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Paroles d'Actu

4 mai 2017

« Macron ou Le Pen, la laïcité est perdante », par Fatiha Boudjahlat

Fatiha Boudjahlat, enseignante, militante au Mouvement républicain et citoyen (MRC) et auteure de Féminisme, tolérance, racisme, culture : Le grand détournement, essai à paraître aux éditions le Cerf, s’est imposée en quelques mois parmi les contributeurs les plus fidèles de Paroles d’Actu. Trois tribunes lui ont été accordées jusquà présent avec en toile de fond lélection présidentielle : « L'identité républicaine, la plus universelle des singularités » (janvier), « Le retour de la IIIe République » (mi-avril) et « Macron, le rêve américain et la simulation du partage » (écrite juste après le premier tour). Comme pour les trois mousquetaires, voici un quatrième texte, le dernier avant l’ultime round de l’élection - il date de quelques heures après le grand  pugi... débat à deux. Sur un des thèmes qui lui sont chers, très chers : la laïcité, valeur cardinale. Merci Fatiha ! Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Débat

Illustration : Europe 1

 

« Macron ou Le Pen,

la laïcité est perdante. »

par Fatiha Boudjahlat, le 4 mai 2017

On se souvient de la punchline que Clinton infligea à George Bush Père lors de sa première candidature : « It’s the economy stupid ». Cette campagne présidentielle montre au contraire que tout ne se réduit pas à l’économie. La laïcité, le rapport à la Nation, au communautarisme, la lutte contre l’islamisme, s’avèrent déterminants pour le vote du dimanche 7 Mai. Emmanuel Macron et Marine Le Pen, tous deux fans de Jeanne d’Arc, n’ont ni l’un ni l’autre un rapport sain à la laïcité.

« Sur la laïcité, le FN n’a entamé

son virage républicain qu’en apparence...

et dans une visée électoraliste »

Le FN a réalisé un rapt de la laïcité, qui n’est pas dû à la fille, mais au père. Lors d’un discours prononcé au Bourget en novembre 2006, Jean-Marie Le Pen déclarait : « Ils ont cassé l’égalité républicaine. Ils ont cassé l’égalité par l’abandon de la laïcité, seul principe capable de maintenir le "vivre ensemble", malgré nos diversités ancestrales ou récentes, par la frontière bien marquée entre la sphère publique et la sphère privée... Laïcité abandonnée par clientélisme communautaire, cette sordide soumission aux lobbies et autres minorités qui a récemment donné une loi liberticide de plus. Laïcité abandonnée par la mise en avant permanente et arrogante d’origines ethniques souvent mythifiées, au détriment des valeurs communes. Ces valeurs communes unificatrices qui faisaient de la France un pays de diversité et de fraternité où le Breton, comme l’Auvergnat, l’Antillais comme le Savoyard étaient à la fois fiers de leur région ou contrée d’origine. »* Le parti du culte à Jeanne d’Arc en tant que combattante de la foi et de la royauté française, défend à présent ce qu’il méprisait naguère : il a entamé son virage ‘républicain’, en apparence et dans une visée électoraliste. C’est un détournement massif. Le FN est dans une laïcité à géométrie variable, douce avec les chrétiens, dure avec les autres religions du Livre et en particulier, l’islam.

* Vie publique, les discours dans l’actualité.

« L’extrême-droite n’est pas laïque,

elle est anti-islam et lie cette religion

à une ethnie envahissante »

Dans une interview donnée au magazine hebdomadaire Famille Chrétienne*, Marine Le Pen offre un exemple de cette laïcité à géométrie variable : « Je souhaite une laïcité renforcée, parce que je suis une pragmatique : aujourd’hui, la France est confrontée à la montée du fondamentalisme islamiste. Celui-ci se sert de l’argument de la liberté pour en réalité diffuser son idéologie. (...) Pour bloquer ce fondamentalisme islamiste, cela nécessite quelques sacrifices pour les autres religions, notamment pour nos compatriotes de confession juive, en renonçant au port de la kippa dans l’espace public. » Marine Le Pen et l’extrême-droite ne trouvent rien à redire aux revendications des catholiques intégristes. Ses préconisations sont en infraction avec les lois et les jurisprudences européennes et internationales qui posent comme principe la liberté de manifester ses croyances religieuses. On peut être contre le voilement mais aussi, pour prendre la formule Macronienne, « en même temps » être contre son interdiction totale par la loi, qui ne pourra de toute façon jamais être obtenue. Ce ‘renforcement’ concernerait aussi la communauté juive appelée à faire des efforts… de discrétion. À la question, dont la formulation est contestable, du journaliste « Le christianisme et l’islam doivent-ils être traités de manière identique au nom de la laïcité ? Pourquoi faire payer au christianisme les difficultés posées par l’islam ? », Marine Le Pen répond : « Pourquoi se créer des inquiétudes, alors que l’intégralité de l’inquiétude devrait être concentrée sur la montée en puissance du fondamentalisme islamiste, dont, il faut bien le dire, les chrétiens et les juifs peuvent être en particulier des victimes directes. » L’extrême-droite n’est pas laïque, elle est anti-islam et lie cette religion à une ethnie envahissante. La sémantique du FN a changé au sein du Rassemblement Bleu Marine, auteur d’un rapt des mots et des symboles de la République, alors même que la députée frontiste Marion Maréchal-Le Pen s’est dite appartenir à une génération « un peu saoulée par les valeurs de la République » et pour qui « la République ne prime pas sur la France »**. Cette conception de la laïcité portée par le FN n’a rien de républicain. La brutalité des promesses de Marine Le Pen ont peu à voir avec l’autorité dont ses électeurs l’investissent. Son interview valide les thèses indigénistes, qui seraient les grands gagnants de l’élection de Le Pen. Dans l’ouvrage Fatima moins bien notée que Marianne***, François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils affirment que « la laïcité est pour certains politiques devenue un instrument d’agression des minorités ». La laïcité est fustigée comme « conquérante », « extensive », c’est « une laïcité de conquête coloniale », et on repense au vocabulaire de safari employé par Macron : « chasse » et « traque »… La « neutralité laïque servant de paravent aux discriminations »****.

* Certains catholiques aiment se faire peur, article mis en ligne le 8 mars 2017.

** Article éponyme du Point, mis en ligne le 27 avril 2016.

*** Éditions de l’Aube, janvier 2016.

**** Pour une critique complète du livre : http://la-sociale.viabloga.com/news/fatima-moins-bien-notee-que-marianne-cette-nouvelle-sociologie-contre-la-science-et-contre-l-intelligence

« Emmanuel Macron a créé le cadre sémantique,

presque jurisprudentiel, permettant toutes

les revendications communautaristes »

Emmanuel Macron n’est pas plus exemplaire. On se rappelle  son interview par Jean-François Kahn sur la laïcité* qui avait suscité un émoi légitime. Ce n’est pas une maladresse, mais l’expression tranquille de sa pensée empreinte de libéralisme politique. Rappelons cette série d’actes : l’hommage qu’il a rendu à Jeanne d’Arc, son pèlerinage au Puy du Fou aux côtés du désormais frontiste de Villiers, ses rencontres avec des représentants religieux. Il déclarait : « Quand certains réclament des menus dans les écoles sans aucun accommodement et veulent que tous les enfants mangent du porc, ils pratiquent une laïcité revancharde dangereuse ». La laïcité deviendrait dangereuse parce qu’elle serait ‘revancharde’ à l’encontre de l’islam et des Arabes. Avec une alternative qu’il ose poser sans nuance et sans honnêteté : dans les écoles de notre pays, il y aurait soit des menus confessionnels, soit le porc serait obligatoire. Le site de son mouvement « En Marche », à la rubrique laïcité, il y a quelques mois, affichait le même vocabulaire agressif, parlant de « chasse au foulard dans les universités », de « traque dans les sorties scolaires » de « celles et ceux qui peuvent avoir des signes religieux ». Interrogé sur l’islam en France par Jean-François Kahn, Emmanuel Macron répond : « Et qu’on demande à des gens d’être des musulmans modérés ! Demanderait-on à des catholiques d’être modérés ? Non ! On demande à des gens de faire ce qu’ils veulent avec la religion pour eux-mêmes et d’être dans un rapport de respect absolu avec les règles de la République. (…) Dans le champ public, je ne leur demande qu’une seule chose : qu’ils respectent absolument les règles. Le rapport religieux renvoie à la transcendance et, dans ce rapport-là, je ne demande pas aux gens d’être modérés, ce n’est pas mon affaire. Dans sa conscience profonde, je pense qu’un catholique pratiquant peut considérer que les lois de la religion dépassent les lois de la République  ». Avec comme final cette envolée lyrique : « La République est ce lieu magique qui permet à des gens de vivre dans l’intensité de leur religion ». S’il devient légitime que les pratiquants considèrent que les « lois de la religion dépassent les lois de la République », c’est que la loi qui devrait s’appliquer à tous peut être subordonnée aux préceptes religieux d’une communauté et de ses leaders. Même si E. Macron précise qu’il s’agit des convictions personnelles des croyants, ceux-ci ne manqueront pas de vouloir mettre leurs actes en conformité avec leurs convictions profondes, et un candidat à l’élection présidentielle leur en aura donné quitus en validant la primauté des normes religieuses particulières, donc communautaristes, sur le Droit qui s’applique sur l’ensemble du territoire. Emmanuel Macron évoque avec une joie toute évangélique « l’intensité » de la pratique religieuse. C’est un élément de langage derrière lequel les extrémistes s’abritent quand on les renvoie à leurs pratiques rétrogrades : il ne s’agirait en fait que d’orthodoxie. Interrogé par Ali Baddou sur son refus de serrer la main des femmes**, le président-fondateur de l’ONG religieuse Baraka City s’était justifié en donnant l’exemple des juifs orthodoxes qui s’en abstenaient tout autant. Il se décrivait lui et sa pratique religieuse comme « orthodoxes ». On rejettera une pratique religieuse radicale, rétrograde, obscurantiste, mais si elle n’est qu’orthodoxe, nous ne nous y opposerons plus, notamment parce qu’une telle pratique se présente comme conforme au dogme, et que la critiquer reviendrait à s’en prendre au dogme. Les extrémistes, dont nous avalisons la stratégie en adoptant leurs éléments de langage, pourront maintenant dire qu’ils ne font que vivre « dans l’intensité » de leur foi. Emmanuel Macron a créé le cadre sémantique, presque jurisprudentiel, permettant toutes les revendications communautaristes. Il a même pris le contre-pied de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne*** qui a expliqué dans un renvoi préjudiciel qu’une entreprise était tout à fait dans son droit en interdisant dans son règlement intérieur le port du foulard dans certains cas, comme celui de la mise en contact avec les clients. Ce fut une grande victoire pour celles et ceux attachés à la laïcité et opposés à la banalisation du voilement comme pratique ordinaire de l’islam. Emmanuel Macron lui, a préféré évoquer ces femmes en foulard empêchées de travailler. Quant à l’UOIF, qu’il a encore prétendu ne pas connaître lors du débat face à Marine Le Pen, lui qui connaît tant de choses, on ne peut s’étonner de son refus de rejeter le soutien que cette organisation islamiste lui apporte, elle ne fait en effet que « vivre dans l’intensité de sa foi ». Cette formule se referme comme un piège et banalise toutes les radicalités.

* Mis en ligne le 1er octobre 2016.

** Ancienne émission dominicale de Canal +, en date du 24 Janvier 2016.

*** http://curia.europa.eu/…/applica…/pdf/2017-03/cp170030fr.pdf

« Aucun des deux candidats ne défend

une vision de la laïcité conforme à celle des

républicains dignes de ce nom »

Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont une vision de la laïcité opposée en apparence. Mais à la vision multiculturaliste et communautariste de Macron répond la vision identitaire de Marine Le Pen : c’est toujours une conception de la Nation atomisée en segments ethniques, loin de celle à laquelle sont attachés les républicains : un corps politique indivisible. Quel que soit le vainqueur, la laïcité sans adjectif est perdante, ceux qui y sont attachés n’avaient d’ailleurs  guère de représentant durant cette campagne. C’est une drôle de défaite...

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

Elle est auteure de l’essai à paraître (aux éd. du Cerf) :

"Féminisme, tolérance, racisme, culture : Le grand détournement".

 

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4 mai 2017

« La science-fiction, viatique pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) », par Jérôme Maucourant

Alors qu’au lendemain du débat qui a opposé les deux finalistes de l’élection présidentielle tout désormais nous donne à croire qu’Emmanuel Macron sera le prochain président de la République, je vous invite vivement à découvrir la contribution qui suit. Son auteur est Jérôme Maucourant, il est chercheur en sciences économiques et enseignant. Ce texte, né dune invitation que je lui ai soumise il y a une dizaine de jours, est exigeant mais riche et enrichissant. Ce regard porté sur le scrutin, sur les forces en présence, visibles et sous-jacentes, le tout utilement mis en perspective, est âpre et sans concession. À la fin, le message est clair, mais avec une infinité de nuance, parce que rien nest simple ou évident nen déplaise à ceux qui ont la leçon de morale - républicaine, forcément - facile : oui, il faut voter pour « Nicole Thibodeaux ». Mais pas un chèque en blanc. « Exigeons du Prince en cours d’élection qu’il donne un signal clair qu’il n’abusera pas du pouvoir. (...) Demandons-lui qu’il existe vraiment et qu’il ne soit pas cet androïde incarnant [cette froide abstraction quon a tous pris lhabitude dappeler] "le système" ». Merci à vous, Jérôme Maucourant, et merci à la fidèle Fatiha Boudjahlat pour sa précieuse intermédiation. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

The Simulacra

Illustration : http://www.flickriver.com

 

« La science-fiction, viatique

pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) »*

par Jérôme Maucourant, le 3 mai 2017

Une prophétie américaine

Philip K. Dick fut rendu célèbre, juste avant sa mort, grâce à une remarquable adaptation cinématographique de l’un de ses romans : Blade Runner. Il est également l’auteur de Simulacres (The Simulacra, 1964), autre œuvre de science-fiction d’une redoutable pertinence pour penser notre monde contemporain. Pas simplement parce qu’on y voit le dernier psychanalyste en exercice : notre monde n’est-il pas celui où la quête de soi a cédé le pas à la recherche de simples techniques efficaces d’influence sur soi comme sur autrui ? Dans ce monde sans âme existe un Président : un androïde, en réalité. La first Lady, Nicole Thibodeaux, exerce la réalité du pouvoir et ne connaît pas l’usure du temps car elle est remplacée par des actrices lorsque le vieillissement fait son œuvre. Plus encore, les partis républicain et démocrate ne font plus qu’un, et la puissance des firmes est telle qu’elles en viennent à contrôler la politique et à s’immiscer de façon suffocante dans l’intériorité de chacun. Et l’odeur du nazisme imprègne ce monde de bien des façons…

« Philip K. Dick avait en son temps parfaitement

saisi le système de simulacres propre au capitalisme

post-totalitaire de la consommation de masse »

Plus de cinquante années après son achèvement, ce texte touffu - mais fort riche - se révèle une anticipation de notre brûlante actualité : Dick avait parfaitement saisi le système de simulacres, économiques comme politiques, propre au capitalisme post-totalitaire de la consommation de masse. Les vies politiques, en France ou aux États-Unis, s’inscrivent dans un paradigme dont nous voyons, jour après jour, l’actualisation de toutes les virtualités. La vérité était chose rare dans l’univers de Simulacres : Trump n’a fait que célébrer, de la façon la plus grotesque qui soit, cette vérité de l’absence de vérité et cette autre vérité que tout est permis. Comme Monsieur Jourdain, Trump fait donc du Nietzsche sans le savoir**. Il nous dévoile un monde de faux semblants, et c’est bien pour cela qu’il attise le ressentiment d’un certaine bourgeoisie intellectuelle-libérale, tellement à l’aise dans ce monde, avide du monopole de la critique et, bien sûr, libérée de tout souci de la vérité depuis bien longtemps***

* Je remercie Nicolas Roche de m’avoir donné l’idée de ce texte qui justifie le bien-fondé de cette pétition « Pas de chèque en blanc pour Emmanuel Macron ».

