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Paroles d'Actu
26 juin 2017

« 2017 : fin d'un cycle et tempête politique », par Philippe Tarillon

Philippe Tarillon, qui fut maire de Florange (Moselle) entre 2001 et 2014, a été comme nous tous le témoin de la déroute historique subie par sa famille politique, le Parti socialiste, en ces mois de mai et juin. Je lui ai proposé de nous livrer son analyse de la saison électorale qui vient de s’achever. Un texte sobre et pondéré, emprunt d’une vraie culture politique. Sur la gauche, celle qui se veut de gouvernement mais qui a eu la paresse coupable de repenser la société quand elle en avait le temps (le devoir ?), son jugement est sévère, mais pas sans espoir pour la suite, "si et seulement si"... Merci à lui pour cette nouvelle contribution. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Solférino

Le siège du PS, rue de Solférino. © Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro.

 

Nicolas Roche, pour « Paroles d’Actu », m’ayant demandé de réagir à l’actualité politique récente, c’est bien volontiers que je lui adresse cette contribution.

 

« 2017 : fin d’un cycle

et tempête politique »

Par Philippe Tarillonancien maire

socialiste de Florange (2001-14).

 

Les élections présidentielle et législatives de 2017 représentent un bouleversement majeur du paysage politique français, avec l’échec retentissant des deux partis politiques qui ont structuré la vie politique depuis des décennies. Aucune de ces deux forces n’ont accédé au second tour de l’élection présidentielle et ont vu leur représentation parlementaire fortement réduite pour les LR et presque annihilée pour le Parti socialiste. Il faut remonter à 1958 pour trouver un équivalent en termes de bouleversement du paysage politique.

D’autres aspects sont tous aussi importants :

  • Le Front national n’a pas transformé l’essai mais peut se targuer du nombre record de voix obtenues à l’élection présidentielle. Il n’a pas brisé le fameux plafond de verre et la campagne de nature identitaire et sectaire, menée au second tour par Marine Le Pen, s’est au final révélé contre-productive. Le système électoral majoritaire n’a pas permis au FN de constituer un groupe, compte tenu de son isolement. Pour autant, sa montée permanente est un élément majeur d’inquiétude.
     
  • La France Insoumise pourra, elle, constituer ce groupe. Mais Jean-Luc Mélenchon n’a pas pu ou pas su capitaliser sur son excellent score du 1er tour de l’élection présidentielle. La dynamique de FI est fragile dans la mesure où elle repose d’abord sur la fonction tribunitienne de son chef.
     
  • L’importance croissante du refus de vote, particulièrement importante pour les législatives. Un triste record a été battu, et la moyenne cache des réalités sur certains territoires qui ne se désintéressent massivement des débats politiques.

 

La victoire d’Emmanuel Macron est incontestable, mais doit être nuancée :

  • Au premier tour de l’élection présidentielle, il est arrivé en tête, poussé par le phénomène du vote utile de la part d’électeurs, notamment de gauche, qui voulaient éviter un second tour entre Le Pen, dont la qualification semblait acquise, et un François Fillon dont le programme droitier faisait peur, sans parler de la personnalité atteinte par les affaires qui ont plombé sa campagne. Il a aussi profité de l’affaiblissement du PS tout au long du quinquennat et de l’incroyable situation de la droite, plombée par les affaires de son candidat et qui a perdu une élection qui lui semblait promise.
     
  • Au second tour, il a bénéficié du réflexe du vote républicain mais ce mécanisme ne cesse de baisser en efficacité, notamment du fait de l’absence de consignes de la part de Jean-Luc Mélenchon.
     
  • Aux législatives, il a eu une nouvelle situation favorable : atomisation de ses adversaires, démoralisation, démobilisation. La forte abstention atténue cependant la portée de son triomphe, qui s’est d’ailleurs traduit par une forte majorité absolue, sans aller jusque la chambre introuvable qu’on pronostiquait au lendemain du premier tour.

« L’échec du processus des Primaires, à travers

les candidats désignés, confirme la perte

d’influence des appareils partisans. »

L’intelligence d’Emmanuel Macron a été de savoir surfer sur cette vague et de se faire passer pour l’homme du renouveau, alors qu’il est un pur produit du système. Mais il a su avec talent tenir un discours qu’attendaient de nombreux Français, déçus des alternances régulières entre PS et droite parlementaire, sans que pour autant ne soient apportées de réponses durables aux maux économiques et sociaux d’une France en plein doute. En mettant en avant le renouvellement, le rassemblement, le refus des « clivages artificiels », l’appel aux compétences et à la « société civile », Macron a permis que se fasse la rencontre entre un homme et une nation, ce qu’avait voulu le Général de Gaulle en faisant du Président la « clé de voûte » des institutions. Par contraste, l’échec du processus des Primaires, à travers les candidats désignés, confirme la perte d’influence des appareils partisans.

 

Pourquoi ?

Du côté de la droite, certains défendent l’idée que la situation est conjoncturelle, due au choix d’un candidat qui avait fait de sa « droiture » la clé de son succès inattendu aux Primaires et qui a fini par être rattrapé et submergé par ses contradictions et une image dégradée face aux affaires. Les mêmes font constater que la droite a limité la casse aux législatives.

Pour ma part, je rappellerai seulement l’évolution de long terme qui a vu la droite UMP, devenue LR-UDI, passer de 370 députés en 2002 à environ 120 en 2017. Situation qui va encore être aggravée par les profondes divisions entre tenants de la ligne dure et les « constructifs ».

« La droite n’a pas su rester une force de

rassemblement... la rançon de la ligne Buisson. »

La droite s’est en fait repliée sur un socle qui reste solide, de l’ordre de 20% du corps électoral. Elle n’a pas su rester une force de rassemblement, rançon de la ligne Buisson, portée par Nicolas Sarkozy, qui avait pour objectif de voler au FN ses thèmes de prédilection. Cela a fonctionné un moment, lors de l’élection présidentielle de 2007, mais a fait fuir sa frange modérée, qui s’est laissé séduire par le discours libéral et rassurant du candidat Macron.

La crise du PS est encore plus profonde, et le quinquennat de François Hollande fut celui de la fracture. Le PS fut longtemps un parti de militants, fort de ses réseaux d’élus locaux constitués lors des grandes victoires du socialisme municipal, en 1977 et plus proche de nous, en 2008. Les effectifs des sections, de leur côté, n’ont cessé de fondre. Cette anémie a été aggravée par les divisions profondes, l’affaiblissement considérable du réseau des élus locaux, après la série d’élections calamiteuses de 2014 et 2015.

« Le PS a passé dix ans dans l’opposition, de 2002

à 2012, à attendre l’alternance comme d’autres

attendaient Godot, sans se préparer, sans réfléchir,

sans mesurer les changements de la société. »

Pour remettre le PS à flots, Lionel Jospin, en 1997, avait su construire et mettre en œuvre un projet porteur, avec les 35 heures ou encore les Emplois jeunes. Rien de tel ne figurait dans le projet de 2012. Le PS a passé dix ans dans l’opposition, de 2002 à 2012, à attendre l’alternance comme d’autres attendaient Godot, sans se préparer, sans réfléchir, sans mesurer les changements de la société. Le PS et celui qui l’a incarné depuis 2002, a fait du « molletisme »  : un discours très à gauche dans les congrès et en campagne (« mon adversaire, c’est le monde de la finance »), et une pratique très modérée une fois revenu aux affaires. L’histoire revalorisera certainement le bilan du quinquennat, en particulier le nécessaire redressement des finances publiques et l’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises. Mais cette politique n’a pas été remise en perspective et la situation réelle du pays en 2012 n’a pas été rappelé au départ. Pire encore, des fautes graves ont été commises, comme sur la déchéance de nationalité ainsi que le premier et grave coup de canif du Code du travail que fut la loi El Khomri. Les divisions ont pesé, et les frondeurs ont une forte responsabilité, même si au final je considère qu’ils ont été les lanceurs d’alerte. Comme pour l’échec historique du premier tour de l’élection présidentielle de 1969, avec à peine plus de 5% de voix, les pratiques molletistes (discours de gauche et politiques contraires aux engagements pris) ont conduit aux mêmes effets. On ne gouverne pas la France comme on gagne un congrès du PS.

Au-delà de ça, le PS, après avoir perdu au profit du FN, les classes populaires, a aujourd’hui perdu son socle, qui faisait de lui le parti des salariés, en particulier dans la fonction publique.

« Le PS doit trouver la voie centrale qui annonce

les idées progressistes de demain... »

Le PS survivra-t-il à 2017 ? Il lui faut pour cela analyser ce qui s’est passé, sortir de ces pratiques et trouver un discours politique clair. Sans renoncer à être une gauche de gouvernement, il lui faut trouver la voie centrale qui annonce les idées progressistes de demain, renonce aux pratiques droitières, sans tomber dans l’erreur que serait une dérive vers le gauchisme, qui deviendrait alors, pour détourner une parole de Lénine, « la maladie sénile du socialisme ». Au total, une voie étroite.

Tout cela veut-il dire que les deux partis historiques sont devenus des cadavres politiques ? Je reste convaincu de la pertinence du clivage droite-gauche, dès lors que la droite républicaine assume ses valeurs et ne cherche plus à faire du « Le Pen light » et que le PS réussisse à se refonder, un nouvel Epinay en quelque sorte, ce qui ne sera pas facile pour un parti exsangue, tant en adhérents qu’en élus nationaux et locaux.

Le contexte sera aussi important. Macron ne bénéficiera pas toujours de l’alignement des planètes. L’application d’un programme qui comprend des mesures brutales et clivantes ne manquera de réveiller les oppositions et de changer la donne.

En ce qui me concerne, je continuerai à suivre ce débat et à y prendre part, même si je donnerai la priorité absolue au local, dans la perspective des municipales. Je retiens de la stratégie de Macron ce qui est à reprendre : rassemblement, compétences, représentativité, poids de la « société civile », ce qui ne veut pas dire que les valeurs sont mises dans la poche et que des militants ne réunissent pas toutes ces qualités. Une chose est sûre : on ne peut plus faire une liste, dans une commune de 12.000 habitants comme la mienne, avec la règle à calcul et les seuls critères politiques. Nous sommes sortis d’une séquence politique. Et comme quoi, dans tout épisode, même les plus douloureux, il y a des leçons à retenir.

texte daté du 25 juin 2017

 

Philippe Tarillon avec Jaurès

Le texte suivant a été choisi par Philippe Tarillon pour illustrer cette photographie...

« Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir, mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin. Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »

Jean Jaurès, Discours à la Jeunesse, 1903.

 

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29 mai 2017

Frédéric Salat-Baroux : « Les habits de la Vème République semblent convenir parfaitement à Emmanuel Macron »

Frédéric Salat-Baroux fut, entre 2005 et 2007, de par sa position de secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de Jacques Chirac, un des personnages les plus puissants de l’État. Il a depuis lors fait bifurquer son parcours vers le privé, vu et appris de nouvelles choses, étoffé sa "pensée" du monde, du monde et de notre pays. Le 20 juillet dernier, à l’occasion de la parution de son ouvrage La France EST la solution (Plon, 2016), riche tour d’horizon des maux de la France d’aujourd’hui et programme clé en main pour y remédier, M. Salat-Baroux avait longuement répondu à mes questions pour Paroles d’Actu. Le contact a été maintenu, et c’est tout naturellement que j’ai eu envie dinterroger ce proche d’Alain Juppé sur la dernière élection présidentielle, sur le sens qu’il lui donne et sur le regard qu’il porte sur le nouveau Président. Merci à lui d’avoir accepté une nouvelle fois de se prêter à l’exercice, et pour ses réponses... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Frédéric Salat-Baroux: « Les habits

de la Vème République

semblent convenir parfaitement

à Emmanuel Macron »

Q. : 15/05/17 ; R. : 21/05/17.

 

Emmanuel Macron

Emmanuel Macron lors de son investiture en tant que président de la République,

le 14 mai dernier. Source de l’illustration : médias.

 

Paroles d’Actu : Frédéric Salat-Baroux bonjour, je suis ravi de vous retrouver dans les colonnes de Paroles d’Actu. Le 7 mai, Emmanuel Macron a donc remporté l’élection présidentielle face à Marine Le Pen au terme d’une campagne inédite voire folle à bien des égards. Quelle lecture faites-vous de l’événement, et de manière peut-être plus personnelle, quel est votre ressenti ?

la présidentielle de 2017

Frédéric Salat-Baroux : Contrairement à ce qui a pu être dit, la campagne présidentielle a été terriblement forte de sens.

Les Français ont exprimé des messages particulièrement clairs et radicaux :

- la volonté de tourner la page d’une classe politique en situation d’échec ;

- une interrogation profonde face à une Europe qu’ils vivent comme destructrice d’emplois et dure aux faibles ;

- comme lors de la campagne américaine avec les thématiques de Trump et Sanders, un rejet d’un système capitalisme qui tourne fou en concentrant la richesse sur une micro élite et qui appauvrit désormais les classes moyennes ;

- une identité blessée.

