal Rommel, en septembre 1944.

 

Quels sont vos projets pour la suite ? Sur quels thèmes et pistes nouvelles entendez-vous concentrer vos prochains travaux ?

Eh bien, pour une fois, je n’en ai aucune idée  ! J’entends me consacrer pendant plusieurs mois encore à la promotion de ce livre et aux débats, qui j’espère vont s’ouvrir, sur le mythe de la polycratie nazie. Je collabore notamment à une série de quatre films documentaires sur le Troisième Reich, qui devraient contribuer à discréditer cette galéjade. Le sujet du prochain livre devrait se dessiner peu à peu pendant cette période.

 

François Delpla 2019

  

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5 janvier 2021

« Entre tempête et temps long, être élu maire en juin 2020 », par Daniel Cornalba

L’année 2020 ne sera sans doute pas de celles dont le plus grand nombre se souviendra avec nostalgie : la crise sanitaire, qui a dominé l’actualité, a endeuillé des millions de familles partout dans le monde, entraînant dans son sillage de graves situations de détresse humaine, et de troubles économiques. On ne sait de quoi sera fait 2021, mais gardons la prévision optimiste : l’épidémie de Covid-19 devrait pouvoir être un peu mieux maîtrisée cette année. Quoi qu’il arrive, cette année 2021, qui sera aussi celle des 10 ans de Paroles d’Actuje vous la souhaite heureuse autant que possible, dans la santé et la chaleur humaine.

Pour cet article, j’ai choisi de donner la parole à Daniel Cornalba, jeune maire de L’Étang-la-Ville (Yvelines). Élu en juin dernier, il a connu, comme bien d’autres édiles, un début de mandat particulier : face à une situation trouble et anxiogène, la commune, collectivité de proximité par excellence, a souvent joué un rôle de pôle rassurant. Son témoignage est éclairant. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

« Entre tempête et temps long,

être élu maire en juin 2020 »

par Daniel Cornalba, le 31 décembre 2020

 

Daniel Cornalba

 

Vous avez été nombreux ces dernières semaines à demander comment les maires géraient la crise actuelle : sommes-nous informés en avance des mesures sanitaires ? Quelle relation avec les services de l’État ? Quelle marge de manœuvre pour les communes ?

J’essaie ici de donner quelques éléments de réponse à ces questions, tout en proposant des pistes pour coordonner action locale et nationale et rendre les décisions sanitaires plus compréhensibles par les citoyens, et donc plus à même d’être acceptées.

Ce texte donne quelques intuitions de ce que peut être une action locale qui articule urgence et temps long, impératifs municipaux et coopération entre acteurs publics.

*** 

«  Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va  » disait Sénèque.

La crise sanitaire, économique, sociale actuelle a incontestablement été une déflagration pour tous, bouleversant notre quotidien et démultipliant les incertitudes. La remontée du niveau d’urgence Vigipirate, le même jour que l’annonce du deuxième confinement, a accru cette cristallisation des urgences auxquelles il est demandé aux élus de répondre.

Élu en juin 2020 maire de ma commune, L’Étang-la-Ville (Yvelines), ce «  gros temps  » a imposé une gestion de crise permanente, sans perdre de vue notre cap : le programme pour lequel nous avons été élus.
 

Gérer la crise au quotidien

Dès l’élection en juin dernier, le suivi de la situation sanitaire est devenue une préoccupation permanente des nouvelles municipalités. De nouveaux enjeux apparaissent, alors imprévisibles quelques mois auparavant : approvisionner les stocks de gels et de masques dans les équipements municipaux, informer au fur et à mesure la population des mesures à prendre, créer par exemple un conseil réunissant les professionnels de santé pour répondre au mieux à ces nouveaux besoins sanitaires. Sans parler de l’accompagnement des entreprises et des associations culturelles ou sportives dans la reprise de leurs activités, accompagnement rendu indispensable pour favoriser le maintien du lien social et du dynamisme local. L’intégralité des événements sur l’espace public ou dans les équipements municipaux ont rapidement fait l’objet d’un système d’autorisation par la préfecture, afin de garantir le respect de la distanciation physique, fonctionnement qui n’aurait pas été pensable encore quelques temps auparavant. Il faut saluer ici l’inépuisable énergie des citoyens et la remarquable capacité d’adaptation des associations pour maîtriser la jauge du nombre de participants, pour décaler leurs horaires lorsque le couvre-feu fut annoncé, pour développer des activités de plein air…

La décision du deuxième confinement, nous l’avons découverte en direct à la télévision, comme tous les Françaises et les Français. Ses modalités précises, soumises à décrets, ne nous sont parvenues que le surlendemain, tandis que les questions des habitants, des commerces, des associations affluaient déjà.

La commune reste en effet l’instance de proximité par excellence et de référence pour les citoyens. C’est dans sa mairie que l’on se marie, que l’on enregistre les naissances comme les décès, dans sa commune que l'on apprend à aller à l'école et que l'on vote. Et c’est tout naturellement vers la mairie que les regards se tournent quand il faut adapter au niveau local les mesures qui viennent de nous être annoncées au niveau national.

J’ai donc immédiatement réuni la cellule du plan communal de sauvegarde, qui rassemble les têtes de l’administration municipale, la police municipale, ainsi que les principaux élus dont le secteur est frappé par les mesures mises en place. En un délai extrêmement rapide et à partir des informations à notre disposition, il a fallu arbitrer la fermeture ou non des équipements municipaux, fixer les modalités du travail des agents et des élus de la commune. Ces informations, c’est en dialogue constant avec les communes voisines et les services de la sous-préfecture que nous les avons obtenues. Et c’est avec l’ensemble du conseil municipal, le centre d’action sociale, les agents, les associations et les commerçants que nous nous efforçons, souvent dans l’urgence, de les partager et de les concevoir.

Dans le flou sur les commerces autorisés à ouvrir ou non, nous nous sommes attachés à éclaircir pour les entreprises les règles s’imposant à elles, tout comme les aides dont elles pouvaient bénéficier. La mairie se retrouve également en première ligne pour coordonner les mesures d’aide aux plus fragiles, le suivi par téléphone des seniors et des personnes isolées, les bons alimentaires, la mobilisation des bénévoles, l’appel à la bienveillance des bailleurs vis-à-vis des impayés…

Face à des règles changeantes et des textes administratifs parfois complexes et fastidieux, ce sont les communes et les maires qui à la fin sont ce relais d’information et d’explication indispensable.
 

Agir dans la tempête dans un esprit de coopération

Passée l’urgence des premières semaines, il faut se rendre à l’évidence que nous n’en avons pas tout à fait fini avec ce virus, que la pandémie se combattra dans la durée. Avec mes adjoints et mon administration, nous avions tiré un premier bilan des mesures déployées pour étudier les scénarios pour la suite, en nous efforçant d’anticiper le risque d’un second confinement dans le cadre d’une période sanitaire durablement complexe. À titre d’anecdote, le vote en septembre d’un budget supplémentaire pour dégager les moyens de financer l’équipement des agents pour le télétravail nous a permis d’obtenir ces outils nécessaires… le jour de l’annonce du deuxième confinement  !

De même, la commune a très tôt candidaté pour accueillir sur son territoire une box de tests PCR gratuits, financée par la région Île-de-France  : pendant un mois, de novembre à mi-décembre, ce sont ainsi plus de 70 tests par jour que nous avons pu garantir à la population pour casser les chaînes de transmission et nous inscrire dans la stratégie nationale de dépistage. Opération qu’avec souplesse et réactivité nous sommes parvenus à étendre pour couvrir la période des fêtes en mutualisant nos efforts avec les communes voisines.

Je tiens d’ailleurs à saluer le travail constant de coordination des collectivités territoriales entre elles, si souvent caricaturées dans des batailles de clochers. Dans la gestion de cette crise, les solidarités sont au rendez-vous, du coup de main de la commune voisine au soutien financier de l’échelon régional et de l’agglomération pour obtenir des masques ou des tests, en passant par les boucles WhatsApp entre maires pour s’informer sur les décisions prises localement et s’échanger de bons conseils. Et même si une petite musique entendue dans la presse a beaucoup joué de l’opposition entre l’État et les collectivités, il faut reconnaître la réactivité des services de l’État déconcentré (préfecture, sous-préfecture), qui, apprenant visiblement les décisions nationales en même temps que les élus, se sont évertués malgré tout à nous accompagner dans les circonstances.
 

Quelles leçons tirer de cette période dont nous ne voyons pas encore le bout  ?

Il est souvent dit lors des compétitions sportives internationales que la France dispose de 65 millions de sélectionneurs nationaux. De la même façon, on pourrait dire avec humour que depuis la crise sanitaire, chaque Français cache en lui un expert sanitaire.

Je ne m’avancerai pas à distribuer les bons et les mauvais points sur la gestion compliquée d’une crise qui est elle-même profondément complexe et qui a évidemment bousculé l’ensemble du pays, son administration, ses acteurs économiques, culturels, sociaux et au-delà, l’ensemble de la communauté internationale.

Mais il apparaît essentiel de tirer quelques leçons de cette gestion de crise. Alors que l’urgence pousse souvent à resserrer le cercle de la décision et la courroie de transmission, c’est précisément dans la coopération que nous avons été les plus efficaces. Cela vaut à l’échelle européenne, nationale, mais évidemment à l’échelon local.

Les échanges entre maires et avec les professionnels de santé existent déjà, et j’ai donné plus haut quelques exemples de leur efficacité. Les formaliser au sein d’un conseil de santé par bassin de vie ou à l’échelle d’une intercommunalité qui se réunirait à intervalle régulier - la visio le permettant aisément - contribuerait à faire circuler l’information et à harmoniser les prises de décision, alors que les décrets et arrêtés peuvent parfois porter à des interprétations contradictoires  : fermeture d’un stade ici car la pratique sportive collective des adultes n’est pas autorisée, autorisation là-bas car le stade inclut une piste d’athlétisme permettant la pratique individuelle, obligation du port du masque en centre-ville là-bas, souplesse ici, rendent les règles peu lisibles pour les habitants.

Ces conseils de santé, regroupant les maires du territoire concerné, éclairés par les données de l’Agence régionale de santé (ARS) et de la préfecture, et en lien avec des professionnels de santé installés sur le territoire, pourraient en connaissance de cause favoriser des prises de position harmonisées à l’échelle d’un bassin de vie, des lieux de la vie de tous les jours, et ce dans le respect du pouvoir de police des maires : ouverture sous réserve de certains commerces de proximité, maintien de solutions de dépistage de proximité, et, espérons à l’avenir, réponse aux besoins des plus fragiles, accompagnement des établissements de santé et médico-sociaux du territoire, ciblage des lieux possibles de vaccination sur le territoire...

Une telle démarche, qui irait au-delà des strictes compétences intercommunales, dans une logique souple de coopération et d’échanges, nécessiterait évidemment l’aval des représentants de l’État localement, qui pourraient toutefois l’accompagner, limitant ainsi pour eux-mêmes l’engorgement face à l’afflux des demandes émanant des territoires. Cette même logique de bassin de vie s’avérerait utile au long cours pour affronter les problématiques communes. Je pense notamment à la lutte contre la désertification médicale, d’une importance vitale - y compris en région parisienne - comme nous le montre la période que nous vivons.
 

Garder notre boussole et préparer le temps long

Si la crise de la Covid va durablement marquer de son empreinte les prochaines années de la mandature, elle ne doit pas faire oublier les autres enjeux qui s'imposent à nous et pour lesquels les électeurs se sont déplacés. C’est en ce sens que nous avons fait le choix, durant le confinement, de maintenir l’ensemble des activités municipales - à l’exception du foyer des seniors, remplacé par un portage de repas dédié -, pour assurer la continuité du service public, voter les crédits pour la transformation en maison de santé d’un bureau de poste abandonné, assurer le suivi des travaux du secteur du BTP, etc.

Ces problématiques entrent indéniablement en résonance avec la crise que nous traversons  : redéfinir notre rapport au local, penser des territoires résiliants, anticiper des bouleversements plus grands dont la Covid n’est peut-être que la première manifestation. Je pense ici au formidable essor du télétravail et aux opportunités qu’il présente ; à la nécessité de redévelopper l’activité commerciale en cœur de ville et de revitaliser les marchés de proximité et les circuits-courts ; au besoin de favoriser des transports doux et en commun entre villes voisines, pour sortir d’une stricte logique pendulaire entre lieu de travail et banlieue dortoir. L’attrait renouvelé de la grande couronne verdoyante pour les jeunes couples bouscule la démographie locale et invite à adapter nos services, nos modes de gardes comme nos activités associatives, tout en devant préserver à tout prix nos terres agricoles, lorsqu’elles subsistent encore, et nos espaces de biodiversité, à commencer par nos forêts franciliennes, fragilisées par le dérèglement climatique. La Covid ne doit pas nous faire oublier la nécessité de tenir nos engagements pour les générations futures, et à vrai dire pour les générations actuelles qui nous le disent avec force.

Ce sont aussi ces aspects qui devront irriguer les Plans Climat que nos agglomérations sont amenées à adopter, en faisant preuve d’ambition et de volontarisme. La réduction des dotations de l’État est de ce point de vue un défi immense pour les petites communes comme la mienne, que la démultiplication de financements spécifiques autour de projets aux nombreuses conditions ne pourra pas entièrement compenser. L’isolation du bâti - public comme privé -, la végétalisation de nos territoires, les investissements du quotidien –trottoirs, voiries, éclairage public, assainissements-, l’adaptation de nos équipements sont autant d’opportunités pour relancer l’économie. Les partenariats entre collectivités et, je l’espère, l’État, seront ici déterminants pour accélérer les potentialités de nos territoires et favoriser les effets de levier.

Ces premiers mois de mandat m’ont convaincu de l’utilité des petites communes dans notre pays  : leur souplesse, la polyvalence des équipes, la connaissance du terrain y sont des atouts décisifs pour créer des solidarités nouvelles, faciliter la participation citoyenne, l’écoute des habitants et conjuguer transition écologique et relance. Le développement de ceintures maraîchères autour de producteurs locaux, la transition énergétique, l’installation d’espaces de coworking et de services nouveaux en cœur de ville pour tous les âges de la vie, tout comme l’apaisement de l’espace public, le soutien résolu à l’action culturelle et à la pratique sportive nécessitent un travail fin et de proximité qui fait précisément l’âme de nos petites communes.

En ces temps de tempêtes et de bourrasques, la proximité reste une valeur sûre pour répondre aux défis du présent et préparer l’avenir. C’est ce qui fait aussi la noblesse de l’engagement en tant que maire.