** « Non, ceux-ci sont loin d’être des esprits libres, car ils croient encore à la vérité... Lorsque les Croisés se heurtèrent en Orient sur cet invincible ordre des Assassins, sur cet ordre des esprits libres par excellence, dont les affiliés de grades inférieurs vivaient dans une obéissance telle que jamais ordre monastique n’en connut de pareille, ils obtinrent ,je ne sais par quelle voie, quelques indications sur le fameux symbole, sur ce principe essentiel dont la connaissance était réservée aux dignitaires supérieurs, seuls dépositaires de cet ultime secret : "Rien n’est vrai, tout est permis"... ». Voir Frédéric Nietzsche, La Généalogie de la Morale, 1887.

*** Son slogan pourrait être celui-ci  : tout n’est que relatif. Sauf cet énoncé…

Hermann Goering voyage dans le temps

L’affaire Mehdi Meklat – du nom de celui qui a envoyé des dizaines de milliers de tweets antisémites et homophobes – illustre parfaitement cette tendance d’une certaine bourgeoise à admirer le lumpenprolétariat. Celui-ci ose, en effet, ouvertement, s’asseoir sur toute forme de règles morales. Tout ce que le Haut-Paris compte de ces très intellectuels jouisseurs transgressifs connaissait parfaitement l’identité de l’auteur à la une de ses magazines ; et d’ailleurs, même après que cela fut connu, France-Culture se bornait à dire que tout cela était fort « complexe »*... Comment cette fraction de l’intelligentsia peut-elle décemment en appeler à la lutte contre le fascisme par un vote Macron le 7 mai 2017, alors qu’elle ne cesse de chérir ce qu’elle désigne par « fascisme » par ailleurs ? D’ailleurs, ces intérêts établis de la sphère culturelle ont assurément oublié que c’est probablement la complexité de Jean-Marie Le Pen qui permet de comprendre son négationnisme ! Mais, deux poids, deux mesures : le père Le Pen n’est pas un « indigène de la République » … Que le lecteur n’oublie pas aussi que, dans un admirable rituel d’inversion, c’est une supposée « fachosphère » qui serait coupable d’une cabale visant Meklat, jeune prodige supposé et déjà publié par le Seuil… Qui ne voit que ce reniement de la morale la plus élémentaire, cette négation de la common decency chère à Orwell, peut nourrir un désir réactif d’ordre qui conduit à bien des dérives ?

« Macron personnifie une politique

post-moderne qui fait bon marché

systématiquement de la vérité » 

Or, notre très probable président, Emmanuel Macron, incarne-t-il une parole de vérité et de courage qui irait à l’encontre de ces tendances néfastes de notre temps ? Il semble que non et qu’il personnifie au contraire une politique post-moderne qui fait bon marché systématiquement de la vérité. Il ne s’agit plus d’user de la ruse, chose naturelle en politique, mais de dire tout et son contraire. Comme vouloir combattre le multiculturalisme et nier simultanément l’existence d’une culture française. Anti- et pro-communautaristes peuvent ainsi se réjouir. Plus encore, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, Macron se découvre, en premier lieu, curieusement, « patriote », thème jamais abordé jusque là. Comme ce mot est un fétiche de Marine le Pen, il se l’approprie sans vergogne pour mieux la qualifier de « nationaliste ». Mais, comment être patriote et nier la culture d’un peuple ? Expliquez cela aux Algériens et Irlandais : ils ne comprendront pas. Personne, à dire vrai, ayant quelque bonne foi en cette affaire ne peut comprendre les mots vides de Macron.

* Xavier de La Porte, « Mehdi Meklat : Internet est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes », La Vie numérique, le 21.02.2017 : « Oui, peut-être… Il y a sans doute chez Mehdi Meklat une complexité qui nous échappe, et lui échappe aussi. Mais voilà, qui d’autre que lui peut le savoir, à condition que lui-même le sache ? Une seule chose est certaine dans cette histoire : avec sa capacité de mémorisation, avec les possibilités qu’il offre de jouer avec les identités, avec ce qu’il permet de cette parole mi-privée mi-publique, avec le sentiment d’impunité qu’offre cette parole, Internet est un lieu compliqué. Mais c’est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes ». URL : https://www.franceculture.fr/emissions/la-vie-numerique/mehdi-meklat-internet-est-un-lieu-encore-plus-complique-pour-les-gens

Ne pas nommer l’ennemi ou la politique de la crainte

Il se découvre aussi, immédiatement après sa révélation patriotique, un grand penchant anti-terroriste. Fort bien. Mais c’est en 2012, avant que tant de grands crimes ne suivent, que Mohamed Merah a assassiné des enfants juifs parce juifs, premier crime de ce genre depuis 1945. Comment peut-on découvrir, ainsi, en une soirée électorale, un tel problème ? N’a-t-il pas déclaré ainsi : « Je ne vais pas inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit »* ? Pour un ancien ministre, candidat depuis quelque temps déjà, la découverte de cette réalité sociale et de l’échec de la politique conduite par le gouvernement auquel il a appartenu est, pour le moins, inquiétante.

Il est encore plus inquiétant de refuser de désigner l’ennemi, ses dispositifs mentaux et matériels, autant de devoirs essentiels du vrai politique. Or, épousant la lâcheté d’un certain libéralisme multiculturel, Macron refuse toute critique sérieuse de l’islamisme (ou islam politique) par peur de critiquer l’islam lui-même ; cette équivalence entre islam et islamisme est d’ailleurs l’inadmissible dogme fondateur de l’idéologie totalitaire des Frères Musulmans. Ne pas combattre ouvertement l’islamisme est une grave faute morale et politique, car l’existence même d’une telle matrice idéologique permet que s’installe chez certains esprits l’idée que le passage à l’acte terroriste est légitime. Alors que l’État social est une réalité en  France, que tant de migrants veulent la rejoindre, que nous sommes loin de la situation de l’Irak détruit par les Anglo-Britanniques ou d’Alep anéantie par les Russes, c’est la « société française » que Macron fustige ! L’Express a ainsi rapporté, rappelons-nous**, que, selon le possible président, « la société française doit assumer une "part de responsabilité" dans le "terreau" sur lequel le djihadisme a pu prospérer. Il a notamment évoqué une disparition de l’idéal républicain de mobilité sociale ». Les morts du Bataclan auraient-ils donc quelque part de responsabilité dans cet assassinat de masse qui les a frappés ?

« Qui ne voit les gages de politiquement correct

adressés par Macron aux ténors d’une bourgeoisie

communautaire émergente ? »

Qui ne voit les gages de politiquement correct adressés ici par Macron aux ténors d’une bourgeoisie communautaire émergente***, jalouse de son capital victimaire ? C’est pourquoi il est une d’indulgence étonnante comme en témoigne son attitude**** face aux comportements communautaristes présents dans son mouvement*****. Faut-il rappeler qu’il n’y a pas d’islamisme modéré ? La logique intellectuelle du CCIF – « frériste » - s’inspire de penseurs comme Sayyed Qotb dont on peut dire le dogme en quelques mots avec un célèbre penseur marxiste arabe : « L’islam, selon Qotb, et avec lui tous les fondamentalistes serait différent et spécifique parce qu’il ne sépare pas le domaine religieux (la croyance) de celui du social (l’organisation du pouvoir de la  famille, de la vie économique »******. Il n’existe pas quelque chose comme un totalitarisme « modéré » avec des expressions parfois « radicales ». Le totalitarisme religieux (islamisme à la Hassan al-Banna, Sayyed Qotb et Tariq Ramadan) ou racial (nazisme) est un totalitarisme. On ne peut transiger avec lui : on doit le combattre.

Sans doute, moins que les questions politiques, la question économique ne se prête pas à autant de manœuvres visant à divertir l’attention de l’électeur. Longtemps, on a reproché à Macron de ne pas avoir un programme : c’était là une injustice affreuse. Car, notre probable président a toujours fait de la soumission aux normes de l’Union européenne l’essentiel de ses préoccupations. Bien sûr, le mot de soumission - comme acceptation de l’hégémonie du capital allemand et imitation d’un modèle de domination pour les autres classes dominantes de l’Europe - n’est pas mis en avant. Il s’agit plutôt, comme on le fait depuis trente ans,  d’affirmer qu’il faut adapter les Français frileux et arriérés aux « grands vents » de la mondialisation et de « construire l’Europe » etc. Comme si les inégalités n’avaient pas explosé, comme si Trump et Poutine n’étaient pas aux commandes …

* Sur RTL, rapporté par France Télévisions, le 21/04/2017.

** Le 23 novembre 2015, selon L’Express, publié le 23/11/2015.

*** Dont une expression associative est le Collectif contre l'Islamophobie en France (CCIF).

**** A propos de la récente affaire Saou : « C’est un type bien. C’est un type très bien, Mohamed. Et c’est pour ça que je ne l’ai pas viré », dit-il selon l’échange diffusé sur le Facebook Live de la station de radio. Tout juste le candidat admet-il « un ou deux trucs un peu plus radicaux. C’est ça qui est compliqué. » Voir LeFigaro.fr, « Macron qualifie de "type bien" son ex-référent accusé d’accointances avec le CCIF », le 15/04/2017.

***** Ces dires rapportés par le Figaro sont fiables : il n’y a pas d’exagération relativement à la vidéo disponible. Quoi qu’on pense du Figaro par ailleurs... L’extrême-droite islamiste, incarnée par le CCIF et ses satellites, bénéficie encore ici de la « complexité » de la situation. Complexité alléguée dont ne bénéficie pas l’extrême droite traditionnelle ni ceux qui se refusent à signer un chèque en blanc à Macron  pour le second tour ne la présidentielle : ceux-là sont considérés comme moralement condamnables, comme Jean-Luc Mélenchon, et non pas comme politiquement discutables. Cette moralisation du débat public et ce « deux poids, deux mesures » systématique a quelque chose de proprement intolérable.

****** Samir Amin, La déconnexion – comment sortir du système mondial, Paris, La découverte, 1986.

L’arrivée de Thorstein Veblen

« La fonction de protection, propre

millénaire du pouvoir, doit-elle être

effacée de la discussion politique ? »

L’autre problème – étroitement lié aux précédents -, c’est-à-dire la « subordination de l’industrie à la finance », pour reprendre un mot du grand économiste et sociologue américain, Thorstein Veblen*, n’est jamais posé par Macron. Ses actes, lorsqu’il était ministre, laissent présager plutôt un dédain de l’économie matérielle**, alors qu’elle doit être la fin de la politique économique, la finance n’étant qu’un moyen. Tout se passe comme si il suffisait de faire en sorte que les marchés soient les plus souples possibles, qu’aucune entrave ne leur soit  opposée pour que chacun puisse goûter des dividendes de la liberté capitaliste. Pourtant, la crise de 2008 a eu lieu ! Doit-on également occulter les dégâts causés par une concurrence inique portant sur les règles (environnementales, fiscales, sociales), et non pas sur les seuls biens et services ? Comme si la fonction de protection*** – propre millénaire du pouvoir – devait être effacée de la discussion politique. Il est certes évident que les intérêts établis (de plus en plus héréditaires) de notre société ne veulent pas d’obstacle à leur démesure…

* Sur cet auteur : http://thorstein.veblen.free.fr.

** « Tant pis si ce grand ministre de l’Économie a vendu deux aéroports, notamment celui de Toulouse-Blagnac, stratégique puisque Airbus y a une partie de ses usines. Et tant pis s’il l’a bradé pour une rentrée d’argent rapide et facile, à un riche Chinois qui depuis est en fuite parce qu’il est poursuivi par la justice de son pays. Comment imaginer que pour faire rentrer de l’argent, il ne vendra pas les bijoux de famille, puisqu’il n’a qu’un attachement vague à la France, lui qui incarne la mondialisation et ce qu’elle porte de dilution des identités nationales. Non, il incarne la réussite. » Voir Fatiha Boudjahlat, « Macron, le rêve américain et la simulation du partage », le 24 avril 2017.

*** Voir du regretté Philippe Cohen, Protéger ou disparaître. Les élites face à la montée des insécurités, Gallimard, 1999.

Peut-on raisonnablement voter pour Macron ?

Dans de telles conditions, voter en faveur de Macron serait pure déraison, si n’existait, en face de lui, une candidate effectivement redoutable, Marine Le Pen. Non que le Front national soit fasciste* : c’est plus un avatar de cet inquiétant mouvement de fond des sociétés occidentales qui a permis à des Trump, Orban etc. d’accéder au pouvoir. Parler de façon inconsidérée du fascisme, comme certains parlent de génocide à tout propos (souvent les mêmes), ne fait que démobiliser les consciences et banalise des événements comme la Shoah. En vidant les mots de leur sens, on produit le contraire de ce qui est attendu. Le problème est plutôt que Marine Le Pen ne soit pas républicaine au sens de la tradition française du républicanisme. Celle-ci se fonde sur la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, ce qui interdit de mépriser autant l’un que l’autre. Et c’est pourquoi les transferts de souveraineté faisant éclater l’identité toute française entre citoyenneté et nationalité** vont contre l’esprit de notre république, c’est pourquoi la doctrine de la « préférence nationale » mutile son âme. Il n’est point besoin d’agiter l’épouvantail du fascisme.

Il ne s’agit nullement donc de nier la légitimité de l’organisation politique d’un peuple singulier sous la forme de la nation et le droit de ce peuple à organiser la venue d’autres hommes sur son territoire. Mais, dès que des hommes vivent ou travaillent dans le territoire de la République, ils bénéficient d’une égale dignité (qui n’existe pas nécessairement dans leur pays d’origine, d’où leur arrivée). C’est notamment vrai dans le cadre du travail : comment penser de façon républicaine que les droits sociaux attachés aux travailleurs puissent varier selon l’origine de ceux-ci, sinon à nier leur égale dignité ? On mesure l’extraordinaire responsabilité de ceux qui, détruisant le cadre de la souveraineté nationale, favorisent le recours à un parti qui prétend la défendre… On objectera que bien des « républiques » (en Turquie, en Iran etc.) font des discriminations selon l’origine et qu’un même mouvement s’enclenche en Europe. Disons que, d’un point de vue français, ce sont des États, et non des républiques, et que dans certains cas, ces États ont un régime économique et un système politique qui les rapprochent, effectivement, du vieux fascisme européen. Raison de plus pour les combattre ouvertement, notamment sous le drapeau de la laïcité, ce que ne fait pas Macron.

« Ce n’est pas tant le racisme que le sentiment

d’une confiscation de la démocratie

qui alimente le vote FN »

Comment alors s’assurer que le Pen ne soit pas élue ? Il suffit d’entendre la rue, qui ne veut redonner un blanc-seing à un président élu comme le fut Jacques Chirac en 2002, et donc de s’engager à former un gouvernement d’union nationale qui autorise, sur certains points, la consultation du peuple par voie référendaire. Notamment pour faire évoluer le système de représentation afin que ne se reproduise plus jamais une situation où, avec 17 % des inscrits au premier tour, l’on puisse aisément gouverner la Nation toute entière en empêchant tout débat de fond. Le fait de refuser, par avance, toute discussion sur ce point au nom d’un supposé danger fasciste, c’est exciter les citoyens à manifester leur colère en votant Le Pen en raison de ce sentiment de dépossession monstrueux qui ne peut que justement les saisir. Ce n’est donc pas par racisme que, fondamentalement, tant de citoyens se sentent autorisés à un tel vote mais parce que la démocratie leur est confisquée.

Macron peut accéder au pouvoir, les cosouverains doivent même lui donner ce mandat ; mais, il ne doit pas abuser de ce pouvoir. Malheureusement, il ne donne aucun signe de renoncer par avance à cet abus que lui permet cette situation extraordinaire. Tous ceux qui estiment normal de ne pas exiger de Macron quelque engagement de la nature de ceux que nous évoquons, qui nous pressent de se fier à sa seule personne comme le réclame le vénérable maire de Lyon, ne font que favoriser un vote de protestation. Jamais le libéralisme n’a justifié autant de distance par rapport à l’exigence démocratique : persévérer ainsi, c’est construire les fondements d’une apocalypse en 2022.