Ils auraient pu y ajouter l’ubérisation, géniale en terme de progrès, mais qui porte le danger d’un terrible retour au chacun pour soi social.

C’est logiquement que la campagne présidentielle a conduit à la cristallisation des électeurs sur des projets de type révolutionnaire : ceux des extrêmes mais aussi celui d’Emmanuel Macron, qui s’est différencié des autres par sa dimension constructive et non pas destructrice.

« Les Français ont fait une ultime fois

le choix de la raison... s’ils ne sont pas entendus,

la prochaine fois, ce sera le Front national... »

Les Français ont fait une ultime fois le choix de la raison. Mais le message adressé aux élites est très clair : si vous n’entendez pas notre souffrance, la prochaine fois ce sera la souffrance pour tous. Ce sera le Front national.

 

PdA : Dans une tribune que vous aviez écrite avant le second tour sur le site de l’Opinion, vous déclariez ceci : « L’intérêt de la France, notre honneur républicain, notre capacité à pouvoir nous rebâtir demain commandent de dire aujourd’hui haut et clair : aucune voix de droite ne doit manquer à Emmanuel Macron. » Le message était limpide, et en parfaite cohérence avec votre parcours et les valeurs que vous portez. Mais, vous savez mieux que nous tous à quel point la charge présidentielle est grande et lourde à porter dans la France de la Vème : est-ce que, pour ce que vous en savez, vous diriez d’Emmanuel Macron, qui vient donc d’être élu, qu’il a des qualités qui le qualifient pour la fonction ; qu’il en a les capacités ; qu’il en est digne ? Et est-ce qu’on ne gagnerait pas, à un moment donné, à essayer de réduire un peu ce costume taillé sur mesure pour un homme - de Gaulle - comme on n’en fait pas deux par siècle dans chaque pays ; costume de moins en moins habité alors que défilent les mandats ?

Macron, digne de la fonction ?

F.S.-B. : Il y a quinze mois, lors de la sortie de mon livre La France est la solution que j’avais failli intituler Pour un nouveau bonapartisme, j’avais dit lors d’une interview : « Macron, c’est Bonaparte ».

Les points communs sont nombreux :

- aptitude à faire la synthèse des idées de l’Ancien régime et de la révolution ;

- vista ;

- capacité d’apprentissage ultra rapide ;

- peur de rien.

Il vient de remporter sa première campagne d’Italie. Par-delà sa jeunesse, ce qui domine c’est son autorité, sa volonté de tout voir, de tout traiter, de tout décider.

« Bonaparte avait organisé l’État

comme une armée, Macron est bien parti

pour le faire comme une start-up »

Bonaparte avait organisé l’État comme une armée. Emmanuel Macron est parti pour le faire comme une start-up.

Les habits de la Vème République semblent donc parfaitement lui convenir.

Contrairement à Jean-Luc Mélenchon, je ne crois pas que nos institutions soient dépassées en ce que les Français veulent avoir un monarque républicain.

En revanche, comme les entreprises ont su le faire, l’action publique doit s’ouvrir aux logiques coopératives. Les Français ont été des acteurs majeurs de la campagne présidentielle, ils doivent devenir des acteurs du travail gouvernemental et législatif.

Avec la simplification des échelons territoriaux, c’est, selon moi, la priorité pour une réforme des institutions.

 

PdA : Chiraquien et juppéiste, comment vous situez-vous par rapport au mouvement de recomposition politique que semble engager la nomination du gouvernement d’Édouard Philippe ?

action, recomposition

F.S.-B. : Je ne suis pas aujourd’hui dans la vie politique mais j’ai un regard de citoyen engagé.

Comme je l’ai dit, les Français ont exprimé un message d’une très grande gravité, au sens le plus noble du terme.

Depuis l’entre-deux-tours, j’ai en tête, presque de manière obsessionnelle, cette phrase de Pierre Cot arrivant à Londres en juin 1940 et disant au général de Gaulle qu’il était prêt à tout faire pour son pays et « s’il le faut balayer les escaliers ».

« Je pense qu’il faudra aller, après les législatives,

vers une coalition, non pas de dilution mais de

"percussion" pour agir au mieux pour les Français »

Sur le plan de l’action politique, je pense qu’il faut aller, après les législatives, vers la constitution d’une grande coalition. Pas une coalition de dilution mais de percussion, pour agir et répondre aux messages des Français.

Mais il ne faut pas tout attendre du Président. Chacun doit agir. Quand on est responsable, comme moi, d’une entité économique, on a le devoir de se poser des questions aussi simples qu’essentielles : puis-je prendre des jeunes stagiaires en plus ? Ai-je la possibilité d’embaucher une ou deux personnes de plus ?

Sans ce nouveau civisme collectif, les efforts qui seront engagés par les pouvoirs publics risquent d’être largement privés d’effets.

C’est l’enjeu des mois à venir. C’est ce que le général de Gaulle appelait le sursaut national, ou plus justement encore le sursaut collectif.

 

PdA : Au soir du second tour, on s’est donc retrouvé, plus ou moins comme attendu, avec une Marine Le Pen représentant presque 35% des exprimés, 10,6 millions d’électeurs, c’est à dire, quoi qu’on en dise, un score énorme, qui aura pulvérisé tous les records du Front national jusqu’à présent. Que vous inspire ce chiffre ? Dans votre tribune, vous louiez l’intransigeance de Jacques Chirac face à l’extrême droite, mais cette poussée continue depuis quarante ans du parti des Le Pen n’est-elle pas d’abord la preuve que ce qui a été fait ou dit par les gouvernants successifs n’a pas été efficace ? Et n’y a-t-il pas quelque chose de perturbant sur le plan de la démocratie - le sentiment pour le citoyen d’être représenté / la confrontation des idées et les votes à assumer au parlement - dans la quasi absence, à l’Assemblée nationale, d’un parti qui pèse autant dans l’opinion que le FN ? Est-ce que tout cela n’alimente pas les ressentiments des citoyens qui se sentent exclus de tout, et donc même de la politique, offrant par là même un effet boost à peu de frais et bien pratique (pas de prise de position collective à assumer dans une assemblée, une posture de victime) aux dirigeants du parti frontiste ? (...) Cette question du vote FN, c’est aussi et c’est surtout celle de la fracture, béante, au sein de la société : toutes ces cohortes de Français pour qui le grand large, les grandes perspectives, la place dans la caravelle de la conquête et de la réussite, ce sera toujours pour les autres et jamais pour eux...

répondre au vote Front national

F.S.-B. : Jamais peut-être la nécessité de distinguer entre les électeurs du Front national et ce parti n’a été aussi évidente, aussi forte.

Le message des électeurs du FN mais plus largement d’une grande majorité de Français est : regardez la réalité dans laquelle nous vivons. Dans tant d’endroits de France et notamment dans le grand arc du nord et de l’est du pays, le premier employeur est l’hôpital et le deuxième la maison de retraite ; les usines, fierté d’hier, sont devenues des friches, les boutiques des centre-villes sont souvent murées depuis des années ; la grande crainte des parents, ce n’est même plus le chômage à 50 ans mais de ne pas trouver un premier stage pour les enfants ; tant de familles finissent le mois à l’euro près.

C’est à cela qu’il faut répondre. Il faut faire des économies, créer un cadre favorable aux entrepreneurs, réformer l’État, mettre en place une administration numérique, non pas comme je l’ai longtemps pensé, pour baisser les impôts mais pour se donner de nouvelles marges de manoeuvre en matière d’éducation, de formation, de redistribution. L’État doit renouer avec son ambition méritocratique et égalitaire. Je mesure le caractère provocateur de la formule mais partout dans le monde occidental et singulièrement en Europe, il va nous falloir inventer une nouvelle forme de social-démocratie.

A défaut et si l’on revient, inquiétude d’un second tour Mélenchon-Le Pen passée, à un statu quo arrogant, la sanction populaire sera la victoire du Front national.

« Ce qui s’est vu de manière évidente lors du

débat d’entre-deux-tours, c’est l’incompétence

crasse du Front national »

L’immense mérite du débat d’entre-deux-tours a été de montrer le vrai visage de ce parti. Il est tout sauf le retour à un conservatisme (dé)passé, à une France apaisée pour mentionner l’incroyable anti-phrase du slogan du début de campagne. Au-delà de la violence et de la haine du tout et tous, ce qui s’est vu de manière crue, c’est aussi et peut être surtout l’incompétence crasse du parti d’extrême droite.

N’en doutons pas, l’élection d’Emmanuel Macron a été le dernier avertissement du peuple français à des dirigeants et à une élite qui ont été jusqu’ici aussi aveugles que défaillants.

 

PdA : Quel message adresseriez-vous à Emmanuel Macron, fort de votre haute connaissance des affaires de l’État (en tant qu’ex-secrétaire général de la présidence de la République en particulier) ?

un message pour Emmanuel Macron ?

F.S.-B.. : Je n’ai évidemment pas de conseils à donner à celui qui vient de démontrer son aptitude à assimiler, de manière ultra rapide, toutes les réalités et les complexités de nos institutions.

L’enjeu, ce n’est déjà plus le renouvellement. Nous savions que les partis, l’ordre politique en place n’étaient que des châteaux de sable face à l’océan. Il aura été l’accélérateur d’un effondrement annoncé.

« L’enjeu essentiel : faire que chaque jeune

prêt à travailler dur ait à nouveau sa chance... »

L’enjeu est évidemment dans l’action, c’est-à-dire dégager des marges de manoeuvre par la création de richesses en s’appuyant sur la libération des talents des entrepreneurs et sur les effets de la révolution numérique pour que chaque jeune, prêt à travailler dur, ait à nouveau sa chance.

C’est cet "en même temps", pour reprendre l’expression du nouveau Président, qu’il va falloir imposer à toute nos politiques publiques et dans l’indispensable réforme des traités européens.

Ce qui est intéressant à la relecture du programme d’Emmanuel Macron, qui pouvait apparaître pas assez radical sur le plan économique, est qu’il est, en fait, fondé sur cette double exigence.

Comme toujours mais plus que jamais... tout sera question d’exécution.

 

Frédéric Salat-Baroux

Frédéric Salat-Baroux, ex-secrétaire général de l’Élysée (2005-2007) sous la présidence

de Jacques Chirac, est l’auteur de La France EST la solution (Plon, 2016).

 

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25 mai 2017

Geoffroy Lejeune : « La présidentielle 2017, un scénario plus fou que ceux de House of Cards... »

Geoffroy Lejeune est, à 28 ans (!), le directeur de la rédaction de l’hebdo conservateur Valeurs actuelles ; en 2015, alors qu’il ne faisait « qu »’en diriger le service politique, il s’est amusé à imaginer un scénario dans lequel l’essayiste Éric Zemmour serait candidat à la présidentielle de 2017, et au finish élu. Ce récit, édité par les éditions Ring avec pour titre Une élection ordinaire, je l’ai lu très récemment. Il est bien écrit, bien pensé, et regorge de situations qui, prises individuellement ou dans leur ensemble, paraissent toutes crédibles - à une exception près dans mon esprit, la séquence de Marine Le Pen suivant les obsèques de son père... via la télévision. Cet ouvrage plaira je le crois à celles et ceux que la politique intéresse et qui sont séduits par l’exercice de politique-fiction. Au-delà de (tout) ce qui est romancé, Une élection ordinaire constitue une plongée très instructive dans l’univers finalement assez méconnu par le public de la droite conservatrice française. On y découvre ses coulisses, les acteurs et leurs interactions... À lire, donc, avec d’autant plus de gourmandise qu’on commence à avoir un peu de recul sur l’élection de 2017, la vraie. Sur tout cela et sur d’autres points, Geoffroy Lejeune a accepté de répondre à mes questions, écrites juste après la présidentielle. Je l’en remercie, et je remercie Laura Magné de Ring pour son intervention. À la fin de l’interview, l’auteur dit ceci : « Pour écrire à nouveau, j’attends d’avoir une nouvelle révélation ! ». Pari perso : le héros de son prochain roman de politique-fiction sera une héroïne, et si on la désigne par ses initiales, il y en aura quatre. Bonne lecture ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Geoffroy Lejeune: « La présidentielle

2017, un scénario plus fou

que ceux de House of Cards... »

Q. : 09/05/17 ; R. : 24/05/17.

 

Une élection ordinaire

Une élection ordinaire, par Geoffroy Lejeune, aux éd. Ring, 2015.