 

Quelques photos commentées par D. Cornalba

 

MobilTest Covid

Illustration du partenariat local entre collectivités face

à la pandémie : ici, la Région, ma ville et la ville voisine.

 

D

Rentrée des classes à L’Étang-la-Ville.

 

L'Etang-La-Ville centre

Illustration du cœur de ville, son patrimoine historique - ici l’église

Sainte-Anne -, et un exemple d’extension des terrasses pour permettre

l’activité en centre-ville dans le respect des gestes barrières.

 

L'Etang-La-Ville

Illustration de la commune et d’espaces de biodiversité à préserver.

 

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20 décembre 2020

« Nous avons un vaccin contre le complotisme et il s'appelle l'éducation », par N. Florens et R. Benier-Rollet

Alors que les vaccins destinés à lutter contre la pandémie de Covid-19 commencent à être déployés massivement dans le monde, les sondages indiquent, et ce n’est pas vraiment une surprise, une frilosité notable des Français face à la perspective de se faire vacciner. En cause, de mauvais souvenirs liés à de récents scandales sanitaires, mais aussi une défiance alimentée par une somme de données, scientifiques ou non, circulant librement, sans garde-fou, sur internet.

Mi-novembre, j’ai proposé à Nans Florens, néphrologue et co-animateur de la chaîne YouTube de vulgarisation médicale Doc’n’roll, une tribune libre par rapport aux débats autour de la vaccination. Le 16 décembre, son texte, coécrit avec son complice de Doc’n’roll Renaud Benier-Rollet, infirmier libéral, me parvenait. Un manifeste puissant dans lequel ils incitent les citoyens à se saisir des questions scientifiques et médicales en faisant fonctionner leur arme la plus redoutable face à toutes les désinformations : leur esprit critique. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

« Nous avons un vaccin contre le complotisme

et il s’appelle l’éducation. »

par Nans Florens et Renaud Benier-Rollet, le 16 décembre 2020

Nous sommes fin 2020 et deux sociétés pharmaceutiques ont annoncé avoir d’excellents résultats avec leurs vaccins contre la COVID-19. C’est une excellente nouvelle pour tous le monde. Même si nous sommes loin de pouvoir vacciner la terre entière, il est sûr que nous avons franchi là un pas certain dans la lutte contre cette pandémie.

Il est inutile de rappeler que la vaccination reste probablement la clé de la victoire contre le virus car aucun traitement efficace n’existe à ce jour, tant préventif que curatif.

Mais au-delà de la pandémie de COVID-19, il semble que nous ayons à lutter contre un second virus : le complotisme. Comme un virus dormant, il a infecté depuis longtemps quelques patients çà et là. Avant les réseaux sociaux, sa contagiosité était limitée à la porte de quelques lieux de vie comme les bars ou dans les conversations privées. Puis il a gagné petit à petit les quartiers bourgeois et populaires. La contagiosité de ces personnes était historiquement limitée, infectant des personnes déjà fragilisées par la défiance et l’angoisse de ne n’avoir aucune emprise sur le monde qui les entoure. Les personnes infectées sont facilement reconnaissables car elles profèrent des propos anti-vaccination parsemés de divers mots clés comme 5G, Bill Gates ou encore nanoparticules. Puis le virus a commencé à muter et les symptômes se sont enrichis avec la remise en question de la forme de la terre, du bien fondé de certains traitements ou encore de l’existence d’une société secrète nommée Nouvel Ordre mondial. Ce virus continue de muter continuellement, et de nouveaux symptômes sont décrits de jour en jour. Là où il y aura besoin d’analyse et d’expertise, de rationalité et d’esprit critique, il y aura toujours la place pour la simplicité du complot.

 

« Le virus du complotisme agit sur la sensation

de bien-être, il instille à son hôte l’intime conviction

de détenir une vérité cachée qui le propulse

immédiatement au rang de «  sachant  » et le sort

de son quotidien rythmée par l’ennui et l’ignorance. »

 

On ne connaissait pas d’hôte intermédiaire au virus avant l’avènement des réseaux sociaux. Ils sont au virus du complotisme, ce que le rat était à la peste  : un amplificateur de contagion, un exhausteur de pandémie. En effet, si la personne infectée par le complotisme est en contact avec un réseau social, elle augmente sa contagion, propage des clusters, déclenche une vague. Le pire avec le virus du complotisme, c’est sans doute la co-infection avec d’autres épidémies. Avec la pandémie H1N1 de 2009 ou avec la COVID-19, le virus du complotisme prospère. Il se renforce et devient dangereusement résistant à son antidote naturel  : la raison. Car une des caractéristiques du virus du complotisme qui traverse les âges, c’est bien celle de subtilement mélanger réalité et fiction dans un équilibre qui permet de faire basculer le plus grand nombre. Avec la découverte de la capacité décuplée de contagion de ce virus par les réseaux sociaux, certains ont commencé à l’utiliser à des fins personnelles. Tantôt pour s’enrichir en vendant des livres, des conférences, des séminaires, tantôt pour gagner du pouvoir comme devenir président de la première puissance mondiale, tantôt pour assouvir leurs pulsions gouroutiques mégalomaniaques. Derrière chaque épidémie, il y toujours quelqu’un à qui profite le crime. Certes, dans la pandémie de COVID-19, certaines compagnies pharmaceutiques vont gagner de l’argent. Mais ce sera en ayant proposé des solutions à un problème mondial qui gangrène nos relations humaines, tue nos proches et paralyse nos économies  ; le bénéfice pour l’humanité est donc énorme. Pour le virus du complotisme, ceux qui s’enrichissent le font toujours pour leur propre compte, et il n’y a jamais de retombées pour les autres, sinon négatives. Certains éminents spécialistes des maladies infectieuses ont aussi bien étudié ce virus. Ils se sont rendus compte qu’ils pouvaient l’utiliser à des fins personnelles afin de garder leur aura démesurée une fois l’heure de la retraite sonnée. Ils sont même devenus des pointures dans le monde du complotisme appliqué à la maladie de Lyme ou encore du traitement de la COVID-19. S’il profite réellement à l’enrichissement de certains, il a aussi la vertu de donner un peu de contenance et de limiter l’angoisse d’une existence insignifiante pour le plus grand nombre. Quoi de plus angoissant que d’être emporté dans le courant de la pensée mainstream  ? Quoi de plus angoissant que de ne pas comprendre la complexité du monde  ? Le virus du complotisme agit sur la sensation de bien-être, il instille à son hôte l’intime conviction de détenir une vérité cachée qui le propulse immédiatement au rang de «  sachant  » et le sort de son quotidien rythmée par l’ennui et l’ignorance. Le virus a ainsi la capacité d’annihiler à l’intérieur de son hôte les principes fondamentaux du doute, de la modestie et de la rationalité. Il va les remplacer par cette profonde capacité à affirmer des vérités en se basant sur une lecture biaisée de la réalité (principe de cherry-picking), ou par cette capacité à tenir la controverse face à des spécialistes avérés, moyennant une connaissance plus que lacunaire (ultracrépidarianisme). La forme ultime de l’infection au virus du complotisme donne à la personne infectée l’impossibilité d’avoir tort, utilisant volontiers l’argument de l’existence de plusieurs vérités parallèles ou encore de la décrédibilisation en affirmant l’allégeance des experts à des entités nourricières ésotériques comme Big Pharma ou le Nouvel Ordre mondial.

Pourtant le remède contre le virus du complotisme est ancien, c’est la science, la science des faits. En effet, la plupart des théories du complot sont absurdes et parfois cocasses. Elles ne résistent souvent pas à une démonstration scientifique raisonnée et pondérée. Par exemple, le principe philosophique du rasoir d’Ockham nous impose de tester l’hypothèse la plus simple car c’est souvent la plus probable. Avec ce principe, le vaccin contre le COVID est plus enclin à servir de remède contre la pandémie plutôt que de vecteur de nanoparticules activées par la 5G pour contrôler nos pensées. Ou encore, que les traînées de fumées blanches que laissent les avions dans leur sillage sont le fruit de la condensation de la vapeur d’eau produite par le moteur plutôt que l’épandage massif de substances stérilisatrices ou de test d’armes chimiques…

 

« Pourquoi le virus du complotisme continue-t-il d’infecter

de plus en plus de personnes ? Il semble que son hôte

intermédiaire de contagion, #lesréseauxsociaux, ait entraîné

une mutation constitutionnelle du virus le rendant

imperméable à son remède ancestral, la science des faits. »

 

Mais alors pourquoi le virus continue-t-il d’infecter de plus en plus de personnes ? Il semble que son hôte intermédiaire de contagion, #lesréseauxsociaux, ait entraîné une mutation constitutionnelle du virus le rendant imperméable à son remède ancestral, la science des faits. L’expertise acquise par la voie académique n’a plus de valeur, comme un antibiotique désuet, elle est aussi dangereuse pour le virus qu’une mouche pour un éléphant. L’ensemble de la communauté scientifique est unanime, durant la pandémie de COVID-19, nous avons perdu une bataille majeure contre le virus du complotisme. Avec des délires orchestrés à la sauce holywoodienne comme Hold-Up, des personnalités politiques et académiques en roue-libre, des talk-shows sur des chaînes d’information continues dont la vacuité intellectuelle des intervenants atteint chaque jour des sommets, le virus a prospéré. Nous sommes maintenant en France, le pays le plus réticent à la vaccination contre le COVID-19 (lire : article). 60% ne veulent pas faire confiance à des traitements ayant passé, certes de façon plus rapide que la normale, toutes les étapes rigoureuses et contrôlées du développement médicamenteux (voir : vidéo). 60% c’est aussi la proportion de Français qui pensaient en avril 2020 que l’hydroxychloroquine était efficace et qui étaient prêt à prendre ce traitement sans la moindre preuve d’efficacité ni même donnée sur son inocuité dans cette indication (lire : article).

Alors, comme pour chaque maladie infectieuse, le meilleur traitement reste de ne pas développer la maladie, car une fois installée, elle peut ne pas être réversible. C’est pour ça qu’il faut trouver le vaccin contre le virus du complotisme.

Et ce vaccin existe, il s’appelle l’éducation.

Le monde a changé, le complotisme aussi. L’avènement des réseaux sociaux a libéré la parole de chacun, a donné tribune à qui la prenait. Au grand dam du contenu, la forme y est souvent privilégiée. On trouve ainsi de nombreux récits, vidéos, témoignages, articles pseudo-scientifiques, groupes, pages dont les propos sont faux, non sourcés et manipulateurs. Pourquoi  ? Ou plutôt pour qui  ? Là encore, ceux qui dénoncent des manipulations à grande échelle, le font souvent pour agrandir leur petite échelle. À côté de chaque théorie conspirationniste, on ne trouve jamais loin le livre à 20€, la conférence payante, la méthode clé-en-main, l’association, la campagne de crowdfunding ou une façon de faire du buzz… Alors que souvent, les explications censées sont souvent gratuites et désintéressées, faites par des experts dans le cadre de leur fonction professionnelle ou bénévolement sur leur temps libre (voir : post). Et de l’énergie, il en faut pour expliquer en quoi ces théories sont fumeuses. C’est ce que l’on appelle le débunkage. Mais celui-ci prend beaucoup plus de temps qu’il n’en a jamais fallu pour générer une idée complotiste  ; c’est ce que l’on appelle la loi de Brandolini ou le principe d’asymétrie des idioties (voir : visuel).

 

« Le savoir n’est pas la propriété des élites et des experts,

au contraire. Et c’est le rôle des experts de le rendre

accessible. La pédagogie n’est pas une option, elle est la clé. »

 

Le virus du complotisme profite de la défiance des élites, des scandales financiers et sanitaires qui se jouent dans les hautes sphères du pouvoir politique et scientifique pour s’immiscer dans les esprits les plus résistants. Car oui, on ne peut pas dire que nous, les «  experts  », nous ne soyons pas à l’origine de l’immunodépression ciblée de la population face au virus du complotisme. Les conflits d’intérêts, le manque de transparence, la désertion de certaines élites académiques dans leur fonction primaire qu’est la production et la diffusion du savoir. Car oui, les experts et les élites n’inspirent plus le respect, ni même la confiance. Elles cristallisent un système dépassée, basé sur le pouvoir hiérarchique descendant, sans empathie, sans considération pour son prochain. C’est aussi ça le berceau du virus, la frustration. Pourquoi continuer à donner la parole à une génération d’élites, incapables de parler aux générations les plus jeunes  ? Pourquoi continuer à essayer de combattre un virus 2.0 avec des gourdins du Moyen-Âge  ? Quelle personne censée n’aurait pas envie de rejeter un système dans lequel il est ouvertement considéré comme un abruti incapable de réfléchir  ? Le virus se nourrit de cette frustration de n’avoir pas voix au chapitre sous prétexte que l’on ne sait pas. Le complotisme donne l’occasion d’acquérir du savoir, en le réécrivant à son niveau, avec ses mots, avec sa logique. De sortir du mépris de classe, en en créant une nouvelle. Une classe qui émancipe ses camarades de la dictature nécessaire de la rigueur qu’impose la construction de la connaissance. Mais c’est l’échec de ceux qui en détiennent un fragment, de la connaissance, car le savoir n’est pas la propriété des élites et des experts, au contraire. Il doit redevenir la propriété de tous, adaptés à la lecture de chacun. Et c’est le rôle des experts de le rendre accessible. La pédagogie n’est pas une option, elle est la clé.

Lutter contre le virus du complotisme demande à la fois d’avoir une réponse coordonnée comprenant dans un premier temps des mesures barrières que sont l’intégrité et l’humilité des experts. Il faut écouter, comprendre les doutes, expliquer les zones d’ombre, ne jamais mépriser et toujours se mettre au niveau de son auditoire. Puis il faut ajouter à cela une vaccination efficace par l’éducation. Repartir de la base et ce dès le plus jeune âge.

Des outils pour douter  ?