* On ne peut à tort et à travers qualifier de néofascistes ces nouvelles formes politiques. Le fascisme doit être pensé avec des matériaux historiques rigoureux, qu’on peut trouver par exemple dans les Essais de Karl Polanyi (Seuil, 2008 ; inspiré par ces thèses, voir Jérôme Maucourant, « Le nazisme comme fascisme radical », Augustin Giovannoni, Jacques Guilhaumou, Histoire et subjectivation, Kimé, pp.197-218, 2008). Un des facteurs essentiels du fascisme est la non-reconnaissance des élections démocratiques (qu’elles soient politiques ou syndicales) et la dictature économique des propriétaires des moyens de productions. C’est pourquoi le nazisme a impliqué une privatisation de la politique économique du Troisième Reich (comme l’a suggéré Nobert Frei dans L’État hitlérien et la société allemande - 1933-1945, Le Seuil, 1994). La planification nazie était l’expression même d’un pouvoir de classe. L’entreprise, à l’image de la “communauté nationale”, est dirigée par un “Führer” qui n’est rien d’autre que l’ancien patron. Or, le capitalisme ne veut plus, pour l’essentiel, perpétuer sa domination par ce genre de procédés qui impliquait les camps et la terreur au quotidien. L’actuelle mondialisation est bien plus efficace, à cet égard, outre qu’elle est porteuse de profits bien plus amples et aisés à obtenir que par un recentrage de l’économie sur un cadre national ou même continental. Nul hasard donc à ce que la colère contre le système socio-économique se nourrisse du mépris du verdict des urnes… Orban et (Marine) Le Pen ne n’inscrivent pas dans le sillage de Hitler, dont Polanyi nous rapporte ces propos : « la démocratie en politique et le communisme en économie sont fondés sur des principes analogues ». Beaux paradoxes de notre temps ! Enfin, le fascisme comme le nazisme, qui était un fascisme radical, se proposait de créer un homme nouveau. Karl Polanyi précisait ce point en commentant la signification d’une institution fasciste : les corporations. Elles brouillaient la distinction entre l’économique et la politique au seul profit de l’économie de la façon suivante : «  [Les corporations] se transforment en dépositaires de presque tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires qui relevaient auparavant de l’État politique. L’organisation effective de la vie sociale repose sur un fondement professionnel. La représentation est accordée à la fonction économique : elle devient alors technique et impersonnelle. Ni les idées ni les valeurs ni le nombre des êtres humains concernés ne trouvent d’expression dans ce cadre. Un tel ordre ne peut exister sur la base de la conscience humaine telle que nous la connaissons. La période de transition vers un autre type de conscience est nécessairement longue. Hitler parle en termes de générations pour donner une idée de sa durée. » (Essais de Karl Polanyi, op. cit., p. 394).

** Voir Claude Nicolet, Histoire, Nation, République, Paris, Odile Jacob, 2000.

Déjouer le jeu des simulacres politiques en dépit d’un nécessaire vote Macron

L’antisémitisme, qui s’est développé sur fond d’une mondialisation libérale, s’est infiltré comme jamais à gauche, comme le montre l’affaire Meklat. Le communautarisme – lié fondamentalement à cet antisémitisme - ne semble pas constituer un problème pour Macron. Comme l’illustre la belle métaphore des voyages dans le temps d’Hermann Goering à la rencontre de Nicole Thibodeaux, la question nazie, cette maladie de la modernité, demeure irrésolue. Dick avait aussi bien anticipé cette constitution d’un parti unique de la pensée unique : Macron se veut ainsi le chef du parti du « progrès », d’une gauche et d’une droite réunifiées sous sa férule. Le parti du « progrès » - dans sa terminologie - s’oppose aux conservateurs de tous ordres : peu lui importe que, parmi ses conservateurs, nombreux sont ceux qui veulent conserver la nature, une certaine idée de la société, de l’école, et que, pour eux, à la différence de Macron, le but est tout et le mouvement n’est rien.

« Oui, il faut voter pour Nicole Thibodeaux...

mais pas sans garantie ! »

Faut-il voter pour Nicole Thibodeaux, allégorie d’un pouvoir politique se vidant de sa substance aux profits de puissants intérêts privés ? Oui. Mais, de grâce, cessons de faire la leçon de morale à ceux qui craignent légitimement la possibilité d’un terrible abus de pouvoir. Exigeons du Prince en cours d’élection qu’il donne un signal clair qu’il n’abusera pas du pouvoir. Bref, demandons-lui qu’il existe vraiment et qu’il ne soit pas cet androïde incarnant le « système » ; selon ce terme si curieusement « populiste »* qu’il emploie, comme Marine Le Pen… En général, ceux qui ne posent pas cette question essentielle favorisent le contraire de ce qu’ils souhaitent. Mais certains, parmi eux, nous le savons, se réjouissent, en réalité, de cette aubaine qui permettra à l’Union européenne de continuer à défaire la République.

Il nous faut voter pour Nicole Thibodeaux : Dick, au secours !

* Selon l’AFP, 16/11/2016, « Emmanuel Macron a levé mercredi à Bobigny le faux suspense en annonçant sa candidature "irrévocable" à l’élection présidentielle, en opposition au "système", compliquant encore les projets de son parrain en politique, François Hollande ». URL : http://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-candidat-a-l-election-presidentielle-16-11-2016-2083431_20.php

 

Jérôme Maucourant

Jérôme Maucourant est chercheur associé

en sciences économiques (délégation CNRS au lab. HiSoMA).

 

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24 avril 2017

« Macron, le rêve américain et la simulation du partage », par Fatiha Boudjahlat

Emmanuel Macron, candidat porté par le mouvement En Marche !, totalement inconnu du public il y a trois ans, a réussi le tour de force de se positionner hier soir à la première place de l’élection présidentielle. Il sera opposé lors du second tour à la présidente du Front national Marine Le Pen, donc, de facto, au vu des forces en présence, de la « machine en marche », il sera le prochain président de la République - n’est-ce pas d’ailleurs un vainqueur sans partage qu’il nous a donné à observer aux dernières heures de ce dimanche ? Fatiha Boudjahlat, enseignante et militante au Mouvement républicain et citoyen (MRC), a choisi de consacrer à M. Macron l’espace de tribune libre que je lui ai proposé au lendemain de ce premier tour. Il y a onze jours, dans ces mêmes colonnes, elle prédisait un « retour à la IIIème République »... Je la remercie pour cette fidélité, une fois de plus. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

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Illustration : francetvinfo.fr

 

« Macron, le rêve américain

et la simulation du partage »

par Fatiha Boudjahlat, le 24 avril 2017

Une de mes élèves m’a expliqué que son père avait voté pour Macron parce que celui-ci avait présenté des mesures en faveur des ouvriers. Vraiment ? Cela m’avait échappé… Pourquoi ce vote en faveur de Macron  ? Outre les fans-de-l’idole, les européistes et les hyper angoissés du vote utile anti-FN du premier tour, Macron a aussi attiré le vote des couches populaires.

Cela me rappelle un documentaire dans lequel un journaliste interrogeait une femme noire d’un milieu très modeste qui avait voté pour Rudolph Giuliani, soit contre ses intérêts de classe. J’ai été très marquée par sa réponse : « Je voulais voter pour celui qui allait gagner ». Elle voulait être, elle la perdante de l’économie et de la société, du côté des vainqueurs, des puissants. Elle n’a pas voté pour un programme, mais pour l’homme en lui-même. Pas sa personnalité, non, le côté winner.

« Le vote Macron revient un peu à goûter

à sa réussite... par procuration »

N’est ce pas ce qui séduit aussi chez Macron ? Son côté chanceux, l’impression de baraka qu’il véhicule, sa ‘gagne’ ? Ceci ajouté au vide de sa personnalité et de son programme… permet à chacun d’y projeter ce qui l’arrange. Il est assez vide et assez magnifique pour que les perdants de la mondialisation lui accordent leurs suffrages, par lesquels ils goûteront un peu à cette réussite.

« Il n’a aucune colonne doctrinaire solide :

il est son propre programme »

Et tant pis s’il est entouré de félons ou de personnes mues par la rancune, comme l’ex-président de la Région Île-de-France, Huchon. Tant pis si ce dangereux rebelle n’a en fait accompli que la carrière des honneurs classiques: Sciences-Po, ENA… puis un petit tour dans la banque, qui est juste de la haute-fonction publique au service d’intérêts privés. Tant pis s’il ne cesse de se contredire, défendant ici la laïcité qu’il présente comme revancharde ailleurs, ou encore lorsqu’il évoque ces multitudes de cultures qui font la France tout en disant s’opposer au multiculturalisme et alors même qu’il n’y a pas de culture française. Tant pis si dans sa bouche la colonisation, présentée par lui comme bénéfique avant, devient un crime contre l’humanité après, pour rétrograder en « crime contre l’humain » dernièrement. On ne lui en tient pas rigueur. Il est magnifique, avec son fameux « en même temps », qui prouve qu’il n’a pas de colonne doctrinaire solide, il est son propre programme.

Tant pis si ce grand ministre de l’Économie a vendu deux aéroports, notamment celui de Toulouse-Blagnac, stratégique puisque Airbus y a une partie de ses usines. Et tant pis s’il l’a bradé pour une rentrée d’argent rapide et facile, à un riche Chinois qui depuis est en fuite parce qu’il est poursuivi par la justice de son pays. Comment imaginer que pour faire rentrer de l’argent, il ne vendra pas les bijoux de famille, puisqu’il n’a qu’un attachement vague à la France, lui qui incarne la mondialisation et ce qu’elle porte de dilution des identités nationales. Non, il incarne la réussite.

« Macron est un candidat américain : il use

des codes et méthodes des campagnes

américaines... sans les maîtriser vraiment »

Il est un candidat américain, il incarne le rêve américain et c’est une première en France. D’où cette mise en récit stupéfiante sur sa réussite républicaine qui lui a permis de devenir ministre et de s’enrichir avant. Ses méthodes, sa campagne furent américaines. Il a tenté d’en adopter le code linguistique avec le public address, sans en avoir les capacités vocales ou en maîtriser vraiment la forme : « La culture américaine penche en politique vers le pouvoir amical mais ferme du public address, l’art de s’exprimer en public - un président américain est une machine à faire des discours - combiné avec une version de debate, à savoir conversation, qui n’a rien à voir avec ce que nous appelons la conversation, qui est une technique de simulation du partage. »* Ne serait-ce pas la clef du succès électoral de Macron ? Cette « simulation du partage » de sa réussite ? De sa chance ? De son destin de presque petit poucet ?

* P.J Salazar, Paroles Armées. Lemieux éditeur, 2015.

« Et pourtant il faudra voter pour lui...

un choix contraint, qui n’éblouit que les naïfs

et ne séduit que les cyniques... »

Et pourtant, il faudra voter pour lui. Parce que l’alternative est pire. Parce que l’alternative n’appartient pas au repère orthonormé de tout républicain intègre. Mais c’est un choix contraint. Qui n’éblouit que les naïfs et ne séduit que les cyniques.

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

 

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24 avril 2017

« Les défis du prochain président français en matière de défense », par Guillaume Lasconjarias

Le premier tour de l’élection présidentielle s’est tenu hier ; tirer les enseignements du scrutin n’est pas l’objet du présent article, dont le corps a d’ailleurs été écrit quelques jours avant le vote, le 18 avril. Son auteur, que je remercie ici, est un fidèle de Paroles d’Actu, Guillaume Lasconjarias, chercheur au collège de Défense de l’OTAN. Il a accepté, à ma demande, de plancher sur un sujet à enjeu majeur pour le futur locataire de l’Élysée : les priorités et défis à venir en matière de défense. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche

 

Armée de l'air

Photo : O. Ravenel @ Armée de l’Air.

 

« Les défis du prochain président français

en matière de défense »

par Guillaume Lasconjarias, le 18 avril 2017

Celui ou celle qui entrera à l’Élysée le 7 mai prochain n’aura que peu de temps ou de latitude pour savourer sa victoire, tant son agenda diplomatique et sécuritaire requerra son attention. Après une campagne électorale où les questions de défense ont pris une place plus importante qu’à l’accoutumée, le nouvel élu se trouvera placé face à de lourdes responsabilités, dans un environnement stratégique volatile, complexe et en recomposition. Face à une administration américaine difficile à cerner, dans une Europe qui se cherche après le Brexit, avec un Moyen-Orient toujours rongé par la crise syrienne, et le suspens d’une Corée du Nord jouant avec le feu nucléaire, les incertitudes pèsent sur la place et le rôle que souhaite jouer la France.

Bien évidemment, les défis de l’heure nécessitent de jongler entre de multiples priorités, et quitte à faire des choix, il s’agit peut-être de souligner ceux qui permettront à la France de tenir sa place et de garder sa voix dans le concert des nations. Pour cela, cinq priorités doivent être considérées.

L’épineuse question du budget de défense.

Tous les principaux candidats se sont entendus sur une nécessaire hausse de la part du PIB consacré à la défense, pour atteindre – selon un horizon plus ou moins long – le chiffre de 2% (hors pensions, suivant les normes que retient l’OTAN). Pour la France, qui est actuellement à 1,79%, cela signifierait une hausse régulière pendant la durée de toute la prochaine législature. Si l’année 2016 a marqué un coup d’arrêt à l’érosion continue du budget de la défense avec, pour la première fois depuis 35 ans, un rebond (et près de 650 millions d’euros injectés), politiques et militaires s’accordent sur le besoin de poursuivre en ce sens. Encore s’agira-t-il de savoir à quoi consacrer ce budget : maintien et remplacement d’équipements dont certains sont à bout de souffle, acquisition de nouvelles capacités, modernisation de la dissuasion nucléaire ? Tout est urgent.

Le renouvellement de la dissuasion nucléaire.

Là encore, peu de divergences entre les candidats, qui jugent que la dissuasion nucléaire est la clé de voûte de la défense française. Donc, et à l’exception de Mélenchon, tous gardent les capacités duales (aéroportée et sous-marine), mais ils devront songer à leur modernisation. Pesant actuellement autour de 10% du budget total de la défense, le coût devrait progresser pour doubler dans les dix prochaines années, passant de 3,5 à près de 6 milliards par an. Les nombreux chantiers d’études – de la nouvelle génération de sous-marins lanceurs d’engins aux missiles – ne manquent pas ; ils forceront à des choix critiques : soit le renoncement à l’une des deux capacités, soit une cannibalisation accrue sur les forces conventionnelles, soit – et c’est le plus souhaitable – une augmentation réelle du budget de la défense. 

La lutte contre le terrorisme.

« Comment garantir la sécurité

des citoyens sans obérer les capacités

opérationnelles des armées ? »

Depuis le Livre blanc de 2008 qui a intégré la notion de continuum sécurité-défense, les armées se sont affirmées dans la lutte contre le terrorisme, autant par le biais d’interventions extérieures (en Afghanistan puis au Mali) que dans des opérations intérieures. Mais le choix de déployer plus de 10 000 soldats en permanence après les attentats de 2015 dans le cadre de l’opération Sentinelle pose de vraies questions sur la séparation des rôles entre forces de l’ordre et forces militaires, comme sur l’efficacité d’un tel dispositif. Comment garantir la sécurité des citoyens sans obérer les capacités opérationnelles des armées ? Les réflexions sur l’essor de la réserve militaire et la création d’une garde nationale semble une piste, comme sur une meilleure répartition des tâches entre les armées (dont la gendarmerie) et la police.

Accroître les cyber-capacités.

Après une campagne présidentielle américaine où l’on a accusé la Russie de manipuler les votes, le risque de cyber attaques ou pour le moins de cyber influence sur les élections semble suffisamment sérieux pour que les autorités françaises aient pris des mesures actives. La France s’est déjà dotée de moyens – avec l’Agence nationale de la Sécurité des Systèmes d’information (ANSSI) et la création en janvier dernier d’un « cyber commandement » –, mais il faut encourager cette priorité nationale. Cela passe notamment par un renforcement des capacités technologiques comme techniques, une politique de ressources humaines ambitieuse (en lien avec les entreprises privées et les écoles pour favoriser le recrutement) et une réflexion doctrinale pour adapter notre outil de défense en allant pourquoi pas vers une quatrième armée.

Europe de la défense ou volet européen de l’OTAN.