 

Paroles d’Actu : Geoffroy Lejeune bonjour, merci de m’accorder pour Paroles d’Actu cet entretien, axé sur votre roman de politique fiction Une élection ordinaire (éd. Ring, 2015), qui imaginait il y a deux ans une campagne présidentielle de 2017 aboutissant à la victoire surprise d’Éric Zemmour, mais aussi bien sûr sur la véritable élection qui vient donc de se tenir, et qui n’a pas été beaucoup moins mouvementée que celle que vous aviez écrite... Quels sentiments vous inspire-t-elle, précisément, cette campagne de 2017 ?

la présidentielle de 2017

Geoffroy Lejeune : Même avec les meilleures intentions, et avec la plus grande imagination, il était impossible d’imaginer une telle histoire ! Je crois que les scénaristes de House of Cards eux-même doivent se trouver bien prudents en comparaison avec ce que vient de vivre la France durant six mois… Au-delà de cette considération de forme, l’élection de 2017 m’inspire deux conclusions :

1. Un personnage inconnu de tous il y a trois ans s’est imposé, ce qui prouve qu’une candidature venue de nulle part avait sa place.

2. Macron s’est imposé alors qu’il incarne en tous points l’exact inverse de l’évolution de l’opinion des français, si l’en croit les récentes enquêtes du Cevipof (le Centre de recherches politiques de Sciences Po, ndlr). Alors, chapeau l’artiste…

 

PdA : Dans votre roman, l’écrivain et polémiste Éric Zemmour, qui fut poussé à se lancer par ses amis Patrick Buisson et Philippe de Villiers, et soutenu par Nicolas Dupont-Aignan et Henri Guaino, Marion Maréchal et feu (!) Jean-Marie Le Pen, remporte donc l’élection présidentielle. Sur le fil, contre François Hollande au second tour ; sa candidature avait vocation à dépasser celle de Nicolas Sarkozy, jugé trop libéral et trop inconstant, et celle de Marine Le Pen, pas assez "de droite" (la fameuse "ligne Philippot"). Cette candidature Zemmour, dont la cohérence sur la ligne est limpide, c’est un fantasme d’écrivain ou, au-delà, celui d’un citoyen engagé ? Comment Zemmour a-t-il reçu le livre ? En avez-vous parlé avec lui depuis ?

Zemmour candidat ?

G.L. : C’est d’abord une intuition éditoriale. J’ai senti très tôt qu’Éric Zemmour incarnait une sensibilité que je crois majoritaire à droite. J’assume aussi le côté "fantasme" car, je ne m’en cache pas, j’ai une grande admiration pour Zemmour et je partage ce qu’il dit. Il a été très tolérant avec moi lorsque je l’ai prévenu de mon projet. Ce livre le gênait un peu, car je le mettais en scène en présidentiable, mais il m’a laissé très libre et m’a juste demandé de faire « quelque chose de bien ». Je lui ai dit une fois, depuis, lorsque je l’ai croisé au moment des affaires de François Fillon, qu’il y aurait eu la place pour lui. Et sa seule réponse a été d’exploser de rire !

 

PdA : On attendait Marine Le Pen autour de 40% des exprimés face à Emmanuel Macron ; au final elle n’atteint pas les 34%. On a évoqué sa (contre-)performance lors du débat, peut-être aussi les explications un peu commodes du "plafond de verre" ou encore de l’influence des médias... Est-ce que, pour vous, en tant qu’observateur, elle a été une bonne candidate ? Et la campagne qu’elle a menée, avec son équipe, a-t-elle été sur la forme et surtout sur le fond une bonne campagne ?

la campagne de Marine Le Pen

« Le soir du débat, Marine Le Pen a perdu

non seulement l’Elysée mais également

le leadership de l’opposition future »

G.L. : En tant qu’observateur, je suis d’accord avec l’analyse partagée par absolument tous, ce qui est très rare : elle n’a pas été une bonne candidate, sa ligne a été flottante, elle s’est échouée piteusement le soir du débat. Que dire de plus ? Je crois seulement que, le 3 mai, elle a perdu plus que la présidentielle. Marine Le Pen, non seulement, n’est pas devenue présidente de la République, mais en plus elle a perdu le leadership de l’opposition, qu’elle aurait pu incarner en se hissant au second tour, et enfin elle a semé le doute jusqu’au sein de ses troupes. Lourde addition pour une seule soirée de débat…

 

PdA : Cette question pose aussi celle, fondamentale, des qualités attendues pour être président de la République, et donc de ce qu’on met derrière la fonction. Faut-il un acteur de premier plan ou un arbitre résolument au-dessus de la mêlée ? Est-ce que, pour reprendre le mot du nouveau monarque républicain il y a deux ans, vous diriez qu’il « manque un roi à la France » ?

un roi pour la France ?

« Le paradoxe est que Macron, incarnation

de la modernité, figure de proue des progressistes,

soit celui qui réhabilite l’autorité présidentielle »

G.L. : Il manque depuis longtemps un roi à la France : la monarchie républicaine est d’ailleurs conçue pour ne pas priver les Français de figure tutélaire, mais il faut admettre que depuis des décennies, les présidents semblent habités par l’idée de ne plus incarner cette autorité, ou de l’incarner différemment. Le paradoxe est que Macron, incarnation de la modernité, figure de proue des progressistes, soit celui qui réhabilite cette autorité. Il ne prend personne en traître, il l’a théorisé, mais ses soutiens les plus libertaires doivent tousser en le voyant endosser les habits du monarque !

 

PdA : Le duel Macron-Le Pen, ça a été, pour le coup, un choc frontal entre deux conceptions diamétralement opposées de ce que doit être notre rapport à l’Europe, au monde et à la mondialisation, et plus généralement à l’"ouverture", peut-être au "progrès" et aux "valeurs". Est-ce qu’on tient là la ligne de fracture fondamentale pour les années, les décennies à venir ? Est-ce qu’on peut résumer cette opposition au clivage progressistes/conservateurs ? Et peut-on de manière réaliste anticiper une recomposition du paysage politique sur ces lignes-là (avec une droite conservatrice qui serait animée par des Marion Maréchal, des Laurent Wauquiez, maraboutée par Patrick Buisson... face aux progressistes centristes et socialistes du macro(n)-cosme) ?

quels clivages pour les années à venir ?

G.L. : Le clivage progressistes-conservateur existe, je le trouve opérant, mais je me méfie de ceux qui veulent résumer le combat politique en un seul clivage. Il existe aussi un clivage européens-souverainistes, droite-gauche, France périphérique-France d’en haut ; etc. Macron bouscule les règles du système, il est donc difficile de dire aujourd’hui quel clivage structurera demain la vie politique française. J’observe seulement qu’il existe une gauche radicale en France, forte, un mouvement modéré allant de la gauche au centre droit, autour de Macron, qui gouverne, un droite conservatrice qui a perdu l’élection de 2017 "par accident" mais qui entend reconstituer ses forces avant 2022, et le FN, qui continuera d’incarner un populisme anti Europe et anti immigration. De là à vous dire qui sera majoritaire en 2022…

 

PdA : À plus court terme, question mi-analyste, mi-pronostic : à quoi l’Assemblée ressemblera-t-elle à la fin juin à votre avis ? Emmanuel Macron aura-t-il une majorité présidentielle ?

quelle Assemblée à la fin juin ?

« Macron risque bien de réussir son pari ;

il obtiendra sans doute une majorité

avec son parti émergent. Merci de Gaulle ! »

G.L. : Il est sans doute en train de réussir un pari que je croyais impossible il y a encore quelques semaines  : obtenir une majorité à l’Assemblée avec un parti jeune et sans figure émergente. Si cela se produit, ce sera sans doute grâce à la traditionnelle poussée consécutive à la présidentielle en faveur du vainqueur. Ce qui est amusant, c’est de constater que les institutions de la Vème République sont si solides qu’elles ont résisté à la pratique du pouvoir de François Hollande et qu’elles vont permettre à Macron, malgré la faiblesse de son mouvement, de gouverner. Merci de Gaulle !

 

PdA : Vous prêtez dans Une élection ordinaire une stratégie redoutable à Jean-Christophe Cambadélis : faire monter Zemmour pour couper la droite en trois et donc, donner à Hollande une chance d’accéder au second tour et d’être réélu. Il y a un parallèle qui m’a frappé quand j’ai lu votre livre, ces jours - livre écrit je le rappelle en 2015 : OK, vous vous êtes planté sur 2017 en France, à votre décharge tout le monde s’est planté. Mais j’ai le sentiment que ce que vous avez décrit, peut-être anticipé sans le savoir, c’est Trump 2016 aux États-Unis. La victoire surprise, sur le fil, du candidat anti-système et anti-politiquement correct par excellence. On y retrouve jusqu’à cette histoire de stratégie tordue - et finalement fatale - du PS : on a beaucoup dit que les médias progressistes avaient sur-exposé Trump pour le favoriser lors des primaires, pensant qu’il serait ensuite une proie facile pour Hillary Clinton lors de l’élection générale... Dans un cas comme dans l’autre, la créature de Frankenstein, on croit la contrôler et finalement rien ne se passe comme prévu. Que pensez-vous de cette lecture ?

des stratégies tortueuses

G.L. : Sans doute y a-t-il quelques similitudes entre les deux situations, mais rassurez-vous, je n’ai rien inventé ! La stratégie prêtée à Cambadélis est tout simplement celle qu’applique la gauche depuis Mitterrand : faire monter le FN, un ennemi qui ne peut pas gagner, pour l’emporter sans péril au second tour des élections. C’est ce qui s’est passé pour Macron…

 

PdA : Votre ouvrage est bien pensé et bien écrit, agréable à lire et très documenté, on y apprend beaucoup de choses sur les coulisses de la politique, et notamment de la droite en France. C’est un milieu que vous connaissez bien. Est-ce que ça vous tente, d’en être de manière active et directe, de cette arène politique ?

faire de la politique ?

« Le journaliste, même s’il s’en défend,

fait de la politique ! »

G.L. : Mais je le suis déjà ! Nous sommes acteurs de ce monde et avons un pouvoir considérable. La question est : qu’en faisons-nous ? Voilà pourquoi je préfère ceux qui avancent à visage découvert, et pourquoi rien ne me fait plus peur que ceux qui prétendent à l’objectivité. Le journaliste, même s’il s’en défend, fait de la politique. La différence entre les journalistes est simple : il y a ceux qui l’assument et ceux qui s’en cachent.

 

PdA : Vous êtes aujourd’hui directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, ce qui n’est pas banal, à même pas 29 ans... Quelle est l’histoire de ce rapport passionné que vous avez avec la et le politique ?

la politique : histoire d’une passion

G.L. : Un rapport très simple : je viens d’une famille très peu politisée, j’ai peu – voire pas du tout – parlé de politique chez moi étant jeune, et découvert sur le tard, à 18 ans, ce monde. Je me suis passionné pour l’histoire de la cinquième République, à travers plusieurs récits journalistiques, et j’ai eu envie de reproduire ce modèle.

 

PdA : Quelles sont vos ambitions, vos envies pour la suite ? D’autres fictions sur le feu ?

bientôt une nouvelle fiction ?

« Pour écrire à nouveau, j’attends

d’avoir une nouvelle révélation ! »

G.L. : Malheureusement non ! Une élection ordinaire a été un coup de foudre. J’ai eu cette idée, en ai parlé au patron des éditions Ring, qui a été séduit. J’ai écrit vite, sans répit, les chapitres coulaient assez naturellement. Pour écrire à nouveau, j’attends d’avoir une nouvelle révélation !

 

Geoffroy Lejeune

Geoffroy Lejeune est directeur de la rédaction de Valeurs actuelles

et auteur de Une élection ordinaire, son premier roman (Ring, 2015).

 

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21 mai 2017

« Contre la "nouvelle servitude" (l'enjeu des élections de juin 2017) », par Jérôme Maucourant

Il y a deux semaines et demie, trois jours avant le second tour de la présidentielle, était publié sur Paroles d’Actu « La science-fiction, viatique pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) », texte inédit de Jérôme Maucourant, chercheur en sciences économiques, enseignant et auteur de Avez-vous lu Polanyi ? (Flammarion, 2011). Après le dénouement, après l’élection d’Emmanuel Macron, il a rapidement été question, sur le principe, d’une seconde contribution. Voici donc, pour résultat de cette nouvelle association, cette tribune, intitulée « Contre la "nouvelle servitude" (l’enjeu des élections de juin 2017) ». Celle, toujours, d’un citoyen éclairé et résolument engagé, et ce n’est jamais de trop... Merci à lui. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Francogallia

Francogallia de François Hotman, monarchomaque français. © S.H.P.F.

 

« Contre la "nouvelle servitude"

(l’enjeu des élections de juin 2017) »*

par Jérôme Maucourant, le 13 mai 2017

Le vote en faveur d’Emmanuel Macron pouvait se justifier de bien des façons, mais sûrement pas en raison d’un supposé danger fasciste. Un véritable abus de pouvoir est en train d’être réalisé par celui qui n’avait qu’un mandat : éviter à la France une expérience à la Trump ou à la Orban. La souveraineté populaire se dissout sous nos yeux au profit de celle de l’argent dans un monde de simulacres. Nous devons conjurer la menace du parti unique de la pensée unique et de son jeune roi. Que vienne le temps des monarchomaques !