 

« Il faut sortir d’une société de faits construits

et présentés comme une réalité et aller

vers une société de doute, d’esprit critique. »

 

Il faut sortir d’une société de faits construits et présentés comme une réalité et aller vers une société de doute, d’esprit critique. Il faut expliquer aux enfants que la perception qu’ils ont du monde est partielle car conditionnée par leur vécu et celui de leur entourage. On ne voit pas du même œil les grands faits historiques ou de société que l’on grandisse à Bamako ou à Paris. On ne raconte pas l’histoire de l’humanité de la même façon au Japon qu’en France. Tout est question de perception. Il en va de la notion philosophique de la vérité, celle qui définit la vérité comme l’image de la réalité. La vérité est unique mais les perceptions de la réalité sont multiples. La vérité est à différencier de la connaissance, qui par définition permet d’apporter des faits à la construction de la vérité. Il faut donc permettre à chacun d’avoir les capacités de comprendre comment se construit la connaissance, celle qui permet de relier les faits à la réalité et donc à la vérité. La construction de la connaissance doit se faire dans un raisonnement pragmatique et scientifique. Le pragmatisme doit nous faire accepter que la réalité est complexe et pour la décrypter, il est normal d’explorer plusieurs hypothèses. Ces hypothèses doivent être démontrées ou réfutées et les moyens pour y parvenir doivent eux aussi, être critiqués. Ainsi, dans le monde scientifique, il existe un éventail d’outils nous permettant d’affirmer avec plus ou moins de certitude que ce que nous observons comme un fait est solide, c’est ce que l’on appelle le niveau de preuve (voir : vidéo). Souvent, il se base sur des modèles statistiques complexes qui permettent d’évaluer si la différence que l’on observe par exemple entre l’efficacité d’un médicament par rapport à un placebo, ou de l’effet du tabac sur la mortalité, ne peut pas simplement être dû au hasard. Ainsi, on va déterminer un niveau de risque pour lequel on admet que les faits sont vrais et qu’ils ont de grande chance de ne pas être simplement dû au fruit du hasard  : cet outil est souvent exprimé par une valeur, le p. Dans la plupart de la science, on accepte un p inférieur à 0.05 soit moins de 5 chances sur 100 que ce que l’on observe soit lié au hasard. Ce seuil est critiqué par certains qui milite pour un seuil plus bas (à 0.01 par exemple). Le simple fait de faire varier ce seuil dans un sens ou dans l’autre (de 0.05 à 0.10 ou à 0.01) suffirait à réécrire l’ensemble de ce que l’on considère comme la science des faits. Il faut donc savoir que notre perception de ce qu’est la réalité reste une interprétation qui doit être remise en question et dont les résultats doivent être consolidées par plusieurs sources. Car oui, bien que le seuil de 0.05 laisse un peu de place au hasard, il est tout à fait possible de limiter cet effet en répétant l’observation dans des conditions différentes, à des moments différents, sur des populations différentes. Mais la répétition des expériences peut être aussi source de confusion. Effectivement, si l’on admet que l’on a tort dans 5% des cas, en répétant l’expérience 100 fois, il y aura au moins 5 fois ou le résultat sera différent. Il est donc totalement idiot d’affirmer une réalité basée sur une seule observation car celle-ci peut être biaisée (cf cherry-picking). Mais parfois, un certain nombre d’observations vont dans le même sens, alors sont-elles exactes pour autant  ? Pour le savoir, il ne faut pas juger l’outil de confirmation de la différence mais questionner les conditions d’expériences. Ces questionnements appellent des notions comme la différence entre la causalité et la corrélation. Deux évènements peuvent être corrélés, comme le nombre de films dans lesquels Nicolas Cage apparaît et le nombre de noyades dans les piscines aux USA (lire : article) sans pour autant avoir un lien de cause à effet. Il est donc facile de corréler des évènements les uns aux autres (voir : générateur de corrélation aléatoire) mais affirmer leur causalité demande d’effacer tous les facteurs intermédiaires et confondants qui mènent à cette corrélation. Ainsi, le fait de que le nombre d’homicides par balles soit relié à la vente de glaces ne vient pas du fait que les glaces poussent les gens à commettre des meurtres mais que l’été, saison où se vend le plus de glaces, soit la période où le plus d’homicides sont perpétrés. Ce facteur, ici l’été, est donc un facteur confondant…

Ainsi, en adaptant ces messages à l’auditoire, on peut armer nos générations futures à décrypter le monde, à sortir de l’influence des réseaux ou en tout cas à la critiquer sans s’en affranchir totalement. Enseignons la zététique (l’art du doute, ndlr) et ses principes fondamentaux, faisons des ateliers de fact-checking, ré-apprenons à lire des articles de presse et des posts sur les réseaux. Remettons en doute ce que l’on nous enseigne comme la vérité, en réclamant des faits, des chiffres, des sources, constamment, tout le temps, et pour toujours.

 

« Combattons avec chacun nos armes : la science,

l’humour, la plume, la caméra… »

 

Combattons avec chacun nos armes : la science, l’humour, la plume, la caméra… Soyons sincères et transparents dans notre démarche. Restons concentrés et combatifs, calmes et déterminés. Combattre le complotisme, avec de la pugnacité  ? Parfois.

Avec de la rigueur, toujours.

 

Il faut douter tant que l’on ignore. Mirabeau

 

Nans Florens et Renaud Benier-Rollet

Renaud Benier-Rollet et Nans Florens, deux docs en pleine séance rock.

  

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17 novembre 2020

André Rakoto : « N'en déplaise à certains, nous n'en avons pas terminé avec Trump et ses idées »

La victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine, par 306 grands électeurs (et 51% des voix) contre 232 (et 47,3% des suffrages) pour le sortant Donald Trump, constitue à l’évidence un évènement majeur pour les États-Unis. Historique ? Too early to say. Ce qui est sûr c’est que, pour l’heure, derrière ce résultat, s’anime une réalité plus contrastée : un avantage net de 6 millions de voix pour le candidat démocrate, mais un recul significatif de la majorité détenue à la Chambre des représentants par le camp des vainqueurs, tandis que le Sénat restera aux mains du GOP.

De nombreuses questions se posent alors que Donald Trump (gratifié tout de même de 73 millions de bulletins de confiance), l’appareil et une partie de l’électorat républicains refusent toujours de reconnaître leur défaite, sur fond de divisions exacerbées. Décryptage, avec André Rakoto, fin connaisseur des institutions militaires américaines, au moment où s’ouvre une des périodes de transition les plus inflammables de l’histoire du pays. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL ÉLECTION AMÉRICAINE - PAROLES D’ACTU

André Rakoto: «  N’en déplaise à certains,

nous n’en avons pas terminé avec Trump et ses idées  »

Rally for Trump

Manifestation pro-Trump. Photo : Ostap Yarysh (Voice of America)

 

André Rakoto bonjour. Quel regard portez-vous sur cette élection présidentielle américaine qui s’est soldée par la défaite de Donald Trump et la victoire de Joe Biden ? Et que restera-t-il de la présidence Trump, notamment au niveau du Parti républicain ?

un scrutin décisif

Commençons par nous féliciter que la victoire de Joe Biden permette pour la première fois à une femme, Kamala Harris, d’accéder au poste de vice-présidente, une femme de couleur qui plus est, ce qui est aussi une première. Ceci étant dit, il convient de reconnaître qu’une nouvelle fois les sondages qui prévoyaient une vague démocrate, Sénat inclus, se sont trompés. C’est d’autant plus intéressant que, contrairement à 2016, la participation au vote a été exceptionnelle. On estime que près de 160 millions d’Américains ont validé un bulletin, contre 139 millions il y a quatre ans. Compte tenu d’un écart actuellement estimé à 5 millions de voix en faveur du démocrate, l’apport de ces plus de 20 millions de votants par rapport à 2016 aura été décisif. Certes, Joe Biden sera le prochain président américain, mais très probablement sans majorité au Sénat, à moins d’un miracle en Géorgie en janvier.

«  Une leçon de cette élection : les Républicains élisent

en priorité les candidats qui sont totalement

loyaux au président et à sa politique.  »

L’autre grande leçon des élections, c’est la solidité du soutien populaire à Donald Trump avec un score de plus de 73 millions de voix au décompte actuel. Preuve est faite que le «  Trumpisme  »  va durer, avec ou sans Trump, notamment avec l’entrée au Congrès de sénateurs directement issus de cette mouvance, à l’image de Marjorie Taylor Greene, qui s’est faite remarquer, entre autres excentricités, par son adhésion à la théorie complotiste Qanon. Cela ne l’a visiblement pas empêchée d’être élue… Donald Trump a donc profondément modifié l’ADN du Parti républicain, au sein duquel les voies modérées se sont tues. Le cas du Sénateur de Caroline du Sud Lindsey O. Graham est édifiant. Compagnon de route de John McCain, il s’était publiquement moqué du candidat Trump au moment des primaires républicaines. Il a ensuite fait partie de ceux qui pensaient pouvoir manœuvrer le président après son élection. C’est à cette époque que je l’ai rencontré lors d’une visite à Paris, au cours de laquelle il était venu rassurer ses homologues français quant au fait que le tumultueux locataire de la Maison Blanche était sous contrôle. Près de quatre ans plus tard, Graham est l’un des plus fervents défenseurs de Donald Trump, sur lequel il n’exerce évidemment aucun contrôle, et c’est grâce à ce positionnement sans nuance qu’il a été réélu au Sénat malgré une opposition démocrate coriace. Le message est clair  : les Républicains élisent en priorité les candidats qui sont totalement loyaux au président et à sa politique. Donald Trump l’a très bien compris. Il aurait déjà déclaré à ses proches vouloir se représenter en 2024, et il dispose pour cela d’un comité d’action politique, «  Save America  », qui engrange pour l’instant les donations destinées à soutenir les procédures en cours contre le résultat des urnes, mais qui pourrait demain financer une campagne présidentielle. N’en déplaise à certains, nous n’en avons pas terminé avec Trump et ses idées.

 

André Rakoto avec le sénateur de Caroline du Sud Lindsey O

André Rakoto en compagnie, à sa droite,

du sénateur de Caroline du Sud Lindsey O. Graham.

 

Des troubles, voire des violences entre factions sont-ils à votre avis à craindre, au vu du climat actuel de tensions, alimenté par l’attitude disons, très discutable du président sortant ?

après les urnes, la violence ?

Les États-Unis sont politiquement très divisés, comme ils ne l’ont sans doute pas été depuis l’époque qui a précédé la guerre de Sécession, quand la question de l’esclavage avait polarisé le pays jusqu’au point de non-retour. Nous n’en sommes heureusement pas là et le spectre d’une nouvelle guerre civile agité par certains paraît plus qu’improbable, ne serait-ce que du fait de la solidité des institutions régaliennes. La grande manifestation de soutien à Donald Trump samedi n’a donné lieu à aucune vague d’incidents graves malgré la présence de nombreux militants radicaux. Et même si le limogeage récent du ministre de la Défense, Mark Esper, a fait craindre à certains observateurs une volonté d’utiliser l’outil militaire à des fins politiques, le légalisme des forces armées ne doit pas être remis en cause. Parmi la frange la plus extrême des militants qui soutiennent Trump, seuls quelques illuminés sont effectivement tentés par la radicalité, comme ceux qui ont voulu enlever le gouverneur du Michigan il y a quelques semaines. La présidence de Donald Trump a toutefois donné une visibilité inhabituelle aux milices civiles armées d’extrême droite, comme les Proud Boys, les Boogaloo Bois ou encore les Three Percenters, qui font dorénavant partie du décor dans les manifestations.

Pour ne rien arranger, l’actuel rejet du résultat des urnes par Donald Trump et par les principaux chefs républicains contribue malheureusement à entretenir parmi sa base un sentiment de révolte et de défiance vis-à-vis du système, dont on peut difficilement mesurer l’impact politique une fois que la victoire de Joe Biden aura été certifiée. Même si Trump sait qu’il a perdu, persister à ne pas l’admettre finira par avoir un coût pour sa crédibilité personnelle comme pour la réussite de la transition avec la prochaine équipe présidentielle. Les plaintes déposées par les Républicains concernent quelques centaines de voix seulement, et même si certaines aboutissent c’est nettement insuffisant pour retourner le résultat des urnes. Alors que la loi fédérale demande depuis 1963 à la General Services Administration de déterminer quel est le «  vainqueur apparent  » des élections pour pouvoir faciliter l’installation de l’équipe de transition, sa directrice nommée par Donald Trump, Emily W. Murphy, persiste à refuser d’en démarrer le processus.

«  En niant publiquement l’évidence de la défaite,

les Républicains risquent de jeter pour longtemps

le discrédit sur les institutions démocratiques

américaines auprès d’une partie de l’électorat.  »

En niant publiquement l’évidence, non seulement les Républicains renforcent la division à l’intérieur et affaiblissent le pays à l’extérieur, mais ils risquent de surcroît de jeter pour longtemps le discrédit sur les institutions démocratiques américaines auprès d’une partie de l’électorat. La conduite actuelle du président sortant est donc dangereuse à plus d’un titre, et le risque de violences au moment où sa défaite sera définitivement acquise n’est bien sûr pas à écarter.

 

Petit focus d’ailleurs, sur un sujet que vous connaissez bien. Qui se charge de la sécurité intérieure (police) aux États-Unis, et quelles sont les forces en présence ? Qu’est-ce qui dépend de l’échelon fédéral ? des États ? des collectivités locales ?

quelles forces de maintien de l’ordre ?

Aux États-Unis, la sécurité intérieure est avant tout une affaire locale gérée par près de 600.000 policiers disséminés dans 18  000 agences différentes, du bureau des sheriffs de comtés jusqu’à la police des États, en passant par les polices municipales. À titre d’exemples, le sheriff du comté de Los Angeles, qui est un élu, est à la tête du plus grand bureau avec 10.000 «  adjoints  », tandis que le chef de la police de la ville de New-York, désigné par le maire, dirige la plus grande force du pays avec 38.000 agents. Lorsque la situation se dégrade et qu’il est nécessaire de maintenir ou de rétablir l’ordre, les autorités déploient des policiers disposant d’équipements individuels et collectifs anti-émeutes. Toutefois, contrairement à la France, qui possède des forces spécialisées pour ce type de missions, en l’occurrence la gendarmerie mobile et les C.R.S., les policiers américains qui interviennent alors le font complémentairement à leurs autres tâches.

«  Le président Trump a menacé à plusieurs reprises

d’envoyer l’armée fédérale dans les rues des grandes villes

en invoquant la loi dite d’Insurrection, mais les conditions

légales, très restrictives, n’étaient pas réunies...  »

Ceci étant, les gouverneurs des États peuvent déployer la Garde nationale, force de réserve militaire territoriale placée sous leur autorité, pour intervenir en cas de troubles civils. En effet, l’armée fédérale n’a légalement plus le droit d’agir sur le sol américain dans un contexte civil depuis 1878. Le président Trump a menacé à plusieurs reprises d’envoyer l’armée fédérale dans les rues des grandes villes en invoquant la loi dite d’Insurrection de 1807, mais les conditions légales n’étaient pas réunies, notamment la nécessité d’une crise grave au point qu’un gouverneur demande lui-même le soutien de l’armée au gouvernement. Donald Trump a utilisé des forces de sécurité et de défense fédérales pour protéger certaines emprises administratives nationales lors des émeutes provoquées par la mort de George Floyd, mais il a dû se contenter de déployer dans les rues de sa capitale la Garde nationale de Washington, seule force territoriale habilitée placée sous son autorité.