La France doit-elle revoir ce qu’elle attend de sa participation à des alliances de défense ? Qu’il s’agisse de sa réintégration pleine et entière à l’OTAN en 2009 ou de ce qu’elle espère de ses voisins européens, les dernières années n’ont pas permis de définir les attentes de Paris. Le BREXIT offre peut-être l’occasion d’une coopération renforcée avec l’Allemagne mais aussi avec l’Italie et l’Espagne, à condition que l’Union européenne accepte de passer à la vitesse supérieure. D’un autre côté, les effets de chaud et froid soufflés par l’administration Trump incitent les membres européens de l’OTAN à dépenser plus et mieux pour ne plus se satisfaire d’une position de « passager clandestin ». Dans tous les cas, Paris devra être au centre du jeu pour convaincre ses partenaires que la puissance militaire française sert les intérêts de ses alliances en même temps que les siens propres.

« Plus que des choix, les options du prochain

Président seront surtout des arbitrages... »

Entre grandeur militaire à retrouver, stratégie sur le long terme à définir et budget à consolider et préserver, le 8e président de la Ve République devra accepter que ses choix, quels qu’ils soient, seront avant tout des arbitrages.

 

Guillaume Lasconjarias 2017

Normalien agrégé, Guillaume Lasconjarias est chercheur au collège de Défense de l’OTAN.

 

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16 avril 2017

« Mélenchon, une candidature intéressante... », par François Delpla

François Delpla, historien spécialiste du nazisme et d’Adolf Hitler (il a consacré à ces deux thématiques évidemment étroitement liées de nombreux ouvrages), m’a fait l’honneur de m’accorder de son temps et de son attention à deux reprises pour des articles riches et qui m’ont beaucoup apporté, en mai et en octobre 2016. Analyste passionné des faits du passé, il est aussi un citoyen actif, bien ancré dans son époque. C’est tout naturellement que j’ai souhaité lui offrir une tribune, libre et sans cadrage pré-établi, sur la présidentielle dont le premier tour se jouera dans une semaine tout juste. Son texte, peaufiné entre le 14 et le 16 avril, m’est parvenu rapidement. Clairement, il est engagé, mais c’est un engagement argumenté, forcément intéressant donc. Merci à lui. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche

 

Un regard sur la présidentielle: François Delpla

« Mélenchon, une candidature intéressante... »

Jean-Luc Mélenchon

Source de l’illustration : AFP.

 

Une issue à nos impasses ?

J’ai trouvé depuis le début la candidature de Jean-Luc Mélenchon intéressante. Il semble que je sois rejoint par un nombre croissant de citoyens !

« L’approche de Mélenchon sur l’Europe me paraît

plus efficace que celle portée par le Front national »

Je partage l’idée que les deux quinquennats précédents ont été catastrophiques. Or tous les autres candidats (pour me limiter à ceux qu’on dit "principaux") promettent d’en reproduire et d’en amplifier les défauts. Ils avaient d’ailleurs tous deux débuté sous le signe d’une "rupture" qui n’est pas venue.
Elle ne saurait venir que d’un changement profond des rapports avec Bruxelles, qu’il résulte soit d’un "Frexit", soit d’une tentative enfin réussie d’amener à la raison le gouvernement allemand. Le programme de Mélenchon, consistant à menacer d’un Frexit en essayant d’entraîner dans une révolte les pays d’Europe du sud, me paraît plus clair et plus efficace que celui du Front national.

Cependant, mon lecteur en cet espace est probablement intéressé, plus que par mes opinions citoyennes, par le jugement du spécialiste français d’Adolf Hitler sur les correspondances entre la situation actuelle et celle des années trente.

Cette dernière me semble avoir été dominée par une personnalité dont l’équivalent est aujourd’hui introuvable. Abstraction faite de la personnalité de son fondateur et metteur en oeuvre, je dis depuis longtemps que le nazisme n’est pas reproductible parce que Hitler était à la tête d’une très grande puissance dont seuls les États-Unis offrent aujourd’hui un équivalent, et parce qu’un Hitler américain est inconcevable car il ne pourrait jouer ni d’une défaite, ni d’une apparente infériorité. Ce n’est pas l’élection de Trump qui est de nature à me faire changer d’avis : tout le monde l’attend au tournant et il ne songe guère à maintenir le masque de pacifisme dont il s’est certes, par moments, affublé pendant sa campagne.

Depuis quelques jours un tir de barrage se déchaîne contre Mélenchon (dont la politique intérieure est globalement passée sous silence, au profit d’une politique extérieure fantasmée à partir de quatre noms : Castro, Chavez, Assad et Poutine), de la part non seulement de ses rivaux mais de l’immense majorité des médias (ceci expliquant cela). C’est en quelque sorte rassurant pour moi qui avais émis sur Médiapart, dès le 18 février, la crainte de son élimination physique et mis les points sur les i le 3 mars en évoquant l’assassinat de Jaurès. En effet, si la situation me fait penser à un avant-guerre, c’est plutôt à celui des années dix que des années trente.

« Il est triste de voir qu’il est seul parmi les candidats

à prendre fait et cause contre les conflits en cours »

Il est triste de voir un seul candidat prendre fait et cause contre les conflits en cours, sonner l’alarme devant le danger d’en voir éclore de plus graves et prôner une ferme action française pour donner à l’ONU les moyens de les juguler. Il est plus triste encore de voir monter contre lui des vagues de haine analogues à celle qui stigmatisait "Herr Jaurès" et avait armé le bras de Raoul Villain contre le "traître" qui avait contesté, en 1913, la prolongation du service militaire de deux à trois ans.

En se laissant glisser dans la guerre en 1914, la planète a perdu un siècle. A-t-elle le droit et le temps d’en perdre un autre ?

 

Halte aux falsifications !

« L’élection de Mélenchon serait le prélude

d’une adhésion de la France à un empire

du Mal ? Soyons sérieux... »

Puisse le nom de Patrick Cohen passer bientôt en proverbe ! Le brillant présentateur de la matinale de France Inter vient de déshonorer sa profession tout en la poussant au vice. Sur un plateau de télévision, lundi 10 avril, il a isolé dans les 127 pages du programme de la France insoumise une ligne, elle-même prélevée sur les 37 de l’article 62 (sur la politique extérieure) en laissant croire qu’il s’agissait de l’intégralité de ce point. Il est question de l’Alliance bolivarienne (ou Alba) à laquelle la France, dit le programme, doit adhérer. Cohen et, après lui, Aphatie (sur RTL) puis Joffrin (dans un édito de Libération) affectent de croire que ce serait en rapport avec la sortie, préconisée par ailleurs, de l’OTAN et qu’il s’agirait d’un bloc militaire intégrant la Russie, l’Iran et la Syrie de Bachar el-Assad. Or il s’agit d’une simple union économique latino-américaine dont la France, en raison de son implantation en Guyane, est déjà partenaire. Le symptôme est un peu léger pour faire apparaître l’élection de Mélenchon à l’Élysée comme le prélude d’une adhésion immédiate de la France à un empire du Mal. Il n’empêche que le gros des médias (à d’honorables exceptions près que détaille Olivier Tonneau) s’est engouffré derrière le Panurge de France-Inter. À l’heure qu’il est ils doivent bien être quarante. Pourquoi l’affaire ne passerait-elle pas à la postérité sous le label BOLIBOBARD et les quarante faussaires ?

 

Il serait temps de lire les programmes...

Un aveu tardif d’Alain Bergounioux (Teleos, le 15 avril) : « Jean-Luc Mélenchon n’est donc pas là par un concours de circonstances. Il est temps de considérer avec sérieux ce qu’il propose et ce qu’il représente. Cette préoccupation est un peu trop tardive. Car les cartes sont sur la table depuis longtemps. Le programme de la "France insoumise", L’avenir en commun, est disponible depuis la fin de l’année 2016. Les essais théorisant son positionnement, L’Ère du Peuple, Le Hareng de Bismark, Qu’ils s’en aillent tous, etc. depuis plus longtemps. »

« Longtemps, on a considéré les positions portées

par Mélenchon avec un souverain mépris... »

Historien et militant du Parti socialiste français, Bergounioux ne va pas jusqu’au bout de son aveu : si lui-même et ses pairs ont tant tardé à se pencher sur les positions de la France insoumise, c’est qu’ils les considéraient avec un souverain mépris, à l’abri du cordon sanitaire des grands médias, lesquels parlaient du candidat le moins possible et toujours en mauvaise part. Ah certes, on en savait un rayon sur son ego surdimensionné, sa volonté d’isolement et son indifférence à la victoire présidentielle, tout occupé qu’il était d’achever le parti socialiste ! On en avait entendu parler de son chavisme, de son castrisme et de son poutinisme, sans la moindre considération pour les incompatibilités de ces étiquettes ! Voilà-t-il pas qu’il a des idées et des auditeurs qui les partagent ? Quel tricheur, décidément !

Pour le reste, Bergounioux et bien d’autres publicistes roulant pour les rivaux de Mélenchon limitent leurs analyses historiques à l’échec des régimes de type soviétique sans omettre, passé de JLM oblige, le coup de griffe rituel à Trotsky. On cherchera vainement sous ces plumes une analyse pourtant évidente : dans bien des pays et notamment en France, depuis de nombreuses décennnies, l’idée du "vote utile" a polarisé les forces de progrès au profit des partis sociaux-démocrates. Lesquels traversent une crise profonde, en raison principalement de l’acuité croissante des problèmes et de leur manque total d’imagination pour y faire face. En France cependant le président Hollande a battu dans ce domaine tous les records. Élu sur un programme nettement axé à gauche après un quinquennat de droite peu concluant, il a trahi méthodiquement ses promesses et semblé calquer consciencieusement sa politique sur celle de son prédécesseur Sarkozy : alignement sur les forces les plus réactionnaires de l’UE et de l’OTAN, répression des syndicats et des manifestations, cadeaux financiers et législatifs au patronat, chef d’État campé le plus souvent possible en chef de guerre, discours et attitudes xénophobes, mépris de la démocratie en installant à Matignon le candidat ayant fait le score le plus faible à la primaire, échecs législatifs sur la nationalité ou les vêtements de plage pour entorses flagrantes aux droits élementaires, etc.

« Une victoire de Macron risquerait de rendre

inéluctable le triomphe de l’extrême droite

la fois d’après... »

Cette situation crée une opportunité sans précédent. Face à une droite moins imaginative que jamais et empêtrée dans des scandales, l’offre socialiste se divise entre un Macron plus du tout de gauche et un Hamon qui n’ose pas l’être tout à fait, tandis que l’exaspération des victimes sociales des deux exercices précédents favorise une montée de l’extrême droite devant laquelle se pose plus que jamais la question du vote utile. Mais, cette fois, c’est le candidat le plus à gauche qui apparaît d’ores et déjà, et risque d’apparaître de plus en plus au fil des jours qui viennent, comme le choix le plus utile. Dans un second tour contre Marine Le Pen, les chances d’un bourgeois immature et méprisant comme Macron, responsable d’une bonne partie des carences du quinquennat, ne sont pas plus éclatantes que celles d’un tribun au mieux de sa forme ayant l’oreille de larges masses, et surtout une victoire de Macron, gage d’un alignement inchangé sur l’Allemagne et les États-Unis, donc d’une austérité renforcée et d’une insolence patronale débridée, risquerait de rendre inéluctable le triomphe de l’extrême droite la fois d’après.

Qu’on le veuille ou non, le vote Mélenchon semble d’utilité publique à un nombre croissant d’électeurs. Et, si le candidat conserve sa sérénité, la haine qui se déploie un peu plus tous les jours va encore, par un effet de contraste, gonfler ses voiles.

 

François Delpla

Crédit photo : Paolo Verzone

 

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16 avril 2017

« Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique des obscurantistes », par Dimitri Casali

L’oeuvre de Dimitri Casali, historien, essayiste auteur de nombreux publications traitant de l’histoire de France, est tout entière empreinte de l’idée suivante : il faut s’attacher à transmettre un récit dont le peuple puisse être fier, il en va de la cohésion nationale, elle-même fonction du respect que devraient inspirer le pays et son passé, de la foi que ce passé devrait insuffler dans l’avenir. Cette position, celle des tenants de ce que l’on appelle le « récit national », est controversée, parce qu’on la soupçonne régulièrement de trop mettre l’accent sur la lumière, d’occulter le moins glorieux - quand tant d’autres se complaisent à dessein dans le travers opposé. Nous ne trancherons pas ici ce débat. Mais, sept mois après sa première tribune dans Paroles d’Actu, j’ai souhaité à l’occasion de l’élection présidentielle approchant lui offrir un espace de tribune libre ayant rapport au scrutin. Sa production, qui coïncide avec la sortie récente de son dernier ouvrage en date (La longue montée de l’ignorance, éd. First), "tape" plus large et plus profond que la présidentielle : « Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique des obscurantistes ». La culture et ses lignes de front... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche

 

La longue montée de l'ignorance

La longue montée de l’ignorance, éd. First

 

« Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique

des obscurantistes »

par Dimitri Casali, le 15 avril 2017

Un nouveau plafond de verre est en train de voir le jour. Il concerne tous ceux qui veulent déconstruire notre héritage. Faire table rase de nos racines historiques, voilà bien un projet totalitaire. L’ignorance a toujours été un outil des dictateurs pour asservir les peuples. Mais si les tenants de la table rase sont omniprésents dans les médias ils se font ravageurs sur le Net et en particulier sur Wikipédia. C’est à un vrai plafond que va se heurter la nouvelle génération : celui du réel, car dans les classements internationaux notre école et nos universités n’en finissent pas de chuter. Comment ne pas s’en inquiéter ? Car la culture est aussi ce qui redonne de la force et de l’espoir, ce qui permet de se sentir rattaché à son pays. Là où le « vivre ensemble » ne propose pour relier les individus que le vide de la théorie, la culture générale rassemble les individus, car elle leur permet de se sentir reliés les uns aux autres à travers une histoire commune. Que l’histoire de France ait été faite par tant de nouveaux arrivants qui vouaient un culte à la culture, la littérature, l’histoire françaises n’est pas un hasard.

Grâce à la science, l’homme a cru en la certitude que la connaissance le sortirait des ténèbres. Or, malgré les découvertes scientifiques majeures, l’obscurité est plus que jamais présente à ses côtés. Aujourd’hui, il y a une peur viscérale de la régression, du déclassement, de la déchéance même. La croyance fondamentale dans le progrès, ou même dans le retour des cycles crise/développement, ne fonctionne plus et cela nous oriente vers des solutions radicales. Les actes terroristes au nom des religions en sont l’expression la plus violente. On peut se rendre compte de la montée de l’ignorance et du déclin intellectuel et moral qu’elle entraîne de multiples façons : en regardant la télé, en écoutant la radio, en surfant sur Internet, d’où suintent de partout l’idéologie du relativisme où tout se vaut, le laisser-aller, l’abandon, le reniement, l’habitude de se vautrer dans la détestation de tout ce qui est beau et grand. Nous descendons toujours plus bas dans la déchéance médiatico-politique.

« Pourquoi voit-on si peu de savants

à la télévision ? »

La médiocrité des débats politiques télévisés et des propos politiques ou culturels en est la preuve. Cette plongée dans le néant d’idées, dans l’ivresse narcissique, dans la violence sectaire, dans le culte de l’anecdotique n’est rien d’autre que le reflet du vide absolu de nos dirigeants actuels. Et l’on pourrait se demander pourquoi nous voyons si peu de savants à la télévision. On en voyait dans les grandes émissions comme « Apostrophes », « Bouillon de culture », « Le Grand Échiquier » pour ne citer qu’elles. Les vrais savants sont ceux qui connaissent les limites de leur savoir, c’est-à-dire l’infini de leur ignorance… d’où sans doute une grande modestie et une aversion pour les projecteurs.

Tout cela est d’une infinie gravité, car cela reflète l’abêtissement de notre société, conséquence d’un long déclin de l’intelligence, de l’ouverture d’esprit, de l’esprit critique. L’éducation et la culture à travers les médias devraient être le grand dessein du futur, le but ultime, le vrai miracle qui pourrait avoir, avec un énorme investissement financier, un réel effet. Elles seraient les seuls antidotes à la prise en main par des intégristes religieux ou médiatiques transmettant leurs transes à des foules assommées par la misère et abruties par l’ignorance. Lorsque le journaliste Jean-Michel Apathie déclare que son rêve est de « raser le château de Versailles », on reste dans la même logique, une logique négationniste qui vise à détruire tout ce qui nous a précédés, à détruire nos racines. Le 9 novembre 2016 sur la chaîne de télévision Public Sénat, invité de l’émission « On va plus loin », il explique doctement : « L’esprit politique français est fabriqué par le souvenir de Louis XIV, de Napoléon et du général de Gaulle, quand on fait de la politique en France, madame, c’est pour renverser le monde, moi si un jour je suis élu président de la République, savez-vous quelle est la première mesure que je prendrai ? Je raserai le château de Versailles […]. Ce serait ma mesure numéro un, pour que nous n’allions pas là-bas en pèlerinage cultiver la grandeur de la France. » Voici un bel exemple de crétinisation, d’ignorance contre laquelle il nous faut nous mobiliser, surtout quand il est fourni par un journaliste qui intervient dans les chaînes et radios publiques. Rien n’exige que l’entrée dans l’ère postmoderne se fasse par la trahison des héritages les plus nobles et des idéaux les plus élevés.