Nombreux d’électeurs, piégés par un système électoral inique, ont voté pour Emmanuel Macron, au second tour des élections présidentielles. Néanmoins, il ne cesse de faire comme si ce vote constituait une adhésion à son programme. Les appétits s’aiguisent déjà… pour bien de ses partisans, ces 66% de votants constituent le socle d’une légitimité qui autoriserait la liquidation de notre modèle social. Mais, bien sûr, il y a là une évidente usurpation de la légitimité que donnent habituellement les suffrages populaires. Il y aura, comme en 2002, un abus de pouvoir si E. M. persistait dans cette voie. Souvenons-nous de Jacques Chirac instituant le peu regretté François Fillon en maître d’œuvre d’une certaine politique d’allongement de la durée de cotisation, ce qui signifiait, en bonne logique économique, instituer une baisse de la valeur du travail, en récompense d’un mandat donné pour sauver la démocratie. En réalité, la campagne présidentielle n’a pas eu lieu. Elle fut réduite à un déversement d’immondices : pensons au feuilleton des affaires Fillon qui a occupé une partie significative du temps électoral. L’autre partie fut consacrée à la promotion sans vergogne d’E. M. devenu subitement « patriote » et sauveur suprême de la République en danger**

* En hommage à Guy Bois auteur, notamment de Une nouvelle servitude - essai sur la mondialisation, Paris, François-Xavier de Guibert et La mutation de l’An Mil - Lournand, Village Mâconnais, De L’antiquité Au Féodalisme, préface de Georges Duby, dont on peut lire un extrait dans l’URL : http://www.fayard.fr/la-mutation-de-lan-mil-9782213024202.

** Sur ce point, voir Jérôme Maucourant, « Refuser l’Âge des simulacres », Le Vent se lève, 6 mai 2017.

« La lutte qui s’engage vise aussi

à réhabiliter la dignité de la politique

à un moment où tout est fait pour l’effacer »

Pour renouer les fils vitaux unissant légitimité et légalité, il eût fallu s’engager à constituer un gouvernement d’union nationale décidant de mesures constitutionnelles permettant d’en finir avec les perversités d’un système où le « vote utile » s’impose dès le premier tour. Après quoi, ce gouvernement aurait été dissous. Le sommet de l’art démocratique eût même impliqué que le président récemment élu renonce à son mandat pour revenir devant les électeurs (ou les Grands Électeurs d’un nouveau régime, qui sait ?). Certes, au vu des positions développées à la mi-mai, cette décision, la seule à concilier, en nos temps de décomposition, la morale et la politique, est devenue impensable. C’est pourquoi la lutte qui s’esquisse à ce jour n’est pas seulement une opposition à l’eurolibéralisme, au parti unique de la pensée unique qui rassemble tant de forces et d’intérêts depuis quelques temps, c’est aussi une lutte pour réhabiliter la dignité de la politique à un moment où tout est fait pour l’effacer. Beaucoup ont pris quelques malins bénéfices secondaires à jouir de cet affrontement « fascisme contre démocratie », en anticipant que perdure la neutralisation de toute opposition au calendrier néolibéral. Il est devenu évident que ces procédés très efficaces utilisés dernièrement seront recyclés ad nauseam.

Toutefois, la fête est finie, la farce a assez duré : maintenant que Marine le Pen est renvoyée à quelques études de savoir vivre en société dûment policée, la République doit reprendre ses droits. Si E. M. persiste à se croire investi d’un quelconque mandat pour appliquer son programme économique, à servir l’actuel ordre européen, à ne pas refuser le soutien que lui accorde l’islam politique*, à contrer une laïcité supposée « revancharde »**, toutes choses pour lesquelles il n’a pas été élu, alors se constitueront les ingrédients d’une double crise, l’une tenant au social, l’autre au régime.

* Ce fut sa ligne de conduite lors du débat de l’entre deux tours. L’UOIF ose, par ailleurs, affirmer que le vote pour Macron s’explique par la lutte de cette association contre le racisme et… l’antisémitisme ! Voir : lien BFMTV.

** Fatiha Boudjahlat, « Macron ou Le Pen, la laïcité est perdante », Parole d’Actu, 4 mai 2017 : « Emmanuel Macron évoque avec une joie toute évangélique "l’intensité" de la pratique religieuse. C’est un élément de langage derrière lequel les extrémistes s’abritent quand on les renvoie à leurs pratiques rétrogrades : il ne s’agirait en fait que d’orthodoxie. Interrogé par Ali Baddou sur son refus de serrer la main des femmes, le président-fondateur de l’ONG religieuse Baraka City s’était justifié en donnant l’exemple des juifs orthodoxes qui s’en abstenaient tout autant. Il se décrivait lui et sa pratique religieuse comme "orthodoxes". On rejettera une pratique religieuse radicale, rétrograde, obscurantiste, mais si elle n’est qu’orthodoxe, nous ne nous y opposerons plus, notamment parce qu’une telle pratique se présente comme conforme au dogme, et que la critiquer reviendrait à s’en prendre au dogme. »

« La question de la survie de notre

contrat social est actuellement posée »

La question de la survie de notre contrat social est posée à l’heure présente, comme en attestent les coups de butoir portés par l’Union européenne. Évidemment, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, ancien dirigeant d’un paradis fiscal, a encore expliqué que les dépenses publiques devaient être revues à la baisse*. Ce genre de personnage nous fait les poches le matin et la morale l’après-midi. C’est cela, l’Europe réellement existante, sans que les forces qui ont poussé E. M. au pouvoir ne trouvent rien à redire à cette transgression des règles élémentaires de la morale publique. Pourtant, réduire la dépense publique, c’est porter atteinte, avant toute chose, aux dépenses sociales qui sont souvent les revenus de ceux qui n’ont rien ou trop peu. Le conflit de classe ne peut aisément se dissimuler : l’Europe, c’est la guerre de classe à peine voilée, c’est aussi la guerre douce menée par les États du nord de l’Union contre ceux du sud via l’inefficace et inique monnaie unique**.

* La Tribune (avec AFP), « Juncker à Macron : "Les Français dépensent trop" », 08/05/2017.

** « Regardez l’Espagne ou la Grèce : ils étaient en excédent avant la crise ! Ce n’est pas leur déficit qui a causé la crise, c’est la crise qui a causé leur déficit » ; Joseph Stiglitz, « Il faudra peut-être abandonner l’euro pour sauver le projet européen », Les Echos, le 16/09/2016. Plus généralement, le regard critique envers le principe même de l’euro ou de son fonctionnement sous la férule allemande n’émane pas seulement des économistes adeptes d’un certain interventionnisme, il émane aussi de l’aile libérale avec des arguments bien partagés dans le monde des économistes professionnels, et d’un bon sens que ne possède pas encore le récent président français, cf. Milton Friedman, « The Euro: Monetary Unity To Political Disunity ? », Project Syndicate, 28/08/1997, écrivant de façon prophétique « I believe that adoption of the Euro would have the opposite effect. It would exacerbate political tensions by converting divergent shocks that could have been readily accommodated by exchange rate changes into divisive political issues. Political unity can pave the way for monetary unity. Monetary unity imposed under unfavorable conditions will prove a barrier to the achievement of political unity. »

« Le développement des communautarismes

n’est pas sans lien avec le relâchement

progressif des liens de solidarité nationale »

Cette destruction de l’État social et la tolérance - voire le soutien - au communautarisme sont en réalité étroitement liées : le relâchement des liens qui unissait la nation républicaine implique, pour éviter le chaos, de fabriquer un ordre social où communautés, ethnies et confessions sont capables de régler, à leur façon bien particulière, la reproduction d’une société*. Il n’y a pas lieu d’opposer ainsi la lutte pour l’État social et le combat pour la laïcité, comme le fait une certaine gauche. On ne peut promouvoir le communautarisme et s’étonner, alors, que la redistribution soit de plus en plus vécue comme illégitime : une telle délégitimation est d’ailleurs fort utile à E. M. et les libéraux qui l’entourent ! En réalité, les idéologues de la diversité victimaire, à la manœuvre dans cette gauche, ne font ainsi que promouvoir un système clientéliste achetant la paix sociale. Ceci n’a rien à voir avec l’idéal de la solidarité républicaine auquel a donné forme, par exemple, le Conseil national de la Résistance.

* Voir ma contribution, « Devenir ce qu’on est : découvrir la laïcité comme idéal », Le Journal de Paris, mai 2017.

Nous courrons le danger de vivre dans un régime présidentiel où les potentialités monarchiques vont s’exacerber. Ceci est voulu par le monde des affaires qui sait que l’État doit être autoritaire pour instituer un capitalisme libéré le plus possible des entraves qui l’humanisent. C’est ainsi que le capitalisme libéral s’est institué il y a deux siècles** ; à ce jour, il veut reprendre son souffle en faisant payer à la société tout entière le fardeau d’une dette qui résulte de la seule crise de la finance. Nous tendons vers la monarchie absolue : l’opposition gauche-droite est balayée, la lutte des places remplace la lutte des classes.

* Voir Karl Polanyi, La Grande Transformation, Paris, Gallimard, 1983.

« Il faut lutter contre le désir du roi... ou

admettre que la liberté ne guide pas nos pas »

Contre cette monarchie absolue et son parlement de soumission qui s’annonce, il faut s’opposer à l’abus de pouvoir. On a appelé « monarchomaques » ceux qui, au temps des Guerres de Religion, s’opposaient à l’absolutisme royal. Nous avons besoin, aujourd’hui, de millions de monarchomaques. Il faut lutter contre le désir de roi ou admettre que la liberté ne guide pas nos pas. Construit-on une démocratie sur l’abus de pouvoir érigé en principe ?

 

Jérôme Maucourant

Jérôme Maucourant est chercheur associé en sciences

économiques (délégation CNRS au lab. HiSoMA) et auteur notamment

de l’ouvrage Avez-vous lu Polanyi ? (Flammarion, 2011).

 

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5 mai 2017

« Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire) », par François Durpaire

Voici deux ans qu’avec son acolyte Farid BoudjellalFrançois Durpaire se fait peur - peur communicative - à imaginer ce que serait la France d’après une hypothétique élection de Marine Le Pen à la présidence de la République. L’intrigue du premier tome de La Présidente (Les Arènes, 2015), le théâtre de lélément perturbateur qui déclenche tout, c’est donc cette élection de 2017, ce fameux scrutin qu’on est en train de vivre en direct, et en vrai.

Dans la réalité, il semblerait que la perspective d’une victoire de la présidente du Front national cette année s’éloigne, et sa (mauvaise) performance lors du débat d’entre deux tours n’a pas aidé à inverser cette tendance. C’est bien vers un succès du candidat dEn Marche, Emmanuel Macron, qu’on s’achemine désormais. Mais il sera le choix par défaut d’un grand nombre de ses électeurs de second tour et très vite, dès le 8 mai, la coalition fort hétérogène qui l’aura porté au pouvoir s’évaporera ; resteront dans la perspective des législatives du mois suivant de nombreuses inconnues, moult points à éclaircir et pierres d’achoppement et, s’agissant du président-élu, une charge écrasante, et une responsabilité singulière : écouter, entendre, comprendre.

J’ai souhaité interroger François Durpaire, que les téléspectateurs connaissent bien pour ses fréquentes interventions sur la politique américaine, sur quelques points essentiels dans la perspective de ce second tour. Nous nous sommes mis d’accord en ce sens au soir du 23 avril, première des grandes soirées électorales de cette année qui en comptera beaucoup. Je le remercie d’avoir une nouvelle fois accepté de répondre à ma sollicitation. Il y a eu une interview en décembre, une autre en avril ; celle-ci se retrouve chapeautée dun titre qui sonne comme une mise en garde de la part de cet homme dengagements : « Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire) ». Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

Macron Le Pen 

Source de l’illustration : ouest-france.fr

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Pourquoi Macron ne peut plus perdre

(et pourquoi il ne faut pas le dire) »

par François Durpaire

Q. : 23/04/17 ; R. : 05/05/17.

 

Paroles d’Actu : Quels sentiments, quels enseignements les résultats de ce premier tour d’élection présidentielle vous inspirent-ils ?

François Durpaire : Je ne sais pas qui gagnera dimanche, mais je sais qui n’a pas perdu : ce scrutin a confirmé la poussée des idées du Front national. Avec 7 643 276 voix dès le premier tour, Marine Le Pen est arrivée en tête dans 18 mille communes, 48 départements, 213 circonscriptions, et dans l’Outre-mer. Ne l’oublions pas quand nous analyserons les résultats du vote. Il y a des tendances qui relèvent du temps long : en six ans, Marine Le Pen a assuré au parti une progression continue.

 

PdA : Emmanuel Macron, inconnu il y a encore trois ans, a viré en tête de la présidentielle sans parti établi mais avec, disons, une bienveillance assez marquée de la part des médias. Dans quelle mesure le parallèle avec le Barack Obama de 2008 est-il pertinent ?