 

L’Amérique de 2020 est-elle réellement, au-delà des discours et des postures, un pays désuni et fracturé ne s’entendant  plus, même sur l’essentiel  ? Quelle sera l’ampleur de la tâche de Joe Biden en la matière ?

une maison divisée, à quel point ?

Comme je le disais précédemment, les États-Unis sont divisés comme ils ne l’ont pas été de très longue date. Même aux pires moments de la lutte pour les droits civiques dans les années 1960 ou encore de l’opposition à la guerre du Vîet-Nam à la même époque, Républicains et Démocrates avaient continué à travailler ensemble au Congrès, tandis la fracture n’était pas aussi nette au sein de l’ensemble de la population. Aujourd’hui on ne compte d’ailleurs plus les amitiés brisées ou les membres d’une même famille qui ne s’adressent plus la parole. On se croirait dans ce fameux dessin de Caran d’Ache évoquant l’affaire Dreyfus. La peur d’aborder les sujets politiques devient palpables dès lors qu’on se sent en minorité d’opinion au sein d’un groupe.

«  La polarisation est totale, exacerbée par la diffusion

constante de désinformation sur les réseaux sociaux.  »

La polarisation donc est totale, exacerbée par la diffusion constante de désinformation sur les réseaux sociaux. Ces derniers ont réagi tardivement par une censure maladroite, qui a actuellement pour conséquence le départ de nombreux militants républicains vers de nouvelles plateformes non-censurées, comme Parler. L’outrance et l’inexactitude – ou les faits alternatifs, pour reprendre les termes de Kellyanne Conway – sont devenus une norme imposée par Donald Trump. Sa base est persuadée que Joe Biden va transformer les États-Unis en pays socialiste et que ce sera la fin de cette grande nation. 70% des Républicains n’ont pas confiance dans le résultat des élections, alors que les autorités de régulation continuent à affirmer que les élections ne sont pas entachées de fraude.

Joe Biden devra donc tenter d’atteindre des millions d’Américains qui vivent dans une dimension parallèle et qui s’expriment massivement sur les réseaux sociaux pour affirmer qu’ils n’accepteront jamais sa main tendue. L’autre difficulté de Joe Biden va consister à conserver l’unité de son propre camp. Entre les démocrates centristes et les plus progressistes, la synthèse ne sera pas évidente. Une des fondatrices du mouvement Black Lives Matter, Patrisse Cullors, a déjà demandé à rencontrer le futur président et sa vice-présidente, en laissant entendre qu’ils sont maintenant attendus au tournant.

 

Dans quelle mesure Biden risque-t-il d’avoir à gérer un divided government, entre un Sénat hostile et une Cour suprême conservatrice ? Ses talents de négociateurs hérités de son expérience de parlementaire l’aideront-ils à huiler la machine ?

Biden, quelles marges de manœuvre ?

Tout va dépendre des deux Sénateurs qui seront élus en Géorgie en janvier prochain. Si les pronostics qui placent les candidats Républicains en tête se confirment, Joe Biden sera alors le premier président démocrate depuis Grover Cleveland en 1885 à être élu sans avoir le contrôle des deux chambres. Lorsque Joe Biden deviendra le 46e président des États-Unis le 20 janvier 2020, il devra procéder à la nomination de près de 4.000 personnes à différents postes de la fonction exécutive. 1.200 d’entre aux requièrent l’approbation du Sénat, notamment les membres du gouvernement. La tradition voudrait que les sénateurs laissent la main au président pour nommer ses ministres, mais selon des sources proches du Parti républicain, Mitch McConnell, sénateur du Kentucky et actuel président du Sénat, refusera la confirmation de ministres trop progressistes. De même, McConnell a déjà mené une politique d’obstruction quasi-systématique face au président Barack Obama, avec des résultats désastreux pour ce dernier. La route des réformes voulues par Joe Biden pourrait bien se transformer en cul-de-sac, à moins de gouverner par décrets…

«  En cas de confirmation de la majorité républicaine

au Sénat, l’attitude que choisira d’adopter Mitch McConnell,

le président de la chambre haute, sera décisive.  »

En outre, sans majorité au Sénat, non seulement Joe Biden perdrait tout espoir d’obtenir la confirmation d’un juge démocrate à la Cour Suprême, mais de surcroît il lui serait impossible de renverser l’actuelle majorité conservatrice de la Cour en réformant le nombre de juges qui la composent, au nombre de neuf depuis une décision du Congrès adoptée en 1869. Avec un Congrès favorable, Joe Biden pourrait obtenir une nouvelle décision portant par exemple le nombre de juges à treize, lui donnant ainsi l’opportunité de mettre les conservateurs en minorité grâce à la nomination de quatre juges Démocrates. Malgré tout, en dépit de l’extrême polarisation du paysage politique, l’antériorité des relations entre Mitch McConnell et Joe Biden pourraient jouer un rôle capital dans les mois à venir. Il existe entre les deux hommes une amitié ancienne qui s’est exprimée à titre privé, McConnell étant le seul sénateur républicain présent aux obsèques de Beau Biden en 2015, et à titre public, lors de négociations cruciales quand Barack Obama était président. McConnell maintiendra certainement la pression jusqu’au résultat final des sénatoriales, mais ses liens avec Biden pourraient conduire ensuite à une certaine normalisation de leurs relations.

 

Le système présidentiel américain est probablement plus équilibré (exécutif/législatif/judiciaire) que notre système français, mais plusieurs points posent perpétuellement question : les injustices induites par le collège électoral, les conséquences de la nomination politicienne et à vie des juges de la Cour suprême, et le poids croissant de l’argent en politique. Des espoirs que ça bouge un peu pour atteindre une "union plus parfaite", sur tous ces fronts ?

de la démocratie en Amérique

Cette question est une belle façon de conclure notre entretien. Effectivement, vu de France, le système des élections reposant sur un collège électoral peut paraître rétrograde, voir obsolète, tout comme la nomination des juges fédéraux à vie. Toutefois, si en France nous élisons le président par suffrage direct depuis le référendum de 1962, nos sénateurs sont encore élus par un collège électoral, quand leurs homologues américains sont directement choisis par les électeurs. L’élection du président des États-Unis par un collège électoral, qui permet la victoire d’un candidat n’ayant pas forcément réuni la majorité du vote populaire, avec à la clef des crises comme celle de 2000 entre George Bush et Al Gore, est bien sûr régulièrement remise en cause. Cependant, c’est le seul moyen d’équilibrer la représentativité entre les États fortement peuplés, comme la Californie ou encore New-York, et ceux qui le sont moins, comme le Delaware ou le Montana, dans un système où ces États sont tous égaux dans l’Union. C’est donc le recensement de 2020 qui déterminera le nombre de grands électeurs pour les élections de 2024 et 2028.

«  Clairement, la volonté de réforme qui a contribué

à porter Joe Biden au pouvoir va se heurter à la majorité

conservatrice qui domine la Cour suprême.  »

Quant aux juges fédéraux, deux mesures sont en réalité prévues par la Constitution pour préserver leur intégrité et les protéger de toute pression  : la nomination à vie, effectivement, mais aussi la garantie que leur salaire ne pourra être diminué au cours de leur carrière. Ces mesures leur assurent une grande liberté d’action. Cependant la nomination à vie des juges par le pouvoir du moment, comme on a pu l’observer avec Donald Trump, conduit inéluctablement au verrouillage politique des cours fédérales, avec pour conséquence des blocages sur les questions notamment sociétales. Ainsi la volonté de réforme qui a contribué à porter Joe Biden au pouvoir va se heurter à la majorité conservatrice qui domine la Cour suprême. C’est pourquoi certains Démocrates appellent maintenant à limiter dans le temps la nomination des Justices de la Cour suprême.

Enfin, le poids de l’argent dans les campagnes électorales américaines est choquant pour les Français, habitués au plafonnement des dépenses de campagnes dans un souci d’égalité et d’indépendance des candidats. Néanmoins, un sondage indiquait en 2018 que deux tiers des Américains étaient en faveur d’une limitation des contributions privées aux fonds de campagnes, jugeant l’influence des grands donateurs préjudiciable. Cependant, n’est pas forcément élu celui qui lève le plus d’argent. Lors de la campagne sénatoriale qui vient de s’achever, Lindsey O. Graham avait accumulé un retard financier tel sur son concurrent démocrate, Jaime Harrison, qu’il avait supplié en direct sur Fox News les téléspectateurs conservateurs de lui adresser des dons. Il n’a jamais comblé son retard, et pourtant il a été réélu…

En conclusion, je ne suis pas certain qu’il faille s’attendre à des réformes radicales imminentes sur ces différents sujets. Et même si Joe Biden a prévu de s’attaquer au financement des campagne, ou encore de nommer une commission pour réformer la Cour suprême, il a pris le contre-pied de nombreux élus démocrates en se prononçant pendant les primaires contre une réforme du collège électoral. Compte tenu de difficultés prévisibles avec un Sénat républicain et du contexte de pandémie qui s’aggrave de jour en jour, d’autres priorités vont certainement l’accaparer.

 

André Rakoto 2020

 

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14 novembre 2020

Mehdi Aleyan: « Un retard de prise en charge d'une pathologie cardiaque peut être catastrophique ! »

Après une accalmie sur le front du Covid-19 pendant l’été en France, les chiffres des infections nouvelles ont connu une nouvelle ascension à partir du mois de septembre, puis une flambée brutale et continue à partir de la mi-octobre. Un nouveau confinement a été décidé par les plus hautes autorités de l’État, sur le conseil de médecins et de scientifiques jugeant une telle mesure nécessaire pour limiter la propagation du virus, éviter une surcharge critique des services de réanimation et contenir un nombre de décès déjà très lourd. À l’heure où j’écris cette intro, ce chiffre atteint presque les 44.000 morts pour la France, et plus d’1,3 million dans le monde.

J’ai souhaité inviter Mehdi Aleyan, cardiologue au CHU Louis Pradel de Lyon, à nous faire part de son expérience de ces derniers mois, à nous livrer ses commentaires vus de l’intérieur, et à nous parler un peu de sa spécialité, vitale avec ou sans Covid. Je le remercie d’avoir joué le jeu, et pour ses réponses, datées du 10 novembre. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Mehdi Aleyan: « Un retard de prise en charge

d'une pathologie cardiaque peut avoir

des conséquences catastrophiques ! »

 

M

On est appelé à expertiser les patients à leur lit avec un appareil

d’échographie cardiaque que l’on trimbale partout. Avec le Covid,

les procédures d'hygiène renforcées ralentissent notre efficacité.

 

Mehdi Aleyan bonjour. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire médecine, et pourquoi vous être spécialisé dans la cardiologie ?

pourquoi la cardio ?

Bonjour Nicolas. J’ai toujours eu ce qu’on appelle une vocation pour la médecine. On est dans la phrase cliché, mais c’est la vérité ! Je me souviens que, lors de nos rentrées scolaires, dès la primaire, je répondais systématiquement que je voulais être médecin quand je serais grand. La médecine est un domaine universel : l’être humain fonctionne de la même façon que l’on soit chez nous où à l’autre bout du monde. Cette science s’applique au-delà des différences culturelles, étatiques, législatives… Et c’est ce que j’aime.

Une chose qui est assez basique mais qu’il faut souligner : pour se lancer dans une carrière médicale, il faut avant tout aimer l’Homme. Et garder à l’esprit que chaque humain doit être soigné sans aucune distinction, c’est ce qui est d’ailleurs rappelé par le Serment d’Hippocrate. On peut être amené à soigner n’importe qui, on se fiche de ses opinions, de ses actions passées, etc…
Enfin, en tant que scientifique, je reste admiratif des prouesses biologiques de la vie et de tous les systèmes qu’elle anime (êtres humains, animaux, végétaux…). Toutes ces “machines vivantes” m’intriguent et me passionnent.

La cardiologie est une spécialité qui s'intéresse aux pathologies du cœur et des vaisseaux. Le cœur, c’est le moteur de notre corps. Sans lui, rien ne fonctionne. Une erreur de diagnostic peut donc avoir de lourdes conséquences pour le patient. Je trouve que cette approche donne un intérêt immense à cette discipline. On est au cœur du problème… permettez-moi le jeu de mot.

Après 60 ans, de nombreuses personnes développent des pathologies nécessitant une prise en charge par un cardiologue. La deuxième cause de mortalité dans les pays développés est l’insuffisance cardiaque (derrière le cancer du poumon). Il y a donc un réel besoin de cardiologie pour la santé publique. J’ai donc l’impression d’être directement impliqué pour répondre aux problématiques sanitaires de notre ère, et d’essayer d’en limiter l’impact. Ne comprenez pas par là que les autres spécialités sont moins utiles. Loin de là ! Toutes les spécialités médicales sont complémentaires et dépendent les unes des autres.

 

Racontez-nous votre vécu de ces neuf derniers mois, soit, depuis la première accélération de la propagation du Covid-19 en France ? Quel regard portez-vous sur la manière dont votre profession a vécu et vit encore tout cela ?

face au Covid

Tout est allé très vite… Je travaille dans un centre hospitalier universitaire dans un service d’explorations cardiologiques où l’on réalise des bilans avant ou après un problème cardiaque (infarctus, pontage, chirurgie de valve, transplantation, arythmie…).

16 mars : nous voilà confinés face à un virus venant de Chine et sur lequel nous avons peu d’informations. Au début, on n’ose pas être trop alarmiste. On ne sait pas vraiment s' il faut porter tout temps un masque, ou uniquement si les patients sont suspects. En plus, il existe une pénurie de masques qui nous force à les économiser. Petit à petit, l’activité cardiologique programmée de mon hôpital diminue pour ne réaliser finalement que des interventions urgentes.

« J’avais l’impression qu’il y avait un grand ennemi

commun et qu’on se battait tous contre lui. »

Rapidement, on s’organise : on transforme des services de cardiologie en service “Covid”, on se rend encore plus disponible, on fait le recensement des médecins aptes à travailler en services de soins intensifs ou en réanimation. J’avais l’impression qu’il y avait un grand ennemi commun et qu’on se battait tous contre lui. C’était assez excitant à vivre. De nombreux services, hôpitaux et cliniques ont collaboré dans cette bataille. On se réunissait (en visio) chaque jour pour faire un point scientifique et sur l’état de notre hôpital. C’était une période pleine de nouveautés avec, sans cesse, de nombreux changements.