« Faire ses devoirs ne consiste plus à chercher

dans des livres mais à taper des mots-clés »

Pourtant en ce début de XXIe siècle, jamais nous n’avons été aussi connectés, avec une quantité d’informations qui semble illimitée. La connaissance semble partout, à portée de clic. Ainsi, Internet a changé la scolarité des élèves. De nos jours, faire ses devoirs ne consiste pas à chercher dans des livres des informations pour pouvoir répondre à des questions, mais à taper des mots-clés dans des moteurs de recherche. Autant dire que cette méthode ne favorise ni la réflexion personnelle ni la mémoire. Sans compter que les "sources" consultées par les élèves ne sont pas nécessairement fiables, y compris l’incontournable encyclopédie en ligne Wikipédia.

Wikipédia offre un parfait exemple de la façon dont Internet organise la connaissance du point de vue problématique de la popularité. Si la population est constituée, comme le disait Stuart Mills et avant lui Platon, d’une majorité de sots et d’une minorité de sages, la notion même de savoir collectif n’est pas sans poser un problème. De fait, Internet a ouvert la voie à la culture de l’amateur, si omniprésente que par contrecoup, l’expertise et le savoir perdent du terrain. Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer des Simpsons, contre un peu moins de la moitié au Homère de l’Odyssée...

« Sur les réseaux sociaux, une sorte d’état de nature

proche de celui que décrivait Hobbes »

Force est de constater que quinze ans après son lancement, l’encyclopédie en ligne est omniprésente. Google et Wikipédia sont étroitement liés puisqu’en règle générale le moteur de recherche renvoie en premier résultat à l’article de l’encyclopédie en ligne. Or, Wikipédia est par définition bourrée de demi-vérités et d’erreurs. Selon les mécanismes de la e-réputation, l’internaute prend d’autant plus de poids qu’il partage, discute, écrit et commente beaucoup. Que ce soit sur Wikipédia, parmi ses followers actuels et potentiels, sur Twitter ou au sein de son réseau d’"amis" sur Facebook, le plus actif est systématiquement plus respecté, plus écouté. Il en résulte une sorte d’état de nature proche de celui décrit par le philosophe Hobbes, où les plus bavards imposent leur loi et où des sujets futiles qui passionnent les internautes l’emportent sur des sujets ardus. Ainsi Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer des Simpsons, contre un peu moins de la moitié au Homère de l’Odyssée... L’article consacré à Star Wars est plus long que celui sur la guerre en Irak et celui consacré au général français Gallieni – accusé notamment d’avoir été un massacreur à Madagascar (avec des chiffres à l’appui totalement faux), est un monceau de désinformations... Enfin la notice de l’homme politique André Tardieu, trois fois président du Conseil dans la période 1929-1932 le décrit comme un affairiste crypto-fasciste...

« Sur l’histoire et la politique, Wikipedia est un lieu

où se jouent des guerres idéologiques »

Ce qui est problématique, c’est que de plus en plus de journalistes se contentent de recopier par paresse les informations qu’ils trouvent sur Wikipédia, sans vérifier les sources. En réalité, les domaines où Wikipédia compte très peu d’erreurs sont les domaines scientifiques pointus, où les intervenants sont en grande majorité des spécialistes. Les autres domaines, comme l’histoire ou la politique, sont souvent l’objet de guerres idéologiques. Les contre-vérités se glissent d’autant plus facilement que l’anonymat du web permet de faire intervenir un ou des contributeurs à sa place. Mais la principale plaie de l’encyclopédie en ligne sont les affabulateurs, ceux qui s’amusent à insérer des erreurs. Rappelons que Wikipédia est contrôlée par des "patrouilleurs" bénévoles volontaires qui peuvent être n’importe qui, spécialiste ou non. Ils ne peuvent donc évidemment pas tout vérifier et n’ont pas la science infuse. Quant à la "neutralité" de Wikipédia, elle est jour après jour totalement remise en cause. Ainsi, il y a deux mois j’en ai même fait la triste expérience avec des attaques particulièrement odieuses et diffamatoires puisque sur ma notice Wikipédia il était carrément écrit  : « Dimitri Casali  ennemi de la démocratie… ». J’ai dû remuer ciel et terre pour faire supprimer cette ignominie. Cette encyclopédie en ligne à laquelle tout le monde a accès et peut raconter n’importe quoi devient un véritable péril. C’est devenu une sorte de Big Brother. Bientôt, les gens vont s’auto-censurer pour éviter de se retrouver dans ma situation où mes détracteurs viennent impunément contrefaire la vérité à mon sujet...

« Nos ancêtres, c’est nous dans le passé,

nos descendants nous dans l’avenir...

il convient de ne pas l’oublier »

Malgré cela nous devons continuer à nous battre pour nos valeurs et repères. Notre pays ne pourra résister longtemps aux assauts quotidiens des médias, des contempteurs de la pensée unique, des 80% des journalistes ignares et du gauchisme culturel tout puissant. Ce maelström communicationnel entretient la montée du multiculturalisme, du communautarisme et d’un altermondialisme désintégrant notre identité culturelle qui nous rappelait le génie de la civilisation française. Je vais vous avouer ma grande faute que l’on me reproche chaque jour : c’est d’avoir voulu rester fidèle à la mémoire de nos pères et à notre "Grande Nation", comme on l’appelait au XIXème siècle, qu’ils avaient su bâtir. Car nos ancêtres, c’est nous dans le passé, nos descendants, c’est nous dans l’avenir... Je fais donc le vœu que des plus jeunes m’entendent et prennent enfin le relais.

 

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13 avril 2017

« Le retour de la IIIe République », par Fatiha Boudjahlat

Il y a trois mois, Fatiha Boudjahlat, enseignante et militante active au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC), acceptait mon offre de tribune libre autour de la thématique suivante : « L’identité nationale, c’est la République ? ». Son texte, intitulé « L'identité républicaine, la plus universelle des singularités », riche et sans concession aucune, mérite certainement d’être lu ou relu en cette période trouble - et pas simplement parce qu’on est à dix jours du début de l’élection présidentielle. C’est de ce scrutin, précisément, qu’il est question pour cette nouvelle contribution inédite qu’elle nous livre - sa dernière tribune en tant que secrétaire nationale du MRC : « Le retour de la IIIe République ». Tout un programme... Merci à vous, Fatiha, pour cette nouvelle marque de confiance. Une exclu Paroles dActu. Par Nicolas Roche

 

« Le retour de la IIIème République »

par Fatiha Boudjahlat, le 12 avril 2017

Les experts insistent tous, l’expérience de leurs séries d’échecs y incitant, sur la volatilité des électeurs repartis en 4 quarts, ainsi que sur le nombre d’électeurs indécis. C’est une campagne inédite.

D’abord parce que le vainqueur l’aura remporté sans parti, en dépit, voire contre son parti. La grande majorité des cadres LR avait tourné le dos à Fillon, qui a alors rebondi en s’appuyant sur des groupuscules comme Sens Commun. Mais lui avait la main sur la caisse et sur le parti. Prudence élémentaire que n’a pas eue Hamon, que les cadres du PS ont voulu à plusieurs reprises débrancher. Mélenchon gagne en dehors du PCF et du PG, son parti pourtant, il a bâti sa structure La France insoumise, tout comme Emmanuel Macron avec En Marche. Deux candidats, LR et PS, menant campagne contre leurs partis, deux candidats ne jouant pas la carte du parti. Une dernière ayant elle aussi créé une structure ah doc, le Rassemblement Bleu Marine, avec un logo bien différent de celui du Front national qui reste à la manoeuvre mais qui n’est pas sur le devant de la scène.

Ensuite par le rôle des primaires dans l’essorage des deux candidats naturels de la gauche et de la droite. Remporter les primaires nécessite de mobiliser un électorat qui s’avère le plus extrémiste. L’enjeu consiste après à rassembler, ce qui passe alors pour une trahison de ces premiers électeurs. Ni Fillon, ni Hamon n’ont voulu faire ce choix. Mais tant qu’ils semblaient être en passe de l’emporter, les autres électeurs et leurs concurrents malheureux faisaient contre mauvaise fortune bon cœur. Le cœur de midinettes, volatile, oui, animé par des fidélités successives.

Enfin, c’est un président sans majorité absolue qui sera désigné. Quand on considère que le PS est en passe de réaliser un score à un chiffre !

On se souvient que c’est Lionel Jospin, sûr de sa victoire, qui avait procédé au changement de calendrier induit par le quinquennat, faisant se tenir l’élection présidentielle avant celle des députés. Or, quand la gauche perd, elle perd toujours plus lourdement que la droite. Quand elle gagne, c’est toujours par un pourcentage plus faible que lorsque c’est la droite qui l’emporte. On est toujours plus déçus par la gauche que par la droite, qui dispose d’une assise dans les territoires plus solide.

« Quel que soit le candidat qui l’emportera,

on entrera dans un système de

cohabitation/coalition »

Quel que soit le candidat qui l’emporte, et surtout si c’est Macron, du fait même de la nature de sa chimère, au sens mythologique du terme, nous entrerons dans un système de cohabitation et de coalition. Macron a déclaré : « On n’a jamais vu, depuis 1958, le peuple français dire le contraire aux législatives de ce qu’il a dit quelques semaines plus tôt à la présidentielle. » Mais jamais le peuple français n’avait été autant éclaté, quatre candidats, et jamais il n’a dû se prononcer sur des hommes sans parti. Cohabitation parce que les grands partis LR, PS, RBM-FN remporteront un nombre important de circonscriptions. Et plutôt que d’assurer la gouvernabilité de la France, par une chambre des députés en accord avec la présidence, je pense que les Français, esseulés, retrouveront les reflexes de vote. Les Français gardent aussi un très bon souvenir de la cohabitation gauche-plurielle/Chirac. À ceci s’ajoute la loi sur le non-cumul des mandats, ainsi que la volonté de renouvellement, non des couleurs politiques, mais des têtes. Si Le Pen gagne, le choc sera tel que les Français plébisciteront les autres partis aux législatives, le réflexe républicain prévaut. Ce qui sera une situation idéale pour elle. L’absence de majorité la dispensera d’appliquer ses mesures folles, et elle en restera à la posture de chef, exerçant les missions régaliennes à haute valeur et crédibilité ajoutées.

« Macron serait un président de la Vème République

fonctionnant avec un parlement de la IIIème... »

Idem dans le cas de François Fillon, exposé par les procédures judiciaires, concernant sa femme et ses enfants, qui se poursuivront, qui ne bénéficient pas de l’immunité présidentielle. Avec Macron, outre la cohabitation, ce sera un système de coalition. Macron sera un président de la Vème République fonctionnant avec un parlement de la IIIème. Il devra convaincre et coaliser pour chaque décision, au cas par cas. Et même s’il présente le clivage gauche-droite comme désuet, les reflexes seront là pour ses députés qui ne disposent pas d’une colonne vertébrale doctrinaire commune. C’est peut-être la raison pour laquelle il a d’ores et déjà annoncé que tout moderne qu’il soit, il réformerait le code du travail à coup d’ordonnances, en vertu de l’article 38 de la Constitution. Il serait utile de lui rappeler que les ordonnances entrent dans les prérogatives du chef du gouvernement, pas du chef de l’État, il doit donc s’assurer une chambre à ses ordres et à ses couleurs. Or, son mode même de recrutement, le système McDo, venez comme vous êtes, incitera à la fronde permanente. Jean-Luc Mélenchon ne disposera pas non plus de majorité s’il est élu. Les députés ne sont pas élus à la proportionnelle mais à la majorité qualifiée dans chaque circonscription. Dans quelle mesure joue l’étiquette plutôt que l’expérience et le bilan du député ? C’est aussi ce que les prochaines élections permettront d’éclaircir. De bons députés seront sanctionnés, de mauvais candidats seront élus.

« Exercer le pouvoir suppose de la "puissance",

elle-même fonction de la capacité à projeter

de l’autorité... pas gagné pour tous ! »

Est-ce l’élection de trop d’un système, la Vème à bout de souffle ? On n’avait pas mesuré les conséquences du quinquennat et des primaires dans un régime présidentiel fort qu’est celui de la Vème. On dit souvent que notre régime est celui d’une monarchie républicaine. Comme pour les écrouelles, il y a une part de symbolique essentielle, ce que Macron reconnaissait en parlant de transcendance et de verticalité du pouvoir. Ce qui rend les propos et l’attitude de Mélenchon anxiogènes, on ajouterait de l’autorité à de l’autoritaire, et ce pourquoi il annonce qu’il ne restera au pouvoir que le temps de faire adopter une nouvelle constitution. Mais il ne s’agit pas de pouvoir mais de puissance, au sens que lui donna Joseph Nye : la capacité à faire adopter à autrui le comportement voulu par soi. Et cette puissance ne repose pas que sur des institutions, elle dépend en premier lieu de l’autorité. Et cette autorité est d’abord un consentement des personnes soumises à cette autorité. Elles consentent à prêter de la puissance à celui qui incarne cette autorité. Or, si Le Pen est élue, chacun se croira Jean Moulin en refusant d’appliquer la plus insignifiante de ses directives. Idem, pour des raisons différentes, avec Jean-Luc Mélenchon. Quant à Fillon, il ne pourra exiger du peuple des sacrifices parce que les affaires ont dilapidé sa crédibilité et sa capacité à obtenir ce consentement. Enfin, Macron qui joue les politiques modernes et le jeu participatif, est en mesure d’obtenir ce consentement, jusqu’à ses premières erreurs qui ne manqueront pas d’advenir, lui qui n’a eu de cesse de promettre tout et son contraire durant cette campagne folle.

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

 

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12 avril 2017

François Durpaire : « Nous assistons à la fin d'un type de démocratie »

François Durpaire est bien connu des téléspectateurs avides de décryptage info : il est depuis plusieurs années une des figures marquantes des plateaux et compte parmi les spécialistes les plus écoutés sur la politique, la société américaines. Les questions relatives à la diversité se trouvent souvent au cœur de ses analyses et de ses engagements. C’est dans cet esprit qu’il a entrepris, avec son complice le talentueux illustrateur Farid Boudjellal, de réaliser une série de BD d’anticipation ayant comme postulat le point suivant : Marie Le Pen est élue à la présidence de la République en 2017... Le premier tome de la trilogie (oeuvre militante assumée, mais travail à découvrir) est sorti il y a deux ans ; le dernier (La Vague) vient de paraître (éd. Les Arènes), à quelques semaines de l’élection, la vraie, plus incertaine que jamais.

Interview de François Durpaire, quatre mois après notre premier échange - merci à lui. À lire, les trois tomes de La Présidente. Et, autre lecture essentielle, qui nous rapproche du scrutin, Déjà demain : Lignes de Front, récit exclusif d’anticipation Paroles d’Actu, daté d’octobre dernier et signé de la plume de quelqu’un qui connaît bien, très bien le FN de l’intérieur. On est à onze jours de l’élection présidentielle... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

François Durpaire: « Nous assistons

à la fin d’un type de démocratie... »

Q. : 10/04/17 ; R. : 12/04/17.

La Vague

La Présidente : la vague (Les Arènes, 2017)

 

François Durpaire bonjour, merci de m’accorder ce nouvel entretien à l’occasion de la sortie de La Vague (éd. Les Arènes), dernier volume de votre trilogie de fiction graphique d’anticipation, La Présidente. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts s’agissant de la campagne, la vraie, depuis notre première interview. Folle saison électorale 2017...