« On ne peut pas tout à fait comparer

Emmanuel Macron à Obama »

F.D. : Il y a la jeunesse et l’émergence soudaine qui peuvent faire penser à un « Obama français ». Mais l’enthousiasme autour du candidat n’est pas de la même nature qu’en 2008. L’origine de Barack Obama en a fait une élection historique. Ne l’oublions pas : si Emmanuel Macron gagne dimanche, il devra sa victoire à fois à son positionnement politique, qui aura facilité un bon report de voix entre les deux tours face à une candidate d’extrême droite, et à des concours de circonstances : élimination de la droite du fait de l’affaire Fillon et de la division de la gauche. Cela n’enlève en rien ses qualités personnelles, mais cela ne peut pas être comparé à Obama.

 

PdA : La présidentielle est l’élection mère en France. D’elle procède quasiment systématiquement l’élection législative, tenue un mois après, et il n’y a pas de scrutins midterms nationaux...

F.D. : Je pense comme vous que l’ordre des deux élections présidentialise notre régime, et subalternise notre Parlement. Et je le regrette.

 

PdA : Est-ce qu’à titre personnel vous ne trouvez pas gênant ce système du winner takes all qui fait qu’une qualification pour le deuxième tour, forcément à deux, puisse se jouer à quelques dizaines de milliers de voix ? Macron avec 24%, Le Pen avec 21,3 au second tour... Fillon avec 20% et Mélenchon 19,6% rayés de la carte. Est-ce qu’un de nos problèmes de fond, je rebondis sur notre réflexion précédente, ça n’est pas précisément que ce soit cette présidentielle, et non les législatives, notre élection mère ?

« Un Macron élu devra être humble au regard

des résultats du premier tour... sinon il s’exposera

à une revanche politique des minorités du 23 avril »

F.D. : J’ai entendu Emmanuel Macron rappeler le fonctionnement institutionnel, et le fait de devoir choisir entre deux candidats après le premier tour. Il faut pourtant se garder de tout arrogance (je ne parle pas de personnalité mais bien de politique...). La vérité institutionnelle n’est pas la vérité démocratique qui prévoit également le respect des minorités, surtout quand votre majorité est faible (avec un vote utile dès le premier tour) et que la somme des minorités (filloniste, mélenchoniste, hamoniste etc.) est nettement supérieure à votre propre score. Si Macron ne comprend pas cela, on pourrait assister à une revanche politique des « minorités de premier tour » lors des élections législatives du 11 juin.

 

PdA : Tous les sondages d’après premier tour ont prédit une victoire d’Emmanuel Macron, sur des rapports d’à peu près 60-40. Dans votre série d’anticipation La Présidente, Marine Le Pen est élue à l’Élysée dès 2017. En quoi la réalité qui est en train de s’écrire sous nos yeux vous semble-t-elle différer de ce que vous aviez imaginé ?

F.D. : Il y a quelques heures, j’étais encore dans un état d’esprit similaire à celui qui m’a fait écrire la BD. J’ai même écrit en début de semaine une tribune pour le journal Libération intitulé « Pourquoi Marine Le Pen peut gagner (et pourquoi il faut le dire) ». Aujourd’hui, je dirai plus : « Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire...) ». Je m’explique... D’abord, entre temps, il y a eu la catastrophe industrielle du débat, que je qualifierai presque de faute professionnelle pour Marine Le Pen. Ensuite, je maintiens la parenthèse pour signifier que les citoyens doivent rester éveillés, vigilants et concernés par le vote. Si tout le monde se dit que tout est joué, nous pourrions avoir un taux d’abstention record qui pourrait réserver des surprises en termes d’écart entre les candidats. Ce sont les citoyens qui votent, pas les sondages !

 

La Présidente

Couverture de La Présidente, le tome 1. Éd. Les Arènes, 2015.

 

PdA : Ne pensez-vous pas que l’on néglige un peu la capacité qu’aura eu le Front national de dépeindre le candidat d’En Marche comme l’homme du "système" par excellence (le consensus "libre-échangiste", "européiste" et "mondialiste"), point qui rencontre de manière diffuse un écho certain auprès de franges nombreuses de la population qui ne se reconnaissent pas et se sentent perdues dans le monde tel qu’on l’a façonné ? Est-ce qu’il n’y a pas au fond, non sur le résultat final mais à la marge du score (qui pourrait être plus serré qu’on ne le dit comme vous le suggérez), un espèce d’"effet Trump" à imaginer à la faveur de Marine Le Pen ?

« L’erreur fatale de Marine Le Pen aura été

de refuser de s’ériger en candidate de la droite ;

elle aurait dû à certains égards être

une héritière de la campagne de Fillon »

F.D. : Attention à la comparaison. Car la spécificité française tient à cette idée de report de voix, que Marine Le Pen précisément n’a pas su maîtriser. Trump pouvait camper sur ses positions, en surmobilisant son électorat. Il a même pu gagner avec une minorité de voix ! Mais le système français impose aux deux candidats d’élargir leur électorat du premier au second tour. Et c’est l’erreur stratégique majeure de Marine Le Pen, de méconnaître les conséquences politiques de cette spécificité institutionnelle (du scrutin à deux tours). Au lieu de s’adresser à son électorat, élargi d’un électorat de gauche en colère, elle aurait dû essayer d’apparaître comme la candidate de la droite face à l’ancien ministre de François Hollande. Or, en dénonçant sans cesse le libéralisme de son adversaire, elle lui a presque offert l’électorat filloniste avide de réformes. Et je ne parle pas de cette incroyable erreur lorsqu’elle a fini par dire « Macron-Fillon, c’est pareil ! ». Elle n’aurait pu gagner – précisément – qu’en montrant qu’elle était sur un certain nombre de points une héritière de la campagne de Fillon, capable de porter les espoirs de son électorat.

 

PdA : On peut considérer que, sauf accident majeur, Emmanuel Macron accédera à l’Élysée à la mi-mai. Mais s’agissant des législatives, qui interviendront un mois après la présidentielle, pour le coup on est dans le flou total. Pensez-vous que l’on va s’acheminer vers l’émergence véritable d’une troisième force parlementaire, force centrale procédant de l’élection de Macron (les électeurs feraient le choix de la cohérence), ou bien vers une espèce de situation ubuesque pour la Cinquième version quinquennat, un divided government  à l’américaine parce que les partis traditionnels (et notamment LR) retrouveraient du poil de la bête, reprendraient leurs droits à l’Assemblée ?

F.D. : Je pense qu’il faut déjà avoir en tête, pour penser la politique, le propos de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

La grande question est l’ampleur de cette recomposition, de cette transformation. Qu’est-ce qui va véritablement disparaître ? Qu’est-ce qui va naître ? Qu’est-ce qui va renaître sous une autre forme ?

« "Républicains" contre "Démocrates", on pourrait

fort bien assister à une américanisation

de la vie politique française »

Je vous propose d’analyser la chose à partir d’un constat : quelle est force politique qui est sortie la plus affaiblie du premier tour ? Il s’agit du parti socialiste, avec un peu plus de 6% des voix. En considérant cela, on peut imaginer que se reconstituent quatre forces. Un « parti démocrate » qui serait la majorité présidentielle et qui se nourrirait de visages nouveaux et des ruines de l’ancien parti socialiste. Face à lui, les Républicains limiteraient selon moi les dégâts suite à l’élimination du premier tour. Dans la terminologie, on assisterait à une américanisation de la vie politique française – « démocrates » face à « républicains », américanisation entamée par l’importation des primaires.

À gauche du parti démocrate, une force constituée à partir des Insoumis et de l’aile gauche de l’ex-PS.

A droite du parti républicain, tout dépend du score de Marine Le Pen dimanche prochain. S’il apparaît comme amoindri du fait de l’erreur stratégique lors du débat télévisée, cela pourrait conduire sur un conflit entre les deux têtes de l’hydre anti-mondialiste. Le « nationalisme populiste » de Marine Le Pen et Florian Philippot – mixte d’extrême droite et d’extrême gauche – pourrait être concurrencé par le « nationalisme conservateur » de Marion Maréchal Le Pen – mixte d’extrême droite et de droite traditionnelle. Avec toutes les alliances possibles avec LR au niveau local notamment.

 

PdA : Le 7 mai, le choc sera frontal entre deux visions bien distinctes. Si Macron est élu, il incarnera et aura derrière lui peu ou prou l’ensemble des tenants du consensus évoqué plus haut. Une espèce de synthèse ultime entre progressisme et libéralisme - c’est en tout cas ce qui est affiché. Mais est-ce qu’il n’y a pas là, précisément, le risque qu’en cas d’échec, l’alternative, la seule alternative soit, le coup d’après, le Front national, version soft avec Marine Le Pen ou version hard avec Marion Maréchal ? Une alternative qui cette fois aurait des chances de passer parce qu’on aurait essayé tout le reste ?

F.D. : Je suis d’accord avec vous sur le fait que « faire barrage » ou construire des digues ne suffira bientôt plus. Il faut rendre plus performantes nos politiques publiques.

« La clé pour la suite, c’est d’abord

l’amélioration de la qualité de vie des citoyens »

Il ne faut pas avoir un raisonnement cynique. Le problème principal, ce sont les conditions de vie au quotidien des citoyens. Ce sont ces conditions qui amènent au danger démocratique d’avoir un parti d’extrême droite à la tête du pouvoir. N’oublions pas que parmi ceux qui gagnent seulement 1500 euros par mois, Marine Le Pen n’a pas fait 20% mais bien 30% des voix au premier tour ! Donc il faut souhaiter que la nouvelle majorité réussisse, non pas d’abord pour éviter l’élection de l’extrême droite la prochaine fois, mais pour que les citoyens aillent mieux.

 

PdA : Dans le troisième tome de La Présidente, chroniqué récemment sur Paroles d’Actu, Marion Maréchal est contrainte de céder son fauteuil présidentiel à Emmanuel Macron, allié à Christiane Taubira, tandem auquel vous prêtez des intentions de rénovation profonde du système institutionnel et démocratique. On a déjà abordé quelque peu le sujet plus haut, mais au-delà du débat sur le régime (semi-présidentiel contre présidentiel ou parlementaire) quelles sont à votre avis les réformes les plus nécessaires sur ce front des institutions et de la démocratie ? Que faire pour que soit abaissée la crise du politique et de la représentativité dans notre pays ?

« Face à la "frontière", mantra des

nationalistes, on pourrait mobiliser

autour de l’idée centrale de "formation" »

F.D. : J’ai été frappé par le fait qu’on peut résumer d’un mot la solution proposée par les nationalistes, de Trump à Le Pen : « Les frontières ! ». En revanche, face à eux, il y a une difficulté à comprendre le programme de leurs adversaires. Certes, parce que la voie de la complexité est toujours plus dure à emprunter. Mais je crois qu’ils gagneraient à mobiliser autour d’une idée également identifiable. Pour ma part, je pense à « la formation ». Pouvoir se former toute au long de sa vie est la seule solution pour que chacun trouve sa place au sein de toutes les sociétés dans lesquels il aura à vivre (dans le temps et dans l’espace).

 

PdA : Cette question-là, elle est pour le citoyen François Durpaire, plus que pour l’analyste. Quel message avez-vous envie d’adresser à ceux de nos lecteurs qui seraient, à l’heure où ils nous liraient, des électeurs indécis pour le second tour ?

F.D. : Comme le dirait Kant, « agis comme si ton action pouvait être universalisable ».

 

François Durpaire

Crédits photo : Seb Jawo.

 

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24 avril 2017

« Macron, le rêve américain et la simulation du partage », par Fatiha Boudjahlat

Emmanuel Macron, candidat porté par le mouvement En Marche !, totalement inconnu du public il y a trois ans, a réussi le tour de force de se positionner hier soir à la première place de l’élection présidentielle. Il sera opposé lors du second tour à la présidente du Front national Marine Le Pen, donc, de facto, au vu des forces en présence, de la « machine en marche », il sera le prochain président de la République - n’est-ce pas d’ailleurs un vainqueur sans partage qu’il nous a donné à observer aux dernières heures de ce dimanche ? Fatiha Boudjahlat, enseignante et militante au Mouvement républicain et citoyen (MRC), a choisi de consacrer à M. Macron l’espace de tribune libre que je lui ai proposé au lendemain de ce premier tour. Il y a onze jours, dans ces mêmes colonnes, elle prédisait un « retour à la IIIème République »... Je la remercie pour cette fidélité, une fois de plus. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

E

Illustration : francetvinfo.fr

 

« Macron, le rêve américain

et la simulation du partage »

par Fatiha Boudjahlat, le 24 avril 2017

Une de mes élèves m’a expliqué que son père avait voté pour Macron parce que celui-ci avait présenté des mesures en faveur des ouvriers. Vraiment ? Cela m’avait échappé… Pourquoi ce vote en faveur de Macron  ? Outre les fans-de-l’idole, les européistes et les hyper angoissés du vote utile anti-FN du premier tour, Macron a aussi attiré le vote des couches populaires.