Rapidement, je suis moi-même infecté par le Covid, au début de la première vague. J’étais très frustré de ne plus pouvoir aider mes confrères dans cette bataille. J’ai eu la chance d’avoir de nombreux témoignages de solidarité et de messages de soutien de mes confrères. Une fois guéri, j’ai heureusement pu revenir au front.

Une chose qui est peu avouée : de nombreux soignants ont peur. Peur d’attraper eux-mêmes le Covid et de faire une forme sévère, car âgés de plus de 60 ans. Peur de ramener le Covid à la maison et de contaminer les proches. Peur de ne pas avoir de lit pour pouvoir hospitaliser leur patients...

C’est la première fois que je ressens cette sensation de peur, chez les soignants. Habituellement, c’est un sentiment qui n’existe pas à l'hôpital : on sait ce qu’on fait, où on va, on arrive à anticiper, on établit un pronostic… Avec le Covid, c’est le flou total. Finalement, je me dis que c’est une émotion naturelle, et qu’on reste des humains derrière nos blouses blanches et nos masques.

 

Comment ça se passe aujourd’hui, dans les coulisses des hôpitaux, après la nouvelle flambée de cet automne ? Dans quelle mesure le service dans lequel vous exercez est-il impacté ?

faire face à l’hôpital

Même si les hôpitaux ont pu apprendre de l’expérience de la première vague, cette deuxième vague a submergé le système hospitalier. Certes il y a davantage de masques et de protection mais cela ne fait pas tout.

D’un côté l’épidémie requiert l’ouverture de davantage de lits d’hospitalisation, mais de l’autre elle réduit les effectifs de soignants en contaminant le personnel. C’est un casse-tête… Tous les jours, on se bat pour trouver une place pour hospitaliser un malade.

Dans mon service, de nombreux patients auraient dû avoir une expertise cardiologique ou une intervention du cœur lors de la première vague. Cela a été décalé à l’automne : pile pendant la deuxième vague. Ces soins doivent être encore décalés et à ceux-ci s'ajoute la charge de travail habituelle. Cela demande un effort organisationnel considérable et augmente le nombre de patients dans le besoin. Dans mon service, on essaie le plus possible de ne pas tout déprogrammer, car cela peut entraîner une perte de chance pour les patients. Un retard de prise en charge d’une pathologie cardiaque pourrait avoir des conséquences catastrophiques ! C’est ce qu’on appelle les dommages collatéraux du Covid.

En plus de provoquer de nombreuses hospitalisations directement en rapport avec le virus, cette pandémie paralyse tout le reste du système de soin...

 

La région Rhône-Alpes est réputée être une des plus tendues sur le front de la crise sanitaire en ce moment, et pas mal de malades ont d’ores et déjà été transférés dans les services d’autres régions. Vous le ressentez au quotidien ?

tensions en Rhône-Alpes

En fait, je m’en suis vraiment rendu compte il y a une semaine. Un soir de garde à 2h00 du matin, une femme de 78 ans en détresse respiratoire majeure était amenée aux Urgences par le SAMU. Le médecin urgentiste avait besoin d’une évaluation cardiologique pour juger de la gravité de la patiente. D’habitude, on réalise les premiers soins dans le service des urgences puis on transfère très rapidement les patients sévères en réanimation. Or, tous les services de réanimation aux alentours (dont celui de l’hôpital où je travaille) étaient remplis. On a dû commencer les soins intensifs aux urgences, sans savoir ni où ni quand on allait pouvoir transférer cette patiente. Finalement, la place de réanimation disponible la plus proche était à plus de 150km. Du jamais vu !

C’est sur le terrain, et confronté à ce genre de situation que je me suis rendu compte de combien la situation était périlleuse. J’en profite pour partager une petite pensée de soutien pour mes confrères, et à tous les soignants qui sont aux premières lignes.

 

M

Ce masque de protection ne fait-il pas penser à un casque de chantier ?

 

On lit et on entend beaucoup que, face à ce coronavirus, les difficultés respiratoires constituent un signal d’alerte d’une forme plus grave. Est-ce qu’il y a une vulnérabilité plus grande des malades du cœur au Covid-19 ?

Covid-19 et maladies du cœur

C’est une question intéressante. De nombreuses études sont actuellement en cours sur l’interaction entre Covid-19 et les maladies chroniques des différents organes. Je pense qu’il est encore trop tôt pour définir précisément ce qu’il en est. Une chose est sûre : ce virus ne touche pas uniquement le système respiratoire.

On sait que les patients porteurs de cardiopathies sont à risque de faire des complications graves du Covid. On sait aussi que le Covid peut de façon exceptionnelle toucher le muscle du cœur (myocardite) et entraîner ainsi une défaillance sévère de la pompe cardiaque. Par ailleurs, les pathologies du cœur résultent souvent d’autres pathologies (diabète, hypertension, tabagisme, obésité…). L’infection au Covid, en déstabilisant ces facteurs de risques, peut provoquer des décompensations cardiaques. Cela ajoute un critère de sévérité dans la prise en charge.

Une autre information capitale : à cause de l’engorgement des hôpitaux, certains patients ne consultent pas. Soit par peur d’attraper le virus à l’hôpital, soit par peur de “gêner” les professionnels de santé avec des problèmes de santé non liés au Covid. On découvre alors de façon trop tardive que certains patients ont fait un infarctus à la maison, ou un AVC. Ces dernières pathologies nécessitent un traitement en extrême urgence, mais il faut avant tout que le patient appelle le SAMU ou consulte aux urgences. Les conséquences de la prise en charge tardive de ces pathologies peuvent être catastrophiques.

Par exemple, il m’est arrivé de prendre en charge un homme de 45 ans qui avait fait vraisemblablement fait un infarctus à la maison, un mois auparavant. Il m’a avoué ne pas avoir consulté plus tôt de peur d’engorger les urgences avec un problème non lié au Covid lorsqu’il avait ressenti son oppression thoracique. Résultat des courses : son coeur était dans un état critique et son pronostic bien moins bon que si on l’avait pris en charge dans des délais habituels.

« Covid ou pas, on continue de se faire soigner

et de consulter un médecin en cas de problème de santé ! »

Moralité : Covid ou pas, on continue de se faire soigner et de consulter un médecin en cas de problème de santé !

 

Quelles leçons tirer de cette grave crise sanitaire ? Est-ce que vous, quelque part, elle vous aura changé ?

des leçons à tirer

Une des principales leçons est qu’il faut que notre société soit prête à faire face à des situations de crise, aussi bien au niveau du système de santé que dans les systèmes économique, social, éducatif, etc... Si on prend du recul et qu’on s’intéresse à l’Histoire, il y a toujours eu des crises (guerres, crashs boursiers, pandémies…). Et malheureusement, l’Histoire se répète, alors autant s’y préparer !

Concrètement au niveau sanitaire, cela signifie : avoir un stock de réserves suffisant. Par cela, j’entends : un stock de protections (masques, gants…), un stock de personnels de réanimation de réserve, un stock de respirateurs, etc… Quand tout sera redevenu à la normal, je pense qu’il faudra garder une marge de manœuvre et ne pas surcharger l’activité médicale pour qu’elle puisse s’adapter en cas de crise sanitaire comme celle-ci.

Une autre leçon est qu’il faut admettre que l’on vit dans un monde globalisé. Ce qui se passe dans un pays à l’autre bout du monde peut très bien se répandre jusqu’au nôtre. C’est ce qu’il s’est passé avec le Covid venu de Chine. Il faudrait donc davantage anticiper les propagations des crises, pour être mieux préparés.

Aussi, pendant ces confinements, de nombreuses actions ou témoignages de solidarités ont vu le jour. Cela donne de l’espoir. On a beau être dans un monde de plus en plus individualiste, on peut néanmoins encore se soutenir les uns les autres.

À titre personnel, cette crise m’a fait prendre conscience que rien n’est acquis de façon définitive. Sans rentrer dans les gros clichés qu’on pourrait voir dans une émission de NRJ12 : il faut profiter du moment présent, de ses proches, de ceux qu’on aime. Il faut aussi profiter du goût des aliments et de l’odorat... tant qu’on les a !

 

Quelques conseils d’exercices simples pour prendre soin, les uns et les autres, de notre cœur, notamment quand on n’est pas trop sportif ?

savoir écouter son cœur

Pour le cœur, on prévient mieux qu’on ne guérit. Alors pour éviter d’avoir des maladies cardiaques il est conseillé de :

Bouger : prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur, aller au boulot en vélo/à pied quand cela est possible, faire un footing/du vélo d’appartement 30 min 2 fois par semaine, danser, sauter, gambader… être actif ! Certaines études démontreraient que de posséder un chien serait cardio-protecteur, car cela nous contraindrait à sortir le promener.

Manger mieux : adopter un régime méditérranéen avec du poisson et des légumes à volonté, mettre de l’huile d’olive à la place du beurre. Remplacer la viande rouge par de la viande blanche ou du poisson. Éviter les plats préparés (pleins d’acides gras saturés). Réduire sa consommation en sel, en évitant de saler systématiquement les plats. Limiter la consommation des aliments ayant peu d’intérêt nutritif (sodas, bonbons, chips, barres chocolatées…).

Arrêter la cigarette : parfois plus facile à dire qu’à faire, mais c’est primordial pour protéger son coeur. De nombreuses solutions existent (patch, gomme, e-cgarette)... On commence à se pencher aussi sur les médecines alternatives qui peuvent permettre le sevrage pour certaines personnes (hypnose, médecine chinoise, sophrologie).

Parfois, la prévention ne suffit plus et on fait un infarctus (une crise cardiaque). Cela arrive surtout chez les personnes avec des facteurs de risque (diabète, cholestérol, tabac, obésité, hypertension, hérédité), et après 50 ans. Il faut savoir reconnaître les signes : une douleur à la poitrine qui serre, qui irradie dans l’épaule et la mâchoire. Il existe d'autres présentations avec des sueurs, des essoufflements, des douleurs gastriques inhabituelles...

« Savoir reconnaître un début d’infarctus

et alerter, ça peut sauver des vies ! »

Dans ce cas, il ne faut pas attendre : on appelle le SAMU (15) et on se laisse guider. Savoir reconnaître un début d’infarctus et alerter, ça peut sauver des vies !

 

Bips

Les différents bips pour le médecin de garde...

 

Que pouvez-vous nous dire des perspectives les plus encourageantes de la recherche pour ce qui concerne votre spécialité donc, la cardiologie ?

les perspectives de la cardio

La France est un pays pionnier dans le domaine de la cardiologie. Il existe de nombreuses découvertes réalisées par des équipes françaises qui ont été exportées dans le monde entier (prothèse cardiaque, technique chirurgicale, stent…).

De nombreux thèmes de recherche sont en cours avec des perspectives d’analyses prometteuses. Je pense notamment au cœur artificiel total, qui pourrait régler le problème de pénurie de don de cœur pour la transplantation cardiaque. Le concept est d’enlever le cœur malade du receveur pour le remplacer par un cœur artificiel, et continuer à vivre normalement. Cela fait très futuriste, mais c’est un projet en cours de développement. Il s’agit là encore d’un concept français !

Un thème à la mode actuellement est l’étude de l'interaction des éléments de l’environnement (pollution, perturbateur endocrinien, additif alimentaire, etc…) sur le cœur . Mieux cibler et éviter les cardio-toxiques améliorerait la prévention des maladies cardio-vasculaire.

Il y a aussi la greffe de cellules souches pour régénérer une partie du muscle du cœur qui aurait trop souffert. Il s’agit là aussi d’une piste prometteuse...

Enfin, je pense que la génétique a encore beaucoup à nous apprendre sur le développement de certaines maladies cardiaques.

 

Un dernier mot ?

Histoire drôle : j’ai tenté de me prélever moi-même via PCR pour le Covid. J’ai pris un écouvillon et ai essayé de le passer au travers de toute ma cavité nasale. Je vous assure, ce n’est pas évident et ça fait encore plus mal... J’ai fini par passer la main à un confrère... Ne tentez pas de faire cela chez vous. ;)

 

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10 novembre 2020

« Croire en l'Amérique, rassembler le peuple américain : le défi de Joe Biden », par P.-Y. Le Borgn'

Il y a une semaine tout juste, le peuple américain se mobilisait massivement pour élire son prochain président, après quatre années d’un règne Trump clivant et pour le moins controversé. La victoire du ticket démocrate formé par Joe Biden et Kamala Harris, incertaine pendant de longues heures, s’est révélée nette, tant sur le plan du vote populaire que du collège électoral, même si de son côté, l’actuel locataire de la Maison Blanche a également été gratifié de scores impressionnants.

Ce résultat, beaucoup de gens l’espéraient, notamment parmi les progressistes, aux États-Unis, en Europe et ailleurs. Biden le libéral modéré succédera à Trump, le conservateur revanchard. Une chance, peut-être, de panser un peu les plaies de la division, aujourd’hui très vives en Amérique ; une chance aussi de redonner toute sa place, et toutes ses responsabilités, sur la scène diplomatique, à la plus grande puissance mondiale.

Peu après la confirmation de la victoire de l’ex-vice-président d’Obama, j’ai souhaité proposer à Pierre-Yves Le Borgn, ancien député des Français de l’étranger et fidèle de Paroles d’Actu, de nous livrer, par un texte inédit, son ressenti et ses espoirs suite à cette élection. Je le remercie d’avoir une nouvelle fois accepté mon invitation. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU - SPÉCIAL USA 2020

Joe Biden et Kamala Harris

Joe Biden et Kamala Harris, discours de victoire. Photo : Carolyn Kaster/AP.

 

Croire en l’Amérique, rassembler le peuple

américain : le défi de Joe Biden

par Pierre-Yves Le Borgn’, le 9 novembre 2020

Comme bien d’autres, j’ai suivi la nuit des élections américaines le nez collé aux sites du Washington Post et de CNN. J’aime profondément les États-Unis. J’ai eu la chance d’y travailler deux années au sortir des études. Cela reste un moment de vie fort pour moi, comme une période initiatique, dont je me souviens avec émotion. Les États-Unis me sont chers par leur histoire, celle de la liberté et du droit, et aussi par leur diversité humaine. Il y a une force, une volonté, un dynamisme aux États-Unis qui ne cessent de me toucher. C’est une partie du rêve américain. Mais la vie y est dure pour des millions de gens, confrontés à la pauvreté, aux injustices, à la faiblesse de la couverture sociale et à un racisme latent dont la mort tragique de George Floyd l’été dernier aura été la plus tragique et insupportable expression.