Quand et dans quel état d’esprit avez-vous composé ce troisième livre ? Les turbulences de l’actu ont-elles entraîné des modifications substantielles par rapport à ce que vous aviez prévu de votre récit ?

« Nous voulions terminer sur une note positive »

L’idée était de terminer sur une note positive, l’horizon d’un avenir meilleur possible. Cela correspond à la fois à l’état d’esprit de Farid Boudjellal et à la demande de notre lectorat, après les deux premiers albums à la fois lucides et sombres.

Que vous inspire-t-elle, cette campagne pour la présidentielle 2017, incroyable à bien des égards (un sondage de ce week end donnait les quatre premiers candidats se tenant à quatre points seulement) ?

Nous avons sous nos yeux le spectacle de la fin d’un type de démocratie. Il apparaît aujourd’hui que le vote ne suffit plus à définir la citoyenneté, quand le citoyen a le choix entre le pire, le "moins pire", le "encore pire", ou ne pas se déplacer...

Sans aller trop loin dans le spoiling, pour résumer ce troisième tome : la présidence de Marion Maréchal Le Pen est dans une impasse, les résultats sont mauvais et la contestation de plus en plus criante ; Marine Le Pen, ex-présidente qui incarne une ligne plus modérée que sa nièce, est rappelée au pouvoir en tant que Premier ministre...

On a pu lire récemment dans la presse que Marion Maréchal Le Pen, lassée de l’influence trop grande exercée par Florian Philippot sur la ligne du parti fondé par son grand-père, envisagerait de se retirer de la vie politique si elle ne parvenait pas à infléchir sa ligne. Est-ce que vous croyez à cette hypothèse, qui de facto entraînerait un affaiblissement de la ligne "traditionnelle" au profit de la ligne "Philippot" ?

« Marion Maréchal Le Pen, une vraie stratège

qui ne manque pas d’atouts dans sa manche... »

Oui, je ne crois pas qu’elle partirait sans se battre, c’est le cœur de Totalitaire, l’album numéro 2. Marion Maréchal, on la décrit avec précision et on est très bien informé sur le sujet, est une vraie stratège et ne manque pas d’atouts dans sa manche.

Justement, vous croyez probable au contraire, une lutte acharnée - et plus ou moins "fraternelle" - pour la prise de contrôle du parti après les élections de ce printemps entre les tenants du complexe MLP-FPh. et les traditionnels menés par la jeune députée du Vaucluse ?

Oui, c’est tout à fait cela. On s’est amusés à inventer les conversations internes aux équipes, à en retranscrire certains qu’on nous a décrites.

Suite de l’histoire : Marine Le Pen au pouvoir oui, mais après toutes ces années et un bilan désastreux le "charme" n’agit décidément plus et la France semble s’acheminer pour le scrutin suivant vers une alternance ou rien. À la fin, le pays "reprend des couleurs"... Est-ce que vous ne craignez pas qu’à la lecture de vos dernières planches, on vous accuse de pécher par excès de manichéisme (passage de l’ombre à la lumière), d’angélisme ?

Tant mieux ! Nous assumons cette part d’idéalisme, de défense d’une utopie sereine et humaniste. C’est volontaire de notre part. Nous devions offrir à débattre sur une voie possible de sortie de crise. En particulier, nous nous sommes amusés à écrire un nouveau modèle démocratique, très concrètement à partir d’une VIe République !

Je précise ma pensée : il est vrai que le "ticket" (je laisse aux lecteurs le soin d’en découvrir la composition) qui s’oppose au Front national lors de l’élection est doué du sens de la rhétorique et n’est pas avare de belles proclamations, de grandes promesses... mais c’est précisément sur ces belles promesses déçues, sur ces grandes incantations vides de suivi que le Front national a prospéré depuis quarante ans...

« La révolution politique se joue au niveau

de l’intelligence de terrain... »

Le ticket, c’est pour dire qu’il n’y a pas d’homme ou de femme providentiel(le), et que la révolution politique se joue au niveau de l’intelligence de terrain, et cette intelligence est nécessairement collective. Quant à la place de la rhétorique, j’ai un désaccord de fond avec vous. Je pense que la situation se dégrade par absence de narration commune. Nos hommes et femmes politiques oublient que nous sommes faits aussi de littérature, c’est le texte qui tisse nos liens. Il faut raconter ce sur quoi on s’engage mais aussi ce que l’on fait et comment on agit. Le verbe est aussi mobilisateur d’action collective.

Il n’y a pas de désaccord de fond entre nous, et je suis bien d’accord avec vous: la rhétorique, ça a du sens, et "raconter quelque chose" c’est essentiel. Je suis de ceux que, par exemple, la maîtrise des mots et de l’art du verbe d’un Mélenchon (comme d’un Le Pen père en son temps) impressionnent. Ce que je veux dire simplement, c’est qu’on a eu l’expérience de la campagne de 2002 : Chirac exhortant chacun à "prendre ses responsabilités", à rejeter "l’intolérance et la haine" face au FN au second tour. Il fut réélu à 82% mais on a l’impression que toutes ces belles phrases sont vite tombées dans l’oubli, on a vite perdu l’esprit de cette élection si particulière, et pas grand chose n’a été fait durant ce quinquennat pour réparer les fractures qui ont causé le 21 avril...

On en revient au FN, aux causes justement. J’ai la faiblesse de croire que la xénophobie, et a fortiori le racisme, ne sont pas le ciment essentiel d’un électorat Front national quand celui-ci représente non plus les chiffres d’un groupuscule mais quasiment un quart de l’électorat...

« Le vote FN, un vote de contre-mondialisation...

avec une partie immergée à l’iceberg »

Vous avez raison. Le vote FN ne se limite pas à un vote xénophobe. C’est un vote de contre-mondialisation, après avoir été un vote anti-communiste jusqu’à la fin de la guerre froide. Il ne faut cependant pas nier la montée des discours de haine, que le FN entend utiliser politiquement dans une forme normalisée ou quasi normalisée. La sortie récente de Marine Le Pen sur le Vel d’Hiv montre qu’il y a une partie immergée à l’iceberg.

Si les politiques qui ont été élus et ont gouverné avaient été bons et efficaces, le FN n’aurait jamais progressé, ou en tout cas pas dans ces proportions. Un vote de désespérance peut-être au moins autant qu’un vote de rejet (du mondialisme, de l’Europe communautaire, de l’autre, etc...). Quel message auriez-vous envie d’adresser à, j’ai envie de dire, cet électeur FN de bonne foi, qui souffre et qui ne voit aucun espoir ailleurs ?

Que les solutions proposées aggraveront leur situation. Qu’ils seront malheureusement les premières victimes de leur choix. c’est ce que nous avons montré en nous entourant des meilleurs économistes. 

Il y a quelques semaines, j’ai découvert une interview improbable - et donc intéressante ! - que vous avez réalisée, récemment, avec Jean-Marie Le Pen. Quels sentiments vous a-t-il inspirés, à l’issue de cette rencontre ? Plus généralement, comment est-ce que vous les regardez à titre personnel, lui et sa fille ?

Au-delà de la dimension personnelle, ce sont leurs idées que nous dénonçons. Nous pensons qu’il y a une voie à inventer pour que le monde ne constitue pas une menace - pour nos emplois, nos cultures, notre sécurité - mais une opportunité pour nos vies. En proximité.

Sur les personnes tout de même... Quels sont pour ce que vous en savez et percevez, avec autant d’objectivité que possible et en laissant un peu de côté le fond de leur agenda, les vraies qualités et les défauts insurmontables (en vue notamment d’une échéance comme la présidentielle) de l’un et de l’autre ?

« Les gros points faibles du FN ? L’ama-

teurisme... et la persistance en son sein

de l’extrême droite traditionnelle... »

Nous avons insisté sur l’aspect "amateurisme" mais également sur l’entourage, qui est toujours conforme à l’extrême droite traditionnelle.

Question U.S., sur un point précis, mais fondamental : quelles conséquences sur, pour faire simple, les libertés publiques peut-on anticiper de la capacité qu’aura Donald Trump à nommer des juges de la Cour suprême durant les quatre années à venir ? Une Cour nettement conservatrice, quelles conséquences concrètes cela pourrait-il avoir au regard notamment des débats de société actuels ?

On peut certes envisager un déséquilibre entre conservateurs et progressistes, mais l’histoire de la Cour suprême indique que les choses sont bien plus complexes que cela. N’oublions pas que les juges sont nommés à vie, et donc indépendants, y compris par rapport au président qui les a nommés. La Cour juge en son âme et conscience.

Si vous pouviez poser une question, une seule, bien pensée et bien pesée à Donald Trump, quelle serait-elle ?

Comment pense-t-il pouvoir rapatrier les emplois industriels aux États-Unis, au-delà de la simple incantation ?

Vous connaissez bien, pour les étudier et observer depuis longtemps, le peuple américain comme vous connaissez le peuple français. Est-ce que vous diriez, si une réponse à cette question peut être apportée, que le curseur de l’un et de l’autre tend plutôt, en majorité, côté "conservatisme" ou côté "progressisme" ? Est-ce que les structures de population, les mouvements d’opinion sont comparables dans ce domaine ?

« Les sociétés américaine et française

sont deux fausses sœurs jumelles »

Je pense que c’est bien plus complexe que cela. Je dirais que ce sont deux sociétés sont des fausses sœurs jumelles. La même mère, c’est la philosophie des Lumières. Qui a donné naissance à "Liberté", la sœur américaine, et à "Égalité", la soeur française...

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ? Allez-vous retravailler avec Farid Boudjellal bientôt ?

Ça c’est top secret. Je peux juste vous dire mon envie de retravailler avec Farid, cette fois sur un travail qui met en avant la culture comme outil de libération.

Un dernier mot ?

« La confiance est le moteur de la vie...

c’est ça le message ! »

La confiance est le moteur de la vie, s’il y a un message, c’est celui-là ! Notre BD s’achève sur la mer et un enfant qui regarde l’horizon...

 

François Durpaire

Crédits photo : Seb Jawo.

 

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12 avril 2017

« La cabine oubliée... : Bérézina, la douloureuse traversée », par Joris Laby

Début février, j’avais mis en ligne l’article La cabine oubliée, fruit difficilement cueilli de la proposition faite à plusieurs personnes d’imaginer ce que serait leur voyage dans le temps si une telle possibilité existait. Ce document de février est riche et mérite d’être découvert, et je remercie à nouveau ici chacun des participants. Un autre texte m’est parvenu, celui de Joris Laby, un jeune homme issu du Val de Loire qui a baigné depuis tout petit dans les histoires du passé, au point de faire de celle avec un grand "H" une passion jamais démentie. Max Gallo, pour lequel j’ai pour l’occasion une pensée, est de ces historiens qu’il estime plus que tout. L’épopée napoléonienne, une de ces époques qui lui parlent "vraiment". C’est le cadre de son texte, écrit avec passion et son style propre, gardé comme tel. La campagne de Russie. On y est... Merci Joris ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

La cabine oubliée...

« Récit d’un homme qui vit la Bérézina.

La douloureuse traversée de l’Armée Impériale. »

 

Je suis arrivé devant la Bérézina au matin du 26 novembre 1812. Comment et pourquoi suis-je arrivé ici, dans ce bourbier, au beau milieu de la débâcle de la Grande Armée, sont des questions sans importance. Ce que vous devez savoir, c’est que le temps n’est pas aussi linéaire que ce que l’état actuel de nos connaissances nous laisse à penser. La seule chose qui me relie dès lors à mon époque est un petit boîtier électronique, possédant en son centre un unique petit bouton rouge. Ce boîtier était mon unique moyen de retourner chez moi, mon fil d’Ariane dans ce labyrinthe temporel, l’objet qui me permettrait de retourner à mon époque d’origine. Seulement, sa batterie ne possédait qu’une autonomie de 24h et assez d’énergie pour un unique voyage retour. Je décidai donc, boîtier en poche, de vivre intensément ce moment historique et vous en rapporter toute l’horreur, mais aussi tout l’espoir qu’il a suscité.

La première chose que je vis ce matin-là, c’est la Bérézina, qui charriait des blocs de glace, et le ciel orangé de l’aube qui s’éveillait. Mais à peine mon cerveau eut-il le temps de réaliser qu’il s’agissait du ciel de la Russie des tsars, de 1812... que mon corps fut transi de froid. En effet, le voyage temporel se fait nu, question d’économie d’énergie voyez-vous. De toute façon, qu’aurais-je fait de guenilles du XXIe siècle à l’époque du grand empire napoléonien ? Je me mis immédiatement en quête de vêtements. Pour cela j’entrai, courant nu dans la neige, les pieds brûlés par le froid, dans une maison de bois de ce petit village qui bordait la Bérézina et son gué : Studienka. Elle était composée d’une unique pièce avec sur le côté un poêle, où les braises étaient encore chaudes - signe que les paysans de cette bourgade avaient fui à l’arrivée des armées impériales. Il n’y avait rien dans ce logis pour se couvrir, hormis ce drap de laine, grossier, qui trônait sur une paillasse en désordre. Je le pris et me drapai avec, de sorte à couvrir la majeur eparti de mon corps. Je tentai ma chance dans une seconde maisonnée où, par chance, je réussis à débusquer un justaucorps et un pantalon. Toujours armé de ma couverture, je m’apprêtais à visiter une troisième maisonnée quand une voix derrière moi m’interpella...

Grognard

Illustration 1: Grognard de la Vieille Garde en 1813. Par Edouard Detaille.

« Fermier, arrête-toi ou je t’abats ! ». Le premier réflexe que j’eus, outre le fait de me stopper net dans mon mouvement, a été de crier, « Je suis français ! ». Tout en me retournant, il me demanda de quel régiment je faisais partie. Mon demi-tour achevé, j’aperçus le grognard, à l’allure de géant, coiffé de son bonnet à poils. Je répondis que j’étais un cuisinier en quête de nourriture. Il baissa son arme pointée sur moi depuis le début de la conversation, laissant échapper un soupir : « Tu n’en trouveras point ici... les Russes ont tout pris avec eux ». Effectivement, depuis le début de cette campagne, les Russes, sous l’impulsion de leur tsar, Alexandre Ier, avaient refusé le combat tant que faire se pouvait en se repliant indéfiniment sur leur vaste territoire, appliquant sur leur passage la tactique de la terre brûlée pour ne rien laisser aux troupes impériales.

C’est durant les 35 jours restés à Moscou, avec la venue de l’hiver, que Napoléon comprit que jamais le tsar n’abdiquerait et qu’il faudrait s’en retourner. Désorganisée par cette attente dans la capitale russe, affamée, épuisée, la Grande Armée de Napoléon, ses quelque 600 000 soldats venus de toute l’Europe (Allemands, Polonais, Néerlandais, Autrichiens), cette Grande Armée qui le 23 juin 1812 avait traversé le Niémen pour pénétrer dans l’empire russe, n’était plus que l’ombre d’elle-même. Durant cette terrible retraite, ses effectifs se réduisaient considérablement, au grès des maladies (comme le typhus), des charges de cosaques et des échauffourées avec les troupes russes. Mais les deux grands bourreaux de cette armée ont été ce que les contemporains de cette époque appelèrent, le « général Hiver » et le « général Famine ».

Le soldat se prit vite d’affection pour moi et me donna des bottes qu’il avait trouvées sur un cadavre qui de toute façon n’en avait plus besoin ; il se nommait Louis Bidault et faisait partie de la Vieille Garde. La Vieille Garde composait la garde rapprochée de Napoléon : vétérans chevronnés, ils constituaient un corps d’élite au sein de la Grande Armée. Louis me dit qu’il le suivait depuis le début, depuis la campagne d’Italie, et qu’il avait participé à toutes les grandes batailles de Napoléon, du pont de Lodi en passant par les pyramides d’Égypte, etc... Pour lui comme pour un grand nombre de soldats, Napoléon était le seul capable de redresser le pays d’après la Révolution, le seul capable de mettre à genoux cette vermine anglaise qui avait fait tant de mal à la France. Le grognard aurait suivi, lui comme ses frères d’armes, l’Empereur jusqu’au détroit de Béring si telle avait été sa volonté. Ces gaillards étaient durs au combat, il fallait les voir marcher : ils avaient l’assurance d’un homme qui avait mille fois bravé la mort et qui serait prêt à y retourner mille fois encore.