Cela me rappelle un documentaire dans lequel un journaliste interrogeait une femme noire d’un milieu très modeste qui avait voté pour Rudolph Giuliani, soit contre ses intérêts de classe. J’ai été très marquée par sa réponse : « Je voulais voter pour celui qui allait gagner ». Elle voulait être, elle la perdante de l’économie et de la société, du côté des vainqueurs, des puissants. Elle n’a pas voté pour un programme, mais pour l’homme en lui-même. Pas sa personnalité, non, le côté winner.

« Le vote Macron revient un peu à goûter

à sa réussite... par procuration »

N’est ce pas ce qui séduit aussi chez Macron ? Son côté chanceux, l’impression de baraka qu’il véhicule, sa ‘gagne’ ? Ceci ajouté au vide de sa personnalité et de son programme… permet à chacun d’y projeter ce qui l’arrange. Il est assez vide et assez magnifique pour que les perdants de la mondialisation lui accordent leurs suffrages, par lesquels ils goûteront un peu à cette réussite.

« Il n’a aucune colonne doctrinaire solide :

il est son propre programme »

Et tant pis s’il est entouré de félons ou de personnes mues par la rancune, comme l’ex-président de la Région Île-de-France, Huchon. Tant pis si ce dangereux rebelle n’a en fait accompli que la carrière des honneurs classiques: Sciences-Po, ENA… puis un petit tour dans la banque, qui est juste de la haute-fonction publique au service d’intérêts privés. Tant pis s’il ne cesse de se contredire, défendant ici la laïcité qu’il présente comme revancharde ailleurs, ou encore lorsqu’il évoque ces multitudes de cultures qui font la France tout en disant s’opposer au multiculturalisme et alors même qu’il n’y a pas de culture française. Tant pis si dans sa bouche la colonisation, présentée par lui comme bénéfique avant, devient un crime contre l’humanité après, pour rétrograder en « crime contre l’humain » dernièrement. On ne lui en tient pas rigueur. Il est magnifique, avec son fameux « en même temps », qui prouve qu’il n’a pas de colonne doctrinaire solide, il est son propre programme.

Tant pis si ce grand ministre de l’Économie a vendu deux aéroports, notamment celui de Toulouse-Blagnac, stratégique puisque Airbus y a une partie de ses usines. Et tant pis s’il l’a bradé pour une rentrée d’argent rapide et facile, à un riche Chinois qui depuis est en fuite parce qu’il est poursuivi par la justice de son pays. Comment imaginer que pour faire rentrer de l’argent, il ne vendra pas les bijoux de famille, puisqu’il n’a qu’un attachement vague à la France, lui qui incarne la mondialisation et ce qu’elle porte de dilution des identités nationales. Non, il incarne la réussite.

« Macron est un candidat américain : il use

des codes et méthodes des campagnes

américaines... sans les maîtriser vraiment »

Il est un candidat américain, il incarne le rêve américain et c’est une première en France. D’où cette mise en récit stupéfiante sur sa réussite républicaine qui lui a permis de devenir ministre et de s’enrichir avant. Ses méthodes, sa campagne furent américaines. Il a tenté d’en adopter le code linguistique avec le public address, sans en avoir les capacités vocales ou en maîtriser vraiment la forme : « La culture américaine penche en politique vers le pouvoir amical mais ferme du public address, l’art de s’exprimer en public - un président américain est une machine à faire des discours - combiné avec une version de debate, à savoir conversation, qui n’a rien à voir avec ce que nous appelons la conversation, qui est une technique de simulation du partage. »* Ne serait-ce pas la clef du succès électoral de Macron ? Cette « simulation du partage » de sa réussite ? De sa chance ? De son destin de presque petit poucet ?

* P.J Salazar, Paroles Armées. Lemieux éditeur, 2015.

« Et pourtant il faudra voter pour lui...

un choix contraint, qui n’éblouit que les naïfs

et ne séduit que les cyniques... »

Et pourtant, il faudra voter pour lui. Parce que l’alternative est pire. Parce que l’alternative n’appartient pas au repère orthonormé de tout républicain intègre. Mais c’est un choix contraint. Qui n’éblouit que les naïfs et ne séduit que les cyniques.

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

 

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16 avril 2017

« Mélenchon, une candidature intéressante... », par François Delpla

François Delpla, historien spécialiste du nazisme et d’Adolf Hitler (il a consacré à ces deux thématiques évidemment étroitement liées de nombreux ouvrages), m’a fait l’honneur de m’accorder de son temps et de son attention à deux reprises pour des articles riches et qui m’ont beaucoup apporté, en mai et en octobre 2016. Analyste passionné des faits du passé, il est aussi un citoyen actif, bien ancré dans son époque. C’est tout naturellement que j’ai souhaité lui offrir une tribune, libre et sans cadrage pré-établi, sur la présidentielle dont le premier tour se jouera dans une semaine tout juste. Son texte, peaufiné entre le 14 et le 16 avril, m’est parvenu rapidement. Clairement, il est engagé, mais c’est un engagement argumenté, forcément intéressant donc. Merci à lui. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche

 

Un regard sur la présidentielle: François Delpla

« Mélenchon, une candidature intéressante... »

Jean-Luc Mélenchon

Source de l’illustration : AFP.

 

Une issue à nos impasses ?

J’ai trouvé depuis le début la candidature de Jean-Luc Mélenchon intéressante. Il semble que je sois rejoint par un nombre croissant de citoyens !

« L’approche de Mélenchon sur l’Europe me paraît

plus efficace que celle portée par le Front national »

Je partage l’idée que les deux quinquennats précédents ont été catastrophiques. Or tous les autres candidats (pour me limiter à ceux qu’on dit "principaux") promettent d’en reproduire et d’en amplifier les défauts. Ils avaient d’ailleurs tous deux débuté sous le signe d’une "rupture" qui n’est pas venue.
Elle ne saurait venir que d’un changement profond des rapports avec Bruxelles, qu’il résulte soit d’un "Frexit", soit d’une tentative enfin réussie d’amener à la raison le gouvernement allemand. Le programme de Mélenchon, consistant à menacer d’un Frexit en essayant d’entraîner dans une révolte les pays d’Europe du sud, me paraît plus clair et plus efficace que celui du Front national.

Cependant, mon lecteur en cet espace est probablement intéressé, plus que par mes opinions citoyennes, par le jugement du spécialiste français d’Adolf Hitler sur les correspondances entre la situation actuelle et celle des années trente.

Cette dernière me semble avoir été dominée par une personnalité dont l’équivalent est aujourd’hui introuvable. Abstraction faite de la personnalité de son fondateur et metteur en oeuvre, je dis depuis longtemps que le nazisme n’est pas reproductible parce que Hitler était à la tête d’une très grande puissance dont seuls les États-Unis offrent aujourd’hui un équivalent, et parce qu’un Hitler américain est inconcevable car il ne pourrait jouer ni d’une défaite, ni d’une apparente infériorité. Ce n’est pas l’élection de Trump qui est de nature à me faire changer d’avis : tout le monde l’attend au tournant et il ne songe guère à maintenir le masque de pacifisme dont il s’est certes, par moments, affublé pendant sa campagne.

Depuis quelques jours un tir de barrage se déchaîne contre Mélenchon (dont la politique intérieure est globalement passée sous silence, au profit d’une politique extérieure fantasmée à partir de quatre noms : Castro, Chavez, Assad et Poutine), de la part non seulement de ses rivaux mais de l’immense majorité des médias (ceci expliquant cela). C’est en quelque sorte rassurant pour moi qui avais émis sur Médiapart, dès le 18 février, la crainte de son élimination physique et mis les points sur les i le 3 mars en évoquant l’assassinat de Jaurès. En effet, si la situation me fait penser à un avant-guerre, c’est plutôt à celui des années dix que des années trente.

« Il est triste de voir qu’il est seul parmi les candidats

à prendre fait et cause contre les conflits en cours »

Il est triste de voir un seul candidat prendre fait et cause contre les conflits en cours, sonner l’alarme devant le danger d’en voir éclore de plus graves et prôner une ferme action française pour donner à l’ONU les moyens de les juguler. Il est plus triste encore de voir monter contre lui des vagues de haine analogues à celle qui stigmatisait "Herr Jaurès" et avait armé le bras de Raoul Villain contre le "traître" qui avait contesté, en 1913, la prolongation du service militaire de deux à trois ans.

En se laissant glisser dans la guerre en 1914, la planète a perdu un siècle. A-t-elle le droit et le temps d’en perdre un autre ?

 

Halte aux falsifications !

« L’élection de Mélenchon serait le prélude

d’une adhésion de la France à un empire

du Mal ? Soyons sérieux... »

Puisse le nom de Patrick Cohen passer bientôt en proverbe ! Le brillant présentateur de la matinale de France Inter vient de déshonorer sa profession tout en la poussant au vice. Sur un plateau de télévision, lundi 10 avril, il a isolé dans les 127 pages du programme de la France insoumise une ligne, elle-même prélevée sur les 37 de l’article 62 (sur la politique extérieure) en laissant croire qu’il s’agissait de l’intégralité de ce point. Il est question de l’Alliance bolivarienne (ou Alba) à laquelle la France, dit le programme, doit adhérer. Cohen et, après lui, Aphatie (sur RTL) puis Joffrin (dans un édito de Libération) affectent de croire que ce serait en rapport avec la sortie, préconisée par ailleurs, de l’OTAN et qu’il s’agirait d’un bloc militaire intégrant la Russie, l’Iran et la Syrie de Bachar el-Assad. Or il s’agit d’une simple union économique latino-américaine dont la France, en raison de son implantation en Guyane, est déjà partenaire. Le symptôme est un peu léger pour faire apparaître l’élection de Mélenchon à l’Élysée comme le prélude d’une adhésion immédiate de la France à un empire du Mal. Il n’empêche que le gros des médias (à d’honorables exceptions près que détaille Olivier Tonneau) s’est engouffré derrière le Panurge de France-Inter. À l’heure qu’il est ils doivent bien être quarante. Pourquoi l’affaire ne passerait-elle pas à la postérité sous le label BOLIBOBARD et les quarante faussaires ?

 

Il serait temps de lire les programmes...

Un aveu tardif d’Alain Bergounioux (Teleos, le 15 avril) : « Jean-Luc Mélenchon n’est donc pas là par un concours de circonstances. Il est temps de considérer avec sérieux ce qu’il propose et ce qu’il représente. Cette préoccupation est un peu trop tardive. Car les cartes sont sur la table depuis longtemps. Le programme de la "France insoumise", L’avenir en commun, est disponible depuis la fin de l’année 2016. Les essais théorisant son positionnement, L’Ère du Peuple, Le Hareng de Bismark, Qu’ils s’en aillent tous, etc. depuis plus longtemps. »

« Longtemps, on a considéré les positions portées

par Mélenchon avec un souverain mépris... »

Historien et militant du Parti socialiste français, Bergounioux ne va pas jusqu’au bout de son aveu : si lui-même et ses pairs ont tant tardé à se pencher sur les positions de la France insoumise, c’est qu’ils les considéraient avec un souverain mépris, à l’abri du cordon sanitaire des grands médias, lesquels parlaient du candidat le moins possible et toujours en mauvaise part. Ah certes, on en savait un rayon sur son ego surdimensionné, sa volonté d’isolement et son indifférence à la victoire présidentielle, tout occupé qu’il était d’achever le parti socialiste ! On en avait entendu parler de son chavisme, de son castrisme et de son poutinisme, sans la moindre considération pour les incompatibilités de ces étiquettes ! Voilà-t-il pas qu’il a des idées et des auditeurs qui les partagent ? Quel tricheur, décidément !

Pour le reste, Bergounioux et bien d’autres publicistes roulant pour les rivaux de Mélenchon limitent leurs analyses historiques à l’échec des régimes de type soviétique sans omettre, passé de JLM oblige, le coup de griffe rituel à Trotsky. On cherchera vainement sous ces plumes une analyse pourtant évidente : dans bien des pays et notamment en France, depuis de nombreuses décennnies, l’idée du "vote utile" a polarisé les forces de progrès au profit des partis sociaux-démocrates. Lesquels traversent une crise profonde, en raison principalement de l’acuité croissante des problèmes et de leur manque total d’imagination pour y faire face. En France cependant le président Hollande a battu dans ce domaine tous les records. Élu sur un programme nettement axé à gauche après un quinquennat de droite peu concluant, il a trahi méthodiquement ses promesses et semblé calquer consciencieusement sa politique sur celle de son prédécesseur Sarkozy : alignement sur les forces les plus réactionnaires de l’UE et de l’OTAN, répression des syndicats et des manifestations, cadeaux financiers et législatifs au patronat, chef d’État campé le plus souvent possible en chef de guerre, discours et attitudes xénophobes, mépris de la démocratie en installant à Matignon le candidat ayant fait le score le plus faible à la primaire, échecs législatifs sur la nationalité ou les vêtements de plage pour entorses flagrantes aux droits élementaires, etc.