J’ai assisté par deux fois, à Washington, à la prestation de serment d’un président américain. La première fois, c’était en janvier 1997 pour le second mandat de Bill Clinton. La seconde fois fut en janvier 2009 pour le premier mandat de Barack Obama. J’avais envie de vivre, au milieu de la foule rassemblée dans le froid polaire de l’hiver américain, ce que ce moment de ferveur que l’on voit tous les quatre ans à la télévision, au chaud depuis chez nous, était vraiment. Je m’étais acheté un billet d’avion et j’étais parti là-bas exprès. C’était très émouvant, en particulier pour la prestation de serment de Barack Obama. Je l’avais raconté en 2016 sur mon blog. La solennité de l’instant m’avait impressionné. Le sentiment de vivre un moment d’histoire était immense. Je garde précieusement le petit bonnet Obama 2008 dont je m’étais couvert.

« Je trouve terrifiant d’imaginer qu’un homme

dépourvu de scrupules, impulsif, menteur,

narcissique, raciste, misogyne et démagogue

ait pu présider au destin de ce pays... »

Je suis heureux et soulagé que Joe Biden l’ait emporté. Sa victoire est incontestable, même si elle a pris plusieurs jours à se dessiner. Par tempérament, par sensibilité politique également, tout m’incline à suivre le Parti démocrate. J’ai aussi des amis républicains. Je conçois volontiers que l’on puisse être conservateur par conviction, économiquement et socialement. Ce que je ne puis comprendre en revanche, c’est que ceci se double d’insensibilité et de cynisme revendiqué. Or, c’est précisément cette face-là que Donald Trump a affichée pendant 4 ans. Je trouve terrifiant d’imaginer qu’un homme dépourvu de scrupules, impulsif, menteur, narcissique, raciste, misogyne et démagogue ait pu présider au destin de ce pays, semant le chaos, dressant les gens les uns contre les autres, vivant dans le déni de la tragédie sanitaire comme désormais du résultat même de l’élection.

Aux premières heures du 4 novembre, voyant filer la Floride vers Donald Trump, j’ai cru revivre, avec angoisse le scénario de 2016. Puis la prise en compte différée du vote anticipé, en fonction des législations des États concernés, a permis peu à peu de redresser la barre en faveur de Joe Biden, jusqu’à la victoire en Pennsylvanie samedi et le gain d’une majorité absolue dans le collège électoral. Cette élection a-t-elle été volée, comme le soutient Donald Trump  ? Absolument pas. Les électeurs, dans un contexte de pandémie, ont fait le choix du vote anticipé pour ne prendre aucun risque. Ils voulaient s’exprimer et les manœuvres dilatoires du président pour leur dénier le droit de voter ou la prise en compte de leur suffrage sont indignes. Cette élection rentrera dans l’histoire comme celle qui aura vu la plus forte participation électorale  avec près de 67%, preuve de l’enjeu et de sa perception.

Joe Biden sera sans doute élu avec 306 voix sur 538 dans le collège électoral. Dans le vote populaire, lorsque le dernier bulletin de vote aura été compté, son avance excédera 5 millions de voix. Jamais un candidat démocrate n’aura obtenu autant de suffrages. Mais jamais aussi un candidat républicain n’aura reçu autant de suffrages que Donald Trump. En 2020, même battu, il compte 7 millions de suffrages de plus qu’en 2016. Cela veut dire que le trumpisme, avec toutes ses outrances, y compris dans la libération de la parole de haine, a rencontré un écho dans le pays, en particulier dans les zones rurales à majorité blanche, dans les petites villes et dans les milieux évangéliques. Donald Trump est parvenu à balayer en 2020 plus encore qu’en 2016 la ligne traditionnelle du Parti républicain, certes conservatrice sur le droit à la vie ou le port d’arme, mais modérée sur d’autres aspects.

Il faudra à Joe Biden tout le talent d’une longue vie politique, en particulier au Congrès, pour rassembler un pays divisé comme jamais. Cette victoire est d’abord la sienne. Aucun autre candidat démocrate n’aurait pu l’emporter. Son empathie personnelle, la solidité de ses propositions au centre de la vie politique et une résilience sans faille face aux circonstances inédites de cette élection ont fait la différence. Mais s’il est parvenu à reconstruire le «  blue wall  » dans les États industriels du nord-est des États-Unis, ceux-là même que Donald Trump était parvenu à arracher à Hillary Clinton en 2016, il n’a pas pour autant retrouvé la coalition Obama de 2008 et 2012, en particulier le vote latino. Donald Trump est parvenu à capter le vote des électeurs d’origine cubaine en Floride. Et le score de Joe Biden au Nevada, y est en retrait par rapport à celui de Hillary Clinton il y a 4 ans.

Joe Biden comptera sur le soutien d’une Chambre des représentants où le Parti démocrate, bien qu’en retrait de quelques sièges, reste majoritaire. Au Sénat en revanche, malgré les deux seconds tours en janvier en Géorgie, le Parti républicain devrait garder la main. Cela veut dire qu’il n’y aura d’issue que dans des «  deals  ». Ce sera jouable si la volonté de part et d’autre existe de placer le pays et son intérêt supérieur devant la politique partisane. Les circonstances le requièrent. Le rassemblement voulu par Joe Biden et la volonté de prendre en compte la parole du camp d’en face doivent y conduire. À supposer qu’une part des sénateurs républicains et autres candidats putatifs à l’élection de 2024, déjà dans certaines têtes, ait le courage de s’affranchir de l’ombre probablement bruyante de Donald Trump pour sortir avec le président Biden les États-Unis de la crise économique et sanitaire.

En appeler au patriotisme et au dépassement est le chemin que prendra Joe Biden. Là où Donald Trump n’agissait que pour son camp, Joe Biden s’adresse à tous les Américains. À l’évidence, la maîtrise de la pandémie sera sa première priorité, en particulier par le dépistage généralisé et l’accès de tous au vaccin lorsqu’il sera disponible. En parallèle viendra la relance de l’économie américaine par un plan inédit de dépenses publiques et d’investissements dans des secteurs comme l’école, les infrastructures, les programmes sociaux ou encore les énergies renouvelables. Le salaire minimal sera doublé à l’échelle fédérale. Le plan de relance visera aussi à réduire la fracture raciale et les écarts de revenus. Prolongeant l’Obama Care, un assurance santé sera mise en place au profit des quelque 28 millions d’Américains privés aujourd’hui encore de couverture maladie.

Pour nous, Européens, l’action internationale de l’administration Biden sera essentielle. Joe Biden a promis le retour des États-Unis dans l’accord de Paris sur le climat et dans l’ensemble des organisations multilatérales abandonnées ou malmenées durant le mandat de Donald Trump. De cette Amérique-là, active et engagée, nous avons tant besoin. Pour autant, Joe Biden restera vigilant quant à la défense des intérêts américains, en particulier en termes commerciaux, et il est à prévoir que la position des États-Unis en relation à la Chine, mais également à l’Union européenne ne changera pas considérablement de ce point de vue. C’est pour cela qu’il ne faut pas surinterpréter non plus le réengagement américain sur la scène internationale. Mais une Amérique empathique, qui joue le jeu et qui reparle en bien au monde, ce sera déjà un pas considérable face aux défis de notre temps.

« En 2016, brisé par la douleur causée

par le décès de son fils, il avait renoncé.

En 2020, à près de 78 ans, Joe Biden y est allé,

et il a gagné. C’est une formidable leçon de vie. »

Au bout d’une vie publique de près d’un demi-siècle, Joe Biden deviendra le 20 janvier 2021 le 46ème président des États-Unis. Il fut un sénateur respecté et un vice-président déterminant durant les deux mandats de Barack Obama. La vie publique est faite de hauts, de bas, de longueurs, d’espoirs entretenus et déçus, de drames aussi. J’avais été bouleversé par le livre écrit par Joe Biden après la mort de son fils Beau, Attorney General du Delaware. Son titre est «  Promise me, Dad  ». La promesse qu’attendait son fils, c’est que son père tente une dernière fois de conquérir la Maison Blanche. En 2016, brisé par la douleur, il avait renoncé. En 2020, à près de 78 ans, Joe Biden y est allé, et il a gagné. C’est une formidable leçon de vie. Ne jamais renoncer, croire en l’Amérique, rassembler le peuple américain. C’est à Joe Biden désormais qu’il appartient d’écrire la suite de l’histoire.

 

Pierre-Yves Le Borgn' Biden

  

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9 novembre 2020

« Ces fractures révélées et amplifiées par l'assassinat de Samuel Paty », par Olivier Da Lage

Le meurtre de Samuel Paty, le 16 octobre dernier, a bouleversé la nation. Professeur d’histoire-géographie au collège du Bois-d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, il a été décapité, aux abords de son établissement, par Abdoullakh Anzorov, réfugié russe d’origine tchétchène. Peu avant, M. Paty avait été montré du doigt, dans un mouvement largement amplifié par les réseaux sociaux, par des activistes musulmans lui reprochant d’avoir présenté à ses élèves, lors d’un cours, des caricatures du prophète Mahomet - dont le dogme islamique rejette la représentation imagée et a fortiori, humoristique.

Ce crime a placé à nouveau au grand jour, les fractures qui traversent notre société. Avec, au cœur des crispations, la conception française, stricte, de la laïcité, le droit à la dérision et plus généralement, la liberté d’expression. De nombreux musulmans ont fait montre de leur attachement à ces valeurs, et d’autres, parfois de bonne foi, ou parfois cherchant à faire de la politique, ont exprimé leur gêne, voire leur hostilité quant à certaines libertés prises par des non-croyants avec leur religion. Il y a eu, dans le monde arabe, et au-delà, dans le monde musulman, des témoignages de soutiens, mais aussi des manifestations défiantes envers la France.

Pour faire un point, j’ai proposé à M. Olivier Da Lage, journaliste à RFI spécialiste de la péninsule arabique, une tribune libre autour de ces questions éminemment épineuses, et dont le traitement requiert une bonne dose de doigté. Je le remercie pour son texte, fin et éclairant. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Ces fractures révélées et amplifiées

par l’assassinat de Samuel Paty »

Olivier Da Lage

 

Samuel Paty

Source : SIPA.

 

Depuis le terrible assassinat de Samuel Paty devant le collège où il enseignait l’histoire et la géographie, la France est secouée par de violentes répliques, si l’on prend l’analogie sismique de ce meurtre terroriste commis au nom de l’islam.

Plusieurs chocs se succèdent et s’entremêlent  : la prise de conscience que cinq ans après les attaques contre Charlie Hebdo et celles qui ont visé le Stade de France, le Bataclan et les terrasses de l’Est parisien, la France est toujours une cible du terrorisme. S’y ajoutent la division profonde au sein de la classe politique et des milieux universitaires et intellectuels sur l’analyse des causes et des réponses à y apporter, la résurgence de réflexes xénophobes voyant dans l’immigration la raison principale de la situation actuelle et enfin, la remise en cause de l’État de droit au nom de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. Il faut y ajouter, pour être complet, que la France se sent bien seule face à l’incompréhension non seulement d’une bonne partie du monde musulman – ne parlons pas des dirigeants qui, presque tous à l’exception du président turc Erdogan, ont apporté leur soutien à la France – mais aussi du monde anglo-saxon où l’on n’a jamais véritablement compris ni admis que la laïcité à la française n’avait pas grand-chose à voir avec le sécularisme dont se réclament un certain nombre d’entre eux. Pour tout ne rien arranger, les deux conceptions de la laïcité qui s’affrontaient au début du XXe  siècle s’opposent aujourd’hui frontalement en public  : Combes d’un côté et Briand ou Jaurès de l’autre ont une descendance décidée à ne rien céder sur sa conception de ce qu’est la laïcité et surtout, de ce qu’elle ne doit pas être.

La France plutôt isolée internationalement

Le discours d’hommage à Samuel Paty prononcé devant la Sorbonne par le président de la République était parfaitement calibré pour l’opinion française et du reste, la quasi-totalité des personnalités de l’opposition l’ont approuvé. Mais on vit dans une ère mondialisée et ce qui s’adresse aux Français est entendu par d’autres, qui en fonction de leur culture, de leur histoire et de leurs croyances, ne l’ont pas reçu de la même façon.

Commençons par ce qui, à ce stade, est le plus rassurant – et ça ne l’est pas vraiment  : la campagne internationale contre la France, qui évoque à la fois celle de 2004, suite à l’adoption de la loi interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école (en réalité, le foulard islamique). À l’époque, chefs d’État et de gouvernement, y compris des alliés de la France, rivalisaient de condamnations pour se montrer les meilleurs défenseurs de l’islam, comparés à leurs voisins et adversaires. Même chose, en plus grave, après la fatwa prononcée en 1989 contre Salman Rushdie par l’ayatollah Khomeiny. Les pays sunnites n’avaient pas voulu laisser le monopole de la condamnation des Versets sataniques à l’Iran chiite et, s’ils n’avaient pas à leur tour appelé publiquement à tuer l’écrivain britannique, ils ne s’étaient pas non plus dissociés de cet appel.

Rien de tel cette fois-ci. Même si plusieurs pays arabes du Golfe, le Maroc ou l’Iran ont condamné la republication des caricatures de Charlie Hebdo représentant Mahomet, tous ont pris soin de condamner le meurtre de l’enseignant et plusieurs ont apporté publiquement leur soutien à la France contre les violences terroristes qui se sont produites à la suite. Les seules exceptions notables de dirigeants en fonction ayant choisi de réserver leur condamnation à la France en tant que telle sont le président turc Recept Tayyip Erdogan et le Premier ministre pakistanais Imran Khan.

«  Il faut comprendre que parfois, les opinions

publiques du monde islamique se dissocient largement

de leurs dirigeants, voire les associent au monde

occidental dans un même opprobre.  »

C’est rassurant, mais loin d’être suffisant. À force d’assimiler de façon simpliste les pays musulmans à leurs dirigeants, un grand nombre de leaders d’opinion négligent le fait que l’opinion publique du monde islamique s’en dissocie largement, voire associe leurs dirigeants et le monde occidental dans un même opprobre. Il faut suivre avec attention les manifestations d’ampleur qui ont eu lieu au Bangladesh et au Pakistan. En 1989 aussi, c’est dans le sous-continent indien qu’avait débuté la contestation, relayée ensuite dans la diaspora indo-pakistanaise en Angleterre, puis alors seulement dans le monde arabe.