Bérézina

Illustration 2: La traversée de la rivière Bérézina - 1812. Les pontonniers au travail

sur la rivière Bérézina le 26 novembre 1812, construisant les deux ponts temporaires.

Par Lawrence Alma Tadema.

Sorti de Studienka, Louis alla rejoindre sa troupe auprès de l’Empereur. Je le suivis. Là, j’aperçus dans la Bérézina des hommes s’affairant dans l’eau, de l’eau jusqu’à la taille ; de l’eau glacée qui, sans l’énergie que leur insufflait l’Empereur, sans ce sentiment de sauver ce qu’il restait de la Grande Armée, les aurait congelés sur place. C’était les 400 pontonniers du général Éblé, qui construisaient les deux ponts qui allaient servir à passer sur la rive droite de la Bérézina. Car la rivière n’était pas gelée, et le pont de Borisov ayant été détruit par les hommes de l’amiral Tchitchagov, le seul moyen de passer, donc, était la construction de pontons en bois flottant. Ces pontonniers ont travaillé d’arrache-pied, le corps immergé dans une eau glaçante, aux glaçons tranchant comme du verre, et ce dès six heures du matin. Même épuisés par cette retraite désastreuse, les hommes du général Éblé construisaient le pont, ce qui coûtera la vie de la majorité d’entre eux, morts de froid, d’hypothermie. Leur sacrifice ne sera pas vain puisqu’à treize heures le premier pont, celui pour l’infanterie, fut terminé ; le second, celui réservé aux canons et diligences, le fut à seize heures.

Ney 

Illustration 3: Maréchal Ney. Par François Gérard.

 

Kutuzov

Illustration 4: Général Kutuzov. Par Volkov.

 

Tchitchagov

Illustration 5: Amiral Tchitchagov. Par James Saxon.

Louis m’attrapa par l’épaule et me dit, « Regarde, c’est le maréchal Ney ! ». Fidèle parmi les fidèles de Napoléon, Ney le suivra jusqu’au bout, à Waterloo. Il passa près de nous, la tête haute, juché sur son cheval épuisé ; les animaux et en particulier les chevaux ont beaucoup souffert durant cette guerre, premières victimes des charges meurtrières de cavalerie, tailladés, éventrés, criblés de balles, morts d’épuisement, de froid car les sabots d’hiver manquaient, ou intoxiqué faute de fourrage comestible. Là, je pensais à Tchitchagov qui tenait la rive droite et décidais d’en informer Ney. Je lui dis, « Mon bon Maréchal, j’ai cru voir des mouvements sur la rive droite... », ce à quoi il répondit : « Effectivement, l’amiral Tchitchagov tient la rive droite et fera tout pour nous empêcher de traverser jusqu’à l’arrivée de Wittgenstein et Kutusov, mais si j’ai besoin de renseignements je ferais appel à des éclaireurs ». Suite à cela, il se dirigea près du général Doumerc, commandant de la 5e division de cuirassiers et ordonna la charge pour s’arroger le contrôle de la rive droit de la Bérézina et assurer le bon déroulement de la retraite. Doumerc, sabre au point à la tête de ses 300 hommes, s’élança face aux quelque 4000 chasseurs russes. Les cavaliers fondaient sur cette masse de soldats cédera bien vite face à l’assaut impitoyable. De la rive gauche nous parvenaient les éclats de fusil et les cris des soldats piétinés. Il ne restait plus là qu’une neige rougie par les sabots des montures. La rive droite était sous contrôle.

Désolation

Illustration 6: Halte de cavaliers, de Joseph Swebach-Desfontaines.

  

Fuite par les deux ponts temporaires

Illustration 7: Fuite par les deux ponts temporaires.

Aquarelle de François Fournier-Sarlovèze

Les hommes qui traversèrent le pont le 26 novembre, le faisaient dans l’ordre et la rigueur ; ils composaient ce qui restait de la Grande Armée, ce reste qui tenait encore debout... Contrairement à la masse impressionnante de ce qu’on appelait les traînards. À l’époque, l’armée entraîne avec elle femmes et enfants, cuisiniers et artisans, sans compter les Français installés à Moscou et qui n’osaient y rester. Il faut ajouter à tout ce groupe hétéroclite les malades, les épuisés, ceux que le froid avait quasiment achevés. L’armée n’était pas prête à ce froid, les vêtements peu adaptés, pas de gants ni de chaussures fourrées ; sans compter le manque de nourriture car les cosaques coupaient toute possibilité de ravitaillement. Dans cet enfer, les hommes étaient souvent obligés de s’abandonner aux plus répugnantes combines : vols, meurtres, cannibalisme...

Cette composition hétéroclite de traînards, trop faibles pour suivre le rythme de la retraite, sera abandonnée à elle-même lorsque les ponts furent détruits le 29 novembre 1812 à neuf heures, pour freiner la poursuite russe, et ce malgré les multiples appels du général Éblé à « traverser au plus vite », annonçant cette destruction des ponts. Mais ce n’est que lorsque les ponts seront en feu que les retardataires, épuisés, se jetteront dans les flammes ou à l’eau, pour tenter de se sauver. Mais l’objectif était atteint : l’Empereur n’a pas été fait prisonnier.

Pourtant Napoléon resta jusqu’au bout avec eux, ce n’est que le 28 au soir qu’il décida de traverser la Bérézina. Les soldats ne lui en voulaient pas pour cette campagne désastreuse. C’est à la couardise des Russes, à leur refus du combat, à l’hiver, à la famine qu’ils en voulaient, mais pas à l’Empereur. Envers lui ils n’avaient que de l’admiration, c’est d’ailleurs cette admiration, cette ferveur jamais consumée qui sera ravivée lors des Cent-Jours. Ceux qui ont côtoyé celui que l’on appelait le Petit Caporal sur le champ de bataille savaient son talent pour la stratégie, pour le commandement, la discipline, la victoire... en somme Napoléon incarnait le seul horizon possible pour la grandeur de la France, pour sa domination européenne. D’ailleurs n’est-ce pas lui qui était en train de les sortir de cet enfer ? La traversée de la Bérézina n’était t-elle point une éclaircie dans ce sombre retour ?

Napoléon désolation

Illustration 8: Napoléon faisant retraite depuis Moscou, par Adolphe Northen.

Mais un homme derrière moi me fit sortir de ma réflexion en m’interpellant d’une voix frêle et grelottante : « Est-ce toi le général Hiver ? ». Une pellicule blanche s’était formée sur l’ensemble de ma redingote, les cristaux s’étaient formés sous l’effet des températures négatives sur mon visage, l’ensemble était d’un blanc immaculé. J’entendis la détonation du pistolet à silex et sentis la bille de plomb chaude traverser ma poitrine. La douleur était telle que je m’effondrai à terre dans l’instant ; mais cela n’était rien face à ce que ces gens-là ont enduré pour un aller-retour à Moscou... À l’image de cet homme qui venait de me tirer dessus ; lui qui rentrera en France sans jamais reprendre de vie normale, sans jamais plus vivre une nuit calme, poursuivi par les horreurs de la guerre à jamais. La vision de la neige et de ce blanc, de ce blanc qui vous prive de tout, qui vous prend tout, vos amis, votre monture, votre victoire, et ne vous apporte rien si ce n’est du malheur ; ce blanc le hantera à jamais. Ce traumatisme ne s’éteindra jamais et des comme lui, beaucoup reviendront en France, ces traumatisés de la guerre inhumaine, celle des boulets chauds qui déciment des lignes entières de soldats, celle des champs de chair qui recouvraient les champs de bataille, celle enfin où il a fallu succomber à l’infamie, la damnation de l’anthropophagie pour survivre. Combien ici bas y avait eu recours ? Ces traumatismes psychologiques, ces altérations du psyché, le déséquilibre mental dû à l’horreur vécue de la guerre industrielle, nous ne le recroiserons qu’un siècle plus tard avec la Première Guerre mondiale qui dépassa les guerres napoléoniennes dans l’inhumanité et la violence.

Napoléon traversant la Bérézina

Illustration 9: Napoléon traversant la Bérézina. Huile sur toile de Janvier Suchodolski, 1866.

La Russie sortit unifiée de cette guerre, tandis que Napoléon en fut durement affaibli et son empire, fraîchement constitué, disloqué au profit de l’alliance constituée face à la France entre Autrichiens, Allemands, Anglais et Russes. Blessé mais toujours en vie... Il fallait pour moi maintenant partir car, je l’ai vu, rien sur cette terre rouge de Russie ne réussira jamais à ses assaillants. Un siècle et demi plus tard cette même terre briserait les rêves de conquête d’un autre empire, celui du Reich, celui d’Hitler.

Il n’y a ici que souffrance et agonie pour les envahisseurs ; aussi bien préparés qu’ils soient, cette terre est un bourbier, un tombeau pour eux. J’appuyais sur le petit bouton rouge pour quitter cette tragédie humaine qui n’a rien à envier aux malheurs du XXe siècle. L’enfer est ici pavé de glace.

Peut-être Valéry Giscard d’Estaing a t-il raison quand il imagine que, si Napoléon n’était resté quune seule journée à Moscou, et non trente jours, la face de l’Europe aurait pu être différente. Mais l’Histoire ne peut être réécrite, elle peut seulement être comprise...

Joris Laby, le 25 février 2017

Joris Laby

 

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5 avril 2017

Marjorie Philibert: « J'ai voulu raconter l'aventure du couple, cette odyssée à la fois bouleversante et banale »

Marjorie Philibert est journaliste, parisienne, la trentaine. Fine observatrice de son époque, comme elle l’est de ses contemporains, elle nous livre un premier roman, Presque ensemble (éd. JC Lattès, 2017), écrit avec style et qui se lit avec aisance, un ouvrage d’une grande richesse narrative et sociologique. La vie de couple et les aventures, les plans de carrière confrontés à la réalité des parcours, les illusions et les déceptions, les espoirs et les désillusions, la quête de sens aussi... Un livre satisfaisant et prometteur, qui mérite réellement qu’on lui donne une chance : il interpelle, interroge, chamboule... bref il "parlera" à beaucoup de gens ... pas simplement aux trentenaires. Merci, Marjorie Philibert, pour cette interview, ces échanges. Merci également à Bruno Birolli, pour avoir initié cette rencontre, créé cette opportunité sans laquelle cet article n’aurait sans doute jamais existé... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Marjorie Philibert: « Jai voulu raconter

l’aventure du couple, cette odyssée

à la fois bouleversante et banale »

Q. : 26/02/17 ; R. : 28/03/17

Presque ensemble

Presque ensemble, éd. JC Lattès, 2017.

 

Marjorie Philibert bonjour. Quelques mots, pour débuter cet échange, pour nous parler un peu de vous, de votre parcours ?

J’ai été attirée très jeune par la littérature. J’ai toujours énormément lu et ai suivi des classes préparatoires littéraires, puis jai obtenu une maîtrise de lettres. Cependant je n’avais aucun attrait pour l’enseignement. C’est ce qui m’a conduit à choisir le journalisme et la presse écrite. Cependant l’envie d’écrire de manière plus personnelle et de raconter des histoires était toujours là et en 2015, j’ai commencé la rédaction de Presque ensemble.

Quelle est l’histoire de votre rapport à la littérature de fiction ? Vos émotions littéraires ? Vos références absolues ?

J’ai toujours lu beaucoup et surtout de tout : BD, récits d’aventure, polars, SF, et bien sûr, littérature classique. Je crois que l’essentiel est de suivre ses envies de lecteur, de ne pas suivre les modes qui voudraient qu’on ait absolument lu tel ou tel romancier contemporain. Aujourd’hui je continue à lire de tout, beaucoup de classiques, de récits de voyage, de théâtre, et assez peu de nouveautés.

« Les Choses de Perec sont pour moi

un chef d’œuvre »

Mes auteurs cultes ? En vrac : Montherlant, Céline, Simenon, Perec, Houellebecq. Ces deux derniers m’ont beaucoup inspirée pour Presque ensemble. Les Choses de Perec sont pour moi un chef d’œuvre, un récit très court, d’une sécheresse et d’une beauté radicale. Dans ce livre Perec tend vers l’abstraction la plus totale, ce qui pour moi est la qualité ultime, comme Flaubert qui voulait faire un livre « sur rien » . Les personnages des Choses sont à peine en chair et en os, ce sont quasiment des archétypes, et pourtant ils arrivent à nous émouvoir. Ce qui à mes yeux rapproche ce roman de la poésie pure.

On me parle également beaucoup de Houellebecq s’agissant de Presque ensemble, pour sa vision sombre de la société occidentale. Il est vrai que j’ai écrit un roman pessimiste, où les personnages subissent leur époque et son absence d’espoir, comme chez Houellebecq. Cependant Houellebecq ne parle pas tellement du couple, il parle plutôt des rapports entre hommes et femmes, ou plutôt de leur échec. J’ai voulu raconter l’aventure du couple, du début jusqu’à la fin, cette odyssée à la fois bouleversante et banale, cette bulle qui nous abrite pendant que les années défilent. En ce sens c’est un livre sur le temps qui passe.

Quand et comment l’idée de ce premier roman, Presque ensemble, vous est-elle venue ? J’aimerais que vous nous racontiez un peu tout ça, comme vous l’avez vécu en tant que primo-romancière : la confection de l’intrigue, la conception du squelette, l’écriture et ses codes à respecter, les moments éventuels d’euphorie, de découragement profond ? Les pensées type "Non quand même, je peux pas écrire ça... oh ?" Et puis cette idée de le publier ou non, les démarches, avec tout ce que ça suppose, de publier un roman...

Je me rappelle très bien du jour où je me suis dit : « Je veux écrire un roman ». C’était un jour d’octobre 2015 et je me suis mise à chercher une histoire. J’ai un tempérament qui fait que je peux mettre très longtemps avant de décider une chose, plusieurs années même, mais une fois que j’ai pris une décision, je suis sûre d’aller au bout. J’ai donc fait une première tentative avec une idée qui m’était venue mais je me suis arrêtée au bout de quelques chapitres car je n’entendais pas ma « voix » d’écrivain. Je trouvais que mon texte sonnait faux, ne me ressemblait pas. Je me suis alors demandée : qu’est-ce que tu veux écrire exactement ? L’idée de Presque ensemble m’est venue alors que j’étais en voyage de presse à Las Vegas. J’étais dans ma chambre d’hôtel au 26ème étage. Il y avait des grandes baies vitrées qui donnaient sur la ville. Le fait de regarder l’activité aussi folle d’une ville comme Las Vegas derrière une vitre, sans le son, m’a plongée dans une atmosphère étrange, comme si je regardais la réalité de façon distanciée. Freud dit que c’est d’ailleurs le propre du névrosé que de regarder la vie avec la sensation d’être derrière une vitre. Toujours est-il que cet état a été propice à l’inspiration puisque j’ai eu l’idée de la première scène le jour même. J’ai eu l’image de la rencontre entre Nicolas et Victoire dans un bar le soir de la finale de la Coupe du Monde de 1998, et j’ai écrit les premières pages là-bas.

De retour en France, j’ai continué à écrire, chapitre après chapitre. Je sentais que je tenais le fil de quelque chose qui était important pour moi, et que je ne voulais pas lâcher. La pire des choses pour un écrivain - et sa plus grande peur - c’est d’abandonner. Or je sentais qu’il y avait quelque chose en moi qui voulait que je termine cette histoire, même si elle n’était pas facile à écrire. J’avais en tête un modèle de construction précisément inspiré de Perec : l’histoire d’un jeune couple, de la fin du 20eme siècle jusqu’au début du 21ème siècle.

J’ai mis un an à terminer ce roman car en parallèle j’écrivais un autre livre, de journaliste cette fois, en collaboration avec l’historien Fabrice d’Almeida qui est paru en octobre 2016, Sur les traces des serial killers (éd. de La Martinière). Je travaillais sur ce livre la journée et sur mon roman les soirs et les week-ends.