« Une victoire de Macron risquerait de rendre

inéluctable le triomphe de l’extrême droite

la fois d’après... »

Cette situation crée une opportunité sans précédent. Face à une droite moins imaginative que jamais et empêtrée dans des scandales, l’offre socialiste se divise entre un Macron plus du tout de gauche et un Hamon qui n’ose pas l’être tout à fait, tandis que l’exaspération des victimes sociales des deux exercices précédents favorise une montée de l’extrême droite devant laquelle se pose plus que jamais la question du vote utile. Mais, cette fois, c’est le candidat le plus à gauche qui apparaît d’ores et déjà, et risque d’apparaître de plus en plus au fil des jours qui viennent, comme le choix le plus utile. Dans un second tour contre Marine Le Pen, les chances d’un bourgeois immature et méprisant comme Macron, responsable d’une bonne partie des carences du quinquennat, ne sont pas plus éclatantes que celles d’un tribun au mieux de sa forme ayant l’oreille de larges masses, et surtout une victoire de Macron, gage d’un alignement inchangé sur l’Allemagne et les États-Unis, donc d’une austérité renforcée et d’une insolence patronale débridée, risquerait de rendre inéluctable le triomphe de l’extrême droite la fois d’après.

Qu’on le veuille ou non, le vote Mélenchon semble d’utilité publique à un nombre croissant d’électeurs. Et, si le candidat conserve sa sérénité, la haine qui se déploie un peu plus tous les jours va encore, par un effet de contraste, gonfler ses voiles.

 

François Delpla

Crédit photo : Paolo Verzone

 

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13 avril 2017

« Le retour de la IIIe République », par Fatiha Boudjahlat

Il y a trois mois, Fatiha Boudjahlat, enseignante et militante active au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC), acceptait mon offre de tribune libre autour de la thématique suivante : « L’identité nationale, c’est la République ? ». Son texte, intitulé « L'identité républicaine, la plus universelle des singularités », riche et sans concession aucune, mérite certainement d’être lu ou relu en cette période trouble - et pas simplement parce qu’on est à dix jours du début de l’élection présidentielle. C’est de ce scrutin, précisément, qu’il est question pour cette nouvelle contribution inédite qu’elle nous livre - sa dernière tribune en tant que secrétaire nationale du MRC : « Le retour de la IIIe République ». Tout un programme... Merci à vous, Fatiha, pour cette nouvelle marque de confiance. Une exclu Paroles dActu. Par Nicolas Roche

 

« Le retour de la IIIème République »

par Fatiha Boudjahlat, le 12 avril 2017

Les experts insistent tous, l’expérience de leurs séries d’échecs y incitant, sur la volatilité des électeurs repartis en 4 quarts, ainsi que sur le nombre d’électeurs indécis. C’est une campagne inédite.

D’abord parce que le vainqueur l’aura remporté sans parti, en dépit, voire contre son parti. La grande majorité des cadres LR avait tourné le dos à Fillon, qui a alors rebondi en s’appuyant sur des groupuscules comme Sens Commun. Mais lui avait la main sur la caisse et sur le parti. Prudence élémentaire que n’a pas eue Hamon, que les cadres du PS ont voulu à plusieurs reprises débrancher. Mélenchon gagne en dehors du PCF et du PG, son parti pourtant, il a bâti sa structure La France insoumise, tout comme Emmanuel Macron avec En Marche. Deux candidats, LR et PS, menant campagne contre leurs partis, deux candidats ne jouant pas la carte du parti. Une dernière ayant elle aussi créé une structure ah doc, le Rassemblement Bleu Marine, avec un logo bien différent de celui du Front national qui reste à la manoeuvre mais qui n’est pas sur le devant de la scène.

Ensuite par le rôle des primaires dans l’essorage des deux candidats naturels de la gauche et de la droite. Remporter les primaires nécessite de mobiliser un électorat qui s’avère le plus extrémiste. L’enjeu consiste après à rassembler, ce qui passe alors pour une trahison de ces premiers électeurs. Ni Fillon, ni Hamon n’ont voulu faire ce choix. Mais tant qu’ils semblaient être en passe de l’emporter, les autres électeurs et leurs concurrents malheureux faisaient contre mauvaise fortune bon cœur. Le cœur de midinettes, volatile, oui, animé par des fidélités successives.

Enfin, c’est un président sans majorité absolue qui sera désigné. Quand on considère que le PS est en passe de réaliser un score à un chiffre !

On se souvient que c’est Lionel Jospin, sûr de sa victoire, qui avait procédé au changement de calendrier induit par le quinquennat, faisant se tenir l’élection présidentielle avant celle des députés. Or, quand la gauche perd, elle perd toujours plus lourdement que la droite. Quand elle gagne, c’est toujours par un pourcentage plus faible que lorsque c’est la droite qui l’emporte. On est toujours plus déçus par la gauche que par la droite, qui dispose d’une assise dans les territoires plus solide.

« Quel que soit le candidat qui l’emportera,

on entrera dans un système de

cohabitation/coalition »

Quel que soit le candidat qui l’emporte, et surtout si c’est Macron, du fait même de la nature de sa chimère, au sens mythologique du terme, nous entrerons dans un système de cohabitation et de coalition. Macron a déclaré : « On n’a jamais vu, depuis 1958, le peuple français dire le contraire aux législatives de ce qu’il a dit quelques semaines plus tôt à la présidentielle. » Mais jamais le peuple français n’avait été autant éclaté, quatre candidats, et jamais il n’a dû se prononcer sur des hommes sans parti. Cohabitation parce que les grands partis LR, PS, RBM-FN remporteront un nombre important de circonscriptions. Et plutôt que d’assurer la gouvernabilité de la France, par une chambre des députés en accord avec la présidence, je pense que les Français, esseulés, retrouveront les reflexes de vote. Les Français gardent aussi un très bon souvenir de la cohabitation gauche-plurielle/Chirac. À ceci s’ajoute la loi sur le non-cumul des mandats, ainsi que la volonté de renouvellement, non des couleurs politiques, mais des têtes. Si Le Pen gagne, le choc sera tel que les Français plébisciteront les autres partis aux législatives, le réflexe républicain prévaut. Ce qui sera une situation idéale pour elle. L’absence de majorité la dispensera d’appliquer ses mesures folles, et elle en restera à la posture de chef, exerçant les missions régaliennes à haute valeur et crédibilité ajoutées.

« Macron serait un président de la Vème République

fonctionnant avec un parlement de la IIIème... »

Idem dans le cas de François Fillon, exposé par les procédures judiciaires, concernant sa femme et ses enfants, qui se poursuivront, qui ne bénéficient pas de l’immunité présidentielle. Avec Macron, outre la cohabitation, ce sera un système de coalition. Macron sera un président de la Vème République fonctionnant avec un parlement de la IIIème. Il devra convaincre et coaliser pour chaque décision, au cas par cas. Et même s’il présente le clivage gauche-droite comme désuet, les reflexes seront là pour ses députés qui ne disposent pas d’une colonne vertébrale doctrinaire commune. C’est peut-être la raison pour laquelle il a d’ores et déjà annoncé que tout moderne qu’il soit, il réformerait le code du travail à coup d’ordonnances, en vertu de l’article 38 de la Constitution. Il serait utile de lui rappeler que les ordonnances entrent dans les prérogatives du chef du gouvernement, pas du chef de l’État, il doit donc s’assurer une chambre à ses ordres et à ses couleurs. Or, son mode même de recrutement, le système McDo, venez comme vous êtes, incitera à la fronde permanente. Jean-Luc Mélenchon ne disposera pas non plus de majorité s’il est élu. Les députés ne sont pas élus à la proportionnelle mais à la majorité qualifiée dans chaque circonscription. Dans quelle mesure joue l’étiquette plutôt que l’expérience et le bilan du député ? C’est aussi ce que les prochaines élections permettront d’éclaircir. De bons députés seront sanctionnés, de mauvais candidats seront élus.

« Exercer le pouvoir suppose de la "puissance",

elle-même fonction de la capacité à projeter

de l’autorité... pas gagné pour tous ! »

Est-ce l’élection de trop d’un système, la Vème à bout de souffle ? On n’avait pas mesuré les conséquences du quinquennat et des primaires dans un régime présidentiel fort qu’est celui de la Vème. On dit souvent que notre régime est celui d’une monarchie républicaine. Comme pour les écrouelles, il y a une part de symbolique essentielle, ce que Macron reconnaissait en parlant de transcendance et de verticalité du pouvoir. Ce qui rend les propos et l’attitude de Mélenchon anxiogènes, on ajouterait de l’autorité à de l’autoritaire, et ce pourquoi il annonce qu’il ne restera au pouvoir que le temps de faire adopter une nouvelle constitution. Mais il ne s’agit pas de pouvoir mais de puissance, au sens que lui donna Joseph Nye : la capacité à faire adopter à autrui le comportement voulu par soi. Et cette puissance ne repose pas que sur des institutions, elle dépend en premier lieu de l’autorité. Et cette autorité est d’abord un consentement des personnes soumises à cette autorité. Elles consentent à prêter de la puissance à celui qui incarne cette autorité. Or, si Le Pen est élue, chacun se croira Jean Moulin en refusant d’appliquer la plus insignifiante de ses directives. Idem, pour des raisons différentes, avec Jean-Luc Mélenchon. Quant à Fillon, il ne pourra exiger du peuple des sacrifices parce que les affaires ont dilapidé sa crédibilité et sa capacité à obtenir ce consentement. Enfin, Macron qui joue les politiques modernes et le jeu participatif, est en mesure d’obtenir ce consentement, jusqu’à ses premières erreurs qui ne manqueront pas d’advenir, lui qui n’a eu de cesse de promettre tout et son contraire durant cette campagne folle.

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

 

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23 novembre 2016

« Si la Constitution m'était confiée », par Jean-Yves Narquin

Série « Si la Constitution m’était confiée... », nouvelle entrée. Après la tribune accordée au constitutionnaliste de renom Bertrand Mathieu sur le référendum, après celle accordée à Henri Temple quant au regard porté sur nos institutions, voici une contribution en deux parties de Jean-Yves Narquin. Au moment de nos premiers échanges dans la perspective de cet article, datés de mars dernier, le maire de Villedieu-le-Château (Loir-et-Cher) était délégué général du Rassemblement Bleu Marine ; il est aujourd’hui un collaborateur de l’eurodéputé Bernard Monot, et coordonnateur du think tank que ce dernier anime au Front national, Cap Éco (en charge de l’élaboration du programme économique du parti). M. Narquin s’occupe également, en interne, du pôle de réflexion « révolution numérique ». De cet aspect, il est question dans le document à venir ; je le remercie d’être resté fidèle à son engagement envers moi et pour les éléments qu’il apporte, intéressants pour la réflexion et le débat - la couleur politique des uns et des autres importe peu ici. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Si la Constitution m’était confiée...

par Jean-Yves Narquin

Constitution de 1958

Illustration : page des signatures de la Constitution de 1958,

avec le sceau de France (Archives nationales).

 

Partie I: l’article

Refonder la démocratie ? 

par Jean-Yves Narquin, le 25 octobre 2016

À l’approche de la campagne présidentielle, il faut présenter des mesures concrètes rapidement applicables et s’efforçant de remédier aux dysfonctionnements les plus évidents que constatent les Français.

Mais je pense que le moment est venu aussi d’une approche plus globale des concepts mêmes qui sont à la base des États ; la société a évolué et il faut s’y adapter. L’idée générale est que la démocratie n’est pas un état béat qui existerait naturellement, mais une exigence de tous les instants car le pouvoir a une tendance naturelle à se concentrer et à éliminer les moyens de contrôle.

A. DES MESURES PONCTUELLES

1) Qui est le personnel politique ?

La surreprésentation des hauts fonctionnaires en politique, qui est liée à leur statut, est incontestable.

Je ne préconise pas de supprimer l’ENA, comme le proposent avec un brin de démagogie certains énarques, car l’État a besoin de haut fonctionnaires formés, compétents, efficients.

Mais il s’agit de comprendre pourquoi la haute fonction publique a préempté la représentation politique grâce au statut de ses agents et à leur possibilité de se mettre en disponibilité « ad vitam aeternam ».

La disponibilité doit être limitée dans le temps (trois ou quatre ans), et ensuite il faut choisir : être homme politique ou être haut fonctionnaire.

Il en va de l’égalité de l’éligible, comme on est soucieux de l’égalité des électeurs.

 

2) Des déclarations d’intérêts incluant toutes les appartenances et affiliations

Les déclarations d’intérêts qui sont publiques doivent inclure, au-delà des biens matériels, l’appartenance à toutes les milieux pouvant générer des conflits d’intérêts. Au premier rang desquelles la Franc-maçonnerie qui par ses deux règles fondamentales - le devoir de fraternité et le secret de l’appartenance à l’obédience - pose rapidement des conflits dans la gestion des affaires publiques.