De même, le ferme soutien apporté par plusieurs dirigeants occidentaux (mais pas tous  !) ne saurait dissimuler le fait que beaucoup sont mal à l’aise devant ce qui apparaît comme un soutien officiel de l’État en France à la publication de dessins qui blessent profondément les musulmans. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau ne s’est pas caché pour le dire explicitement et Paris a reçu ses déclarations comme une trahison. Mais si elle fait l’effort de regarder alentour, la France ne peut que constater son isolement sur cette question. La conviction que le modèle laïque français est supérieur à tous les autres est peut-être une consolation, mais bien insuffisante pour faire face aux difficultés politiques et diplomaties à venir.

Ce serait plus facile si la société française était soudée pour faire face à ces multiples défis.

Unie, elle l’a été quelques heures, jusqu’à ce que certaines personnalités, notamment l’ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls et ses proches, ne rejettent la responsabilité de l’action terroriste de ce jeune Tchétchène sur ceux qui l’ont à leurs yeux rendu possible, à savoir les «  islamo-gauchistes  » et tous ceux qui, par leur déni de réalité, ont fait le lit de la progression islamiste en France.

Sur l’utilisation du mot «  islamisme  »

Avant de revenir sur ces divisions françaises, il peut être utile de s’arrêter quelques instants sur cette notion d’islamisme. Ceux qui y recourent aujourd’hui y mettent des significations très différentes qui n’ont souvent pas grand-chose à voir les unes avec les autres. Le mot a une histoire et elle a son importance.

Pour résumer, dans la bouche de nombreux responsables politiques et journalistes, il est désormais synonyme de terrorisme. C’est un contresens et le moment est sans doute venu de rappeler l’origine du mot. Depuis la fin du XIXe  siècle et jusqu’aux années 80, il était souvent indifféremment utilisé pour parler de l’islam et de ses adeptes. Les choses changent après la révolution islamique iranienne. À l’époque, pour désigner les partisans de l’ayatollah Khomeiny en Iran, au Liban et ailleurs, les journalistes recourent fréquemment à l’expression  : «  intégristes musulmans  ». Or, ce terme fait directement référence à l’Église catholique et à la dissidence de Mgr  Lefebvre. C’est un non-sens. Pour éviter ce travers, certains choisissent alors d’utiliser à l’instar des anglophones le terme «  fondamentalistes  ». C’est un autre contresens, puisque tout musulman profondément croyant se considère comme un fondamentaliste, ce qui ne fait pas de lui un extrémiste pour autant  : cela signifie seulement qu’il croit fondamentalement aux principes de sa religion, ni plus, ni moins. Donc, ni intégristes, ni fondamentalistes, comment qualifier ces extrémistes se revendiquant de l’islam en tant que projet politique aux régimes en place dans le monde musulman  ?

«  Pour mieux comprendre une réalité, il convient

d’être précis sur les termes : un fondamentaliste

n’est pas forcément un extrémiste, et un extrémiste

pas nécessairement un terroriste.  »

C’est alors qu’un certain nombre d’islamologues français, issus de différentes disciplines et par ailleurs rarement en accord entre eux sur d’autres sujets, proposent un adjectif de rechange  : «  islamistes  ». Pour ces chercheurs, voici ce que signifie «  islamistes  », et rien d’autre. Parmi eux se trouvent des conservateurs bon teint, plus rarement des révolutionnaires, d’autres sont des extrémistes et au sein de ces derniers, sans nul doute, des terroristes, mais il n’y a pas d’équivalence sémantique. Un certain nombre de journalistes, sensibilisés par ces chercheurs (je suis du nombre), à leur tour, reprennent ce terme dans l’acception qui est la leur. Le mot commence à se diffuser dans la société.

Une vingtaine, peut-être une trentaine d’années durant, c’est le sens qu’il conserve. Toutefois, après les attentats du 11-Septembre 2001, son utilisation va rapidement changer de sens et glisser vers sa signification actuelle, liée au terrorisme. Il est désormais utilisé indifféremment pour désigner des personnes qui croient à l’islam en tant que projet politique dans leur pays (du monde arabo-musulman), ceux qui veulent modifier la société européenne au sein de laquelle l’islam est minoritaire, et aussi ceux qui projettent et commettent des attentats terroristes. Employer sans différencier «  islamistes  » pour caractériser des gens et des projets si différents n’aide ni à comprendre, ni à répondre, ni à combattre ces projets. Cela engendre de la confusion et rien d’autre.

«  Islamo-gauchisme  » contre «  islamophobie d’État  »

Le meurtre de Samuel Paty par un terroriste se revendiquant de l’islam a aussitôt donné lieu à la mise en cause simultanée des «  islamistes  » de toute nature avec la volonté affirmée du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin de donner un coup de pied dans la fourmilière, voire d’«  envoyer des messages  » à des personnes et associations n’ayant rien à voir avec l’enquête. L’annonce précipitée de la dissolution de plusieurs associations, dont le CCIF, pose de nombreuses questions qui ne sont pas seulement juridiques, quoique cela ne soit pas négligeable, depuis que le Conseil constitutionnel a érigé en 1971 des barrières élevées pour protéger le droit d’association. Il n’est pas besoin d’approuver les buts d’une association ni d’estimer ses dirigeants pour lui reconnaître le droit à l’existence, du moins dans un État de droit. Si le Conseil d’État devait déclarer illégales pour insuffisance de preuves la dissolution d’associations présentées comme favorisant le terrorisme, ce serait un mauvais coup porté à la lutte contre celui-ci. Il faudra attendre l’épuisement des recours pour le savoir, mais les juristes proches du gouvernement semblent peiner pour étayer une décision prise dans l’urgence, pour ne pas dire la précipitation.

La dénonciation du terme «  islamophobie  » est un autre élément à charge  : outre que les historiens ont fait litière de l’affirmation péremptoire de Caroline Fourest selon qui le mot a été forgé par les mollahs iraniens pour interdire toute critique de l’islam (en fait, on retrouve le mot dans des ouvrages datant des premières années du XXe  siècle), ce même terme est employé en anglais et dans bien d’autres langues sans que cela provoque le même émoi qu’en France et désigne couramment non pas la «  peur de l’islam  », mais l’hostilité aux musulmans (tout comme l’homophobie n’est pas la peur de son semblable, mais la haine à l’encontre des homosexuels). Et puisque le débat actuel fait remonter à la surface la participation de politiques de gauche (LFI, EELV, PCF) et de syndicalistes à la Marche contre l’islamophobie organisée le 10  novembre 2019 par un collectif d’organisations dont, entre autres, le CCIF, il n’est pas inutile de rappeler que l’appel a été lancé à la suite de la fusillade contre la mosquée de Bayonne quelques jours auparavant et dans le contexte de l’émotion que cette attaque avait alors suscité, bien au-delà des musulmans français.

Vient enfin l’accusation d’«  islamo-gauchisme  », qui a ceci de particulier qu’elle vise des personnes qui, dans leur écrasante majorité, ne sont ni musulmanes, ni gauchistes, aux fins de disqualifier leur parole. Les islamo-gauchistes seraient des marxistes attardés ayant oublié la dénonciation de l’opium des peuples et ayant remplacé le prolétariat par les musulmans, nouveaux damnés de la terre pour des porteurs de valise en mal de décolonisation à soutenir. Cette vision caricaturale serait risible, si elle n’était portée par des personnages aussi importants que le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur, le ministre de l’Éducation nationale qui s’en prend aux milieux universitaires avec une telle virulence qu’il s’est attiré une réponse cinglante de la Conférence des présidents d’université. La lutte contre l’«  islamo-gauchisme  » semble donc être devenue une priorité politique de l’État et de ses plus hauts représentants, même s’il est exact qu’à ce jour, le président Macron s’est bien gardé de reprendre publiquement cette expression à son compte. Parallèlement, des tribunes d’universitaires réputés pourfendent également, tout aussi publiquement, ceux de leurs collègues soupçonnés de faiblesse pour l’«  islamo-gauchisme  ».

«  Les uns crient à l’ "islamophobie d’État", les autres

ont inventé un nouveau maccarthysme ayant remplacé

le communisme par l’ "islamo-gauchisme"...  »

En retour, ceux ainsi désignés se rebiffent et mettent en cause, pour les uns une «  islamophobie d’État  », pour d’autres, ou pour les mêmes, un nouveau maccarthysme ayant remplacé le communisme par l’«  islamo-gauchisme  ».

La même violence a cours dans le monde des médias. L’universitaire dénonce l’universitaire, le journaliste dénonce le journaliste. C’est le concours Lépine des solutions simple à un problème complexe (le terrorisme) dont tous les spécialistes, quel que soit leur positionnement par ailleurs, s’accordent à dire qu’il est là pour longtemps et qu’aucune solution miracle ne le fera disparaître rapidement.

À ce stade de la réflexion, il est bien difficile de parvenir à une conclusion optimiste. Sur le plan international, on peut penser, en s’appuyant sur les expériences passées, que les tensions liées à l’affaire des caricatures finiront par se calmer, si du moins, certains ne remettent pas une pièce dans le bastringue à intervalle régulier pour faire la démonstration que le prix à payer pour considérer que nous sommes libres et non en état de soumission à l’islam.

En ce qui concerne la société française, le mal est en réalité beaucoup plus profond. Pourtant, jamais dans le passé, on n’avait vu autant de responsables musulmans, du recteur de la mosquée de Paris aux mosquées régionales en passant par le président du CFCM s’exprimer publiquement pour non seulement dénoncer les attentats terroristes, mais affirmer haut et fort le droit à la caricature, même si elle choque les sensibilités. Sans doute aurait-il été utile que ces affirmations viennent plus tôt. Le fait est qu’elles ont été relayées avec une relative discrétion par les médias. Cependant, à tort ou à raison, une grande partie des musulmans de ce pays ont le sentiment que la laïcité n’est invoquée que pour s’en prendre aux musulmans et que les autorités se précipitent au secours des catholiques et des juifs chaque fois qu’ils sont menacés, mais que les musulmans, pour ce qui les concerne, sont sommés de faire preuve à chaque fois de leur républicanisme, même lorsque les cibles sont musulmanes.

Quant au discours politique, il semble inscrit dans une dynamique que l’on voit à l’œuvre dans de très nombreux pays  : lorsque l’économie va mal, a fortiori avec une épidémie que les mesures gouvernementales ne parviennent pas à maîtriser, le seul champ lexical qui reste pour mobiliser une population est celui de la dénonciation de l’ennemi intérieur qui, de façon délibérée, ou parce qu’il se comporte en «  idiot utile  » de ce dernier, aide l’ennemi extérieur à s’en prendre à la communauté nationale. Ce regain de nationalisme, qui n’a pas grand-chose à voir avec le patriotisme, n’unit pas la nation  : il la divise en excluant, à la plus grande satisfaction de ceux qui, ayant toujours tenu ce discours, attendent désormais d’en recueillir les fruits, par exemple lors de la prochaine présidentielle en 2022.

par Olivier Da Lage, le 3 novembre 2020

 

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5 novembre 2020

Trump et le monde, un bilan par Nicole Vilboux

À l’heure où j’écris ces lignes, les résultats complets de l’élection présidentielle aux États-Unis ne sont toujours pas connus, et il est à prévoir qu’il ne seront pas définitifs avant un moment, si les procédures judiciaires prennent le pas sur le processus électoral. En l’état, on s’achemine vers une victoire relativement serrée au niveau du collège électoral de l’ex-vice président démocrate Joe Biden face au président républicain sortant Donald Trump.

Quel que soit le nom de celui qui, le 20 janvier, prêtera serment devant le Capitole, intéressons-nous un instant au bilan du président sortant dans le domaine qui, sans doute, nous concerne le plus : la politique étrangère. Il y a un peu plus de quatre ans, alors que la campagne Clinton-Trump battait son plein, Nicole Vilboux, analyste spécialisée dans la politique de sécurité des États-Unis et chercheur associé à la Fondation pour la Recherche stratégique (FRS), avait accepté mon invitation de dresser pour Paroles d’Actu les enjeux du scrutin sur les plans diplomatique et stratégique. Cette année encore, quelques jours avant l’élection, je l’ai sollicitée pour quelques questions et ses réponses, fort instructives, me sont parvenues le 4 novembre. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

TRUMP ET LE MONDE : UN BILAN

Un entretien avec Nicole Vilboux.

 

Kim Trump

Rencontre entre Kim Jong Un et Donald Trump, le 12 juin 2018. AFP

 

La politique étrangère menée par l’administration Trump a-t-elle été globalement fidèle aux orientations annoncées par le candidat Donald Trump en 2016 ?

En politique extérieure comme sur les questions intérieures, le candidat Trump s’est fait élire en 2016 sur un programme de rupture avec les orientations prises par ses prédécesseurs. D’abord, Barack Obama, perçu par les Républicains comme un président faible et indécis, ayant renoncé au leadership des États-Unis et amoindri leurs capacités de défense. L’objectif annoncé était donc de «  rendre sa grandeur à l’Amérique  », essentiellement en soutenant la restauration de la suprématie militaire et en affichant une plus grande fermeté à l’égard des ennemis (l’Iran), des rivaux (la Chine) mais aussi des alliés récalcitrants. Dans le même temps, Donald Trump entendait mettre un terme aux engagements militaires hérités de la présidence Bush et de ses projets idéologiques de transformation du Moyen-Orient.

Malgré la brutalité et les improvisations caractérisant le style présidentiel, l’administration Trump a effectivement mené une révision de la politique extérieure cohérente avec son approche réaliste des relations internationales. Elle rompt avec le «  mythe de l’ordre international libéral  » fondé sur l’extension inéluctable de la démocratie et les bienfaits de la mondialisation économique. Pour le président Trump (et les auteurs de la stratégie de sécurité nationale de 2017), le contexte actuel exige une politique  :

  • Fondée sur la défense des intérêts nationaux plutôt que sur la promotion de valeurs  ;

  • Appuyée sur l’entretien de la supériorité militaire nécessaire pour assurer la sécurité nationale face aux puissances rivales, mais dont l’utilisation doit être limitée à la préservation des intérêts majeurs et non à «  faire la police dans le monde  » (D. Trump à West Point en 2020)  ;

  • Donnant la priorité aux relations entre États au détriment des institutions internationales  ;

  • Et plaçant le principe de «  réciprocité  » au cœur des relations avec les partenaires, signalant que les États-Unis n’entendent plus fournir de garantie de sécurité «  gratuitement  », ni signer d’accord de libre-échange qui ne leur semble pas équitable. 