« Au bout d’un an d’écriture en solitaire, j’ai traversé

une période de doute... j’ai eu besoin

d’un regard extérieur, celui d’un éditeur »

En octobre 2016 je n’étais pas entièrement satisfaite du résultat mais j’ai envoyé mon manuscrit à plusieurs éditeurs car au bout d’un an d’écriture solitaire je traversais une phase de doute. J’avais envie de reprendre le manuscrit mais j’avais besoin de mener ce travail sous le regard d’un éditeur. Après plusieurs refus je suis partie en décembre en Malaisie, assez démoralisée. J’étais à Penang, une ville charmante aux bâtiments coloniaux anglais décrépits, lorsque Laurent Laffont, le directeur des éditions Lattès, m’a appelée pour me dire qu’ils acceptaient de publier mon manuscrit. Bien sûr, ça a été une grande joie. Je suis rentrée à Paris en mars et mon éditrice Anne-Sophie Stefanini m’a proposé une publication en janvier 2017. Comme j’avais un peu de temps devant moi j’ai commencé à retravailler certains passages dont je n’étais pas très contente, puis au fur et à mesure je me suis replongée dans le texte et je l’ai énormément réecrit. J’ai aussi rajouté une centaine de pages, ce qui fait qu’à la fin je me suis demandée si l’éditeur accepterait toujours de le publier ! Heureusement ça été le cas. Je pense que j’ai beaucoup gagné en force entre la première et la deuxième version. La première était plus sèche, en ce sens plus influencée par Perec, et pouvait à ce titre être perçue comme un exercice de style, un « à la manière de ». Dans la deuxième version j’ai donné plus de place au lyrisme, à la poésie du quotidien, qui rendait l’histoire plus vibrante.

Presque ensemble nous propose de suivre, sur une grosse quinzaine d’années, le parcours d’amour et de vie de deux personnages, Nicolas et Victoire, qui se sont rencontrés vous le disiez dans un bar à Paris le 12 juillet 1998, jour fameux de ce 3-0 face au Brésil après lequel, dixit le regretté Thierry Roland, on pouvait « mourir tranquille ».

Je lis peu de romans, j’ai beaucoup aimé le vôtre : il est bourré d’humain pour le meilleur et pour le moins glorieux, de tous les questionnements qu’on peut se poser et que nos générations se posent. Quelques illusions, et souvent pas mal de désillusions, mais des désillusions qui n’étonnent pas tant que ça, parce qu’on n’est plus tout à fait dupes. On s’identifie à eux (parfois beaucoup), à leurs joies, à leurs galères du quotidien. On se voit à travers eux revivre ce qu’on a vécu, dans le privé ou dans l’actu. Aucun trentenaire, pour ne parler que d’eux, de nous, ne sera indifférent à cette lecture je pense. Qu’est-ce qu’il y a de vous dans ce livre, Marjorie Philibert ? Jusqu’à quel point n’est-il pas autobiographique ?

Je ne savais pas que Thierry Roland avait dit ça, si j’avais su je l’aurais mis en exergue du livre ! Plus sérieusement, de dire qu’après la victoire des Bleus on peut mourir tranquille, ça résume bien l’euphorie un peu irréelle qui régnait à ce moment-là. Comme un doux sentiment de victoire qui flottait, et que le pays n’avait plus de problèmes. Mais comme vous le dites, les désillusions des personnages n’étonnent pas tant que ça le lecteur parce qu’on vit dans une époque sans illusions. J’ai mis bien sûr beaucoup de choses de moi, précisément cette désillusion, qui est autant le propre de l’époque que celle de la jeunesse, du moment où on confronte ses rêves d’adolescent à la réalité de la vie d’adulte. Les désillusions sont même un passage obligé dans les romans d’apprentissage du 19ème siècle, de Balzac à Stendhal, et la leçon de ces grands romanciers réalistes est que pour pouvoir survivre dans une société qui voit la naissance de l’industrialisation et l’accélération du capitalisme, il faut faire le deuil de certains de ses idéaux. C’est ce qu’illustrent les personnages des Illusions perdues, Lucien de Rubempré qui s’aliène pour atteindre la reconnaissance sociale parisienne et son double David Séchart qui choisit de mener une vie dans l’ombre, loin du tumulte du monde mais paisible à Angoulême.

« La désillusion de Victoire et Nicolas est surtout

générationnelle : les interdits et les idéaux

de l’époque de leurs parents ont disparu »

La désillusion de Nicolas et Victoire est cependant autre. Il y a bien sûr le constat que le monde du travail n’est pas tel qu’on l’imaginait, que les études qu’on a menées n’ont pas grand rapport avec leur débouché final et que le travail qu’on peut trouver (car les opportunités ne sont pas si nombreuses) n’a pas grand sens. Il y a aussi la désillusion du couple, mais pas tant que ça : ils mènent une vie modeste dans leur deux-pièces rue de la Glacière, mais précisément pour cette raison, ils arrivent au début de leur histoire à se ménager des moments de bonheur à travers des choses simples comme partir en week-end ou prendre un chat. Mais il y a surtout une désillusion générationnelle que subissent beaucoup de trentenaires, qui si on peut dire est propre à un changement d’époque, à savoir que leurs parents les ont élevés en fonction d’idéaux largement influencés par 68, et que le temps que leurs enfants arrivent à l’âge adulte ces idéaux ont disparu. Les parents de Victoire l’ont ainsi élevée dans une grande permissivité sexuelle, en l’encourageant à l’adolescence à avoir des expériences qui l’épanouiraient, or pour la génération de Victoire la liberté sexuelle est un acquis, il n’y a plus rien à conquérir, on est plutôt passés à une ère où la relation humaine est menacée par la valorisation du consumérisme sexuel. Ce qui fait que lorsqu’elle vit ses premières expériences extra-conjugales, celles-ci n’ont pas le frisson de l’interdit, mais la renvoient plutôt face à un vide existentiel, du fait de la facilité et de la banalité de la chose.

« Notre génération n’a pas connu de guerre, mais

elle subit des changements extrêmement

rapides et perturbants... »

Ce livre n’est pas autobiographique au sens où je n’ai pas eu une si longue expérience du couple et de la cohabitation, j’ai plutôt voulu fuir ce modèle. Par contre j’ai vécu cette perte des idéaux, ce sentiment dont mes personnages ne sont pas forcément conscients, celui de faire partie d’un monde en train de disparaître, en raison de l’accélération de l’économie de marché, de la mondialisation à marche forcée qui se répercute directement sur nos vies. Ainsi entre le moment où j’ai commencé mes études de journalisme en 2004 et aujourd’hui, j’ai vu un nombre grandissant de plans sociaux, de licenciements, de journaux qui mettaient la clef sous la porte. J’ai le sentiment d’avoir appris un métier qui est en train de se terminer (ou comme certains journalistes disent pudiquement de « se transformer »). Nous sommes une génération qui certes n’a pas connu de guerre, qui a la chance de bénéficier des progrès de la technologie mais qui subit pourtant des changements extrêmement rapides et perturbants.

Quels sentiments vous inspirent Victoire, Nicolas, ces deux personnages que vous avez vraiment réussi, je trouve, à rendre touchants, attachants, bref vivants ? Imaginons que vous puissiez, à un moment du récit, n’importe lequel, vous changer en personnage du livre pour prévenir ou conseiller telle ou tel, changer le cours des choses, quel moment, et que feriez-vous ?

« On est beaucoup plus l’héritier de l’histoire

de ses parents qu’on ne l’imagine »

Quand j’ai commencé l’écriture du roman, Victoire et Nicolas étaient un peu la quintessence de tout ce que je détestais dans la vie (les pauvres). Ils étaient à mes yeux, lâches, passifs, ordinaires, sans panache, purs produits d’une époque d’où l’insolence comme moteur artistique et social a disparu. Puis au fur et à mesure, je me suis mise à m’attacher à eux. Le temps passé ensemble, je suppose. J’ai compris qu’ils n’avaient pas forcément eu le choix, et que qu’on le veuille ou non, on est beaucoup plus l’héritier de l’histoire de ses parents qu’on ne l’imagine. Et puis, l’attachement qu’ils éprouvent l’un pour l’autre les sauve en quelque sorte. À la fin Victoire fait le bilan de leur vie et se rend compte que la somme de toutes les banalités vécues ensemble a malgré tout constitué une vraie histoire d’amour, une histoire de quinze ans, qui aura été, à l’un et à l’autre, la plus importante de leur vie.

« Elle se rallongea sur son lit et repensa à sa vie avec lui, en une énigme obsédante. Il y avait eu leur rencontre. Il y avait eu le cinéma. Il y avait eu les milliers d’heures passées côté à côte à dormir, faire le ménage ou regarder la télévision, dont ils ne se souviendraient jamais. Il y avait eu tout ce temps à tourner en rond, toutes ces journées où ils auraient pu se dispenser de vivre. Il y avait eu Ptolémée. Il y avait eu l’appartement, les voisins, les sorties, les vacances. Il y avait eu les gens et les villes. Il y avait eu tout ce qu’il y avait partout. À présent, elle s’en rendait compte, leur histoire avait été la principale aventure de leur vie.  »

Dans ce roman, on voit notre monde tel qu’il est, pas forcément des plus réjouissants : la place croissante de l’individualisme, pour ne pas dire des égoïsmes, d’un matérialisme sans âme, avec très peu finalement de visées « plus grandes que soi » comme disent les Anglo-saxons. Est-ce qu’il est plus ou moins difficile de s’y épanouir qu’à d’autres époques, pour vous ? On parle beaucoup du manque de transcendance de nos jours, vous en pensez quoi ?

« On se moque volontiers des déclinistes... mais

n’oublions pas que Houellebecq reste

l’écrivain français le plus lu à l’étranger... »

Les Anglo-Saxons ont en effet une expression, « Bigger than life » que j’adore, et qui s’applique à tout, au fait de prendre l’Eurostar comme à celui de changer de couleur de cheveux. De fait les Anglais sont excellents pour pointer l’écart entre la mesquinerie du quotidien et nos rêves de grandeur, alors que nous Français avons parfois un peu de mal avec l’autodérision. Effectivement l’époque actuelle me donne le sentiment d’une absence de légèreté, d’insolence. Je suis consciente des limites du « C’était mieux avant » : nos parents ont connu effectivement les Trente Glorieuses qui furent une période exceptionnelle de croissance, mais la génération de nos grands-parents a vécu deux guerres mondiales, ce que personne ne voudrait revivre. Cependant je me sens assez proche du constat de Zweig qui datait le déclin de la société occidentale de 1914. L’Europe a connu une apogée - intellectuelle, artistique, politique - et un rayonnement sans précédent au début du siècle et en un sens la Première guerre mondiale a marqué le début du déclin. Nous ne faisons que poursuivre ce déclin. Aujourd’hui on se moque volontiers des déclinistes qui seraient des sortes de néo-réacs nostalgiques. Mais l’écrivain français le plus lu à l’étranger reste quand même Houellebecq, qui a construit son oeuvre autour de cette vision.

Partir à l’autre bout du monde pour fuir un quotidien qui oppresse et qui use, tout plaquer de ces habitudes et de cette routine sans but pour se sentir utile "ailleurs" (et, donc, de préférence "loin"), comme le fait Nicolas à la fin du récit, c’est quelque chose qui vous chatouille ?

« À défaut de grandeur, Nicolas trouve dans

l’humanitaire à l’étranger un dépassement de la

petitesse qui le guettait s’il était resté à Paris »

C’est quelque chose que j’ai commencé à mettre en place il y a quatre ans, quand j’étais à la fois insatisfaite de mon métier de journaliste et de ma vie à Paris. Tous les hivers, je pars quelques mois en Asie du Sud-Est, où j’emmène mon travail, puisqu’aujourd’hui je vis essentiellement de mes livres. Mais c’est un exil de confort, et non comme Nicolas pour trouver un sens à ma vie. D’ailleurs, Nicolas, (qui devient de plus en plus lucide au fil des années) perd rapidement ses illusions sur l’humanitaire en arrivant aux Philippines. Cependant je n’aimerais pas partir définitivement, car je suis attachée à Paris, à la France, à sa vie intellectuelle et culturelle et moi qui ai grandi à l’étranger en raison d’un père diplomate, je ressens le besoin d’avoir un « port d’attache ». Mais disons que la tentation du bout du monde peut être d’autant plus forte que la société est de plus en plus dure et offre de moins en moins, précisément, de sens. Ce que Nicolas découvre aux Philippines c’est l’éternel choc de l’Occidental arrivant en Asie : une sorte d’indifférence souriante aux tracas de l’individu, un prix négligeable accordé à la vie humaine, qui permet parfois de relativiser certaines choses. À défaut de grandeur, il y trouve du moins un dépassement de la petitesse qui le guettait s’il était resté à Paris. Victoire, elle, veut transcender sa condition en faisant un enfant seule, en enterrant le rêve du couple, ce qui est un choix fait par de plus en plus de jeunes femmes aujourd’hui.

Lors d’une interview que vous avez donnée au mag Twenty au mois de janvier, on vous a demandé ce que serait pour vous la liberté aujourd’hui. Moi j’ai envie que vous me disiez ce qu’est à ce stade de votre parcours votre conception du "bonheur". Est-ce que l’idée que vous vous en faites est très différente de la vôtre il y a dix ou quinze ans ?

« Ma conception du bonheur ? Préserver

cet équilibre entre voyage et écriture... »

Ma conception est évidemment très personnelle. Le bonheur serait de continuer la vie qui est la mienne, où j’ai trouvé une sorte d’équilibre entre voyager et écrire. Qui sont certainement les deux choses que je préfère dans la vie.

C’est quoi vos projets, vos rêves pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?

Du bonheur, de l’amour et des ventes !

Un message pour quelqu’un, n’importe qui ?

J’ai dédié ce livre à ma grand-mère qui aura 97 ans en avril car c’est une femme exceptionnelle qui m’a appris à affronter la vie.

Un dernier mot ?

« Quand t'as vingt et un ans, la vie est nette comme une carte routière. C'est seulement quand t'arrives à vingt-cinq que tu commences à soupçonner que tu tenais la carte à l'envers... et à quarante que t'en as la certitude. Quand t'atteins les soixante, alors là, crois-moi, t'es définitivement largué. »

Stephen King

 

LA QUESTION EN + (Q. : 30/03- R. : 03/04)

Nabilla Benattia, starlette du néant qui voit se former autour d’elle, au salon du Livre, une cohue de badauds et de journalistes, attroupement que ne connaîtront jamais des centaines, des milliers d’auteurs ayant pourtant plus certainement contribué à la culture avec un grand "C"... en tant qu’auteur(e ?), en tant qu’observatrice de notre société, ça vous inspire quoi ? Et-ce que, véritablement, ça dit quelque chose de notre époque ?

« La célébrité ne contribue pas à la valorisation

de l’art mais à celle de l’argent »

D’abord je crois que pour un auteur il n’y a rien de pire que de se dire qu’on contribue à la culture avec un grand "C". Je déteste les majuscules, pour moi ça renverrait plutôt au "C" de connerie... Un auteur ne doit pas avant tout chercher à faire partie des institutions, pour citer un génie absolu qui était Roland Topor, un artiste c’est toujours celui qui marche à côté des plates-bandes, qui cherche les papiers gras sur la pelouse. Et un jour brusquement ou au contraire lentement, quelques personnes commencent à trouver que les papiers gras, c’est formidable. C’est alors qu’un attroupement de badauds et de journalistes comme vous dites se forme et qu’on commence à décréter que seuls les papiers gras ont de la valeur et que par exemple le type qui regarde les choses depuis un toit, par exemple, n’a pas d’importance. Jusqu’au jour où tout le monde veut monter sur un toit... etc etc.

Voilà pour résumer ce que je pense du rapport de l’auteur à la célébrité, à savoir qu’il faut être conscient qu’elle ne fait que contribuer non pas à la valorisation de l’art mais à celle de l’argent. Parfois les deux se croisent et c’est tant mieux, sauf que la célébrité des uns, même quand elle est méritée, vient toujours constituer un obstacle à celle de ceux qui arrivent après, parce qu’on attend d’eux qu’ils rentrent dans des cases, qu’ils délivrent non pas quelque chose de nouveau, mais quelque chose qui ressemble à ce qu’on connaît déjà parce que c’est rassurant. Quant à Nabilla, se comparer à elle n’a pas grand sens dans la mesure où elle attire évidemment au salon du Livre un autre public, qui ne lit pas forcément et que ses ventes ne retirent rien par exemple, à celles des auteurs des éditions de Minuit. Sans compter que certains littérateurs n’ont pas nécessairement beaucoup plus d’intellect qu’elle, sans avoir ses attributs physiques...

 

Marjorie Philibert

 

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