Il faut déterminer la liste des « incompatibilités » avec cette appartenance (magistrat, officiers, haut-fonctionnaires, etc…). Déterminer également la liste des déclarations publiques obligatoires, dans un devoir de transparence.

Ces deux premières mesures sont beaucoup moins anecdotiques qu’on peut le croire pour le bon fonctionnement de la « vie politique ».

 

3) Le cumul des mandats

Une mesure évidente, demandée par le peuple, mais que les cumulards qui votent les lois, déforment ou vident de son sens - quand ils ne « reculent » pas.

Au-delà de l’écrêtement et des marchandages assez sordides auquel il donne lieu, l’interdiction de tout cumul d’indemnités - au profit de la plus élevée - sera un puissant facteur en ce sens.

Encore plus radicale, il y a cette idée ne pas être en position de cumul potentiel au moment du « dépôt de candidature ».

 

4) La représentation et le mode de scrutin

Le sujet est compliqué, car on est tiraillé entre deux impératifs : donner une image juste et équitable de la représentation ; dégager une majorité donnant à l’exécutif les moyens de gouverner. D’où les systèmes mixtes de proportionnelle à prime majoritaire des conseils municipaux ou régionaux.

La proportionnelle est porteuse de deux vices fondamentaux : les partis choisissent les élus à la place des électeurs, et le mode de scrutin influence la vie politique en favorisant l’émiettement des formations politiques. Enfin les alliances de gouvernement se concluent au lendemain des scrutins, dans le dos des électeurs.

Le scrutin majoritaire a quant à lui un défaut fondamental, à savoir l’élimination de toute représentation des partis ne s’inscrivant pas dans une alliance électorale possiblement majoritaire.

L’Allemagne a trouvé un système mixte qui cherche à éliminer les inconvénients cités précédemment : scrutin majoritaire à un tour avec rééquilibrage proportionnel en faveur des partis sous-représentés, par repêchage des meilleurs candidats non-élus. Un système forcément un peu compliqué mais qui semble faire consensus dans les formations politiques au niveau des landers.

 

B) UNE ANALYSE D’ENSEMBLE

1) La démocratie moderne est basée sur le principe de séparation des pouvoirs issue de l’Esprit des lois de Montesquieu

Qu’en est-il de la réalité de la séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire aujourd’hui ?

L’exécutif a entièrement mis à sa main le législatif. Si le régime d’assemblée, propre par exemple à la Quatrième République, paralysait l’exécutif, aujourd’hui c’est l’inverse : une assemblée devenue chambre d’enregistrement de l’initiative législative, venant du gouvernement. Notons que ces déséquilibres ont été grandement accentués par le quinquennat et l’inversion du calendrier.

Quant à l’institution judiciaire, livrée au combat idéologique et sociologique, elle est partie à la dérive.

 

2) Séparation des pouvoirs ? Oui mais lesquels ?

Depuis 1648 et les principes de Montesquieu, la société a profondément évolué. Il est couramment admis que la Presse soit devenue un « quatrième pouvoir » ayant un impact majeur dans le débat démocratique.

L’économique est devenue prépondérant dans la vie de nos concitoyens : la consommation, le niveau de vie, le chômage, etc...

Enfin le poids de l’administration, ses pesanteurs, son pouvoir d’interprétation ou de mauvaise volonté modifient la gouvernance du pouvoir exécutif et législatif.

 

3) De la reconnaissance des six pouvoirs d’une société moderne

Il existe désormais six pouvoirs interdépendants : législatif, exécutif, administratif, économique, médiatique et judiciaire.

Si le fondement de la démocratie tient à l’absence de passerelles, de connivences, entre les pouvoirs, il faut dès lors organiser leur séparation.

Est-il concevable qu’une puissance économique fonde son pouvoir sur la détention de médias, rendant dépendant le personnel politique au point de s’assurer des rentes de situation au sein de la commande publique ?

Cet état de choses a été dénoncé depuis longtemps (citons par exemple l’ouvrage TF1, un pouvoir de Pierre Péan) et pourtant aucune mesure n’a été envisagée par le législateur car, pris au piège de cette dépendance, toute mesure restrictive serait considéré comme une déclaration de guerre.

Aujourd’hui, les grands capitalistes s’achètent des médias pour avoir barre sur les politiques et la législation leur étant applicable. La démocratie a un coût, et donc l’indépendance et la pluralité des médias en a un. Leurs statut et garanties liées sont un ensemble de « droits et devoirs » qui restent à définir avec la profession.

 

Cet exemple à propos des médias veut juste montrer le travail de fond que des penseurs politiques doivent aujourd’hui initier pour redéfinir la démocratie moderne, basée sur la séparation des pouvoirs réels tels que nous les connaissons dans la société du XXIème siècle.

 

 

Partie II: 5 questions

Faut-il conserver le bicéphalisme de l’exécutif (président de la République/Premier ministre) version Cinquième République ?

Bien sûr, ils ont chacun leur rôle différent : le président de la République est le président de tous les Français alors que le Premier ministre est le chef de la majorité parlementaire.

Je suis par principe opposé à ce que l’on rabaisse la fonction présidentielle en en faisant le chef de l’exécutif gouvernemental ; le Premier ministre, d’après la Constitution, n’est pas le simple « collaborateur » du président.

Faut-il changer les calendriers des élections présidentielle et législatives les unes par rapport aux autres ? Quid de la durée des mandats du président de la République et des députés ?

Commençons donc par la durée, qui est la clef. C’était une erreur de vouloir américaniser nos institutions en faisant coïncider les durées présidentielle et législative avec le quinquennat.

Plus la Constitution de la Vème République prend de la bouteille et plus on constate qu’elle était très subtilement écrite et équilibrée, capable de gérer y compris les cohabitations qui apparaissaient comme des hérésies à certains (cf: Raymond Barre). Je serais plutôt favorable en ce qui me concerne au septennat non renouvelable.

En conséquence, le découplage des échéances des mandats permettrait une réévaluation du rôle des parlementaires et du parlement, devenu au fil des années une chambre d’enregistrement de la législation voulu par l’exécutif.

Faut-il modifier les règles de présentation des candidats à l’élection présidentielle (système de parrainages) ?

Il faut assurer une représentativité minimum en évitant les candidatures fantaisistes et un nombre raisonnable de candidats ; une douzaine semble couvrir le panel des opinions. Mais on a progressivement instrumentalisé les parrainages en voulant verrouiller, voire empêcher certains d’être candidats, c’est inadmissible et anti-démocratique.

Soit on constate la représentativité par les scores électoraux aux élections, mais cela devienrait alors des candidatures de partis politiques, soit on élargit la base des parrainages (par exemple : 3000 conseillers municipaux, etc.), et l’on rétablit l’anonymat.

Comment restaurer un équilibre meilleur et sans doute plus sain entre législatif et exécutif ?

Vaste problème ! L’exécutif a phagocyté le législatif. Une fois ce constat effectué, que faire ?

Une représentation moins monolithique, type majorité/opposition, rendrait l’exécutif plus soucieux et respectueux de sa majorité, d’où la question du système électoral déjà évoquée précédemment. Ensuite, la maîtrise de l’ordre du jour et le droit d’initiative peuvent être largement améliorés.

Philippe Seguin s’était attaché à la revalorisation du parlement grâce à sa forte personnalité, mais depuis le chantier est resté à l’arrêt.

Faut-il généraliser l’utilisation de référendums de portée nationale et, si oui, à quels types de question les réserver/limiter ?

La consultation du peuple, directement, est la meilleure démocratie et les élites qui ont systématiquement échoué depuis quarante ans devraient faire preuve d’un peu plus de modestie dans leur rôle de « sachants ».

Le référendum d’initiative populaire peut être élargi et les sujets regroupés pour des votations, comme en Suisse ou aux États-Unis. Ensuite, les nouvelles technologies permettent des consultations simples et rapides, il faudra prendre des initiatives d’organisation de ces modalités, tout en gardant le caractère solennel des scrutins unipersonnels.

Propos recueillis le 23 novembre 2016.

 

Jean-Yves Narquin

Jean-Yves Narquin est maire de Villedieu-le-Château (Loir-et-Cher).

Ex-délégué général du Rassemblement Bleu Marine, il est aujourd’hui

un proche collaborateur de l’eurodéputé Bernard Monot...

 

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15 novembre 2016

« La soif d'engagement de la jeunesse », par Julien Miro

Julien Miro est président du think tank 5 ans pour des idées et responsable des questions jeunesse auprès d’Alain Juppé. Fidèle de Paroles d’Actu, il avait coécrit il y a quelques mois un texte publié dans nos colonnes et son intermédiation fut décisive pour la réalisation en juillet dernier de mon interview de Frédéric Salat-Baroux.

Début novembre il a accepté, à ma demande, de nous livrer un texte inédit touchant à la jeunesse. Une thématique générale : « Et si l’on sortait des clichés sur la jeunesse ? ». Avec un premier focus, qui appelle d’autres textes : « La soif d’engagement de la jeunesse ». Tout un programme... Merci, Julien. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU - TRIBUNE

Et si l’on sortait des clichés

sur la jeunesse ?

Épisode 1: la soif d’engagement de la jeunesse

Les clichés sont souvent tenaces. Particulièrement ceux qui touchent les jeunes. Il faut bien reconnaître qu’ils sont simples, frappants. Ils impriment bien comme on se plaît à le dire.

Ils sont l’outil rêvé du tribun populiste : un message simpliste et facilement mémorisable.

En vérité, les clichés sur les jeunes sont bien utiles : ils évitent toute réflexion.

Le désengagement est certainement celui qui revient le plus souvent. Et celui dont découlent les autres.

Les jeunes seraient donc moins engagés que leurs aînés (d’après les aînés eux-mêmes). Ils seraient, en quelque sorte, une large bande homogène de soixante-huitards, gâtée, sûre d’elle et avec pour seul intérêt, le sien.

Pourtant, lorsqu’on regarde de plus près, on constate que la jeunesse est bel et bien engagée. Peut-être plus qu’aucune autre jeunesse ne l’a jamais été.

Certes elle n’utilise pas les schémas classiques.

Les pavés ? Elle les lance à l’aide de billets sur des blogs.

Les refrains scandés ? Elle les met en ligne plusieurs fois par jour sur les réseaux sociaux.

Le travail acharné ? Elle prend le parti de créer son entreprise et de mener plusieurs emplois de front.

En réalité, l’État est le seul îlot qui refuse son engagement.

Elle lutte pour se faire entendre et trouver sa place face à un État qui confisque et monopolise la prise de décision.

Plus question d’adopter une logique pyramidale des organisations, le participatif est désormais un droit. Il doit se concrétiser.

La clause d’impact jeunesse, qui consiste à évaluer l’impact d’une loi sur la jeunesse, va dans le bon sens. Mais elle est insuffisante.

Le budget participatif constitue un outil clé de la démocratie horizontale qui mérite d’être expérimenté au niveau national.

Porto Allègre, Grigny, Paris, les budgets participatifs ont fait leurs preuves au niveau local, pourquoi ne pas les étendre au niveau national ? Un pourcentage du budget de l’État pourrait être alloué à des budgets participatifs dédiés aux jeunes, qui voteraient pour flécher ces moyens vers des projets auxquels ils croient.

Un État qui favorise l’engagement des jeunes, c’est aussi un État qui leur permet de contribuer au dynamisme économique et à la croissance.

Entreprendre, que cela soit via le système de l’auto-entreprenariat ou à travers la création à plusieurs d’une start up, les jeunes plus que les autres en ont envie : selon un sondage Opinionway d’octobre 2016, 37% des jeunes de moins de 35 ans sont attirés par le statut d’autoentrepreneur, contre 26% pour l’ensemble des Français. Ils sont 62% des 18-24 ans à être intéressés par la création d’entreprise en général, contre 30% pour le reste des Français. Doit-on laisser cette énergie de côté  alors qu’elle pourrait être bénéfique, notamment pour l’économie française ? Au contraire, il faut donner les moyens à la jeunesse d’exprimer son potentiel entrepreneurial.

La création d’entreprise par les jeunes doit être facilitée. Et les pistes sont nombreuses : les structures de promotion de l’entrepreneuriat (junior entreprises, incubateurs etc.) au sein des établissements d’enseignement supérieur doivent se multiplier, sans rester le monopole des Grandes écoles.

Les institutions œuvrant pour l’emploi des jeunes, comme Pôle emploi ou les missions locales, doivent accroître leur communication sur la création d’entreprise, qui peut être une voie de retour à l’activité.

Les avantages du statut de « jeune entreprise » doivent perdurer dans le temps.

Finalement, au-delà du cliché, lorsqu’on s’oblige à la réflexion, une vérité fait surface : c’est à l’État de s’engager désormais.

le 7 novembre 2016

 

Julien Miro 2016

Par Julien Miro, président du think tank 5 ans pour des idées

et responsable des questions jeunesse auprès d’Alain Juppé.

 

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