Cette ligne directrice a été suivie tout au long du mandat et est confirmée lors de la campagne de 2020.

 

Quel bilan tirez-vous de ce mandat s’agissant des succès et des échecs diplomatiques des États-Unis, de la solidité de leurs alliances et de leurs positions commerciales, et de la stabilité du monde ?

L’action diplomatique américaine a été compliquée par les initiatives et prises de position incontrôlées du président, de même que par l’affaiblissement du Département d’État, victime de la méfiance de Donald Trump à l’égard de l’establishment de Washington.

Par ailleurs, ce mandat a surtout été celui de la remise en cause de traités signés par les États-Unis, qu’il s’agisse des accords de Paris sur le climat, de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien (JCPOA) ou du traité d’interdiction des armes nucléaires de portée intermédiaire (FNI de 1987). Si ces décisions ont suscité de vives critiques des partenaires des États-Unis, elles sont considérées comme des succès par les experts conservateurs, qui jugeaient ces traités inefficaces et défavorables aux intérêts américains actuels.

Toutefois, la présidence Trump restera marquée par l’ouverture diplomatique audacieuse vis-à-vis de la Corée du Nord, succédant aux menaces de guerre. L’approche adoptée a certes suscité des inquiétudes chez les alliés régionaux et aucun progrès tangible n’a finalement été obtenu, le régime nord-coréen continuant même à développer ses capacités balistiques. Mais cet échec, qui n’a pas été suivi d’une remontée des tensions, peut aussi être considéré comme la reconnaissance «  réaliste  » de la part des États-Unis de l’impossibilité de parvenir à une dénucléarisation négociée. La prochaine administration, quelle qu’elle soit, ne pourra que prendre acte de la nécessité de vivre avec une Corée du Nord nucléaire.

Un autre processus de négociation controversé a été mené à terme par l’administration Trump, en Afghanistan. Poursuivant son objectif de retrait des forces, le président a engagé des discussions directes avec les Taliban, aboutissant à créer les conditions d’une sortie «  honorable  », quels que soient les doutes sur la viabilité à long terme des dispositions de l’accord.

Finalement, le Président Trump a pu terminer son mandat par une victoire diplomatique unanimement saluée aux États-Unis. Faute d’avoir pu proposer un grand plan de paix pour le Proche-Orient, il a présidé à la signature d’un accord important de normalisation des relations entre Israël, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn («  Abraham Accords  »), ce qui conforte en outre la coalition régionale contre l’Iran.

L’approche unilatéraliste de l’administration Trump, renforcée par la prédilection du président pour les relations fondées sur les affinités personnelles plutôt que sur les considérations stratégiques, a créé des difficultés avec certains partenaires, tandis que d’autres ont compris comment faire valoir leurs positions directement auprès de Donald Trump  : ce fut le cas pour le Japon sous la direction de Shinzo Abe, pour la Pologne ou la Turquie. Si l’on ajoute l’insistance du président à «  faire payer  » aux alliés la protection américaine, cela a clairement contribué à remettre en cause la conception traditionnelle d’alliances qui seraient fondées sur des valeurs et des intérêts de sécurité communs. Même si le discours institutionnel continue de souligner l’importance des partenaires, c’est la contribution de ces derniers aux objectifs de Washington qui détermine l’attention qui leur est accordée.

Pour certains observateurs, la dissolution des alliances pourrait aller plus loin en cas de second mandat. Les divergences entre Européens sur l’attitude à adopter seraient amplifiées et pourraient conduire à la paralysie de l’OTAN, si ce n’est à un désengagement formel des États-Unis (qui reste toutefois difficile à envisager du point de vue de la stratégie de défense). En Asie-Pacifique, les difficultés de renégociation des conditions de la présence américaine en Corée du Sud pourraient aussi aboutir à un retrait plus ou moins conséquent.

De tels changements constitueraient des ruptures claires avec le rôle de garant de l’ordre international, que les États-Unis ont souhaité conserver après la fin de la Guerre froide et qui est toujours jugé indispensable par une majorité de la «  communauté stratégique  ». Le renoncement des États-Unis à assumer les responsabilités d’une nation spéciale, pour se focaliser sur leurs intérêts particuliers, est en effet majoritairement perçu comme une erreur stratégique dans un monde où s’affirment d’autres puissances capables de rivaliser avec les États-Unis.

 

Dans quelle mesure estimez-vous que la crise sanitaire mondiale que nous vivons actuellement rebat et va rebattre les cartes de la géopolitique ?

La crise sanitaire a exposé d’une manière générale les vulnérabilités des pays occidentaux et conforté les tendances au repli national, au détriment de la coopération internationale. C’est le cas de manière particulièrement criante aux États-Unis, où la crise économique provoquée par la pandémie va réduire les moyens et les ambitions sur la scène internationale, alors que l’aggravation des fractures sociales affaiblit encore le «  modèle  » sur lequel reposait en partie le leadership américain.

D’un autre côté, la crise a définitivement placé la rivalité avec la Chine au cœur des préoccupations des États-Unis et cette compétition est devenue l’enjeu déterminant pour l’évolution de «  l’ordre international  ». Un certain nombre de pays, notamment en Europe, ont aussi pris conscience des risques de l’interdépendance avec la Chine et peuvent être plus sensibles aux initiatives américaines pour contrer l’influence de Pékin.

 

À quels grands défis diplomatiques le président investi le 20 janvier prochain devra-t-il faire face, et qu’est-ce qui, en la matière, va se jouer le 3 novembre ?

Le premier défi pour une administration démocrate serait de restaurer l’image d’une Amérique fiable et attentive à ses partenaires pour retrouver leur soutien, tout en poursuivant la réduction des engagements extérieurs afin de recentrer les efforts sur la restauration des bases de la puissance, dans les domaines économique, technologique et social. La possibilité de concilier une attitude plus ouverte avec la poursuite de la compétition stratégique avec la Chine serait un second défi de taille.

Pour une seconde administration Trump, la situation serait plus simple, puisqu’elle pourrait poursuivre la réorientation entreprise et que les adversaires comme les partenaires devraient reconnaître que la politique des États-Unis est désormais définitivement régie par la logique «  America First  », ce qui serait sans doute plus facilement acceptable par les premiers que par les derniers.

 

Nicole Vilboux

  

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27 août 2020

Bob Sloan, un hommage personnel

Cet article ne ressemble à aucun autre publié ici et, disons-le tout net, j’aurais préféré ne jamais l’écrire.

Il y a deux mois disparaissait Bob Sloan. Ce nom ne dira sans doute pas grand chose à grand monde parmi vous. Il me tient pourtant à cœur de vous parler un peu de lui, et de vous le présenter, quitte à aller pour une fois sur quelque chose de plus personnel sur ce blog.

Au commencement de cette rencontre, qui vaut bien à mon sens le présent hommage, il y eut un article, basé sur une interview à distance qui m’avait été accordée en avril 2016 par Grégor Trumel, alors consul général de France à La Nouvelle-Orléans. Un échange enrichissant avec un passionné connaissant très bien la Louisiane, l’histoire commune entre la France et les États-Unis, et les enjeux liés à la francophonie.

Le contact avec M. Trumel fut des plus agréables, et après publication de l’article, la discussion s’est prolongée. Curieux de découvrir, pour une idée de reportage futur, des parcours de francophones basés en Louisiane, je lui ai demandé s’il accepterait de me proposer un ou deux noms de personnes avec qui entrer en relation. Il m’en a proposé un : « Bob Sloan, universitaire de haut niveau et ancien directeur juridique de la compagnie Entergy. Très brillant et francophone. »

Bon, autant dire que, vu le profil du monsieur, et mes restes de timidité, je ne savais pas trop comment m’y prendre pour un premier abord, qui forcément serait un mail. Dans ce courrier, je me suis présenté un peu, 31 ans à l’époque, créateur de blog et grand curieux d’une Amérique jamais encore découverte (toujours pas à ce jour, mais j’espère le faire bientôt). Sa réponse, qui ne tarda pas, fut courtoise et d’emblée bienveillante : avant de l’écrire, il avait lu les deux articles que je lui avais proposés en lien et m’invita à un échange plus direct via Skype.

Le support de nos discussions, ce fut WhatsApp. D’abord du chat, pour se connaître un peu mieux, et affiner les formes de l’échange. Au départ, j’écrivais « Mr Sloan », normal. Très vite il m’a mis à l’aise : « Nicolas, je m’appelle "Bob", ou "Robert" si vous préférez, mais certainement pas Mr Sloan... ». Beaucoup de sujets abordés, au cours des discussions : les États-Unis, et la France, volets politique, diplomatie, économie et culture, les rapports et comparaisons entre nos deux pays, le nucléaire dont il était un expert reconnu, les débats d’idées qui le passionnaient, le sport et la religion... La famille. La vie, la vie tout court. Et l’Histoire, passion commune, même si évidemment sur ce sujet et sur les autres, il en savait beaucoup plus que moi. Mais il avait la bonté de ne jamais me le faire sentir.

 

Guy de Montlaur

Autoportrait sans indulgence, par Guy de Montlaur, 1969.

 

Sans grande surprise il y avait, dans notre panthéon commun, Churchill et de Gaulle, objets de pas mal de nos dialogues - qui de chats écrits, sont rapidement devenus téléphoniques, en général les jeudis après-midi. Cette histoire qu’il connaissait très bien, était aussi intimement liée à celle de sa famille, et notamment de sa belle-famille : son beau-père Guy de Montlaur, disparu en 1977, fit partie des fameux commandos Kieffer, ces Français Libres qui débarquèrent en Normandie en juin 1944, puis en Hollande. Il me parlait beaucoup de cet homme, peintre reconnu que lui n’avait pas connu mais qu’il admirait, et il me parlait souvent, avec admiration autant que tendresse, de la fille de celui-ci, son épouse Dauphine, enseignante comme lui à l’université de Tulane (La Nouvelle-Orléans), et chanteuse lyrique.

Après plusieurs mois de dialogue constamment agréable, une opportunité de rencontre fut trouvée lorsqu’il se rendit à Paris en juin 2018. L’occasion pour moi de retourner voir Paris, six ans après ma dernière visite de la capitale. Le rendez-vous fut pris pour le 17 juin, du côté de l’École militaire. De menus cafouillages et problèmes de communication ont retardé le moment tant attendu, mais ce fut résolu bien vite, et je l’ai retrouvé au café « La Terrasse », pour le petit-déjeuner. Moment souriant et de curiosité mutuelle, deux ans ou presque après nos toutes premières discussions par mail. La journée s’est poursuivie par une bonne balade qui nous a conduits jusqu’au Trocadéro, via le Champ-de-Mars et ses inévitables bataillons de vendeurs de Tour Eiffel. J’en ai tiré une belle photo que je garderai précieusement.

 

Bob

 

Une fois séparés, nous convînmes assez vite de nous revoir durant mon séjour. Le 19, soit deux jours plus tard, nos retrouvailles se firent côté Saint-Germain, aux pieds de Danton. Nous déjeûnames dans un restaurant, je n’ai pas retenu son nom, mais la déco était marine. Mille autres discussions alors, le monde refait en quelques minutes, sur fond sonore de match de foot, en pleine coupe du Monde qui, un mois après, allait voir la consécration de l’équipe de France. L’après-midi se poursuivit par une déambulation qui devait nous conduire jusqu’au jardin du Luxembourg. C’était en tout cas notre objectif, mais Paris étant vaste et ses rues parfois sinueuses, nous nous y sommes pris à plusieurs reprises avant d’atteindre le Sénat et son joli cadre. Nous avons certes un peu perdu notre chemin, mais ce fut souriant et ces écarts nous ont même permis, au hasard d’un détour, de passer devant un établissement qu’il avait fréquenté lors de ses études en France.

Je ne saurais dire, et cela importe peu, si Bob était un démocrate d’après la classification politique américaine. Ce que je sais, c’est qu’il était triste, et même malheureux, d’assister jour après jour, et tweet après tweet, aux démonstrations de vulgarité revendiquée du président des États-Unis, Donald Trump. Lui était un humaniste, ça se sentait quand on l’écoutait parler, ou même simplement, quand son regard et son sourire croisaient les vôtres. Je lui ai dit à une ou deux reprises que je le croyais apte à assumer le job, et je le pensais sincèrement : son expérience des affaires, de la politique et de la diplomatie, son intellect, sa curiosité des dossiers et des gens l’auraient qualifié pour devenir, je crois, un homme politique américain de haut niveau, qui eût été intègre et efficace. Je le lui avais promis : j’aurais été parmi ses premiers soutiens pour la campagne, « Sloan for America 2020 », si et seulement si il avait eu envie de cette vie de fou, évidemment.

Bob est mort, et Trump garde encore des chances d’être réélu en novembre. Le monde est parfois mal fait. La nouvelle de sa maladie et de la gravité de celle-ci, qui m’est parvenue deux semaines avant son décès, m’avait beaucoup peiné. C’était un homme bon, aimé d’un grand nombre de personnes qu’il avait côtoyées dans sa vie, et d’abord évidemment des siens. Il y avait un projet, vague et un peu lointain mais dont la perspective m’enchantait : visiter avec lui La Nouvelle-Orléans, cité fascinante si l’en est, ou encore son petit coin de paradis breton, près de Saint-Malo, terre en laquelle il repose désormais. Un symbole touchant, pour cet Américain qui aimait tant notre pays, sa culture, son terroir et son histoire.

Lors des obsèques de sa fille Marie, Jean-Louis Trintignant avait cité cette phrase que jai toujours retenue : « Ne pleure pas celle que tu as perdue. Au contraire, réjouis-toi de l'avoir connue. » Je suis heureux d’avoir eu la chance et le privilège de connaître Bob Sloan. Je reprendrai un de ses mots à lui, toujours curieux et toujours enthousiaste : il était quelqu’un de très « chouette ». Je remercie Grégor Trumel, Dominique Wolton, et George de Montlaur pour avoir considéré, chacun avec gentillesse, ma proposition première d’hommage à plusieurs voix, pour Paroles d’Actu. Je salue chaleureusement sa veuve Dauphine et leurs enfants, que j’espère rencontrer un jour. Et j’envoie mes bonnes pensées à chacun des lecteurs et interviewés du blog : j’en ai rencontré quelques uns, avec bonheur, mais j’aimerais en croiser bien d’autres, pour d’autres belles expériences humaines. Quant à toi Bob, mon ami, de là où tu es sois sûr de cela : I’ll always remember Paris, your smile and your kindness to me.

 

Bob and I 2018

 

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